ven 29 mars 2024 - 11:03

Demon’s Slayer, ou le vrai sens d’une victoire

Avec la réouverture des salles obscures, j’ai pu me livrer à mon vice : aller voir des films sur grand écran. Parmi ceux que j’ai vus dans mon orgie cinématographique, l’un d’entre eux m’a particulièrement intéressé. Je ne vais pas être original en évoquant le blockbuster d’animation japonaise Demon Slayer – Le train de l’infini.

Demon Slayer est un manga récent, commencé en 2016 et achevé récemment au bout de 23 tomes. Ce manga, appartenant au genre shonen-nekketsu, raconte l’histoire d’un jeune garçon de l’époque Taisho (ère pré-industrielle japonaise, précédent l’ère Meiji), Tanjiro, dont le but est de rendre son humanité à sa jeune sœur transformée en démon (créature dotée de pouvoirs magiques mais vulnérable à la lumière du jour) après un massacre. Au fil de son histoire, il rencontre ses compagnons d’armes, ses maîtres, ses rivaux et ses nemesis. Rien de bien original sous le Soleil levant, donc. On y retrouve tous les éléments classiques du genre.

Fort de son succès éditorial, la licence a été déclinée sous divers supports : série animée, romans et bien entendu, film. D’ailleurs, le film a été un succès colossal lors de sa sortie au Japon.

Le film raconte le voyage de Tanjiro et ses compagnons dans un train servant de terrain de jeux à un démon nommé Enmu. En tant que chasseurs de démons, ils doivent assister un maître de leur organisation (un pilier) durant cette opération, nommé Rengoku. Au bout d’une scène comique, Rengoku accepte d’entraîner Tanjiro. Puis déroulement classique de l’histoire, le démon Enmu tente de tuer les chasseurs par la ruse mais échoue. Les jeunes héros au prix de blessures terribles, de flashbacks et de retours sur leurs passés respectifs, et autres éléments classiques du genre finissent par vaincre leur démoniaque adversaire.
Arrive alors la scène finale du film, celle qui donne à ce film sa profondeur et en fait tout son intérêt. Un autre démon très puissant (une Lune, dans la version originale), Akaza, vient achever le travail du démon du train quand vient s’interposer le pilier. Comme dans tout bon duel de sabre japonais, les deux adversaires exposent leurs points de vue respectifs, se rendent compte de leur incompatibilité et s’affrontent. Rassurez-vous, je ne commenterai pas les (sublimes) scènes de combat, ni l’animation (splendide) et encore moins le character design (magnifique).

En fait, dans cette scène, on apprend que le démon lune était un être humain autrefois, qui a choisi d’embrasser la voie monstrueuse pour réaliser pleinement son potentiel. Et son rêve est de trouver un adversaire à sa hauteur. Chose qu’il a trouvée en la personne du Pilier Rengoku. Akaza lui explique combien il méprise les faibles et ne s’intéresse qu’aux forts, quand Rengoku lui rétorque que son devoir est justement, en tant que « fort » de veiller sur les « faibles ». Akaza tente de le séduire en lui offrant l’immortalité, l’infinité, le développement de son potentiel et la perspective de toute-puissance. Et tout au long du combat, alors qu’Akaza lui inflige des blessures toujours plus graves, Rengoku refuse son offre. Son argument tient au contraire de la sagesse stoïcienne : on n’est que de passage sur Terre, et la mort fait invariablement partie de la condition humaine. A la fin du combat, Rengoku n’a plus que la force d’asséner un ultime coup à Akaza, qui, grièvement blessé et effrayé par la lumière du Soleil, s’enfuit.

Avec ce duel, je me suis posé deux questions : que cachait ce combat et qui a réellement gagné ?

Au delà du combat entre chasseur et proie, il y avait en fait deux éthiques qui s’affrontaient. Une éthique dite « de première personne », autrement dit une éthique du « tout pour moi » représentée par le personnage d’Akaza. Akaza humain craignait la mort et était dévoré d’ambition, et pour ces raisons, il est devenu immortel en renonçant à son humanité.

Son but est le profit, représenté par la souffrance qu’il inflige aux humains (promis, je ne dirais pas que je vois une vision du capitaliste avide de profits), le développement de ses pouvoirs et la jouissance des effets de ses pouvoirs.

Rengoku, au contraire de son adversaire, a une éthique « de la troisième personne » : il combat pour protéger ses jeunes apprentis et les victimes des démons et de manière plus générale, l’humanité. Il est conscient de sa condition de mortel et ne cherche pas à tricher avec la vie. Il est également conscient de son devoir : en tant que guerrier d’élite, son éthique et son idéal consistent à protéger les plus faibles. Et Rengoku donnera sa vie pour ce devoir. Au final, ce sont bien deux éthiques qui se sont affrontées : égoïsme contre altruisme.

Mais qui a véritablement gagné, sachant que Rengoku n’a pas survécu à ses blessures et qu’Akaza s’est enfui ? En fin de compte, Akaza a échoué : Rengoku n’a pas renoncé à son humanité, bien au contraire. Ce dernier a même donné le meilleur de lui-même. Par sa conduite et son sacrifice, Rengoku a permis la transmission de son éthique à Tanjiro et ses compagnons. Tel Hiram, Rengoku est mort pour que son exemple vive. Sa mort permettra également aux autres apprentis de devenir aussi des maîtres, ou des piliers. En mourant, le puissant Rengoku permet à ses disciples d’un jour d’avoir la possibilité d’exister, de progresser et de l’égaler. Sa mort en humain fait de lui le vainqueur de cet affrontement.

A y bien regarder, le personnage de Rengoku était un grand initié : conscient de sa finitude, ayant accepté la mort et surtout prêt à accomplir son devoir jusqu’à la dernière goutte de son sang.

En fin de compte, n’est-ce pas là ce que nous apprend l’Initiation, que d’apprendre à mourir, mourir pour vivre, mourir pour laisser vivre et surtout mourir pour transmettre ? Etre conscient de sa place, l’accepter, agir en conséquence, n’est-ce pas là le devoir de l’Initié ? Mourir pour laisser les autres vivre et grandir, n’est-ce pas aussi le message des spiritualités, qu’il s’agisse de Franc-maçonnerie, de traditions ou d’arts martiaux ?

Je vous embrasse.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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