Dans les salles voûtées des loges maçonniques, où les murmures des siècles se mêlent aux reflets des symboles, une confusion persiste souvent entre deux notions fondamentales : le symbole et le signe. Certains les considèrent comme des synonymes, une erreur que cette réflexion se propose de dissiper. Bien que complémentaires dans certains contextes, ces deux concepts remplissent des fonctions distinctes, enracinées dans des origines étymologiques et des intentions différentes.
Cette exploration, audacieuse mais mesurée, comme une bourrasque printanière, vise à éclaircir ces distinctions, tout en invitant les esprits plus éclairés à enrichir ce travail. Si, par inadvertance, je devais décevoir certains d’entre vous, je vous présente d’ores et déjà mes excuses les plus sincères. Plongeons dans cette quête initiatique pour mieux comprendre la voie maçonnique.
I. Le Signe : Un Guide Profane et Fonctionnel
Définition et Origine

Le signe, dans son essence, est un indicateur extérieur, un outil destiné à guider, à transmettre une information claire et pragmatique. Son étymologie, puisée dans les racines indo-européennes liées au verbe « suivre », souligne cette fonction directrice. Les chiffres, les lettres, les panneaux de circulation, les devises – tous relèvent de cette catégorie. Ils nous orientent vers une destination, un sens, sans porter en eux une profondeur métaphysique.
Certains pourraient objecter : « Et les nombres 3, 5, 7 dans nos rituels ? Ne sont-ils pas des chiffres ? » Ma réponse est catégorique : non, ce ne sont pas de simples signes, mais des nombres symboliques, enveloppés de mystère selon nos traditions. Ces nombres transcendent leur fonction indicative pour évoquer des réalités spirituelles, une nuance que nous explorerons plus loin.
Limites du Signe

Même lorsqu’ils pointent vers un lieu sacré, les signes restent ancrés dans le profane. Prenons des exemples concrets : les mots de semestre en maçonnerie, le serment prononcé au tribunal avec le « Je le jure », ou encore les gestes rituels – ces éléments portent une signification sacrée, mais ne recèlent pas d’essence propre. Ils servent de substituts verbaux ou visuels, dépourvus de conscience spirituelle. Pour illustrer cette idée, je me permets de rappeler une planche antérieure où j’avais évoqué les gâteaux « Petit Lu ». Avec leurs 4 oreilles (comme les 4 saisons), 52 dents (comme les 52 semaines) et 12 trous (comme les 12 mois), ces motifs pourraient sembler symboliques. Pourtant, ils restent des signes, car ils ne sont pas habités par une valeur ou une essence spirituelle. Si, par une volonté collective, tous les temples maçonniques remplaçaient demain le Delta rayonnant par ce biscuit, il deviendrait symbole – non par sa nature intrinsèque, mais par l’intention spirituelle qui l’animerait.
II. Le Symbole : Un Pont vers l’Unité
Une Définition Historique et Spirituelle

Passons maintenant au symbole, cœur battant de la maçonnerie. Issu du grec ancien sumbolon (« mettre ensemble », « joindre », « comparer »), ce terme renvoie à une pratique antique : deux contractants brisaient une poterie en deux morceaux, conservant chacun une partie comme preuve de leur entente. Lors d’une rencontre ultérieure, l’emboîtement parfait des fragments scellait leur volonté commune. Le symbole, ainsi, est un outil de réunion, un appel à « rassembler ce qui est épars », un travail d’unité autour d’un centre.
À l’opposé, la division trouve son expression dans le mot « diable » (diabolos), qui sépare, désunit. Les religions, cherchant à consolider leur pouvoir, ont souvent remplacé le symbole par l’image de Dieu, posant le diable – puis Lucifer, l’ange déchu et porteur de lumière – comme son antagoniste. En maçonnerie, cette dualité se manifeste dans la tension entre Lumière et Ténèbres. Imaginons un point central entouré de 360 points : la Lumière est unique, les Ténèbres multiples. Même en superposant trois cercles de 1080 points, le centre reste un, indivisible. Entre ce centre et la périphérie s’affrontent deux forces : le diabolos qui divise, et le sumbolon qui unit, oscillant comme les deux faces d’une pièce en rotation.
Le Travail Maçonnique : Trouver l’Équilibre

La maçonnerie, outil neutre et objectif, invite à transcender cette dualité sans s’y opposer ni se comparer. Elle guide vers le centre, l’harmonie, au-delà des trois complexes identifiés par Thich Nhat Hanh : supériorité, infériorité, et – trop fréquent en loge – égalité. Le chemin vers l’unité est solitaire, un « Pas Sage » effectué dans le vide central, qu’il faut apprendre à aimer. Comme le soulignait Oscar Wilde : « Soyez vous-même, les autres sont déjà pris. »
En loge, cette quête commence avec l’Apprenti au Septentrion, mot latin signifiant « les 7 bœufs de labour ». Il doit labourer sa terre intérieure, un processus alchimique de solve et coagula – dissolution et coagulation –, semblable à la mort du grain de blé pour sa renaissance. Face à lui, le Midi réunit, car à midi, l’ombre portée est minimale, symbolisant la verticalité et l’unité solaire, ce point central tant recherché.
Une Danse Symbolique en Loge

Observons le Frère ou la Sœur Maître des Cérémonies, armé(e) d’une canne, ouvrant la voie avec une énergie féminine, attirant comme la Lune. Derrière, le Frère ou la Sœur Expert, avec son épée, pousse avec une force masculine, comme le Soleil. Le maçon, lien central, doit se tenir entre ces deux polarités, en rectitude, aligné comme le fil à plomb du V.I.T.R.I.O.L. Chez les Égyptiens, le pharaon incarnait cette unité en croisant les bras : dans sa main gauche, le sceptre Heka (crochet, féminin, recevant), dans sa droite, le fouet flagellum (masculin, donnant). Lors de la chaîne d’union, l’énergie dextrogyre – passant à gauche et revenant à droite – célèbre ce mariage des opposés, une alchimie des contraires.
III. L’Égrégore : Un Réveil Intérieur, Pas une Fusion Collective

La loge baigne dans ces énergies symboliques, où rien n’est neutre. Nous y venons pour nous initier – commencer le chemin intérieur – et, avec persévérance, atteindre l’égrégore. Ce terme, souvent mal compris comme un esprit collectif à la Jung, est une erreur. Issu du grec egrègoraô (« faire lever », « éveiller »), l’égrégore désigne un réveil personnel, un alignement vertical, non une réunion rassurante. La maçonnerie n’est ni un sport d’équipe, ni une thérapie pour panser les blessures de l’âme, ni un centre de formation idéologique. Contrairement au coaching – héritier des cochers guidant des coches –, elle est une voie solitaire où la fraternité soutient, sans accompagner. Le centre n’accueille qu’une seule place.
IV. Une Réflexion sur la Pratique Maçonnique
Les Pièges de l’Intellectualisme

J’invite maintenant vos lumières : comment une franc-maçonnerie axée sur des débats intellectuels – laïcité, fin de vie, OGM avec des intervenants parfois superficiels – pourrait-elle mener à l’unité et à l’éveil ? Ces discussions, si distrayantes soient-elles, encouragent la division, le diabolos, loin de la sagesse maçonnique. Une tenue peut s’achever sur un consensus après deux heures de négociation, mais le mois suivant, un nouveau thème relance la discorde. Où est l’harmonie dans cette gymnastique mentale ?
Une Diversité à Préserver
Je n’impose pas une maçonnerie symboliste aux 160 000 maçonnes et maçons de France. Beaucoup démissionneraient par incompatibilité, et tous ne sont pas prêts à en saisir les arcanes, exigeant patience et travail. Dans une société avide de vitesse, beaucoup préfèrent le superficiel, courant après les grades ou les plateaux comme d’autres chassent l’argent – un veau d’or moderne. Chacun doit pratiquer selon sa capacité, mais gare à ce que la médiocrité ne ternisse pas l’Art Royal, évitant ainsi le sort de certaines églises vidées de leur symbolisme, réduites à des dogmes nostalgiques.
Une Transmission Exemplaire

Que les Maîtres, nourris de symbolisme, transmettent par leur exemplarité le sens profond de notre pratique. Ainsi, chaque Frère ou Sœur pourra un jour déclarer : « Chaque matin, je sens cet alignement en moi, me reliant aux trois règnes – minéral, végétal, animal – et à mon essence. » Alors, oui, le maçon travaillera à l’amélioration de l’humanité, libre, ambassadeur de l’univers, unissant pieds sur terre, tête dans les étoiles, et mains dans une chaîne d’union universelle.