dim 07 décembre 2025 - 03:12
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Le journalisme en Franc-maçonnerie | Sous le Bandeau | Épisode #90

Dans cet épisode de Sous le Bandeau, Franco Huard reçoit Franck Fouqueray, fondateur de 450.fm, le média francophone dédié à la Franc-maçonnerie le plus suivi. Ensemble, ils explorent un sujet rarement abordé : le journalisme maçonnique et ses défis.

Franck Fouqueray partage son expérience de terrain. Avec 210 000 lecteurs et 38 000 newsletters envoyées chaque matin, 450.fm est devenu un acteur incontournable de l’information maçonnique. Mais cette liberté éditoriale a un prix : pressions des obédiences, critiques de certains frères et sœurs, et parfois même des poursuites judiciaires.

Au fil de la conversation, les deux hôtes abordent la structure des grandes obédiences françaises, les enjeux de pouvoir liés à l’immobilier maçonnique, et l’omerta qui règne encore dans certains milieux. Franck explique pourquoi le journaliste n’est jamais vraiment aimé en maçonnerie, et comment 450.fm a choisi l’indépendance totale : pas de publicité, pas d’annonceurs, uniquement des bénévoles.

L’épisode revient également sur l’affaire de la loge Athanor, cette loge française dont plusieurs membres sont accusés de meurtres, et sur ce que cela révèle des failles dans les processus d’enquête des candidats.

En fin d’émission, Franco présente son projet Logia 360, un logiciel de gestion complète pour les loges maçonniques actuellement en développement.

Un épisode essentiel pour comprendre les coulisses de l’information dans le monde maçonnique.

Une approche de la Kabbale

Q.Q.O.Q.C.C.P.

Qui, Quoi, Où, Quand, Comment, Combien ? Pourquoi.
Ces sept questions scolastiques permettent d’examiner la quasi-totalité des problèmes humains. Nous tâcherons de répondre à la plupart de ces questions dans l’exposé forcément élémentaire présenté ici !

Le but principal de cet exposé est de donner envie aux lecteurs d’approfondir par eux-mêmes ce sujet qui exige de nombreuses définitions, de longs développements sans pour cela que le fonds soit très complexe tout en ayant une forme et une histoire compliquées par la superposition d’une chronologie de plusieurs siècles, d’une vaste étendue géographique du Moyen Orient à l’Europe, et de l’usage d’idiomes, de concepts, de logiques et d’alphabets très divers.

         Il n’y a pas de voyelles en hébreu, et le mot K’b’l’ qui caractérise ce qu’a vécu Moïse sur le Mont Sinaï est un verbe signifiant « révélation » ou « réception ». Il s’agit à la fois de la réception d’un message, du message reçu et de celui qui a reçu le message. Le récipiendaire est donc constitué en tant que constituant potentiel du message reçu.

         Dans notre corpus maçonnique le terme « initiation » semble le plus approchant dans ses diverses acceptions.

         Une nouvelle histoire commence, une construction nouvelle est entreprise         

La Kabbale est apparue au XII ème siècle de notre ère dans les communautés juives de Provence, Languedoc et Catalogne, avec des pointes vers la Castille et l’Aragon d’une part, et le bassin méditerranéen à partir de 1492, date de l’expulsion des Juifs d’Espagne. Un retour en Israël et en Égypte se produit et de solides écoles y sont fondées avec une diaspora vers le nord de l’ Europe, Allemagne, Pologne, Ukraine, et Pays Baltes.

         C’est à cause de l’Exode que les kabbalistes ont réuni leurs enseignements secrets pour passer d’une Tradition orale dont la fiabilité était reconnue et prouvée à une Tradition scripturaire plus sensible aux variations, ajustements et commentaires ainsi qu’aux déviations et biais idiomatiques.

         La Kabbale, telle que nous pouvons la percevoir aujourd’hui, résulte de deux mouvements opposés dans la chronologie : une phase de coagulation et cristallisation et une phase de dispersion et dissertation, chaque groupe alors différenciant un courant spécifique à partir de 1500 environ.

         La Kabbale établit ses théories scrupuleusement non-dogmatiques à partir de trois livres principaux dont la rédaction s’étend sur quasiment deux millénaires.

         Les noms donnés à ces livres sont des acronymes évoquant leurs parties constituantes

         Le premier est le TaNaKh :

T comme Thora-Chebiktav, Loi de Moïse, écrite, que nous nommons « Pentateuque » faite de cinq livres composant la ThoRa

  Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome.

N comme  NéViiM, comportant les Vingt-et-un livres des Prophètes et Juges.

K comme KéTouViM, comportant les treize livres des écrits dits « Hagiographiques » qui relatent les faits et gestes marquants du peuple juif.

         Le deuxième est le TaLMuD, ou ThoRa-ChéBéaL-Pé qui fut à l’origine un enseignement exclusivement oral dit « Acroamatique » car réservé à une élite d’initiés ; l’exode poussa les rabbins à l’écrire pour ne point risquer d’abolir la Loi par des oublis ou des erreurs.

         Le TaLMuD est composé de deux parties :

la MiCHNa, partie invariable qui reflète la Loi et les Prescriptions ;

la GuéMaRa, qui se présente sous deux versions :

                   Celle de Jérusalem, datant de 380 après J.C.

                   Celle de Babylone, élaborée entre 376 et 500 après J.C.

         Rappelons l’oralité des premiers temps, l’écriture manuelle de 1492 et après, et enfin l’impression à Venise et Mantoue en 1523 assortie de deux commentaires :

                   celui de RACHI (Rabbi Chlomo Ytzakhi qui vécut en Champagne entre 1050 et 1120)

                   et celui des Tossafistes (de tossafot signifiant « additions ») groupe d’auteurs ayant écrit en France, Angleterre et Allemagne aux XII ème et XIII ème siècles. Pour être complet notons que le Talmud ainsi lu comporte deux catégories de textes :

                   une partie juridique de droits civils et religieux, c’est la HaLaKah, ou « cheminement » ;

                   une partie comportant homélies, prédications, exégèses, données scientifiques et symboliques, c’est la Aggada, ou « le dire » contenant donc les Aggadot.

         Ces deux parties ne sont pas étanches ; dans le Aggada il y a toujours une perspective juridique, dans la Halakah, il y a toujours une connotation scientifique ou exégétique.

         Le troisième livre est le Zohar, qui est une œuvre pseudépigraphique attribuée donc à un auteur mythique par son auteur réel,Moïse de Léon qui – au cœur de la Castille – le rédigea en araméen entre 1240 et 1305, et l’attribua au Rabbin Siméon Bar Yochaï et à son fils qui vécurent reclus dans des grottes en Israël pendant 13 ans au II ème siècle de notre ère, lors de la répression romaine. Cette attribution est un hommage manifestant la continuité de la Tradition.

         Deux courants principaux irriguent donc la Kabbale :

                   Le courant théosophique, le plus abondant, apparu au XII ème siècle en Languedoc et à Gérone ; représenté par Isaac el Ciego et Nahmanide. L’exode du XVI ème siècle fit migrer Moïse Cordovero en Israël ; il fonde à Safed une école où se distingue Isaac Louria qui réinterprète en quelques années le Zohar et l’ensemble des textes fondateurs, créant ainsi la « Kabbale lourianique ».

         L’influence néoplatonicienne de Maïmonide s’unit aux espérances messianiques et apocalyptiques issues des textes anciens post-exiliens contemporains de la destruction du premier Temple en 580 avant J.C.

                   Nous noterons la vision d‘Ezéchiel du char divin ou Merkaba, le livre d’Enoch, les prophéties d’ Elie le premier, qui donnent une extrême complexité à cette topographie du divin où les uns cherchent par la raison, et les autres par le sentiment ou l’intuition à atteindre leur vie intérieure afin d’y rencontrer l’idée de Dieu ! (Freud saura s’en souvenir!)

         L’autre courant est le courant prophétique, né en 1270, représenté par Aboulafia à Saragosse. Il centre tout sur l’Homme, et considère que l’expérience mystique est le but suprême ; c’est la Kabbale extatique où, après de nombreux exercices et une longue ascèse, on obtient d’être en présence de Dieu lors de ce que nous nommerions aujourd’hui « un état modifié de conscience ». Les soufis musulmans, les hésychastes chrétiens, les disciples de Saint Ignace de Loyola et ses « exercices spirituels »et Sainte Thérèse d’Avila ou Angèle Foligno usent de techniques similaires et prétendent à des résultats identiques ; Georges Bataille, dans « L’expérience intérieure » définit ainsi une spiritualité athée – voire « athéistique » – en rapprochant l’extase de la crise comitiale affectant le cerveau lors de l’orgasme sexuel ou lors d’une souffrance extrême qui inonde le cerveau d’endorphines et d’ocytocine.

Franz Kafka en1923

         Un troisième courant, magique et théurgique, est de moindre importance, c’est le Sabatianisme ; apparu en 1660, il s’acheva catastrophiquement en apostasie ; il subsiste encore, caché et profondément modifié soit dans une pratique populaire de voyance et de guérisseurs, soit dans des fictions romanesques telles « le Golem » de Gustav Meyrink, ou « Le Baphomet » de Pierre Klossowski de Rolla, soit encore dans les gravures de Alfred Kubin, ami de Franz Kafka. Les occultistes actuels, sans même le savoir, usent, mésusent et abusent des pseudo-enseignements de cette Kabbale pervertie … hélas celle-là seule qui est prétendument « dévoilée » par une presse en manque de tirages !

         Pour être complet, il faut évoquer le Hassidisme qui est caractérisé par deux périodes distinctes en deux aires distinctes.

                   Le Hassidisme médiéval allemand tout d’abord, qui se développe entre 1150 et 1250 ; il se démarque un peu des spéculations abstraites théosophiques et mystiques pour donner un ensemble de règles de vie conduisant à un idéal humaniste d’un type d’Homme accompli selon la Loi, certes, mais aussi selon les contraintes du temps, des lieux, des autres religions.

                   Le Hassid Ashkénaze d’Allemagne est un homme pieux dont la Foi mystique est soutenue par l’observance des règles purement religieuses ; ascétisme, renoncement et altruisme en sont les Maîtres Mots.

         Cet homme fait l’hypothèse d’une « après-vie » dans laquelle – grâces à ses vertus – il verra la Gloire de Dieu et ainsi vivra parmi les Anges.

         Il est convaincu de l’efficience magique des formules, mais proclame sa méfiance de l’orgueil de la possession de ces pouvoirs ; on comprend très bien que des dérives hérétiques eurent lieu … humain ! Trop humain !

Kabbale de la misère provoque souvent les misères de la Kabbale !

                   Le Hassidisme polonais & ukrainien n’a aucun rapport avec le précédent ; il est apparu aux XVIII & XIX èmes siècles.

         Israël Baal Shem Tov en est le fondateur et la figure emblématique décédé en 1760.

         Les éléments messianiques sont réduits à la portion congrue par une extrême défiance quant au mélange trop démobilisant des vues apocalyptiques et des phantasmes mystiques.

         La théorie de l’exil, où il est dit qu’il est plus utile de servir Dieu hors de Palestine que de l’adorer en Palestine, fait accepter des situations dont nous connaissons les atroces conséquences, encore de nos jours où la Bête s’agite et tente de mordre ou d’égorger !

         Les enseignements sont diffusés sous forme de contes, d’anecdotes et de récits dont on peut reconnaître une très lointaine parenté avec la « Légende dorée » de Jacques de Voragine.

         Les histoires décrivent les pratiques et actes quotidiens qui établissent une relation avec Dieu l’Éternel.

         Il y a prépondérance de la Parole vers Dieu et de l’Action vers les Hommes pour manifester en synergie une Foi vivante.

         La Kabbale intellectuelle semble bien loin, mais nous y revenons incontinent en parlant de ces concepts et mots que vous attendez tous et qui constituent le fonds de commerce ésotérique à la FNAC ou chez AMAZON !

         Les temps, les lieux, les hommes étant posés, voyons maintenant quel est le travail du kabbaliste, quelles sont ses méthodes.

                   Le kabbaliste définit 4 niveaux de lecture ou compréhension pour un même texte.

         Le premier niveau est le PSCHAT. C’est le sens littéral qui respecte la logique narrative ; il est lisible et compris par tous comme s’il s’agissait d’un roman historique édifiant ; ce sens est donc accessible aux commentaires grammaticaux, philologiques, historiques, moraux et philosophiques.

         Le deuxième niveau est le REMEZ. C’est le sens allusif ; il est présent dans le texte mais ne se dégage qu’après associations d’idées ; il est lisible comme le serait une poésie ou une allégorie : par métaphores et antonomases, ou des syllepses jouant sur la polysémie, qui sont tournures rhétoriques ; le commentaire est interprétatif, la logique peut être tournée ou contournée par des contrastes voulus ou du « non-sense », les données spatio-temporelles sont parfois bousculées !

         Le troisième niveau est le DRACH. C’est le sens sollicité ; il est absent du texte, mais résulte des réponses apportées aux questions posées à propos du texte et son contexte (ou prétexte!) L’interprétation est intérieure au lecteur, dépend de lui, de sa culture, de son vécu : elle est donc existentielle ; il n’y a plus aucune logique autre que conjoncturelle, c’est-à-dire en lien direct de causalité avec l’état du lecteur et de ses capacités à un débat intime et intellectuel : ce que l’on nomme en médecine le « colloque singulier » du praticien formulant « ab imo pectore » son diagnostic, son pronostic et sa prescription thérapeutique.

         Le quatrième niveau est le SOD. C’est le sens caché, ou secret ; il est voilé au point que nul ne sait s’il existe, si même il a été voulu ; il est absent du texte, quand bien même serait-ce sous formes d’ellipses, d’aposiopèses, de lacunes, d’illogismes, de fatrasies, coquecigrues,asyndètes, amphigouris, de cacographies, de phébus (ainsi que je me délecte ici à le faire comme exemples possibles de ce que n’est pas ce sens secret!)

Dieu a pris Hénoch, comme dans Genèse 5:24 : « Et Hénoc marchait avec Dieu, et il n’était pas ; car Dieu l’a pris. (KJV) illustration des Figures de la Bible de 1728 ; illustré par Gérard Hoët (1648-1733) et d’autres, et publié par P. de Hondt à La Haye ; image reproduite avec l’aimable autorisation de la collection biblique Bizzell, bibliothèques de l’Université de l’Oklahoma

         Les initiales de ces quatre mots forment l’acronyme PaRDèS qui signifie « verger », et dont nous avons fait « paradis » que nous confondons abusivement avec le « jardin d’Éden » qui – lui – est géographiquement situé par le mythe entre les deux fleuves Tigre et Euphrate d’où Henoch, Fils de Caïn à ne pas confondre avec Enosch fils de Yared et père de Mathusalem, arrière-grand-père de Noé, ou Enoch fils de Seth, qui partira pour fonder à l’Est, au Levant, à l’Orient, la première ville mythique. Tout est lié, comme vous le constatez ! Enosch, fils de Yared, est le septième patriarche biblique, identifié par la littérature rabbinique àMétatron, il est celui qui révéla la Parole divine à Moïse ; Il y a donc un Hénoch, fils de Caïn qui nomme les choses et définit un espace, et un Enosch, fils de Yared qui utilise la Parole pour commencer le décompte du temps. La fête juive HANOUKKA fait mémoire de cette double initiation spatio-temporelles.

                   Nous avons mentionné, dans notre définition, du courant théosophique de la Kabbale rabbinique, qui appuyait ses enseignements sur la vision apocalyptique d’Ézéchiel ; cette doctrine se divise en deux thèmes :

         le premier est le Ma’sch Bereshit, relatif au premier mot de la Genèse : « Bereshit » / « au commencement », écrit et identifié cependant avec la deuxième lettre de l’alphabet hébraïque, la première étant « Aleph » ! C’est un enseignement cosmologique et cosmogonique qui recentre en permanence sur la Torah les spéculations gnostiques qui foisonnent dans les controverses rabbiniques.

          C’est précisément le rôle de la Michna, la Loi invariable, que de mettre en garde contre des approfondissements dangereux provoqués par de téméraires ratiocinations !

         Le deuxième thème est le Ma’asch Merkaba qui traite d’un voyage extatique accompli par le prophète Ézéchiel, à la suite duquel il décrit « le Char et le Trône divins » avec une profusion de détails et de structures sur la traversée des 7 cieux.

         Toute une littérature, dite des Heykhalot, ou Palais divins,est issue de ces écrits rassemblés aux III et IV èmes siècles.

         Pour la petite histoire, nous noterons que des auteurs en mal de merveilleux ont interprété ces textes comme étant des récits d’extra-terrestres en avance sur nos civilisations et venus de lointaines galaxies ! Cela continue aujourd’hui car certains prétendent que le CoVid est en provenance de Sirius !

         Dans la suite de ces textes est situé le Séfer Yetsira, Livre de la Création et de la Formation, écrit en 946 par Sabbataï Donnolo en Italie du Sud.

         C’est dans cet ouvrage que sont évoqués les trente-deux voies merveilleuses de la sagesse, qui réaffirment que le Monde est une émanation de Dieu.

                   Trente-deux résulte de l’addition des dix Séphirot ou nombres primordiaux avec les vingt-deux lettres de l’alphabet, fondatrices de la nomination puis de la description du Monde.

Saint Augustin

         Nous dirons simplement que cette forme de Kabbale postule l’existence d’un Dieu caché, unique et tout-puissant, ubiquiste et omnipotent dénommé En SoF : infini, inconnaissable, deus absconditus tel que traduit par Saint Augustin. Il est la Cause Première, Cause des causes, et l’on reconnaît là une nette influence aristotélicienne, introduite par Maïmonide et ses disciples.

         Les dix Séfirot sont donc une manifestation en quelque sorte « éclatée » ou « analytique » d’ En Sof, issus de l’ ÉTINCELLE NOIRE de la Percussion de la Parole contre le Néant ; le Néant se fendille, explose dans ce qui est nommé « la brisure des vases », d’où est issu l’Adam Kadmon, androgyne primordial d’où jaillit l’Humanité ; il est une préfiguration du « REBIS » des alchimistes et du redoutable « BAPHOMET » des satanistes occultistes.

         Remarquons au passage cette « COÏNCIDENTIA OPPOSITORUM » d’origine pythagoricienne, disséquée par Nicolas de Cues dans son traité « De docta ignorantia », et qui alimentera également les « quodlibétales » scolastiques théologiques et nominalistes médiévales.

         Nous retrouverons cette pratique anticipatrice du « brain storming » moderne dans les discussions et commentaires adogmatiques des rabbins pratiquant le « Mahloqet ».

         Isaac Louria explique la Manifestation par le « Tsim Tsoum », ou retrait de Dieu en Lui-même. Il ne s’agit pas d’une concentration, mais bien d’un retrait ménageant un espace réel dans le Néant primitif.

         Le Kabbaliste a pour mission de réparer cette brisure des vases qui, seule pourtant, lui donne prise sur le réel par les possibilités – très cartésiennes – d’isoler un temps d’étude des éléments de l’ensemble. Le travail, nommé tiqquoun permettra de réparer. Une seconde brisure des vases est inhérente à l’Homme lui-même en raison de son orgueil à prétendre définir l’infini, et de sa vaniteuse présomption à vouloir simplement s’atteler à la tâche.

         Le Chemin des Séfirot est donc issu de la Kabbale rabbinique, mystico-apocalyptique, revue et sur-interprétée par Isaac Louria.

         Un deuxième chemin est issu de la Kabbale dite extatique et pratique, d’Abulafia, c’est le Chemin des Noms.

         Abulafia a cherché quelque chose susceptible d’acquérir la plus haute importance sans avoir – par elle-même – une quelconque importance. L’alphabet hébreu possède ces critères. Abulafia se base sur la forme abstraite des lettres sur lesquelles il développe une théorie de contemplation mystique en tant que constituant du – ou des – nom(s) de Dieu.

         La Kabbale extatique s’attache à découvrir dans les lettres et combinaisons de lettres, tous les noms de Dieu par systèmes d’équivalences, puis se dédie à organiser ces noms en formules qu’il s’agira de répéter « jusqu’à plus soif », jusqu’à se trouver en transes et donc en présence de Dieu ! Les soufis et les moines hésychastes chrétiens ne font pas autrement.

         Les lettres hébraïques résultent d’une réécriture totale d’un alphabet hiéroglyphique antérieur de plusieurs siècles dit « protosinaïtique ».

La Kabbale

         Les lettres changent de forme, mais conservent leur sens originel en conservant le son de leur prononciation désignant les substances, des objets, des animaux ou des gestes. Les signes sont générés par la circulation d’un point selon les déplacements rectilignes d’une matrice carrée. Quelques arrondis adoucissent les formes et facilitant une écriture rapide et cursive. Nos compagnons opératifs créant leur marque distinctive de tâcheron, n’agissent pas autrement.

         L’alphabet se présente donc comme une figure idéogrammatique reconstruite par simplification des tracés, réduction des sons en phonèmes presque monosyllabiques et abstraction des associations des signes associés en mots capables de contenir la création en la nommant, et la décrivant, définissant en elle des relations, des lois, des analogies par les différentes fonctions et natures des mots telles que substantives, adjectives, verbales, etc.

Susceptibles aussi de dire ce qui ne se voit pas par des figures de rhétorique telles que métaphores et symboles, exprimant donc la Parole de Dieu et la Loi grâce aux niveaux de lecture, méthodes d’interprétations dont nous avons précédemment parlé.

         Se souvenir en permanence que l’humain n’a de métaphores qu’humaines en provenances analogiques avec ses perceptions, sensations et émotions.

         Il y a la genèse des lettres à partir des lettres-mères ; il y a la prononciation de la lettre au moyen des lettres de son nom ; le dessinateur Hergé pour son pseudonyme a utilisé le procédé en isolant les initiales de son patronyme,Rémi, et de son prénom, Georges ; on voit que l’on peut réitérer le procédé quasiment à l’infini :

Victor Hugo

         Hache Eu Erre Gé É, ou encore : Gé Eu O Erre Gé Eu Esse Erre Ai Aime I … Etc.

         De même Victor Hugo dans Booz endormi :

         « Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeh » où la ville imaginaire gagne son nom par l’absence de rime à la consonance « D » du verbe « demandait » terminant le dernier vers du poème.

         Nous voyons qu’un monde surgit au-dessus du monde en provenance de cette réaction en chaîne, surtout si un réseau est établi entre ce que désignent les mots dans la réalité tangible et ce que désignent les pictogrammes originels.(on peut établir une analogie de conception de ce qui précède avec ces « prédelles » explicatives autant qu’ornementale que la peinture religieuse prévoit sous ses polyptyques ou retables).

         Il y a ensuite les manipulation dans les mots qui se font selon deux techniques principales.

         La première est d’aspect mathématique. Les lettres hébraïques servaient également à la numération et avaient la valeur de chiffres et de nombres. On peut donc les additionner selon certaines règles concernant la prise en compte, ou non, des retenues en base décimale. On réduit ainsi les mots en nombres et en les ajoutant, on les accouple, les réduit encore et en les décryptant, on trouve d’autres mots qui sont dits descendants des premiers ou apparentés. Cette technique est nommé « la Guématrie », et se subdivise en sous-techniques dont aucune n’est antinomique aux autres ou exclusive des autres. La souplesse du système n’a donc d’égale que sa complexité.

         La deuxième a déjà été vue : c’est la technique des acronymes, rencontrée avecTaNaKH, ou encore PaRDèS. Nous l’utilisons aujourd’hui fréquemment pour nommer des institutions ou entreprises ou encore pour créer des néologismes … à la différence près que nous sourions des jeux de mots qu’ils permettent au lieu de leur donner un sérieux qui permettrait de les utiliser en poésie ou en art lyrique : influence du PAF sur le PIF, OTAN en emporte l‘ONU… Cette technique est nommée Notarikone, et autorise la construction de textes codés que Cervantès, Juif, utilisa et que Georges Pérec, Juif lui aussi, réemploya dans l‘Oulipo, entendez « OUvroir de la LIttérature POtentielle ».

         Une troisième technique vous est connue et vous paraîtra ludique ou puérile : c’est la technique des jeux de mots, :

Anagrammes, :mare/amer/rame// Marie-José/j’ose aimer//

Pierre Larousse pousse l’arrière, je t’aime souvent je sème à tous vents.

Palindromes ; tu l’as trop écrasé, César, ce Port-Salut ;

Homonymes : aire/aire //homophones : ère/erre ;

Paronymes : Conjoncture /conjecture ;

Pataquès : élimination/illumination ;

Calembours : le combat sanglant de l’arène ;

Contrepèteries : Duce, tes gladiateurs circulent dans le sang, signé de notre Frère Pierre Dac sur radio Londres.

Nous en terminerons là avec « la philanthropie des ouvriers charpentiers » abreuvés à « La cuvée de Bernard Laporte » étant bien connu que « Le poète est un coureur de fond(s) ;

Devant nos fouilles curieuses, ta chute impie devant le Temple !

         Le fait qu’en hébreu on n’écrive pas les voyelles accroît le champ des possibilités : rien que le son des lettres épelées donne un message homophonique : « elle aime haine », « Elle est Maine », « hélé, mène », et l’anagramme donne : « aime Hélène », « aime Héllène », paronymie donne : « l’amant, Léman,lamine, l’amine, limon, l’iman, l’humain, lumen, Lhomond, l’Oman, ».

         Cette technique est nommée TéMouRa, et permet de changer aisément un texte en un autre, ce dont se sont emparés tous les charlatans et gourous qui se sont évertués à démontrer que la Bible annonçait Tchernobyl, la Vache folle et la fin du monde à Bugarach.

         Il est important de dire que le Kabbaliste honnête entreprendra son travail selon deux axes principaux : un premier axe qui respectera scrupuleusement l’a-dogmatisme, non-polémique des origines pour une totale ouverture des discussions, l’acceptation sans exclusives de toutes les opinions, à charge – évidemment – de réciproque ; un deuxième axe, où il n’utilisera dans son étude que ce qu’il sait et non ce qu’il paraît, qu’il emprunte sans références, ou vole dans des rumeurs infondées. Il peut donc s’approprier une idée mais en citant ses sources ; en opérant une critique serrée des motifs de son emprunt.

                   NOUS ARRIVONS AU TERME DE NOTRE PARCOURS !

         Une maxime de la Kabbale dit explicitement :

« Il faut savoir renoncer à la rage de conclure »

Bestiaires, couleurs et objets : Michel Pastoureau réveille les symboles du Moyen Âge

Ce volume reprend, en les rassemblant, dix-huit études de Michel Pastoureau publiées entre 1989 et 2009 dans des ouvrages collectifs, des actes de colloques ou des revues spécialisées, pour la plupart devenus difficiles d’accès. L’avant-propos, daté d’octobre 2012 et conservé tel quel dans cette réédition, rappelle que le recueil prolonge deux volumes antérieurs (Figures et couleurs et Couleurs, images, symboles. Études d’histoire et d’anthropologie), et précise les choix éditoriaux : les textes ont été pratiquement laissés dans leur état d’origine, à l’exception d’un article légèrement remanié, tandis que l’iconographie a été enrichie et que les références complètes aux premières publications sont regroupées en fin d’ouvrage dans une rubrique « Sources ». L’ensemble se présente ainsi comme une mise à disposition raisonnée d’un pan important de l’œuvre de l’auteur.

Un cahier central de vingt planches en couleurs – douze consacrées aux animaux, six aux végétaux et deux aux objets – vient prolonger et rendre visibles les analyses de l’auteur.

Avant d’entrer dans les quatre sections thématiques – animaux, végétaux, couleurs, objets – Michel Pastoureau ouvre le volume par un chapitre programmatique intitulé « Pour une histoire symbolique du Moyen Âge ». Ce texte, qui tient à la fois du manifeste méthodologique et de la mise au point historiographique, constitue la véritable clé de lecture du recueil. L’historien y rappelle que le symbole est, pour les auteurs médiévaux, un mode de pensée et de sensibilité tellement « naturel » qu’il n’appelle ni définition préalable ni justification théorique. La première difficulté pour l’historien contemporain tient ainsi au lexique : le latin médiéval recourt à tout un faisceau de termes – signum, figura, exemplum, similitudo, memoria – et de verbes qui renvoient à l’idée de « signifier », mais ne sont jamais interchangeables. La diversité de ce vocabulaire, que Michel Pastoureau analyse avec soin, montre que la culture médiévale dispose d’un outillage conceptuel précis pour penser les relations entre choses visibles et réalités invisibles.

À partir de ce constat, l’auteur plaide pour une « histoire symbolique » encore largement à écrire. Celle-ci doit prendre au sérieux les procédures par lesquelles les sociétés médiévales investissent le réel de significations multiples : rôle de l’analogie, importance de l’étymologie savante ou populaire, jeux d’échelle entre la partie et le tout, ambivalence et polysémie des signes, superposition de niveaux de lecture. Loin d’être un simple décor de l’histoire sociale, le symbolique en est une dimension constitutive : les « pratiques symboliques » et les « faits de sensibilité » appartiennent pleinement au champ de ce que l’historien peut et doit étudier. Le chapitre liminaire donne ainsi sa cohérence théorique à la diversité des études rassemblées.

Le Léopard d’or, 2012, 1re éd.

La première partie, consacrée aux animaux, illustre concrètement ce programme. Qu’il s’agisse des procès intentés aux bêtes entre le XIIIᵉ et le XVIᵉ siècle, du bestiaire du Roman de Renart et de la figure de l’ours, des ménageries princières ou du bestiaire des cinq sens, Michel Pastoureau croise constamment sources juridiques, textes littéraires et documentation iconographique. Les procès d’animaux ne sont pas abordés comme curiosités pittoresques, mais comme révélateurs des frontières mouvantes entre humanité et animalité ; la place paradoxale de l’ours, tour à tour animal royal, marginal et bouffon, éclaire les tensions d’une société chrétienne face à un animal qui conjugue force, sauvagerie et proximité avec l’homme. L’analyse est toujours menée à partir d’un corpus précis, mais vise à dégager des logiques anthropologiques plus larges.

Hercule-Les-Pommes-dOr-des-Hesperides.

La section sur les végétaux, plus brève, n’en est pas moins exemplaire de la méthode. On y trouve notamment une étude sur la pomme, suivie d’un texte sur la symbolique du bois et des arbres. L’auteur y montre comment un fruit apparemment banal concentre des significations multiples – de la pomme biblique à la pomme mariale – et comment les arbres se situent au croisement de pratiques techniques, de savoirs naturalistes et de représentations religieuses. L’exemple du tilleul, présenté comme « arbre musical » par excellence en raison à la fois de ses propriétés acoustiques et de son lien traditionnel avec les abeilles, illustre parfaitement cette façon d’articuler observation matérielle, traditions littéraires et usages artisanaux : sans avoir lu Virgile ni les encyclopédistes, l’artisan médiéval sait intuitivement quel bois se prête à tel usage, et c’est cette compétence incorporée que l’historien est invité à prendre au sérieux.

Forêt très verte vue de ciel avec les cimes
Forêt très verte vue de ciel avec les cimes

La troisième partie, la plus importante quantitativement, est consacrée aux couleurs, domaine où Michel Pastoureau fait autorité. Les études réunies abordent successivement la place des couleurs chez les Cisterciens au XIIᵉ siècle, l’émergence des couleurs liturgiques, l’évolution du regard porté sur les couleurs au XIIIᵉ siècle, la promotion du bleu, les métamorphoses du vert, puis l’instauration, à la fin du Moyen Âge, d’un nouvel ordre chromatique articulé autour du noir, du gris et du blanc.

Loin de proposer une simple typologie symbolique, l’auteur insiste sur les contraintes institutionnelles (décisions conciliaires, normes monastiques), sur les usages sociaux (vêtements, bannières, armoiries) et sur les héritages scripturaires qui encadrent la perception des couleurs. Le bleu royal et marial, le vert ambigu, à la fois couleur de la jeunesse et de l’instabilité, ou encore la dignité nouvelle acquise par le noir dans la société urbaine et bourgeoise, sont autant de cas qui montrent comment changements politiques, mutations économiques et recompositions religieuses se lisent dans le système chromatique.

La dernière partie se concentre sur les objets – gant, cor, sceau – et prolonge la réflexion sur les « pratiques symboliques ». Le gant est étudié comme signe de pouvoir, instrument de transfert de droit et marque de statut social ; le cor, comme objet à la fois sonore et animal, se situe à la rencontre de la chasse, de la guerre et de l’imaginaire de l’appel ; le sceau, enfin, est envisagé comme outil de validation juridique et comme image sociale, par laquelle individus et communautés se donnent à voir. Dans chacun de ces dossiers, Michel Pastoureau montre que les objets ne sont pas seulement des auxiliaires de l’action, mais des médiateurs de sens, au croisement du droit, du rituel et de la représentation.

Pris dans sa globalité, Symboles du Moyen Âge dépasse largement la logique du simple recueil. La juxtaposition d’articles de dates et de contextes divers pourrait faire craindre l’hétérogénéité ; le chapitre introductif, la constance de la problématique et la rigueur de l’écriture assurent au contraire une forte unité d’ensemble. Quelques redites ponctuelles, inhérentes à la reprise de textes autonomes, ne nuisent pas à la lecture et peuvent même être utiles pour un public qui n’est pas familier de l’ensemble de l’œuvre de l’auteur. L’ouvrage s’impose ainsi comme une synthèse particulièrement représentative d’un demi-siècle de recherches sur la symbolique médiévale.

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Historien médiéviste né en 1947, Michel Pastoureau est directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études, où il a occupé pendant trente-cinq ans la chaire d’histoire de la symbolique occidentale. Spécialiste des couleurs, des images et des emblèmes, il est l’auteur d’une soixantaine de livres, parmi lesquels les célèbres monographies chromatiques (Bleu, Noir, Vert, Rouge, Jaune), plusieurs ouvrages consacrés aux animaux (L’Ours, Le Roi tué par un cochon, Bestiaires du Moyen Âge) et de nombreuses études sur l’héraldique. Traduit dans une trentaine de langues, il a largement contribué à faire de l’histoire des symboles et des sensibilités un champ central de la recherche historique contemporaine, dont Symboles du Moyen Âge offre une présentation exemplaire.

Symboles du Moyen Âge – Animaux, végétaux, couleurs, objets 

Michel PastoureauLes Éditions Dervy / Le Léopard d’or, 2025, 368 pages, 26 €

EAN 9791024218526

Déisme ou Théisme ? : Deux visions de dieu au cœur de la quête spirituelle maçonnique

Deux voies philosophiques pour appréhender le divin

Dans un monde où la spiritualité se réinvente sans cesse, entre athéisme croissant et retours aux traditions religieuses, deux concepts philosophiques émergent comme des phares pour ceux qui cherchent un sens au-delà du matérialisme : le théisme et le déisme. Ces termes, souvent confondus ou réduits à des variantes du monothéisme, représentent en réalité deux approches fondamentalement distinctes de l’idée de Dieu. Le théisme évoque un Dieu personnel, impliqué dans le quotidien des humains, tandis que le déisme imagine un créateur distant, architecte rationnel d’un univers autonome.

Cette distinction n’est pas seulement académique ; elle imprègne les débats contemporains sur la foi, la raison et l’éthique, particulièrement dans des cercles comme la franc-maçonnerie libérale, où le Grand Orient de France tolère une vision déiste du « Grand Architecte de l’Univers » sans imposer de dogmes révélés.

Cet article explore en profondeur ces différences, en remontant à leurs origines historiques, en analysant leurs implications philosophiques, et en les reliant à des contextes modernes comme la maçonnerie ou la pensée des Lumières. Nous verrons comment le théisme nourrit une relation intime avec le divin, tandis que le déisme privilégie une admiration rationnelle pour l’ordre cosmique. Enfin, nous aborderons les critiques et les évolutions de ces idées en 2025, à l’ère de l’intelligence artificielle et des crises existentielles.

Tableau comparatif entre Déisme et Thèisme

CritèreThéismeDéisme
Dieu existe-t-il ?OuiOui
Dieu est-il personnel ?Oui (il a une volonté, une conscience, des émotions, il aime, il juge, il pardonne)Non (Dieu est une cause première impersonnelle, une intelligence ou une raison cosmique, pas une « personne »)
Dieu intervient-il dans le monde après la création ?Oui, constamment (miracles, providence, prière exaucée, révélation continue, histoire sainte)Non (Dieu a créé le monde avec ses lois parfaites, puis s’est retiré – c’est l’image de l’« horloger » qui remonte sa montre et la laisse tourner seule)
La révélation est-elle nécessaire ?Oui (la Bible, le Coran, les Écritures, les prophètes sont indispensables pour connaître Dieu et sa volonté)Non (la raison humaine et l’observation de la nature suffisent ; les religions révélées sont considérées comme superflues, voire nuisibles)
La prière a-t-elle un sens ?Oui (on peut dialoguer avec Dieu, lui demander des choses, il peut modifier le cours des événements)Non ou très limité (au mieux une méditation contemplative, jamais une demande d’intervention)
Exemples historiquesChristianisme classique, judaïsme rabbinique, islam sunnite et chiite, hindouisme dévotionnel (bhakti)Voltaire, Rousseau, Thomas Jefferson, Robespierre, beaucoup de francs-maçons du XVIIIe siècle, certains Pères fondateurs américains
Image populaireDieu père, juge, berger, roi, amiDieu architecte, grand horloger, cause première

En une phrase simple :

  • Le théiste croit en un Dieu personnel qui continue d’agir dans le monde et avec qui on peut avoir une relation (prière, culte, obéissance).
  • Le déiste croit en un Dieu créateur rationnel qui a tout mis en place une fois pour toutes et qui n’intervient plus jamais (ni miracles, ni révélation, ni jugement dernier).

Exemple concret pour bien sentir la différence :

  • Un théiste peut dire : « Dieu a guéri ma mère du cancer parce que nous avons prié. »
  • Un déiste dira : « Si ta mère a guéri, c’est grâce à la médecine et aux lois naturelles que Dieu a établies au commencement ; prier n’y change rien. »

En Franc-maçonnerie (surtout au grand orient de france et dans la maçonnerie libérale), on est très majoritairement déiste ou agnostique : on accepte (ou tolère) l’idée d’une cause première ou d’un « grand architecte de l’univers », mais on rejette les dogmes révélés et l’idée d’un Dieu interventionniste. C’est pourquoi la Bible (ou tout livre sacré) n’est plus obligatoire sur l’autel dans beaucoup de loges françaises depuis 1877.

En résumé : le théisme est une foi vivante et relationnelle ; le déisme est une philosophie rationnelle et distante.

Origines historiques : des racines antiques à l’ère des Lumières

Moïse et les tables de la loi

Le théisme trouve ses racines dans les grandes religions abrahamiques – judaïsme, christianisme, islam – où Dieu est perçu comme un être personnel, doté de volonté et d’émotions. Dans la Bible, par exemple, Dieu parle directement à Moïse, punit les pécheurs lors du déluge, ou guide les prophètes avec des révélations. Ce Dieu n’est pas abstrait : Il est un père aimant, un juge sévère, un allié dans les épreuves. Les philosophes comme Thomas d’Aquin (XIIIe siècle) ont théorisé ce théisme en l’intégrant à la raison aristotélicienne, affirmant que Dieu non seulement crée le monde mais le soutient en permanence par sa providence.

À l’opposé, le déisme émerge plus tard, au XVIIe et XVIIIe siècles, comme une réaction aux guerres de religion et à l’essor de la science. Influencés par Newton et Descartes, des penseurs comme Voltaire, Rousseau ou John Locke conçoivent Dieu comme un « grand horloger » : Il a conçu l’univers avec des lois parfaites, comme une montre mécanique, puis s’est retiré pour le laisser fonctionner seul. Pas de miracles, pas de prières exaucées, pas de jugement dernier. Le déisme s’inspire d’Aristote et de Platon, qui parlaient d’un premier moteur immobile, mais il le modernise avec la raison des Lumières. Aux États-Unis, des pères fondateurs comme Thomas Jefferson étaient déistes, réécrivant la Bible pour en ôter les éléments surnaturels.

Cette divergence historique reflète un clivage culturel : le théisme prospère dans les sociétés où la religion organise la vie communautaire, tandis que le déisme fleurit dans les époques de sécularisation, comme la Révolution française, où Robespierre instaure un culte déiste de l’Être suprême pour remplacer le christianisme dogmatique.

Différences fondamentales : un Dieu proche vs un Dieu distant

Imam en prière avec un Coran dans les mains
Imam en prière avec un Coran dans les mains

Au cœur de la distinction réside la nature de Dieu. Pour le théiste, Dieu est personnel : Il possède une conscience, des intentions, et interagit avec l’humanité. La prière n’est pas un monologue introspectif mais un dialogue ; les miracles, comme la résurrection dans le christianisme ou les guérisons dans l’islam, prouvent son intervention active. Ce Dieu juge les actes humains, promet un au-delà, et révèle sa volonté via des textes sacrés. Philosophiquement, cela implique une théologie de la relation : l’humain est créé à l’image de Dieu, invitant à l’amour, à l’obéissance et à la repentance.

Le déiste, en revanche, voit Dieu comme une entité impersonnelle – une intelligence cosmique ou une cause première. Une fois l’univers lancé, Dieu n’intervient plus : les lois de la physique (gravité, évolution) suffisent à expliquer tout, sans besoin de miracles. La prière, si elle existe, est une contemplation esthétique de l’ordre naturel, pas une supplication. La révélation est superflue ; la raison et la science révèlent Dieu à travers l’harmonie du cosmos. Voltaire le résumait ainsi :

« L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer que cette horloge existe et n’ait point d’horloger. »

Cette opposition se manifeste dans l’éthique : le théisme fonde la morale sur des commandements divins (les dix commandements), risquant le dogmatisme. Le déisme ancre l’éthique dans la raison humaine, promouvant tolérance et humanisme, mais potentiellement menant à un relativisme moral.

Implications philosophiques et spirituelles : raison, foi et liberté

Spinoza

Philosophiquement, le théisme défend une vision où foi et raison coexistent, mais la foi prime sur les mystères (comme la Trinité). Des penseurs comme Kierkegaard insistent sur le « saut de la foi » face à l’absurde. Le déisme, influencé par Spinoza ou Kant, élève la raison au rang suprême : Dieu est accessible par l’intellect, pas par l’émotion ou la révélation. Cela libère l’individu des clergés, favorisant l’autonomie – un pilier des Lumières.

Spirituellement, le théisme offre réconfort : un Dieu qui écoute, guérit, pardonne. Dans les crises (maladies, guerres), il fournit un sens personnel. Le déisme, plus stoïque, invite à l’admiration pour l’univers : observer les étoiles ou la biologie révèle le divin, mais sans espérance d’intervention. Cela peut mener à une spiritualité laïque, comme chez Einstein, qui se disait « profondément religieux » dans un sens déiste, voyant Dieu dans les lois physiques.

En 2025, ces idées évoluent avec l’IA et la science : le théisme intègre la technologie comme outil divin (théologie de la création continue), tandis que le déisme voit l’IA comme une extension des lois naturelles posées par le créateur initial.

Le déisme et le théisme en franc-maçonnerie : un cas d’étude contemporain

Dans la Franc-maçonnerie, particulièrement au Grand Orient de France depuis 1877, le déisme domine. Le « Grand Architecte de l’Univers » est une métaphore déiste : un principe organisateur, tolérant athées et agnostiques, sans Bible obligatoire sur l’autel. Cela contraste avec des obédiences théistes comme la Grande Loge Unie d’Angleterre, où un Dieu personnel révélé est requis. Pour un maçon déiste, le rituel est une allégorie rationnelle pour polir l’âme ; pour un théiste, il pourrait invoquer une providence active.

Cette préférence déiste reflète l’héritage des Lumières : Voltaire et Benjamin Franklin, maçons déistes, voyaient la loge comme un espace de raison fraternelle, libre de dogmes. En 2025, face à l’obscurantisme (montée des fondamentalismes), le Grand Orient de France défend une laïcité déiste : Dieu, s’il existe, n’intervient pas dans les affaires humaines, laissant place à la liberté de conscience.

Critiques et débats actuels : limites et hybridations

Portrait de Friedrich Nietzsche

Le théisme est critiqué pour son anthropomorphisme (un Dieu « humain » trop humain) et son potentiel fanatisme (guerres saintes). Les athées comme Dawkins le voient comme une illusion réconfortante. Le déisme, accusé de froideur, laisse l’humain seul face au mal (pourquoi un horloger parfait permet-il la souffrance ?). Nietzsche le moquait comme un « Dieu mort », trop distant pour inspirer.

Pourtant, des hybridations émergent : le « théisme ouvert » (process theology) imagine un Dieu évoluant avec le monde, mêlant intervention et autonomie. En écologie spirituelle, un déisme vert voit Dieu dans l’équilibre planétaire, appelant à l’action humaine sans miracles.

Conclusion : choisir sa voie dans l’univers infini

Déisme et théisme ne s’opposent pas tant qu’ils se complètent dans la quête humaine du sens. Le premier célèbre la raison autonome, le second l’amour relationnel. Pour un profane en 2025, explorer ces idées – via philosophie, science ou maçonnerie – offre une boussole : croyez-vous en un Dieu qui marche à vos côtés, ou en un architecte qui vous a donné les plans pour naviguer seul ?

Quelle que soit la réponse, ces visions rappellent que l’humain, face au cosmos, reste un chercheur éternel.

La Saint-Nicolas : une fête de lumière et de charité sous un regard maçonnique

La Saint-Nicolas, célébrée le 6 décembre, est bien plus qu’une simple tradition enfantine marquée par des cadeaux et des friandises. Issue d’une riche tapisserie historique et symbolique, elle incarne des valeurs universelles de générosité, de justice et de renaissance spirituelle. Dans un regard maçonnique, cette fête révèle des couches ésotériques profondes, où la légende de Saint Nicolas se prête à des interprétations initiatiques, évoquant la quête de la Lumière, la dualité du bien et du mal, et la fraternité humaine.

Inspiré par les racines païennes et chrétiennes de cette célébration, explorons son histoire, ses traditions et son symbolisme, en les reliant aux principes de la franc-maçonnerie.

Saint-Nicolas-néerlandais.

Les origines historiques et légendaires de la Saint-Nicolas

La fête de la Saint-Nicolas tire son essence de la vie de Nicolas de Myre, un évêque du IIIe siècle en Asie Mineure (actuelle Turquie), connu pour sa piété et sa charité. Né vers 270 et décédé autour de 343, il est vénéré comme le patron des enfants, des marins et des écoliers. La célébration, fixée au 6 décembre dans le calendrier liturgique catholique, s’est étendue au-delà des sphères religieuses pour devenir une tradition folklorique vivace en Europe du Nord, de l’Est et centrale – notamment en Lorraine, en Alsace, en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Suisse.

L’une des légendes les plus emblématiques associe Saint Nicolas à la résurrection de trois enfants tués et salés par un boucher malveillant. Selon ce récit, popularisé au XIe siècle dans les régions franco-allemandes, l’évêque étend trois doigts sur le saloir, reconstituant les corps des innocents et les ramenant à la vie. Ce miracle, souvent illustré dans l’art médiéval, symbolise non seulement la victoire sur la mort, mais aussi la punition du vice : le boucher, attaché à l’âne de Saint Nicolas, devient le Père Fouettard, un compagnon menaçant chargé de réprimander les enfants désobéissants.

St-Nicolas

Cette dualité – récompense pour les sages, châtiment pour les méchants – rappelle les Saturnales romaines et des figures païennes comme Odin, christianisées pour faciliter les conversions.
 
Historiquement, le culte de Saint Nicolas gagne en popularité au Xe siècle avec le transfert de reliques de Bari (Italie) vers la Lorraine, où une basilique est érigée près de Nancy. Au XVe siècle, après la bataille de Nancy en 1477, il devient le saint patron de la région, surpassant même Noël en importance jusqu’aux années 1960.

Aujourd’hui, les traditions incluent des défilés, des marchés et des visites domiciliaires : Saint Nicolas, vêtu de son manteau d’évêque et chevauchant un âne, distribue pains d’épices, chocolats, fruits secs et cadeaux, tandis que les enfants préparent du foin ou des carottes pour l’animal.

Un symbolisme ésotérique et préchrétien

Au-delà de son cadre chrétien, la Saint-Nicolas intègre des éléments païens liés au solstice d’hiver. Le 6 décembre marque le début des festivités hivernales, préfigurant Noël et le renouveau solaire. Des historiens relient Saint Nicolas à des divinités comme Odin, chef de la chasse sauvage, ou à des rites de fertilité et de protection contre les ténèbres.

Le Père Noël moderne, dérivé de Sinterklaas (la version néerlandaise de Saint Nicolas), fusionne ces traditions avec les Saturnales romaines – fêtes de chaos social, de cadeaux et d’inversion des rôles – et des mythes solaires comme Mithra ou Sol Invictus.

Symboliquement, la légende des trois enfants ressuscités évoque des thèmes universels : la résurrection comme allégorie de la renaissance spirituelle, la charité anonyme envers les vulnérables, et la dualité bien/mal. L’âne représente l’humilité et le voyage initiatique, tandis que la barbe blanche et le manteau rouge symbolisent la sagesse et l’autorité royale.

Ces éléments préfigurent le sapin de Noël (arbre de vie, axe du monde) et la bûche (symbole de durée initiatique), reliant la fête à des archétypes ésotériques présents dans de nombreuses cultures, de Krishna à Osiris.

La_Saint-Nicolas-en-Alsace par_Paul_Kauffmann-(1902)

Un regard maçonnique : initiation, fraternité et lumière

Pour le franc-maçon, la Saint-Nicolas offre un miroir riche en symboles initiatiques. La résurrection des trois enfants, accomplie par un geste miraculeux (trois doigts sur le saloir), rappelle le ternaire maçonnique – nombre sacré des Pythagoriciens, représentant la vie, l’activité infinie et l’harmonie (Force, Beauté, Sagesse).

Ce miracle peut être vu comme une allégorie de l’initiation : la mort symbolique à l’ignorance (les enfants tués), suivie d’une renaissance par la Lumière, similaire au drame d’Hiram Abiff au troisième degré. Hiram, architecte du Temple de Salomon, meurt pour protéger un secret et ressuscite spirituellement, enseignant la victoire sur la violence et l’avidité.

De même, Saint Nicolas, en restaurant la vie, incarne la charité – pilier maçonnique – et la quête de la perfection humaine.

La dualité Saint Nicolas / Père Fouettard évoque la balance entre vertu et vice, récompensée ou punie, miroir de la justice maçonnique et de la chaîne d’union qui lie les frères dans la fraternité. Dans un contexte ésotérique, cette fête marque le voile mince entre mondes spirituel et matériel durant le solstice, invitant à une introspection comparable aux voyages initiatiques des apprentis.

(à gauche, Saint Nicolas et Zwarte Piet aux Pays-Bas. À la différence de la majorité des régions françaises, et notamment des traditions lorraines et alsaciennes, le père Fouettard néerlandais est traditionnellement grimé en noir)

Le voyage de Saint Nicolas sur son âne symbolise le périple vers l’Orient éternel, tandis que les cadeaux rappellent l’échange fraternel et la générosité anonyme, valeurs centrales de la Maçonnerie universelle.
Enfin, la connexion avec Noël – où Saint Nicolas préfigure le Père Noël – souligne le syncrétisme : une fête païenne christianisée, puis sécularisée, invitant les maçons à explorer la Lumière cachée derrière les voiles des traditions. Comme le sapin pyramidal évoque la croix maçonnique ou la pyramide de la connaissance, la Saint-Nicolas nous rappelle que la vraie initiation naît de la charité et de la quête intérieure.

Père Fouettard

Une fête pour l’éveil fraternel

La Saint-Nicolas, avec son mélange de joie enfantine et de profondeur symbolique, est une invitation maçonnique à la réflexion. Elle nous enseigne que la Lumière triomphe des ténèbres hivernales, que la charité élève l’humanité, et que chaque légende cache un enseignement initiatique.


Dans un monde souvent divisé, cette fête rappelle l’unité fraternelle, encourageant les maçons à frapper à la porte du Temple pour une plus grande illumination. Que cette Saint-Nicolas inspire nos Loges à cultiver lagénérosité et la sagesse, pour un renouveau perpétuel.
 

Nicolas & Fouettard

6 & 7 juin 26 « Masonica Tours » – 2e édition du Salon du Livre maçonnique

Après le succès de la première édition du salon « Masonica Tours 2024 », en juin 2024, l’association «  le cercle de l’acacia ligérien » est heureuse de vous annoncer la tenue d’une deuxième édition de cette manifestation. La deuxième édition du livre et de la culture maçonnique «  Masonica Tours » aura lieu le samedi 6 juin 2026 et le dimanche 7 juin 2026. Il se tiendra à MAME, cité de la création et de l’innovation, 49 boulevard de Preuilly à Tours.

« L’initiation maçonnique a-t-elle un avenir ? » écrit Roger Dachez[1]. Quand nombre d’obédiences scrutent avec inquiétude un monde de l’immédiateté, troublé dans tous les domaines et semblant peu favorable au temps long de l’initiation il répond « ces causes d’un possible effacement (de la FM) sont peut-être autant de chances à saisir »

Pour questionner les voies de ce possible avenir, Masonica Tours 2026 se donne un fil rouge : questionner la pertinence de la Franc-Maçonnerie au 21e siècle tout en éclairant ses fondements historiques et traditionnels.

Pour cela « Masonica Tours » s’attache à promouvoir la richesse littéraire et éditoriale maçonnique dans toutes leurs diversités en leur offrant des espaces d’exposition et de commercialisation de leurs productions. 

Notre salon souhaite mettre en avant la diversité des obédiences et des courants de pensée maçonniques. Pour  cela nous organisons, tout au long du week-end des conférences et des tables rondes.

Logo Mame

La tenue de notre manifestation à MAME, lieu d’innovation  et d’ouverture, situé à proximité de l’hypercentre métropolitain, témoigne de notre volonté d’ouvrir un espace d’échange entre le monde maçonnique et un large public. Pour bien marquer cette ouverture, des conférences aborderont des sujets répondant aux questionnements des profanes.

L’édition de juin 2026 attribuera un prix littéraire. Le Prix littéraire du Salon du Livre maçonnique « Masonica Tours 2026 » distinguera des ouvrages en langue française dont la qualité littéraire et la portée humaniste, spirituelle et symbolique éclairent les valeurs de la tradition maçonnique : quête de sens, liberté de conscience, dignité humaine, fraternité, esprit critique et exigence de vérité.

Contact : Jean-Marc Pichon – jeanmarc.pichon@bbox.fr – 06 60 26 82


[1] Les rituels à quoi ça sert ? – Dervy – juin 2024

Espace Mame, le forum

En savoir plus sur le Masonica Tours 2024

« Nomadisme initiatique » par Michel Maffesoli

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Du nomadisme, analyse l’évolution des sociétés contemporaines en montrant que la modernité fondée sur la stabilité, la rationalité et l’individualisme cède désormais la place à une postmodernité marquée par la mobilité, l’émotionnel et le communautaire. Le nomadisme que décrit Michel Maffesoli n’est pas seulement un déplacement géographique : il est un style d’être caractéristique de notre époque, un mode d’existence fluide où l’on se déplace entre identités, groupes, pratiques et expériences.

L’auteur explique que la société moderne, héritière du projet rationaliste, valorisait l’enracinement, la planification et le progrès linéaire. À l’inverse, la postmodernité se reconnaît dans le présentisme, la recherche d’intensité et la multiplication des appartenances provisoires. Les individus deviennent des “tribus postmodernes”, des groupes affinitaires éphémères soudés par le partage d’émotions, de signes ou de rituels communs. Ce phénomène est au cœur du nomadisme contemporain : on circule d’une tribu à l’autre selon ses affects.

Michel Maffesoli insiste sur l’importance du sentiment d’appartenance et de la socialité quotidienne. Le nomade postmoderne ne cherche plus à s’affirmer par une identité unique et stable, mais par un ensemble d’identités fragmentées qu’il mobilise selon les contextes. Cette pluralité identitaire reflète un basculement de notre rapport au monde : on privilégie l’expérience vécue plutôt que l’idéologie, l’esthétique plutôt que la morale, le partage émotionnel plutôt que la construction rationnelle.

La mobilité n’est donc pas seulement physique : elle est symbolique, culturelle, affective. Le nomadisme est une réponse au désenchantement moderne, c’est-à-dire à la perte de sens liée à une vision du monde trop rationalisée. Les nouvelles formes de socialité postmoderne réenchantent l’existence par le jeu, la fête, la convivialité, les rassemblements informels et les pratiques communautaires. Elles permettent de recréer du lien là où l’individualisme moderne avait isolé les personnes.

Pour Maffesoli, ce nomadisme s’exprime aussi dans la manière dont nous consommons, travaillons et vivons nos relations. Le travail devient fragmenté, flexible, parfois instable ; les carrières linéaires sont remplacées par des parcours multiples. Les relations affectives suivent la même logique : on passe d’une conception durable de la famille ou du couple à des formes plus fluides, recomposées ou temporaires. Cette fluidité n’est pas un signe de désordre, mais l’expression d’un nouvel équilibre social, plus plastique et adaptatif.

L’auteur parle également d’un retour du polythéisme des valeurs : au lieu d’un principe unique structurant la société (comme la raison, le progrès, l’État), divers systèmes de valeurs coexistent, parfois contradictoires. Le nomade postmoderne navigue entre ces univers, sans chercher à les unifier. Cette multiplicité reflète la complexité contemporaine et le refus des discours totalisants.

Le rôle des technologies — réseaux sociaux, mobilité numérique, communication instantanée — accentue encore ce mode nomade. Elles permettent de créer des tribus à distance, de circuler entre plusieurs mondes, de vivre dans une simultanéité d’espaces symboliques. Pour Maffesoli, il ne s’agit pas d’un simple changement technique, mais d’une transformation profonde de notre imaginaire collectif.

Le nomadisme met aussi en cause la rigidité des institutions modernes. Celles-ci continuent de fonctionner sur un modèle centralisé, hiérarchisé, alors que la société vit désormais sur un mode horizontal, relationnel, parfois anarchisant. L’auteur voit dans cette tension l’une des grandes lignes de fracture de notre époque. Là où les institutions cherchent à fixer, la culture nomade cherche à circuler.

Enfin, Michel Maffesoli interprète ce mouvement comme un retour à l’archaïque, non pas comme régression, mais comme réactivation de structures anthropologiques anciennes : le goût du partage, la vie en groupe, le symbolisme, l’émotionnel. Le nomadisme postmoderne réunit ainsi tradition et innovation, instinct et technologie, local et global. Il marque le passage d’une société de l’“avoir” et du contrôle vers une société de l’“être-ensemble”.

Du nomadisme apparaît ainsi comme une réflexion majeure sur la transformation des mentalités et des formes de vie, proposant une lecture sociologique du monde contemporain fondée sur la fluidité, la sensibilité collective et les micro-communautés.

L’Auteur

Michel Maffesoli est Sociologue, professeur émérite en Sorbonne et membre de l’Institut universitaire de France. Il est l’auteur d’une œuvre fondamentale. Il a récemment publié aux éditions du Cerf :
* Le temps des peurs
* Apologie – autobiographie intellectuelle

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Pourquoi autant de Francs-maçons voyagent dans la cale du bateau de Thésée ?

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Dans les brumes philosophiques de l’Antiquité, un paradoxe navigue encore aujourd’hui, défiant notre compréhension de l’identité et de la permanence. Le bateau de Thésée, ce vaisseau légendaire rapporté par Plutarque dans ses Vies des hommes illustres, fut conservé par les Athéniens comme un reliquaire vivant de l’héroïsme de leur fondateur. À mesure que les planches usées par les embruns et les tempêtes étaient remplacées par des neuves, solidement enchâssées, une question lancinante émergea : lorsque toutes les pièces originelles eurent disparu, restait-il le même bateau ? Ou n’était-ce plus qu’une coquille vide, un simulacre voguant sous un nom emprunté ?

Ce dilemme, que les philosophes antiques brandissaient comme un étendard de doute, oppose le matérialisme brut – où l’identité se fond dans la matière inchangée – au substantialisme, où elle réside dans la forme, la fonction ou la continuité ininterrompue du flux.

David par Michel-Ange, Florence, Galleria dell’Accademia, 1501-1504

Mais pourquoi tant de Francs-maçons, ces artisans de l’âme en quête d’une lumière intérieure, choisissent-ils de s’embarquer non pas sur le pont exposé aux vents, mais dans la cale obscure de ce navire paradoxal ? Pourquoi descendent-ils, grade après grade, dans les entrailles humides et sombres, là où l’on n’entend que le clapotis des vagues contre la coque et le grincement des membrures qui se renouvellent ? La réponse gît dans la nature même de leur voyage initiatique : un lent dépouillement, un élagage rituel des vieilles peaux de l’ego, pour révéler, seconde après seconde, l’essence pure de l’être.

Telle la statue de David émergeant du marbre sous les ciseaux de Michel-Ange, le Franc-maçon n’ajoute pas ; il soustrait. Il taille dans la pierre brute de son conditionnement social, culturel et émotionnel, jusqu’à faire jaillir la forme divine qui y sommeillait depuis toujours. Ce processus n’est pas une reconstruction hasardeuse, comme celle d’un second bateau assemblé avec les débris usés – variante hobbesienne du paradoxe, où deux navires rivaux prétendent à l’héritage de Thésée.

Non, c’est une révélation incessante, un dévoilement qui interroge sans cesse : qui suis-je ?

Le Franc-maçon et le travail de révélation : tailler l’âme comme le marbre

Au cœur de la Franc-maçonnerie, le rituel n’est pas un spectacle théâtral, mais un laboratoire alchimique où l’initié opère sur lui-même. Dès l’entrée en Loge, le candidat est dépouillé de ses attributs profanes : la corde au cou symbolise la mort symbolique de l’ancien moi, celui pétri de passions, de préjugés et d’illusions. Puis, au fil des voyages – ces métaphores nautiques si chères à la tradition maçonnique –, le travail symbolique s’intensifie. Le compas et l’équerre, outils du tailleur de pierre, tracent les contours d’une identité nouvelle, non pas forgée de toutes pièces, mais extraite de ce qui était déjà là, enfoui sous les sédiments du quotidien.Imaginez le franc-maçon comme Michel-Ange face au bloc de Carrare :

« Je ne sculpte pas, dit le maître, je libère ce qui est prisonnier. »

De la même manière, le rituel maçonnique est un acte de soustraction. Dans le cabinet de réflexion, l’initié confronte ses ombres – le crâne, le sablier, l’acide sulfurique corrodant le métal –, apprenant que l’identité n’est pas dans l’accumulation d’expériences, mais dans leur dissolution. Grade après grade, il révulse ses « vieilles peaux » : les Apprenti apprend à polir la pierre brute de ses instincts ; le Compagnon affine les aspérités de son intellect ; le Maître, enfin, contemple l’essence spirituelle, celle qui transcende la forme corporelle.

Chaque tenue, chaque planche, chaque agape est une avancée dans ce processus : une passion domptée, un vice émondé, une lumière conquise.

Ce travail incessant de révélation impose une logique impitoyable : le qui suis-je ?

Bateau de Thésée

n’est pas une question statique, mais un koan vivant, une interrogation rythmée par les coups de maillet du Vénérable Maître. Comme le bateau de Thésée, dont les planches neuves maintiennent la forme malgré le renouvellement total, l’identité maçonnique persiste non par la matière – ces cellules qui se régénèrent tous les sept ans, ces souvenirs qui s’effilochent –, mais par la continuité du flux. Héraclite, ce philosophe du devenir, l’aurait compris : « On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. » Pourtant, le maçon, en Loge, apprend à naviguer ce courant sans se dissoudre, en ancrant son être dans une essence immuable. Seconde après seconde, le voile se déchire : je ne suis pas mon métier, ni ma nationalité, ni même mes choix accumulés. Je suis celui qui observe, qui choisit, qui est. Telle est la révélation :

l’identité n’est pas un assemblage de pièces, mais l’espace entre elles, le silence après le dernier coup de ciseau.

Michel Serres et le déchirement des masques : au-delà des noms et des rôles

Michel Serres

Le regretté Michel Serres, ce philosophe vagabond aux idées fluides comme un réseau neuronal, nous offrait un écho profane à cette quête maçonnique. « Mon identité n’est certainement pas mon prénom », affirmait-il avec malice, car des Michel, Miguel ou Michael pullulent sur la planète, échos d’une même racine sémitique signifiant « qui est comme Dieu ? ». Quant au nom de famille, Serres ou Sierra, il n’est qu’une carte topographique : des montagnes en écho, des reliefs érodés par le temps. Philosophe de métier ? Une contingence : on change de cape, on en porte plusieurs, comme un comédien shakespearien. La religion, la ville de résidence, la nationalité, le genre – tout cela n’est que costume, rôle dans la grande comédie humaine.

« Être philosophe n’est pas une identité, puisqu’on peut changer de métier et en avoir plusieurs. Il en est de même avec la religion, la ville de résidence, la nationalité… même son genre, enfin tout cela n’est pas de l’être et n’est pas son identité. »

Pour Serres, la singularité réside ailleurs : dans l’ADN, ce code génétique unique, ou dans la trame infinie de nos choix et expériences, ces bifurcations qui nous rendent irremplaçables. Pourtant, même cela reste précaire, car l’Être, avec son E majuscule, transcende l’action. « L’être n’est en aucune manière ce qu’il fait par ses actes, il est ce qu’il est. » Cette intuition cartésienne revisitée – cogito ergo sum, mais dépouillé des oripeaux –, résonne comme un écho dans la Loge : le maçon, en révélant son essence, découvre que l’identité n’est pas un puzzle de fragments biographiques, mais une présence pure, un je suis qui échappe aux catégories.

Le bateau de Thésée, dans sa cale, n’est plus un vaisseau de bois, mais un symbole : remplacez toutes les planches, et ce qui reste n’est ni la matière ni la forme, mais l’intention qui les traverse, le voyageur qui le navigue.

Le bateau maçonnique : amélioration ou rigidification ? Les pièges du voyage

Revenons à notre navire théséen, enrichi par des années de voyages. Le remplacement des pièces n’est pas neutre : il peut bonifier l’embarcation, à condition que les neuves surpassent les anciennes en qualité. Chez le Franc-maçon, ce processus s’étend sur des décennies : deuil après deuil de lui-même, le Frère ou la Sœur troque les passions turbulentes contre la sagesse apaisante. Après vingt ou trente années de tenues, de réflexions et de symboles, le voilà censé émerger tel un arbre centenaire, racines ancrées dans l’essence, branches offertes au ciel. La Loge devient chantier naval : la jalousie cède à la fraternité, l’ignorance à la connaissance, l’orgueil à l’humilité.

Chaque coup de rame contre le courant – chaque épreuve rituelle – affine la coque, la rendant plus résistante aux tempêtes.

Pourtant, observation amère : voyage après voyage, certains maçons s’enferment dans une rigidification stérile, coquille durcie qui étouffe l’essence. D’autres sombrent dans l’orgueil de la comparaison, mesurant leur avancée non à l’intérieur, mais au miroir des Frères moins avancés. Et que dire de ceux qui se gorgent des charges électives, des médailles clinquantes ou des reconnaissances en Loge ?

Ils deviennent comme des banquiers du Monopoly, s’imaginant tout-puissants une fois sortis du jeu, portant dans la rue des titres qui n’ont de sens qu’entre les colonnes de Jakin et Boaz. Le pouvoir maçonnique, charme éphémère, n’agit que dans l’enceinte sacrée : quel profane, dans le métro bondé, saluerait d’un signe le Grand Maître d’une obédience ?

Les élus le confirment : au lendemain de la descente de charge, le téléphone fait silence, les hommages s’évaporent. Ce n’est pas vous qui devenez soudain admirable ou misérable ; c’est la charge qui irradie, telle une lumière attirant les photophiles. La beauté, la jeunesse, la richesse, la popularité – tous ces pièges du temps fonctionnent ainsi, masques illusoires qui craquent sous les coups de la disgrâce.

La pauvreté

Que reste-t-il quand les affres de la vie – faillite, maladie, solitude – frappent à la porte ? La Loge, hélas, n’est pas un bunker contre l’acédie, cette tristesse spirituelle que les anciens moines redoutaient comme un démon du midi. Elle n’immunise pas plus que l’Obédience contre les courants opposés. Au contraire, chaque coup de rame à contre-courant devrait nous rapprocher de la source, purifiant l’âme dans l’effort. Mais trop souvent, les petits arrangements avec la conscience nous mènent à l’estuaire du désespoir : un mensonge pieux pour éviter un conflit, une alliance opportuniste pour gravir un grade.

Notre navire personnel, ces dernières années, traverse des tempêtes sociétales impitoyables : crises économique, politique, écologique, spirituelle. Aucune n’est épargnée. L’embarcation tangue, gîtant sous les vagues d’incertitude.

Traverser la tempête : épreuve ou cachette ? L’initiation vraie

Or, chaque épreuve devrait être une forge : le navire se bonifie dans l’adversité, ses membrures renforcées par les chocs, sa voilure affinée par les vents. Le Franc-maçon, tel Thésée rentrant d’une quête périlleuse, devrait traverser la mer déchaînée la tête haute, le cœur confiant en la Lumière éternelle. Mais qu’observons-nous, dans les cales de nos Loges ? Des lâchetés murmurées, des trahisons masquées sous le tablier, des arrangements entre « amis » pour un gain court-termiste.

Le voyage initiatique, censé être une plongée dans l’abîme pour en extraire l’or philosophique, devient prétexte à se terrer, à attendre la fin de l’orage en polissant des médailles inutiles.

Ainsi, pour trop de Frères ou Sœurs, la cale du bateau de Thésée n’est pas un sanctuaire de révélation, mais une cachette confortable. On s’y prosterne devant le veau d’or – grades, honneurs, réseaux – espérant conjurer l’enfer du doute existentiel. On oublie que le Temps est un comptable implacable : il n’oublie rien, et viendra réclamer intérêts et capital avec une précision chirurgicale. L’heure du bilan n’aura que faire des souvenirs de gloire fanée, des médailles en chocolat, des titres ronflants d’« Illustrissime » ou de «Très Respectable ».

Car la respectabilité qui compte n’est pas celle octroyée par les suffrages de la Loge, mais celle forgée dans la fidélité aux valeurs initiales, celles jurées le jour de l’Initiation : vérité, fraternité, travail sur soi.

Le paradoxe du bateau nous le rappelle avec cruauté : si l’identité persiste dans la continuité du voyage, elle se dissout dans la trahison de sa source. Le maçon qui sort de la cale, après des années de dépouillement, devrait être un David vivant : nu, pur, irradiant l’essence divine. Mais si, au lieu de révéler, il accumule des planches factices – orgueils, rigidités, illusions de pouvoir –, son navire n’est plus qu’une épave, un second bateau reconstruit à l’envers, voguant vers l’oubli. La question reste ouverte : quittera-t-on enfin la cale pour le pont, affrontant le flux héraclitéen avec la sérénité de l’Être ? Ou continuerons-nous à nous cacher, planche après planche, dans l’ombre d’un Thésée fantôme ?

En fin de compte, le Franc-maçon voyage dans la cale non par peur, mais par nécessité : c’est là, dans l’obscurité fertile, que l’essence se révèle. Mais le vrai courage est de remonter, transformé, prêt à naviguer sous les étoiles d’une identité enfin nue.

Car, comme l’affirmait Serres, nous ne sommes pas nos masques ; nous sommes le sculpteur et la pierre, le bateau et le voyage, l’Être et son éternel devenir. Que chaque coup de rame nous en rapproche.

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Le Mot perdu et les lettres du Nom : la Cabale au cœur du grade de Maître ?

Et si la quête maçonnique du Mot perdu avait été façonnée, en profondeur, par les spéculations cabalistiques sur le Nom de Dieu ? Depuis des temps immémoriaux, ou presque, cette idée traverse les travaux d’Arthur Edward Waite et, plus récemment, ceux d’historiens de la Franc-maçonnerie. En suivant l’émergence du troisième grade, la cristallisation de la légende d’Hiram et la fascination du XVIIIᵉ siècle pour la Cabale, se dessine une hypothèse troublante : derrière le récit du Maître assassiné, se profile la mémoire d’un Nom divin dont on ne sait plus comment le prononcer.

Au départ, l’architecture des grades n’a rien d’évident ni de figé. La Maçonnerie opérative, puis spéculative, ne repose d’abord que sur deux degrés : Apprenti et Compagnon – ce dernier étant souvent désigné comme « Fellow Craft » ou même « Master » dans certaines sources anciennes. Ce n’est qu’au tournant des années 1730 que le paysage se transforme. Le premier grade est scindé, un niveau intermédiaire apparaît, et l’ancien second grade glisse vers ce qui deviendra le troisième : le grade de Maître Maçon.

Ce basculement est consolidé par une petite bombe éditoriale

Masonry Dissected de Samuel Prichard, publiée à l’automne 1730. Divulgation violemment antimaçonnique, mais d’une efficacité redoutable : plus de trente éditions, une diffusion large, et, en creux, un formidable effet de normalisation des rituels. Samuel Prichard se présente comme ancien membre d’une loge régulière, prétend rendre service au public en dévoilant les « secrets » d’une société nuisible, tout en affirmant paradoxalement agir à la demande de frères inquiets d’un déclin de l’Ordre. De là à imaginer qu’un courant réformateur ait utilisé ce texte pour promouvoir un nouveau grade et un nouveau mythe, il n’y a qu’un pas.

Les réactions ne tardent pas

Des brochures défensives s’attachent à discréditer Samuel Prichard, mais aussi à magnifier l’antiquité et la noblesse de l’Ordre. L’une d’elles, A Defence of Masonry (1730-1731), tisse des parentés avec les mystères antiques, les pythagoriciens, les esséniens, les druides… et surtout avec la Cabale. L’auteur anonyme insiste sur les aspects « littéraux » de cette dernière – gematria, notariqon, temurah – et explique que les cabalistes, à l’image de David et Salomon, perfectionnaient leur art par des combinaisons et permutations de lettres. La maçonnerie est alors présentée comme héritière de cet « art cabalistique » des mots sacrés.

Ce n’est pas un îlot isolé

Dès 1726, The Grand Mystery Laid Open mentionne déjà le notariqon et rapproche maçonnerie et Cabale. Un catéchisme plus ancien, A Mason’s Examination (1723), fait intervenir des lettres hébraïques reçues par les lecteurs du temps comme des indices de sagesse cabalistique. Bien avant que le grade de Maître ne soit pleinement stabilisé, l’imaginaire maçonnique baigne donc dans cet univers où les lettres, les alphabets sacrés et les jeux de mots sont des vecteurs de secret.

Avec Masonry Dissected, un pas décisif est franchi

Temple de Salomon

Le texte donne pour la première fois une version complète de la légende d’Hiram, appelée à devenir le cœur battant du troisième grade. Hiram, architecte du Temple de Salomon, organise les ouvriers en trois catégories, chacune dotée d’un mot particulier. Trois mauvais compagnons, brûlant d’ambition, décident de lui extorquer le Mot de Maître. Ils le surprennent lors de sa prière, lui demandent le secret, essuient trois refus et frappent trois coups mortels. Hiram emporte son secret dans la tombe. Le Mot – identifié à YHVH – est réputé perdu.

Le corps est caché, puis retrouvé en état de décomposition. Lors de l’élévation, les Maîtres prononcent une expression qui décrit l’état du cadavre – « la chair quitte les os » – et cette exclamation devient mot de substitution : « Macbenac », dans une des formes les plus répandues, aux côtés de variantes comme « Mahabyn » ou « Maughbin ». Dans le manuscrit Graham (1726), antérieur à Prichard, la trame est déjà là, mais avec Noé à la place d’Hiram, et ses fils découvrant un secret lors de l’exhumation du patriarche, en le relevant par ce qui deviendra les « cinq points de la maîtrise ».

À première vue, rien de cabalistique au sens technique : pas de Séphiroth, pas de Shekinah, pas de longs développements sur l’Arbre de Vie. Pourtant, le motif central – la perte d’un Mot qui était lié au Temple et au culte, et dont on ne conserve plus que la graphie, pas la prononciation – entre en résonance directe avec l’une des grandes thématiques du Zohar et de la tradition juive : le Tétragramme YHVH, Nom propre de Dieu, prononcé jadis par le Grand Prêtre dans le Saint des saints, à Jérusalem. Avec la destruction du Temple, la vocalisation se perd. Le Nom reste écrit, mais sa prononciation exacte se voile. On le remplace par des noms de substitution : Adonaï, puis, dans certains milieux chrétiens, « Jehovah », construction tardive.

Pour Arthur Edward Waite, ardent lecteur de cabalistes juifs et de cabale chrétienne, le parallèle est trop précis pour n’être qu’un simple hasard

Arthur Edward Waite en1880

À ses yeux, la franc-maçonnerie a été transformée de l’intérieur par des Maîtres imprégnés de cette Tradition : lecteurs de Robert Fludd, de Thomas Vaughan, de Pico della Mirandola, de Reuchlin. Selon lui, le véritable horizon du grade de Maître n’est pas seulement moral, mais mystique : il vise une union de l’initié avec le divin, et le Mot perdu symbolise le Verbe incarné, le Christ.

Dans cette perspective, les spéculations cabalistiques chrétiennes autour de YHVH prennent un relief particulier. En insérant la lettre Shin au cœur du Tétragramme, certains auteurs forment YHSVH, le Nom de Jésus, parfois qualifié de « Pentagrammaton ». Ce nom à cinq lettres est présenté comme l’accomplissement du Tétragramme, porteur de puissance spirituelle. La quête du Mot perdu et sa redécouverte pourraient ainsi être lues, chez Waite, comme une quête du Christ intérieur, Verbe vivant.

Les travaux plus récents de Jan Snoek

Jan Snoek

Ces travaux donnent une base historique à certains aspects de cette lecture, tout en la nuançant. Jan Snoek montre que, dans les versions les plus anciennes de la légende, il n’est pas question d’un mot effacé des mémoires, mais bien de la perte d’une prononciation secrète, connue seulement de trois personnages : Salomon, Hiram roi de Tyr et Hiram Abif. Hiram y est parfois pratiquement identifié à Dieu. Le Nom divin est placé sur sa tombe, et le rituel d’élévation comporte des éléments qui évoquent une union de l’initié avec le divin. Le troisième grade apparaît alors comme un rite d’union symbolique à Dieu, et non comme un simple récit exemplaire de fidélité héroïque.

Deux objections demeurent cependant…

D’abord, la réflexion sur le Tétragramme et ses vocalisations n’appartient pas à la seule Cabale juive : elle irrigue aussi l’ésotérisme chrétien plus large, les commentaires savants de l’hébreu biblique et diverses spéculations théologiques qui ne se réclament pas explicitement de la Cabale. Ensuite, le mot substitué au Mot perdu dans la tradition maçonnique n’est pas le Pentagrammaton « Yeheshoua », mais un terme comme « Macbenac », qui renvoie à la chair et aux os du corps en décomposition.

Faut-il pour autant renoncer à toute hypothèse d’influence ?

Probablement pas. Il est plus juste d’y voir la trace d’un climat culturel précis. Au tournant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, l’Europe cultivée nourrit une véritable passion pour l’hébreu, pour les lettres sacrées, pour la puissance supposée des noms. Les auteurs chrétiens lisent le Zohar, les cabalistes juifs, et infléchissent ces doctrines à partir de leurs propres dogmes. C’est dans cet environnement que des maçons, déjà versés dans les spéculations symboliques, élaborent ou remanient le grade de Maître. Ils empruntent à la Cabale moins un système complet qu’un noyau de motifs : un Nom divin lié au Temple, une prononciation perdue, des substitutions, et la possibilité d’une expérience de l’union à Dieu par le Verbe.

Ce qui se joue, au fond, n’est pas la preuve d’une filiation pure et simple, mais la reconnaissance d’une parenté spirituelle

La légende d’Hiram raconte la mort d’un homme qui refuse de livrer un secret sacré, la perte d’un Mot que personne ne sait plus dire, et l’adoption d’un mot de remplacement qui ne satisfait personne. L’initié du troisième grade est invité à faire l’expérience de cette absence : il connaît le Nom écrit, mais sait qu’il lui manque encore la parole juste, la résonance intérieure, le souffle qui fait du signe une présence.

Pour les lecteurs et lectrices du Rite Écossais Ancien et accepté (REAA)

Cette hypothèse a une conséquence vertigineuse : la quête du Mot perdu ne renvoie pas à un code caché dans quelque archive, mais à un travail intérieur sur la manière dont nous prononçons les noms du sacré, de l’humain, du monde. À l’arrière-plan, la mémoire de la Cabale vient rappeler que le Nom de Dieu n’est jamais un objet possédé, mais un appel. Et que l’élévation du Maître, entre tombeau et Temple, pourrait bien être l’ébauche d’un chemin où la Parole ne s’apprend pas seulement par cœur, mais se reçoit, dans le silence, comme une expérience.

Qu’il y ait ou non « preuve » d’une influence directe de la « kabbale » sur la création du grade de Maître, le dialogue entre ces deux traditions ouvre en tout cas une piste précieuse : celle d’une franc-maçonnerie qui ne se contente pas d’aligner des symboles, mais ose se penser comme voie, exigeante et fragile, vers le Nom qui manque –

ce Nom que nous écrivons, que nous devinons, mais que nous ne cessons de chercher à prononcer.

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EXCLUSIF – Interview de Thomas Denicourt : Grand Maître Général de l’OITAR

Bilan et perspectives après presque trois ans de mandat

Depuis son installation le 25 mars 2023, annoncée comme un tournant prometteur pour l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal (OITAR), Thomas Denicourt a pris les rênes d’une obédience mixte à la fois jeune, mais pourtant riche d’histoire et tournée vers l’avenir.

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR

Ce jeune homme jovial et déterminé, dont l’accession à la fonction de Grand Maître Général a été saluée comme un symbole de dynamisme, s’est vu confier la lourde tâche de guider l’OITAR à travers les défis contemporains tout en préservant ses valeurs fondamentales.

Près de trois ans après son entrée en fonction, une interview exclusive accordée à 450.fm le 18 novembre 2025 offre une occasion unique de dresser un bilan de son mandat et d’explorer les perspectives qui s’ouvrent. Dans cet échange, Thomas Denicourt revient sur son parcours, partage ses accomplissements, ses luttes, et dévoile une vision audacieuse pour l’avenir de la Franc-maçonnerie mixte. Préparez-vous à découvrir un leader qui allie tradition et innovation dans un monde en mutation !

Le Saviez-vous ?

L’OITAR, fondé en 1974 par des maçons issus du Grand Orient de France, compte aujourd’hui près de 100 loges actives en France et à l’international. C’est l’une des rares familles maçonniques à pratiquer le Rite Opératif de Salomon, et ce, de manière exclusive. Dénué de hiérarchie pyramidale stricte et pratiquant ce seul rite, il constitue un « Ordre » et non une obédience de la Franc-maçonnerie.

Un Regard Rétrospectif

450.fm : Thomas, comment vous sentez-vous après presque trois ans de mandat ?

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR en conférence

Thomas Denicourt : Fort bien ! C’est une chance extraordinaire que j’ai eu de pouvoir tenir les rênes de notre belle famille maçonnique, pour ses degrés symboliques en tout cas. Je mesure tous les jours ce que cette fonction m’aura apporté de rencontres, de réflexions, d’énergie : c’est une belle expérience.

450.fm : Si vous deviez résumer cette période en un mot ou en une image, lequel choisiriez-vous ?

TD : Un mot : Incarnation.

Cela est peut-être le maître mot de mon mandat. Finalement, je m’aperçois que j’ai surtout essayé de rendre mon action palpable, présente, incarnée donc, sur l’ensemble des axes sur lesquels je m’estimais attendu en tant que Grand Maître Général.

450.fm : Que signifie, pour vous, porter la charge de Grand Maître Général de L’OITAR ?

OITAR

TD : Eh bien justement, cela rejoint la question de l’incarnation. Principalement, je conçois mon action autour de quatre grands axes :

  • Évidemment, être présent pour les soeurs et frères de l’Ordre, répondre présent aussi souvent que possible aux sollicitations des Loges et des Territoires qui composent l’OITAR, accompagner les Grands Maîtres Territoriaux dans leurs actions quotidiennes, et participer à insuffler des idées, du partage et de l’envie.
  • Être l’interlocuteur privilégié des relations inter-obédientielles. Cela a été pour moi un point très important. Poursuivre et développer encore les liens fraternels avec les autres familles maçonniques avec lesquels nous entretenons vraiment de belles relations. Je crois en la nécessité d’une interaction forte entre nos obédiences. Les obédiences plus sociales diraient que cela renforce notre pertinence sur la place publique, ce qui est vrai. Personnellement, étant ancré dans une tradition plus symbolique, j’ajouterais que cela participe aussi à une émulation stimulante et un enrichissement extraordinaire de nos membres respectifs. J’ai beaucoup aimé rencontrer, partager, monter des animations communes avec les autres Grands Maîtres.
  • Aller à la rencontre des non-maçons. J’ai par exemple multiplié les conférences publiques dans plusieurs villes de France, d’autres encore sont à venir. J’ai aussi accepté de participer à quelques vidéos qui tournent sur les réseaux. Cela peut sembler anecdotique pour beaucoup, mais en fait, ce n’est pas tellement dans les habitudes de l’OITAR qui a toujours privilégié les approches par cooptation directe.

Mais au fond, si j’ai pris ce virage, c’est surtout, et très sincèrement, pour témoigner de la chance extraordinaire que j’ai d’être maçon, d’avoir très tôt rencontré la maçonnerie sur mon chemin, et que je ne pouvais garder cela pour moi.

  • Enfin, en tant que Grand Maître Général, je suis aussi membre du Suprême Conseil, qui gère le rite. J’essaye là aussi d’apporter ma pierre dans cette instance et de porter certains sujets. Mais évidemment, cette aspect-là du boulot de GMG est nettement moins en lumière.

Les Réalisations Marquantes

450.fm : En 2023, au moment de votre installation, quels étaient vos objectifs prioritaires ?

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR

TD : J’ai peur d’être un peu décevant sur cette question… Mon discours d’installation portait principalement deux engagements. Le premier était d’aller à la rencontre des 12 territoires qui constituent l’OITAR, de croiser un maximum de soeurs et frères. L’autre engagement, plus difficilement palpable, a été de veiller que mes actions et décisions soient prises dans le respect de l’esprit du Rite Opératif de Salomon, ce qui n’est pas si simple. Mes anciens m’ont beaucoup aidé à y voir clair sur ce plan.

Mais en fait, je dois bien vous avouer que le jour de mon installation, je pense surtout que j’étais envahi de beaucoup d’appréhension et de crainte de ne pas être à la hauteur. Je me demandais si j’étais vraiment légitime, si j’allais réussir à assumer cette charge, à rentrer dans le costume, de surcroît en succédant à une soeur qui aura laissé une forte empreinte sur notre Ordre. J’étais un peu tétanisé à la perspective de devoir gravir une montagne immense.

450.fm : Lesquels considérez-vous avoir pleinement atteints ?

TD : Je suis allé voir tous les territoires, j’ai défendu une certaine idée du rite, et… je pense finalement avoir réussi à rentrer dans le costume, en tous les cas, d’avoir trouvé une coupe qui me convenait.

450.fm : Pouvez-vous citer un projet qui, selon vous, a profondément marqué l’ordre ces trois dernières années ?

Rencontre, Conférence, Auditoire
Salle avec public écoutant une conférence

TD : Je pense que le circuit de conférences publiques que j’ai animé un peu partout sera peut-être la grosse nouveauté apportée par mon mandat.

Une autre empreinte que j’ai pu laisser, en tous les cas c’est ce qu’on me remonte régulièrement, c’est d’amener un certain style, à la fois rigoureux mais détendu, et une incarnation simple voire avenante. Mais c’est difficile pour moi de le dire, il vaut mieux interroger nos membres !

450.fm : Y a-t-il eu une initiative imprévue qui s’est imposée au fil de votre mandat ?

Salle de réunion, une main levée

TD : Je peux rester là encore sur le thème des conférences. Cette réflexion vient de l’initiative d’une de nos loges, au Touquet, qui avait décidé d’organiser une réunion d’information publique et m’avait convié à être présent. J’y suis allé bien sûr, sans trop savoir à quoi m’attendre. Cela a été un succès. Et je me suis rendu compte que nous avions vraiment des choses à dire à un public curieux, sincère et qui avait envie d’entendre ; que nous avions une main à tendre, et aussi une image à casser… Je me suis emparé de cette expérience pour aller au-devant des soeurs, des frères et des non-maçons en proposant de venir sur les territoires.

Le Saviez-vous ?

Saviez-vous que l’OITAR est l’une des rares familles maçonniques à exiger l’unanimité pour toute décision, du niveau local de la loge au Suprême Conseil ? Ce principe, hérité des fondateurs, évite les clivages et renforce la fraternité – un rempart contre les hiérarchies rigides.

Les Défis et les Zones d’Ombre

450.fm : Quels ont été vos plus grands défis, sur le plan interne comme externe jusqu’alors ?

TD : Pour nourrir les actions sur un plan interne et externe, je pense que mon plus grand défi personnel a été de dégager du temps. Entre une vie familiale à Rennes, une vie professionnelle (fort occupée !) à Lille et une vie maçonnique un peu partout, le point le plus délicat a vraiment été la gestion de mon agenda qui cherchait à concilier des contraires. Le sentiment d’écartèlement a parfois été fort oppressant !

450.fm : Y a-t-il des projets que vous aimeriez concrétiser avant la fin de votre mandat ?

Thomas Denicourt Le Grand Maître Général de l’OITAR qui ne manque pas d’humour quand l’occasion se présente.

TD : Mon agenda jusqu’à ma descente de charge en mars prochain est déjà fort rempli. Parmi les rendez-vous à venir, deux tenues communes me tiennent à cœur, une avec la GLTSO autour du maître installé et une avec le DH. J’aime ces rencontres inter obédientielles où les soeurs et frères peuvent constater que les bonnes relations au niveau de nos loges ont aussi un écho puissant au niveau des Grands Maîtres, et réciproquement ! Chaque fois que ces rencontres ont eu lieu, cela a toujours été dans une ambiance du tonnerre, donnant envie aux soeurs et frères… de recommencer !

450.fm : Certaines démarches ne donnent-elles pas les résultats escomptés ? Quelle expérience en tirez-vous pour le moment ?

TD : J’ai la chance d’être épaulé par une équipe formidable, très compétente et très investie. Finalement, il y a toujours quelqu’un pour surveiller nos angles morts, pour savoir quand l’autre ne sait pas, pour faire quand l’autre ne peut pas… De fait, je n’ai pas tant que çà l’impression d’être frustré par des résultats d’actions décevants. En tous les cas, rien de vraiment important et qui me revient au moment où vous me posez la question.

L’Évolution de l’Ordre

450.fm : Comment L’OITAR évolue-t-il pendant votre mandat, en termes de vie rituelle, d’organisation et de rayonnement ?

TD : La vie rituelle n’est pas vraiment de mon ressort de Grand Maître Général, mais est plutôt la prérogative du Suprême Conseil. Pour ce qui est du rayonnement, et même si ce n’est pas vraiment mesurable, j’ai un peu le sentiment que notre visibilité, au moins dans le paysage maçonnique, s’est bien accrue. 

450.fm : Quelles avancées majeures observez-vous dans le dialogue inter-obédientiel et les relations avec la société civile ?

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR

TD : L’OITAR a un principe de non-intervention dans la société civile. Nous ne visons qu’à éveiller les consciences de nos membres via la pratique du rite, de façon à ce que chacun puisse se positionner en homme libre dans le monde profane.

 Mais concernant plus précisément le dialogue inter obédientiel, j’ai vraiment l’impression d’avoir pu contribuer au fait que l’OITAR échange facilement avec toutes les principales familles, de façon régulière et nourrie, que nous soyons parfaitement identifié tout en assumant notre place et nos spécificités.

450.fm : En quoi le caractère mixte de votre Ordre a-t-il guidé vos choix ?

TD : Je pense que la mixité chez nous n’a guidé aucun de mes choix. La mixité est une chose tellement naturelle et intégrée chez nous que je n’ai même jamais pensé à réfléchir une décision en intégrant cette dimension. D’ailleurs nos derniers éléments statistiques montrent une égalité de nombre de membres quasi parfaite entre hommes et femmes, même si cette égalité statistique au niveau de l’ordre cache des disparités locales plus nettes. Mais c’est là une autre question.

Le Saviez-vous ?

L’OITAR, unique en son genre, ne pratique qu’un seul rite : le Rite Opératif de Salomon, inspiré des tailleurs de pierre médiévaux. Pas de « menu à la carte » comme dans d’autres obédiences – c’est cette fidélité qui forge notre cohésion.

Les Moments Forts

450.fm : Quel moment reste actuellement gravé dans votre mémoire ?

TD : Il y en aurait beaucoup… Mais si je dois vous en livrer un, le moment le plus émouvant pour moi a eu lieu quelques temps avant mon installation. Ce jour-là, j’étais orateur dans ma loge bleue. Ma nomination n’avait pas encore été rendue publique et je n’avais laissé fuiter aucune information. Par contre, une fois que ce choix a été confirmé, j’ai voulu annoncer aux soeurs et frères de ma loge que j’avais été choisi, et que j’aurai besoin de ce creuset pour m’aider à me ressourcer…

J’ai la réputation d’être plutôt un bon orateur, je crois… eh bien je n’ai pas le souvenir dans toute ma vie d’avoir eu la voix aussi étranglée, tremblante, émue que ce jour-là.

450.fm : Une rencontre ou un échange particulièrement marquant ?

TD : Le groupe des Grands Maîtres.

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR

Les rencontres que nous organisons deux fois par an sont des espaces précieux pour partager des informations, bien sûr, mais également créer du lien entre obédiences. Ce sont toujours des moments assez forts et des échanges très riches, qui me manqueront après ma descente de charge.

450.fm : Une tenue ou un événement maçonnique inoubliable ?

TD : J’ai vécu plusieurs moments particuliers durant mon mandat, évidemment. J’ai pu animer des tenues assez spéciales, la dernière en date avec l’allumage d’un triangle sur l’île de la Réunion. Cet allumage a eu lieu dans un temple de verdure, sur les hauteurs : c’était unique.

Mais au fond, si je ne devais retenir qu’un moment de mon mandat, ce serait la journée à Marseille le 21 janvier 2024, durant laquelle on a pu fêter le point de départ du jubilé de nos 50 ans. Une tenue d’ordre au château St Antoine, où pendant une journée, nous avons pu fêter l’OITAR, son histoire, sa vie, et projeter demain… Cela a été l’occasion aussi de sortir un joli livre de réflexions symboliques intitulé « Que la parole circule ».

Regard Vers l’Avenir

450.fm : Que souhaitez-vous pour l’avenir de l’OITAR ?

TD : De rester fidèle à nos valeurs, de réussir à conserver l’esprit et le souffle de nos fondateurs, de rester fiers de nos spécificités qu’il faut défendre. Ce n’est pas si simple car quand on n’est pas une grosse écurie, on peut risquer d’être poreux aux pratiques des autres, il faut être vigilant.

450.fm : Quels probables conseils donnerez-vous à votre successeur l’an prochain ?

TD : Je lui ai dit d’abord que le temps passe vite, et qu’il ne faut pas attendre pour imprimer sa marque et faire ce qu’il envisage. Je lui ai dit aussi l’importance d’aller à la rencontre des soeurs et frères sur tous les territoires. Et enfin, comme je disais plus haut, si la montagne paraît immense, une fois qu’on est dessus on ne voit plus la hauteur du sommet, alors on avance plus sereinement.

450.fm : Quels chantiers prioritaires devraient, selon vous, être poursuivis immédiatement ?

TD : A mon sens, l’OITAR doit continuer dans sa démarche d’ouverture au monde profane. Nous avons une belle proposition de chemin à présenter, et dont je suis bien convaincu de la résonance avec les besoins d’une époque en perte de repères, en quête de sens, et qui a besoin de se réenchanter. La maçonnerie symbolique a vraiment quelque chose à dire en réponse à ces interrogations légitimes.

Vision sur la Franc-Maçonnerie

450.fm : Comment percevez-vous l’évolution générale de la Franc-maçonnerie en France et dans le monde ?

TD : Dans le monde je ne saurais vraiment pas le dire de façon objective. Concernant la maçonnerie française, je vais vous partager une remarque que l’on m’a faite l’an passé. Dans le groupe des dix « principales » obédiences, trois Grands Maîtres étaient encore des quadra (Nicolas Penin – GODF, Felix Natali – GLMF, et moi-même). Était-ce le signal faible d’un changement en marche ou simplement du pur hasard ? Je ne sais pas. Loin de moi l’idée de faire du jeunisme. Mais au fond, j’ai compris que ce constat cassait les clichés si nombreux qui gravitent autour de la Franc-maçonnerie.

450.fm : Quels défis attendent toutes les obédiences dans les prochaines années ?

TD : Je ne vais pas être original je pense, mais j’ai constaté comme beaucoup que le monde rentre dans une quête de spiritualité. Il n’y a qu’à constater l’engouement renouvelé pour les religions. Devant ces questionnements, la maçonnerie a une réponse à apporter. C’est peut-être bien une évolution que je sens confusément de plus en plus marquée dans notre approche maçonnique.

450.fm : La mixité de L’OITAR : atouts et défis ?

TD : Ce n’est pas un défi du tout. Une loge qui se créé au sein de l’OITAR peut choisir librement d’être masculine, féminine ou mixte. Et dans l’histoire de l’OITAR, on a tout eu. Aujourd’hui, toutes nos loges sont mixtes. Je ne mettrais pas non plus ce point sous l’angle d’un atout mais plutôt sous celui de la nécessité : en particulier quand on travaille le symbolisme, toutes les sensibilités sont précieuses.

Conclusion

450.fm : Si vous pouviez adresser un message fraternel à toutes les Sœurs et tous les Frères de l’OITAR…

TD : J’ai surtout envie de leur dire un grand merci !

Merci de m’avoir donné tant de prétextes de venir à leur rencontre, merci de leur enthousiasme contagieux, merci de contribuer à faire vivre l’OITAR, merci d’être ce qu’ils sont.

Et merci à 450 FM de me donner l’occasion de l’exprimer.

450.fm : … et un mot à la communauté maçonnique au sens large ?

TD : En travaillant une conférence, j’ai réalisé une chose toute simple : il faut que nous, maçons, ne perdons pas de vue la chance extraordinaire que nous avons de vivre ce que nous vivons. Être accueilli vraiment fraternellement quand on visite par des soeurs et frères qui ne nous connaissaient pas quelques minutes avant… c’est juste exceptionnel ! Prenons le temps d’un recul pour observer ce qui fait notre quotidien maçonnique et d’en apprécier toute la saveur !

450.fm : Enfin, l’an prochain, après ce mandat, quels sont vos projets, maçonniques ou profanes ?

TD : En effet en mars prochain je descends de charge. Je serai un soutien pour mon successeur, à la place qu’il souhaitera me voir tenir. J’ai aussi le souhait d’accompagner des projets de création de loges. Égoïstement, retrouver un peu de temps juste pour moi, ce sera déjà un beau programme.

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