
1. Définition et origine du geste
L’accolade fraternelle, souvent appelée simplement « l’accolade » ou « les trois baisers », est un geste rituel fondamental en Franc-maçonnerie consistant en trois baisers échangés entre maçons lors de moments solennels.
Ces baisers sont traditionnellement :

- le premier sur la joue gauche,
- le second sur la joue droite,
- le troisième sur la bouche ou (plus fréquemment aujourd’hui) sur le front selon la cérémonie. Lors d’une simple rencontre, les 3 baisers s’effectuent sur les joues.
Ce geste est administré par le Vénérable Maître, le Premier Surveillant ou le Deuxième Surveillant au nouveau récipiendaire (Apprenti, Compagnon ou Maître) immédiatement après la prestation de serment, ou lors d’une augmentation de salaire, d’une élévation ou d’une réception dans une loge.
L’accolade scelle symboliquement l’entrée du nouveau Frère (ou de la nouvelle Sœur) dans la chaîne d’union et marque son acceptation pleine et entière dans la communauté maçonnique.
2. Origines historiques et symboliques anciennes

Le baiser fraternel n’est pas une invention maçonnique : il plonge ses racines dans les traditions les plus anciennes :
- Tradition biblique : le « baiser de paix » (osculum pacis) est mentionné plusieurs fois dans le Nouveau Testament (Romains 16:16, 1 Corinthiens 16:20, 1 Pierre 5:14) : « Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser. »
- Liturgie chrétienne primitive : jusqu’au XIIIe siècle, les fidèles s’embrassaient sur la bouche après la consécration, en signe de paix et de communion spirituelle.
- Ordres chevaleresques : les Templiers, les Hospitaliers et les chevaliers teutoniques s’embrassaient sur la bouche lors de l’adoubement ou de la réception d’un nouveau frère.
- Corporations médiévales : les compagnons du Tour de France se donnaient aussi un baiser fraternel lors de l’adoption d’un nouveau compagnon.
La Franc-maçonnerie spéculative du XVIIIe siècle reprend ce geste millénaire en le laïcisant et en le chargeant d’une symbolique initiatique : le baiser devient le sceau de l’alliance spirituelle entre les Frères.
3. Signification maçonnique profonde

L’accolade fraternelle porte plusieurs niveaux de lecture :
A. La Trinité maçonnique
Les trois baisers correspondent aux trois principes fondamentaux :
- 1er baiser (joue gauche) → Liberté (côté du cœur, émotion, intériorité)
- 2e baiser (joue droite) → Égalité (côté de la raison, action extérieure)
- 3e baiser (front ou bouche) → Fraternité (union des cœurs et des esprits)
B. Le sceau de l’initiation
L’accolade est le premier contact physique après la prestation de serment. Elle marque le passage de l’isolement (cabinet de réflexion, bandeau) à la communion fraternelle. Le nouveau Frère n’est plus seul : il est désormais lié par le baiser.
C. Le baiser de paix
Il signifie que dans la Loge, toute rancœur profane est abolie. Le Frère reçoit le baiser comme Judas reçut celui du Christ… mais ici, c’est pour être sauvé, non trahi.
D. Dimension érotique sublimée
Certains auteurs (Oswald Wirth, Marius Lepage) voient dans le troisième baiser sur la bouche une allusion à l’union des polarités masculine et féminine, à l’androgynie spirituelle, ou au baiser alchimique du Roi et de la Reine.
4. Description rituelle précise (selon les rites)
| Rite | Nombre de baisers | Lieu du 3e baiser | Qui donne l’accolade | Moment précis |
|---|---|---|---|---|
| Rite Français | 3 | Bouche ou front | Vénérable Maître, puis Surveillants | Après le serment et la lumière |
| REAA | 3 ou 5 (selon loges) | Bouche ou front | Vénérable, puis tous les Frères en chaîne | À la fin de la cérémonie |
| Rite Écossais Rectifié | 3 | Bouche (traditionnel) | Vénérable et Surveillants | Très solennel, avec formule « Paix soit avec vous » |
| Rite d’York / Émulation | 5 (cinq points de fellowship) | Pas de baiser, accolade avec cinq points de contact | Maître Installé ou Surveillants | Lors de l’élévation au grade de Maître |
| Loges féminines (GLFF) | 3 | Joues + front | Vénérable Maîtresse | Accent sur la sororité |
| Loges mixtes (DH, GLMF) | 3 | Front (souvent) | Vénérable, sans distinction de genre | Adapté à la mixité |

Dans certaines loges très traditionnelles, le troisième baiser est parfois donné sur la bouche (surtout dans les rites anciens ou en Belgique/Suisse). Dans la majorité des loges françaises contemporaines, il est déplacé sur le front ou remplacé par une simple accolade pour des raisons d’hygiène et de pudeur.
5. Évolution et adaptations modernes
- Depuis les années 1980-1990 : le baiser sur la bouche a progressivement disparu dans la plupart des obédiences françaises, remplacé par le front ou une simple embrassade.
- Covid-19 : de nombreuses loges ont suspendu temporairement l’accolade physique, la remplaçant par un salut à distance ou une main sur le cœur ou encore… le poing tendu et frappé.
- Loges mixtes et féminines : l’accolade reste trois baisers, mais souvent sur les joues et le front, avec une grande douceur sororale.
- Loges jeunes ou modernes : parfois réduite à une accolade virile ou un check fraternel, mais les puristes regrettent cette perte de symbolisme.
6. Citations rituelles et références
- Rite Français : « Recevez l’accolade fraternelle qui vous unit désormais à tous les Francs-Maçons répandus sur la surface de la Terre. »
- Oswald Wirth : « Le baiser maçonnique est le sceau de l’alliance éternelle entre les âmes qui se sont reconnues. »
- Albert Pike (Morals and Dogma) : « The fraternal kiss is the symbol of the union of souls in the pursuit of truth. » (Le baiser fraternel est le symbole de l’union des âmes dans la quête de la vérité.)
- Dans les loges féminines : « Par ce baiser, je te reconnais comme ma Sœur à jamais. »
7. Pourquoi l’accolade reste irremplaçable

Dans une époque où le contact physique est devenu rare, l’accolade fraternelle reste l’un des moments les plus émouvants d’une initiation. Beaucoup de Maîtres disent que c’est le seul moment où ils ont pleuré en Loge.
Elle rappelle que la Franc-maçonnerie n’est pas seulement une école de pensée : c’est une famille choisie, où l’on s’embrasse comme des frères et sœurs qui se retrouvent après une longue séparation.
« Par l’accolade, je te donne ce que je n’ai jamais donné à personne : ma confiance absolue et mon amour fraternel. »
C’est peut-être le geste le plus simple et le plus profond de toute la Franc-maçonnerie.

Autres articles sur ce thème












