jeu 10 octobre 2024 - 18:10

Lao Tseu et le Tao Te King au présent

Lao Tseu est-il l’inventeur du Tao donc du Taoïsme ?

Officiellement il conviendrait d’écrire « Laozi et le daodejing » puisque la transcription du chinois devrait s’effectuer désormais en pinyin zimu et non dans celle de l’Ecole Française d’Extrême Orient (EFEO), ceci suivant des traités internationaux co-signés par la France. La prononciation « anglaise » ayant pris le pas sur la prononciation « française ». Laozi en anglais se prononce simplement Laotseu. Donc cela commence bien. L’existence historique de Lao Tseu est d’ailleurs fortement contestée. Il aurait donc vécu aux alentours de 600 Av. J.C. et avant de disparaître dans la nature aurait confié ce manuscrit à un petit bouvier. Laozi (ou Lao Tseu) n’est évidemment pas son nom puisqu’il s’appelait Li Er et qu’on le nommait communément Taishang Laojun soit « Lao Seigneur Suprême ». Pourtant on le donne comme « père fondateur du taoïsme » qu’on aurait donc pu appeler Laoïsme (Laojia) pour prendre exemple sur Confucius ou sur Bouddha. Mais Laojia en chinois signifie « ancienne école – ancienne dans le sens de vénérable » ce qui lui aurait apporté un avantage considérable sur les deux autres et aurait rompu une certaine harmonie. En Chine ce qui est vieux, donc honorable ou vénérable est bien. Les jeunes manquent d’expérience donc de savoir-faire. On ne peut donc pas trop leur faire confiance. Lao Tseu signifie, d’ailleurs, le « vieil enfant », presque le « vieil enfançon », puisque qu’il aurait vécu quatre-vingts années dans le sein de sa mère. A pratiquer le fameuse « respiration embryonnaire » ou « respiration du Ciel Antérieur » (littéralement « avant d’avoir vu le jour ») qui existe toujours dans le « Qigong du Tao » (Tao-Yin ou daoyin en chinois et Do In en japonais – c’est la même chose) . En réalité, dans cet ouvrage Lao Tseu passe le plus clair de son temps à expliquer comment les choses se passaient « avant ». Donc il ne fait que de relater des faits. Il ne les engendre pas ni ne les imagine. C’est très proche d’un rapport de gendarmerie qui aurait été rédigé par un haut gradé lettré et quelque peu poète. Mais pas trop. Le taoïsme, dans son principe et dans ses pratiques corporelles, rituelles, énergétiques, philosophiques, initiatiques, spirituelles et même religieuses (sic) existait donc bien avant Lao Tseu. Le fait qu’on ait retrouvé et publié trois ouvrages, le Lao Tseu, le Tchouang Tseu, le Lie Tseu ne confère pas à leurs auteurs, aussi éclairés fussent-ils, le titre de « Pères du Taoïsme ». Probablement sur quelques milliers d’ouvrages disparus ou passés sous silence. Ou rédigés sur des carapaces de tortues ou des os de bovins et de félins broyés pour utilisation dans la pharmacopée traditionnelle (les fameux os de Dragons !). Ou coulés dans du bronze fondu pour obtenir des armes à l’époque des Royaumes Combattants (Ve siècle Av. J.C. 220 Av. J.C.). Après ces quelques amorçages il est temps de lancer le pavé dans la mare.

Mettre le Tao au présent !

 Les Chinois, depuis des millénaires, fonctionnent au présent. Ils ne disent pas « hier j’étais à Paris et demain je serai à Reims » mais « hier je être (à)Paris demain je être (à) Reims ». Ce sont de simples caractères, ou sinogrammes, bien choisis, qui se suivent sans complications. Mon professeur chinois Wang Zemin, qui parlait parfaitement français puisqu’issu d’une grande famille et élevé chez les Jésuites à Canton, me disait « En réalité nous parlons et écrivons comme les Sachems des films américains » : « Ce soir soleil rouge couchant sur grande plaine réchauffe cœur homme ». Ce qui écorche évidemment les oreilles des littéraires de nos Facultés. Je vous laisse donc réécrire cette phrase qui n’en est pas une.
Et nous allons immédiatement avoir cinquante versions différentes avec de nombreux effets de manche et des superlatifs de bon aloi. Au chapitre XV du Tao Te King lorsqu’il est écrit « Dans les temps anciens ceux qui savaient pratiquer la Voie étaient… » il faudrait donc lire « De tous temps ceux qui pratiquent la voie sont… » et on passe alors du comte de fée au compte de faits. La première proposition est « Autrefois dans un pays lointain » (« long ago and farewell » ou far away) et on se retrouve avec des princesses, des lapins roses, des formules et des baguettes magiques et tout un tintouin mystico-gélatineux qui n’augure rien de très sérieux. Une espèce de Disney World à la chinoise. Donc de l’affabulation. Celle qui suit est simplement réaliste « de tous temps si on pratique on obtient un certain résultat ». C’est ce qu’affirme, d’ailleurs, Tchouang Tseu
« C’est en marchant sur le chemin qu’il se trace. La juste mesure permet la pratique. Pratiquer c’est chercher à atteindre un résultat. Etre proche du résultat c’est se rapprocher de (du) Tao. Il faut affirmer ce fait » (Tchouang Tseu ou Zhuangzi Œuvre Complète II – Réduction ontologique). Notons au passage, avec un deuxième pavé dans la mare aux grenouilles, que les Chinois disent simplement Tao ou dao, lui laissant le bénéfice du doute. Nous avons pris l’habitude bien française de lui coller une paire de moustaches et des attributs virils. Il est donc devenu par la force des choses et de l’habitude LE Tao. Il n’en demande pas tant. La simple référence à un passé révolu voire suspect de complaisances permet simplement de laisser croire que ce qui était possible jadis et ailleurs ne l’est plus ici et maintenant. Et donc que toutes celles et ceux qui pratiquent encore le font uniquement pour passer le temps. Ce qui n’est pas forcément le cas. Lorsqu’il est écrit « Les énergies légères et subtiles montèrent pour former le ciel tandis que les énergies plus denses descendirent pour former la terre… » on se retrouve dans une espèce de genèse où Dieu, pardon Tao, se reposa le septième jour. Et s’en lava les mains. Alors que dans la compréhension des « praticiens de la Voie » le ciel et la terre continuent de se former. Le dimanche tandis que Dieu se repose, Tao prolonge son effet. Au présent.

Quelques difficultés et complications de traduction. D’où le comte de fée.  

Mais revenons à Lao Tseu car « Le retour est le mouvement de Tao ». Sa première proposition donc I (chapitre) est « dao ke dao fei chang dao » la première ligne de son ouvrage, se compose de six caractères dont trois se répètent (dao). Normalement sans ponctuation donc sans même de virgule. Le deuxième caractère représente une interjection méprisante, presque un son de métal, (Ke) indiquant le rejet. Brutalement dit « Tao pouark Tao ». Compréhensible mais intraduisible. Et pourtant chaque version du Tao Te King propose sa mixture.
« Le Tao qu’on peut exprimer n’est pas le Tao » (Henning STROM -You Feng) « La voie qui peut s’énoncer n’est pas la voie pour toujours »(François Houang Edition du Seuil) « Le sens que l’on peut exprimer n’est pas le sens éternel » (Richard Wilhelm Ed. De Medicis) « Le Tao qu’on tente de saisir n’est pas le Tao lui-même » (Marcel Hertsens – Ed Le Centurion) « La Voie vraiment Voie est autre qu’une voie constante » (Duyvendak Ed Maisonneuve) « Le Tao qu’on tente de saisir n’est pas le Tao lui-même » (Liou Kia-Hway Ed. NRF Gallimard) « Sans nom (inqualifiable)est la voie ». (Richard Payette Ed. RTPM Taichi) « Le Tao qui peut être dit n’est pas le Tao éternel »… « Le Tao qui peut être discuté n’est pas le chemin transcendant »… « Voie qu’on énonce n’est pas la voie » (Claude Larre Institut Ricci) à qui nous laisserons le dernier mot. Au moins on ne peut pas trop les accuser de s’être plagiés. Mais cette proposition définitive n’empêche pas Lao Tseu de rédiger 84 chapitres. Les Chinois disent d’ailleurs « salles » comme les pièces d’un palais.  Soit dit en passant 84 = 8+4 = 12 ; 1+2 = 3. C’est une somme ! La totale. Lao Tseu explique doctement « Tao engendre Un »(Tao Sheng Yi) ; « Un engendre Deux » (Yi sheng Ar) ; « Deux engendre Trois » (Ar Sheng San) ; « Trois engendre Multitude » (San Sheng Wan). Wan explique l’Empereur Kangxi est « la multitude, la myriade des fourmis volantes obscurcissant le ciel avant l’orage ». Elles sont innombrables donc on ne peut pas les compter. C’est le fait de la myriade. Mais dans la plupart des traductions on se retrouve avec « dix mille ». « Les dix mille êtres s’adossent au Yin et embrassent le Yang ». Et du comte de fée on se retrouve chez le comptable du notaire. Puisqu’on vous dit qu’on ne peut pas les compter. Lao Tseu donne ici une recette jamais démentie de manipulation. Une première hypothèse (le ciel est bleu), une deuxième hypothèse (non il est gris), une troisième (c’est probablement la faute des Martiens) et immédiatement naissent une foultitude d’élucubrations sur les Martiens. Et donc sur le complotisme.  La première hypothèse, qui était juste, passe donc en 8497eme position. Et le tour est joué. A côté la stratégie militaire de Sunzi (Sun Tseu) et de ses « Treize Articles » c’est du gros godillot.

La vertu c’est simplement l’efficace donc l’utile.

 Tao Te King (ou daodejing) signifie simplement Voie (doit-on d’ailleurs traduire Tao ?) Efficace (Te ou de) Traité (King ou jing). Te, de, la « vertu » c’est simplement ce qui est efficace, utile.
Sans nécessairement de notion de morale. C’est la « Vertu du Prince » de Machiavel, c’est la vertu du sixième couplet de la Marseillaise (« Nous entrerons dans la carrière quand nos aînés n’y seront plus, nous y trouveront leur poussière et la trace de leurs vertus »), c’est « la vertu des simples » dont la phytothérapeutique et l’utilisation rationnelle des plantes dans le langage de nos grands-parents.
Tao, comme la plante, comme le souffle (Qigong) est « naturellement »(simplement) (Ziran ou Tseu Jan) efficace mais si on en connaît la vertu on le rend plus efficace encore. Mais Tao, comme la plante ou le souffle, n’a pas à se justifier. (Il) (Tao) est. C’est donc le Traité qui « rend la Voie plus efficace encore ». Tao Efficace Traité. Simplement. Il permet notamment de définir ce qui est « essentiel, important, secondaire et superflu » et de s’en accommoder au mieux. « Après la perte de Tao vient l’efficace (Te). Après la perte de l’efficace vient la bienveillance (Ren). Après la perte de la bienveillance vient l’équité (Yi). Après la perte de l’équité vient la convenance (Li)… ». La convenance (Rituel) est probablement superflue mais quand même bien utile en société. Wang Zemin, mon professeur chinois affirmais souvent « Combien il est difficile de demeurer taoïste dans un pays qui ne respecte pas même Confucius ».
Georges Charles

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Georges Charles
Georges Charles
Georges Charles, né à Paris en 1950, est un expert français des arts martiaux japonais et chinois. Depuis 1979, il est le maitre héritier et successeur en titre de l’école de boxe chinoise de l'interne san yiquan (du style xingyiquan). Auteurs de nombreux ouvrages, il est un pionnier des arts martiaux en France.

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