L’ouvrage “Les rituels, à quoi ça sert ?” de Roger Dachez, publié aux Éditions Dervy dans la collection « Les outils maçonniques du XXIe siècle », est une exploration approfondie de la nature des rituels maçonniques et de leur signification dans le cadre de la franc-maçonnerie contemporaine. À travers une analyse qui puise dans les domaines de l’anthropologie, de l’histoire et du symbolisme, Roger Dachez s’attache à clarifier un sujet souvent mal compris, voire déformé par des simplifications excessives.
L’auteur s’intéresse avant tout à la place du rituel dans l’univers maçonnique, perçu de l’extérieur comme une curiosité anachronique ou une pratique mystique teintée de mystère. Il souligne, dès l’introduction, l’étonnement que peut susciter l’importance du rituel en maçonnerie, au sein d’une époque marquée par la sécularisation et la déchristianisation progressive. Roger Dachez met en lumière un paradoxe : bien que la société moderne tende à se défaire de ses traditions rituelles, les francs-maçons continuent à leur accorder une place primordiale. Cette contradiction est au cœur de la réflexion de l’ouvrage.
Le rituel, tel que conçu par les maçons, est loin d’être une survivance du passé. Dachez montre que le rituel maçonnique n’est ni figé ni purement décoratif, mais qu’il est en constante évolution depuis ses premières formes aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ces rites, qui puisent dans une symbolique complexe, oscillent entre pratiques initiatiques et mystiques, tout en s’ancrant dans une tradition opérative issue des métiers et des guildes médiévales.
Le livre est structuré autour de trois perspectives essentielles : anthropologique, historique et symbolique. Roger Dachez insiste sur l’importance d’adopter une approche pluridimensionnelle pour saisir pleinement l’essence du rituel maçonnique. Chaque loge peut avoir ses particularités, mais l’initiation, au cœur du processus rituel, demeure un invariant anthropologique que l’on retrouve dans de nombreuses sociétés et cultures. En cela, l’auteur dresse des parallèles entre le rituel maçonnique et d’autres formes de pratiques symboliques à travers l’histoire.
Sur le plan historique, il est intéressant de noter que l’auteur aborde les sources spécifiques du rituel maçonnique, soulignant ses liens étroits avec la période des Lumières en Europe. L’évolution de ces rituels reflète les bouleversements politiques et sociaux des époques traversées, notamment la Révolution française et la laïcisation progressive de l’État. Il mentionne et étudie également de grands personnages de la franc-maçonnerie, comme Oswald Wirth (1860-1943), spécialiste du symbolisme ésotérique qui a exercé une influence majeure sur l’art royal, René Guénon (1886-1951) qui a consacré sa vie à l’étude des traditions spirituelles et métaphysiques et surtout connu pour avoir développé la notion de Tradition primordiale, une vérité métaphysique universelle ou encore des intellectuels tels que Carl Gustav Jung (1875-1961), éminent psychologue et psychiatre suisse fondateur de la psychologie analytique, dont les travaux ont influencé les réflexions sur les archétypes et le symbolisme initiatique.
L’un des passages essentiels de l’ouvrage explore la question de la signification du rituel dans un monde sécularisé. Comment vivre un rituel traditionnel dans une société où la spiritualité semble s’effacer au profit de la rationalité et de l’efficacité ? Roger Dachez y répond en montrant que les rituels offrent un espace de réenchantement, une sorte de retraite symbolique dans un univers où tout va trop vite et où les repères se dissolvent. Loin d’être désuets, les rituels maçonniques apparaissent comme des outils essentiels pour une quête de sens, à la fois individuelle et collective.
L’auteur insiste sur l’importance du rituel comme invariant anthropologique, le considérant comme une réponse aux besoins fondamentaux de structuration du temps et de l’espace. Il rappelle que les rites ont toujours joué un rôle dans l’organisation des sociétés humaines, notamment pour marquer les passages et les transformations individuelles ou collectives. Les rituels maçonniques, bien que marqués par une symbolique ésotérique, n’échappent pas à cette logique : ils structurent l’appartenance des membres, leur progression dans la hiérarchie et la fraternité qui les unit.
Cette dimension est centrale pour comprendre le rôle du rituel dans une organisation comme la franc-maçonnerie. Il s’agit, pour Roger Dachez, d’un ciment qui permet la continuité et la transmission de valeurs à la fois morales, spirituelles et intellectuelles. Loin de constituer une simple forme sans fond, le rituel est porteur d’une dynamique qui transcende les individus et assure la pérennité de l’institution maçonnique.
Le symbolisme occupe également une place centrale dans la réflexion de l’écrivain. Chaque geste, chaque mot, chaque objet utilisé dans le cadre du rituel maçonnique est porteur de sens. Dachez analyse avec finesse cette dimension symbolique, en montrant que le rituel est un langage en soi, permettant une communication entre l’homme et l’univers. Les francs-maçons, à travers ces pratiques, sont invités à une réflexion sur eux-mêmes, sur leur place dans le monde et sur leur relation avec le sacré.
Il explore ainsi les divers degrés de l’initiation maçonnique, des premiers grades jusqu’aux plus élevés, tout en soulignant que chaque étape est porteuse d’un enseignement moral et spirituel. Cette démarche initiatique, bien que codifiée, laisse également place à la créativité et à l’interprétation personnelle, ce qui explique pourquoi les rituels maçonniques ont pu se renouveler sans jamais perdre leur essence première.
L’éditeur et la collection
Dès sa création, Dervy s’est concentrée sur des publications tournées vers des thématiques ésotériques et symboliques, avec une orientation marquée par la franc-maçonnerie, un domaine que connaissait bien Madeleine Renard, co-fondatrice issue de ce milieu.
Mais c’est en 1948, avec la publication de La Symbolique maçonnique de l’occultiste, alchimiste et franc-maçon Jules Boucher (1902-1955), que Dervy commence à affirmer une orientation plus prononcée vers l’ésotérisme, ce qui deviendra une marque de fabrique de la maison. Parmi les auteurs les plus notables publiés par Dervy dans le domaine de la franc-maçonnerie et du symbolisme, on retrouve des figures emblématiques comme Oswald Wirth, Paul Naudon, Jean Tourniac, ainsi que des penseurs plus contemporains tels que Roger Dachez, Irène Mainguy et Pierre Mollier. Ce focus sur la franc-maçonnerie a permis à la maison de s’imposer comme un acteur incontournable dans le domaine.
Dervy est une maison d’édition qui, en dépit des transformations et des changements de propriétaires, a su conserver son identité originelle tout en s’adaptant aux nouvelles attentes des lecteurs. Aujourd’hui, elle continue de jouer un rôle essentiel dans la transmission des savoirs ésotériques et spirituels, en France et au-delà, en s’appuyant sur un catalogue riche et varié où se croisent traditions ancestrales et réflexions modernes.
La collection « Les outils maçonniques du XXIe siècle » s’inscrit dans cette démarche en proposant des ouvrages qui permettent à la fois une meilleure compréhension de la franc-maçonnerie, mais aussi une réflexion sur son évolution dans le contexte du monde contemporain. Les rituels, à quoi ça sert ? s’insère parfaitement dans cette ligne éditoriale en abordant un aspect fondamental de la pratique maçonnique sous un angle à la fois historique, anthropologique et symbolique.
Biographie de l’auteur
Roger Dachez est un éminent historien et universitaire, mais également médecin de formation. Ses travaux portent depuis plusieurs décennies sur l’histoire et les traditions de la franc-maçonnerie. Président de l’Institut Maçonnique de France (IMF), il a publié de nombreux ouvrages et donné des conférences en Europe sur les origines et les sources du symbolisme maçonnique. Parmi ses œuvres les plus notables, on trouve Histoire illustrée du Rite Écossais Rectifié (2021) et De Salomon à James Anderson (2023), toutes deux publiées chez Dervy. Ses recherches se distinguent par une approche rigoureuse, loin des clichés ou des visions simplistes que l’on associe parfois à la franc-maçonnerie.
L’ouvrage de Roger Dachez est une réflexion complète et érudite sur le rôle fondamental des rituels dans la franc-maçonnerie moderne. Il invite le lecteur à dépasser les idées reçues pour comprendre le rituel comme un outil complexe, mais essentiel, de transmission de valeurs et de savoirs. Roger Dachez montre que, loin d’être une pratique désuète, le rituel maçonnique est porteur d’une dimension universelle qui le rend pertinent, même dans un monde sécularisé.
Cet ouvrage est donc une lecture incontournable pour ceux qui souhaitent approfondir leur compréhension de la franc-maçonnerie et de ses rituels, mais aussi pour ceux qui s’intéressent plus largement à la fonction des rituels dans les sociétés humaines.
Les rituels, à quoi ça sert ?
Roger Dachez – Éditions Dervy, Coll. Les outils maçonniques du XXIe siècle, 96 pages, 9,90 € – Format Kindle 6,99 €
Retrouvez Roger Dachez à l’occasion du VIIe Colloque du Cercle Renaissance Traditionnelle.
Le (les) Rituel(s) doivent être vécu intérieurement et l’initiation es réelle, nous sommes tous les personnages qui font le rituel, si le rituel est vécu extérieurement comme un mimodrame l’initiation est virtuel. C’est pour cela qui y a tant de profanes en tablier.