Chaque année, au creux de l’été, les journaux s’empressent de ressortir leurs sempiternels marronniers, ces sujets récurrents dépourvus d’actualité brûlante. Devançant peut-être cette année les dossiers prodiguant moult conseils pour conserver son summer body, prendre de bonnes résolutions conciliant vie professionnelle et vie privée ou remplir sa cave sans céder à l’enivrement des étiquettes, Le Figaro Magazine du 1er août 2025 nous offre, en grande largeur, un énième traitement de la Franc-Maçonnerie qui, tel un vieux disque rayé, non seulement ne renouvelle pas le genre mais ressasse les rengaines superficielles d’un passé révolu.

On pourrait presque imaginer les rédacteurs, comme des conteurs mornes et fourbus, s’appuyant tant bien que mal sur des histoires d’antan quelque peu éculées, faute de pouvoir saisir le propre toujours actif de l’initiation. Ainsi, loin de raviver l’intérêt, ce dossier, orchestré par Jean-Christophe Buisson, s’appuyant sur l’essai de Pierre-Yves Beaurepaire, risque de plonger les lecteurs dans la léthargie qu’engendre le cercle routinier des idées reçues.
Un dossier qui esquive le cœur de la Franc-maçonnerie
Malgré son titre racoleur : « La Franc-maçonnerie continue de compter dans le débat public », l’article de tête aurait tout de même pu laisser une petite place à une exploration un tant soit peu approfondie de cet art initiatique, de ses rituels, de ses symboles et de son cheminement spirituel. Mais à la lecture, la déception est immédiate. Jean-Christophe Buisson, le journaliste à l’origine de l’entretien avec Pierre-Yves Beaurepaire, n’effleure même pas l’essence de la Franc-Maçonnerie.
Pas une ligne sur les travaux en loge, les réflexions philosophiques ou les transformations intérieures que cet ordre suscite chez ses membres.
Au lieu de cela, l’article se focalise sur des questions d’actualité sociale et politique : la fin de vie, la laïcité, le communautarisme, les luttes contre l’extrême droite ou les tensions avec l’Église catholique. On y parle de François Bayrou, du Grand Orient de France (GODF), de commissions de bioéthique, mais rien qui permette de comprendre ce qui se passe réellement derrière les portes closes des temples et dans la vie intérieure des frères susceptible de nourrir au-dehors leur être social.
Ce choix éditorial donne l’impression d’un publireportage déguisé, une vitrine flatteuse pour le GODF en mal de questions dites aujourd’hui « sociétales » (c’est plus « tendance ») et, par une implicite extension, pour l’ouvrage de P.-Y. Beaurepaire, à paraître le 14 août aux éditions Perrin.
Les propos de P.-Y. Beaurepaire, relayés avec soin, mettent en avant les engagements sociétaux des Francs-Maçons – comme le soutien à l’avortement, à la contraception ou à la fin de vie, incarnés par des figures comme le Dr Pierre Simon (mentionné par erreur, dans un propos rapporté à P.-Y. Beaurepaire, comme ancien Grand Maître de la Grande Loge Nationale Française, alors qu’il le fut, à deux reprises, de la Grande Loge de France, deux obédiences qui méritent pour le moins d’être différenciées) ou Henri Caillavet (grande conscience du GODF) – sans jamais relier la pertinence de leurs combats avec leur engagement initiatique. Là n’est point la question : visiblement l’intérêt de l’éditeur était d’obtenir un grand « papier » pour le lancement du dernier essai de son auteur et huiler la planche (sic) avec des lieux communs était, semble-t-il, au vu des efforts déployés par les « relations presse », le meilleur moyen d’assurer un tremplin à un livre érudit dans un magazine prestigieux. Coup médiatique réussi ?
Mais cette approche réduit la franc-maçonnerie à un simple acteur politique, effaçant son âme spirituelle.
Une Maçonnerie qui vieillit et perd son élan

Pierre-Yves Beaurepaire, universitaire de renom et, en tant que tel, rare historien spécialiste de la Franc-Maçonnerie, offre dans cet entretien une analyse lucide qui, ironiquement, souligne les limites de l’institution qu’il étudie. Il note que les Francs-maçons, depuis les années 1980, ont pris en moyenne vingt ans de plus, un vieillissement démographique qui reflète un désintérêt croissant des nouvelles générations. Cette observation, tirée de son essai La Franc-maçonnerie. Vérités et légendes, est un aveu implicite : la Maçonnerie, telle qu’elle est présentée ici, peine à se renouveler. Le Professeur Beaurepaire explique que les grandes batailles républicaines – laïcité, sécularisation des rites de passage – appartiennent à un passé glorieux, mais qu’aujourd’hui, les Loges semblent figées, incapables de rivaliser avec les universités ou les forums publics où l’histoire, la politique et les débats sociaux trouvent une résonance bien plus vive.
Cette stagnation est d’autant plus évidente quand on lit les lignes sur les obédiences actuelles. Pierre-Yves Beaurepaire conteste l’idée d’une division politique stricte entre un Grand Orient de France (GODF) de gauche et une Grande Loge Nationale Française (GLNF) de droite (même si globalement, de notre point de vue, elle reste vraie : il suffit de tenter d’inverser la proposition pour la vérifier a contrario !), soulignant une modération qui éloigne les membres des extrêmes comme La France Insoumise (LFI) ou le Rassemblement National (RN). Il mentionne même des Francs-Maçons « libéraux » de centre droit, un glissement qui montre une diversification, mais aussi une dilution des idéaux initiaux. Les Loges, autrefois perçues comme des foyers de révolution intellectuelle, se transforment en refuges où l’on discute de bioéthique ou de laïcité sans oser s’aventurer sur des terrains plus abrupts. Il semble bien loin, le temps où les Francs-maçons étaient vus comme des forces capables de redessiner les lignes de la société, au milieu de ses fractures.
Une critique timide face aux défis contemporains

L’article touche également à la relation entre la Franc-Maçonnerie et les religions, un sujet toujours incandescent qui mériterait une analyse plus incisive. Pierre-Yves Beaurepaire rappelle la condamnation historique de l’Église catholique via l’encyclique Humanum Genus de 1884, où Léon XIII (1810 – 1903) assimile la Maçonnerie au « royaume de Satan ». Bien que les tensions se soient apaisées depuis, le Vatican maintient l’incompatibilité de toute adhésion maçonnique avec une appartenance à l’église catholique, comme en témoigne, dès 2024, l’ardente excommunication d’un curé de Livourne qui – horresco referens – avait, le 31 décembre 2023, qualifié le pape François de « franc-maçon ». Pourtant, l’article passe sous silence une question cruciale : pourquoi les Francs-Maçons, si prompts à dénoncer le cléricalisme catholique par le passé, restent-ils si discrets face à l’islam politique ou au communautarisme, qu’ils devraient pourtant critiquer aujourd’hui avec autant de véhémence, en partisans zélés d’un universalisme qu’ils n’ont jamais cessé de révérer – du moins, théoriquement – à longueur de communiqués et dans l’inlassable répétition de leurs références ? Cette étrange pudeur contraste visiblement avec leur engagement historique.
Par ailleurs – et ce n’est peut-être pas sans lien, mais il ne nous appartient pas de l’étudier ici -, l’article évoque les appels à barrer la route à l’extrême droite lors des diverses élections, signés notamment par le Grand Orient de France (GODF) mais non par la Grande Loge de France (GLDF) ou la Grande Loge Nationale Française (GLNF), qui, pour ces deux dernières, préfèrent rester politiquement en retrait, selon leurs règles traditionnelles qui, ajoutons le, interdisent toute consigne de vote, de la part d’obédiences travaillant « à couvert », c’est-à-dire sans ouvrir de débats démocratiques avec le public. Il note aussi la présence de sympathisants du Rassemblement National ou d’idées sécuritaires parmi les membres de ce courant de pensée, surtout, en proportion, parmi ceux issus des forces de l’ordre, un phénomène qui reflète les évolutions sociétales.
Mais cette prudence face à l’islam politique – alors qu’individuellemment nombre de frères dénoncent son danger – trahit une peur de s’attaquer à un sujet sensible, conduisant à se dérober à l’ombre des temples, plutôt qu’à porter le fer dans le débat public comme la franc-maçonnerie le faisait naguère encore quand l’unité de la république lui semblait en danger – menace dont on ne peut pas dire qu’elle ne pèse pas davantage sur notre nation aujourd’hui…
Un marronnier qui dessert l’art maçonnique

En somme, ce dossier du Figaro Magazine sacrifie une trop rare occasion de renouveler l’image de la Franc-Maçonnerie. Là où les marronniers d’antan laissaient entrevoir des mystères et des pouvoirs occultes, ce numéro réduit l’Art Royal à une coquille vide, vestige d’un âge d’or révolu. Les citations de Pierre-Yves Beaurepaire, comme celles sur les Francs-Maçons qui « dénoncent le danger du communautarisme et de l’islam politique, quand auparavant ils craignaient surtout le cléricalisme des catholiques », ou sur l’affaire des fiches de 1904 où le GODF fut impliqué dans un fichage d’officiers, servent davantage à illustrer un passé qu’à éclairer un présent vivant.
Certains se réjouiront peut-être de voir Le Figaro Magazine offrir une tribune à Pierre-Yves Beaurepaire, dopant ainsi, dès parution, les ventes de son livre et ce, grâce aux puissants relais d’un éditeur reconnu comme à l’impeccable notoriété d’historien de l’auteur en cause. Mais, pour la Maçonnerie, le bilan est maigre, sinon amer. Elle n’en ressort pas gagnante : loin des super-héros d’autrefois, elle apparaît une fois encore comme une institution vieillissante, repliée sur elle-même, incapable de s’adapter ou de s’exprimer avec la même vigueur qu’autrefois sur les défis que la société doit affronter. C’est déjà une chose mais il y avait aussi – et ô combien ! – autre chose à montrer, autrement plus singulière et motivante, à notre sens : c’est l’intérêt du travail accompli en loge par les Sœurs et les Frères, dans leur fidélité à la voie initiatique.
Une fois de plus, s’est évanouie la chance de parler de la franc-maçonnerie comme d’un art vivant, préférant lui laisser secouer une odeur de naphtaline, sous la poussière de l’histoire. quel Dommage !






































































