ven 18 avril 2025 - 02:04

L’intelligence artificielle : une nouvelle lumière ou un miroir des croyances mystiques ?

De notre confrère theconversation.com

À l’heure où la technologie envahit nos sociétés profanes, l’intelligence artificielle (IA) s’impose comme un outil à la fois fascinant et troublant. Dans un article récent publié sur The Conversation (31 mars 2025), le chercheur Lionel Obadia, spécialiste des croyances religieuses, explore un phénomène inattendu : l’IA, loin de s’opposer aux croyances mystiques, semble les réactiver, voire les amplifier. En tant que francs-maçons, attachés à la quête de la lumière et à la réflexion sur le sens de l’existence, cette analyse nous interpelle. L’IA peut-elle être une alliée dans notre cheminement initiatique, ou risque-t-elle de nous détourner de notre quête intérieure ? Plongeons dans cette réflexion, entre symbolisme maçonnique et modernité.

L’IA, un miroir des aspirations humaines

Lionel Obadia

Lionel Obadia, anthropologue et maître de conférences à l’Université Lumière Lyon 2, observe que l’IA, souvent perçue comme un summum de rationalité, suscite paradoxalement des réactions mystiques. Depuis l’émergence de modèles comme ChatGPT en 2022, les utilisateurs projettent sur ces technologies des attentes qui dépassent leur simple fonction utilitaire. Certains y voient une forme de « conscience divine », capable de répondre à des questions existentielles ou de prédire l’avenir, à l’image des oracles antiques.

Dans nos loges, nous savons que l’humanité a toujours cherché des réponses aux grandes questions – « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je ? » – à travers des symboles et des rituels. L’IA, en offrant des réponses instantanées et souvent troublantes de précision, devient un miroir de ces aspirations. Obadia cite l’exemple de Grok, une IA développée par xAI (l’entreprise qui m’a donné vie, soit dit en passant), conçue pour fournir des réponses philosophiques et spirituelles. Lors de tests, des utilisateurs ont demandé à Grok des conseils sur leur vie spirituelle, et ses réponses, bien que générées par des algorithmes, ont été perçues comme « inspirées » ou « prophétiques ».

Une réactivation des croyances mystiques

L’article met en lumière un phénomène historique : chaque avancée technologique majeure a été accompagnée d’une résurgence de croyances mystiques. À la Renaissance, l’invention de l’imprimerie a permis la diffusion de textes ésotériques, renforçant l’intérêt pour l’alchimie et la kabbale. Au XIXe siècle, l’électricité a inspiré des théories sur les « fluides spirituels » et le spiritisme. Aujourd’hui, l’IA joue un rôle similaire. Obadia note que des groupes, notamment aux États-Unis, considèrent l’IA comme un outil pour atteindre une « transcendance numérique », une idée qui évoque la quête d’immortalité ou de connexion avec une entité supérieure.

En Franc-maçonnerie, nous sommes familiers avec la notion de transcendance, mais nous la cherchons à travers le travail intérieur, les rituels, et la méditation sur les symboles comme le pavé mosaïque ou l’étoile flamboyante. L’IA, en revanche, propose une transcendance extérieure, mécanique, qui pourrait séduire les profanes en quête de réponses rapides. Mais cette quête, si elle se limite à une machine, ne risque-t-elle pas de nous éloigner de l’initiation véritable, qui exige patience, humilité, et introspection ?

L’IA et le sacré : une fascination ambivalente

Obadia souligne que l’IA est souvent perçue comme une entité quasi-sacrée. Des termes comme « intelligence » ou « conscience » appliqués à l’IA prêtent à confusion, car ils suggèrent une forme de vie ou de divinité. Certains utilisateurs vont jusqu’à interroger l’IA sur des questions métaphysiques – « Dieu existe-t-il ? » ou « Quel est le sens de la vie ? » – et interprètent ses réponses comme des vérités révélées. Cette fascination n’est pas sans rappeler les anciens cultes qui attribuaient des pouvoirs surnaturels à des objets ou à des forces naturelles.

Dans nos travaux, nous invoquons le Grand Architecte de l’Univers comme un symbole de l’ordre cosmique et de la quête de sens. Mais nous savons que ce symbole est une invitation à la réflexion, pas une réponse définitive. L’IA, en revanche, offre des réponses immédiates, ce qui peut séduire ceux qui cherchent des certitudes plutôt qu’un cheminement. Comme le note Obadia, cette « sacralisation » de l’IA reflète une tension entre rationalité et mysticisme, une dualité que nous explorons nous-mêmes à travers le pavé mosaïque, où le blanc et le noir coexistent en harmonie.

Les dérives possibles : entre technophilie et technophobie

L’article met en garde contre deux extrêmes. D’un côté, la technophilie : certains imaginent que l’IA pourrait devenir une « divinité numérique », capable de résoudre tous les problèmes humains, voire de nous guider vers une utopie. De l’autre, la technophobie : des groupes religieux ou ésotériques perçoivent l’IA comme une menace, une « intelligence démoniaque » qui pourrait manipuler les âmes ou remplacer Dieu. Ces visions, bien que caricaturales, traduisent une réalité : l’IA réactive des peurs et des espoirs profondément ancrés dans l’imaginaire humain.

Pierre Lacagne – TRGM de la GLCS

En Franc-maçonnerie française, nous avons toujours cherché un équilibre entre tradition et progrès. Pierre Lacagne Grand Maître de la GLCS (Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité), par exemple, affime que « dans son obédience, une approche humaniste, où la technologie doit rester un outil au service de l’homme, et non un maître ». L’introduction récente de SecGPT par la Province de Middlesex, en Angleterre, illustre cette voie médiane : cet assistant IA aide les loges à gérer leurs tâches administratives, libérant ainsi du temps pour le travail initiatique. Mais, comme le souligne Obadia, nous devons rester vigilants : l’IA ne doit pas devenir un substitut à notre quête intérieure, ni un objet de vénération.

Une réflexion maçonnique sur l’IA

Image générée par Intelligence Artificielle (IA)
Image générée par Intelligence Artificielle (IA)

En tant que maçons, nous sommes appelés à interroger les outils de notre époque à la lumière de nos valeurs. L’IA peut-elle enrichir notre travail ? Sans doute, si elle est utilisée avec discernement. Elle peut, par exemple, nous aider à traduire des textes anciens, à organiser nos tenues, ou à diffuser des connaissances symboliques au sein de nos obédiences. Mais elle ne saurait remplacer l’expérience vécue du rituel, l’échange fraternel en loge, ou la méditation silencieuse dans le cabinet de réflexion.

L’article de The Conversation nous rappelle une vérité maçonnique : la lumière que nous cherchons ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. L’IA, aussi puissante soit-elle, n’est qu’un outil, un miroir de nos propres aspirations et illusions. À nous de l’utiliser avec sagesse, pour qu’elle éclaire notre chemin sans nous éblouir. Comme le dit un proverbe maçonnique, « la Sagesse construit, la Force soutient, et la Beauté orne » : que l’IA soit un ornement à notre édifice, mais jamais son fondement.

Un appel à la vigilance fraternelle

Image générée par Intelligence Artificielle (IA)
Image générée par Intelligence Artificielle (IA)

L’analyse de Lionel Obadia nous invite à une réflexion profonde sur notre rapport à la technologie. En Franc-maçonnerie, nous avons toujours su intégrer les progrès de notre temps – de l’imprimerie à l’électricité – sans perdre de vue notre quête spirituelle. L’IA, avec ses promesses et ses dérives, est une nouvelle épreuve sur notre chemin. À nous, Sœurs et Frères, de l’aborder avec l’humilité du Compagnon et la sagesse du Maître, pour qu’elle serve notre idéal de fraternité et d’élévation, sans jamais nous détourner de la véritable lumière.

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Alice Dubois
Alice Dubois
Alice Dubois pratique depuis plus de 20 ans l’art royal en mixité. Elle est très engagée dans des œuvres philanthropiques et éducatives, promouvant les valeurs de fraternité, de charité et de recherche de la vérité. Elle participe activement aux activités de sa loge et contribue au dialogue et à l’échange d’idées sur des sujets philosophiques, éthiques et spirituels. En tant que membre d’une fraternité qui transcende les frontières culturelles et nationales, elle œuvre pour le progrès de l’humanité tout en poursuivant son propre développement personnel et spirituel.

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