dim 07 décembre 2025 - 06:12
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La « Bataille des Arbres de Noël » : Héritage médiéval et compagnonnique d’une concurrence scolaire éternelle

À l’approche de la fin de l’année 2025, la capitale française s’anime avec ses coutumes saisonnières : les éclairages féeriques de l’avenue des Champs-Élysées, les expositions captivantes des grands magasins… et, inévitablement, la « Bataille des Arbres de Noël » qui met aux prises les élèves des lycées Louis-le-Grand et Henri-IV.

Lycée Louis le Grand, Paris 5e

Ce jeu ludique, où les jeunes des deux institutions renommées du Quartier Latin se disputent le rapt fictif d’arbres installés face au Panthéon, va bien au-delà d’une simple espièglerie juvénile. Il puise dans une longue histoire de confrontations collectives, depuis les querelles universitaires du Moyen Âge jusqu’aux affrontements des compagnons au XIXe siècle, où le passage des usages renforçait l’identité de groupe.

Au travers du regard maçonnique, qui met en avant la conservation des cérémonies et la camaraderie – y compris dans l’opposition –, cette « bataille » contemporaine nous pousse à méditer sur la durabilité des pratiques qui lient et séparent les adeptes au fil des âges.

Lycée Saint-Louis, 44 boulevard Saint-Michel, Paris 6e

Origines au Moyen Âge : les étudiants parisiens défendant leur prestige

Afin de saisir l’essence de cette coutume, remontons aux agitations du Moyen Âge. À l’Université de Paris, établie au XIIe siècle et foyer intellectuel du continent européen, les apprenants se regroupaient en « nations » selon leurs provenances régionales, tels les Picards, les Normands ou les Anglais. Ces ensembles, fréquemment antagonistes, se heurtaient dans des débats oraux ou des combats corporels pour des motifs d’honneur, de domaine ou d’avantages scolaires. Les récits historiques, comme ceux de Jacques de Vitry au XIIIe siècle, décrivent des échauffourées de rue frénétiques près de la Sorbonne en gestation, où les étudiants s’appropriaient étendards, emblèmes ou même vivres pour imposer leur domination.

Ces conflits n’étaient pas vains : ils agissaient comme des cérémonies d’initiation, solidifiant le lien d’appartenance et diffusant un sentiment de solidarité.

De la même manière que les novices maçons médiévaux subissaient des tests pour atteindre le rang de maître, ces érudits du passé modelaient leur personnalité par le biais de l’opposition. La maçonnerie opérative, précurseur de la maçonnerie spéculative, s’appuyait également sur cette diffusion verbale et cérémonielle des connaissances, où la compétition entre ateliers ou guildes favorisait la supériorité sans briser l’harmonie fondamentale.

Rixes – source levainbio.com

Résonances du XIXe siècle : les conflits des Compagnons, une solidarité en tension

Cette pratique de concurrence de groupe se prolonge naturellement dans les heurts des compagnons au XIXe siècle, ère de culmination et de fractures majeures pour le compagnonnage. Descendants des guildes médiévales, ces sociétés initiatiques de jeunes artisans dans une variété de professions liées à la construction et à l’artisanat étaient traversées par des divisions religieuses et philosophiques intenses. Le « Devoir de Dieu » (d’obédience catholique) s’opposait au « Devoir de Liberté » (orienté protestant), qui se fragmenta encore en 1804 en sous-ensembles comme les « loups », les « étrangers », les « indiens » et les « gavots ».

site levainbio.com

Ces branches se livraient à des luttes intestines, parfois sanglantes, pour dominer les recrutements, les mouvements sociaux et les zones citadines, aboutissant à des combats organisés causant de multiples victimes.

Des épisodes notables mettent en lumière cette agressivité : en 1816 à Lunel, les sculpteurs sur pierre des « Enfants de Salomon » s’opposèrent à ceux de « Maître Jacques » ; en 1833 à Lyon, des femmes cherchèrent à chasser les compagnons cordonniers, illustrant les frictions liées à l’inclusion de nouveaux corps de métier (tels les cordonniers, intégrés seulement en 1865 par d’autres groupes).

Magnet Maître Jacques, Musée du compagnonnage

Ces affrontements, qui reprirent avec vigueur au début du siècle après une pause relative, marquaient la routine des compagnons boulangers de 1810 à 1855, souvent associés à des méthodes irrégulières de placement de travailleurs. À Tours, par exemple, les disputes entre compagnons charpentiers et d’autres professions dévastaient le district de 1804 à 1848.

Agricol_Perdiguier_1805-1875

Cependant, au cœur de ces scissions, surgirent des efforts de conciliation, annonçant l’idéal maçonnique d’harmonie. Agricol Perdiguier, personnalité clé, défendit l’alliance via ses ouvrages, tel Le Livre du Compagnonnage en 1840, visant à surmonter les divergences. En 1889, Lucien Blanc créa l’Union compagnonnique des Devoirs Unis, une démarche pour fédérer tous les devoirs, même si les antagonismes perdurèrent et accélérèrent le recul du mouvement face à l’essor industriel et aux organisations syndicales émergentes.

site levainbio.com

Ces conflits, bien plus que de banales altercations, constituaient des cérémonies d’affirmation d’identité, propageant les principes de camaraderie et de maîtrise professionnelle – reflets immédiats des tests maçonniques opératifs.

De nos jours, la « Bataille des Arbres de Noël » opposant Louis-le-Grand et Henri-IV – deux institutions créées aux XVIe et XVIIe siècles, imprégnées de cet héritage académique et compagnonnique – résonne avec ces disputes ancestrales.

Sapins-Panthéon

Les étudiants des filières préparatoires, futurs leaders nationaux, s’accaparent les arbres du Panthéon non par méchanceté, mais pour un prix temporaire. Comme le soulignait en 2022 la directrice d’Henri-IV, Stéphanie Motta-Garcia, l’enjeu est de faire pénétrer ces conifères dans les murs de l’école sans alerter quiconque, le triomphateur étant celui qui en collecte le plus. Une version apaisée d’une épreuve qui, en 2011, entraîna des suspensions provisoires pour des élèves d’Henri-IV accusés de larcin authentique.

Le passage inaltérable : une cérémonie annuelle sous le regard indulgent des pouvoirs publics

Ce qui impressionne dans cette habitude, c’est son aptitude à traverser les siècles, à l’instar des cérémonies compagnonniques qui résistèrent aux troubles du XIXe siècle. Depuis plus de dix ans, elle s’opère avec la connivence des responsables des lycées et de l’administration municipale du 5e arrondissement. Cette dernière, accoutumée à ces « razzias » cérémonielles, met même à disposition six modestes arbres non ornés au milieu de la place du Panthéon, aisés à transporter, alors que les plus volumineux sont sécurisés par des bases en ciment.

Emblème_de_la_Brigade_anti-criminalité_(BAC)

Toutefois, la version 2025 a viré au plus intense

Alors que les éditions antérieures se limitaient à des dénonciations occasionnelles des gardiens des parcs, cette fois, la Brigade Anti-Criminalité (BAC) a agi avec fermeté. Des adolescents, pris sur le fait, se sont retrouvés en détention provisoire ou aux urgences de l’hôpital Cochin, signalant une intensification imprévue dans cette « bataille » débonnaire. Cet épisode met en évidence les bornes de la coutume devant la sécurité collective, mais il amplifie aussi son prestige légendaire : les cohortes à venir en feront un récit épique, assurant ainsi la continuité.

Mairie-Ve-arr.

Au sein de ces écoles d’élite de la ville lumière, le relais s’effectue de façon décontractée, quasi mystique. Les diplômés d’antan, devenus souvent des personnalités éminentes – hommes d’État, chercheurs, créateurs –, reviennent narrer leurs souvenirs et dispenser des astuces, insufflant aux novices l’âme de cette concurrence. Louis-le-Grand, qui forma Voltaire et Robespierre, et Henri-IV, berceau de Baudelaire et Sartre, symbolisent cette persistance distinguée. À la manière des maçons qui se transmettent le marteau de maître à maître, ces lieux diffusent non seulement l’érudition scolaire, mais aussi ces rituels amusants qui adoucissent la quête de perfection et tissent des attaches durables.

Un enseignement maçonnique : l’opposition comme voie vers l’harmonie

Examinée à travers la lentille maçonnique, la « Bataille des Arbres de Noël » démontre comment une opposition superficielle peut cacher une camaraderie authentique, similairement aux heurts compagnonniques du XIXe siècle qui dissimulaient une aspiration partagée à la supériorité manuelle. Les deux établissements, adjacents au Panthéon – ce sanctuaire séculier bâti durant la Révolution, emblème de l’humanisme rationaliste prisé des Maçons –, partagent un legs commun : éduquer les penseurs autonomes de l’avenir. De même que les ateliers maçonniques stimulent la discussion pour parvenir à la vérité, cette habitude inculque la ténacité, la créativité et l’estime réciproque. Elle nous enseigne que les cérémonies, qu’elles datent du Moyen Âge, du compagnonnage ou de l’époque actuelle, persistent car elles satisfont un désir humain essentiel : s’inscrire dans une lignée ininterrompue.

En ce temps de célébrations, tandis que Paris resplendit, la « Bataille des Arbres de Noël » nous convie à honorer ces usages qui, bien loin d’être triviaux, entrecroisent les fils de notre récit partagé. Qu’ils se maintiennent, avec modération, pour motiver les descendances à venir – et peut-être, introduire de frais « novices » à l’art de la camaraderie compétitive.

Sapin de Noël

Quand le swing rencontre l’équerre : la franc-maçonnerie afro-américaine et le jazz, une fraternité rythmée

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Planche de la Loge « La Constante Amitié » – GODF – Caen – Planches présentées en 2024 – Thème : « Le jazz est-il la musique la plus maçonnique du monde ? »

En 2017, le jazz fêtait son centenaire officiel ; en 2011, l’UNESCO l’inscrivait au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Ce que l’on célèbre moins, c’est que ses créateurs, ses passeurs et ses géants furent, pour une très large part, des francs-maçons de la filiation Prince Hall – cette obédience noire fondée en 1775 par un ancien esclave affranchi devenu pasteur et révolutionnaire, Prince Hall (1738-1807).

Jazz et Franc-maçonnerie

Dans une Amérique qui leur interdisant l’accès à l’instruction, à la propriété, à la dignité même, ces hommes trouvèrent dans la loge le seul lieu où ils étaient pleinement citoyens, égaux et libres. Et c’est dans ce même sanctuaire qu’ils inventèrent une musique qui allait libérer le monde.

De l’oralité africaine à la transmission maçonnique : même combat

Jazz et Franc-maçonnerie

Comme le souligne très justement notre chroniqueur Yves Rodde-Migdal :
« La culture africaine est fondée sur l’oralité. Or la franc-maçonnerie est la seule institution occidentale qui valorise autant la tradition orale. Le jazz a fonctionné exactement ainsi : on n’entrait jamais dans un grand orchestre sans avoir passé des années à écouter, à observer, à absorber le savoir des Anciens. »

C’est la rencontre de deux mondes oraux, deux mondes de résistance, deux mondes de secret.

Les temples comme salles de répétition de l’âme

À La Nouvelle-Orléans, berceau du jazz, le temple maçonnique n’était pas seulement un lieu de tenues : c’était la principale salle de concert, de bal, de fundraising et de funérailles.
Les loges Prince Hall organisaient les « Masonic dances », les « charity balls », les parades du Mardi Gras noir (le Zulu Social Aid & Pleasure Club, fondé en 1909, est encore aujourd’hui une structure quasi-maçonnique).
Et surtout, elles offraient aux musiciens un salaire régulier : jouer aux obsèques maçonniques était, pendant longtemps, la seule source de revenu stable pour un jazzman noir.Résultat : la « second line » des parades funèbres, avec ses cuivres hurlants et ses rythmes syncopés, est née dans les cours des temples Prince Hall avant de descendre dans la rue.

Ils étaient tous là (ou presque)

Liste (non exhaustive) des frères confirmés membres de loges Prince Hall :

  • Duke Ellington (loge Social Lodge n°1, Washington DC)
  • Count Basie
  • Cab Calloway
  • Lionel Hampton
  • Nat King Cole
  • Oscar Peterson
  • W.C. Handy (le « père du blues »)
  • Eubie Blake
  • Ben Webster
  • Earl Hines
  • Sun Ra (qui ira jusqu’à fonder sa propre cosmogonie maçonnique-égyptienne)
  • Et des dizaines d’autres : Jimmie Lunceford, Alphonse Picou, Cozy Cole…

Même Louis Armstrong, bien qu’il n’ait jamais été formellement initié dans une loge Prince Hall reconnue, évoluait dans un univers où tout le monde l’était : ses obsèques en 1971 furent d’ailleurs accompagnées par une garde d’honneur maçonnique.

Le secret bien gardé… mais visible sur les pochettes

Le trompettiste et chanteur de jazz Louis Armstrong.

Les jazzmen ne composaient pas de « rituels en 12 mesures » ni de « marches d’ouverture en sol mineur ». Le secret maçonnique, ils le respectaient scrupuleusement : on ne mélange pas le maillet et le saxophone.En revanche, ils laissaient des indices partout :

  • triangles, équerres et colonnes sur les pochettes de Max Roach ou Charles Mingus
  • titres comme « Black, Brown and Beige » ou « Black Beauty » de Duke Ellington
  • toute l’œuvre de Sun Ra et son mythe de l’Égypte noire (l’Ancienne Égypte comme patrie originelle des Noirs, thème cher à la maçonnerie Prince Hall dès le XVIIIe siècle)
  • les albums-concept de l’AACM (Association for the Advancement of Creative Musicians) à Chicago, dans les années 60-70, truffés de symboles égyptiens et maçonniques.

C’était leur manière discrète de dire : « Nous sommes là. Nous construisons le temple, note après note. »

La musique comme planche d’architecture

Milt Hinton avait une mémoire sans défaut. Il n’était pas
seulement un excellent contrebassiste, mais un photographe averti. Son livre malheureusement non traduit est une mine d’or.

Milt Hinton, contrebassiste légendaire de l’orchestre de Cab Calloway, raconte dans ses mémoires :« Dans l’orchestre, presque tout le monde était maçon. Entre deux sets, on tenait des tenues rapides dans les loges de backstage. On initiait les jeunes musiciens en tournée. Et chaque année, j’organisais une grande jam-session au temple maçonnique de Saint Paul. »

Le jazz, c’est exactement cela : une cathédrale construite en direct, brique par brique, improvisation par improvisation, sous la voûte étoilée d’un swing fraternel.

Conclusion en forme de coda

Duke Ellington

Le jazz n’est pas une musique maçonnique.
Mais il est, peut-être, la musique la plus maçonnique qui soit :

  • née dans l’oppression,
  • transmise oralement,
  • fondée sur l’écoute de l’Ancien,
  • visant l’harmonie par l’improvisation collective,
  • et célébrant sans cesse la lumière après les ténèbres.

Comme le disait Duke Ellington, frère de la première heure :
« Jouer du blues, c’est comme être noir deux fois. »

Et être maçon Prince Hall dans l’Amérique ségrégationniste, c’était être libre… au moins trois heures par mois, sous la voûte du temple.

Alors la prochaine fois que vous écouterez « Take the A Train », « Sophisticated Lady » ou « What a Wonderful World », fermez les yeux : derrière chaque note, il y a peut-être un frère qui pose sa pierre à l’édifice.Et le jazz continue de construire, silencieusement, le temple de l’humanité.


Fraternellement,
La Loge « La Constante Amitié »
Orient de Caen – GODF
(Planches lues en tenue et applaudies à l’Ordre le 14 mars 2024)

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Entre Equerre et Compas

Dans l’antre de l’Équerre, 
Ombre matière du monde sensible,
se trouve un ventre, une caverne, une étable…

Lumière particule fixée par nos sens,
figée dans l’ambre-temps,
cycles cyclopes asynchrones…

Dans l’angle équerre,
lent, terne, visions, photons,
lanterne de feu fol est…

Émanation d’un Chemin d’étoiles,
cap à suivre, tracé mesuré, récifs azurés,
[Un • connu] pré-amniotique…

Où Équerre incarne Matière figée,
exhalaison principielle,
certitudes aveugles…

Où Compas exalte vibration périodiques,
vie portée, ligne verte, écran noir, nuits de nacre,
pulsation sonore amplifiant battement de [si • Il]…

L’un et l’autre tracent le sillon émeraude,
expérience de peu dans l’immensité du doute,
cycles flux et reflux, temporalités imaginaires…

Entre les Deux il y a l’Union Sacrée,
point de centre sans trait, sans tracé,
seule trace de pas dans la [n’ai • je] éphémère…

Entre les Deux il y a ce Trois,
la réunion du « et », l’interpellation du « eh ! »,
la question de l'attendu qui n’est pas encore « et ? »…

Reste le son de l’indivisible non dit,
l’orant1 en prière les bras tendus,
Le ה (Hé), Souffle, 5 porté en conscience…

Par l’homme de la transe en danse mystique,
Humilité et dignité murmurant dans l’aure2,
Si « Tu es » alors « Je suis », le Présent n’a plus à panser…

Du cercle transe en danse de π (Pi) « Tu es »,
du trait immanence de Φ (Phi) « Je suis »,
quintessence géométrique de l'écho à la construction…

Espérant atteindre les rives,
De [l’Art • en • contre] Lumière d’Aur,
Tout contre ressentir, effleurement de Ton Souffle…

« Entre Équerre et Compas »,
Se retrouve l’épiphanie, point de Centre, Point de Croix,
Union Sacrée du Sublime et du Beau…

Verticalité des deux branches du compas un car né,
réunies en colonne sacrum enté,
croisant horizon de nos bras grands ouverts sans peurs…

Dans cette crypte clef de voûte Œuf renaît,
Antremonde épis centre dans l’ambre fertile,
Équerre de chaire et Compas asile,
le ה (Hé) pour réunir.
  1. Orant : Dans l’art chrétien primitif, personnage représenté en prière, les bras étendus ; Statue funéraire représentant un personnage en prière, à genoux (s’oppose à gisant). ↩︎
  2. Aure : provient du latin aura qui signifie « brise » ou « souffle » et qui est à rapprocher de l’ancien français aure qui signifiait « brise » ou « vent doux ». ↩︎

13/12/25 – GLDF : Conférence publique de Marc Henry à Saumur  (Maine-et-Loire)

Le samedi 13 décembre 2025 à 17 h, Marc Henry, Grand Maître de la Grande Loge de France de 2012 à 2015, donnera une conférence publique intitulée :

« Devenir Franc-maçon aujourd’hui : Pourquoi ? Pour quoi faire ? »

À partir de cette double interrogation, il évoquera les raisons qui peuvent conduire, aujourd’hui, à frapper à la porte d’une loge, le sens d’un engagement initiatique au long cours, ainsi que la place de la démarche maçonnique dans la cité : travail sur soi, quête de sens, exigence éthique et responsabilité fraternelle.

La conférence se tiendra au Château de Saumur.

La forteresse des ducs d’Anjou dressée sur son éperon rocheux, qui domine la ville et la Loire et abrite aujourd’hui un important musée d’arts décoratifs et du cheval. Dans ce cadre patrimonial emblématique de la vallée de la Loire, la Salle de l’Abbatiale, espace voûté issu des anciens bâtiments religieux du site, accueille régulièrement rencontres, conférences et événements culturels, offrant un environnement à la fois historique et serein, propice à la réflexion et à l’échange.

Infos pratiques :

Château de Saumur – Salle de l’Abbatiale 49400 Saumur
Samedi 13 décembre 2025 à 17 h 00
Entrée gratuite, sur inscription préalable en ligne

L’Empereur (IV) : La Puissance de la Stabilité. Ou l’Art de s’asseoir sur le Monde

Bienvenue à vous, fidèles de ce voyage ou esprits curieux qui nous rejoignez pour la première fois. Avant d’ouvrir la porte de ce nouvel arcane, rappelons la règle de notre jeu. Ici, nous ne tirons pas les cartes pour prédire l’avenir. Nous laissons la divination de côté pour explorer le Tarot d’Oswald Wirth tel qu’il est présenté dans le livre Le Tarot miroir des symboles : comme un langage universel.

Voyez ces cartes non pas comme des oracles, mais comme les chapitres d’un livre dont vous êtes le héros. Le Tarot est une aide précieuse pour décrypter votre propre scénario de vie, une carte géographique pour votre quête spirituelle personnelle.

Pour le comprendre, il ne suffit pas de le regarder, il faut le vivre. Je vous invite donc à vous glisser dans la peau du personnage.

De l’Impératrice à l’Empereur

La semaine dernière, vous étiez L’Impératrice (III). Vous étiez le mouvement pur, l’explosion de vie, la créativité sans limites, la « source qui déborde ». Vous avez ressenti cette vitalité, cette nature luxuriante qui s’étend dans toutes les directions. C’était une phase d’expansion nécessaire et grisante.

Mais une énergie qui se diffuse sans jamais être canalisée risque de se perdre. Un jardin sans clôture ni allées redevient vite une terre en friche. Votre créativité a besoin d’un cadre. Votre élan a besoin d’une structure pour durer.

L’énergie change. Elle se densifie, se stabilise. Vous devenez… L’Empereur.

Fini, le trône au milieu de la nature. Vous voici assis sur un cube solide. Vos jambes se croisent. Votre regard se fixe. Vous n’êtes plus la mère qui enfante, vous êtes le père qui structure. Vous êtes la Loi, la Règle, le Cadre.

Si l’Impératrice était le désir ou le manque qui motive la quête, l’Empereur est la structure qui permet de la réaliser concrètement.

Le Trône de la Stabilité : La Pierre Angulaire

Regardez où vous êtes assis. Ce n’est pas un siège ordinaire. C’est un trône cubique doré. Dans le langage des symboles, le cube est la forme de la perfection matérielle, de la stabilité absolue. Vous êtes ancré. Rien ne peut vous ébranler.

Contrairement à l’Impératrice qui portait l’Aigle d’or (l’esprit) sur son blason, vous avez un Aigle noir qui orne votre trône. Il incarne la force active, la puissance de réalisation. Vous tenez le sceptre dans votre main droite (la volonté active) et le globe du monde dans votre main gauche. Vous ne rêvez pas le monde, vous le gouvernez.

Mais ne vous y trompez pas : L’Empereur n’est pas un tyran rigide. Observez ses jambes. Elles sont croisées en forme de X, ou croix de saint André. Ce n’est pas une posture de repos, c’est un signe de stabilité dynamique, une intersection symbolique où le spirituel rencontre le matériel.

La Construction du Réel : Pistes d’Analyse

Vous avez reçu la vie de l’Impératrice. En devenant L’Empereur, vous allez lui donner une forme durable. Le Tarot miroir des symboles nous éclaire sur cette architecture intérieure.

La Porte du Monde Matériel

La Lettre Daleth (ד) L’apport d’Oswald Wirth a été notamment de mettre en lumière le rapport entre alphabet hébraïque et lames du tarot. Vous étiez Ghimel (le mouvement). Vous devenez Daleth (ד), la Porte. Mais pas n’importe quelle porte : celle qui donne accès au monde matériel créé. L’Empereur est celui qui garde le seuil de la réalité concrète. Il permet aux idées de l’Impératrice de s’incarner, de passer du concept à la réalité tangible.

La Miséricorde du Père

Le lien Kabbalistique On imagine souvent l’Empereur comme la Rigueur pure. C’est une erreur d’interprétation fréquente. Sur l’Arbre de Vie, il correspond à Chesed (חסד), la Miséricorde ou la Compassion. C’est la quatrième Séphirah. L’Empereur est un père bienveillant, un architecte qui organise le monde non pour le contraindre, mais pour le protéger et le faire prospérer. Il est l’autorité légitime qui structure pour le bien de ce qu’il gouverne.

Le Chiffre 4 : La Base de Tout

Vous incarnez le Quatre. Les quatre points cardinaux, les quatre éléments (Feu, Air, Eau, Terre) qui composent la matière. Le 4, c’est la base, le carré, la fondation. Vous êtes le pragmatisme et la responsabilité. Vous êtes la preuve que pour s’élever, il faut d’abord avoir des fondations solides.

La Clôture du Premier Quarténaire : La Forme Achevée

Arrêtons-nous un instant sur une notion capitale développée dans Le Tarot miroir des symboles. Avec le chiffre IV, nous ne franchissons pas seulement une étape linéaire : nous bouclons un cycle complet, celui du Premier Quarténaire.

Voyez-le comme la genèse de toute chose :

  1. Le Bateleur était le sujet actif (l’étincelle).
  2. La Papesse était l’objet passif (la substance).
  3. L’Impératrice était l’action médiatrice (le verbe).
  4. L’Empereur est le Résultat.

Il est le point d’orgue de la constitution du monde. Le triangle de l’esprit (1, 2, 3) s’est incarné pour former le carré de la matière (4). L’Empereur met fin à la volatilité des débuts ; avec lui, « l’œuvre est faite ». Le décor de votre vie est désormais planté, solide et tangible. La phase de création (cosmogonie) est terminée ; c’est maintenant la phase d’évolution spirituelle (anthropogonie) qui va pouvoir commencer.

Le Miroir du Soleil (L’Arcane XIX)

Pour comprendre qui nous sommes, il faut accepter le reflet de notre miroir. C’est le message souterrain de la proposition d’Oswald Wirth, qui voit dans le tarot une échelle de Jacob, avec des arcanes montants et descendants reliés symboliquement par un même barreau d’échelle. Qui regarde l’Empereur dans le grand jeu des correspondances transversales ? C’est Le Soleil (XIX). L’Empereur est la stabilité terrestre ; le Soleil est l’épanouissement céleste. L’un construit l’ordre social et matériel, l’autre rayonne la joie spirituelle. L’Empereur prépare le monde pour que le Soleil puisse l’illuminer.

Aparté : Qui est Vladimir Propp et pourquoi parle-t-on de ses archétypes ?

Puisque nous évoquons régulièrement le rôle des arcanes dans la narration (Le Donateur, le Héros…), il est temps de présenter l’homme derrière cette grille de lecture.

Vladimir Propp (1895-1970) était un folkloriste russe qui a révolutionné l’étude des récits avec son ouvrage majeur, Morphologie du conte, publié en 1928. En analysant des centaines de contes populaires russes, il a découvert qu’ils partageaient tous une structure unique, une « ossature » invisible.

Il a démontré que, peu importe l’histoire, on retrouve toujours 7 types de personnages (ou sphères d’action) qui remplissent des fonctions précises : le Héros, l’Agresseur, le Donateur, l’Auxiliaire magique, la Princesse (ou l’objet de la quête), le Mandateur et le Faux Héros.

Dans notre lecture du Tarot, L’Empereur incarne l’archétype du Mandateur (ou du Père de la Princesse). C’est la figure d’autorité qui envoie le héros en mission ou qui valide sa quête. Il représente le défi de l’autorité extérieure que le héros doit convaincre ou intégrer pour avancer. Propp nous aide ainsi à comprendre que le Tarot n’est pas une suite d’images figées, mais un récit universel dont vous êtes le protagoniste. C’est la proposition inédite que je développe dans mon livre.

Conclusion : L’Ordre avant l’Esprit

En devenant L’Empereur, vous apprenez la leçon fondamentale de la structure. Vous comprenez que pour durer, l’énergie vitale doit être canalisée. Vous êtes passé de Créer à Structurer.

L’ouvrage Le Tarot miroir des symboles insiste sur le fait que l’Empereur a pour mission de tirer le monde visible hors du chaos.

Mais regardez bien… Cet ordre est magnifique, puissant, stable. Mais n’est-il pas un peu… terrestre ? Avoir le pouvoir sur la matière est essentiel, certes. Mais qu’en est-il du sens de tout cela ? Qu’en est-il de l’esprit qui doit habiter cette matière ? Une structure sans âme risque de devenir une coquille vide.

L’Empereur a construit le Temple, mais il manque celui qui va y faire descendre le Sacré. Il manque le guide spirituel qui donnera le « pourquoi » après le « comment ».

C’est la prochaine étape de notre jeu… Bientôt, nous quitterons le trône temporel pour rencontrer l’autorité spirituelle du Pape (V).

Mais n’allons pas trop vite…

« La puissance ne réside pas dans la force, mais dans la stabilité de la Loi », disait l’Empereur.

« Le Tarot miroir des symboles »

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Théorie de l’Évolution, regards croisés entre éthique et science

Les avancées en biologie et en génétique ne cessent de remodeler notre compréhension du monde vivant, il est plus pertinent que jamais d’explorer comment la théorie de l’évolution influence notre réflexion éthique. Charles Darwin, avec la publication de L’Origine des Espèces en 1859, n’a pas seulement révolutionné la biologie ; il a posé les bases d’un débat philosophique profond sur l’origine de la moralité humaine.

Sommes-nous des êtres moraux par une providence divine, ou notre sens du bien et du mal est-il le fruit d’un processus évolutif naturel qui s’est déroulé sur des millions d’années ?

Cette question touche à l’essence même de la philosophie morale : d’où proviennent nos normes éthiques, et comment les justifier dans un monde régi par la sélection naturelle ?

L’éthique évolutionniste, ou éthique darwinienne, désigne les approches qui intègrent les principes de l’évolution biologique dans la philosophie morale. Au sens large, elle examine comment les théories évolutionnistes expliquent l’émergence des comportements moraux, et au sens normatif, elle tente de dériver des principes éthiques de ces processus naturels. Ce domaine n’est pas exempt de controverses : il oscille entre une fascination pour les mécanismes adaptatifs et des craintes d’un relativisme moral absolu.

Les Fondements de l’Éthique Évolutionniste

L’éthique évolutionniste émerge au XIXe siècle, fortement influencée par les idées de Charles Darwin, mais ses racines remontent à des penseurs antérieurs comme Herbert Spencer.

Spencer est un un philosophe et sociologue britannique (1820-1903), souvent considéré comme le père de l’évolutionnisme social. Dans ses œuvres comme Principles of Biology et The Data of Ethics, il développe une théorie où l’évolution n’est pas seulement biologique, mais s’étend à la société humaine. Il popularise l’expression «survie du plus apte» , qu’il applique à la fois aux organismes et aux structures sociales. Pour Spencer, l’évolution est un processus progressif et inévitable menant d’un état simple et homogène à un état complexe et hétérogène.

En éthique, il démontre que les normes morales émergent naturellement de ce processus : les sociétés évoluent vers plus de coopération et d’altruisme parce que ces traits favorisent la survie collective. Son évolutionnisme social justifie un laissez-faire économique, où la compétition élimine les « inaptes », menant à un progrès moral global. Cependant, cette théorie a été critiquée pour son déterminisme et son potentiel à justifier les inégalités sociales.

Charles Darwin (1809-1882), le pilier central de cette éthique, va plus loin en ancrant la moralité dans la biologie. Dans L’Origine des Espèces par le Moyen de la Sélection Naturelle (1859), Darwin expose sa théorie de la sélection naturelle : les organismes varient aléatoirement, et ceux dont les variations confèrent un avantage reproductif survivent et transmettent ces traits. Ce mécanisme, sans direction ni but, explique la diversité des espèces. Mais c’est dans La Descendance de l’Homme et la Sélection Sexuelle (1871) que Darwin applique cela à l’éthique. Il postule que les sentiments moraux humains découlent d’instincts sociaux hérités des animaux.

Pour lui, la moralité évolue en quatre étapes : d’abord, des instincts sociaux basiques chez les animaux (comme la protection de la progéniture, la cohésion des troupeaux ou l’entraide chez les primates) ; ensuite, le développement de l’intellect humain permettant la réflexion sur les conséquences des actions et ressentir du remords quand nous violons les normes sociales, permettant de réfléchir aux impulsions et de choisir des actions à long terme. ; troisièmement, l’influence du langage et des habitudes sociales qui propagent les normes morales via l’éducation et la culture. ; enfin, l’extension de la sympathie au-delà du groupe immédiat vers l’humanité entière, d’abord limitée à la famille et à la tribu, puis à l’humanité entière, et même aux animaux non humains.

Cette vision est humaniste car Darwin croit en un progrès moral : l’évolution nous a dotés d’une capacité à élargir notre cercle de sympathie. Influencé par l’utilitarisme de Jeremy Bentham et John Stuart Mill, il argue que le critère ultime de la moralité est le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. Contrairement aux darwinistes sociaux comme Spencer, qui voyaient la compétition comme un bien moral intrinsèque, Darwin met l’accent sur la coopération et la compassion. Il défend l’idée que la raison humaine peut surpasser les instincts primitifs, menant à une éthique plus inclusive et bienveillante. Par exemple, il condamne l’esclavage et plaide pour les droits des animaux, voyant dans l’évolution une base pour une moralité universelle.

Philosophiquement, cela implique que la conscience morale est un produit évolué : le remords découle de conflits internes entre instincts sociaux et impulsions égoïstes, renforcés par l’approbation sociale. Darwin humanise ainsi l’éthique : nous ne sommes pas des pécheurs originels ou des créations divines parfaites, mais des animaux élevés par l’évolution à un niveau de moralité réflexive. Cette théorie influence des penseurs modernes comme Peter Singer, qui étend la sympathie darwinienne aux animaux sentients [doués de conscience] (La libération animale, 1975).

Au XXe siècle, cette idée est approfondie par des biologistes comme William D. Hamilton (1936-2000), qui développe la théorie de la sélection de parentèle dans ses articles de 1964. Hamilton explique l’altruisme apparent – comme un animal sacrifiant sa vie pour ses proches – par une formule mathématique : rB > C, où r est le degré de parenté génétique, B le bénéfice pour le receveur, et C le coût pour l’acteur. Ainsi, aider un parent (qui partage des gènes) maximise la transmission génétique inclusive. Cette théorie précise comment l’évolution favorise des comportements « moraux » comme l’entraide familiale, sans recours à une finalité morale transcendante.

Robert Trivers (né en 1943), un autre pionnier, introduit l’altruisme réciproque . Selon Trivers, les individus coopèrent avec des non-parents si cela est mutuellement bénéfique à long terme, comme dans le modèle du « dilemme du prisonnier » itératif. Des mécanismes comme la reconnaissance des tricheurs et la punition évoluent pour stabiliser cette coopération. Cela explique des normes morales humaines comme la loyauté et la réciprocité, vues comme adaptations évolutives.

Edward O. Wilson (1929-2021), fondateur de la sociobiologie avec son ouvrage Sociobiology : The New Synthesis (1975), étend ces idées à l’ensemble des comportements sociaux. Wilson expose que la moralité humaine est un produit de gènes et d’environnement, rendant l’éthique une branche de la biologie empirique. Il propose que les normes morales, comme l’inceste tabou ou l’altruisme, sont des adaptations génétiques façonnées par la sélection multilevel (individus et groupes). Dans On Human Nature (1978), il défend une éthique unifiant sciences et humanités pour une moralité basée sur la connaissance évolutionniste.

Philosophiquement, l’éthique évolutionniste se divise en deux branches : descriptive et normative.

L’approche descriptive explique comment les normes morales ont émergé via l’évolution, s’appuyant sur l’éthologie et la psychologie évolutionniste. Par exemple, nos intuitions morales – empathie, dégoût, sens de l’équité – sont des modules cognitifs façonnés par la sélection.
L’approche normative, plus controversée, tente de dériver des obligations éthiques des faits évolutifs. Pour Darwin et Spencer, ce qui est « bon » est ce qui a été sélectionné pour promouvoir la survie. Cependant, cela pose des problèmes : si la moralité est adaptative, est-elle relative aux contextes évolutifs ? Par exemple, l’agression ou la xénophobie pourraient être «naturelles», mais cela justifie-t-il leur éthique ?

Malgré son attrait explicatif, l’éthique évolutionniste suscite des critiques philosophiques profondes. La plus influente est la « naturalistic fallacy » formulée par George Edward Moore (1873-1958) dans Principia Ethica (1903). Moore pense que l’on commet une erreur logique en dérivant des jugements normatifs (ce qui devrait être) de faits descriptifs (ce qui est). Pour lui, le « bien » est une propriété simple et indéfinissable, non réductible à des faits naturels comme la survie ou le plaisir. Si l’évolution décrit comment la moralité a émergé, elle ne peut prescrire ce qui est moralement bon ; cela confondrait explication et justification.

Cette critique s’inspire de David Hume (1711-1776), qui dans Traité de la Nature Humaine pose le problème du fait au devoir. Hume observe que les énoncés descriptifs ne peuvent logiquement mener à des énoncés prescriptifs sans un pont axiomatique. Pour Hume, la moralité repose sur les sentiments humains (sympathie, approbation), non sur la raison seule. L’éthique évolutionniste, en naturalisant ces sentiments, risque de circularité : si la moralité est adaptative, pourquoi devrions-nous la suivre si elle n’est pas intrinsèquement bonne ?

Une autre critique est le relativisme moral : si la moralité évolue en fonction des environnements, elle est contingente et non absolue. Cela pourrait mener à un nihilisme où les normes sont arbitraires. Par exemple, Francis Galton (1822-1911), cousin de Darwin, développe l’eugénisme dans Inquiries into Human Faculty and Its Development (1883), expliquant que l’évolution justifie l’amélioration génétique humaine par sélection artificielle. Cette théorie, abusée au XXe siècle (stérilisations forcées, nazisme), illustre comment l’éthique évolutionniste peut justifier des pratiques immorales en les qualifiant de « naturelles ».

Alvin Plantinga (né en 1932), philosophe théiste, critique dans Warrant and Proper Function via l’argument évolutionniste contre le naturalisme. Il argue que si nos facultés cognitives sont évoluées pour la survie, non pour la vérité, nos croyances – y compris en l’évolution – sont peu fiables. Cela sape les jugements moraux évolutionnistes, qui pourraient être des illusions adaptatives plutôt que des vérités objectives.

Thomas Nagel (né en 1937), dans Mind and Cosmos (2012), critique le matérialisme réducteur de l’éthique évolutionniste, arguant qu’il ignore la conscience subjective et la valeur intrinsèque. Pour Nagel, l’évolution explique les comportements, mais pas pourquoi nous devrions valoriser la moralité au-delà de l’utilité.

Enfin, des critiques sociopolitiques émergent avec Stephen Jay Gould (1941-2002), qui dans The Mismeasure of Man (1981) dénonce l’adaptationnisme excessif, voyant dans l’éthique évolutionniste un risque de justifier inégalités raciales ou de genre comme « naturelles ».

Aujourd’hui, l’éthique évolutionniste influence profondément des domaines comme la bioéthique et l’écologie: améliorer génétiquement l’humanité pour éliminer des maladies est-il moral, ou viole-t-il la dignité humaine en jouant à Dieu ? L’évolution suggère que la variabilité génétique est clé pour l’adaptation, rendant l’eugénisme risqué pour la résilience des populations.

En éthique environnementale, l’évolution souligne notre interdépendance : E.O. Wilson, dans Biophilia (1984), théorise que notre amour inné pour la nature (biophilie) est une adaptation évolutive, favorisant une éthique de préservation. Face au changement climatique, cette perspective soutient une moralité globale : notre survie dépend de l’altruisme étendu à l’échelle planétaire.

En psychologie évolutionniste, Jonathan Haidt (né en 1963), dans The Righteous Mind (2012), explique les biais moraux comme le tribalisme ou le conservatisme comme héritages évolutifs, aidant à les surmonter pour une éthique plus rationnelle. Peter Singer (né en 1946), influencé par Darwin, étend la sympathie aux animaux dans Practical Ethics (1979), arguant que la souffrance transcende les espèces, basant son utilitarisme sur des faits évolutifs.

Pourtant, des risques persistent : un relativisme culturel où des pratiques comme l’infibulation sont justifiées comme adaptatives, ou une justification de comportements « naturels » immoraux comme la violence.

L’évolution et l’éthique forment un dialogue riche et nuancé : l’évolution explique les origines de nos intuitions morales, mais ne dicte pas nos choix éthiques ultimes.

Les théories de Darwin, Spencer, Hamilton, Trivers, Wilson et d’autres nous invitent à une humilité cosmique : nous sommes les produits d’un processus aveugle et contingent, mais dotés d’une raison capable de transcender nos instincts pour construire une moralité plus inclusive. Comme Darwin l’espérait, un progrès moral est possible, en élargissant notre cercle de sympathie pour un monde plus juste et durable. Cette perspective nous appelle à intégrer la science dans l’éthique, sans la réduire à elle seule, pour affronter les défis du XXIe siècle avec sagesse.

La semaine prochaine nous aborderons
La Science Quantique et l’Évolution Biologique

Le dossier « Orwell, l’Intemporel » dans la Revue des Deux Mondes

George Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair (1903-1950), est un écrivain britannique visionnaire, célèbre pour ses œuvres dystopiques comme 1984 et La Ferme des animaux, qui dénoncent les dérives totalitaires, la manipulation du langage et la surveillance étatique. Journaliste engagé, socialiste critique et observateur lucide des injustices sociales, Orwell reste une référence intemporelle pour décrypter les menaces contemporaines à la liberté. Ce dossier de la Revue des Deux Mondes, intitulé « Orwell, l’Intemporel », explore précisément cette actualité persistante de son œuvre, à travers des analyses variées qui relient ses idées aux défis d’aujourd’hui, de l’intelligence artificielle aux manipulations idéologiques.

La Revue des Deux Mondes consacre son numéro de décembre 2025 – janvier 2026 à un dossier exhaustif intitulé « Orwell, l’Intemporel », explorant l’œuvre et l’héritage de George Orwell.

Ce dossier, qui s’étend sur plusieurs contributions, met en lumière la pertinence persistante de l’auteur britannique face aux défis contemporains tels que les totalitarismes, la surveillance, la manipulation linguistique et les avancées technologiques. L’éditorial d’Aurélie Julia introduit le thème en reliant Orwell à des phénomènes actuels comme l’intelligence artificielle et la dépendance numérique, soulignant comment ses prédictions sur la servitude volontaire et la corruption du langage résonnent aujourd’hui.

Aperçu biographique et littéraire

Isabelle Jarry, dans « La sentinelle », retrace le parcours d’Orwell, de son service dans la police impériale en Birmanie à ses expériences de pauvreté à Paris et Londres, décrites dans Dans la dèche à Paris et à Londres (1933). Elle met l’accent sur son évolution vers un engagement social, illustré par Le Quai de Wigan (1937) et Hommage à la Catalogne (1938), où il dénonce les injustices et les dérives totalitaires. Jarry souligne la prolifération de son œuvre, incluant romans, essais et chroniques, et son aspiration à une écriture véridique, culminant dans 1984 (1949), écrit dans des conditions de santé précaires.

Christian Authier, dans « Le Quai de Wigan : Orwell parmi nous », analyse ce récit-enquête sur la misère ouvrière en Angleterre des années 1930, divisé en deux parties : une immersion descriptive et une réflexion sur le socialisme. Christian Authier note les parallèles avec l’époque actuelle, comme les inégalités persistantes, la déconnexion des élites de gauche et l’impact des machines sur le travail, préfigurant l’automatisation et l’intelligence artificielle.

Sébastien Lapaque, dans « Écrire à bout portant », examine le journalisme d’Orwell, influencé par H.G. Wells, et son combat contre les illusions du progrès. Sébastien Lapaque décrit Orwell comme un observateur lucide des erreurs de la gauche, critiquant le pacifisme face au nazisme et l’aveuglement face au stalinisme, tout en valorisant sa quête de vérité et sa défense d’un langage clair.

Thèmes contemporains et dystopiques

Laurent Alexandre, dans « L’IA fusionne Orwell et Huxley », fusionne les visions d’Orwell et d’Aldous Huxley pour analyser l’impact des technologies NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). Il évoque les implants cérébraux comme Neuralink et la sélection embryonnaire, transformant la surveillance orwellienne en une symbiose avec le plaisir huxleyen, où l’humanité risque une abdication volontaire face à une « noosphère » algorithmique.

Marin de Viry, dans « Béatitudes de l’esprit public », propose une lecture spirituelle des dystopies, opposant l’esprit public – béni ou maudit – aux totalitarismes. Il critique les utopies comme des illusions machiavéliennes, où le pouvoir manipule les désirs collectifs, et appelle à une vigilance face aux excès de la modernité.

Robert Kopp, dans « Utopies dystopiques de Platon à Houellebecq », trace l’histoire des utopies depuis Platon jusqu’à Houellebecq, en passant par More, Campanella et Fourier. Il distingue utopies positives et dystopies critiques, positionnant Orwell comme un anti-utopiste réaliste, influencé par Zamiatine et Huxley, qui met en garde contre les sociétés planifiées ignorant la nature humaine imparfaite.

Delphine Jouenne, dans « Le retour des Césars », compare les totalitarismes modernes aux empereurs romains (Caligula, Néron, Domitien), en écho à Orwell. Elle analyse comment le langage anesthésie le réel, la guerre maintient l’équilibre, le grotesque immunise du ridicule et la mémoire verrouille le pouvoir, illustrant une vérité intemporelle sur la domination.

Tombe de George Orwell

Vincent Hein, dans « Pékin vous regarde » témoigne de la surveillance omniprésente en Chine, comparée au Big Brother orwellien. Il décrit un système d’yeux électroniques et d’IA qui intègre la vie quotidienne, transformant la société en un réseau réactif où la conformité est imposée subtilement.

Sami Biasoni, dans « La bataille des mots », explore la manipulation linguistique chez Orwell, particulièrement dans le « novlangue » de 1984. Il relie cela aux débats actuels sur l’inclusivité et les euphémismes, arguant que le langage structure la pensée et que sa simplification appauvrit la réalité, favorisant les idéologies totalitaires.

Florilège et résonances

Claudine Wéry clôt le dossier avec un « Florilège » de citations d’Orwell, soulignant leur actualité sur les inégalités, le totalitarisme, la manipulation et la quête de vérité. Ces extraits renforcent l’idée que l’auteur reste un critique acerbe de la société moderne.

Ce dossier collectif illustre comment l’œuvre d’Orwell transcende son époque, offrant des outils analytiques pour décrypter les menaces contemporaines à la liberté individuelle et collective. Il invite à une réflexion sur la vigilance nécessaire face aux évolutions sociétales, sans proposer de solutions idéologiques mais en insistant sur l’importance de la vérité et du langage.

La Revue des Deux Mondes – Orwell, l’Intemporel  

CollectifRevue des Deux Mondes, novembre 2025, 160 p., 20 €

Revue des Deux Mondes , le site

10/12/25 – GLDF : conférence publique avec Régis Campo à Paris

La Loge « Union & Bienfaisance » n°187, à l’Orient de Paris, organise le mercredi 10 décembre 2025 une conférence publique intitulée « La lumière dans la création musicale ». L’intervenant sera Régis Campo, compositeur de musique et membre de l’Académie des Beaux-Arts.

Au cours de cette rencontre, il présentera sa réflexion sur la place de la lumière dans le travail du créateur : lumière matérielle de la scène et de la salle, lumière symbolique associée aux œuvres et aux parcours artistiques, lumière intérieure enfin, qui nourrit l’inspiration et la mise en forme musicale. L’intervention prendra la forme d’une conférence illustrée, suivie d’un échange avec le public.

Blason GLDF
Blason GLDF

Informations pratiques

Date et horaire : mercredi 10 décembre 2025, de 19 h 30 à 21 h 30 / Lieu : Hôtel de la Grande Loge de France, grand temple « Franklin Roosevelt » / 8, rue Louis Puteaux, 75017 Paris (métro Rome) / Organisation : RL n°187 « Union & Bienfaisance » à l’Orient de Paris Inscription : participation gratuite, inscription obligatoire via la billetterie en ligne

05/12/25 – 14ᵉ Prix National de la Laïcité : des Mariannes pour celles et ceux qui font vivre la République

Le 5 décembre 2025, le Temple Arthur Groussier, au siège du Grand Orient de France, 16 rue Cadet à Paris, accueillera de 18 h 30 à 20 h 30 la cérémonie du 14ᵉ Prix National de la Laïcité, organisée conjointement par le Grand Chapitre Général du Rite Français et le Grand Orient de France. L’accueil du public débutera dès 18 h 00, sur inscription préalable via le site du GODF.

Dans ce haut lieu de la sociabilité républicaine, de la réflexion citoyenne et de l’engagement maçonnique, la soirée se déroulera en présence de Pierre Bertinotti, Grand Maître du Grand Orient de France, sous la présidence de Philippe Guglielmi, Grand Vénérable du Grand Chapitre Général. L’invité d’honneur sera Richard Ferrand, Président du Conseil constitutionnel, rappelant par sa seule présence que la laïcité ne relève pas seulement de la mémoire de 1905 mais bien du bloc de constitutionnalité, au cœur de l’État de droit contemporain.

Blason GODF

Face à lui, le jury chargé de distinguer les lauréats sera présidé par le journaliste Renaud Dély. Observateur averti de la vie politique française, familier des dérives extrémistes et des manipulations identitaires, il apportera à cette présidence une exigence intellectuelle et une vigilance démocratique qui disent beaucoup de l’esprit du Prix : distinguer celles et ceux qui font réellement vivre la laïcité, loin des instrumentalisations et des faux-semblants.

Philippe Guglielmi

Les Prix de la Laïcité remis ce soir-là par le Grand Chapitre Général et le Grand Orient de France se déclinent en plusieurs catégories : un Prix National de la Laïcité, un Prix International de la Laïcité, ainsi que, selon les années, un ou plusieurs Prix spéciaux – notamment consacrés aux Droits de l’Homme et de la femme. Pour chacune de ces catégories, il peut y avoir plusieurs récipiendaires, individuels ou collectifs, afin de rendre justice à la diversité des engagements : élus, associations, collectifs de terrain, institutions, initiatives citoyennes, œuvres intellectuelles ou culturelles.

Pierre Bertinotti

Tous ces lauréats ont un point commun : ils repartiront avec une Marianne

Mais pas n’importe quel trophée. Ces Mariannes s’inscrivent dans la lignée de la célèbre Marianne dite « maçonnique », créée au XIXᵉ siècle par le sculpteur et franc-maçon Paul Lecreux, plus connu sous le nom d’artiste Jacques France.

Marianne-GODF

Commandée à l’origine par une loge, bientôt adoptée par le Grand Orient de France avant de gagner les façades de nombreuses mairies, cette figure de la République se reconnaît à son bonnet phrygien, à sa couronne civique de chêne et d’olivier – justice, force, paix – et à son cordon parfois orné de symboles maçonniques, parfois gravé des grandes dates républicaines 1789, 1848, 1870.

Elle incarne à la fois la République et l’idéal maçonnique de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité. Chez Jacques France / Paul Lecreux, Marianne n’est pas une allégorie mais une présence vigilante : elle veille sur les travaux des loges comme sur les délibérations des assemblées municipales. Dire que les Mariannes sont les trophées remis aux heureux et méritants lauréats, c’est donc affirmer qu’on leur confie un fragment de cette histoire symbolique. En recevant leur Marianne, les récipiendaires entrent dans une lignée qui relie le combat républicain, la défense des droits humains et la tradition maçonnique engagée pour la liberté de conscience.

Renaud Dély (Crédit : Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons)

L’architecture même du Prix – Prix National, Prix International, Prix spéciaux – dessine une véritable cartographie de la laïcité vécue. Le niveau national permet de distinguer les politiques publiques, les actions éducatives, les initiatives associatives qui, en France, défendent l’espace commun laïque et l’égalité des citoyennes et citoyens. Le niveau international rappelle que la laïcité, loin d’être une singularité hexagonale, est aussi un horizon universel de liberté de conscience, que d’autres sociétés cherchent, expérimentent ou revendiquent sous des formes diverses. Quant aux éventuels Prix spéciaux, en particulier ceux dédiés aux Droits de l’Homme et de la femme, ils soulignent que la laïcité ne va jamais sans la dignité des personnes, sans l’égalité réelle entre les sexes, sans la protection des plus vulnérables.

Monsieur Richard Ferrand, Président du Conseil constitutionnel

La présence de Richard Ferrand, Président du Conseil constitutionnel, donnera à la cérémonie une tonalité institutionnelle forte : la laïcité n’est pas qu’un mot de nos frontons, c’est une norme juridique qui irrigue la jurisprudence, garantit l’égalité devant la loi, protège la liberté de croire ou de ne pas croire, encadre la neutralité de la puissance publique. Sous le regard du « gardien de la Constitution », la remise des Mariannes prendra la valeur d’un signe : celui d’une République qui assume ses principes et les honore concrètement.

À ses côtés, le jury présidé par Renaud Dély viendra rappeler qu’une démocratie vivante a besoin de contre-pouvoirs critiques et de voix capables de démasquer les discours de haine qui se déguisent parfois en défense de la laïcité. Confier cette responsabilité à un journaliste aguerri, habitué à analyser les extrémismes, les populismes et les détournements des valeurs républicaines, c’est affirmer que ce Prix se situe clairement du côté d’une laïcité émancipatrice, inclusive, qui protège plutôt qu’elle n’exclut.

Le choix du Temple Arthur Groussier n’est pas anodin

Ce lieu est l’un des grands théâtres symboliques où se sont pensés, depuis des décennies, le rôle de l’École publique, la justice sociale, la place des femmes, les combats contre tous les fanatismes. Que le 14ᵉ Prix National de la Laïcité y soit remis, en cette année du 120ᵉ anniversaire de la loi de 1905, souligne la continuité d’un engagement : faire de la laïcité non pas un slogan, mais un principe vivant, au service d’une République à la fois ferme sur ses valeurs et ouverte à la pluralité des convictions.

Loi de 1905

Ouverte au public, sur inscription obligatoire, la soirée du 5 décembre 2025 se veut enfin un moment de partage : maçons et non-maçons, militants associatifs, enseignants, étudiants, élus, simples citoyennes et citoyens attachés à la laïcité pourront y retrouver ce qui fait le cœur de ce principe : la liberté de conscience pour chacune et chacun, la protection de l’espace commun contre les emprises, la promesse d’une fraternité possible au-delà de nos différences.

Entre mémoire et avenir, entre Temple maçonnique et République laïque, entre Mariannes de Jacques France et réalités contemporaines, ce 14ᵉ Prix National de la Laïcité viendra rappeler, ce soir-là, que la laïcité n’est ni un vestige ni un totem : elle est un combat pacifique, quotidien, qui continue de se vivre, de s’enseigner et de se célébrer.

GODF - Grand Temple Arthur Groussier, fresque
GODF – Grand Temple Arthur Groussier, fresque

La parole du Véné du lundi : « Notre Amour Fraternel doit tous les rendre jaloux »

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Mes Bien-Aimés Frères en tout et pour tout,

Ce soir, comme d’habitude, le flyer nous promettra « une Loge havre de paix, temple de lumière, fraternité éternelle, amour universel, bisous et câlins ». On y croirait presque… si on n’avait pas déjà mis les pieds dedans. Parce que soyons sérieux deux minutes : la Franc-maçonnerie est le seul endroit au monde où l’on arrive en quête d’harmonie cosmique et où l’on ressort avec une envie furieuse de rétablir la peine de mort pour port de tablier mal repassé.

Ici, l’Apprenti se fait plumer de 3 000 € par le Frère Trésorier « pour un placement sûr en or et pierre » (spoiler : l’or était en plaqué et la pierre était tombale).
Le Compagnon reste quatre ans la bavette baissée parce qu’il a osé dire que le rituel d’ouverture ressemblait à une chorégraphie de colonie de vacances.
Et les Maîtres ? Ah, les Maîtres… Ils passent leurs tenues à se battre comme des hyènes autour d’un maillet, histoire de savoir qui aura le privilège de diriger la troupe de clowns pendant les douze prochains mois.

Et que dire des étages supérieurs, dans l’Obédience ? Là-haut, c’est plus subtil : on ne se tape pas dessus avec les épées flamboyantes, on se fait juste blackbouler à vie, exclure pour « atteinte à l’harmonie », ou on découvre que le Très Respectable qui prêche la tolérance depuis trente ans a monté une kabbale pour virer le Frère X parce que… sa femme est plus jolie que la sienne.

Franchement, pourquoi venir en Loge si c’est pour retrouver les mêmes aigris, les mêmes escrocs, les mêmes egos surdimensionnés qu’au bureau ou au club de pétanque ?

Au moins, au bureau, on est payé pour supporter les idiots.

Alors oui, la Franc-maçonnerie n’attire plus grand monde. Normal. Netflix propose exactement le même niveau de drame, de trahisons et de coups bas, mais en 8 épisodes et sans cotisation annuelle. Et surtout, quand tu éteins la télé, c’est fini.

En Loge, ça peut te pourrir la vie pendant dix ans. Et quand tu te fais lâcher par ton « Frère » de 25 ans pour une histoire de place au banquet, tu te surprends à murmurer : « Finalement, les trois mauvais compagnons, ils avaient peut-être raison… »

Allez, mes Frères, sourions : nous sommes le seul ordre initiatique où l’on pratique encore le meurtre d’Hiram… mais en version slow motion et en différé.

À lundi prochain. Apportez du paracétamol et un gilet pare-balles. Le Vénérable, un peu fatigué de vous aimer tous.