La Franc-maçonnerie fascine par son aura de mystère, ses rituels et son esprit de fraternité. Parfois, certains y voient une solution pour surmonter des difficultés personnelles ou trouver un équilibre émotionnel. Pourtant, malgré ses qualités, elle ne peut pas remplacer une thérapie. Voici pourquoi, en cinq points clairs et accessibles.
1. Une quête spirituelle, pas un soin médical
La Franc-maçonnerie est une organisation initiatique, pas un cabinet de consultation. Elle propose à ses membres de réfléchir à des grandes questions – Qui suis-je ? Comment m’améliorer ? – à travers des symboles comme la “pierre brute”, qui représente le travail sur soi. Mais cette démarche est philosophique, pas médicale. Elle ne s’appuie pas sur des techniques validées pour soigner des troubles comme l’anxiété ou la dépression. Un thérapeute, lui, utilise des méthodes précises, basées sur la science, pour aider ses patients à guérir. La Franc-maçonnerie, elle, cherche à éclairer l’esprit, pas à réparer une souffrance psychologique.
2. Pas de professionnels pour vous accompagner
Dans une loge maçonnique, vous ne trouverez ni psychologues ni psychiatres formés pour écouter vos problèmes personnels. Les membres, appelés “frères” ou “sœurs”, se réunissent pour partager des valeurs et des idées, pas pour analyser vos émotions ou vos traumatismes. Une thérapie, c’est un espace sécurisé où un expert vous guide avec neutralité et compétence. En Franc-maçonnerie, l’entraide existe, mais elle reste informelle et ne remplace pas un suivi professionnel. Si vous traversez une crise, la loge ne pourra pas vous offrir les outils nécessaires pour la surmonter.
3. Un cadre collectif, pas individuel
Plusieurs personnes les mains liées au centre d’une pièce
La Franc-maçonnerie fonctionne en groupe : les rituels et les discussions se vivent ensemble, dans un esprit de communauté. Une thérapie, au contraire, est une démarche personnelle, adaptée à vos besoins spécifiques. Par exemple, un thérapeute peut vous aider à comprendre pourquoi vous ressentez de la tristesse ou de la colère, et vous proposer des solutions sur mesure. En loge, les symboles et les enseignements sont les mêmes pour tous, sans distinction. Ils ne répondent pas à une souffrance unique, mais à une réflexion générale. C’est une différence essentielle.
4. Des limites face aux troubles graves
Certaines loges maçonniques refusent même d’accueillir des personnes souffrant de troubles mentaux sévères ou d’addictions non maîtrisées. Pourquoi ? Parce qu’elles savent que leurs activités demandent une stabilité émotionnelle pour être pleinement vécues. Cela prouve que la Franc-maçonnerie n’est pas équipée pour gérer des cas complexes. À l’inverse, un thérapeute est formé pour accompagner justement ces situations difficiles, avec patience et expertise. Chercher dans la Franc-maçonnerie une solution à un problème profond, c’est risquer de passer à côté d’une aide vraiment adaptée.
5. Un soutien fraternel, mais pas une guérison
Il est vrai que la Franc-maçonnerie crée des liens forts entre ses membres. Cette fraternité peut donner un sentiment d’appartenance et réduire la solitude. Mais ce soutien reste limité : il ne guérit pas une dépression, ne calme pas une crise d’angoisse, ne résout pas un traumatisme. Une thérapie, elle, va plus loin en identifiant les causes de votre mal-être et en vous aidant à les surmonter. La Franc-maçonnerie peut être un complément, un espace de sens ou de convivialité, mais elle ne remplace pas le travail profond d’un professionnel.
Deux chemins différents
La Franc-maçonnerie et la thérapie ne poursuivent pas les mêmes buts. L’une vous invite à explorer des idéaux et à grandir spirituellement dans une communauté. L’autre vous soigne, avec rigueur et précision, dans un cadre privé. Si elle peut inspirer ou réconforter, la Franc-maçonnerie n’a ni les moyens ni la vocation de remplacer une thérapie. Pour aller mieux, mieux vaut frapper à la porte d’un professionnel, tout en gardant, pourquoi pas, un pied dans la fraternité maçonnique si elle vous appelle.
Ce dimanche 30 mars 2025, un événement rare s’est déroulé à La Rochelle : les six loges maçonniques affiliées au Grand Orient de France (GODF) ont ouvert les portes de leur temple au public, attirant des dizaines de curieux avides de découvrir l’envers du décor d’une institution souvent perçue comme mystérieuse. Cette initiative, relayée par France Bleu et Sud Ouest, s’inscrit dans une démarche d’ouverture et de transparence, à l’occasion d’un week-end marqué par une conférence-débat et des visites guidées.
Loge du GODF La Rochelle. (Crédit photo Hugo Marsault – Journaliste pour France Bleu)
À l’approche du 275e anniversaire de la franc-maçonnerie à La Rochelle, prévu pour septembre 2025, cet événement a permis d’initier les « profanes » à l’histoire, aux valeurs et au fonctionnement de cette société initiatique. Voici un récit détaillé de cette journée, enrichi d’un contexte historique et d’une analyse approfondie des symboles et des pratiques maçonniques.
Un week-end d’ouverture à La Rochelle : Fratercité et découverte
Loge du GODF La Rochelle. (Crédit photo Hugo Marsault – Journaliste pour France Bleu)
Le week-end des 29 et 30 mars 2025 a été marqué par une série d’événements organisés par les loges maçonniques rochelaises. Le samedi 29 mars, une conférence-débat intitulée « Les francs-maçons dans la cité » s’est tenue à partir de 18h30 au 40, rue basse Saint-Éloi. Cette rencontre a permis d’aborder le rôle de la franc-maçonnerie dans la société contemporaine, un thème cher au GODF, connu pour son engagement dans les débats sociétaux et politiques. Le lendemain, dimanche 30 mars, de 10h à 17h, le temple situé au 80, rue Marius-Lacroix a ouvert ses portes au public, offrant une occasion rare de pénétrer dans un lieu habituellement réservé aux initiés.
Cette initiative n’est pas une première à La Rochelle. Dès 2015, comme le rapporte Sud Ouest, le temple rochelais s’était ouvert aux profanes lors des Journées européennes du patrimoine, une première depuis la création de la loge L’Union Parfaite en 1752. À l’époque, le vénérable maître de la loge avait expliqué cette démarche par la nécessité de « se montrer plus accessibles aux profanes » pour contrer les mystères qui pourraient « finir par tuer la franc-maçonnerie ». Dix ans plus tard, cette volonté d’ouverture semble s’être renforcée, dans un contexte où les loges rochelaises, qui regroupent environ 300 adeptes, cherchent à démystifier leur pratique tout en célébrant leur riche histoire locale.
Le temple Salvador Allende : un espace chargé de symboles
Loge du GODF La Rochelle. (Crédit photo Hugo Marsault – Journaliste pour France Bleu)
Le temple visité ce dimanche, nommé « Salvador Allende » en hommage au président chilien assassiné en 1973, est un lieu contemporain, construit en 1976 après plusieurs déménagements de la loge rochelaise (rue Venette, rue Thiers). Comme le note Hugo Marsault dans son reportage pour France Bleu, le temple présente une particularité : il a été « mal reconstruit », avec un échiquier central qui, en temps normal, recouvre l’ensemble du sol. Ce damier, composé de carreaux noirs et blancs, est un symbole fondamental en franc-maçonnerie. Il représente la dualité entre le bien (blanc) et le mal (noir), et la quête des « frères et sœurs » consiste à marcher au milieu pour trouver un équilibre dans leur réflexion, une métaphore de la recherche de la rectitude morale et spirituelle.
L’orientation du temple, d’Ouest en Est, est également symbolique. Cette disposition, inspirée du temple de Salomon tel que décrit dans la Bible (Premier Livre des Rois, chapitres 5-7), reflète l’idée d’un voyage initiatique vers la lumière, l’Est étant associé au lever du soleil et à la connaissance. Les membres de la tenue sont assis de chaque côté de la salle, une disposition qui évoque le parlement britannique, berceau de la franc-maçonnerie spéculative née à Londres en 1717. Cette organisation spatiale n’est pas anodine : elle rappelle les origines historiques de la franc-maçonnerie, qui s’est développée dans un contexte de débats philosophiques et politiques au XVIIIe siècle, notamment sous l’influence de figures comme James Anderson et Jean-Théophile Désaguliers, auteurs des Constitutions d’Anderson de 1723.
Loge du GODF La Rochelle. (Crédit photo Hugo Marsault – Journaliste pour France Bleu)
Au centre du temple, sous le regard du « Vénérable Maître » – le président de la loge, élu pour un an – se déroulent les « tenues », ces réunions rituelles où sont menées des discussions sociétales, philosophiques ou politiques. La prise de parole y est strictement encadrée, et chaque intervention s’adresse au Vénérable Maître, qui orchestre les échanges. Les rituels, répétés à l’identique tout au long de la vie d’un franc-maçon, permettent d’établir l’ordre et d’appréhender les nombreux symboles qui jalonnent le parcours initiatique. Comme le souligne Hugo Marsault, « la plupart de la signification des symboles demeure à la discrétion des pratiquants », un choix qui alimente le mystère entourant la franc-maçonnerie, mais qui reflète aussi sa nature ésotérique : les symboles ne se dévoilent pleinement qu’à ceux qui s’engagent dans la voie initiatique.
Une histoire tricentenaire à La Rochelle
La Rochelle est une ville profondément marquée par la franc-maçonnerie, comme en témoigne la longévité de ses loges. L’Union Parfaite, fondée en 1752, est l’une des plus anciennes loges de France, et la ville a vu de nombreux maires et notables locaux rejoindre ses rangs au fil des siècles. Cette prégnance s’explique en partie par l’histoire de la région. Au XVIIe et XVIIIe siècles, La Rochelle, bastion protestant, a été le théâtre de persécutions religieuses, notamment après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. La franc-maçonnerie, avec ses valeurs de tolérance et d’humanisme, s’est posée en force résistante à l’oppression, attirant des protestants rochelais en quête d’un espace de liberté intellectuelle.
Loge du GODF La Rochelle. (Crédit photo Hugo Marsault – Journaliste pour France Bleu)
Jean-Théophile Désaguliers, l’un des pères fondateurs de la franc-maçonnerie spéculative, était lui-même d’origine huguenote, sa famille ayant fui La Rochelle après la révocation de l’Édit de Nantes. Cette connexion historique entre La Rochelle et les origines de la franc-maçonnerie est un rappel de l’influence des dissensions religieuses sur le développement de l’ordre. Comme le note Sud Ouest dans un article de 2015, « la persécution des protestants rochelais aux XVIIe et XVIIIe siècles est sans doute pour beaucoup dans le dynamisme de la franc-maçonnerie » dans la région. Aujourd’hui, les loges rochelaises, qui comptent environ 400 membres fréquentant le temple de la rue Marius-Lacroix, continuent de perpétuer cet héritage, tout en s’ouvrant à des publics variés, hommes et femmes, dans une obédience mixte comme le GODF.
Les symboles maçonniques : une quête d’équilibre et de maîtrise
Le temple de La Rochelle est un espace saturé de symboles, chacun porteur d’une signification profonde. Outre le damier, l’équerre et le compas, omniprésents dans l’iconographie maçonnique, sont des emblèmes centraux. L’équerre symbolise la rectitude, la droiture morale, tandis que le compas représente l’ouverture d’esprit et la capacité à tracer des cercles parfaits, métaphore de l’harmonie et de la perfection. Ces outils, hérités des maçons opératifs du Moyen Âge, ont été réinterprétés par la franc-maçonnerie spéculative pour incarner des valeurs philosophiques et spirituelles.
D’autres symboles, visibles dans le temple, incluent le « Delta lumineux », un triangle isocèle souvent orné d’un œil, qui représente la présence du divin ou de la conscience universelle. Les colonnes Jakin et Boaz, placées à l’entrée du temple, rappellent celles du temple de Salomon et symbolisent la force et la stabilité. La « houppe dentelée », une corde à nœuds qui entoure le temple sous le plafond, évoque la chaîne d’union, un rituel où les francs-maçons se tiennent par la main pour symboliser leur fraternité. Selon le rite pratiqué, cette corde comporte de 7 à 12 nœuds, appelés « lacs d’amour », qui représentent les liens indéfectibles entre les membres.
Le symbolisme maçonnique ne se limite pas à l’espace du temple. Les apparats portés par les francs-maçons reflètent leur progression dans la hiérarchie initiatique. Le tablier, par exemple, est un élément clé : blanc et simple pour l’apprenti, il devient plus orné, souvent brodé de bleu et de rouge, pour le Vénérable Maître. Ces distinctions visuelles soulignent l’importance de la hiérarchie dans l’ordre maçonnique, où chaque grade – apprenti, compagnon, maître – correspond à un niveau de maîtrise des symboles et des rituels.
Une démarche d’ouverture dans un contexte de suspicion
L’ouverture des portes du temple rochelais s’inscrit dans une volonté plus large de démystifier la franc-maçonnerie, souvent entourée de fantasmes et de suspicions. Comme le souligne un article de Sud Ouest datant de 2024, à propos d’une initiative similaire à Rochefort, « expliquer le travail que l’on fait dans nos loges permet d’éviter le côté suspicion ». Cette démarche est d’autant plus pertinente à La Rochelle, une ville où la franc-maçonnerie a joué un rôle politique et social majeur. Un article de L’Express de 2013 révélait que plusieurs maires de la région, dont ceux de La Rochelle et de Rochefort, étaient francs-maçons, illustrant l’influence de l’ordre dans la vie publique locale.
Pourtant, cette influence a parfois alimenté des clichés. Les loges sont souvent accusées d’être des sociétés secrètes manipulant les affaires publiques dans l’ombre, une vision que les francs-maçons rochelais cherchent à déconstruire. En ouvrant leur temple, ils invitent les profanes à découvrir une réalité bien différente : celle d’une communauté qui se réunit pour réfléchir, débattre et progresser dans une quête de sens. Les discussions menées lors des tenues, qu’elles portent sur des enjeux philosophiques, sociétaux ou politiques, visent à « progresser dans la maîtrise », comme le note Hugo Marsault. Cette maîtrise passe par une compréhension approfondie des symboles, mais aussi par un engagement dans des valeurs humanistes comme la tolérance, l’égalité et la laïcité.
La franc-maçonnerie à La Rochelle : un héritage vivant
La Rochelle n’est pas seulement un bastion historique de la franc-maçonnerie ; elle est aussi un lieu où l’ordre continue d’évoluer. Les six loges du GODF, qui regroupent environ 300 membres, travaillent selon le Rite Français, un rituel qui met l’accent sur la laïcité et l’engagement républicain. Mais d’autres obédiences sont également présentes dans la région, comme la Grande Loge Mixte Universelle, qui a organisé une journée d’échanges à Rochefort en mars 2024 pour célébrer son 50e anniversaire. Cette diversité reflète la pluralité de la franc-maçonnerie contemporaine, qui oscille entre tradition et modernité.
L’histoire de la franc-maçonnerie à La Rochelle est aussi marquée par des figures emblématiques. Au XVIIIe siècle, des notables comme Jean-Baptiste Nairac, un négociant protestant, ont joué un rôle clé dans le développement des loges locales, malgré l’hostilité des autorités religieuses et politiques. L’évêque de La Rochelle, Mgr de Crussol d’Uzès, dénonçait en 1788 l’Édit de Tolérance comme une « loi qui semble confondre et associer toutes les religions et toutes les sectes », tandis que l’intendant de Guyenne s’opposait à l’anoblissement de Nairac en raison de sa foi réformée. Ces tensions illustrent le contexte dans lequel la franc-maçonnerie s’est implantée à La Rochelle, en s’affirmant comme un espace de résistance et de dialogue.
Un pas vers la transparence
L’ouverture du temple Salvador Allende ce dimanche 30 mars 2025 a été bien plus qu’une simple visite guidée : elle a offert une fenêtre sur un monde souvent mal compris, où les symboles, les rituels et les valeurs humanistes se conjuguent pour former une voie initiatique unique. À La Rochelle, la franc-maçonnerie continue de porter un héritage tricentenaire tout en s’adaptant aux enjeux contemporains, comme en témoigne cette démarche d’ouverture. En invitant les profanes à pénétrer dans leur temple, les francs-maçons rochelais ont non seulement démystifié leur pratique, mais aussi rappelé leur engagement dans la construction d’une société plus juste et plus fraternelle. Alors que le 275e anniversaire de la franc-maçonnerie à La Rochelle approche, cet événement marque une étape importante dans le dialogue entre l’ordre et la cité.
Le samedi 19 avril 2025, les Rosicruciens du Mans convient les curieux, les chercheurs de sens et les âmes en quête de spiritualité à une conférence exceptionnelle à l’Hôtel Ibis de la gare Nord. À partir de 14h30, Philippe Deschamps, conférencier émérite de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (AMORC), explorera un thème aussi audacieux qu’inspirant : La spiritualité, l’avenir de l’humanité. Cette rencontre promet d’éveiller les consciences et de nourrir les esprits dans une ambiance fraternelle et ouverte. Voici tout ce qu’il faut savoir sur cet événement qui s’annonce comme un rendez-vous majeur pour les Sarthois et au-delà.
Une invitation à la réflexion spirituelle
Dans un monde marqué par les crises – écologiques, sociales, identitaires –, la spiritualité peut-elle offrir une voie vers un avenir meilleur ? C’est la question que Philippe Deschamps posera aux participants lors de cette conférence. Avec son expérience au sein de l’AMORC, une organisation ésotérique mondiale fondée en 1915 par Harvey Spencer Lewis aux États-Unis, mais dont les racines puisent dans les traditions mystiques européennes du XVIIe siècle, Deschamps est un guide idéal pour explorer ce sujet. « Cette conférence s’adresse à ceux qui sont déjà en chemin spirituel, mais aussi à ceux qui y songent sans oser franchir le pas », annonce l’invitation.
Présenté par Philippe Deschamps
Le titre, La spiritualité, l’avenir de l’humanité, n’est pas anodin. Il reflète une conviction rosicrucienne fondamentale : l’éveil intérieur de l’individu est la clé pour transformer la société. Dans un contexte où la quête de sens devient urgente – comme le montrent les chiffres de l’INSEE indiquant une hausse des pratiques alternatives en France (méditation, yoga, ésotérisme) –, cet événement arrive à point nommé pour interroger notre rapport au sacré et à l’avenir collectif.
Qui sont les Rosicruciens du Mans ?
Les organisateurs de cette conférence appartiennent à la branche locale de l’AMORC, une fraternité qui revendique des dizaines de milliers de membres dans plus de 80 pays. Au Mans, la communauté rosicrucienne est active depuis des décennies, accueillant des hommes et des femmes de tous horizons dans des loges discrètes mais dynamiques. L’AMORC se distingue par sa philosophie mêlant alchimie, mystique chrétienne, hermétisme et humanisme, avec pour emblème la rose et la croix – symboles de la connaissance intérieure et de l’élévation spirituelle.
Contrairement aux idées reçues, les Rosicruciens ne sont ni une secte ni une religion dogmatique. Leur démarche est initiatique : ils proposent un cheminement personnel à travers l’étude, la méditation et des rituels symboliques, inspirés des manifestes rosicruciens du XVIIe siècle (Fama Fraternitatis, 1614). Au Mans, cette tradition s’incarne dans des activités régulières – conférences, ateliers, cercles d’étude – souvent hébergées dans des lieux publics comme l’Hôtel Ibis, choisi pour sa commodité près de la gare Nord.
Philippe Deschamps : un conférencier au cœur de la tradition
Philippe Deschamps, qui animera cette conférence, est une figure respectée au sein de l’AMORC. Bien que son parcours personnel reste peu documenté publiquement – une discrétion typique des Rosicruciens –, sa réputation de conférencier repose sur sa capacité à rendre accessibles des concepts complexes. Formé aux enseignements de l’ordre, il excelle dans l’art de relier la spiritualité aux défis contemporains, un talent qu’il mettra en lumière le 19 avril. « Philippe a ce don de captiver son audience tout en laissant chacun libre de ses conclusions », témoigne un membre local, sous couvert d’anonymat, fidèle à la tradition rosicrucienne de modestie.
Deschamps s’appuiera sans doute sur les principes fondamentaux de l’AMORC : la croyance en une unité cosmique, l’importance de l’introspection, et la recherche d’une harmonie entre l’homme et l’univers. Son intervention pourrait explorer des questions brûlantes : la spiritualité peut-elle contrer le matérialisme ambiant ? Est-elle une réponse aux désordres du monde moderne ? Les participants sont invités à venir avec leurs interrogations, car l’échange promet d’être aussi riche que la présentation elle-même.
Un cadre accessible et une participation modeste
La conférence se tiendra à l’Hôtel Ibis Le Mans Centre Gare Nord, un lieu stratégique à deux pas de la gare, facilitant l’accès pour les habitants de la Sarthe et des régions voisines. Prévue à 14h30, elle durera probablement entre une heure et demie et deux heures, suivie, comme le veut la coutume rosicrucienne, d’un moment de questions-réponses. Le choix d’un hôtel plutôt qu’une loge privée reflète une volonté d’ouverture : loin des clichés de réunions secrètes, les Rosicruciens du Mans s’adressent ici à tous, initiés ou non.
Le prix d’entrée – 8 euros en tarif plein, 5 euros pour les étudiants, chômeurs ou seniors – couvre les frais de location de la salle, un coût non négligeable pour une association autofinancée. « Merci d’avance de votre présence », insistent les organisateurs, soulignant que chaque billet soutient cette initiative spirituelle. Pour une après-midi de réflexion profonde dans un cadre convivial, c’est une opportunité à ne pas manquer.
Pourquoi participer ?
Participer à cette conférence, c’est d’abord s’offrir une pause introspective dans un quotidien souvent frénétique. Le thème, La spiritualité, l’avenir de l’humanité, invite à réfléchir à des enjeux qui nous concernent tous : comment redonner du sens à nos vies ? Comment envisager un futur collectif plus harmonieux ? Que vous soyez déjà engagé dans une démarche spirituelle ou simplement curieux, cette rencontre promet d’éveiller des perspectives nouvelles.
C’est aussi une occasion rare de découvrir les Rosicruciens de l’intérieur. Souvent associés à des mystères alchimiques ou à des figures historiques comme Christian Rosenkreuz (un personnage légendaire du XVIIe siècle), ils se dévoilent ici dans une approche accessible et moderne. Philippe Deschamps, avec son expertise, saura sans doute captiver son public, qu’il soit novice ou averti, en liant les idéaux rosicruciens aux défis du XXIe siècle.
Enfin, l’événement offre un moment de connexion humaine. Dans la tradition rosicrucienne, l’échange entre participants est aussi précieux que l’enseignement. « Au plaisir de nous revoir le 19 avril », conclut l’invitation, laissant présager une ambiance chaleureuse où les idées circuleront librement.
Un rendez-vous à ne pas rater
Le samedi 19 avril 2025, à 14h30, l’Hôtel Ibis du Mans deviendra le théâtre d’une réflexion profonde sur l’avenir de l’humanité à travers le prisme de la spiritualité. Pour 8 euros (ou 5 euros en tarif réduit), vous pourrez écouter Philippe Deschamps, échanger avec les Rosicruciens locaux, et peut-être repartir avec une vision renouvelée de votre place dans le monde. Pas d’inscription préalable mentionnée, mais arrivez tôt : les places pourraient partir vite pour ce sujet « digne d’intérêt », comme le soulignent les organisateurs avec enthousiasme.
La figure de Lilith, personnage mythique aux racines profondes dans les traditions mésopotamiennes et juives, et la Franc-maçonnerie, institution initiatique tricentenaire, peuvent sembler à première vue appartenir à des univers distincts. Pourtant, une analyse approfondie révèle des points de convergence fascinants, notamment dans les dimensions symboliques, ésotériques et spirituelles qui traversent ces deux sphères. Cet article propose une exploration détaillée des liens entre Lilith et la Franc-maçonnerie, en s’appuyant sur des sources historiques, mythologiques et maçonniques, tout en examinant les interprétations contemporaines et les débats qu’elles suscitent.
Lilith : une figure mythique aux multiples visages
Origines et évolution de Lilith
Lilith trouve ses racines dans les mythologies mésopotamiennes, où elle est associée aux lilû et lilītu, des esprits démoniaques liés au vent et à la stérilité. Dès le IIIe millénaire av. J.-C., elle apparaît sous le nom de lillake dans le poème sumérien Gilgamesh aux Enfers, traduit plus tard en akkadien. Ces entités, souvent féminines, étaient perçues comme des forces incontrôlables de la nature, s’attaquant aux hommes et aux enfants. À Sumer, Lilitu est décrite comme une courtisane démoniaque séduisant les hommes, une image qui perdure dans les traditions ultérieures.
Dans la tradition juive, Lilith devient un personnage central de la démonologie à partir de l’exil à Babylone (VIe siècle av. J.-C.). Elle est mentionnée dans le livre d’Isaïe (34:14) sous le terme lilit, souvent traduit par « spectre de la nuit » ou « créature nocturne » dans les versions modernes de la Bible, bien que certaines traductions, comme celle de John Nelson Darby, conservent explicitement le nom « Lilith ». À partir du Moyen Âge, notamment dans l’Alphabet de Ben Sira (entre le VIIe et le Xe siècle), Lilith est présentée comme la première femme d’Adam, créée simultanément à lui à partir de la glaise. Refusant de se soumettre à Adam – notamment en revendiquant une égalité dans l’acte sexuel, ce qui était impensable dans une société patriarcale – elle s’enfuit du jardin d’Éden en prononçant le nom ineffable de Dieu, ce qui lui vaut de devenir une démone. Elle est ensuite associée à Lucifer ou à Samaël, devenant une figure de rébellion, de séduction et de danger, souvent accusée de voler les enfants ou de séduire les hommes.
Le Zohar, texte fondamental de la Kabbale datant du XIIIe siècle, renforce cette image négative en la décrivant comme une « prostituée maudite » et un « monstre séducteur ». Cependant, à partir du XXe siècle, les mouvements féministes juifs, notamment aux États-Unis et en France, réhabilitent Lilith comme une figure de résistance contre l’oppression patriarcale. La revue Lilith, créée dans les années 1970 aux États-Unis, en fait un symbole d’égalité des sexes, tandis qu’en France, des autrices comme Michèle Bitton et Catherine Halperne (dans Lilith, l’épouse de Satan, 2010) explorent sa dimension de femme insoumise, victime d’une société inégalitaire qui l’a diabolisée.
Symbolisme de Lilith : une dualité complexe
Lilith incarne une dualité profonde : elle est à la fois un symbole de rébellion et d’autonomie féminine, mais aussi une figure de destruction et de chaos. Sa quête d’égalité avec Adam, interprétée dans l’Alphabet de Ben Sira comme une revendication de « supériorité spatiale » dans l’acte sexuel, reflète une aspiration à l’émancipation qui résonne avec les valeurs modernes de liberté et d’égalité. Cependant, les textes traditionnels, comme le Talmud et le Zohar, en font une entité maléfique, une « mère des démons » qui engendre des esprits malfaisants et menace l’ordre social.
Cette ambivalence en fait un symbole puissant pour les traditions ésotériques, où elle peut représenter à la fois l’ombre et la lumière, le chaos créateur et la quête de vérité. En astrologie, la « Lune Noire » (ou Lilith astrologique) est associée à une recherche intérieure, un voyage vers l’axe profond de la conscience, comme le souligne le site Conscience et Fraternité. Cette dimension introspective et transformative de Lilith trouve un écho dans les pratiques initiatiques, notamment celles de la franc-maçonnerie.
La Franc-Maçonnerie : un cadre initiatique et symbolique
Origines et principes de la franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie, telle que nous la connaissons aujourd’hui, prend forme au tournant du XVIIIe siècle, avec la création de la première Grande Loge à Londres en 1717. Elle s’inscrit dans une transition de la maçonnerie « opérative » (celle des bâtisseurs médiévaux) vers une maçonnerie « spéculative », centrée sur la philosophie, l’initiation et la quête de sens. Les Constitutions d’Anderson de 1723, rédigées par James Anderson et John Theophilus Desaguliers, posent les bases de cette nouvelle franc-maçonnerie, en insistant sur des valeurs comme la fraternité, la tolérance et la recherche de la vérité.
Symbolisme et initiation dans la franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie est avant tout un ordre initiatique, où le symbolisme joue un rôle central. Les outils des maçons opératifs – l’équerre, le compas, le fil à plomb – deviennent des métaphores pour des concepts spirituels et moraux. Le fil à plomb, par exemple, symbolise la rectitude, l’alignement intérieur et la quête d’équilibre, des notions qui résonnent avec les valeurs humanistes et spirituelles de la maçonnique symboliste.
Alchimiste qui tient une fiole dans sa main
Le processus initiatique maçonnique vise à transformer l’individu en l’amenant à « visiter l’intérieur de la terre » pour trouver la « pierre philosophale », une métaphore alchimique pour la quête de soi et de la vérité. Ce voyage intérieur, marqué par des rituels et des symboles, inclut des références à des traditions variées : bibliques, kabbalistiques, alchimiques, et même orientales ou celtiques. Cette richesse symbolique permet à la franc-maçonnerie d’intégrer des figures mythiques comme Lilith, bien que celles-ci ne soient pas explicitement mentionnées dans les rituels officiels.
Lilith et la Franc-Maçonnerie : une rencontre symbolique
Lilith comme symbole initiatique
Dans un contexte maçonnique, Lilith peut être interprétée comme une figure initiatique, une représentation de l’ombre que l’initié doit confronter pour atteindre la lumière. Le blog Conscience et Fraternité propose une lecture maçonnique de Lilith, la décrivant comme une entité qui « permet de franchir des paliers » dans la quête spirituelle. En tant que « philosophe par le feu », l’auteure de ce blog voit en Lilith une force purificatrice, capable de « débarrasser de toutes les impuretés » et de révéler le « feu secret » au cœur de l’initié.
Cette interprétation s’aligne avec la démarche maçonnique, qui invite à un travail introspectif pour dépasser les dualités – lumière et ombre, ordre et chaos – et atteindre l’unité. Lilith, en refusant la soumission à Adam, incarne une forme de rébellion contre l’ordre établi, un thème qui peut résonner avec les idéaux maçonniques de liberté et de progrès. Cependant, sa dimension démoniaque, héritée des textes juifs traditionnels, en fait aussi une figure de mise en garde : la quête de liberté ne doit pas sombrer dans le chaos ou l’ego incontrôlé.
Lilith et la question du féminin en franc-maçonnerie
La franc-maçonnerie, historiquement masculine, a longtemps exclu les femmes, comme le stipule l’article III des Constitutions d’Anderson de 1723 : les membres doivent être « Hommes bons et loyaux, nés libres, […] ni Serfs ni femmes ». Cependant, dès le XVIIIe siècle, des loges d’adoption émergent en France, permettant aux femmes de participer à des rituels maçonniques sous l’égide du Grand Orient de France. Ce n’est qu’en 1882, avec l’initiation de Maria Deraismes, que la franc-maçonnerie mixte prend véritablement forme, aboutissant à la création du Droit Humain et, plus tard, de la Grande Loge Féminine de France (GLFF) en 1945.
Lilith, en tant que symbole de l’émancipation féminine, trouve un écho particulier dans cette histoire. Comme le souligne Lilith Mahmud dans The Brotherhood of Freemason Sisters (2014), les femmes initiées en Italie ont dû s’approprier le vocabulaire maçonnique pour redéfinir la notion de « fraternité » dans un contexte mixte ou féminin. Lilith, qui refuse la domination d’Adam, peut être vue comme une métaphore de cette lutte pour l’égalité au sein de la franc-maçonnerie. Le blog La Maçonne, tenu par une franc-maçonne féministe, évoque Lilith comme une figure qui met en lumière les préjugés patriarcaux ancrés dans les traditions religieuses et sociales, un thème qui résonne avec les débats sur l’initiation des femmes.
Lilith et les influences ésotériques
La franc-maçonnerie intègre des influences ésotériques variées, notamment kabbalistiques. Le Zohar, qui décrit Lilith comme une force maléfique, est une source d’inspiration pour certains rituels maçonniques, notamment dans le REAA, qui explore des thèmes de dualité et de transformation. Lilith, en tant que « démon de la terre » et mère des esprits, peut être rapprochée de la notion alchimique de la materia prima, la matière brute que l’initié doit transformer pour atteindre l’illumination.
De plus, les références orientales présentes dans certains rituels maçonniques – comme les motifs de yin et yang ou les influences égyptiennes (Isis, souvent assimilée à Lilith dans certains textes, comme chez Victor Hugo dans La Fin de Satan) – permettent d’intégrer Lilith dans un cadre symbolique plus large. Elle devient alors une figure de l’initiatrice, celle qui guide l’initié vers les mystères profonds de la création et de la destruction.
Lilith dans l’imaginaire maçonnique contemporain
Lilith comme outil de réflexion
Bien que Lilith ne soit pas une figure officielle des rituels maçonniques, elle est parfois invoquée dans des travaux symboliques, notamment par des francs-maçonnes ou des loges mixtes. Le blog Conscience et Fraternité relate une expérience où Lilith est choisie comme « sésame » pour une période de réflexion au sein d’une loge, suscitant des questionnements sur son rôle et sa signification. Cette démarche illustre la manière dont les francs-maçons contemporains utilisent des figures mythiques pour enrichir leur travail initiatique.
Critiques et controverses
Certains courants, notamment ceux issus de la mouvance antimaçonnique, associent Lilith à la franc-maçonnerie dans une tentative de diabolisation. Le site Agape Evangelia affirme que les francs-maçons « adorent Satan-Lucifer » à travers des divinités comme Isis, qu’il assimile à Lilith. Ces accusations, qui s’appuient sur une lecture conspirationniste, sont largement rejetées par les historiens et les francs-maçons eux-mêmes, qui y voient une déformation des principes maçonniques. La GLDF, par exemple, insiste sur son attachement à des valeurs humanistes et spirituelles, loin de toute vénération démoniaque.
Une résonance symbolique et initiatique
Lilith et la franc-maçonnerie partagent un terrain commun dans leur exploration des dualités – ordre et chaos, lumière et ombre, masculin et féminin – et dans leur quête de transformation intérieure. Lilith, avec sa rébellion contre l’autorité patriarcale et sa quête d’autonomie, incarne des valeurs qui peuvent résonner avec les idéaux maçonniques de liberté et de progrès, tout en mettant en garde contre les dangers de l’excès. En tant que symbole initiatique, elle invite les francs-maçons à confronter leur propre ombre pour atteindre une lumière intérieure, un processus au cœur de la démarche maçonnique.
Du concept d’élitisme comme dérive possible vers le pélagianisme ou l’augustinisme
« Il y aurait avantage, bien que cela ne soit pas d’une nécessité absolue, à ce que l’élite en formation pût prendre un point d’appui dans une organisation occidentale ayant déjà une existence effective ; or il semble bien qu’il n’y ait plus en Occident qu’une seule organisation qui possède un caractère traditionnel, et qui conserve une doctrine susceptible de fournir au travail dont il s’agit une base appropriée : c’est l’Église catholique. Il suffirait de restituer à la doctrine de celle-ci, sans rien changer à la forme religieuse sous laquelle elle se présente au dehors, le sens profond qu’elle a réellement en elle-même, mais dont ses représentants actuels paraissent n’avoir plus conscience, non plus que son unité essentielle avec les autres formes traditionnelles ; les deux choses, d’ailleurs, sont inséparables l’une de l’autre. » René Guénon
René Guénon
Cette citation extraite de l’un des ouvrages le plus connu de l’œuvre de René Guénon, nous dévoile ce qui sera pour l’auteur deux types d’obsessions permanentes : la tradition primordiale et la formation d’une élite. Vous conviendrez avec moi qu’amorcer une réflexion sur cet auteur n’est pas sans risques ! En effet, dans les milieux maçonniques, les avis sont partagés en ce qui le concerne, cela allant de l’appellation de « fumiste sans aucune consistance » à celle de « Maître incontestable de la pensée ésotérique » ! En tout cas, il va jouer, incontestablement, un rôle déterminant dans les opinions internes de la Maçonnerie contemporaine, allant jusqu’à la constitution de réseaux internes (1) qui subsistent encore, une sorte de Maçonnerie à l’intérieur des obédiences maçonniques.
Vous pensez bien que je ne me risquerai pas à donner mon opinion sur la question ! Les prises de position sont d’autant plus excessives que René Guénon appartint à la Franc-Maçonnerie (2) avant de s’en éloigner, non sans l’influencer à distance, même lors de son séjour égyptien : la réflexion sur une théorique « tradition primordiale » ou sur la constitution d’une « élite » reviennent de façon récurrente dans les travaux des loges. Surtout le concept d’élite qui, manié par Guénon, a de fortes connotations conservatrices, certains diraient d’extrême droite ! Comme sa citation nous le laisse entendre, le concept d’élite est lié à la théologie de façon constante : c’est la base du « qui est élu, qui est choisi, qui est le fils préféré du Père ? ». Ce choix électif fut à la base de controverses religieuses et l’une des bases de la naissance de la Réforme protestante. Même laïcisée, la question du « choisi par qui ? » demeure et Guénon en soulevant la question d’une Maçonnerie élitiste, la faisait plonger dans la supposition qu’elle fut elle-même religieuse, peut-être l’image même de la représentation de la théorique tradition primordiale à laquelle il s’accrochait tant. Bizarrement, il remettait à jour le conflit fondamental entre Pelage et Saint-Augustin dans l’histoire des idées !
I-PELAGE ET LE PELAGIANISME : AIDE-TOI ET LE CIEL T’AIDERA » !
Pélage
Cela fut une doctrine, professée au IVe siècle, par Pélage et ses partisans, qui accentue la puissance du libre-arbitre au détriment de la grâce divine. C’est la première en date des hérésies de l’occident chrétien qui prend racine dans la tradition grecque d’une certaine autonomie de la personne humaine jugée importante à son épanouissement, et d’une conception romaine du sujet et du contrat qui la lie aux dieux.
Pélage (Vers 360-420), moine d’origine Irlandaise, s’est établi à Rome en 410. Il mène une vie ascétique et regroupe autour de lui une petite communauté composée d’aristocrates et d’ecclésiastiques. Il prône des idées sur la liberté et la grâce. Fuyant l’invasion d’Alaric, il se réfugie en Afrique du nord d’abord et ensuite en Palestine, où il trouve un accueil très favorable à ses orientations théologiques. Mais il est condamné par un Concile, réuni à Carthage en 411. De réhabilitations en condamnations, les doctrines de Pélage vont peu à peu devenir l’une des principales controverses du christianisme. Son plus déterminé de ses adversaires sera Saint-Augustin et son concept de prédestination.
Mosaïque funéraire de Pelagius ; couvercle d’une tombe d’enfant (fin IVe s. – début Ve s. ap. J.-C)
Le pélagianisme a pour base la conception que l’homme peut choisir entre le bien et le mal. Cette idée, héritée du stoïcisme, est basée sur la pensée que l’homme dispose librement de son corps et de sa pensée. Sa volonté est toujours prête à affronter le choix de l’événement. Dans sa « Lettre à Démétriade » (écrite entre 412 et 414), Pélage développe l’idée que l’homme est le chef-d’œuvre de Dieu et que ce dernier lui a donné le privilège de la raison, c’est-à-dire la conscience de ses actes. Ainsi, il appartient à l’homme, de par sa raison, de dominer les autres créatures et des êtres sur qui il aurait le pouvoir. La raison serait donc spécifique à l’homme et fait de lui, seul dans tout l’univers, l’exécuteur de la justice divine. L’homme étant sensé distinguer le bien du mal, donc il a la possibilité de mériter par lui-même le salut, car la possibilité de désobéir à la loi divine est la condition même de cette liberté qui constitue la dignité du sujet. Ainsi l’homme devient autonome de Dieu et engage avec lui des relations de totale liberté. Dans son commentaire sur les Epîtres paulinienne, Pelage rejette avec horreur toute prédestination, à commencer par l’idée de « péché originel ». Nous sommes là dans la naissance même du concept de libre-arbitre.
En ascète, il va donner plus de prix à la pratique qu’à la théorie. L’autonomie de l’homme dans la création et par rapport à Dieu ne prend toute sa signification qu’en tant qu’elle est la condition nécessaire et suffisante de l’ « impeccantia », qui est le pouvoir inhérent à la nature même de l’homme qui peut, s’il le veut, être sans péché.
Buste d’Aristote
Aristotélicien convaincu aussi, Pélage distingue, lorsqu’il parle du péché, entre l’accident et l’essence : le péché ne peut-être doué d’existence en soi, il n’est pas une « substancia » et il ne peut être générateur d’autres péchés. Il n’est qu’un acte de désobéissance, c’est-à-dire une libre volonté de l’homme. Ce pouvoir de choix de l’homme étant donné par Dieu « in natura » ; mais c’est de l’homme lui-même que dépend le choix du bien et demeure le seul maître de l’usage de cette liberté. S’il choisit d’enfreindre la loi et de pécher, l’exercice de sa volonté n’en est pas pour autant affecté : l’acte n’a été que la réalisation d’une possibilité. Après cette perturbation passagère, la volonté retrouve son équilibre antérieur. Le péché n’est donc qu’un acte isolé, sans conséquence. Pelage refuse obstinément toute conception du péché comme cause de la mort, ainsi que le résultat d’une cause première.
Cette vision aboutit à la glorification de l’Epître de Paul à Thimothée et Pélage écrit : « Ce n’est pas grand-chose d’être un exemple pour les païens, ce qui est beaucoup mieux, c’est d’être que les saints eux-mêmes soient édifiés ». Pelage croit que l’homme qui choisit la vertu parvient à vivre en union totale avec Dieu. La pensée pélagienne, comme nous le disions auparavant, se situe au carrefour de deux traditions spirituelles importantes : celle des Grecs avec le sens de la liberté nécessaire à l’épanouissement de l’homme, et celle des Romains qui, pour satisfaire aux exigences divines, doit instituer un contrat. Tout le système pélagien repose sur l’apologie du « bonum naturae » et est ainsi le créateur de l’idée de la relation contractuelle de l’homme et de Dieu, vécu comme suzerain. D’où la création d’une aristocratie qui serait libre de discuter avec le pouvoir, hors contrainte. D’une élite en quelque sorte où Dieu n’apparaît que comme un suzerain avec lequel on peut discuter et mettre en cause, à la manière du livre de Job, si besoin est. Une sorte de monarchie constitutionnelle !
Le pouvoir politique va, en fait, organiser la société monarchique constitutionnelle ou républicaine, sur le principe pélagien. L’une des conséquences psychologiques du système pélagien est aussi que l’homme est responsable de son propre succès, le péché n’étant que l’échec. Dès lors, la culpabilité n’est pas le résultat d’une punition extérieure, mais de l’insuffisance personnelle qui rejette le sujet hors de l’élite. Le « pécheur » est celui qui échoue…
II- SAINT-AUGUSTIN OU LE « SERF-ARBITRE » COMME SIGNE DE L’ELITISME.
Saint Augustin
Incontestablement, que l’on partage ou non sa vision des choses, Saint-Augustin (354-430), est un géant dans l’histoire de la pensée, qu’elle soit philosophique, théologique, psychologique, ou relevant du droit, et nous pouvons avancer l’idée, en accord avec de nombreux historiens, qu’il est à la base de ce que nous appelons la « civilisation occidentale ». Ce nord- africain, né à Thagaste, après une longue période d’appartenance au courant manichéen, va se convertir au christianisme, sous l’influence de Monique, sa mère, elle-même chrétienne.
D’une œuvre immense, nous ne retiendrons que l’un des aspects d’où le concept d’élitisme va se développer, en regard de son passé manichéen où cette idée était passablement présente : la croyance en la prédestination. C’est une doctrine selon laquelle, Dieu, détermine de toute éternité, le destin de l’humanité et de l’univers : il destine, par avance, des créatures à la béatitude et les autres à la condamnation. Dieu représente ainsi une prescience de l’histoire du monde et le salut de toute personne est son choix, dans la vision d’une double prédestination : l’humanité et l’univers. Rappelons-nous qu’en hébreu le mot « Ôlam », l’éternité du monde, rime avec « Elem », la disparition…
Bible
Bien entendu, Saint-Augustin n’est pas l’inventeur de cette orientation théologique : grand lecteur de la Bible et, auparavant des textes manichéens, il va y puiser et accentuer ce qui y existe déjà. En effet, à-travers la notion de « peuple choisi » va s’associer l’idée d’élitisme sur les nations, même si cette idée théologique est totalement fausse et dangereuse. Les exemples de cette orientation dans la Bible sont nombreux dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Citons quelques exemples : Exode 33,19 ; Deutéronome 7, 7-8 ; Josué 11,20 ; Matthieu 11,27 ; Jean 6, 35-39 et 60-65 ; Jacques 1, 16-18 ; 2 Thessaloniciens 13,14 ; 2 Timothée 1,9 ; Corinthiens 1, 26-29 ; Ephésiens 1, 9-11. Ainsi, le salut de toute personne ne dépend pas de l’alliance de Dieu et de l’action de l’homme, mais uniquement de la grâce et du choix de Dieu, les actes n’étant qu’une conséquence du choix préliminaire de la divinité.
Saint-Paul
Saint-Paul va considérablement insister sur cet aspect des choses, notamment dans sa célèbre « Epitre aux Romains ». Nous ne citerons qu’un passage significatif parmi d’autres, où cette notion de prédestination est constante, donc d’élitisme venant d’une « monarchie divine absolue » dont on ne conteste pas les décisions, aussi tyranniques paraissent-elles puisque l’homme est incapable de la mise en mouvement du bien, le mal étant en lui. Seule la grâce de Dieu, donc un choix arbitraire, peut sauver des hommes, dans ces « tous pécheurs », sans que leurs efforts personnels, liés au libre-arbitre et aux efforts, chez Pélage, servent à quelque chose : « Nous savons, du reste, que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés selon son dessein. Car ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être semblables à l’image de son fils, afin que son fils soit le premier né de plusieurs frères et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés » (Romains 8, 28-30).
Saint Augustin
Saint-Augustin va adhérer totalement à la pensée paulinienne et en faire un idéal de la vie communautaire et ce, reprise fondamentalement par la Réforme protestante (surtout le courant calviniste) et le courant janséniste catholique. Luther dénoncera violemment la théorie du libre-arbitre ; en allant jusqu’à dire que la position de l’homme ne peut être que celle du « Cerf-Arbitre » au service de son maître qui a décidé de son sort de toute éternité ! Le 17em siècle, sera d’ailleurs le triomphe de l’augustinisme, dans une période où naît la Franc-Maçonnerie qui est, elle-même, issue de la Réforme protestante, donc avec l’idée de la prédestination et de l’élitisme opposée à l’éclectisme dont l’institution se voulait idéalement porteuse. Le vers était dans le fruit !
III- AU FAIT, CA EXISTE LE CONCEPT D’ELITE EN MACONNERIE ?
Nous courrons toujours un danger relevant de l’humour à se considérer comme une élite : il n’est pas du tout sûr que l’on ne va pas tomber sur plus élitiste que soi et que ce dernier ne va pas vous considérer comme un « moins que rien » ! On est toujours le sous-homme de quelqu’un…
Gustave Le Bon
Mais revenons un court instant sur une définition possible de l’élite : c’est avant-tout une idéologie ou une doctrine qui soutient l’accession au pouvoir de personnes jugées comme les « meilleurs » (du grec « Aristos », les meilleurs) et qui, réciproquement, considèrent le peuple comme inférieur et donc devant être dirigé par eux-mêmes ! Evoquer le terme élitisme en Maçonnerie supposerait que cette dernière aurait une idéologie de prise de pouvoir dont nous avons vu les effets désastreux et leurs conséquences sous la IIIe République notamment. Alors que, théoriquement, l’idéal de la Maçonnerie n’est pas de régner « sur » mais d’être « avec » comme le stipule Gustave Le Bon (1841-1931), anthropologue et psycho-sociologue français, dans son ouvrage « Hier et demain » (3) : « Le véritable progrès démocratique n’est pas d’abaisser l’élite au niveau de la foule, mais d’élever la foule au-niveau de l’élite ». Utopie si rassurante ! Nous savons bien que l’élite qui s’est déclarée comme telle, n’a aucune envie de disparaître en prônant l’égalité, ce qui lui ferait perdre son étiquette.
Cependant, le concept d’élite existe, mais pas dans le sens où nous l’entendons, où cela nous arrange. L’une des bonnes définitions de l’élitisme serait celle de Nietzsche dans « Ainsi parlait Zarathoustra » : son prophète, ivre de connaissances, va aller vers la masse pour lui communiquer son savoir et sa vérité. Cela sera un échec et un retour vers la solitude absolue. Le « surhomme » nietzschéen, élite parmi l’élite, n’est qu’un être seul qui n’a en fait aucun pouvoir sur les autres, sinon imaginaire, et qui ne sert pas de modèle, déclenchant haine et rejet. Il est condamné de par sa lucidité même : « les non-dupes errent » disait Jacques Lacan, sachant de quoi il parlait !
Est-ce que le concept d’élite aiderait d’une quelconque manière la réflexion de l’homme sur son destin, question essentielle pour le Maçon ? Le grand poète japonais Ryokan (1758-1831) y répond (4) :
« D’où viens-je ? où retourné-je ? seul, assis près de la fenêtre rustique, immobile, calmement je médite je médite sans pour autant trouver l’origine ne parlons même pas de connaître la fin ainsi va le moment présent vides sont les vicissitudes de la vie au-milieu de ce vide il y a « je » incapable de distinguer entre le vrai et le faux soyez donc indulgent avec cet homme, qui s’accorde tranquillement au cours des choses ».
Celui qui appartient réellement à une élite dans un domaine ne s’en vante pas, sinon cela apparaîtrait un peu suspect : cela ferait parvenu ! D’autant, que le sujet qui pourrait rassembler la Maçonnerie sous l’appellation d’élite est plus que vague. Elite sociale ? Elite intellectuelle ? Elite nobiliaire ? Allez, payons-nous cinq minutes de lucidité, après, c’est juré, on ne recommencera plus ! On y va : la Maçonnerie ne représente en rien une élite sociale, la sociologie ayant déterminée depuis longtemps que le vivier de recrutement était les classes moyennes, donc une certaine homogénéité sociale (Le « Mes FF. me reconnaissent comme tel » n’est guère difficile à mettre en place, socialement parlant !) ; la Maçonnerie n’est pas une élite intellectuelle : nous ne sommes plus au temps de la Royal Society et existe même, dans beaucoup de loges et d’ateliers « supérieurs » une hostilité larvée ou déclarée des intellectuels devant la menace supposée qu’ils mettent à jour des impostures ou des pseudo-connaissances que certains affublent du titre d’ « intellectuelles » et qui ressemblent à des élucubrations de type sectaires ; et enfin la Maçonnerie n’est guère une élite nobiliaire évidemment : que ferait-elle de titres de carton-pâte alors qu’elle porte les siens, issus de l’histoire, où alors, juste pour venir se détendre pour voir une représentation (souvent mal jouée !) du « Bourgeois gentilhomme » !
Bouddha en méditation
Naturellement, il convient de pondérer nos propos : le sentiment d’appartenir à une élite reflète souvent une grande fragilité narcissique : celle de ne pas être sûr de sa propre valeur personnelle et de chercher l’appartenance à un groupe sur lequel on projette déjà une étiquette d’élitisme, afin d’être « reconnu comme tel », et de ne plus être seulement dans le « monde flottant » selon l’expression du bouddhisme Zen japonais. D’où une appartenance fidèle inconsciente à l’institution qui reconnaît les « titres de noblesse ». D’où une certaine arrogance par rapport aux « autres » et une haine de ceux qui sont contre l’appellation d’‘élitisme et qui remettrait en cause le très précaire équilibre du sujet…
La Maçonnerie ne peut prétendre à l’appellation élitiste sans courir le risque de déclencher un immense éclat de rire chez ses interlocuteurs un peu sérieux ! Contentons-nous de notre vrai titre nobiliaire : nous tentons d’être seulement les porteurs d’une philosophie humaniste. C’est déjà pas mal…
Et il paraît que cela redevient à la mode !
NOTES
(1) Mollier Pierre : Sur les traces des « réseaux Guénon ». Paris. Revue La chaîne d’Union.N° 88. 2019. (Pages 14 et 15)
(2) René Guénon : Rappelons quelques appartenances maçonniques de Guénon : Il appartint à la loge « Humanidad » (Fondée en 1906) du rite national espagnol et qui passera au rite de Memphis-Misraïm en 1908. Il passera ensuite au rite Swedenborgien, avant d’être reçu, début 1912, à la loge « Théba » de la Grande Loge de France. En parallèle, il fréquentait certaines loges du Grand Orient de France. Dans la revue « La Gnose », il publiera plusieurs articles sur la Franc-Maçonnerie, où il crédite l’héritage de cette dernière aux courants de certaines philosophies antiques et médiévales. Il pense que il est important pour un Maçon d’appartenir aussi à un « exotérisme » religieux et recommandera l’Église catholique avant l’hindouisme et finalement le soufisme ! En 1947, il va participer à la création de la « Grande Triade » au sein de la Grande Loge de France, qu’ il espère être le moteur de sa pensée concernant son idée de
Tradition Primordiale, très contestée dans les milieux maçonniques car ressemblant finalement à une idée religieuse elle-même, et son incitation à un discours élitiste constant. En fait, il apparaît que René Guénon eut le désir plus ou moins affirmé de créer sa propre Maçonnerie, s’opposant aux courants libéraux et mixtes qui existaient alors. Il semblerait qu’il voulait une Maçonnerie « sur mesure » ! La sienne, naturellement…
(3) Le Bon Gustave : Hier et demain-Pensées brèves. Paris. Ed. Flammarion. 1918.
(4) Ryokan : Recueil de l’ermitage au toit de chaume. Millemont. Ed. Moundarren. 2017. (Page 64).
BIBLIOGRAPHIE
Van Win Jean : Contre Guénon. Paris. Ed. De la Hutte. 2009.
Blandenier Jacques : Martin Luther-Jean Calvin. Contrastes et ressemblances. Charols. Ed. Excelsis. 2016.
Camus Albert : L’homme révolté. Paris. Ed. Gallimard. 1985.
Camus Albert : Le mythe de Sisyphe. Paris. Ed. Gallimard. 1985.
Guénon René : La crise du monde moderne. Paris. Ed. Gallimard. 1946.
Guénon René : Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage. Paris. Ed. Dervy. 2021.
Guénon René : La Grande Triade. Paris. Ed. Dervy. 2022.
Guénon René : Perspectives traditionnelles et erreurs modernes. Paris. Ed. Dervy. 2022.
Guénon René : Les états multiples de l’être. Paris. Ed. Dervy. 2022.
Marrou Henri : Saint Augustin et l’augustinisme. Paris. Ed. Du Seuil. 1955
Ouvrage collectif : La tradition primordiale de René Guénon. Paris. Ed. De l’Art Royal. 2O24.
Ricoeur Paul : Soi-même comme un autre. Paris. Ed. Du Seuil. 1990.
Saint-Augustin : Six traités anti-manichéens. Paris. E.d. Desclée de Brouwer. 1961.
Saint-Augustin : La cité de Dieu. (3 tomes). Paris. Ed. du Seuil. 1994.
Saint-Augustin : Les confessions. Paris. Ed. Flammarion. 1964.
(Les « éditos » de Christian Roblin paraissent le 1er et le 15 de chaque mois.)
Comme vous avez pu le constater en me lisant de temps à autre, au-delà même de mon attachement au symbolisme, j’appartiens à cette école qui conçoit la franc-maçonnerie comme une voie initiatique. Or qu’est-ce qu’une voie initiatique ? C’est un engagement intérieur qui vise, en premier lieu, à se débarrasser des scories qui obstruent une vision libre et complète de la vie, jusqu’alors entravée par tout un réseau de réactions égoïstes, reliées à des peurs, à des préjugés et à des désirs de domination.
Ce dépouillement se fait peu à peu. Il vient en réfléchissant aux choses sous des angles divers, en entendant des Frères ou des Sœurs examiner les mêmes questions d’une façon différente. Ce dépouillement est aussi un accueil d’autres points de vue. Ce sont des routes qui s’ouvrent sans que l’on sache toujours où elles mènent, une identification progressive des traces jusqu’au repérage des tracés sous-jacents.
C’est un paradoxe continuel où le détachement des apparences qui nous guidaient antérieurement, loin de nous rendre insensibles aux phénomènes qui nous environnent, nous fait témoins des réalités dans l’enchevêtrement de leurs causes et la variété de leurs manifestations.
En cela, la Franc-maçonnerie n’est pas un exercice de renoncement au monde comme théâtre d’illusions universelles et perpétuelles, dans une conviction qui s’arrêterait à une position passive et dégagée. C’est voir mieux, plus profondément, pour agir en conséquence. Aussi bien, si se libérer des impressions trompeuses commence par soi-même, c’est pour accéder à la plénitude de son être et donc à son propre accomplissement, non point pour sa seule jouissance mais en harmonie avec les forces qui composent les milieux où l’on vit. Dans cette optique, lucidité et responsabilité vont de pair, dans le respect de la liberté de chacun.
Ce n’est, certes, pas simple. Une réalisation entière est loin d’être toujours possible.
Très prosaïquement, ce que nous appelons la sagesse réside dans une tentative constante d’ajustement.
La Franc-maçonnerie est un syncrétisme complexe, un creuset où se mêlent des traditions spirituelles, religieuses, philosophiques et symboliques issues de diverses cultures et époques. Elle s’est nourrie d’un large éventail d’influences, allant des traditions opératives des bâtisseurs médiévaux aux courants ésotériques, en passant par des emprunts aux grandes religions monothéistes, aux philosophies antiques et même à des traditions orientales.
Identifions les principaux éléments qui ont nourri la franc-maçonnerie, leurs provenances, et illustrer comment ils se manifestent dans ses rituels et pratiques. Je m’appuierai sur des informations historiques et culturelles, tout en examinant de manière critique les récits traditionnels pour éviter de simplement reproduire des narrations établies sans réflexion.
1. Les origines opératives : les corporations de maçons médiévaux (Europe, Moyen Âge)
Élément : Les outils de construction (équerre, compas, maillet, ciseau, fil à plomb, niveau, truelle). Provenance : Les corporations de maçons opératifs en Europe, notamment en Écosse et en Angleterre, dès le Moyen Âge (XIIIe-XVIIe siècles). Ces corporations, qui construisaient des cathédrales et des châteaux, utilisaient ces outils pour leur travail quotidien. Influence dans la franc-maçonnerie :
La franc-maçonnerie spéculative, qui émerge au XVIIe siècle, reprend ces outils comme symboles de valeurs morales et spirituelles. Par exemple, l’équerre représente la rectitude morale, le compas symbolise la sagesse et la mesure, le maillet évoque la force et la volonté, et la truelle incarne la fraternité (elle “unit” les frères comme elle unit les pierres).
Les grades maçonniques (apprenti, compagnon, maître) sont directement inspirés des hiérarchies des corporations médiévales, où les apprenants progressaient dans leur maîtrise du métier.
Le mythe central de la construction du Temple de Salomon, tiré de l’Ancien Testament, est une métaphore de la construction intérieure de l’initié, un écho des bâtisseurs médiévaux qui voyaient leur travail comme une œuvre sacrée.
Analyse critique : Bien que la franc-maçonnerie moderne revendique une filiation directe avec ces corporations, cette transition de l’opératif au spéculatif est plus symbolique qu’historique. Les premières loges spéculatives (fin XVIIe siècle) incluaient des membres qui n’étaient pas maçons de métier, mais des intellectuels et des notables, suggérant que l’adoption des outils et des grades était davantage une réinvention romantique qu’une continuité stricte.
2. Les traditions bibliques et judéo-chrétiennes (Moyen-Orient, Antiquité)
Élément : Le Temple de Salomon, la légende d’Hiram Abiff, les références à la Bible. Provenance : Les textes de l’Ancien Testament (notamment le Premier Livre des Rois et le Deuxième Livre des Chroniques) et les traditions judéo-chrétiennes. Influence dans la franc-maçonnerie :
Le Temple de Salomon est au cœur du symbolisme maçonnique. Il représente l’idéal d’un édifice parfait, à la fois matériel et spirituel, que chaque maçon doit construire en lui-même. Les rituels maçonniques, notamment au grade de maître, s’articulent autour de la légende d’Hiram Abiff, l’architecte du Temple, assassiné par trois mauvais compagnons. Cette légende, bien que non présente dans la Bible, est une création maçonnique qui symbolise la quête de la vérité et la résurrection spirituelle.
Les “trois grandes lumières” de la franc-maçonnerie (le Volume de la Loi Sacrée, souvent la Bible, l’équerre et le compas) reflètent une influence judéo-chrétienne. Dans les loges traditionnelles, comme celles de la Grande Loge Unie d’Angleterre, la Bible est ouverte lors des tenues, et les serments sont prêtés sur ce livre.
Les colonnes Jachin et Boaz, qui encadrent l’entrée du temple maçonnique, sont directement tirées de la description du Temple de Salomon dans la Bible (1 Rois 7:21). Elles symbolisent la force et la stabilité.
Les références à la “voûte étoilée” (symbole de l’infini) et au “pavé mosaïque” (dualité du bien et du mal) s’inspirent également de l’imaginaire biblique.
Analyse critique : L’utilisation de la Bible et du Temple de Salomon dans la franc-maçonnerie n’est pas nécessairement religieuse, mais plutôt symbolique. La franc-maçonnerie n’est pas une religion, bien qu’elle ait été accusée de syncrétisme ou de “religion de substitution” par certaines institutions religieuses, comme l’Église catholique, qui y voit une concurrence spirituelle. La légende d’Hiram, bien qu’inspirée de la Bible, est une invention maçonnique du XVIIIe siècle, probablement pour enrichir le rituel et donner une profondeur mythique à l’initiation.
3. Les influences des Lumières et de la philosophie rationaliste (Europe, XVIIIe siècle)
Isaac Newton
Élément : Les idéaux de tolérance, de fraternité, de libre-pensée, et de progrès humain. Provenance : Les Lumières européennes, notamment en Angleterre et en France, au XVIIIe siècle. La franc-maçonnerie spéculative naît dans un contexte où les idées de John Locke, Isaac Newton, et des philosophes des Lumières (Voltaire, Montesquieu) prônent la raison, la tolérance, et l’émancipation de la pensée. Influence dans la franc-maçonnerie :
La franc-maçonnerie se définit comme une “association philosophique et philanthropique”, un espace où des hommes de différentes origines sociales et religieuses peuvent se rencontrer sans barrière dogmatique. Les Constitutions d’Anderson (1723), rédigées par James Anderson et Jean Théophile Désaguliers, insistent sur une “religion naturelle” ou “noachisme”, une croyance universelle en un Être Suprême sur laquelle tous les hommes peuvent s’accorder, sans imposer de dogme spécifique.
Les rituels maçonniques intègrent une “géométrie morale”, où des outils comme l’équerre (rectitude) et le compas (sagesse) deviennent des métaphores pour des vertus rationnelles et morales, en phase avec l’esprit des Lumières.
La franc-maçonnerie devient un lieu de débat philosophique et moral, comme en témoignent les tenues d’instruction du XVIIIe siècle en Angleterre, qui étaient centrées sur des discussions éthiques plutôt que sur des cérémonies formelles.
Analyse critique : Bien que la franc-maçonnerie se présente comme un espace de tolérance, cette universalité a ses limites. Les loges traditionnelles, comme celles de la Grande Loge Unie d’Angleterre, exigent une croyance en un Être Suprême, excluant les athées jusqu’au XXe siècle. En revanche, les loges libérales, comme le Grand Orient de France, ont évolué vers une approche adogmatique, acceptant les athées dès 1877, ce qui montre une tension entre l’idéal universaliste et les pratiques réelles.
4. Les traditions ésotériques et hermétiques (Europe et Moyen-Orient, Antiquité et Renaissance)
Élément : Les symboles géométriques, les références à l’hermétisme, et les hauts grades. Provenance : Les traditions ésotériques de l’Antiquité (Égypte, Grèce) et de la Renaissance européenne, notamment l’hermétisme, l’alchimie, et les courants néoplatoniciens. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les symboles géométriques, comme le triangle (représentant la trinité esprit-âme-corps ou la synthèse des dualités), le delta rayonnant (symbole de conscience ou du principe créateur), et les cercles (l’infini), sont inspirés des traditions hermétiques et néoplatoniciennes, qui voyaient dans la géométrie une clé pour comprendre l’univers.
Les hauts grades maçonniques, comme ceux du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), intègrent des éléments ésotériques. Par exemple, le grade de Chevalier Rose-Croix (18e degré du REAA) est imprégné de symbolisme chrétien ésotérique, avec des références à la Passion du Christ et à la résurrection, mais aussi à des concepts alchimiques comme la transformation intérieure.
L’influence de l’hermétisme est également visible dans la quête de “connaissance cachée” (gnose), un thème central de la franc-maçonnerie. Les rituels maçonniques, avec leurs initiations progressives, rappellent les mystères antiques (comme les mystères d’Eleusis en Grèce), où l’initié accède à des vérités cachées par étapes.
René Guénon, un penseur ésotérique du XXe siècle, a influencé certains maçons en proposant que les symboles maçonniques dérivent d’une “tradition primordiale” universelle, une idée séduisante mais spéculative.
Analyse critique : L’influence ésotérique est réelle, mais elle a été amplifiée au XVIIIe siècle pour donner à la franc-maçonnerie une aura de mystère et d’ancienneté. Les références à l’Égypte antique ou aux mystères grecs sont souvent des reconstructions romantiques plutôt que des continuités historiques. Par exemple, le lien avec les mystères d’Eleusis est plus symbolique que factuel, et les hauts grades ont été créés au XVIIIe siècle pour enrichir les rituels, pas pour refléter une tradition ancienne.
5. Les influences orientales : Chine et symbolisme universel (Chine, Antiquité)
Élément : L’équerre et le compas, le soleil et la lune, le yin et le yang. Provenance : La cosmogonie chinoise, notamment les figures mythiques de Fuxi et Nüwa, datant d’environ 2500 ans (dynasties des Han, 206 av. J.-C. – 220 ap. J.-C.). Influence dans la franc-maçonnerie :
Dans la mythologie chinoise, Fuxi (inventeur des trigrammes et de l’écriture) et Nüwa (créatrice qui répara la voûte céleste) sont souvent représentés tenant l’équerre et le compas. Fuxi utilise l’équerre pour définir les quatre orients de la terre (le carré, symbole de la stabilité), tandis que Nüwa trace les limites de la sphère céleste avec le compas (le cercle, symbole de l’infini). Cette dualité équerre/compas est centrale en franc-maçonnerie, où ces outils représentent l’équilibre entre la matière (carré) et l’esprit (cercle).
Le soleil et la lune, présents dans les temples maçonniques à l’Orient et à l’Occident, évoquent la dualité cosmique du yin et du yang, un concept chinois qui symbolise l’harmonie des opposés. En franc-maçonnerie, le soleil représente la connaissance et la vérité, tandis que la lune symbolise l’intuition et la réflexion.
Les trigrammes du Yijing (Livre des Mutations), attribués à Fuxi, trouvent un écho dans les motifs géométriques maçonniques, comme le pavé mosaïque (dualité noir/blanc) ou les triangles, qui symbolisent l’équilibre et l’unité.
Analyse critique : Bien que l’équerre et le compas soient des symboles universels, leur présence en Chine ancienne ne signifie pas une influence directe sur la franc-maçonnerie. Il s’agit plutôt d’une convergence symbolique : ces outils, utilisés par les bâtisseurs partout dans le monde, ont acquis des significations spirituelles similaires dans différentes cultures. L’idée d’une origine chinoise de la franc-maçonnerie, parfois évoquée, est plus spéculative qu’étayée historiquement. Cependant, le syncrétisme maçonnique permet d’intégrer ces concepts universels, comme le yin et le yang, dans une quête d’harmonie spirituelle.
6. Les influences chevaleresques et templières (Europe, Moyen Âge et XVIIIe siècle)
Les mystères du trésor des Templiers – Image générée par Intelligence Artificielle (IA)
Élément : Les grades chevaleresques, les symboles templiers (croix, épée). Provenance : Les ordres chevaleresques médiévaux, notamment les Templiers (XIIe-XIVe siècles), et leur réinvention au XVIIIe siècle dans les hauts grades maçonniques. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les hauts grades maçonniques, comme le grade de Chevalier Kadosh (30e degré du REAA), intègrent des éléments chevaleresques : l’épée (symbole de justice), la croix (symbole de sacrifice), et des serments de défense des valeurs morales. Ces grades s’inspirent de l’imaginaire des Templiers, un ordre militaire et religieux dissous en 1312, mais romantisé au XVIIIe siècle.
Le discours du chevalier Ramsay (1737), un maçon écossais, a introduit l’idée que la franc-maçonnerie descendait des croisades et des ordres chevaleresques, une affirmation plus mythique qu’historique.
Les rituels maçonniques incluent des notions d’esprit chevaleresque, comme la défense de la veuve et de l’orphelin, qui rappellent les idéaux des Templiers.
Analyse critique : Le lien entre la franc-maçonnerie et les Templiers est une construction du XVIIIe siècle, visant à donner à la franc-maçonnerie une ancienneté et une noblesse mythiques. Historiquement, il n’y a pas de continuité directe entre les Templiers et les loges maçonniques. Les grades chevaleresques ont été créés pour enrichir les rituels et répondre à un engouement pour l’imaginaire médiéval, mais ils ne reflètent pas une filiation réelle.
7. Les influences islamiques et soufies (Moyen-Orient, Moyen Âge)
Derviche Tourneur
Élément : La quête initiatique, les symboles de lumière et de connaissance. Provenance : Les traditions mystiques de l’Islam, notamment le soufisme, une voie spirituelle qui met l’accent sur la quête intérieure et la connaissance de Dieu. Influence dans la franc-maçonnerie :
La démarche initiatique maçonnique, avec ses étapes progressives (apprenti, compagnon, maître), rappelle les voies soufies, où l’initié progresse à travers des stations spirituelles (maqamat) pour atteindre la vérité divine.
Les symboles de lumière (le delta rayonnant, le soleil) et de connaissance (la recherche de la “parole perdue” dans le grade de maître) font écho aux thèmes soufis de l’illumination intérieure et de la quête de la vérité.
Des penseurs comme René Guénon, qui s’est converti au soufisme, ont influencé certains maçons en soulignant les parallèles entre la franc-maçonnerie et les traditions mystiques orientales.
Analyse critique : Bien que des similitudes existent entre la franc-maçonnerie et le soufisme, notamment dans leur approche initiatique, ces parallèles sont plus conceptuels qu’historiques. La franc-maçonnerie est née dans un contexte occidental chrétien, et les influences islamiques sont indirectes, souvent intégrées via des penseurs comme Guénon ou des maçons ayant voyagé en Orient. Cependant, la franc-maçonnerie a été mal accueillie dans de nombreux pays musulmans, où elle est parfois perçue comme une menace à l’orthodoxie religieuse.
8. Les influences grecques et égyptiennes (Antiquité)
Élément : Les mystères antiques, les symboles géométriques, le concept de “Grand Architecte de l’Univers”. Provenance : Les mystères d’Eleusis (Grèce antique) et les traditions égyptiennes, redécouvertes à la Renaissance et popularisées au XVIIIe siècle. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les rituels maçonniques, avec leurs initiations progressives et leurs épreuves symboliques, s’inspirent des mystères antiques, comme ceux d’Eleusis, où les initiés passaient par des étapes pour accéder à des vérités cachées.
Le concept de “Grand Architecte de l’Univers”, introduit dans les Constitutions d’Anderson (1723), évoque une divinité universelle et géométrique, proche des idées néoplatoniciennes et égyptiennes d’un principe créateur ordonnant le cosmos.
Les symboles égyptiens, comme l’œil (symbole de conscience) ou les pyramides (symbole d’élévation), apparaissent dans certains hauts grades, notamment dans le Rite de Memphis-Misraïm, qui revendique une filiation égyptienne.
Analyse critique : L’influence égyptienne et grecque est largement symbolique et spéculative. Les maçons du XVIIIe siècle, fascinés par l’Antiquité, ont intégré ces éléments pour enrichir leurs rituels et leur donner une profondeur historique, mais il n’y a pas de preuve d’une filiation directe. Le Rite de Memphis-Misraïm, par exemple, est une création du XIXe siècle, et non une continuation des mystères égyptiens.
9. Les influences alchimiques (Europe, Renaissance et XVIIe siècle)
Élément : La transformation intérieure, les symboles de purification (feu, eau). Provenance : L’alchimie européenne, qui cherchait à transformer le plomb en or, mais aussi à atteindre une transformation spirituelle de l’initié. Influence dans la franc-maçonnerie :
La quête maçonnique de “tailler sa pierre brute” (l’initié imparfait) pour en faire une “pierre cubique” (l’initié perfectionné) est une métaphore alchimique de la transmutation intérieure.
Les épreuves initiatiques, comme le passage par les éléments (eau, air, feu, terre) dans certains rituels, rappellent les processus alchimiques de purification.
Les hauts grades, comme le grade de Rose-Croix, intègrent des symboles alchimiques, comme la rose (symbole de régénération) et la croix (symbole de sacrifice et d’union des opposés).
Analyse critique : L’influence alchimique est réelle, mais elle a été amplifiée au XVIIIe siècle pour répondre à un engouement pour l’ésotérisme. Les parallèles entre l’alchimie et la franc-maçonnerie sont plus conceptuels qu’historiques, bien que certains maçons, comme Elias Ashmole (XVIIe siècle), aient été alchimistes.
10. Les influences celtiques et druidiques (Europe, Antiquité et XVIIIe siècle)
Druidesse avec sa serpe d’or
Élément : Les symboles de la nature, les rituels en plein air. Provenance : Les traditions celtiques et druidiques, redécouvertes et romantisée au XVIIIe siècle en Europe, notamment en Grande-Bretagne. Influence dans la franc-maçonnerie :
Certains rituels maçonniques, comme ceux du Rite Écossais Ancien et Accepté, incluent des références à la nature (arbres, soleil, lune), qui peuvent rappeler les traditions druidiques, où la nature était sacrée.
L’idée de se réunir “sous la voûte étoilée” (symbole de l’infini) évoque les pratiques druidiques de célébration en plein air.
Les banquets rituels aux solstices d’hiver et d’été, appelés “banquets d’ordre”, coïncident avec des fêtes celtiques traditionnelles.
Analyse critique : L’influence celtique est mineure et largement symbolique. Les maçons du XVIIIe siècle, influencés par le romantisme, ont intégré ces éléments pour renforcer l’idée d’une ancienneté mythique, mais il n’y a pas de preuve d’une filiation directe avec les druides.
Résumons-nous
La Franc-maçonnerie est un syncrétisme riche et complexe, qui a puisé dans de nombreuses traditions pour construire son univers symbolique et rituel :
Origines opératives : Les corporations médiévales européennes (outils, grades).
Traditions judéo-chrétiennes : La Bible, le Temple de Salomon, la légende d’Hiram.
Influences orientales : Symboles universels comme l’équerre et le compas (Chine, Fuxi et Nüwa), le yin et le yang, le soufisme.
Chevalerie : Templiers, grades chevaleresques.
Antiquité : Mystères grecs et égyptiens, concept du Grand Architecte.
Traditions celtiques : Nature, solstices.
Ce syncrétisme reflète la volonté de la franc-maçonnerie de s’enrichir de toutes les traditions spirituelles et philosophiques, tout en les réinterprétant dans une quête universelle de perfectionnement humain. Cependant, beaucoup de ces influences sont des reconstructions symboliques plutôt que des continuités historiques, ce qui montre que la franc-maçonnerie est autant une création de son époque (XVIIe-XVIIIe siècles) qu’un héritage des traditions anciennes.
Elle se décline à toutes les personnes avec tous les pronoms possibles de l’« accusation ». Qu’elle soit ou non assortie d’un « contenu ». Et la force de sa signification tient justement à ce qu’elle s’ancre dans une ferme volonté et se suffit à elle-même, au-delà de l’adverbe éventuel qu’on lui adjoint. Tout est dans le « en ». Ressentiment, regret. Dans sa forme pronominale, elle marque la souffrance de celui ou celle qui bat sa coulpe de l’échec de ses efforts. Et le désarroi ou la souffrance en sont d’autant plus intenses que la tentative est irrémédiable.
François Mauriac, avec une autodérision de bon aloi, s’évite les hématomes de la flagellation excessive :
« Je regrette mes péchés, mais je regrette plus encore ceux que j’eusse aimé commettre. »…
Je t’en veux !
L’acte de contrition étant rarement dans la nature humaine, il est si facile d’en vouloir à la terre entière de ses propres manques ou incompétences. D’où une rancoeur, une rancune, qui « rancit » l’être, ses relations avec les autres. Le mot n’a pas d’étymologie connue en latin. On le trouve comme tel en anglais et en allemand. Le beurre, la crème sont rances, leur douceur et leur onctuosité sont définitivement gâtées. Bons à jeter.
Alors on peste, on déteste. Avec une mauvaise foi qui s’enferre souvent dans une haine sans motif, qui touche à l’identité même de l’autre. Cette racine de tous les racismes, à commencer par l’antisémitisme. Je t’en veux d’être ce que tu es, de me renvoyer l’image de ce que je ne suis pas ou voudrais être. Et ferme est ma volonté de te nuire. Mais le repentir sincère est une denrée plutôt rare. Car il supposerait une lucidité pénible et l’acceptation de la peine subséquente.
Nos sociétés de la parole immédiate, dans l’impunité de son anonymat, n’éprouvent pas la nécessité de la repentance, de la lucidité qu’elle sous-tend. Le mal est fait, répandu comme une traînée de poudre sur le support médiatique, cautionné comme tel en dépit de sa fausseté manifeste. On passe à autre chose sans se retourner sur le tort causé, irrécupérable et ravageur.
Nos sociétés, et l’exemple vient du plus haut, courent ainsi le risque de sombrer dans une profonde amertume, dans le chaos des injustices ou des désillusions invoquées. Le fiel ronge insidieusement l’impossible tissu des relations. Entre la flagellation de soi et la haine de l’autre, ne pourrait-on pas glisser la relativisation par l’humour ?
L’Almanach du marin breton remet en autre perspective le regret éternel :
« Si tu veux savoir combien de gens te regretteront, plante ton doigt dans la mer, retire-le et regarde le trou. »
Un bon sens roboratif, n’est-ce pas ?
Annick DROGOU
De quoi t’en vouloir ?
Tu me dis que tu t’en veux. De quoi ? D’un oubli ? D’un rendez-vous manqué ? De m’avoir fait de la peine ? Du tort que tu ne voulais pas causer ? Du lait renversé ? Pourquoi t’en vouloir ?
À qui t’en prends-tu ? Serais-tu en colère contre toi-même ? Crains-tu qu’à mon tour je puisse t’en vouloir ? De quoi ? Crains-tu que je ne veuille plus vouloir, désirer, espérer, continuer notre doux commerce amical ? Je comprends bien que ce souci de toi est d’abord le souci de l’autre. « Je m’en veux », comme une simple formule qui veut dire « faites excuse », qui range tous les torts de ton côté, et semble indiquer que tu n’aurais pas été à la hauteur.
Oublie l’acte de contrition. « Je m’en veux », c’est une politesse et non une repentance. Heureuse expression qui dit notre civilité, qui clame surtout « ne m’en veux pas ». Nous avons besoin de ces mots pour désarmer, se comprendre mutuellement. « Je m’en veux » pour vouloir à nouveau le meilleur. Et conjuguons cela à tous les temps et sur tous les modes, « je m’en suis voulu », tout cela est derrière nous. « Je m’en voudrai » afin de rester en permanente courtoisie sur le chemin commun. Alors, ne t’en veux pas, et voulons, simplement ensemble. À l’impératif, un doux impératif comme le vélin soyeux d’une carte d’invitation, et pas un carton de condoléances. Sans regrets.
Dans les loges maçonniques, où le symbolisme règne en maître, le cigare s’est imposé au fil des siècles comme un compagnon discret mais puissant. Plus qu’un simple plaisir, il incarne une tradition qui mêle convivialité, méditation et héritage culturel. De ses origines historiques à son statut actuel, en passant par les défis posés par les interdictions du tabac, cette pratique révèle une facette méconnue de la franc-maçonnerie, entre ombre et lumière. Plongeons dans cette histoire fascinante, où la fumée du cigare dessine des ponts entre le passé et le présent.
I. Aux origines : une tradition née dans la fumée
Jean Nicot
La Franc-maçonnerie, née au tournant du XVIIe siècle en Écosse et en Angleterre, s’est construite sur le mythe de la fondations des corporations de bâtisseurs médiévaux, avant de devenir une société spéculative vouée à la quête philosophique et à la fraternité. Si les outils des maçons opératifs – équerre, compas, maillet – sont devenus des symboles, le cigare, lui, a émergé comme un rituel informel, lié aux moments d’échange et de réflexion.
Ridolfo del Ghirlandaio – Portrait de Christophe Colomb (1520)
Le tabac arrive en Europe dès le XVIe siècle, grâce aux explorations de Christophe Colomb, qui rapporte des feuilles de cohiba fumées par les Taïnos des Caraïbes. En France, Jean Nicot popularise son usage au point de lui donner son nom : la nicotine. Mais c’est au XVIIIe siècle que le cigare, raffiné par les artisans de Séville à partir de tabac cubain, s’impose comme un marqueur social. Les loges maçonniques, alors en plein essor sous l’influence des Lumières, adoptent ce symbole de distinction et de contemplation. « Le cigare, avec sa combustion lente et sa fumée enveloppante, offrait un contrepoint aux débats ardents des tenues », note l’historien Pierre Mollier, spécialiste de la franc-maçonnerie française.
Les Constitutions d’Anderson (1723), texte fondateur de la maçonnerie spéculative, ne mentionnent pas le tabac. Pourtant, les archives des loges britanniques du XVIIIe siècle révèlent des commandes régulières de tabac à priser ou à fumer, souvent consommé lors des agapes – ces repas fraternels qui prolongent les travaux en loge. Avec l’essor des « smoking rooms » dans les clubs gentlemen de Londres, le cigare devient un attribut des élites, y compris maçonniques. En France, sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), il symbolise la bourgeoisie triomphante, un profil fréquent parmi les maçons de l’époque.
II. Le cigare comme rite : principes et symbolisme
Échantillon de cigares (Crédit : Dan Smith)
Dans la Franc-maçonnerie, rien n’est anodin. Si le cigare n’est pas un symbole officiel au sens des trois grades fondamentaux (Apprenti, Compagnon, Maître), il s’est intégré aux pratiques informelles avec une profondeur insoupçonnée. Pour les amateurs, fumer un cigare lors des agapes ou dans les « salles humides » – espaces de détente après les tenues – est une expérience méditative. « La lenteur de la combustion invite à la patience, une vertu maçonnique par excellence », explique un Maître maçon du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA), sous couvert d’anonymat.
Le cigare partage des parallèles troublants avec les outils maçonniques. Sa coupe précise évoque l’équerre, son allumage maîtrisé rappelle le feu sacré du temple de Salomon, et sa fumée ascendante peut être vue comme une métaphore de l’élévation spirituelle. Certains hauts grades, comme le 18e degré du REAA (Chevalier Rose-Croix), intègrent des références au feu et à la purification, que des maçons ont associées au rituel du cigare. « C’est une alchimie personnelle : transformer une feuille brute en un moment de sagesse », confie un membre de la Grande Loge de France amateur de cigare (GLDF).
Historiquement, le cigare a aussi renforcé la fraternité. Au XIXe siècle, les loges militaires françaises, héritières des campagnes napoléoniennes, adoptaient le « banquet d’ordre », un repas rituel où le cigare trônait aux côtés des « barriques » (bouteilles). Cette tradition, encore vivace dans certains rites, souligne l’idée d’un partage égalitaire : un bon cigare, comme la parole, circule entre Frères.
III. Les amateurs de cigares : une passion maçonnique
Les maçons amateurs de cigares forment une sous-culture au sein de l’ordre. Dès le XIXe siècle, des figures comme Winston Churchill – maçon notoire et fumeur légendaire – ont incarné ce lien. En France, des personnalités maçonniques comme Jules Ferry ou Victor Schoelcher, bien que leur goût pour le cigare ne soit pas toujours documenté, évoluaient dans des cercles où il était omniprésent. Aujourd’hui, les amateurs se retrouvent dans des cercles informels, parfois appelés « fraternelles », où ils échangent sur les arômes du Cohiba ou du Montecristo tout en discutant philosophie.
« Le cigare n’est pas une addiction, c’est un art », affirme Paul, 55 ans, membre du Grand Orient de France (GODF). Ces passionnés valorisent la qualité sur la quantité, privilégiant les cigares roulés main aux cigarillos industriels. Des marques cubaines ou dominicaines dominent leurs préférences, reflétant un héritage colonial que la maçonnerie, par son universalisme, a su transcender. Les agapes deviennent alors des « dégustations initiatiques », où le choix du cigare – son terroir, sa puissance – reflète la personnalité du fumeur.
IV. État actuel : la France et le monde
En France, la franc-maçonnerie compte environ 170 000 membres répartis entre des obédiences comme le GODF (50 000 membres), la GLDF (35 000) et la GLNF (35 000), selon des estimations de 2024. Si la tradition du cigare perdure, elle est moins systématique qu’au siècle dernier. « Dans ma loge, à Paris, on fume encore après les tenues, mais c’est rare en province », rapporte un Frère de la GLDF. Les agapes restent un espace privilégié, mais les interdictions du tabac ont relégué la pratique à des lieux extérieurs ou privés.
À l’échelle mondiale, le cigare conserve une aura particulière dans les pays anglophones. Aux États-Unis, où la franc-maçonnerie revendique près de 1 million de membres, les loges conservatrices (affiliées à la United Grand Lodge of England) maintiennent des « cigar nights » comme événements sociaux. À Cuba, berceau du cigare, la maçonnerie, bien que discrète sous le régime castriste, a historiquement lié le tabac à la lutte anticoloniale, un héritage que les exilés tabaqueros ont exporté en Floride.
En Afrique francophone, où la maçonnerie prospère (notamment au Sénégal et en Côte d’Ivoire), le cigare est moins répandu, remplacé par des traditions locales. Claude Wauthier, dans Le Monde diplomatique (1997), soulignait déjà l’adaptation des rites maçonniques aux cultures africaines, où le tabac à priser prédomine.
V. L’impact des interdictions du tabac
Simone Veil (Crédit : Marie-Lan Nguyen)
Depuis la loi Veil de 1976, qui restreint le tabac dans les transports publics, la France a durci sa législation. La loi Évin (1991) puis le décret de 2007 ont interdit de fumer dans les lieux publics clos, y compris les temples maçonniques lorsqu’ils sont accessibles au public. En 2023, l’interdiction s’est étendue aux plages et aux abords des écoles, et les amendes atteignent 450 € pour les fumeurs, 750 € pour les propriétaires de lieux en infraction.
Ces restrictions ont bouleversé la tradition maçonnique. « Avant, on allumait nos cigares dans la salle humide sans se poser de questions. Aujourd’hui, on sort sur le trottoir, comme des parias », déplore un maçon lyonnais. Certaines loges ont adapté leurs locaux avec des terrasses ou des fumoirs privés, mais cela reste coûteux. Le musée du Fumeur à Paris, qui célèbre l’histoire du fumer, note une chute de fréquentation depuis les bans, reflétant une stigmatisation croissante.
À l’international, des pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis offrent plus de souplesse via des clubs privés, mais la tendance mondiale est à la restriction. L’Organisation mondiale de la santé (OMS), via la Convention-cadre pour la lutte antitabac (2005), dont la France est signataire, pousse cette dynamique. Pour les maçons, c’est un dilemme : préserver une tradition ou s’aligner sur les normes sanitaires ?
VI. Une flamme vacillante mais tenace
La tradition du cigare dans la franc-maçonnerie n’est pas morte, mais elle se transforme. Les amateurs insistent sur sa noblesse – « fumer moins, mais mieux », comme le prônait Tigrane Hadengue, conservateur du musée du Tabac en 2007. Face aux interdictions, certains envisagent des alternatives, comme les cigares électroniques, bien que leur froideur mécanique peine à remplacer la chaleur du rituel.
« Le cigare, c’est un lien avec nos Frères d’hier », conclut un vénérable maître du GODF. Entre héritage et modernité, cette pratique illustre la capacité de la maçonnerie à s’adapter sans renier ses racines. Dans la pénombre des loges, la fumée continue de danser, fragile mais vivante, comme une étoile flamboyante dans la nuit initiatique.
Visitez ce site de cigares maçonniques :
Sources :
Los Angeles Times, « Keeping a French tradition », 30 décembre 2007.
Mollier, Pierre, Histoire de la franc-maçonnerie française, Perrin, 2015.
Wauthier, Claude, « L’étrange influence des francs-maçons en Afrique francophone », Le Monde diplomatique, septembre 1997.
Les agapes (du grec agapê, qui signifie “amour fraternel” ou “charité”) désignent un repas rituel partagé par les francs-maçons après une tenue. Ce moment est considéré comme une extension de la réunion maçonnique, un espace où les frères (et parfois les sœurs, dans les obédiences mixtes) prolongent leur travail spirituel et symbolique dans un cadre fraternel. Les agapes ne sont pas un simple banquet : elles sont encadrées par des règles précises, des toasts rituels, et une atmosphère empreinte de symbolisme.
Dans la franc-maçonnerie, les agapes ont plusieurs fonctions :
Ritualiser le partage : Les agapes sont souvent accompagnées de toasts spécifiques, comme le “toast à la santé des frères” ou le “toast à l’humanité”, qui rappellent les valeurs maçonniques.
Renforcer la fraternité : Elles incarnent l’idéal d’égalité et de communion entre les membres, qui partagent le pain et le vin dans un esprit d’unité.
Prolonger le travail symbolique : Les discussions lors des agapes, bien que plus informelles, restent souvent centrées sur des thèmes maçonniques (éthique, philosophie, symbolisme).
2. Origine historique des agapes dans la franc-maçonnerie
a. Les premières loges spéculatives (XVIIe-XVIIIe siècles, Grande-Bretagne)
Les agapes maçonniques trouvent leur origine dans les pratiques des premières loges spéculatives, qui émergent en Grande-Bretagne à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle. À cette époque, la franc-maçonnerie passe d’une organisation opérative (composée de maçons bâtisseurs) à une organisation spéculative (composée d’intellectuels, de nobles, et de bourgeois). Les réunions maçonniques se tenaient souvent dans des tavernes ou des auberges, comme la taverne Goose and Gridiron à Londres, où la Grande Loge de Londres est fondée en 1717.
Pratique des banquets dans les tavernes :
Les loges de l’époque, comme la loge de Saint-Paul, se réunissaient dans des lieux publics où il était courant de partager un repas après les travaux. Ces repas, appelés “table lodges” (loges de table), étaient un prolongement naturel des réunions. Les Constitutions d’Anderson (1723), un texte fondamental de la franc-maçonnerie moderne, mentionnent ces repas comme une pratique courante, bien qu’ils ne soient pas encore formalisés comme un rituel.
Les toasts portés lors de ces repas, comme le toast au roi ou à la Grande Loge, reflétaient les usages sociaux de l’époque, mais ils ont évolué pour inclure des toasts maçonniques spécifiques, comme le toast “à tous les maçons, où qu’ils soient sur la surface de la terre”.
Influence des guildes médiévales :
Les corporations de maçons opératifs, qui précèdent la franc-maçonnerie spéculative, avaient pour habitude de célébrer des banquets lors des grandes fêtes (comme la Saint-Jean, patron des maçons). Ces repas étaient des moments de cohésion sociale, où les membres partageaient nourriture et boisson pour renforcer leurs liens. La franc-maçonnerie spéculative a hérité de cette tradition, mais l’a transformée en un rituel symbolique.
b. Formalisation des agapes au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, avec l’expansion de la franc-maçonnerie en Europe (notamment en France), les agapes deviennent un rituel plus structuré. Les loges françaises, influencées par les usages britanniques mais aussi par la culture gastronomique locale, commencent à codifier les agapes :
Les repas sont organisés selon un protocole précis, avec un “maître des agapes” (souvent le Second Surveillant) chargé de diriger le banquet.
Les toasts rituels, comme le “coup de canon” (toast accompagné d’un geste symbolique), deviennent une partie intégrante des agapes.
Les agapes sont parfois appelées “banquet d’ordre”, notamment lors des tenues solennelles comme les fêtes de la Saint-Jean d’été (24 juin) et d’hiver (27 décembre), qui coïncident avec les solstices.
3. Influences spirituelles et culturelles des agapes
Les agapes maçonniques ne sont pas simplement un héritage des banquets médiévaux ou des tavernes britanniques. Elles s’inspirent de traditions spirituelles et culturelles plus anciennes, qui leur confèrent une profondeur symbolique.
a. Les agapes chrétiennes (Antiquité, tradition judéo-chrétienne)
Origine : Le terme “agapes” vient du grec agapê, qui signifie “amour fraternel” ou “charité”. Dans les premières communautés chrétiennes (Ier-IIe siècles), les agapes étaient des repas communautaires où les fidèles partageaient le pain et le vin dans un esprit d’amour et de communion, souvent avant ou après l’Eucharistie. Ces repas, décrits dans les Actes des Apôtres (2:46) et les épîtres de Paul (1 Corinthiens 11:20-34), étaient un moment de fraternité et de charité. Influence dans la franc-maçonnerie :
La franc-maçonnerie, née dans un contexte judéo-chrétien, a repris le terme “agapes” pour désigner ses repas fraternels, en y associant l’idée d’amour fraternel et d’égalité. Bien que la franc-maçonnerie ne soit pas une religion, elle emprunte ce concept pour souligner l’importance de la communion entre les frères.
Le partage du pain et du vin lors des agapes maçonniques évoque symboliquement l’Eucharistie chrétienne, bien que le sens soit différent : dans la franc-maçonnerie, il s’agit d’un acte de fraternité, et non d’un sacrement religieux.
Les toasts rituels, comme le toast “à la santé des frères”, rappellent les bénédictions prononcées lors des agapes chrétiennes.
Analyse critique : L’influence chrétienne est évidente dans le choix du terme “agapes”, mais la franc-maçonnerie a sécularisé cette pratique. Les agapes maçonniques ne sont pas un rituel religieux, et leur symbolisme est universel, ce qui permet à des maçons de différentes croyances (ou sans croyance) de participer.
b. Les banquets philosophiques grecs (Antiquité, Grèce)
Origine : Dans la Grèce antique, les banquets ou symposia étaient des repas où les participants partageaient vin, nourriture, et discussions philosophiques. Ces banquets, décrits par Platon dans Le Banquet ou par Xénophon dans son Symposium, étaient des moments d’échange intellectuel et spirituel, où l’on débattait de sujets comme l’amour, la justice, ou la vérité. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les agapes maçonniques s’inspirent de cette tradition grecque en tant que moment de partage intellectuel et fraternel. Les discussions lors des agapes, bien que moins formelles que celles des tenues, portent souvent sur des thèmes maçonniques (symbolisme, éthique, philosophie).
Le vin, élément central des agapes maçonniques, rappelle le rôle du vin dans les symposia grecs, où il était associé à la convivialité et à l’inspiration. Dans la franc-maçonnerie, le vin symbolise la joie et la fraternité, mais il est consommé avec modération, conformément aux valeurs maçonniques de mesure et de tempérance.
Les toasts rituels, comme le “coup de canon”, peuvent être vus comme une réinterprétation des libations grecques, où l’on offrait du vin aux dieux avant de boire.
Analyse critique : L’influence grecque est plus conceptuelle qu’historique. Les maçons du XVIIIe siècle, influencés par le renouveau classique et les Lumières, ont intégré des éléments des symposia grecs pour enrichir leurs rituels, mais il n’y a pas de filiation directe. Cette influence reflète l’aspiration de la franc-maçonnerie à se connecter à des traditions intellectuelles anciennes.
c. Les traditions celtiques et les fêtes des solstices (Europe, Antiquité)
Origine : Les traditions celtiques, notamment les fêtes des solstices d’été et d’hiver, étaient marquées par des banquets communautaires où l’on partageait nourriture et boisson pour célébrer les cycles de la nature. Ces fêtes, comme le solstice d’été (Litha) ou le solstice d’hiver (Yule), étaient des moments de communion et de renouvellement. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les agapes maçonniques lors des fêtes de la Saint-Jean d’été (24 juin) et d’hiver (27 décembre), qui coïncident avec les solstices, s’inspirent de ces traditions celtiques. La Saint-Jean est une fête chrétienne (Saint Jean-Baptiste et Saint Jean l’Évangéliste), mais elle a des racines païennes liées aux solstices.
Les banquets d’ordre lors des solstices sont des moments où les maçons célèbrent la lumière (solstice d’été) et le retour de la lumière (solstice d’hiver), des thèmes qui résonnent avec le symbolisme maçonnique de la lumière spirituelle.
Le partage de nourriture lors des agapes évoque les banquets celtiques, où la communauté se réunissait pour renforcer ses liens.
Analyse critique : L’influence celtique est indirecte et symbolique. Les maçons du XVIIIe siècle, influencés par le romantisme et l’intérêt pour les traditions anciennes, ont intégré ces éléments pour donner à leurs rituels une profondeur mythique. Cependant, la coïncidence des fêtes de la Saint-Jean avec les solstices est plus une réinterprétation qu’une filiation directe.
d. Les influences orientales et soufies (Moyen-Orient, Moyen Âge)
Origine : Dans les traditions soufies (mystique islamique), les repas communautaires, souvent appelés dastarkhān (tableau de partage), étaient des moments de communion spirituelle où les derviches partageaient nourriture et poésie pour célébrer l’amour divin. Influence dans la franc-maçonnerie :
Les agapes maçonniques, en tant que moment de partage fraternel, présentent des parallèles avec les repas soufis, où l’acte de manger ensemble est un acte d’amour et d’unité spirituelle.
Les toasts rituels, qui rythment les agapes maçonniques, peuvent être comparés aux bénédictions ou aux poèmes récités lors des repas soufis, qui visent à élever l’âme.
L’idée de “communion” dans les agapes maçonniques résonne avec les concepts soufis d’unité et de fraternité universelle.
Analyse critique : L’influence soufie est plus conceptuelle qu’historique. La franc-maçonnerie, née dans un contexte occidental, n’a pas été directement influencée par le soufisme, mais des penseurs comme René Guénon, qui s’est converti au soufisme, ont souligné ces parallèles au XXe siècle. Ces similitudes reflètent le caractère syncrétique de la franc-maçonnerie, qui intègre des concepts universels d’amour fraternel.
4. Symbolisme des agapes dans la franc-maçonnerie
Les agapes ne sont pas un simple repas : elles sont chargées de symbolisme, qui reflète les influences spirituelles et culturelles mentionnées ci-dessus :
Le pain et le vin : Symboles universels de partage et de communion, ils évoquent l’Eucharistie chrétienne, les symposia grecs, et les repas soufis. Dans la franc-maçonnerie, ils représentent la fraternité et la joie partagée.
Les toasts rituels : Les toasts, comme le “coup de canon”, sont des moments de célébration et de bénédiction, qui rappellent les libations grecques et les bénédictions chrétiennes. Chaque toast (au Vénérable Maître, aux officiers, à l’humanité) est une affirmation des valeurs maçonniques.
La table comme autel : La table des agapes est souvent disposée en U ou en rectangle, symbolisant l’égalité entre les frères. Elle est parfois vue comme un “autel profane”, un prolongement de l’autel sacré de la loge.
Les éléments naturels : Les agapes intègrent parfois des références aux quatre éléments (eau, vin, pain, sel), qui symbolisent l’harmonie cosmique et rappellent les traditions alchimiques et celtiques.
5. Évolution des agapes dans la franc-maçonnerie moderne
Au fil du temps, les agapes ont évolué pour s’adapter aux contextes culturels et sociaux :
En France : Les agapes sont souvent marquées par la tradition gastronomique française, avec des repas élaborés et des vins soigneusement choisis. Les loges françaises, comme celles du Grand Orient de France, mettent l’accent sur la convivialité et les discussions philosophiques.
En Grande-Bretagne : Les agapes, appelées “festive board”, restent plus formelles, avec des toasts codifiés et une atmosphère solennelle.
Dans les obédiences mixtes ou libérales : Les agapes sont parfois ouvertes à des non-maçons (amis, conjoints), reflétant une approche plus inclusive.
Dans les loges féminines : Les agapes peuvent inclure des éléments spécifiques, comme des toasts à la sororité, tout en conservant les traditions maçonniques.
Les agapes dans la franc-maçonnerie ont une origine multiple, mêlant des influences historiques et spirituelles :
Origine pratique : Les banquets des tavernes britanniques (XVIIe-XVIIIe siècles) et des corporations médiévales.
Influence chrétienne : Les agapes des premières communautés chrétiennes, avec leur idéal d’amour fraternel.
Influence grecque : Les symposia philosophiques, où le partage de nourriture et de vin était un acte intellectuel et spirituel.
Influence celtique : Les fêtes des solstices, qui ont inspiré les banquets d’ordre de la Saint-Jean.
Influence soufie : Les repas communautaires comme moments de communion spirituelle.
Ces influences ont été réinterprétées pour créer un rituel unique, qui prolonge le travail maçonnique dans un cadre fraternel et symbolique. Les agapes sont un exemple parfait du syncrétisme maçonnique, qui puise dans des traditions diverses pour construire une pratique universelle, centrée sur la fraternité, la réflexion, et l’harmonie. Si tu souhaites approfondir un aspect spécifique, comme les toasts rituels ou les agapes dans une obédience particulière, fais-le-moi savoir !