
Le terme « Aéropage » (ou « Aréopage ») en franc-maçonnerie désigne à la fois un ensemble de degrés supérieurs au sein du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA) et, dans certains contextes, l’atelier ou le conseil maçonnique chargé de les administrer. Issu de l’antique conseil judiciaire athénien situé sur la colline d’Arès (Areopagus en grec), ce mot évoque symboliquement un lieu de jugement suprême, de sagesse et de décision morale, adapté au cadre initiatique maçonnique.
En Franc-maçonnerie, les degrés de l’Aréopage représentent la dernière étape du parcours des ateliers supérieurs du Rite Écossais Ancien et Accepté avant les Ultimes Vaillances, marquant la dernière phase vers la réintégration de l’unité ontologique de l’initié.

Cette notion, profondément ancrée dans les traditions ésotériques et philosophiques du REAA, illustre l’évolution de l’initié vers une maîtrise spirituelle et éthique suprême. Nous explorerons ici son étymologie, son historique, sa structure rituelle, son symbolisme, ses enseignements, ses variations selon les obédiences, et son rôle contemporain, pour en dresser un portrait exhaustif adapté à un glossaire maçonnique.
Étymologie et Origines Historiques

Le mot « Aéropage » tire son origine du grec ancien « Areopagos » (Ἀρεοπάγος), désignant la colline d’Arès à Athènes, où siégeait un conseil antique composé de juges et d’anciens, chargé de juger les crimes graves comme les homicides et de veiller à la moralité publique. Ce conseil, mentionné dans les mythes (notamment le jugement d’Oreste par Eschyle dans Les Euménides) et les textes historiques (comme chez Aristote), symbolisait l’autorité judiciaire suprême, indépendante et sacrée, souvent associée à la déesse Athéna pour sa sagesse.
Dans la Franc-maçonnerie, ce terme a été emprunté au XVIIIe siècle pour conférer une aura d’antiquité et de légitimité aux degrés supérieurs, en lien avec les thèmes de justice, de vengeance divine et de quête spirituelle. L’intégration de l’Aéropage dans la maçonnerie spéculative remonte à la formation du REAA en 1801 à Charleston (États-Unis), sous l’impulsion de figures comme John Mitchell et Frederick Dalcho, qui ont compilé et structuré 33 degrés à partir de rites antérieurs comme le Rite de Perfection (25 degrés) de Stephen Morin.

Le REAA, influencé par des sources kabbalistiques, hermétiques et chevaleresques, a adopté « Aéropage » pour désigner les degrés 19 à 30, formant un bloc thématique cohérent axé sur la chevalerie spirituelle et la justice. Ce choix lexical reflète l’éclectisme maçonnique, mêlant références grecques classiques à des éléments bibliques et templiers, pour élever l’initié au-delà des degrés symboliques (1°-3°) et philosophiques (4°-18°).
Place de l’Aéropage dans la Structure du Rite Écossais Ancien et Accepté
Dans l’architecture du REAA, l’un des rites maçonniques les plus pratiqués au monde (notamment au sein du Suprême Conseil pour la France ou du Southern Jurisdiction aux États-Unis), l’Aéropage occupe une position centrale parmi les « hauts grades » ou « degrés philosophiques et chevaleresques« .
Le REAA est divisé en plusieurs ateliers :

- Loges de Perfection (4°-14°) : Focus sur la moralité et la reconstruction du Temple intérieur.
- Chapitres de Rose-Croix (15°-18°) : Thèmes christiques et alchimiques, culminant dans la quête de la Parole Perdue.
- Aréopages (19°-30°) : Étape chevaleresque, où l’initié devient un « chevalier » défendant la justice et la vérité.
- Consistoires (31°-32°) : Degrés administratifs et de commandement.
- Suprême Conseil (33°) : Grade suprême, honorifique.
L’Aéropage, en tant que tel, regroupe les degrés 19 à 30, souvent conférés collectivement dans un « Conseil de Kadosh » (du 30° degré, « Chevalier Kadosh« ). Ces degrés sont administrés par un atelier spécifique appelé « Aréopage« , qui fonctionne comme une loge supérieure, avec ses officiers (comme le Très Puissant Commandeur) et ses rituels propres.
Par exemple, en Suisse, l' »Aréopage Les Amis de la Lumière » à Lausanne, fondé en 1875, est un atelier dédié aux hauts grades du REAA, illustrant comment ce terme désigne aussi une entité organisationnelle vivante.

Cette structure n’est pas uniforme : dans certaines juridictions anglo-saxonnes, les degrés 19-30 sont gérés par un « Consistory« , tandis qu’en France et en Europe continentale, « Aréopage » est plus couramment utilisé, reflétant des influences latines et grecques plus marquées.
Description des Degrés de l’Aréopage (19°-30°)
Les degrés de l’Aréopage forment un arc narratif chevaleresque, où l’initié passe de la vengeance à la justice transcendante, en passant par des épreuves morales et spirituelles. Voici un aperçu détaillé, basé sur des sources rituelles publiques (sans révéler d’éléments secrets) :
- 19° : Grand Pontife ou Sublime Écossais : Introduction à la Nouvelle Jérusalem céleste, symbolisant la reconstruction spirituelle post-apocalyptique (inspiré de l’Apocalypse de Jean).
- 20° : Grand Maître de toutes les Loges Symboliques : Enseignement sur l’administration maçonnique et la sagesse organisatrice.
- 21° : Noachite ou Chevalier Prussien : Thème de la justice impartiale, avec référence aux descendants de Noé et à la tour de Babel.
- 22° : Chevalier de la Hache Royale ou Prince du Liban : Allégorie du travail manuel et de la fraternité ouvrière, liée à la construction du Temple.
- 23° : Chef du Tabernacle : Rôles sacerdotaux, explorant les mystères du sacerdoce lévitique.
- 24° : Prince du Tabernacle : Approfondissement des symboles mosaïques et kabbalistiques.
- 25° : Chevalier du Serpent d’Airain : Guérison spirituelle, référence à l’épisode biblique du serpent d’airain (Nombres 21).
- 26° : Prince de Mercy ou Écossais Trinitaire : Thèmes de miséricorde et de trinité ésotérique.
- 27° : Chevalier Commandeur du Temple : Engagement chevaleresque, avec vœux de pauvreté, chasteté et obéissance, évoquant les Templiers.
- 28° : Chevalier du Soleil : Degré philosophique, centré sur la lumière solaire comme symbole de vérité éternelle.
- 29° : Grand Écossais de Saint-André : Protection de la foi maçonnique contre les hérésies.
- 30° : Chevalier Kadosh ou Chevalier de l’Aigle Blanc et Noir : Point culminant, où l’initié affronte la tyrannie et la superstition, symbolisant la victoire de la raison et de la justice.
Ces degrés sont souvent conférés en série lors de « réunions » ou « convocations » spéciales, avec des décors incluant des épées, des crânes, des bannières et des symboles alchimiques.
Symbolisme et Enseignements

Symboliquement, l’Aréopage représente la « chevalerie de l’esprit« , où l’initié, tel un chevalier errant, combat les vices intérieurs (ignorance, fanatisme, ambition) pour atteindre l’illumination. Il incarne la transition de la « maçonnerie rouge » (philosophique) à la « maçonnerie blanche » (administrative), avec un accent sur la justice vengeresse qui évolue vers une miséricorde éclairée. Le 30° degré, en particulier, symbolise la crucifixion symbolique de l’ego, menant à la résurrection ontologique – la réintégration de l’unité primordiale de l’être, inspirée de la Kabbale et du néoplatonisme.
Les enseignements portent sur l’humanisme, la tolérance religieuse et la responsabilité sociale : l’initié est appelé à défendre les opprimés, à juger avec équité et à poursuivre une quête gnostique de la vérité absolue. Des auteurs comme Joseph Castelli, dans ses rituels publiés, soulignent l’aspect thérapeutique de ces degrés, aidant l’initié à transcender les dualités (bien/mal, lumière/ténèbres) pour une unité ontologique. Les rituels de l’Aréopage, décrits dans des ouvrages comme ceux de Castelli (éditions de 2005), impliquent des épreuves dramatiques : interrogatoires, serments sur l’épée, méditations sur des symboles macabres (crânes pour la vanité), et des processions. Le candidat est souvent confronté à des « tyrans » symboliques (représentant l’Église ou l’État oppressifs), qu’il doit « vaincre » par la raison. Ces cérémonies, tenues en « chambre noire » ou avec des éclairages théâtraux, visent à une catharsis psychologique.
Bien que confidentiels, des versions expurgées sont disponibles dans des publications maçonniques.
Variations et Usage Contemporain
Dans les obédiences françaises comme le Grand Orient de France (GODF) ou la Grande Loge de France (GLDF), l’Aréopage est actif, avec des adaptations modernes pour inclure des thèmes sociétaux (égalité, écologie). Aux États-Unis, le Scottish Rite Southern Jurisdiction met l’accent sur le patriotisme. Des critiques, comme dans l’essai de Bernard Filoche (2025), notent une évolution vers une symbolique plus introspective, loin des accents anti-cléricaux du XIXe siècle.
Aujourd’hui, l’Aréopage reste un pilier du REAA, pratiqué dans plus de 50 pays, symbolisant l’engagement maçonnique pour une élite spirituelle.En conclusion, l’Aéropage encapsule l’essence chevaleresque et philosophique du REAA, guidant l’initié vers une réintégration ontologique.

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