mer 24 avril 2024 - 04:04

Faut-il donner un sens à sa vie ? [1]

L’homme s’affiche comme un être de raison. C’est pourquoi il recherche une raison à toute chose. Mais le sens de la raison ne fait pas la raison d’un sens. Alors, qu’en déduire : sens… ou ab-sens ?

Voyons ce qu’il en est.

Deux auteurs, parmi bien d’autres, ont fait du sens le sens de leur recherche.

Le premier, Pascal parie pour le sens de la vie ; mais, curieusement, il le porte… au-delà de la vie, pour un au-delà de la mort.

Le problème, c’est que le pari est faussé. Il préempte un au-delà de la vie comme hypothèse, sans pouvoir le valider d’aucune sorte. N’y aurait-il donc pas de sens à la vie sur terre sans faire appel à un au-delà de la vie ? En raisonnant de cette façon, il oublie qu’un agnostique ne se pose pas la question de l’au-delà.

Le second auteur, Camus, pose aussi la question du sens de la vie : ou elle en a un, et il faut parier pour le sens ; ou elle n’en a pas, et elle est un non-sens, elle est absurde. Face à ce dilemme, il faut faire un choix.

Par un saut existentiel, le philosophe fait le choix du sens ; mais, étonnamment, après Nietzsche qui revendique d’obéir à « quelque chose qui transfigure, quelque chose de raffiné, de fou ou de divin », après Alain qui voit dans la prière une nuit nécessaire à la pensée, il associe « les mystiques et les existentiels » pour retrouver un sens proche de la foi : pour lui, Don Juan, « l’homme absurde par excellence », finit sa vie « dans une cellule de ces monastères espagnols perdus sur une colline ».

N’y aurait-il donc de sens possible que par une vie en Dieu ? Les agnostiques n’auraient-ils pas droit, eux aussi, à trouver un sens à leur vie, et seraient-ils condamnés au non-sens… sous prétexte qu’ils ne croient pas ?

Bien sûr que non.

Reprenons le dilemme du sens et du non-sens et l’argument du pari, en les recadrant, non plus dans la perspective d’un au-delà incertain, mais dans la certitude de l’ici-bas et maintenant que nous vivons.

Si nous parions pour le sens de la vie, il devient évident que nous devons donner un sens à la nôtre. Mais lequel ?

Si nous parions pour le non-sens de la vie, alors nous considérons qu’elle est absurde. Notre conduite peut donc être absurde face à la vie, et un raisonnement par l’absurde convient parfaitement à la logique de sens recherchée. Or, qu’y a-t-il de plus absurde que d’être absurde soi-même en pariant pour le sens de la vie dans un monde qui n’en a pas ?

L’ironie est la seule réponse à l’absurde.

Mais au-delà de l’ironie, le sens vient du dépassement même de cette absurdité.

Au-delà de l’antithèse qui, par le sens, justifie le non-sens de la vie, il y a plus de fond dans cette démarche qu’il n’y paraît de prime abord. Car il suffit qu’à un moment quelconque quelqu’un fasse entrer du sens dans sa vie pour que le sens entre dans le monde et repousse l’absurdité qui y régnait.

Dépassant donc l’absurdité de sa vie, l’homme qui parie pour le sens dépasse du même coup l’absurdité de son monde en y introduisant son sens. Et, dès lors, le monde devient sensé… malgré lui. Par son intelligence (c’est-à-dire par sa faculté de donner du sens au monde), il confère sa raison d’être à l’univers.

Ainsi, dans le monde d’ici-bas, a-t-on toujours intérêt à parier pour le sens, même si la vie n’en a pas.

En réalité, ce n’est ni la vie ni le monde qui a du sens (ou pas) ; mais la conception que l’on a de la vie ou du monde qui fait sens (ou pas).

Pourquoi l’esprit chercherait-il la raison de toute chose, si toute chose n’avait pas sa raison ?

« Parce que nous sommes au monde, nous sommes condamnés au sens » proclame Merleau-Ponty.

Voilà, tout se ramène au sens : ou l’on croit que l’existence en a un, et il reste à le définir ; ou l’on croit qu’elle n’en a pas, et il n’y a plus rien à en dire.

Qu’il le veuille ou non, sens ou nonsens, dans tous les cas l’homme se réfère à un sens (quand bien même voudrait-il le réfuter). Il n’y a pas moyen d’y échapper ![2]

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015Ó, posté le 2 juillet 2015

 

[1] Voir au préalable l’article « Quelle est la place du Franc-maçon dans la cité ? » dans la rubrique « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[2] Voir la suite de l’article dans « Du perfectionnement de l’homme au perfectionnement de l’humanité »(1), rubrique : « Des clés pour hier et aujourd’hui ».

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