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Pourquoi faire appel à des rites ?

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Le rite est le corpus du sens, il est le corps des valeurs de la pensée. Il faut s’exercer à essayer pour appliquer. Il s’agit d’une sorte de simulation qui se situe dans le champ de l’expérimentation, avant sa réalisation qui introduit dans le champ de l’expérience. Ce matriçage (ou cette trans-formation dans la matrice) prépare la venue au monde d’un être in-formé (par les messages maçonniques) et formé (par le rite) à vivre une vie dont le sens symbolique, porté par le rituel, lui sert de modèle. Celui-ci l’incite, par le sens qu’il lui révèle, à se révéler à lui-même comme homme de sens… en l’imitant dans ses valeurs et dans ses actes. Hors de toute situation et de toute temporalité profanes, l’initié apprend ce qu’il doit faire, puis le répète correctement (c’est-à-dire de manière exemplaire) dans le lieu et pour le temps où il vit.

Mais cette modélisation des comportements ne risque-t-elle pas d’être un carcan ? Non, car elle n’uniformise pas. Si le dess(e)in des patrons est toujours le même, chaque homme lui donne sa coupe. Pour qu’un vêtement puisse être porté tous les jours, il faut qu’il soit taillé aux mesures de celui qui l’endosse. Le port fait le style. L’initié s’approprie les mots et les gestes qui lui sont transmis. Par eux, il reçoit une tradition (en paroles et en actes). Les symboles, les mythes et les rites sont les moyens de communication et de diffusion de cette tradition.

Elle est donc le creuset dans lequel se fondent mythes et rites pour donner un contenant à la méthode initiatique et un contenu à la connaissance ésotérique.

Notre chemin s’est éclairci, les bermes se sont élargies : la voie que nous avons empruntée nous a conduit sur les traces des héros de la mythologie, des êtres exemplaires de l’humanité, des « grands initiés » de la Franc-maçonnerie.

Sur ces modèles, nous avons choisi un mode de vie personnel. Certes, nous suivons tous le même itinéraire (la naissance pour départ, la vie pour parcours, la mort pour terme) ; mais chacun fait la route à son pas, à son rythme, à sa mesure, en touriste de la vie ou en pèlerin de l’esprit. Et pour que son périple se passe dans les meilleures conditions, son obédience lui offre – comme tout bon tour opérateur :

  • une destination où se rendre (en l’occurrence, il s’agit plutôt d’une destinée),
  • un circuit à accomplir (c’est la voie de son perfectionnement),
  • des étapes à respecter (ce sont les degrés de l’élévation spirituelle),
  • des excursions à voir (un guide de métamorphose pour connaître son « petit monde » et ses secrets, un guide de la gnose pour connaître le « grand monde » et ses mystères)
  • et des traditions locales à respecter (il faut se montrer exemplaire en s’adaptant aux rites et aux coutumes de la population d’accueil).

 

Alors, bonne initiation, chers impétrants ! Et que vos voyages parmi nous, dans nos rites, vous apportent tout le bonheur que confère une belle démarche de vie.

 

Pierre PELLE LE CROISA, LE 27 AVRIL 2015

Sacré secret – Sacré secret !

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« Mais pourquoi donc faites-vous tant de secrets en Franc-maçonnerie ? », me demande le candidat.

Je souris. Maintes et maintes fois posée, sa question m’amuse :

– Vaste sujet que celui du secret ! D’autant plus difficile à aborder qu’il se présente toujours de manière ambivalente.

– Je ne comprends pas.

– Par construction, la nature du secret est paradoxale. Elle présente de nombreuses ambivalences qui en compliquent l’approche.

– Ah, bon ? Lesquelles ?

– La première ambivalence, c’est celle de la parole et du silence : le secret que l’on transmet est aussi celui qui se tait. C’est parce qu’il est caché à certains qu’il peut être communiqué à d’autres. Il cèle ce qu’il recèle, il voile ce qu’il dévoile.

La deuxième ambivalence, c’est celle de l’intérieur et de l’extérieur : le secret est lié au sacré, car il sacralise son contenu en donnant de l’importance à quelque chose que des personnes sont seules à posséder et que d’autres voudraient connaître – justement parce qu’ils ne la possèdent pas -. De ce fait, il divise la population en deux groupes : celui qui est dedans et celui qui est dehors, celui qui communie dans le secret et celui qui en est exclu, celui qu’il consacre et celui qu’il rejette. Il isole dans le partage. Ainsi parle-t-on de rites, de mots, de signes et d’attouchements secrets connus des seuls initiés, auxquels les profanes n’accèdent pas. Pour les protéger, ils se réunissent dans un lieu – tenu secret, lui aussi – : chez nous, c’est le temple. Si le secret et le sacré interagissent, le premier préserve ce que le second révère.

La troisième ambivalence, c’est celle du savoir et de l’ignorance : il n’y a pas de secret qui ne sécrète. Pour être, le secret qui protège ce qu’il sacralise doit aussi un peu le découvrir. Que serait un secret auquel personne ne s’intéresserait ? Ignoré, il cesse d’exister. Bien sûr, le secret a sa défense ; il est bien gardé, caché (sous le silence) et cacheté (sous son sceau)… Mais il peut tout de même être filtré, percé ou entrevu. Le voile qui habille la chair en dévoile tout le mystère. C’est à l’appât que mord le poisson. Le désir du secret est beaucoup plus fort que les secrets désirs qu’il recouvre. Et toute l’ambiguïté est là : faire voir sans montrer, sous-entendre sans dire, instiller l’envie de connaître sans révéler la connaissance. Divulguer, c’est trahir. Le maçon entrebâille la porte sans l’ouvrir ; il ne recrute pas, il coopte. Oui, le secret sécrète ce qu’il enferme, mais… pas plus ! Voilà pourquoi l’initié est « celui qui sait »… et toi tu ne sais pas ! » achevais-je.

Je gloussais de plaisir en lui décochant une œillade complice.

Mais le candidat n’aimait pas que l’on se moquât de lui. Il répliqua sur le champ :

« Et les valeurs humaines, dans tout ça, que deviennent-elles ? ».

Je ris de plus belle.

– Eh bien, on y vient ! Quatrième ambivalence, celle de l’individu et du groupe : le petit jardin secret que chacun resserre côtoie les grandes serres cultivées en commun. A côté des riches moissons collectives poussent les belles pensées personnelles ; ce que l’on ne dit pas, le trésor que l’on conserve en soi, l’être face au paraître. C’est le secret des secrets, celui qui porte les valeurs, qui donne un sens à sa vie, qui l’oriente, la finalise. C’est le tréfonds secret, le secret de vérité caché tout au fonds du puits, que l’on puise en soi. La source où l’on s’abreuve. Ainsi le secret donne-t-il du sens aux vérités des hommes, parce qu’il sacralise leurs valeurs. Le secret maçonnique est peut-être là : dans ces secrets personnels qu’échangent collectivement des individus qui s’associent parce qu’ils se font confiance, et qui se font confiance parce qu’ils se déclarent frères de cœur et d’esprit.

– En définitive, quel est votre secret ?

Je souris, la tête penchée et le regard de côté :

« Je me retrancherai derrière Guénon pour te répondre, car il en parle mieux que je ne saurais le faire : « Au fond » – dit-il -, « le véritable secret, et d’ailleurs le seul qui ne puisse jamais être trahi d’aucune façon, réside uniquement dans l’inexprimable, qui est par là même incommunicable, et il y a nécessairement une part d’inexprimable dans toute vérité d’ordre transcendant ; c’est en cela que réside essentiellement, en réalité, la signification profonde du secret initiatique ». Voilà pourquoi je ne t’en dirai pas plus. Non pas parce que je ne le veux pas ; mais peut-être parce que je ne le peux pas ; et peut-être aussi, après tout… parce qu’il n’y a rien à en dire !

Pierre PELLE LE CROISA, le 24-4-2015

Quelle est la place du Franc-maçon dans la cité ?

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En quoi les Francs-maçons sont-ils des citoyens engagés dans la vie de la cité ?

Tort-Nouguès avance : « Les Francs-maçons peuvent apporter une méthode de réflexion et d’action qui serait un commencement de solution. […] Éveiller ou réveiller la conscience des hommes par la reconnaissance de certaines idées, de certaines valeurs, de règles, sans lesquelles il n’est pas d’existence humaine possible : valeurs qui ont pour nom liberté, justice, fraternité, vérité – ces valeurs que le Franc-maçon est invité à découvrir et à pratiquer dans la loge maçonnique elle-même. »

Nous devons repenser notre rapport au monde, au temps, à la société, au fond et à la forme de notre parole dans la cité. Nous devons témoigner, par notre exemple, qu’une autre vision de l’homme dans la société est possible.

Ainsi, sans jamais renier nos valeurs, nous les perpétuerons en les actualisant, afin de mieux les vivre et les faire vivre. L’humanisme maçonnique ne peut pas – et ne doit pas – s’extraire de l’humanité à laquelle il l’applique.

Le regard qui se tourne vers soi est une réflexion ; celui qui se tourne vers l’autre est une rencontre. Souvent, deux hommes qui s’entrevoient communiquent entre eux bien plus que ne le ferait un long discours.

Une parole aimable, un sourire franc, un clin d’œil complice, une écoute attentive sont des comportements exemplaires : ils mettent un peu de chaleur, de lumière et d’humanité dans une vie où ces petites attentions fraternelles sont trop souvent ignorées. Le langage des conduites et des comportements est un système de reliance.

Nos valeurs au cœur et nos petites vérités à l’esprit, nous devons nous en tenir au petit monde qui nous entoure. Les grands idéaux, c’est bien… mais c’est trop loin ; trop loin de notre vie au quotidien. Il nous faut agir à côté de chez nous, pour notre famille, nos amis, nos collègues, nos voisins, notre quartier. C’est en testant nos outils là où nous vivons que nous pourrons nous perfectionner. Car pour être prêt à aider, il faut aider de près. Avec humilité.

Ainsi le Franc-maçon assurera-t-il une assise forte à sa démarche de perfectionnement envers lui-même et de progression envers la chaîne humaine, dont il doit être et rester un maillon solide et solidaire.

 

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

 

 

 

Faut-il donner un sens à sa vie ? [1]

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L’homme s’affiche comme un être de raison. C’est pourquoi il recherche une raison à toute chose. Mais le sens de la raison ne fait pas la raison d’un sens. Alors, qu’en déduire : sens… ou ab-sens ?

Voyons ce qu’il en est.

Deux auteurs, parmi bien d’autres, ont fait du sens le sens de leur recherche.

Le premier, Pascal parie pour le sens de la vie ; mais, curieusement, il le porte… au-delà de la vie, pour un au-delà de la mort.

Le problème, c’est que le pari est faussé. Il préempte un au-delà de la vie comme hypothèse, sans pouvoir le valider d’aucune sorte. N’y aurait-il donc pas de sens à la vie sur terre sans faire appel à un au-delà de la vie ? En raisonnant de cette façon, il oublie qu’un agnostique ne se pose pas la question de l’au-delà.

Le second auteur, Camus, pose aussi la question du sens de la vie : ou elle en a un, et il faut parier pour le sens ; ou elle n’en a pas, et elle est un non-sens, elle est absurde. Face à ce dilemme, il faut faire un choix.

Par un saut existentiel, le philosophe fait le choix du sens ; mais, étonnamment, après Nietzsche qui revendique d’obéir à « quelque chose qui transfigure, quelque chose de raffiné, de fou ou de divin », après Alain qui voit dans la prière une nuit nécessaire à la pensée, il associe « les mystiques et les existentiels » pour retrouver un sens proche de la foi : pour lui, Don Juan, « l’homme absurde par excellence », finit sa vie « dans une cellule de ces monastères espagnols perdus sur une colline ».

N’y aurait-il donc de sens possible que par une vie en Dieu ? Les agnostiques n’auraient-ils pas droit, eux aussi, à trouver un sens à leur vie, et seraient-ils condamnés au non-sens… sous prétexte qu’ils ne croient pas ?

Bien sûr que non.

Reprenons le dilemme du sens et du non-sens et l’argument du pari, en les recadrant, non plus dans la perspective d’un au-delà incertain, mais dans la certitude de l’ici-bas et maintenant que nous vivons.

Si nous parions pour le sens de la vie, il devient évident que nous devons donner un sens à la nôtre. Mais lequel ?

Si nous parions pour le non-sens de la vie, alors nous considérons qu’elle est absurde. Notre conduite peut donc être absurde face à la vie, et un raisonnement par l’absurde convient parfaitement à la logique de sens recherchée. Or, qu’y a-t-il de plus absurde que d’être absurde soi-même en pariant pour le sens de la vie dans un monde qui n’en a pas ?

L’ironie est la seule réponse à l’absurde.

Mais au-delà de l’ironie, le sens vient du dépassement même de cette absurdité.

Au-delà de l’antithèse qui, par le sens, justifie le non-sens de la vie, il y a plus de fond dans cette démarche qu’il n’y paraît de prime abord. Car il suffit qu’à un moment quelconque quelqu’un fasse entrer du sens dans sa vie pour que le sens entre dans le monde et repousse l’absurdité qui y régnait.

Dépassant donc l’absurdité de sa vie, l’homme qui parie pour le sens dépasse du même coup l’absurdité de son monde en y introduisant son sens. Et, dès lors, le monde devient sensé… malgré lui. Par son intelligence (c’est-à-dire par sa faculté de donner du sens au monde), il confère sa raison d’être à l’univers.

Ainsi, dans le monde d’ici-bas, a-t-on toujours intérêt à parier pour le sens, même si la vie n’en a pas.

En réalité, ce n’est ni la vie ni le monde qui a du sens (ou pas) ; mais la conception que l’on a de la vie ou du monde qui fait sens (ou pas).

Pourquoi l’esprit chercherait-il la raison de toute chose, si toute chose n’avait pas sa raison ?

« Parce que nous sommes au monde, nous sommes condamnés au sens » proclame Merleau-Ponty.

Voilà, tout se ramène au sens : ou l’on croit que l’existence en a un, et il reste à le définir ; ou l’on croit qu’elle n’en a pas, et il n’y a plus rien à en dire.

Qu’il le veuille ou non, sens ou nonsens, dans tous les cas l’homme se réfère à un sens (quand bien même voudrait-il le réfuter). Il n’y a pas moyen d’y échapper ![2]

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015Ó, posté le 2 juillet 2015

 

[1] Voir au préalable l’article « Quelle est la place du Franc-maçon dans la cité ? » dans la rubrique « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[2] Voir la suite de l’article dans « Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité »(1), rubrique : « Des clés pour hier et aujourd’hui ».

L’éducation maçonnique comme modèle de la Ré-Éducation Nationale ?

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Une laïcité restrictive, basée sur de bonnes intentions, a réduit le système éducatif à n’être plus aujourd’hui que le plus petit commun multiple (p.p.c.m.) de la logique pédagogique. Bien des Francs-maçons n’ont pas échappé à cette vision. Ainsi a-t-on pu lire sous la plume de Paul Gourdot : « Un service public d’enseignement unifié et laïque constitue pour tous un centre de l’union en raison de son caractère laïque parce que fondé sur la liberté, la tolérance, l’indépendance envers tous les dogmes, qu’ils soient philosophiques, métaphysique ou politiques ».

L’idée est belle et tout à fait dans la lignée de ce que nous affirmons sur le plan de la liberté, de la tolérance et de la laïcité… Mais le danger n’est pas là. Il est dans « l’unification de l’enseignement ». Le rejet a priori – comme il est sous-entendu – de « tous les dogmes, qu’ils soient philosophiques, métaphysiques ou politiques » est un principe qui a besoin de fondements pour s’établir : il faut savoir ce que l’on rejette. Nous prétendons condamner l’ignorance. Mais pour condamner, il faut d’abord instruire (et donc être instruit sur ce que l’on condamne).

La laïcité n’est pas synonyme d’uniformité dans l’éducation (c’est le rôle de l’instruction, quand elle prétend fournir une base commune), mais d’enrichissement des individualités par une approche différenciée de l’enseignement : c’est en cela qu’autrefois l’éducation revenait aux parents et aux proches qui élevaient l’enfant (le Second Surveillant remplit un rôle comparable à l’égard des apprentis en loge – qui n’ont que « trois ans »).

Avec l’Éducation Nationale, en transférant l’éducation à la Nation – transfert accru par la démission de plus en plus marquée des parents et le rôle de plus en plus prégnant des « auxiliaires d’éducation » (les bien nommés !) dans la formation à l’école (et non de l’école) -, cette uniformisation s’est aussi reportée sur l’éducation des enfants, au détriment de leur personnalité. La banalisation du savoir s’est faite aux dépens de l’enrichissement des connaissances.

Mais qu’entend-on par « connaissance » ? « Par ce mot » [de connaissance], Saint Denys l’Aéropagite stipule « qu’il faut entendre ce que nos maîtres inspirés ont transmis à leurs disciples par une sorte d’enseignement spirituel ».

Les rites maçonniques proposent une démarche initiatique par la voie d’une connaissance traditionnelle. L’initiation maçonnique fait appel à l’expérience d’un vécu personnel. Elle rend libre de ses choix, en proposant une méthode comme guide d’expérimentation de ses propres voies de recherche. Elle vise une prise de conscience psychique par l’expérimentation d’épreuves physiques sensées éveiller progressivement l’esprit, par étapes (qualifiées de degrés). Le Franc-maçon doit donc dépasser le champ des savoirs pour atteindre celui de la connaissance. Par rapport au discours logique et rationnel de la science, il s’appuie sur les analogies, les symboles, les mythes et les rites pour s’élever d’un monde fini et relatif vers un univers infini et absolu.

Il n’y a pas de connaissance sans appropriation du savoir. Et pour qu’il y ait appropriation, il faut qu’il y ait participation active de l’individu au savoir qu’il acquiert. S’il y a participation active, il n’y a plus simplement conscience de ce savoir, mais conscience d’être dans le savoir… ou prise de conscience. Autrement dit, la connaissance c’est l’em-prise de la conscience quand elle expérimente le savoir. Le savoir s’enseigne, la connaissance s’a(p)-prend. Le meilleur exemple pour commenter la relation entre savoir et connaissance… c’est encore celui de l’initiation : elle fait prendre conscience de valeurs au moyen d’un savoir (que porte le rituel). Les épreuves, qui permettent d’expérimenter ce savoir en se l’appropriant dans un vécu, le transforment en co-naissance, c’est-à-dire en finalité : rechercher dans le savoir ce qui fait sens pour sa vie. La pensée s’inscrit dans le tracé ; elle guide la main de l’artisan : l’outil donne forme à l’idée dans la création. Ce qui s’appelle pratique pour le compagnon et l’enseignement opératif, s’appelle maïeutique pour le franc-maçon et l’enseignement spéculatif.

Discipline et maîtrise de soi, respect et dignité de l’autre, tolérance et apprentissage en groupe sont des valeurs humaines (et humanistes) qui devraient être systématiquement mises au cœur de tout système éducatif.

Dans cet esprit, l’éducation devrait pouvoir répondre à la fois aux impératifs du savoir (par une approche théorique) et aux aspirations de la connaissance (par une approche opérante) ; afin de conduire les apprenants, à côté des repères civiques, moraux ou religieux qui devraient leur être enseignés, à s’engager personnellement sur les plans social, éthique et spirituel. Mettre des valeurs dans sa vie, c’est aussi mettre sa vie en valeur.

L’esprit critique, par la pratique du doute méthodique, permet de remettre en cause le champ des savoirs au profit d’une recherche qui expérimente de nouvelles connaissances. Relativiser le savoir, c’est rejeter les vérités toutes faites, les certitudes commodes, les idéologies faciles pour s’interroger sur ce qu’elles valent et sur ce que l’on veut… et l’on vaut.

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

 

L’action du Franc-maçon a-t-elle un sens dans le monde d’aujourd’hui ? (2)

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Si les réseaux sociaux permettent de rassembler les communautés ethniques entre elles, ils permettent aussi de fédérer des êtres aux pensées, aux goûts et aux intérêts proches – ceux que Maffesoli appelle les « tribus » : dès lors, par rapport aux autres, dans la multitude, chacun se définit par ses similitudes. Selon son expression, nous sommes passés d’une société qui distinguait les individus dans la masse à une « société individualiste de masse ». Comme en chimie dans la relation qui unit les éléments atomiques aux molécules qui les organisent, les éléments humains s’agrègent en structures sociales complexes.

Bachelard rappelle comme une évidence que l’homme a forcé la nature à aller aussi loin que son esprit. En technicisant son univers, il l’a centré sur lui-même. Il l’a fait passer du réel et du factuel au fabriqué et au factice. Ex « deus machina », il est devenu un « homo artifex ». Ce sont à présent ses artifices qui humanisent le naturel ; et ses images virtuelles qui virtualisent sa perception des êtres et des choses. Le monde numérique, avec ses avatars et sa cyberculture, envahit le monde réel, celui de la vie et de la culture. Nous vivons aujourd’hui à l’ère des choix somatiques (avec la contraception, l’euthanasie, la procréation médicalement assistée, la gestation par autrui), à l’ère des choix bioéthiques (avec les progrès génétiques, bio-, nano- et neurobiologiques), à l’ère des choix ontologiques (avec les visées post- et trans-humanistes) et à l’ère des choix téléologiques (avec les recherches quantiques, informatiques, électroniques, connectiques et cosmiques). Notre rapport au monde, la place de nos valeurs dans ce monde et notre manière de vivre le monde s’en trouvent profondément transformés.

Dans ce contexte, que deviennent les valeurs maçonniques ? Ne sont-elles pas périmées avec leur langage suranné (« creuser des cachots pour les vices ») et plus encore avec leurs pensées désuètes, fortement marquées de « Positivisme », comme le « perfectionnement de l’humanité » (pour le « culte social » de Comte), le « Grand Architecte de l’Univers » (pour la « religion du Grand Être »), « l’amour » pour principe, « l’ordre » pour base, « le progrès » pour but, « le cœur » pour guide et « l’intelligence » pour compagnon ?

Pour le savoir, commençons par récapituler ces valeurs ; ce sont :

  • les valeurs ontologiques (le respect de la vie, l’harmonie de l’être, l’humilité, la sérénité et la sagesse, les « bonnes mœurs » et le bonheur),
  • les valeurs éthiques (la quête de sens, la recherche de la vérité, la foi en l’homme, l’amélioration individuelle et le perfectionnement intellectuel et moral de l’humanité),
  • les valeurs humaines (l’honneur, la dignité, la loyauté, l’humanisme, l’altruisme, la tolérance, la solidarité, la compassion, la bienfaisance, la générosité),
  • les valeurs sociales (la laïcité, le travail, la justice, l’équité, les droits et les devoirs),
  • les valeurs républicaines (la liberté, l’égalité et la fraternité – qu’il décline en amour : s’aimer soi-même comme un frère, aimer les autres comme des frères, aimer ses frères comme un autre soi-même).

Pour les conforter, l’enseignement maçonnique induit l’initié à :

  • se questionner pour interroger le monde,
  • s’accepter avec ses défauts et ses qualités,
  • se transformer pour changer son regard,
  • se dépasser pour s’élever,
  • expérimenter pour comprendre,
  • agir pour penser,
  • connaître plutôt que savoir,
  • apprendre pour concevoir,
  • s’éduquer par les autres,
  • rechercher sa vérité,
  • être un « Fils de la Lumière »,
  • responsable de son univers,
  • et « témoin exemplaire »[1] de l’humanité.

La symbolique de la construction du temple (tant extérieur qu’intérieur à l’homme) est la pierre angulaire de la méthode maçonnique. Elle utilise les outils opératifs pour en faire symboliquement des outils spirituels : construire le temple, c’est construire à la fois le temple intérieur de l’homme et le temple extérieur de l’humanité.

En ce cas, pourquoi ne pas se contenter de la pensée et de l’action qui se suffisent à elles-mêmes ?[2]

 

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015Ó

 

[1] Voir l’article « Pourquoi être exemplaire dans un monde qui ne l’est pas ? » dans la rubrique : « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[2] Voir l’article précédent : « L’action du Franc-maçon a-t-elle un sens dans le monde d’aujourd’hui ? »(1) dans la rubrique : « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

L’action du Franc-maçon a-t-elle un sens dans le monde d’aujourd’hui ? (1)

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Quelles sont ces valeurs qui sont primées dans le monde profane, aujourd’hui ? L’étude des principes, chartes et codes de conduite des organisations et des entreprises donne un éclairage significatif sur le contenu de ces valeurs et sur leur évolution dans le temps : en 2004, l’humanisme et la solidarité prenaient le pas sur toute autre considération. Dix ans plus tard, le leadership, l’innovation, la qualité et l’intégrité font autorité. Le respect arrache péniblement la 9ème place, alors que l’humanisme et la solidarité sont renvoyés aux oubliettes.

Pourquoi y a-t-il un tel décalage entre le référentiel des valeurs du monde profane et celui du monde maçonnique ? Il serait assez tautologique de répondre que c’est parce qu’il s’agit de deux mondes différents. Nous devons aller plus loin, en nous interrogeant sur « l’en-dehors du temple », la nature de ce monde profane dans lequel, bien qu’initiés, nous sommes immergés.

Par suite, intéressons-nous à notre réel sociétal.

Dans le cadre de l’« Évolution », l’homme est passé progressivement de l’outil à l’ustensile, du moyen à la méthode et de la technique à la technologie. Nos sociétés ont évolué rapidement. Trop peut-être. En à peine un siècle, les sciences et la technologie ont fait plus de progrès qu’elles n’en avaient fait au cours des millénaires passés. Dans ces conditions, comment voulez-vous que l’homme, pourtant responsable de ces bouleversements, puisse s’adapter à cette fulgurante évolution qu’il a lui-même créée, alors qu’il lui a fallu des millions et des millions d’années pour devenir l’« homo sapiens » qu’il est aujourd’hui ?

En tant qu’« homo sapiens », il appartient à la famille des primates : c’est un hominidé, autrement dit un animal qui pense – mais qui reste un animal, malgré sa pensée qui voudrait le lui faire oublier. Il suffirait de dresser l’inventaire à la Prévert de quelques-uns de ses méfaits pour montrer que, parmi les bêtes, il est la pire de toutes et qu’en matière de prédation, il n’a pas son pareil : pollution, déforestation, désertification, famine, violence, crimes, terrorisme, conflits, guerres. Même sans aller jusqu’à ces extrémités, les pays les plus épargnés n’échappent pas aux zones de non droit, aux atteintes aux droits de l’homme, à l’irrespect, au rejet des valeurs et au manque d’éducation ; si bien que l’on pourrait avancer sans risque de se tromper que l’ignorance, le fanatisme et l’ambition règnent en mauvais compagnons partout dans ce monde où, nous autres Francs-maçons, nous voudrions mettre bon ordre pour le plus grand bonheur de l’humanité. Eh bien, moi je vous le dis, il y a du boulot, et pour longtemps !

Je viens d’évoquer la « Déclaration universelle des Droits de l’Homme », à laquelle nous sommes si attachés. À bien y regarder, elle ne concerne qu’une minorité d’hommes et de femmes. La plupart des peuples l’ignore, et son universalité… se réduit surtout au petit univers des Occidentaux ! Nombre de traditions et de cultures, à défaut d’outrager nos droits, s’en tiennent au mieux à les exclure.

Mais, avec l’intégration économique, la libéralisation des échanges et l’internationalisation des transactions qui accompagnent la globalisation des biens, des personnes et des savoirs, ne serait-il pas envisageable que nos valeurs d’hommes civilisés prévalent à terme sur les pratiques archaïques des autres peuples – vous savez, ceux qui occupent les pays que nous appelons, par euphémisme, les pays « en voie de développement » ? Certes pas. La mondialisation n’est pas une universalisation. De grands explorateurs comme Malaurie condamnent cette approche : « Je suis convaincu » écrit-il, « que la mondialisation, l’internationalisation des peuples est un malheur, une punition des dieux. Je suis convaincu que le pluralisme culturel est la condition sine qua non du progrès de l’humanité. »

Et en effet, en réaction à l’uniformisation politique voulue par les États, les ethnies répondent par le pluralisme sociétal des replis identitaires. Le nationalisme et le communautarisme sont les deux faces opposées d’une même forme de retrait clanique. L’individu revendique sa différence dans son identification au groupe : qui se ressemble s’assemble. La « mimesis »  de Girard règne partout et en tout : les stéréotypes imitent les archétypes, les slogans les pensées, et les vies des modèles les modes de vie : être jeune, beau, sportif et intelligent, voilà les normes que standardisent les canons véhiculés par les médias. Alors, que devient l’universalité du Franc-maçon dans un monde où les stéréotypes, les slogans et les vies des modèles chassent ses archétypes, ses pensées et son mode de vie ?[1]

 

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

 

[1] Voir la suite de l’article dans « L’action du Franc-maçon a-t-elle un sens dans le monde d’aujourd’hui ? »(2), rubrique : « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

 

Il n’y a pas de reconnaissance des obédiences

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Il n’y a pas de reconnaissance des obédiences. Il n’y a de reconnaissance que des frères : « Mes frères me reconnaissent comme tels », parce qu’ils sont eux-mêmes reconnus par d’autres.

Et par qui ? Par ceux qui partagent le même rite, donc qui ont vécu la même initiation. Il s’ensuit que c’est seulement par le rite, et donc par le rituel qui initie, que la reconnaissance se fait.

Et comment se fait-elle ? Comme Franc-maçon d’une loge, c’est-à-dire comme homme qui abandonne son statut exotérique (de « exoterikos », « en-dehors »), celui de profane (de « pro-fanus », « hors du temple »), pour celui d’initié (de « ab initio », « celui qui commence ») qui aborde la voie ésotérique (de « esoterikos », « au-dedans, de l’intérieur »). En conséquence, il s’agit de quitter son être d’apparence pour rechercher l’essence de son être.

Mais si ce sont les frères – parce que rattachés à un rite – qui ont toujours la reconnaissance et non pas les obédiences, alors, les obédiences, que sont-elles ?

Eh bien, elles sont seulement légitimes (de « lex, legis », la « loi »).

Elles sont d’abord légitimes parce qu’elles sont des associations légales, dont le régime social est reconnu par la législation nationale dont elles dépendent ; en ce sens, elles sont légitimées par l’État au même titre que tout groupement humain déclaré.

Ensuite elles sont légitimes car elles se soumettent aux lois du pays dans lequel elles se trouvent (leurs constitutions les y obligent).

Voilà pour la légitimité externe, c’est-à-dire vis-à-vis de leur citoyenneté.

Mais qu’en est-il à l’intérieur des obédiences ?

Ce qui les légitime sur le plan spirituel, ce sont les patentes des rites qu’elles ont reçues, c’est-à-dire « l’écrit qui établit le droit ou le privilège du corps » [social] qui les constitue (définition du « Robert », 2011).

De là se tire leur légitimité sur le plan structurel par la constitution, les lois et les règlements internes dont elles se dotent.

En bref, seules les patentes des rites légitiment la reconnaissance des obédiences qui les possèdent et des frères qui les composent ; ce qui revient à dire que toute obédience n’est reconnue que par « les écrits [des rituels qui donnent] droit ou privilège » à pratiquer les initiations et les élévations aux grades considérés. Paul Naudon écrit : « La vraie légitimité n’est pas dans les textes administratifs qui ont créé et organisé les rites et les obédiences. […] Sa manifestation tangible réside dans le contenu initiatique des rituels et dans la pratique qui en est faite. » (« Histoire, rituels et tuileur des Hauts Grades Maçonniques », éd. Dervy, coll. Bibliothèque de la Franc-Maçonnerie, 2002, p. 128).

Par suite, qu’en est-il de cette fameuse régularité qui fait tant débat ? La régularité se définit comme « ce qui est conforme à la règle ».

Il en résulte que, sur le plan structurel, est reconnue comme régulière toute obédience qui obéit non seulement à une légitimité externe, mais aussi à une constitution, à des lois et des règlements qui lui confèrent sa légitimité interne : c’est le cas de la quasi-totalité des obédiences !

Sur le plan spirituel, est reconnue comme régulière toute obédience qui obéit aux patentes des rites dont elles disposent : c’est aussi le cas de la plupart des obédiences.

Dès lors, pourquoi accorder tant de prix à la régularité qu’octroie une obédience (parmi les autres) – je veux parler de la Grande Loge Unie d’Angleterre ?

D’abord parce qu’historiquement elle s’est autoproclamée référence à l’égard de la corporation maçonnique (elle s’appuie sur ses « landmarks », qui sont sa doxa).

Mais nous avons vu que la reconnaissance est attachée aux rites et non à la légitimité de la structure qui les conserve (l’obédience).

Ensuite parce que, politiquement, ce critère permet de différencier les obédiences qui opèrent dans le même cadre de pensée de celles qui sont rejetées comme incompatibles.

Dans cette perspective, nous sommes plus en présence d’un concept d’adoption que de régularité : sont uniquement reconnus ceux qui appartiennent à la même « famille spirituelle » ; d’où les notions de « Grande Loge Mère » et de « Grande Loge Fille » (comme il y a des loges-mères et des loges-filles au niveau des ateliers).

Cette approche n’est pas sans rappeler le « limes » latin, la frontière que les Romains avaient établie entre eux et les « barbares » !

Enfin parce que la régularité n’est attribuée qu’à une seule obédience par pays – ce qui permet de déléguer son autorité à un foyer reconnu comme « centre de l’union » pour la nation visée.

Curieusement, l’obédience reçoit ainsi une reconnaissance dite « universelle », alors quelle se cantonne à un noyau de frères qui se considèrent comme privilégiés. En l’occurrence, et de manière plaisante, cette conception de l’universalité maçonnique exclut toute possibilité d’universalisation pour les autres frères ! à méditer…

Que voilà bien du bruit pour des querelles de mots (maux) ! Car, du moment que mes frères me reconnaissent comme tel, que je les reconnais aussi, et que nous travaillons tous ensemble, quelles que soient les obédiences, à notre perfectionnement pour l’amélioration matérielle, spirituelle et morale de l’humanité, qu’importe la nature sexuelle, la couleur de peau, les convictions politiques, la croyance religieuse et le rite auquel chacun de nous adhère, du moment que, dans la chaîne humaine, nous nous tenions les mains pour œuvrer dans le même sens !

Pierre PELLE LE CROISA, le 5 juin 2015Ó

Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité (Suite)

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À la question : « Qui suis-je aujourd’hui ? », la Franc-maçonnerie en subroge une autre : « Qui dois-je être demain ? » Pour parcourir le chemin de la première à la seconde, elle en pose une troisième : « Que dois-je faire pour y arriver ? » Par cette dernière interrogation, l’homme se propose de réfléchir aux meilleurs comportements pour y parvenir. Dans son vécu, il les expérimente ; il en déduit une conduite de vie qui confirme ou modifie sa façon d’être. Ainsi peut-il passer de ses propres ténèbres à la lumière de l’esprit, et devenir un homme de bien ; un « homme d’honneur et de probité » disent les Francs-maçons.

Dès lors, l’éthique individuelle déborde sur la morale collective. Elles induisent toutes deux le concept de solidarité : Il s’agit d’être dévoué et compatissant au regard de la communauté humaine à laquelle nous appartenons : « La vertu d’humanité – édicte Confucius -, c’est élever autrui comme on souhaiterait l’être soi-même ; c’est le faire parvenir là où on le voudrait soi-même. » Et puisque, par définition, « la vertu, dans sa quintessence, expose la morale dans toute sa pureté », intéressons-nous maintenant aux valeurs morales que la Franc-maçonnerie préconise.

Elle prétend d’abord à l’universalité. Elle va donc reprendre les valeurs universelles que les religions, les philosophies, les sagesses et les cours d’instruction civique de l’« Éducation Nationale » dispensaient naguère. Elle n’a pas de valeurs en propre, elle a simplement un regard sur ces valeurs qu’elle intègre dans ses enseignements. S’il y a un écart, il faut le corriger : soit en adaptant son existence au référentiel de ses valeurs (parce qu’elles sont essentielles à l’individu), soit en adoptant un autre référentiel quand le décalage entre ses valeurs et son mode d’existence est trop grand. Car il faut toujours être convaincu pour adhérer à la vertu.

En fait, la Franc-maçonnerie demande à ses membres d’être plus que « libres et de bonnes mœurs » ; elle leur demande aussi d’être « loyaux et fidèles à leurs engagements » – dont celui de s’approprier, de respecter et de transmettre les valeurs fondamentales qui font sa raison d’être. Si elles éclairent l’initié dans le temple, c’est pour qu’il les fasse rayonner à l’extérieur.

« Fuir le vice », obéir à la loi morale, s’imposer des devoirs, y accorder ses comportements et tenter d’être vertueux en respectant les valeurs universelles de notre confraternité (qu’elles soient ontologiques, éthiques, humaines, sociales ou républicaines)[2], voilà un beau programme qui s’offre aux Francs-maçons pour qu’ils l’incarnent.

La société s’est fixée pour modèle le « souverain bien ». Pour être reconnu comme « être exemplaire »[3], l’homme doit donc répondre à des péremptions morales, à des principes déontologiques, à des références éthiques, à une moralité sans faille et à une vertu absolue.

Hélas ! Ce programme, s’il est beau en théorie, paraît irréaliste pour les hommes et les femmes imparfaits que nous sommes ! C’est pourquoi, pour nous aider à le réaliser, il n’est de meilleur moyen de nous convaincre que de le représenter : l’exemple des êtres qui les ont personnifiées va servir à l’illustrer.

Mais dans quel but ? Pour distinguer ainsi l’action de l’initié de celle du profane. Le profane, au mieux, s’évertue à être meilleur que les autres ; l’initié, par la vertu, s’ingénie à être meilleur que lui-même. L’épreuve le révèle : le succès le rassure et il s’efface ; l’échec le stimule et il se dépasse. Tout ce qui est vil l’avilit, tout ce qui est grand le grandit. Si la perfection n’est pas de ce monde, la perfectibilité l’est – en tant que but –. Or, pour se perfectionner, il faut non seulement se référer à une idée de la perfection et à un idéal de perfectibilité pour l’accomplir, mais il faut aussi les matérialiser, donc se référer à un guide de perfectionnement pour conduire ses actions : le Franc-maçon appelle « grands initiés » ces hommes qui servent de modèles à ses comportements : « Pour être frère, il faut accepter d’être fils, il faut accepter d’avoir un père adoptif, il faut se reconnaître une transcendance, une autorité » infère Régis Debray.

Nous pouvons – et nous devons – chercher autour de nous des hommes remarquables par leur conduite et leur haute valeur morale, non plus au niveau idéal d’identification ou d’imitation à des modèles passés mais au niveau sociétal, dans l’inspiration d’exemples présents : s’ils n’ont ni le renom ni l’envergure des « grands initiés », ils peuvent eux aussi nous accompagner et nous guider dans notre démarche.

 

Pierre PELLE LE CROISA, LE 27 AVRIL 2015Ó

 

[1] Voir l’article précédent « Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité »(1), rubrique : « Des clés pour hier et aujourd’hui ».

[2] Voir l’article « L’action du Franc-maçon a-t-elle un sens dans le monde d’aujourd’hui ? »(2) dans la rubrique « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[3] Voir l’article « Pourquoi être exemplaire dans un monde qui ne l’est pas ? » dans la rubrique : « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité (1)

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L’homme est un être fini, relatif qui tend vers l’infini, l’absolu. Régis Debray l’affirme : « Si l’individu est finitude, rien de ce qui est humain n’est jamais fini, ni même défini ». Son imperfection lui révèle sa perfectibilité. S’il n’est pas achevé, c’est pour qu’il réalise lui-même son propre achèvement. Il donne du sens au monde parce qu’il y est, parce qu’il le pense, par ce qu’il y fait. L’activité qu’il exerce sur son milieu le transforme – et il se transforme.

Oui, mais dans quel sens ? Quel sens donner à sa vie ? Sur quoi la fonder ? Qu’est-ce qui la guide ? En un mot, qu’est-ce qui donne du sens au sens[1] ?

Si, pour le Chrétien le Christ fait sens puisqu’il est « la Voie, la Vérité et la Vie », pour l’agnostique c’est le sens qui donne une voie à la vérité de sa vie. En lui indiquant une direction, elle lui montre un chemin de vie, elle oriente son destin. C’est donc bien l’être qui donne un sens à sa vie. Mais sans la vie, il n’y aurait pas d’être. Elle donne aussi son sens à l’être. Ainsi n’y a-t-il d’être de sens que parce qu’il y a d’abord un sens à la vie.

Toute vie est un combat pour le sens ; un combat que le Franc-maçon entreprend. Sa démarche commence par la maîtrise de ses sens. Elle se poursuit par la quête spirituelle d’un sens. Elle s’achève par l’accession à son essence – la lumière de son être intime. « Deviens ce que tu es », conseille Nietzsche. Par cette sentence, il recommande de passer d’une vie subie à une vie choisie. Comment ? En se donnant un sens à vivre – encore et toujours.

La Franc-maçonnerie se fait un devoir d’accompagner ses membres dans leur démarche en leur proposant une méthode. Cette méthode leur présente des archétypes de vies exemplaires[2] pour que, sur leurs modèles, ils puissent adopter un mode d’existence ; à charge pour eux de l’adapter à ce qu’ils sont, à ce qu’ils veulent, à ce qu’il font. Donner un sens à sa vie, c’est donner un sens aux actes de son existence ; c’est concevoir des projets, les soutenir et les réaliser. C’est en se perfectionnant que l’homme progresse vers l’idéal qu’il s’est fixé. Et de proche en proche, d’initié à initié, la Franc-maçonnerie s’assigne ainsi pour but « le perfectionnement de l’humanité ». Pour elle, chaque homme a son rôle à jouer sur terre. Il a sa pierre à tailler pour la faire entrer dans l’édifice de l’humanité…

Mais comment passe-t-on du perfectionnement de l’homme à celui de l’humanité ? C’est Montaigne qui répond en rappelant que « chaque homme porte [en lui] la forme entière de l’humaine condition. » Cette définition est celle de l’humanisme, qui fait de l’homme une fin et non un moyen.

Soit. Mais alors comme fin, comment valorise-t-il sa vie ? En lui ajoutant de la valeur, en lui conférant une valeur ajoutée. La vie ne vaut que par les valeurs qu’on y inscrit. Les valeurs sont donc ce quelque chose qui s’ajoute à la vie pour lui donner un sens ; et l’axiologie est l’étude (« logos ») de ce que vaut (« axios ») ce quelque chose qui s’ajoute à la vie. Ces valeurs lui montrent la direction du sens à prendre (ou de la voie à suivre) : celle de son monde intérieur (ésotérique). Il va y chercher sa pierre de vérité pour la faire briller dans le monde extérieur (exotérique). Seulement, le temps lui manque. La mort l’aspire et il passe ; il ne se dépasse que si des valeurs l’inspirent. Elles trans-figure(nt) celui qui se les approprie. Le sage clarifie : « Les qualités de l’un me serviront de modèle, les défauts de l’autre d’avertissement. » Fuir le vice et pratiquer la vertu est l’un des premiers enseignements de l’apprenti. La Franc-maçonnerie ajoute le principe qui en découle : « Fais aux autres tout le bien que tu voudrais qu’ils te fissent à toi-même. »

La conscience morale en tant que démarche sociale à l’égard de ses semblables est donc le moyen de valoriser sa vie. Et Alain en déduit que « toute conscience est d’ordre moral, puisqu’elle oppose toujours ce qui devrait être à ce qui est ». Dans ses « Constitutions » de 1723, Anderson approuve : « Un Maçon est obligé par sa tenure d’obéir à la loi morale ». L’homme est responsable de ses actes devant lui-même et devant les autres.[3]

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

[1] Voir l’article précédent « Faut-il donner un sens à sa vie ? » dans la rubrique « Des clés pour hier et aujourd’hui ».

[2] Voir l’article « La Franc-maçonnerie : Exemplarité ? Valeurs ? « Grands initiés » ? » dans la rubrique : « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[3] Voir la suite dans l’article « Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité »(2), rubrique : « Des clés pour hier et aujourd’hui ».