ven 26 avril 2024 - 08:04

Initiation quand tu nous tiens

L’initiation est la forme la plus traditionnelle de la transmission impliquant un processus de transformation progressif 

L’étymologie nous enseigne que le mot initiation veut dire en latin «entrée», «commencement» «introduction» , initium, et en grec «finalité», «but».  En latin, initium, d’ineo (aller dans) signifie commencement, début, naissance. Au pluriel, le mot désigne plutôt la naissance, la cause première, les fondements. Initus équivaut également à : entrée, commencement, pénétration sexuelle. Initiare veut dire instruire ou commencer, initiatio, l’initiation, initiatur, l’initiateur. En Grec ancien, télos (τελός) signifie la fin, la complétion, l’aboutissement, la perfection. Les rites initiatiques se veulent Initium et télété représentant les deux aspects de la démarche initiatique maçonnique. L’un est la mise en chemin, l’autre, le chemin et le but. L’initiation maçonnique est un moment/passage (ou plusieurs) et un processus dans la durée (très variable) qui font sens, à la fois comme signification et direction. À lire l’article d’Yves Hivert-Messeca, L’initiation maçonnique entre tradition et modernité :

René Guénon distingue «l’initiation virtuelle» de «l’initiation réelle», expliquant par la suite que «entrer dans la voie, c’est l’initiation virtuelle», «et suivre la voie, c’est l’initiation réelle».

Chez les égyptiens, l’initiation n’était pas une science, car elle ne renfermait ni règles, ni principes scientifiques ni enseignement spécial. Ce n’était pas une religion puisqu’elle ne possédait ni dogme, ni discipline, ni rituel exclusivement religieux mais elle était une école où l’on enseignait les arts, les sciences la morale, la législation, la philosophie et la philanthropie, le culte et les phénomènes de la nature, afin que l’initié connût la vérité sur toute chose. Par exemple, lors de l’apprentissage du sixième degré de l’initiation des prêtres égyptiens (rapporté dans le Crata Repoa publié en 1770 par deux Allemands, von Köppen et von Hymmen, suite de textes initiatiques se déroulant en égypte), grade consacré à l’astronomie, le thesmosphore (celui qui était chargé de diriger les initiés) apprenait au néophyte la danse des prêtres dont les pas figuraient le cours des astres. 

Déjà en 1731, l’abbé Jean Terrasson avait commencé à publier Sëthos, Histoire ou vie tirée des monuments anecdotes de l’ancienne Égypte, traduit d’un manuscrit grec en 6 volumes. «Sous la forme de fiction, l’histoire contient une description de l’initiation dans les mystères égyptiens anciens. En comparant cette mise en scène dramatique – et d’ailleurs parfaitement imaginaire -au cérémonial de réception en  usage dans la Franc-maçonnerie, on fut amené à ne voir en celle-ci qu’une pâle réminiscence des anciens mystères. Des réformateurs se préoccuperont par suite, d’imprimer au rituel maçonnique un caractère plus conforme aux traditions initiatiques. Il devait viser à former réellement des Initiés, c’est-à-dire des hommes supérieurs, des penseurs indépendants dégagés des préjugés  du vulgaire, des sages instruits de ce qui n’est pas à la portée de chacun. Sous l’empire de ces préoccupations, le rituel français des trois premiers grades fut progressivement transformé en un véritable chef-d’œuvre d’ésotérisme » (Oswald Wirth, La Franc-maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes, 1923, p.14)

Pour Rudolph Steiner, l’initiation est l’approche des mondes ultra-sensibles. Il en propose des règles pratiques pour en trouver les chemins d’accès avec son ouvrage Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs ou L’initiation 

La Franc-maçonnerie se veut initiatique et progressive. L’initiation maçonnique, c’est l’apprentissage de la profondeur et de la verticalité du réel en-soi, permettant le dévoilement des autres niveaux de perception. Toute la littérature maçonnique nous parle d’une métamorphose du regard, d’un dessillement des yeux. Ce sont nos yeux qui perçoivent le réel et nous savons «qu’il n’y a pas de plus grande initiation que la réalité». Or l’initiation se déroule dans un réel séparé, celui de la loge afin de préserver toutes les dimensions du réel intégrant la valeur primitive d’un langage dit «sacré», car originel comme la parole perdue.

Les épreuves de l’initiation alchimisent l’initié. «Rechercher, découvrir, définir et ressentir sa propre lumière intérieure est inexprimable. On entend en général par initiation un ensemble de rites et d’enseignements oraux qui poursuit la modification radicale du statut social et religieux de l’homme à initier»,  a écrit Mircéa Eliade. Et d’ajouter, dans Naissances mystiques : «Philosophiquement, l’initiation équivaut à une modification ontologique du régime existentiel.», une étape dans l’impermanence de l’être.

Le projet initiatique, est de provoquer une radicale et fondamentale modification de la pensée et de l’être, de la manière de penser et de la manière de vivre. Il s’agit, comme le disent les vieux rituels, «de passer des ténèbres à la lumière» et, par cette lumière qui illumine, qui dévoile de changer l’être et la vie. En effet, la finalité de l’initiation n’est pas seulement théorique, mais pratique, surtout éthique. Il ne s’agit pas seulement d’aller vers la lumière et de se reposer dans une vaine et stérile contemplation, mais, par cette lumière, de s’entraîner à une action plus efficace et plus juste. Le vécu initiatique est une orthopraxie de la reliance de l’individu au groupe, du groupe à l’intemporel, de l’Homme au tout. «Une initiation qui ne dépasserait pas le domaine de l’âme, une initiation qui n’aurait pas pour destination le monde de l’Esprit et du mystère, ne saurait être que psychologisme, symbolisme et jeux de l’intelligence, suprême tentation de l’initié intellectuel» (Francis Bardot)

L’initiation n’a de sens que parce qu’elle permet d’appréhender une certaine idée de l’être et de la vérité qui le constitue, et qu’elle n’a de valeur que parce qu’elle est une découverte, liée à une démarche elle-même vécue comme existentielle et volontaire. En ce sens, on pourrait la rapprocher de la connaissance ou de l’expérience poétique. Paul Valéry écrit que : «L’émotion poétique consiste dans une perception naissante, dans une tendance à voir le monde autrement(À quoi sert encore aujourd’hui une société initiatique comme la Franc-maçonnerie? Les Cahiers Bleus de la Grande Loge Indépendante de France n° 23

«Les savoirs ouvrent à la compréhension de la réalité, toujours partielle, de la nature ; la Connaissance, elle, s’approche de la Source au travers de la vision intuitive de mystères ; ses rayons éclairent l’esprit, ce que l’entendement, même poussé à l’extrême, ne permet pas de pénétrer. Il se produit de ce fait un autre effet notable, inhérent à l’objet même de l’initiation : l’accroissement de la valeur humaine, comportementale, morale et spirituelle de l’initié.» L’initiation étant un apprentissage de la vision élevée, devient par ce fait une orthopraxie des niveaux de langages et de représentation du réel dans des mondes graduels. Le but et la fonction de cette vision élevée et progressive sont de dépasser la simple description, pour relater une perception élargie et approfondie de la réalité intégrant l’observateur et l’universel.

Le projet de l’initiation maçonnique est de permettre à tout homme de devenir un autre homme, un homme véritable, c’est-à-dire de découvrir en lui ce qui est sagesse, force et beauté, de découvrir sa propre spiritualité, ce qui en lui est amour et sa vérité. Pour cela, la lumière qu’il demande lui est donnée. Par ses rites, l’initiation établit le lieu séparé du profane, lieu présumé sacré (le cabinet de réflexion et la loge-temple), par la mise en scène d’un passage qui est à la fois une plongée en soi et l’entrée dans le non-temps et le non-lieu du temple de lumière. Il permet le cheminement des épreuves et leurs mises en pratique ou en perspective spirituelle, aboutissant à la pseudo-mort sacrificielle et à une véritable renaissance en esprit ou en conscience. Puis, vient le temps du serment avec l’appel à témoin de l’autorité surplombante, l’illumination et l’intégration dans la chaîne immémoriale des «initiés». Nous comprenons que l’initiation va étendre le domaine du réel à une dimension symbolique et analogique «éclairante». Atteindre l’amour qui est en soi pour le rendre opératif, telle est la mesure pour celui qui devient alors un initié.

L’initiation maçonnique est un engagement ordinal. La Franc-maçonnerie est un ordre qui s’apparente aux ordres séculiers, aux ordres chevaleresques, au compagnonnage. Un ordre qui a ses règles qui ne contraignent que ceux qui le veulent bien et assument de se conformer (et non d’obéir) à leurs serments et à leur conscience.

L’initiation maçonnique est progressive, c’est-à-dire qu’elle procède par degré, tout comme on monte un escalier fait de marches. Pour Louis Trébuchet l’initiation consiste à «approfondir notre conscience de nous-mêmes, des autres et du monde va nous permettre de transformer notre conscience morale, de la libérer de son asservissement à des présupposés inculqués par la société ou la religion, ce que j’appelle une morale, pour lui donner un vrai fondement personnel, ce que j’appelle une éthique, issue d’une compréhension de plus en plus profonde de nous-mêmes et de ce qui nous entoure». Comme l’écrit Marc Halévy : toutes les initiations impliquent l’accès successif à des niveaux de structuration, de langage, de compréhension, de connaissance, supérieurs qui font entrer, à chaque saut, dans un espace radicalement différent, radicalement hermétique à tous ceux qui sont restés aux étages inférieurs (p.14, De l’Être au Devenir, tome1).

Mircea Éliade prétendait, dans l’épilogue de son livre Initiations, Rites, Sociétés Secrètes : «Il n’existe plus dans le monde moderne aucune forme traditionnelle d’initiation.(…)  Certes, il y a encore un certain nombre de sociétés secrètes, de faux groupes d’initiation (…).  Le seul mouvement secret, présentant encore une certaine corrélation, ayant déjà une histoire et profitant d’une certaine estime sociale et politique, est celui de la Franc-maçonnerie.»

L’initiation vise la maîtrise de soi ; pas celle des autres !

Être initié se distingue de l’initié à quelque chose.

Alain Rey dans son Dictionnaire historique de la langue française précise : le verbe [initier] est introduit en français avec le sens étymologique «admettre à la connaissance et à la participation des mystères de l’Antiquité».

Selon Françoise Bonardel, «au cœur de toutes les religions se trouve un noyau central, de dimension ésotérique et initiatique. Ceux qui préservent ce noyau, ce sont les Initiés».

Comme l’exprime Jean-Pierre Schnetzler, dans son article La perte lors du passage de l’opératif au spéculatif (p.11): «être initié ce n’est pas seulement apprendre des secrets rares et flatteurs, ce qui serait une pure possession théorique ou spéculative, c’est voir autrement et en réalité les objets de la vie quotidienne, en purifiant sa vision et en se transformant soi-même, grâce à la plénitude unitive de l’œuvre, dans tous ses aspects corporels, affectifs, symboliques et rationnels, religieux, intellectuels et spirituels.» En ce sens, le véritable caractère opératif de la maçonnerie de métier est qu’elle permettait d’opérer le passage de l’initiation virtuelle, transmise par les rites véhiculant l’influence spirituelle, à l’initiation réelle, la réalisation spirituelle, grâce à l’usage conjoint de toutes les méthodes efficaces en sa possession. 

L’aspect positif de la Franc-maçonnerie spéculative est qu’elle a permis la survivance et la transmission de l’initiation virtuelle aux hommes de désir, suivant l’expression du RER, dans les conditions hostiles d’une société spirituellement décadente et de plus en plus clivée. La Franc-maçonnerie a gagné en extension mondiale ce qu’elle perdait en profondeur individuelle. L’aspect négatif est qu’elle s’est coupée des moyens de réalisation que sont l’engagement de tout homme dans l’œuvre, l’usage des techniques de méditation et d’invocation, cependant que se développaient les tendances modernistes visant à subvertir la conception même de l’ordre initiatique et à la couper de toute base spirituelle.

 «Les initiés sont amenés à retranscrire ce qui est véhiculé par les rites et rituels dans leur corps  par le moyen des gestes, paroles et actes, dans le cœur par la maîtrise des émotions et l’ouverture vers l’Amour inconditionnel, et dans l’intelligence par l’écoute, la contemplation, l’intégration de l’unicité du réel. C’est un chemin vers la source de vie, dans toutes ses diversités d’expression et de manifestation…permettant de vivre une spiritualité qui n’appartient ni au passé ni à l’avenir, mais qui est enracinée dans le cœur de l’instant (Les enfants de Salomon : Approches historiques et rituelles sur les compagnonnages et la Franc-maçonnerie par Christelle Imbert et Hugues Berton).

Ce n’est pas seulement l’esprit qui illumine (le «Noûs», signifiant «esprit» ou «intelligence»), c’est l’esprit qui transforme et qui nous transforme par cette illumination.

Se prétendrait-il initié, le franc-maçon ferait sourire celui qui l’est.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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