mar 30 avril 2024 - 14:04

 Le V.I.T.R.I.O.L. ça décape ! d’un nouveau soi ?

« Les mythes sont à la religion ce que la poésie est à la vérité, des masques ridicules posés sur la passion de vivre »

Albert Camus (1938- « Le désert », noces)

Nous allons vivre dangereusement avec le navire Vitriol : le risque du naufrage sur le rocher de l’alchimie et de nous y noyer est constant. En effet, la tentation est forte de lâcher la bride à notre imaginaire vers des spéculations qui relèvent plus de la magie que de l’approche de ce qui n’est qu’une orientation psycho-philosophique.

 Le « Je me voyage » des poètes va nous confronter à la rencontre des « folles du logis » et tenter de déjouer la tentation, somme toute comique, de croire que mes poches remplies de plomb, vont être remplies d’or à l’arrivée ! Bien entendu, je ne soupçonne pas des Maçons contemporains de se laisser aller à des tentatives de passage à l’acte dans de sombres laboratoires au sein de non moins sinistres demeures ! Mais, la tentation moderniste serait grande cependant de faire de cette formule une sorte de « mantra » qui nous conduirait de l’ « oeuvre au noir » au rayonnement d’une parfaite lumière céleste, l’éblouissement de l’alpiniste de la fameuse caverne de Platon dans la République, en quête du titre, que dis-je ?, de l’obtention du diplôme de philosophe ! Autorisons-nous à suivre les conseils d’Emmanuel Kant quand il nous dit (1) : « Il n’y a pas de danger à permettre à ses sujets de faire un usage public de leur propre raison et de produire publiquement à la face du monde leurs idées touchant une élaboration meilleure de cette législation même au-travers d’une franche critique de celle qui a déjà été promulguée ». Comme si la première opération alchimique consistait à accepter et pratiquer la liberté de conscience face au tamis des lieux communs, des contraintes et des catéchismes divers ! Comme le disait Sénèque dans son « Eloge de l’oisiveté » (2) : « L’esprit a besoin qu’on le déroule et qu’on secoue de temps à autre ce qu’on y a déposé, pour le trouver prêt quand le besoin l’exigera ». Notre remue-méninges, côté interprétation de cette formule, nous porterait plutôt vers quelque chose qui se rapprocherait de la psychanalyse, bien que nous montrions une certaine réticence à accoler des pensées et pratiques étrangères voire opposées dans leur finalité. « Sapere Aude » !

La première remarque que nous pouvons nous faire est la signification de V.I.T.R.I.O.L. dans le cabinet de réflexion, juste avant l’initiation, cette seconde naissance symbolique, ce remake, fait étrangement par des hommes qui s’approprient ainsi la maternité, puissance de création chez la femme, la dépassant ainsi (où la réduisant à l’impuissance), ou dans les loges féminines ou mixtes où la maternité se joue ou rejoue par puissance créatrice symbolique interposée. Drôle d’alchimie !

Une porte mystérieuse
Une porte mystérieuse – Escalier qui monte vers la porte de la Lumière

Mais, revenons à la formule qui nous concerne. D’emblée, elle ne nous rassure pas car elle est étrangère à l’atmosphère fœtale de l’instant, où nous sommes dans cette attente de sortir vers l’air et la lumière, mais en craignant se « mettre au monde » qui va nous arracher au bien-être amniotique, où nous ne faisions qu’un avec la mère-porteuse pour nous jeter dans les problématiques d’un vivant en mouvement constant. Et puis le mot vitriol n’est pas sans nous rappeler la très dangereuse composition en acide sulfurique concentré qui, au-delà de ses utilisations chimiques, fit les gros titres d’affaires criminelles par projection du produit sur autrui. Qui est donc menacé d’être défiguré ? Emmanuel Levinas ne peut nous être d’aucun secours : momentanément, je ne lis plus rien sur le visage de l’autre qui est absent d’ailleurs et que je crains, dans mon fantasme : il peut me défigurer, ne me connaissant pas, ou si peu, à-travers mon pauvre testament philosophique. Et puis, moi qui dépends tellement d’un désir de sécurité avant de «re- naître » dans l’initiation, je commence à comprendre ce à quoi V.I.T.R.I.O.L. m’invite : « Visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ». Cet impératif introduit bientôt le doute en nous : notre besoin de faire Un avec l’organisme qui nous accueille, en en adoptant les pratiques, le langage, l’esprit de famille symbolique, vole en éclats. Avant de naître en Maçonnerie, nous prenons conscience que ce n’est pas dans le contenant que se trouve la vérité et la sécurité, mais en descendant en nous pour y faire le ménage « alchimique » et couper le cordon ombilical, sans espoir de retour. Nous sommes là, en plein dans le « Traumatisme de la naissance » qu’ Otto Rank (3), a si bien analysé.

Mais alors, en quoi va constituer cette épuration de nous-mêmes ? Nous pourrions répondre : en faisant le tri, en nous, de ce qui relève du surmoi et de ce qui relève de notre propre désir. Dès l’initiation, cette opération se met en route dans la contradiction profonde entre deux instances qui vont faire renaître en nous un déchirement enfantin à peine cicatrisé. Le troc entre parents et enfants repose sur l’adoption de l’acceptation d’une loi commune dictée par les désirs parentaux qui sont souvent des comblements de ce qu’ils n’ont pas réalisés eux-mêmes (« Tu seras médecin, ingénieur ou un grand artiste mon fils ! »). Naturellement, pour être aimé et bénéficier de la sécurité, nous nous dupons nous-mêmes en faisant nôtres les valeurs inculquées. Nous reculons, au maximum, de passer du nom du père, au non au père !

Arts libéraux

Nous nous agrippons à l’ « hénologie » (4) qui est une métaphysique de la transcendance radicale qui met l’UN, l’unité, au-dessus de tout et qui apparaît dans la philosophie de Plotin. Une tentative de mettre en place une unité symbolique qui comblerait la déchirure initiale de l’homme chez Platon. Dans le fond, l’alchimie est la quête de l’unité perdue, mais aussi son échec : le clivage, la « Spaltung » demeure dans le sujet, malgré ses tentatives de le raccommoder. La dialectique même ne résout en rien la problématique : thèse et antithèse ne trouvent pas d’issue dans une synthèse qui devient sujet de controverse à son tour par l’action même de trouver une unité satisfaisante, mais qui ne l’est jamais ! Ainsi, l’homme replongé dans la permanence de la contradiction tente, à-travers la relation à l’autre ou à la connaissance, de chercher celui qui serait le « Grand Rassembleur ».

Entrer en Maçonnerie est une démarche qui prend racine dans le manque : trouver l’unité d’une famille symbolique où régnerait enfin l’unité, où la part sombre de la révolte (ou de la non- révolte) nous a séparée d’une unité consensuelle mais opprimante et que nous mettions en place notre propre autonomie du Moi. Dans ce jeu nous sommes toujours perdants : où nous enfermons notre Moi dans le désir des autres pour répondre à l’image qu’ils voudraient que j’ai, et je joue un personnage qui n’est pas moi (l’idéal du Moi, le Surmoi) avec son contingent de névroses, ou, rejetant ce désir de l’autre, j’instaure ce qu’il en est de la réalité de mon propre désir (Moi idéal), mais je crée alors la distance, voire la rupture. D’où, pour chaque sujet, le combat permanent entre libre-arbitre et prédestination.

Le livre de la connaissance
Le livre de la connaissance

Pour échapper à la tension permanente de la contradiction, il semble que le symbolique en soit la tentative de sortie en s’affiliant à une nouvelle famille, mais bientôt la problématique se reproduit : « être dans la ligne du parti » est retomber dans la problématique de l’enfance, où j’aurai ce sentiment unitaire protecteur sous réserve de taire ce qu’il en est de ma propre individualité. Ce à quoi V.I.T.R.I.O.L. nous invite : ou demeurer dans l’étouffoir ou choisir l’option du poète indien Kabir (5) : « Enfourche la monture de tes pensées, et place ton pied dans l’étrier de l’absolu »… En tout cas la formule alchimique ne nous conduit pas dans l’imaginaire d’une unité où nous retrouverions le « Tout » d’avant la naissance. L’alchimie ne gère en rien la disparition de l’œuvre au noir, elle nous incite seulement à la gérer…

  NOTES.

– (1) Kant Emmanuel et Mendelssohn Moses : Qu’est-ce que les Lumières ? Paris. Ed. 1001 Nuits.2023. (page 26).

– (2) Sénèque : Eloge de l’oisiveté. Paris. Ed. 1001 Nuits. 2023. (page 35)

– (3) Rank Otto : Le traumatisme de la naissance.Paris. Ed. Payot . 2002.

– (4) Reprenant cette vision plotinienne, le philosophe allemand Karl Christian Friedrich Krause (1781-1832) inventera le terme de « Panenthéisme » qui se voulait faire un pont entre panthéisme et théisme dans sa propre doctrine théologique. Il développait essentiellement cette tension vers l’unité totale du cosmos et de Dieu.

  BIBLIOGRAPHIE.

– La Revue Lacanienne : Famille je vous aime ? Les complexes familiaux aujourd’hui. Ed. Eres/ Association lacanienne internationale. (N° 19) Paris. 2018.

– Pontalis Jean-Bertrand : L’enfant des limbes. Paris. Ed. Gallimard. 1998.

1 COMMENTAIRE

  1. V.I.T.R.I.O.L.U.M. m’invite : « Visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée, qui est la véritable médecine ». c’est évident lorsque l’on sait de quoi l’on parle.
    Bientôt, on supprimera le 28ème degré car beaucoup ne le comprennent plus, pourtant c’est à ce degré que l’on est régénéré.
    De révision de rituel en révision, ,l’on perd tout le sens, en loge nous ne sommes pas à la Sorbonne mais dans l’initiation.

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Michel Baron
Michel Baron
Michel BARON, est aussi conférencier. C'est un Frère sachant archi diplômé – entre autres, DEA des Sciences Sociales du Travail, DESS de Gestion du Personnel, DEA de Sciences Religieuses, DEA en Psychanalyse, DEA d’études théâtrales et cinématographiques, diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, certificat de Patristique, certificat de Spiritualité, diplôme Supérieur de Théologie, diplôme postdoctoral en philosophie, etc. Il est membre de la GLMF.

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