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Les Francs-maçons dans les pays de Bohême et la Première République tchécoslovaque

De notre confrère deutsch.radio.cz – De Janzer et Jiří Zeman

Il y a aussi quelque chose de mystérieux autour de cela : nous parlons des francs-maçons et de leurs loges. Depuis les changements politiques de 1989, elles sont également à nouveau actives en République tchèque. Cependant, les premières associations de ce type existaient déjà dans les pays de Bohême au XVIIIe siècle. Néanmoins, les loges francs-maçonnes de ce pays ont connu leur plus grand essor au cours de la Première République tchécoslovaque.

Frantisek Krizik | Photo : Archives de la radio tchèque

Parmi les membres des loges maçonniques en Tchécoslovaquie entre les deux guerres mondiales, on trouve des noms d’artistes de haut rang et d’hommes politiques influents : le peintre Art nouveau Alfons Mucha en faisait partie, tout comme le président Edvard Beneš et l’inventeur František Křižík.

Jana Čechurová est historienne à l’Université Charles de Prague et se concentre sur l’histoire tchèque moderne et contemporaine. Son traité « Les francs-maçons tchèques au XXe siècle » est disponible en allemand. Dans les émissions nationales de la radio tchèque, elle a déclaré :

 

Edvard Benes | Photo : Bibliothèque du Congrès.

Les Francs-Maçons sont avant tout une association masculine née au XVIIIe siècle, expression de la foi des Lumières dans le progrès et la tolérance. Aujourd’hui, il existe également des associations féminines, ou des formes mixtes. Les Francs-Maçons s’impliquent également dans des œuvres caritatives et promeuvent l’éducation. Leur philosophie est qu’en travaillant sur soi-même, on contribue aussi au bien commun.

Cependant, on ne sait pas vraiment quand la franc-maçonnerie a réellement vu le jour. Selon certaines théories, ses racines remonteraient même à l’Égypte ancienne. Mais l’un des francs-maçons actuels de la République tchèque indique la seule date vérifiable de la forme actuelle de cette confrérie :

Jana Čechurová | Photo : Stanislav Vánek, Radio tchèque

On considère que sa création officielle remonte à 1717, lorsque quatre loges maçonniques se réunirent à Londres et fondèrent une Grande Loge. Cela montre clairement que de telles associations devaient exister auparavant. Mais c’est la première fois qu’une loge fut fondée, telle qu’historiquement documentée.

Il est de coutume chez les francs-maçons que les noms des membres vivants ne doivent pas être publiés. Ceci s’applique également à ce franc-maçon qui a donné quelques réponses à la radio tchèque et que nous avons cité ici.

Le mouvement a rapidement trouvé ses partisans également en Bohême, explique Čechurová.

Franz Anton, comte impérial von Sporck |

La légende raconte que Franz Anton Reichsgraf von Sporck aurait établi la franc-maçonnerie ici dès 1726. Mais la vérité est tout autre, et la date est postérieure. En 1741, des généraux de l’armée française introduisirent cette innovation à la mode en Bohême, et la première loge fut fondée à Prague. Cependant, ce n’était pas encore un mouvement majeur, bien que plusieurs autres communautés aient émergé. Par la suite, le silence s’installa pendant les 50 années suivantes, et les francs-maçons furent également persécutés. Ce n’est que dans les années 1790 que les loges en Bohême connurent leur premier apogée », explique l’historien.

En 1785, l’empereur Joseph II délivra un brevet de franc-maçonnerie, qui les reconnaissait comme tels par l’État. Cependant, les loges étaient surveillées et leur nombre était limité. Pendant les guerres napoléoniennes, les Habsbourg interdisent à nouveau la franc-maçonnerie et persécutent ses adeptes.

L’empereur Joseph II (1741-1790) avec la statue de Mars. Daté 1775, artiste : Anton von Maron. | Photo de : Kunsthistorisches Museum Vienne

À ce jour, les francs-maçons sont organisés en loges. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Une question pour l’initié…

« Une loge est un groupe, petit ou grand, de francs-maçons qui se réunissent régulièrement. Au-dessus de ces loges se trouve généralement une Grande Loge ou une Obédience, selon le terme utilisé. Elle est généralement définie géographiquement. Dans le cas de petits États comme la République tchèque, il existe une seule Grande Loge qui a le patronage de toutes les loges », a expliqué le membre de la loge Porta Bohemica, basée à Ústí nad Labem.

En 1867, la monarchie austro-hongroise est créée. Alors que la franc-maçonnerie était autorisée dans la partie hongroise, elle n’était pas bien accueillie dans la partie autrichienne – y compris les terres de Bohême – selon Jana Čechurová :

L’empereur François-Joseph émit un décret qui, sans interdire directement la franc-maçonnerie, rendait incompatible l’appartenance à une société secrète et l’emploi au service de l’État. Les loges maçonniques étaient alors considérées comme des sociétés secrètes. La plupart des francs-maçons choisirent alors de rester au service de l’État, et les activités des loges cessèrent.

Cependant, certains francs-maçons restèrent actifs et se regroupèrent pour former des cercles dits fraternels. En 1907, il existait en Bohême onze associations de ce type, comptant environ 350 membres. Presque tous étaient germanophones, seuls quelques-uns avaient le tchèque comme langue maternelle. En 1910, la loge frontalière germano-bohème « Hiram des Trois Étoiles » fut fondée, installée par la Grande Loge Symbolique de Hongrie.

Loges allemandes et tchèques

Ce n’est qu’avec la formation de l’État indépendant que la franc-maçonnerie a connu un nouvel apogée. Les années 1918 à 1938 constituent même l’âge d’or de ces associations en Tchécoslovaquie. Ce n’est qu’à partir de la Première République qu’il n’y eut plus aucune restriction à leur égard.

Alfons Mucha à Paris (1901) | Photo : Musée Mucha

La particularité de la franc-maçonnerie en Tchécoslovaquie était la division germano-tchèque. Le 26 octobre 1918, deux jours avant la fondation de l’État, onze francs-maçons tchèques de la loge « Hiram des Trois Étoiles » et trois autres membres de loges françaises, parmi lesquels le peintre Alfons Mucha, se sont rencontrés – et c’est ainsi que la première loge tchèque en République tchécoslovaque a été fondée, appelée « Jan Amos Komenský ». Et l’expert continue :

La plus grande association était cependant la loge Národ, liée aux activités conspiratrices du groupe de résistance Mafia pendant la Première Guerre mondiale. Ce groupe était dirigé par l’homme politique Přemysl Šámal et le journaliste František Sís. Initialement non francs-maçons, ils devinrent plus tard, à leur image, les gardiens du nouvel État tchécoslovaque, de l’ordre démocratique fondamental et d’autres valeurs.

De plus, des autorités supérieures furent créées sous la Première République : la Grande Loge nationale de Tchécoslovaquie (Národní Veliká Lóže Československá) et un Conseil suprême.

En 1938, 25 loges avaient commencé leurs activités et furent intégrées à la Grande Loge de Tchécoslovaquie. Les associations représentaient principalement l’élite de la société et émergeaient souvent des cercles universitaires des pays de Bohême, explique Čechurová.

Signe de la Charte du Conseil suprême d’Écosse pour la Tchécoslovaquie, par Alfons Mucha |

La loge de Brno « Cestou světla » est née explicitement de la fondation de l’université Masaryk. Parmi les francs-maçons, on comptait également des hommes politiques et des personnalités publiques. Parmi les premiers, on comptait par exemple le ministre des Finances Alois Rašín et le député Theodor Bartošek. Presque tout le spectre politique était représenté, à l’exception des catholiques. On y trouvait ainsi des socialistes, ainsi que des socialistes populaires et des agrariens. Les plus grands noms, cependant, provenaient des milieux artistiques, et ils étaient francs-maçons même avant la Première Guerre mondiale. Parmi eux, par exemple, le poète Jaroslav Kvapil, qui travailla également comme dramaturge au Théâtre national et écrivit le livret de l’opéra « Rusalka ». Le franc-maçon le plus haut placé de l’entre-deux-guerres était le peintre Alfons Mucha », explique l’historien.

En ce qui concerne les hommes politiques, il faut cependant dire que les communistes n’étaient pas acceptés – à l’exception de Theodor Bartošek, qui n’a rejoint le Parti communiste autrichien que plus tard. L’un des principes des francs-maçons à ce jour est qu’ils défendent la légalité et s’opposent à l’illégalité. Et les communistes étaient considérés comme plutôt hostiles à l’État. Un autre principe est qu’aucune discussion politique n’a lieu lors des réunions de loge.

Alois Rašín | Photo : e-Sbírky, Národní muzeum – Historické muzeum, CC BY-NC-ND 4.0 DEED

 En Tchécoslovaquie, la fin de la franc-maçonnerie est survenue étonnamment tôt – quelques jours seulement après les accords de Munich du 30 septembre 1938, par lesquels les Sudètes ont été cédées à l’Allemagne. La Grande-Bretagne et la France ont toutes deux permis à Hitler d’annexer les régions frontalières germanophones de la Tchécoslovaquie. Jana Čechurová :

Dix jours après les accords de Munich, les francs-maçons cessèrent leurs activités en Tchécoslovaquie. J’ignore pourquoi ils opérèrent une rupture aussi radicale. Quoi qu’il en soit, le 10 octobre, ils liquidèrent leurs biens. Ils conservèrent certains documents, mais ils cessèrent leurs activités. Peut-être étaient-ils arrivés à la conclusion que la franc-maçonnerie des autres pays d’Europe centrale subissait une pression excessive de la part des régimes autoritaires. D’autre part, l’ordre politique de la Seconde République tchécoslovaque n’était pas encore établi, et ils ne pouvaient donc pas avoir connu d’expériences similaires dans leur propre pays. Sous le « Protectorat de Bohême et de Moravie » qui suivit, aucune loge maçonnique ne se réunit ; elles furent dissoutes.

Jaroslav Kvapil | Source : domaine public

 Du côté tchèque notamment, de nombreux francs-maçons rejoignirent la résistance après l’occupation du reste de la Tchécoslovaquie par Hitler en mars 1939. Nombre d’entre eux furent traqués et assassinés par les autorités allemandes. Tout comme l’État tchécoslovaque ne pouvait se perpétuer qu’en exil à Londres, il en était de même pour la franc-maçonnerie.

Infiltration communiste

Après la Seconde Guerre mondiale, les premières tentatives de rétablissement de la franc-maçonnerie en Tchécoslovaquie ont eu lieu en 1945. Mais au début, les associations étaient encore réservées, explique l’historien :

La nomination d’un communiste au poste de ministre de l’Intérieur posa un problème majeur. Or, le ministre Václav Nosek n’était pas particulièrement ouvert aux francs-maçons. Il imposait de nombreuses exigences que les loges ne pouvaient remplir si elles respectaient leurs propres règles internes. Parmi celles-ci figurait, par exemple, l’admission de nouveaux membres sans que les membres existants ne votent en leur nom. Finalement, les activités ne reprirent qu’à l’automne 1947, et seulement dans la partie tchèque du pays, et non en Slovaquie.

Ladislav Machon (1951) | Photo : ČTK

 Jana Čechurová considère cette réactivation tardive comme une raison possible pour laquelle les loges maçonniques ont continué d’exister même après la prise du pouvoir par les communistes en février 1948.

« Ils croyaient même qu’une certaine coexistence avec le régime communiste était possible. Cela s’expliquait par le fait que des communistes avaient également rejoint les loges et contribué à leur renouveau. Par exemple, l’éminent architecte Ladislav Machon était l’un d’eux. En ce sens, la relation avec les communistes était réciproque », a déclaré l’expert.

En fait, les francs-maçons en Tchécoslovaquie étaient divisés quant à savoir s’ils devaient continuer à exercer leurs activités sous la nouvelle direction de l’État. Une partie tendait vers une fin démonstrative de l’activité, l’autre vers son maintien.

Photo : e-Sbírky, Národní muzeum, CC BY 4.0 DEED

 Selon Čechurová, il n’est cependant pas clair si le régime n’a pas initialement émis d’interdiction parce que de nombreux francs-maçons avaient de bons contacts à l’étranger et voulaient maintenir l’impression d’un État démocratique permanent à l’étranger. L’historien continue :

Parallèlement, les communistes tentèrent soit d’infiltrer les loges avec leurs propres agents, qui rendaient régulièrement compte de leurs activités, soit de recruter des membres existants comme employés du Service de sécurité de l’État (StB). Finalement, les loges restèrent actives jusqu’en 1951. Ce n’est qu’à cette époque que les francs-maçons décidèrent que la pression exercée sur eux et les conditions d’activité de leur association n’étaient plus acceptables, car un représentant de la police était présent à toutes les réunions. Ils cessèrent donc leurs activités et dissout les loges.

Cependant, en dehors des structures officielles, les francs-maçons continuèrent à se réunir régulièrement tandis que les loges et grandes loges n’ont pu être renouvelées qu’après la Révolution de Velours de 1989.

Fondements éthiques et philosophiques de la Laïcité

La laïcité est à la fois un phénomène historique, une institution politico-juridique et un idéal moral et pour mieux cerner sa signification, il nous faut interroger ses sources historiques, mais aussi philosophiques. ll est clair aujourd’hui comme hier que la laïcité présente deux versants, le premier politique et institutionnel, le second éthique et philosophique qui témoignent de la dualité de ses origines.

La laïcité, pilier de la République française, est le fruit d’une rencontre historique entre deux courants distincts : la sécularisation, processus politique d’autonomisation des pouvoirs profanes face à l’hégémonie religieuse, et un idéal éthique de liberté et d’humanisme, porté par la valeur universelle de la dignité humaine. Ces deux dynamiques, bien que différentes par leur nature et leurs finalités, se sont entrelacées au fil des siècles, particulièrement dans l’histoire française, pour donner naissance à une conception unique de la laïcité. Cet article explore ces origines, en survolant le long chemin de la sécularisation et en détaillant l’humanisme comme condition essentielle de l’éthique laïque, tout en soulignant les tensions internes et les combats qu’elle implique.

Sécularisation : une autonomisation progressive du politique et du social

Saint François basilique
Saint François basilique

La sécularisation, première source de la laïcité, désigne le mouvement historique par lequel les pouvoirs politiques et les sociétés civiles se sont progressivement émancipés de l’autorité de l’Église catholique. Ce processus, éminemment historique, s’étend sur plusieurs siècles et ne peut être réduit à une simple séparation du religieux et du politique. Je me limiterai ici à un survol, n’étant pas historien, pour en esquisser les grandes étapes.

Dès le Moyen Âge, les prémices de la sécularisation apparaissent dans les conflits entre les souverains et la papauté. Le Saint-Empire germanique, sous des empereurs comme Frédéric Barberousse (XIIe siècle), s’oppose à l’hégémonie du pape, tandis que les rois de France, comme Philippe le Bel, défient l’autorité théocratique lors de la querelle de 1302 avec Boniface VIII. En Angleterre, Henri II résiste aux prétentions ecclésiastiques, marquant une première fracture dans le pouvoir absolu de l’Église. Ces monarques, bien que revendiquant la sacralité de leur trône – le « roi très chrétien » en France ou le « droit divin » en Angleterre – posent les bases d’une distinction entre les pouvoirs temporel et spirituel. Leur objectif n’est pas la laïcité moderne, mais l’affirmation d’une sphère politique profane, libérée de la tutelle cléricale.

Copernic

Ce mouvement s’amplifie à la Renaissance (XVe-XVIe siècles), avec l’émergence du rationalisme et de l’humanisme. Les découvertes scientifiques, comme celles de Copernic ou Galilée, ébranlent les dogmes religieux, tandis que la redécouverte des textes antiques – Platon, Aristote, Cicéron – inspire une pensée centrée sur l’homme et sa raison. La Réforme protestante (1517), initiée par Martin Luther, joue un rôle décisif en promouvant le libre examen des Écritures, défiant l’autorité du pape et encourageant une autonomisation de la pensée critique. Si la Réforme reste religieuse, elle sécularise la société en brisant le monopole catholique et en ouvrant la voie à des modes de vie et de pensée détachés des dogmes.

Au XVIIIe siècle, les Lumières radicalisent ce processus. Des philosophes comme Voltaire, Rousseau, ou Diderot érigent la raison en outil d’émancipation, critiquant l’influence de l’Église sur l’État et la société. Voltaire, dans son Traité sur la tolérance (1763), dénonce le fanatisme religieux, tandis que l’Encyclopédie de Diderot diffuse des idées scientifiques et humanistes. Cette modernité, en rupture avec la métaphysique chrétienne, promeut l’autonomie de la raison, la liberté de penser, et l’esprit critique, préparant le terrain à l’idée d’un État laïque, libéré de la tutelle religieuse.

Peinture historique romantique. Commémore les Trois Glorieuses (la Révolution de Juillet) le 28 juillet 1830.

La Révolution française (1789-1799) constitue un point culminant. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) consacre la liberté de conscience, tandis que la Constitution civile du clergé (1790) soumet l’Église à l’État. L’enseignement public, jusque-là monopole clérical, commence à s’émanciper, et des penseurs comme Robespierre imaginent une « religion civile », une morale civique destinée à unir la nation sans dogmes religieux. Pourtant, la sécularisation reste inachevée : la Terreur et les cultes révolutionnaires (comme celui de l’Être suprême) montrent les dérives d’un État cherchant à remplacer une religion par une autre. Ce n’est qu’avec la loi de séparation des Églises et de l’État (1905) que la France achève, en théorie, l’exclusion du religieux de la sphère politique, bien que des tensions persistent, notamment dans l’éducation et l’espace public.

Humanisme : matrice éthique de la laïcité

Si la sécularisation fournit le cadre politique de la laïcité, son âme réside dans l’humanisme, une philosophie qui place l’homme et sa dignité au centre de l’éthique. La laïcité n’est pas une doctrine systématique ni une idéologie, mais une éthique, un ensemble de valeurs régissant les relations entre individus, groupes idéologiques, et l’État, dans le respect de la neutralité philosophique. Cette éthique puise sa source dans l’humanisme, une notion plus ancienne et plus vaste, née à la Renaissance et portée par des penseurs comme Érasme ou Thomas More.

Utopia par Thomas More

L’humanisme repose sur l’idée que chaque être humain, en raison de son appartenance à l’humanité, possède une dignité inaliénable. Cette dignité, universelle et absolue, est la matrice des valeurs laïques : liberté de conscience, égalité des droits, respect mutuel. Avec le rationalisme des XVIIe et XVIIIe siècles, inspiré par la philosophie grecque (Socrate, Aristote), l’humanisme s’affine. Il célèbre la rationalité, la sociabilité, et la capacité humaine à atteindre la connaissance, l’éthique, et l’esthétique par la raison et la volonté. René Descartes, dans son Discours de la méthode (1637), fait de la raison le fondement de la vérité, tandis que Jean-Jacques Rousseau, dans Du contrat social (1762), défend l’idée que l’homme, par sa nature sociale, peut construire une société juste.

Au XVIIIe siècle, une anthropologie positive, nourrie par les sciences naissantes (physique, biologie), remplace la vision chrétienne d’un homme pécheur. L’humanisme proclame que chaque individu, par sa rationalité, possède des droits naturels : le droit à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté de pensée, d’expression, et de croyance, dès lors que ces libertés respectent le droit commun et le bien commun. Cette vision, incarnée dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, devient la traduction juridico-politique de l’humanisme. Elle inspire des exigences de progrès social, de justice, et d’égalité, qui se retrouvent dans l’idéal laïque, mais aussi dans des mouvements comme le socialisme, bien que leurs champs d’application diffèrent.

Statue de la Liberté – NYC

La laïcité, en tant qu’éthique, se concentre sur l’égalité dans l’exercice de la liberté de penser et de vivre selon ses convictions, tandis que le socialisme vise l’égalité économique et sociale. Pourtant, les deux procèdent des mêmes racines humanistes : une confiance en l’homme et une croyance en l’universalité de la raison. Comme le souligne Henri Peña-Ruiz dans Qu’est-ce que la laïcité ? (2001), « la laïcité est fille de la raison, car elle érige la rationalité en attribut universel de l’humanité ». La raison, ou logos, s’exprime par la parole, et cette capacité commune à penser et communiquer fonde un principe d’égalité : si tous les hommes sont capables de raisonner et de s’exprimer, chaque conscience mérite respect et liberté.

Cette liberté implique un devoir de réciprocité, souvent mal nommé « tolérance ». Le terme « tolérance » suggère une concession réticente, alors que la laïcité impose un respect absolu de la liberté de conscience, qu’il s’agisse de croyances religieuses, d’athéisme, ou d’autres convictions. Toutes ont droit de cité dans une société laïque, à condition de ne pas nuire à autrui ni au fonctionnement collectif. Cependant, cette liberté a des limites : la laïcité rejette les pensées totalitaires, absolutistes, ou oppressives, contraires aux droits humains et à la démocratie. Elle combat l’uniformisation idéologique, qu’elle vienne d’un dogme religieux, d’une manipulation étatique, ou d’une terreur idéologique, comme l’histoire l’a montré avec les régimes totalitaires du XXe siècle.

Laïcité : un combat contre le dogmatisme

Montaigne

La laïcité n’est pas seulement une éthique, mais un combat, né du refus de la théocratie et de l’hégémonie religieuse. Ce combat s’enracine dans une conscience lucide des limites de la raison, héritée de penseurs comme Michel de Montaigne. Dans ses Essais (1580), Montaigne critique les certitudes dogmatiques, qu’elles soient théologiques ou rationnelles, prônant un relativisme qui relativise les systèmes métaphysiques sans nier les valeurs éthiques. Ce relativisme, second fondement de la laïcité, s’oppose à toute vérité absolue imposée par la force ou la manipulation. Comme le note Jean Baubérot dans Histoire de la laïcité en France (2000), « la laïcité française est un équilibre entre la liberté de croire et le refus du dogmatisme, forgé par des siècles de luttes contre l’intolérance ».

Ce refus du dogmatisme distingue la laïcité de l’athéisme ou du matérialisme. Contrairement à une idée répandue, la laïcité n’est pas antireligieuse. Sous la IIIe République, des figures comme Jules Ferry ou Aristide Briand, artisans de la loi de 1905, étaient souvent rationalistes, mais ils défendaient la liberté de culte. L’anticléricalisme laïque, dirigé contre le cléricalisme – la volonté de soumettre l’État à la religion – n’implique pas un rejet de la foi. Les persécutions religieuses, comme celles du régime stalinien, sont l’antithèse de la laïcité, qui repose sur le respect des convictions privées. Confondre laïcité et athéisme, comme le font certains critiques, fausse son sens et alimente les accusations de dogmatisme anti-religieux.

La laïcité exige une vigilance constante contre toute forme de cléricalisme, qu’il soit catholique, islamique, ou autre. Historiquement, l’Église catholique, en France, a combattu la laïcité, notamment lors de l’affaire Dreyfus ou sous Vichy, en cherchant à imposer une morale religieuse à la société. Aujourd’hui, des intégrismes d’autres cultes posent des défis similaires, en revendiquant des lois religieuses contraires à la neutralité de l’État. La laïcité, en cantonnant la religion à la sphère privée, protège à la fois la liberté de croire et la paix civile, évitant la confusion du sacré et du politique qui caractérise les théocraties.

Tensions internes : l’équilibre précaire de la laïcité

La philosophe Elisabeth Badinter lors de l’inauguration du lycée international Robert-Badinter, le 13 mai 2025 (Crédit photo : Régis Ventribout)

La laïcité est par essence ouverte et plurielle, mais cette ouverture engendre des tensions. Elle doit concilier deux impératifs : la liberté (respect des diversités idéologiques et culturelles) et la séparation (exclusion du religieux de l’espace politique). Cette dualité peut sembler contradictoire, comme l’a montré le débat sur la loi de 2004 interdisant les signes religieux ostensibles à l’école. Les critiques ont accusé cette loi de limiter la liberté, mais ses défenseurs, comme Élisabeth Badinter, y voyaient une défense de la neutralité de l’espace scolaire, où les élèves sont des citoyens en devenir, non des porte-étendards de communautés religieuses. La laïcité n’interdit pas la croyance, mais encadre son expression publique pour préserver l’égalité.

Une seconde tension oppose le respect des communautés culturelles à l’idéal d’une citoyenneté universelle. Depuis les années 1980, le « droit à la différence », promu par certains sociologues, a soulevé des questions. Comme l’ont analysé Michel Wieviorka et Pierre-André Taguieff, un différentialisme excessif peut conduire à des dérives communautaristes, où des groupes revendiquent des pratiques contraires aux droits humains – polygamie, excision, ou violences contre les femmes – au nom de traditions culturelles. La laïcité, organiquement liée à la République, rejette ces pratiques, car elles violent l’éthique universelle. Elle promeut une citoyenneté transcendant les appartenances communautaires, unie par des valeurs communes : liberté, égalité, fraternité.

Ces tensions ne rendent pas la laïcité floue ou contradictoire, mais exigent un équilibre délicat. Comme le dit Régis Debray dans Ce que nous voile le voile (2004),

« la laïcité n’est pas un dogme, mais une pratique, un art de vivre ensemble qui se réinvente face aux défis du temps ».

Sa clarté réside dans ses principes : neutralité de l’État, liberté de conscience, égalité des droits. Sa difficulté réside dans son application, où elle doit naviguer entre ouverture et fermeté.

Laïcité : enfant de l’humanisme et de la raison

La laïcité française est un édifice bâti sur deux piliers : la sécularisation, qui a libéré le politique et la société de l’emprise religieuse, et l’humanisme, qui a fait de la dignité humaine et de la raison les fondements d’une éthique universelle. Née de la Renaissance, portée par les Lumières, et consacrée par la Révolution et la loi de 1905, elle est à la fois un principe juridique, une éthique, et un combat contre le dogmatisme et l’intolérance. Loin d’être antireligieuse, elle garantit la liberté de croire ou de ne pas croire, tout en protégeant la sphère publique des influences cléricales.

En tant que citoyens, notre responsabilité est de défendre cet idéal, non comme un dogme, mais comme une dynamique vivante, capable de fédérer les différences dans une République unie. La laïcité, enfant de l’humanisme et de la raison, est un appel à la fraternité, à la communication sans préjugés, et à une citoyenneté pleine, où chaque individu, quelle que soit son origine ou sa croyance, trouve sa place dans une société libre et égalitaire.

À l’heure où les intégrismes et les replis communautaires menacent la cohésion sociale, elle reste un phare, nous rappelant que l’universalité de l’humanité est la seule vérité absolue digne d’être défendue.

La croix, espace et mouvement

La croix est la forme pour marquer l’intercession de l’horizontalité et de la verticalité. Bien avant de devenir l’emblème du christianisme, la croix fut en de nombreuses régions du monde, l’image du cosmos.
Les figures fermées, cercle triangle, carré, doivent représenter quelque chose de circonscrit, de délimité ou tout au moins de déterminé, en d’autres termes, des désignations objectives ou des substances. La Croix, au contraire, n’est l’indice que d’un simple changement d’état ; elle marque une modification accomplie ou destinée à s’accomplir au sein de ce qui possède l’existence objective.

C’est par la monade hiéroglyphique que John Dee en a fait la représentation dans son ouvrage Monas Hieroglyphica (1564).
Elle représente l’unité fondamentale de l’univers, reliant le divin, le cosmique et le terrestre. Ce symbole, composé de figures géométriques (point, cercle, croix, etc.), incarne les principes de création et les lois universelles. Dee soutient que la monade est une clé pour comprendre les mystères de la nature et de Dieu, en intégrant des concepts kabbalistiques, astrologiques et alchimiques.
Chaque élément du symbole a une signification : Le point central représente l’unité divine. Le cercle symbolise le cosmos ou le soleil. La croix relie les éléments (terre, air, eau, feu) et les nombres.
La croix possède une relation particulière avec les formes géométriques de bases comme le cercle, le carré ou le triangle. En effet, elle ordonne, découpe et permet de recentrer les formes géométriques dans un point central. C’est le centre de cette croix, qui est l’immuable principe de toute mobilité, c’est elle qui tourne pour répandre les étincelles du feu de la vie, c’est sur ses bras que montent et descendent les esprits et qui les répandent par extension dans le grand vaisseau universel.

La ligne droite rayonnant du Centre constitue l’expansion de l’énergie condensée dans le Point. Dès l’apparition du point sensible, apparaissent aussi ses conditions de manifestation, l’Espace et le Temps. Car le point en mouvement, soit par dilatation soit par déplacement, ne peut bouger que dans l’espace. D’autre part, les différentes positions occupées successivement dans l’espace par le point en mouvement, impliquent l’existence du temps. Le rayon, la ligne droite horizontale, est le symbole de l’Espace et les lignes perpendiculaires à la ligne droite marquent les positions successives occupées par le point en sa course à travers l’espace et symbolisent le Temps. L’Espace et le Temps étant les conditions mêmes de la manifestation du point sensible ou matériel, la Croix symbolise l’état d’Être Espace-Temps-Matière. C’est tout cela qu’exprime le christ chronocrator (celui qui domine le temps) pour lequel la chrétienté a choisi la croix en remplacement du poisson.

Parce que formée par l’intersection de deux perpendiculaires, la croix découpe l’espace en quatre. Or, quatre correspond aux saisons (printemps, été, automne, hiver), aux éléments (terre, eau, air, feu), aux points cardinaux (orient, midi, occident, septentrion), aux phases de la Lune (nouvelle, croissante, pleine, décroissante), à l’année (deux équinoxes et deux solstices), aux âges de la vie (enfance, jeunesse, maturité, vieillesse) et aux moments du jour (aube, midi, crépuscule, nuit).

Croix du christ
Croix du Christ dans la Lumière

La croix est un des plus anciens symboles qui existent. Elles sont présentes depuis le début de l’Antiquité dans un grand nombre de cultures aussi diverses que variées ; dans la multiplicité de leurs formes, elles ont eu des significations différentes. La majorité des croix sont héraldiques, c’est-à-dire qu’elles sont composées à partir d’un dessin armorial ou décoratif. Le symbolisme de la croix est lié à des idées telles que les quatre points cardinaux, les notions d’espace et de mouvement, l’unité des opposés ou le salut de l’âme.  

La croix fait office de symbole reliant les quatre éléments de base (terre, eau, air, feu) en son centre pour en formé le cinquième (éther) ; l’homme étant le centre qui se dirige selon les bras de la croix vers l’échelle planétaire.

La croix symbolise aussi la projection de l’homme dans l’espace : un homme debout bras écartés devant le soleil, projette son ombre au sol en forme une croix. Les extrémités de la Croix peuvent être comprises comme des récepteurs, qui accueillent les forces universelles pour les conduire au centre, ou au contraire comme des émetteurs diffusant la force intérieure dans le monde.

En Chine, la croix est la représentation du chiffre « cinq » car elle  est le centre et la synthèse du quatre.

Avant d’être le symbole de la passion, la croix était celui du salut. Les évangiles font dire à Jésus : «si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce à lui-même, qu’il se charge chaque jour de sa croix et qu’il me suive.»

Les croix qui rappellent le supplice du Christ sont riches de symboles : selon J. Chevalier (Dictionnaire des symboles), «le pied de la croix enfoncé dans la terre signifie la foi assise sur de profondes fondations ; la branche supérieure de la croix indique l’espérance montant vers le ciel ; la largeur de la croix, c’est la charité qui s’étend jusqu’aux ennemis ; la hauteur de la croix, c’est l’espérance jusqu’à la fin.» Le crucifix n’apparaît dans le culte privé que vers la fin du VIe siècle et dans le culte public qu’après le Concile de Constantinople.

Les premières croix au bord de nos chemins furent sans doute érigées, dès les premiers siècles de notre ère, dans un but de protection divine. Elles pouvaient servir de bornage entre deux paroisses, commémorer une mission ou une fête votive, un jubilé ou encore un événement d’ordre privé. Elles étaient généralement toutes englobées dans les itinéraires suivis par les nombreuses processions des siècles passés, notamment au moment des rogations (bénédiction des récoltes). Beaucoup disparurent au fil du temps, souvent par vandalisme. Au moment de la Révolution, en particulier, il fut ordonné de détruire tous les signes extérieurs des cultes et beaucoup de croix firent les frais de cette politique.

Equerre Compas et Croix de Saint André
Equerre Compas et Croix de Saint André

La croix de saint André (utilisée dans l‘alphabet maçonnique) figure le passage maçonnique de l’Ancien au Nouveau testament, confirmé par l’Apôtre Saint André qui, d’abord disciple de Saint Jean Baptiste, né et prêchant sous l’Ancienne Loi, pour préparer les cœurs à la Nouvelle, abandonna son premier maître pour suivre sans partage Jésus-Christ, et scella ensuite de son sang son amour et sa foi pour son vrai maître.

Il y a environ 385 types de croix connus. Les croix portent un nom selon leur forme :

La croix simple ou latine décrit les états supérieurs d’ordre spirituel ou céleste au sein de la totalité des états d’être.

La croix double, dite de Lorraine, bien que d’origine grecque, associe les états spirituels (ou célestes) et humains (ou intermédiaires). Elle décrit l’être qui a réalisé l’union du divin et de l’humain symbolisée par la verticale.

La croix triple ou papale dépeint l’union des trois ordres (spirituel ou céleste; psychique ou intermédiaire; physique ou terrestre) représentée par la verticale. Elle est associée au Pontife, c’est-à-dire à celui qui est et qui fait le pont entre les trois mondes. Sous sa forme à branches multiples, la croix évoque également “l’Arbre du Milieu” qui s’élève au “Centre du Monde”. Dans la tradition biblique, “l’Arbre du Milieu” s’apparente à “l’Arbre de Vie” situé au milieu du “Paradis terrestre”.

La croix ansée, en usage en Égypte et chez les chrétiens des premiers siècles, symbolise l’accès aux états spirituels par la Voie directe, la boucle d’Horus, la porte étroite, le trou de l’aiguille, lieu de passage vers l’immortalité véritable. Placée sur le front, entre les deux yeux, elle représente le troisième Œil qui voit tout dans la parfaite simultanéité de l’éternel présent, c’est-à-dire au-delà des sens humains.

La croix Tau inversée met précisément en exergue les états spirituels ou supra-humains et dépeint le Ciel (vertical) au-dessus de la Terre (horizontale). Elle symbolise le monde céleste martelé par le tonnerre des dieux, tels Zeus dans la tradition grecque ou Thor dans la tradition scandinave

La croix aux branches d’égale longueur peut être orientée selon les quatre points cardinaux ou leurs points intermédiaires. Elle est dénommée grecque dans le premier cas et de Saint-André dans le second. Si l’on considère un mouvement ascendant, le triangle inférieur représente les progrès dans la Connaissance (du général au particulier). Le point d’intersection représente l’initié. Le triangle supérieur figure son enseignement, ouvert sur le monde, touchant de plus en plus d’adeptes. Si l’on considère un mouvement descendant, le triangle supérieur est le message divin venant du ciel. Le point de concours est la saisie par l’élu, le triangle du bas symbolisant la propagation de la Parole. Par sa forme en X, la croix de Saint-André évoque le nombre dix, cher aux platoniciens, somme des quatre premiers nombres et la Tetraktys (Jean Ferré, Dictionnaire des symboles maçonniques, p.103, éd. du Rocher, 1997).

L’orientation selon les points cardinaux illustre le déploiement d’un état d’être à partir de son centre. L’unité d’un état d’être, définie par le centre, se manifeste sous l’apparence de couples d’opposés symbolisés par la croix tréflée ou trilobée. Ces lobes sont étroitement associés car l’Unité renferme en elle-même toutes les oppositions apparentes qui ne se résolvent qu’en Elle ou dans le retour au centre. Un sens analogue se retrouve dans la croix pattée aux branches évasées à la base. Les deux pointes distinctes de l’extrémité de chaque branche convergent vers l’Unité au fur et à mesure que l’on approche du centre.

La croix aux branches égales s’inscrit aussi dans le cercle. Elle prend cette apparence chez certains peuples d’Amérique centrale et celtiques. La croix constitue alors un symbole du centre se déployant jusqu’à la périphérie et représente le Monde dans son Unité (centre) et sa manifestation (roue cosmique). Cette roue est surtout répandue sous la forme de 6 ou 8 rayons, notamment dans les traditions celtique et hindoue

De cette représentation découle directement celle du chrisme, inscrit ou non dans un cercle. Sous sa forme simple, les premiers chrétiens ont vu en lui les deux initiales grecques I et X de “Iêsous Christos”. Quant à sa forme constantinienne, elle résulte de l’union des deux premières lettres grecques X et P de «Christos». La boucle qui transforme l’I du Chrisme simple en P du Chrisme constantinien rappelle la boucle supérieure de la croix ansée et fait écho au trou de l’aiguille, à la voie directe ou verticale d’accès aux Cieux.

La croix de Jérusalem rappelle qu’aux quatre coins du Monde, symbolisés chacun par une croix en miniature, tout dérive de l’Unité et tout y retourne. Tel est le message donné par la représentation où les quatre Évangélistes ou Évangiles occupent la place des quatre croix. Lorsque les quatre petites croix occupent les extrémités des branches au lieu des quatre coins, la croix est dite recroisetée. Elle suggère que même éloignés du centre, nous pouvons toujours le retrouver à tout moment. Quand les quatre croix ne sont plus séparées, mais reliées par un cercle centré à l’intersection des branches, nous retrouvons un sens similaire avec la croix dite celtique.

La croix potencée est formée de quatre croix Tau orientées selon les points cardinaux. L’extrémité de chacune des branches marque l’achèvement de l’expansion de l’état considéré à partir du centre. Elle symbolise dans la Tradition polaire l’axe du monde et sa giration autour de l’étoile polaire. Inversement, la réalisation de la plénitude des possibilités liées à un état spécifique préfigure le retour vers l’état centré. La croix potencée est, en conséquence, un symbole d’expansion et de contraction, d’expiration et d’inspiration à l’image de la vie, de pulsation à l’image du cœur.
Le décalage à gauche ou à droite des extrémités des branches de la croix potencée conduit aux swastikas dextrogyres et sénestrogyres. Cette opération ajoute un mouvement de rotation au mouvement pulsatif, engendrant une spirale.
«Dans l’antiquité, nous trouvons ce signe, en particulier, chez les Celtes et dans la Grèce préhellénique, et, en Occident encore, il fut anciennement un des emblèmes du Christ, et il demeura même en usage comme tel jusque vers la fin du Moyen âge. Comme le point au centre du cercle et comme la roue, ce signe remonte incontestablement aux époques préhistoriques ; et, pour notre part, nous y voyons encore, sans aucune hésitation, un des vestiges de la Tradition primordiale» (René Guénon, L’Idée du Centre dans les Traditions antiques  de la Revue Regnabit de mai 1936)
Pour comprendre le glissement symbolique de cette croix ; on consultera le chapitre II du livre d’Alveilla De la migration des symboles, De la croix gammée au tétrascèle, à partir de la p.41.

La croix templière. On appelle Croix Templière la Croix que les Chevaliers de l’Ordre du Temple portaient sur leurs manteaux, leurs habits et leurs bannières. Le plus souvent on qualifie de Templière une Croix pattée et alésée de gueule, c’est-à-dire une croix au bras qui vont en s’élargissant pour finir de manière plate ou arrondie (pattée), qui ne touche pas les bords de l’écu (alésée) et de couleur rouge (gueule). Mais en fait les Templiers ont utilisé au cours de leur histoire différentes formes de croix, en particulier sur leurs sceaux, documents et bâtiments : on retrouve ainsi des Croix Templières sous forme de croix grecques, fleuronnées, fichées, potencées etc. Il semble cependant que les Templiers n’en aient guère utilisé que deux sur leurs vêtements : la croix pattée et la croix grecque, c’est-à-dire une simple croix droite aux branches égales (comme le drapeau suisse ou celui de la Croix-Rouge, par exemple). 

Dans l’article Signification et origine de la Croix Templière il est précisé : « La Croix de Malte apparaît bien sûr aussi en Franc-maçonnerie. Tout d’abord chez les Knights of Malta, grade qui précède celui de Knight Templar dans le Rite d’York. Mais on la retrouve également au Rite Écossais Ancien Accepté. Elle est curieusement décrite comme une Croix Teutonique par les anciens tuileurs, mais il s’agit souvent d’une Croix de Malte. Au 27e degré (Commandeur du Temple), la Croix dite Teutonique est généralement une croix pattée noire, ou une croix potencée noire chargée d’une croix dorée plus petite, avec un écusson portant l’Aigle Impérial, et qui était la croix des Grands Maîtres Teutoniques. Dans les deux cas, pour ce grade, il s’agit bien d’une Croix Teutonique.
Mais sur les cordons et sautoirs du 30e grade (Chevalier Kadosh), degré d’inspiration templière, c’est bien une Croix de Malte rouge qui est représentée, malgré la description des tuileurs. Au 31e degré, c’est le plus souvent une Croix Pattée à bras épais, et au 32edegré, on trouve des Croix Pattées à bras épais, des Croix de Malte et des Croix potencées.
» 

Je ruisselle du supplice de ne pas être ce que je voudrais être ; de n’être que croix. Je crois en croissant (de lune), je croise les mondes, croisée pour délivrer tous les tombeaux d’illusions, à la croisée des chemins et de fenêtres où je croise l’autre dans le regard de l’aigle de St Jean de cette croix-là. Il faut que je te croie avant même de laisser surgir la foi et je deviens moi non plus.

    Henri Caillavet : Le Franc-maçon, l’humaniste, le législateur visionnaire

    Henri Caillavet (1914-2013) est une figure majeure de la franc-maçonnerie française, un homme dont la vie et l’œuvre incarnent l’idéal maçonnique d’un engagement humaniste au service du progrès. Avocat de formation, homme politique infatigable, et membre éminent du Grand Orient de France (GODF), Caillavet a marqué le XXe siècle par ses combats audacieux pour les libertés individuelles, de l’avortement à l’euthanasie en passant par le don d’organes et la protection des données personnelles.

    Henri Caillavet

    Son parcours, jalonné de luttes contre l’injustice et l’oppression, reflète une quête constante de vérité et de justice, guidée par les principes de la maçonnerie : liberté de conscience, rationalisme, et fraternité. Cet article retrace, dans une fresque détaillée, la vie d’un homme qui, tel un bâtisseur maçonnique, a poli la pierre brute de son époque pour ériger un édifice de droits et de dignité, tout en explorant les nuances de son héritage, ses passions personnelles, et les controverses qui ont entouré son action.

    Henri Caillavet naît le 13 février 1914 à Agen, dans le Lot-et-Garonne, au cœur d’une région gasconne où les idées républicaines et laïques prospèrent. Son père, Jean Caillavet, est un prospère négociant en draps, propriétaire de plusieurs magasins, mais surtout un Franc-maçon influent, vénérable d’une loge du GODF dans les années 1920. Sa mère, Marie-Louise Caubet, d’origine provençale, est une femme d’esprit, rationaliste et engagée dans les combats féministes avant l’heure. Le foyer Caillavet est un carrefour intellectuel, où défilent des personnalités comme Jean Zay, ministre du Front populaire et maçon, Georges Clemenceau, ou Joseph Caillaux, sénateur radical-socialiste. Ces rencontres façonnent le jeune Henri, qui grandit dans un environnement où la libre-pensée et l’engagement public sont des valeurs cardinales. Le nom « Caillavet », dérivé du gascon pour « petit caillou » ou « gravier », semble prédestiner cet homme à devenir une force discrète mais tenace, capable de bousculer les conventions.

    Photographie peinte du Lycée Bernard-Palissy

    Après un parcours scolaire brillant à l’école Joseph-Bara et au lycée Bernard-Palissy d’Agen, Henri poursuit ses études à l’Université de Toulouse, où il est profondément marqué par le philosophe Vladimir Jankélévitch. Dans Entretiens avec Paul Marcus (2007), il confie : « Jankélévitch m’a appris à penser par moi-même, à ne jamais accepter une vérité sans l’avoir interrogée. » Il obtient un doctorat en droit, une licence ès lettres en philosophie, et s’installe à Paris en 1938 comme avocat à la Cour d’appel. Mais c’est à Toulouse, en mai 1935, qu’il franchit un seuil décisif :

    à 21 ans, il est initié dans la loge « Vrais Amis Réunis et l’Indépendance Française » du GODF. Cette initiation, sous l’égide de son père, marque le début d’un engagement maçonnique qui guidera toute sa vie.

    Rapidement, il s’impose comme une figure de l’obédience, devenant président de la Fraternelle parlementaire, un cercle réunissant des élus maçons, où il forge des alliances et affine ses idées.

    Dès sa jeunesse, Caillavet montre un tempérament militant. Dans les années 1937-1938, proche des milieux libertaires, il s’engage dans la guerre d’Espagne, acheminant des armes démontées aux Brigades internationales depuis les Pyrénées pour soutenir les républicains contre Franco. Ce geste, risqué et audacieux, révèle un homme prêt à défier l’ordre établi pour défendre ses convictions. Comme le note Hiram.be (2011), cette période forge son identité de « maçon libre », un homme qui refuse les dogmes et agit selon sa conscience, même face à l’adversité.

    L'Assemblée nationale siégeant dans le théâtre du Grand Casino de Vichy, le 10 juillet 1940
    L’Assemblée nationale siégeant dans le théâtre du Grand Casino de Vichy, le 10 juillet 1940

    L’épreuve de la Seconde Guerre mondiale révèle la profondeur de son engagement. Mobilisé en 1939, Caillavet s’oppose dès 1940 au régime de Vichy, dont l’idéologie autoritaire et antisémite heurte ses valeurs maçonniques et républicaines. Il rejoint le réseau de résistance Combat, une décision qui lui vaut une arrestation le 28 octobre 1940. Interné au camp de Noé, en Haute-Garonne (situé à cheval sur le territoire des communes de Noé, Le Fauga et de Mauzac, au sud de Toulouse), il est relâché faute de preuves, mais sa condition de maçon lui interdit de passer l’agrégation de droit, une sanction qui le prive d’une carrière académique. Selon Sud Ouest (2024), cette période cristallise son rôle dans le « Sud-Ouest radical-socialiste », une région où la franc-maçonnerie et la résistance vont de pair. Malgré les persécutions, Caillavet reste fidèle à ses idéaux, organisant des actions clandestines et protégeant des camarades menacés par la Gestapo.

    Pierre Mendès France

    La Libération marque le début d’une carrière politique exceptionnelle, qui s’étend sur près de quatre décennies. Élu député du Lot-et-Garonne en 1946 sous l’étiquette du Parti radical-socialiste, il devient une figure de la IVe République, occupant plusieurs postes ministériels : secrétaire d’État à la France d’Outre-mer en 1953, aux Affaires économiques et à la Marine en 1954 sous Pierre Mendès France, puis à l’Intérieur en 1955. En 1958, son opposition farouche à Charles de Gaulle et à la Ve République, qu’il juge trop autoritaire, lui coûte son siège. Exilé politiquement, il se replie à Bourisp, un village des Hautes-Pyrénées, où il est maire de 1959 à 1983, transformant cette commune rurale en un laboratoire de gestion locale. Mais son retour au Sénat en 1967, qu’il occupe jusqu’en 1983, puis son élection comme député européen en 1979 sur la liste de Simone Veil, consacrent son influence nationale et internationale.

    Surnommé le « recordman de la législation » par La Dépêche (2008), Caillavet dépose plus de 100 propositions de loi, souvent en avance sur son temps. Sa méthode, décrite par Cairn.info (2021), est emblématique de son approche maçonnique : observer une injustice dans la société, en débattre en loge pour en extraire une idée universelle, puis la traduire en texte législatif. Ses combats, bien que parfois rejetés à leur époque, redéfinissent les droits humains en France. En 1947, bouleversé par la mort d’une jeune femme lors d’un avortement clandestin, il propose la légalisation de l’avortement, défiant les tabous et s’attirant des insultes (« avorteur »). Bien que rejetée, cette initiative préfigure la loi Veil de 1975. En 1976, la loi Caillavet sur le don d’organes instaure le consentement présumé, permettant le prélèvement sauf opposition explicite. Malgré les critiques acerbes – France-Soir le traite de « dépeceur de cimetières » – il défend une vision humaniste :

    « Donner ses organes, c’est prolonger la vie au-delà de la mort. »

    Son engagement pour l’euthanasie est tout aussi pionnier. Dès 1978, il dépose une proposition de loi intitulée « relative au droit de vivre sa mort », visant à légaliser l’euthanasie dans des cas de souffrance insupportable. Rejetée par un Sénat conservateur, cette idée trouve un écho dans la création de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) en 1980, dont il est cofondateur et président. Dans Un Esprit libre (2007), il raconte avoir été inspiré par des voyages en Californie, où des directives anticipées permettaient aux patients de choisir leur fin de vie. En 2007, à 93 ans, il témoigne au procès de Périgueux, révélant avoir aidé son père à mourir par compassion, un acte qui illustre sa conviction que la dignité prime sur les dogmes. Ses idées, reprises dans la loi Leonetti (2005) et les débats actuels sur l’« aide à mourir » (2024), font de lui un précurseur de la bioéthique.

    Caillavet ne s’arrête pas là. Il milite pour le divorce par consentement mutuel, l’insémination artificielle, les droits des homosexuels et des transsexuels, et la création de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés) en 1978, une institution pionnière pour protéger les données personnelles face à l’essor de l’informatique. En 1971-1972, il préside une mission sénatoriale sur l’ORTF, dénonçant la publicité clandestine et les ingérences gouvernementales, un combat pour la liberté de la presse qui résonne avec les idéaux maçonniques de transparence et de vérité. Selon France 3 (2013), ces propositions, souvent élaborées dans la Fraternelle parlementaire qu’il fonde en 1947 avec Paul Ramadier, traduisent une vision laïque et progressiste, directement issue des travaux en loge.

    Pour Caillavet, la Franc-maçonnerie est une boussole, pas un tremplin politique. Initié en 1935, il devient une figure centrale du GODF, où il voit un espace de réflexion éthique, loin des réseaux d’influence.

    Dans Libres paroles maçonniques (2008), il écrit :

    « La franc-maçonnerie est un lieu où l’on doute, où l’on s’interroge, où l’on rejette les dogmes pour embrasser la raison, tout en cultivant l’utopie d’un monde meilleur. »

    Spinoza

    Son rationalisme, teinté d’un athéisme spinoziste, ne l’empêche pas d’être curieux des spiritualités, explorant des philosophies comme le bouddhisme ou l’existentialisme. Il incarne une maçonnerie libérale, indépendante des structures partisanes, où l’individu agit seul pour transformer la société. Même lorsqu’il est minoritaire en loge – par exemple sur le mariage homosexuel, qu’il défend dès les années 1970 – il persiste, fidèle à sa devise : « Observer, réfléchir, agir. »

    Sa vie personnelle, riche et mouvementée, reflète cette liberté d’esprit. Marié à Françoise Rousseau, décédée en 2011, il est père de quatre fils : Jean-Pierre, Guy, François, et Hugues. Le scandale financier de l’Association pour la Recherche sur le Cancer (ARC) en 1991, impliquant son fils François, ternit brièvement l’image familiale, mais Caillavet reste discret sur ce drame. Passionné d’alpinisme, il gravit les sommets pyrénéens jusqu’à un âge avancé, trouvant dans la montagne une métaphore de la quête maçonnique : surmonter les obstacles pour atteindre la lumière. À 98 ans, il publie un roman, Manon ou les amours inachevées (2012), révélant une sensibilité littéraire inattendue, où l’amour et la liberté s’entrelacent dans une prose poétique. Ses autres ouvrages, comme A cœur ouvert (1998), Testament républicain (2005), ou La Greffe du cœur (2007), témoignent de son érudition et de son attachement à la raison.

    L’héritage de Caillavet est à la fois célébré et controversé. Pour ses partisans, il est un géant de la bioéthique et des droits humains. L’ADMD, dans un hommage en 2013, écrit :

    « Henri Caillavet a porté haut nos revendications, donnant une voix à ceux qui souffrent. »

    La loi Caillavet sur le don d’organes, toujours en vigueur, sauve des milliers de vies chaque année, tandis que la CNIL reste un rempart contre les dérives numériques. Ses idées sur l’euthanasie, jadis marginales, sont aujourd’hui au cœur des débats, avec un projet de loi sur l’« aide à mourir » en 2024. Comme le souligne La Vie (2025), son amitié avec le philosophe catholique Jacques Ricot, malgré leurs divergences sur l’euthanasie, montre sa capacité à dialoguer au-delà des clivages. Pour ses détracteurs, notamment dans les milieux conservateurs et catholiques, Caillavet incarne une « culture de mort ». Contre-Info (2011) critique sa vision :

    « Faire de la vie comme de la mort un libre choix traduit une idéologie maçonnique qui dissout les valeurs chrétiennes. »

    Ces accusations, relayées par des figures sulfureuses comme Serge Abad-Gallardo membre du gang des repentis de la Franc-maçonnerie (La Franc-maçonnerie démasquée, 2020), reprochent à Caillavet de promouvoir une éthique utilitariste, où l’individu prime sur le sacré. Pourtant, ces critiques n’effacent pas l’impact de son œuvre : des lois rejetées dans les années 1950 sont aujourd’hui des piliers de la société française, preuve de sa prescience.

    Sa mort, le 27 février 2013 à Bourisp, à l’âge de 99 ans, est à l’image de sa vie : sobre, digne, sans acharnement thérapeutique.

    Fidèle à ses convictions, il choisit l’incinération, comme son père et son grand-père, et refuse un caveau familial ou une plaque commémorative à Agen, déclarant avec un sourire : « Je m’en fous ! » Selon France 3 (2013), sa disparition, éclipsée par celle de Stéphane Hessel, passe inaperçue dans les médias, mais le GODF et l’ADMD lui rendent un vibrant hommage, saluant un « bâtisseur d’humanité ».

    L’influence de Caillavet s’étend au-delà de ses lois. En fondant la Fraternelle parlementaire, il crée un espace où les maçons élus débattent de questions sociétales, influençant des réformes comme la laïcité ou les droits des femmes. Son rôle dans la création de la CNIL anticipe les enjeux du XXIe siècle, où la protection des données devient cruciale. Même ses échecs, comme la proposition sur l’euthanasie de 1978, plantent des graines pour l’avenir : en 2024, le GODF salue le projet d’« aide à mourir » comme une « avancée humaniste », écho direct de son combat. Sud Ouest (2024) résume son legs :

    « Caillavet était un visionnaire, un homme qui voyait les injustices avant les autres et osait les affronter, armé de sa raison et de sa fraternité maçonnique. »

    Caillavet n’était pas un maçon de salon, ni un politicien carriériste. Comme le note Cairn.info (2021), il était un « homme aux idées de demain », un bâtisseur qui observait les failles de la société, les discutait en loge, et luttait pour les réparer. Sa vie incarne une maxime maçonnique : « Polir la pierre brute pour édifier un monde meilleur. » Jusqu’à son dernier souffle, il a porté haut les valeurs du GODF – liberté, égalité, fraternité – tout en restant un esprit indépendant, un « gravier » gascon qui a bouleversé les certitudes de son temps. Son héritage, gravé dans les lois et les consciences, continue d’éclairer la France, rappelant qu’un maçon, lorsqu’il agit avec courage, peut changer le cours de l’histoire.

    Henri Caillavet reste une inspiration pour les Francs-maçons et les humanistes. Ses combats, souvent menés contre vents et marées, montrent que la quête de vérité, au cœur de la maçonnerie, peut transformer la société. Comme il l’écrivait dans Testament républicain : « La liberté de l’individu est le socle de toute justice ; sans elle, il n’y a ni dignité ni progrès. » À une époque où les débats sur la fin de vie, les droits numériques, et les libertés individuelles restent brûlants, Caillavet nous invite à reprendre le maillet et le ciseau, pour continuer à bâtir un monde plus juste, plus humain, plus libre.

    24/05/25 – Conférence à Saint-André-de-Cubzac : « La Franc-maçonnerie de nos jours, un engagement humaniste, spirituel »

    La Gironde, héritière d’une longue tradition maçonnique depuis le début du XVIIIème siècle a accueilli d’illustres Francs-maçons tels Martinez de Pasqually, Louis Claude de Saint-Martin (le Philosophe inconnu), Cagliostro, La Fayette, Victor Louis, Émile et Isaac Pereire, Gustave Eiffel, lesquels ont contribué à la richesse culturelle et architecturale de la capitale girondine.

    C’est également à Bordeaux qu’ont vécu le philosophe humaniste Michel de Montaigne et le penseur des Lumières Charles de Montesquieu.

    Dans la lignée de cet héritage philosophique, le samedi 24 mai prochain à partir de 15h à Saint-André-de-Cubzac (33), les maçons de la Loge Saint-Jean-d’Aquitaine organisent une conférence/débat sur le thème « La Franc-maçonnerie de nos jours, un engagement humaniste, spirituel« . Cette rencontre sera l’occasion pour les participants de découvrir la démarche maçonnique et le Rite Écossais Rectifié. Une opportunité également pour lever le voile sur cette société discrète (et non secrète) qu’est la Franc-maçonnerie. Ce temps de discussion sera suivi d’un pot de l’amitié.

    Pour plus d’informations : Association CREOS Aquitaine – sja.conference33@gmail.com – 07 66 27 41 42

    Adresse conférence : « Salle DANTAGNAN » – 41 rue Dantagnan – 33240 St-Andrés-de-Cubzac

    La Franc-maçonnerie confrontée aux grandes questions philosophiques contemporaines

    Si notre démarche initiatique a un sens, c’est parce qu’elle peut nous permettre d’avoir des réponses philosophiques aux grandes problématiques qui se posent aux êtres vivants répartis sur notre planète. L’originalité de la démarche maçonnique provient d’un fonctionnement ouvert qui permet aux loges de se nourrir des réflexions des meilleurs d’entre nous. C’est pour cela que l’évolution des mœurs et des connaissances n’est pas un problème pour les Francs-maçons.

    La tradition nous inspire mais ne nous bride pas.

    Or aujourd’hui de grandes questions philosophiques se posent aux philosophes du monde entier.

    Il est clair que les dirigeants qui gouvernent le monde aujourd’hui nous conduisent vers un enfer qui signera la perte du monde vivant. Seule la réflexion philosophique pourra éclairer les consciences !

    Ne serait-il pas de notre responsabilité de participer à cette exigence ?

    On peut dégager sept problématiques fondamentales et pour chacune, les principaux philosophes qui apportent une contribution :

    L’avenir de l’humanité dans l’Anthropocène ? Bruno Latour, Baptiste Morizot, Donna Haraway, Dipesh Chakrabarty posent la question de notre vécu dans un monde abîmé par l’homme lui-même ?

    La place de l’être humain à l’ère du post-humanisme ? Pour Rosi Braidotti, Catherine Malabou, Yuk Hui, sommes-nous en train de dépasser les frontières de notre propre humanité ?

    Un monde commun est-il encore possible après les affres de la mondialisation ? Pour Achille Mbembe, Judith Butler, Kwame Anthony Appiah, ne s’agit-il pas reconstruire du lien dans un monde fragmenté ?

    Vers quelles vérités se tourner ? Pour Markus Gabriel, Bernard Stiegler, Byung-Chul Han, comment penser dans un monde saturé de désinformation ?

    A l’échelle mondiale, la Justice est-elle encore un repaire ? Martha Nussbaum, Amartya Sen, Étienne Balibar posent la question d’une éthique pour un monde inégal et interdépendant ?

    Comment l’être vivant peut-il résister aux nouvelles formes de domination ? Shoshana Zuboff, Hartmut Rosa, Giorgio Agamben s’interrogent sur les libertés possibles dans un monde hyperconnecté et surveillé.

    La conscience du monde est elle accessible ? pour Pierre Hadot, Alexandre Jollien, Fabrice Midal y a-t-il encore une place pour la sagesse, la lenteur, la présence intérieure ?

    Pour les Francs-maçons, il me semble qu’une des répercussions les plus importantes de ces travaux qui nous concernent au premier plan, a trait à la critique de l’Humanisme !

    L’Humanisme a révélé ses limites ! Il a joué son rôle aux XVIIe et XVIIIe siècles et s’est révélé incapable au XIXe et au XXe siècle de prendre en compte son incapacité à comprendre le monde. Aujourd’hui nous sommes dans l’ère du post-humanisme avec plusieurs pistes dont le transhumanisme.

    Pour permettre aux Francs-maçons de travailler et d’exprimer leurs réflexions à ces questions fondamentales, une mise en commun, un partage me semblerait indispensable !

    Pour aller plus loin

    Le Dessin de Jissey : « On finit tous dans l’urne, mes Frères »

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    Chers Frères et Sœurs, accrochez vos tabliers et ajustez vos équerres, car comme le clame notre dessinateur préféré, Jissey, dans son dernier coup de crayon : « On finira tous dans l’urne, c’est plus sûr qu’un rituel de clôture sous la pluie ! » Que vous soyez Apprenti fraîchement initié, Maître bedonnant ou Grand Maître avec plus de médailles qu’un général soviétique, la Faucheuse ne se fait pas attendre. Alors, en ce lundi 19 mai 2025, prenons une grande inspiration (tant qu’on peut encore) et rigolons un peu de notre destin commun, avec une touche d’humour bien cynique et un zeste de philosophie maçonnique, à la manière de Jissey.

    Le Triomphe Romain : Même César Prenait des Rappels !

    Remontons à la Rome antique, où les généraux victorieux paradaient comme des rockstars sur leurs chars dorés, acclamés par une foule en délire. Mais attention, pas question de se la jouer trop diva ! Un esclave, planqué derrière le héros du jour, lui glissait à l’oreille : « Respice post te, hominem te esse memento » – en français dans le texte :

    « Mate un peu derrière toi, mec, t’es pas Jupiter, juste un gars qui va clamser un jour ! »

    Pas exactement memento mori, mais l’idée est là : même au top, t’es qu’un mortel, mon pote. Jissey, lui, aurait croqué ce général avec un esclave tenant un sablier géant et un Post-it marqué « RDV avec la Faucheuse : ASAP ».

    Cynique, dites-vous ? Imaginez le pauvre général, tout bronzé après sa campagne en Gaule, qui se pavane en toge VIP, et là, un type lui souffle :

    « Profite, champion, parce que la Faucheuse ne checke pas ton CV maçonnique avant de t’ajouter à son tableau de chasse. »

    Que tu sois Vénérable, Grand Secrétaire ou simple Frère balayeur de temple, la mort ne fait pas de tri sélectif. Comme dirait Jissey : « L’urne, c’est l’égaliseur ultime – pas de passe-droit, même pour ceux qui connaissent le mot de semestre par cœur ! »

    Le 3e Degré : Pas une Répét’ pour l’Orient Éternel, Désolé !

    Parlons maintenant d’une légende urbaine qui circule plus vite en loge qu’un plateau de petits fours après trois heures de Tenue : le 3e degré, celui de Maître Maçon, serait une sorte de répétition générale pour le grand voyage vers la Loge d’en Haut, l’Orient Éternel, là où les tabliers sont toujours propres et les agapes éternelles. Que nenni, mes Frères ! Rangez vos billets pour l’au-delà, ce n’est pas The Voice version céleste.

    Non, le 3e degré, avec son rituel où l’on joue les macchabées dans un décor digne d’un film de Tim Burton, n’est pas là pour vous faire répéter votre discours d’adieu. C’est une piqûre de rappel, un peu comme un coach de vie avec une faux :

    « Plus tu acceptes de mourir à chaque instant, plus tu fais briller ton étincelle de vie. »

    Oubliez la crise de la quarantaine ou les régimes detox, la vraie cure de jouvence, c’est de se dire : « Aujourd’hui, je lâche mes vieilles rancunes, mes vieilles chaussettes, et mon ego gros comme un obélisque. » Résultat ? Tu glorifies l’essence de la vie, rien que ça !

    Jissey, lui, aurait dessiné un Maître Maçon en train de « mourir symboliquement » dans le rituel, avec une bulle : « Pfiou, mourir à soi-même, c’est plus dur que d’écouter une planche sur l’alchimie à 22h ! » Et à côté, la Faucheuse, en tablier noir et blanc, qui soupire : « Relaxe, c’est juste une métaphore, pas besoin de réserver l’urne tout de suite ! » Cynique ? Oh que oui.

    Parce que, soyons honnêtes, on passe tous notre temps à polir notre pierre brute, mais au final, la seule chose bien lisse, c’est le marbre de la tombe !

    Memento Mori : La Vanité, C’est Surfait

    Revenons à ce bon vieux memento mori, cette maxime qui nous colle aux basques depuis les Romains et qui a trouvé un nid douillet dans nos loges. Dans le cabinet de réflexion, quand tu fixes un crâne en te demandant si c’est du vrai ou du plastique, et que tu lis « Memento Mori » gravé dans le mur, c’est pas pour te filer le bourdon. C’est pour te secouer :

    « Hé, Frère, t’es pas éternel, alors arrête de râler parce que le café de l’agape est tiède et mets-toi au boulot pour laisser un monde un poil moins bancal ! »

    Jissey, avec son coup de crayon acéré, nous croquerait tous en toge romaine, paradant fièrement avec nos grades, nos cordons, et nos titres ronflants – Grand Inspecteur, Chevalier du Zodiaque, ou Roi du PowerPoint en tenue. Mais derrière, un squelette hilare, tenant un panneau : « Memento Mori, les gars ! Vos médailles, ça fond pas dans l’urne ! » Le message ? La vanité, c’est comme un tablier mal repassé : ça se voit de loin, et ça sert à rien. Alors, vivons, aimons, et rions – parce que, comme dirait Jissey,

    « la mort, c’est juste le Grand Architecte qui te convoque pour une tenue sans ordre du jour ! »

    Riez, Frères, Car l’Urne Attend !

    Alors, mes très chers Frères et Sœurs, que retenir de ce memento mori à la Jissey ? Que la mort, c’est la seule deadline qu’on ne peut pas repousser, même avec une dérogation du Grand Maître. Que le 3e degré, c’est pas une bande-annonce pour l’Orient Éternel, mais un coup de pied au derrière pour vivre mieux, ici et maintenant. Et que la Franc-maçonnerie, avec son humour subtil et ses symboles qui piquent, nous rappelle qu’on est tous dans le même bateau – ou plutôt, dans la même urne.

    Alors, à la santé de Jissey, qui nous dessine la vie avec un rictus cynique et un cœur gros comme un temple, levons nos verres (tant qu’on peut encore) ! Et la prochaine fois que vous polissez votre pierre brute, pensez à ce vieux général romain, à ce crâne dans le cabinet, et à la Faucheuse qui, quelque part, aiguise sa faux en fredonnant :

    « Memento Mori, les maçons, et passez-moi les petits fours ! »

    La Franc-maçonnerie est-elle à l’origine du Festival de Cannes ?

    La « Palme d'or » du Festival de Cannes

    Dans l’effervescence culturelle de la France des années 1930, alors que l’ombre du fascisme s’étendait sur l’Europe, un projet audacieux naquit dans l’esprit d’un homme d’État visionnaire, Jean Zay, ministre du Front populaire et franc-maçon convaincu. Le Festival de Cannes, aujourd’hui symbole mondial du cinéma, fut conçu comme un rempart de liberté et de créativité face à la propagande totalitaire. Si la franc-maçonnerie ne fut pas l’unique architecte de cet événement, son empreinte idéologique, portée par Zay et ses idéaux de fraternité, d’égalité et de progrès, joua un rôle déterminant dans sa genèse.

    Cet article retrace, sous un angle historique et narratif, l’histoire fascinante de la création du festival, tout en explorant la légende tenace qui lie la Palme d’or à la branche d’acacia maçonnique, symbole de pureté et d’immortalité.

    Les Années 1930 : Une France en quête de lumière

    Jean Zay

    En 1936, la France vit un moment de bouleversement politique et social. Le Front populaire, coalition de gauche menée par Léon Blum, accède au pouvoir, porté par un élan de réformes progressistes. Jean Zay, jeune ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, incarne cette aspiration à une société plus juste et cultivée. À seulement 32 ans, cet avocat orléanais, initié en 1926 dans la loge Étienne Dolet du Grand Orient de France (GODF), est déjà une figure montante. Son père, Léon Zay, maçon lui-même, lui a transmis les valeurs républicaines et laïques qui guideront son action. Membre également de la loge L’Éducation Civique de la Grande Loge de France (GLDF), Jean Zay puise dans la franc-maçonnerie une vision humaniste, où l’éducation et la culture sont des leviers d’émancipation.

    C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’un festival de cinéma international. À l’époque, la Mostra de Venise, créée en 1932 sous l’égide de l’Italie fasciste de Mussolini, domine la scène cinématographique européenne. Mais la Mostra est gangrénée par la propagande. En 1938, des films nazis et fascistes, soutenus par des figures comme Joseph Goebbels, ministre de la Propagande du Reich, y triomphent, au détriment de la liberté artistique. Les États-Unis et le Royaume-Uni, indignés par cette politisation, boycottent l’événement et cherchent une alternative. C’est alors que Émile Vuillermoz, critique musical, et René Jeanne, historien du cinéma, proposent à Zay un projet ambitieux : faire de la France le berceau d’un « festival du monde libre ».

    Cannes : Un rêve forgé dans l’idéal maçonnique

    Jean Zay, passionné par le cinéma et convaincu de son pouvoir éducatif, embrasse l’idée avec ferveur. Pour lui, le cinéma n’est pas seulement un art, mais un outil de résistance intellectuelle face aux totalitarismes. Ses idéaux maçonniques – liberté, égalité, fraternité – résonnent dans ce projet. La Franc-maçonnerie, avec son attachement à la culture comme vecteur de progrès, inspire sa volonté de créer un espace où les artistes du monde entier pourraient s’exprimer sans censure. Comme il l’écrit dans ses mémoires (Souvenirs et solitude, 1945)

    « la culture est le rempart de l’esprit libre contre la barbarie ».

    Cannes, perle de la Côte d’Azur, est choisie pour accueillir ce festival. Son climat ensoleillé, ses palaces, et son prestige en font un écrin idéal. Mais le choix de Cannes n’est pas anodin : la ville, avec ses armoiries ornées d’une palme, évoque la victoire et la pureté, des valeurs qui font écho aux symboles maçonniques chers à Zay. En 1939, tout est prêt : Louis Lumière, pionnier du cinéma et figure universellement respectée, accepte de présider l’événement, prévu du 1er au 20 septembre. Des délégations américaines et britanniques affluent, et une sélection de films internationaux, célébrant la créativité et la diversité, est annoncée.

    Mais le destin en décide autrement. Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nazie envahit la Pologne, déclenchant la Seconde Guerre mondiale. La France déclare la guerre deux jours plus tard, et le festival est annulé. Le rêve de Zay s’effondre, balayé par la tourmente. Sous l’Occupation, le projet, associé à un ministre juif et républicain, est enterré. Zay lui-même, arrêté par le régime de Vichy, est emprisonné, puis assassiné par la Milice en 1944. Pourtant, son idée survit.

    La Renaissance de Cannes : Un héritage retrouvé

    Après la Libération, la France renaît, et avec elle, le projet de Cannes. En 1946, le Festival de Cannes voit enfin le jour, sous la direction de nouvelles figures comme Philippe Erlanger et Robert Favre Le Bret. Bien que Zay ne soit plus là pour en être témoin, son empreinte perdure. Le festival devient un symbole de liberté artistique, attirant les plus grands cinéastes, de Roberto Rossellini à Akira Kurosawa. Il s’impose rapidement comme une vitrine mondiale du cinéma, fidèle à la vision initiale de Zay : un espace où l’intelligence et la créativité triomphent des idéologies oppressives.

    C’est en 1955 que naît la Palme d’or, récompense suprême du festival. Conçue par la joaillière Lucienne Lazon, elle remplace le Grand Prix du Festival international du film, un diplôme accompagné d’un trophée variable. La palme, posée sur un socle en terre cuite sculpté par Sébastien, tire son inspiration des armoiries de Cannes, elles-mêmes liées à la légende de saint Honorat. Selon la tradition, ce saint, en grimpant sur un palmier, aurait chassé les serpents des îles de Lérins, un symbole de purification repris dans l’héraldique locale. La première Palme d’or est décernée à Marty de Delbert Mann, marquant le début d’une icône cinématographique.

    La Palme d’or et l’Acacia : Une Légende Maçonnique

    Dès les premières éditions, une rumeur circule dans les cercles maçonniques : et si la Palme d’or était plus qu’un simple symbole local ? Pour certains frères et sœurs, sa forme évoque la branche d’acacia, emblème sacré du grade de Maître maçon. Dans la franc-maçonnerie, l’acacia, associé au mythe d’Hiram, architecte du temple de Salomon, symbolise l’immortalité de l’âme et la fidélité. Sa verdure persistante représente la vie qui triomphe de la mort, une idée qui résonne avec la victoire artistique célébrée à Cannes.

    Cette légende trouve un écho dans l’implication de Jean Zay, dont l’appartenance maçonnique est bien connue. Pour les tenants de cette théorie, la palme ne serait pas seulement un hommage à Cannes, mais un clin d’œil discret aux idéaux du GODF, incarnés par Zay. Dans les années 1960, alors que le festival gagne en prestige, des maçons murmurent que la palme est une « acacia déguisée », un symbole caché de l’influence maçonnique sur la culture française.

    Pourtant, l’histoire est plus prosaïque. Les archives du festival, consultées dans Histoire du Festival de Cannes (Éditions du Festival, 1996), confirment que la palme est directement inspirée du blason de Cannes, sans référence à l’acacia. La légende de saint Honorat, ancrée dans la tradition chrétienne, prédomine, et les organisateurs, comme Favre Le Bret, n’ont jamais mentionné de lien maçonnique. La ressemblance entre la palme et l’acacia est une coïncidence, amplifiée par l’imaginaire maçonnique et la présence de Zay à l’origine du projet. Comme le note Roger Dachez dans Les Mythes de la franc-maçonnerie (2016), « les symboles maçonniques suscitent des interprétations, car ils parlent à l’inconscient collectif, même sans intention délibérée ».

    Jean Zay : Un Héros Maçonnique et Républicain

    L’histoire du Festival de Cannes ne peut être dissociée de celle de Jean Zay, dont la vie incarne les idéaux de la franc-maçonnerie. Né en 1904 d’un père juif et d’une mère protestante, Zay grandit à Orléans dans un milieu républicain. Initié à 22 ans, il gravit les échelons du GODF tout en s’engageant en politique. Sous le Front populaire, il révolutionne l’éducation et la culture, posant les bases du CNRS, du Palais de la Découverte, et de l’ENA. Son amour du cinéma le pousse à soutenir des initiatives comme le Centre national du cinéma (CNC), créé en 1946, et bien sûr, le Festival de Cannes.

    Mais son engagement lui vaut des ennemis. Sous Vichy, Zay est calomnié comme juif, maçon, et républicain. Emprisonné, il rédige ses mémoires, un témoignage de résilience. En 1944, il est exécuté par la Milice, à l’âge de 40 ans. Son sacrifice devient un symbole de la Résistance. En 2015, ses cendres entrent au Panthéon, aux côtés de Pierre Brossolette, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, et Germaine Tillion, comme l’annonça François Hollande en 2014. Cet hommage consacre Zay comme un héros de la République, dont l’héritage culturel perdure à Cannes et au-delà.

    Un ouvrage récent, Jeunesse de la République (2024), édité par Pierre Allorant et Olivier Loubes, avec une préface de Pascal Ory, retrace son parcours. Rassemblant ses journaux, discours, et écrits inédits, il révèle un Zay humaniste, dont la vision maçonnique – faire de l’école et de la culture des piliers de la démocratie – continue d’inspirer.

    Un Héritage Vivant

    Quentin Tarantino

    Le Festival de Cannes, né d’un rêve brisé par la guerre, est aujourd’hui une institution mondiale, où des cinéastes comme Quentin Tarantino, Jane Campion, ou Bong Joon-ho ont été couronnés. Chaque année, la Palme d’or, brandie sous les projecteurs du Palais des Festivals, rappelle la vision de Jean Zay : un cinéma libre, universel, et audacieux. Si la légende de l’acacia persiste dans les loges maçonniques, elle ajoute une touche de mystère à cette épopée culturelle, sans en altérer la vérité historique.

    La franc-maçonnerie, à travers Zay, a insufflé au festival un esprit de résistance et d’humanisme. Comme l’écrit Antoine Prost dans Jean Zay, ministre de la République (2003), « Zay a fait de la culture un acte de foi républicaine, un combat pour la liberté ». À Cannes, cet héritage brille encore, dans chaque film projeté, dans chaque palme décernée.

    Références

    • Archives du ministère de la Culture, 1938-1946.
    • Zay, J., Souvenirs et solitude, 1945.
    • Allorant, P., & Loubes, O., Jeunesse de la République, Bouquins, 2024.
    • Prost, A., Jean Zay, ministre de la République, Tallandier, 2003.
    • Dachez, R., Les Mythes de la franc-maçonnerie, Armand Colin, 2016.
    • Chevallier, P., Les Francs-maçons et la République, Fayard, 1972.
    • Histoire du Festival de Cannes, Éditions du Festival, 1996.

    Par notre confrère France Info :

    « Un acte de résistance » contre le fascisme : « Affaires sensibles » retrace un scénario méconnu, celui de la naissance du Festival de Cannes

    Emission Affaires Sensibles de France Info

    « On oublie cette histoire-là, pourtant fondamentale », regrette la fille de Jean Zay, ministre du Front populaire qui fut aussi le père… du Festival de Cannes. « Affaires sensibles » retrace un scénario méconnu : comment un rendez-vous devenu le plus prestigieux du cinéma mondial a été imaginé pour faire concurrence à une Mostra de Venise sous domination fasciste.

    2 septembre 1938 : scandale parmi les nations démocratiques, lorsque la 6e Mostra de Venise couronne deux films de la propagande fasciste. Benito Mussolini, qui gouverne l’Italie depuis quinze ans, a été convaincu par Adolf Hitler, son allié allemand de l’axe Rome-Berlin, de mettre au pas le jury de la seule compétition internationale dédiée au septième art. 

    Ex æquo en tête du palmarès : Luciano Serra, pilote, supervisé par le propre fils du Duce, et Les Dieux du stade, réalisé par Leni Riefenstahl, la cinéaste attitrée de l’Allemagne nazie. 

    Un « festival du monde libre » imaginé dans un wagon-lit

    Comment réagir à ce coup de force contre la culture ? Les grandes choses ayant souvent « des commencements modestes », selon les mots de Philippe Erlanger, représentant la France au jury de la Mostra, c’est dans un wagon-lit que va germer le projet d’« un autre festival, un festival du monde libre ». L’idée lui en est venue dans le train qui ramène le haut fonctionnaire à Paris le soir même.

    De retour dans la capitale, Philippe Erlanger va trouver un allié décisif au sein du gouvernement du Front populaire : Jean Zay, le jeune ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts. A 34 ans, il s’est imposé comme une figure de la gauche. Et il va immédiatement faire de ce projet un combat personnel. 

    Une figure du Front populaire cinéphile 

    Cinéphile, Jean Zay est surtout convaincu, témoigne sa fille cadette Hélène dans « Affaires sensibles » que « c’est un acte de résistance, culturelle cette fois-ci, contre ce régime totalitaire. Et qu’il faut que ce soit la France, le pays des droits de l’homme, qui soit aux avant-postes pour ça ».

    Mais avec le gouvernement Daladier, qui succède à Léon Blum, la fermeté face aux dictatures n’est pas de mise au sommet de l’Etat… Il faudra attendre qu’Hitler envahisse ce qu’il reste de la Tchécoslovaquie, six mois après les accords de Munich, pour que sa politique de l' »apaisement » ne tienne plus. Après des mois de travail acharné et de tractations, l’inauguration du festival de Cannes est fixée au 1er septembre 1939. Et c’est ce même jour qu’Hitler envahit la Pologne, une semaine après la signature du pacte germano-soviétique…

    Annulé pour cause de Seconde Guerre mondiale 

    Arrêté, jugé pour désertion, jeté en prison, Jean Zay (qui a aussitôt démissionné pour s’engager dans l’armée française) sera assassiné par la Milice en juin 1944. Depuis 2015, il repose au Panthéon. Ministre du Front populaire, juif et franc-maçon, il est « l’une des premières victimes politiques du régime de Vichy », rappelle sa fille Hélène devant le mémorial qui lui est consacré à Orléans. C’est une table de banquet républicain dressée dans la ville d’origine de son père, où elle réside toujours, qui mentionne le Festival de Cannes parmi ses contributions.

    « La création de ce festival, pour Hélène Mouchard-Zay, c’est un acte de résistance. Avant l’heure, parce qu’il est bien de résister avant que la catastrophe ne soit là. Et c’est ce que mon père a fait. On oublie cette histoire-là, qui est pourtant fondamentale, parce que je trouve que c’est une idée qui reste très présente, que le cinéma peut être un instrument de combat dans le combat démocratique, dans le combat pour la liberté. C’est une grande idée, pour laquelle il a combattu, et qui a duré. »

    Jean Zay n’aura pas connu le festival, mais le projet lui survivra – relancé par le même Philippe Erlanger qui en avait eu l’idée, à la Libération. Et le 20 septembre 1946, un an après la fin de la guerre, la ville inaugure pour de bon son premier festival international du film…

    Extrait de « Naissance du Festival de Cannes : le combat du monde libre », à voir dans « Affaires sensibles(Nouvelle fenêtre) » le 18 mai 2025.

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    Dupond-Moretti et la Franc-maçonnerie : une critique acérée dans une vidéo

    Après Philippe de Villiers mercredi et François Asselineau samedi, c’est au tour d’Éric Dupond-Moretti de se justifier à propos de la franc-maçonnerie. On pourrait croire que le discours du président Macron les a stimulés sur ce thème. Dans une vidéo publiée sur YouTube le 7 mai 2025, Éric Dupond-Moretti, ancien ministre de la Justice, s’exprime sans complaisance sur la Franc-maçonnerie.

    Cette intervention, qui a rapidement attiré l’attention sur les réseaux sociaux, révèle une position critique vis-à-vis de l’Art Royal, mettant en lumière des tensions entre les valeurs républicaines et les pratiques perçues comme opaques de certaines Obédiences maçonniques. Cet article propose de décrypter les propos de l’ex ministre devenu comédien, d’analyser le contexte de cette prise de parole et d’explorer les réactions qu’elle a suscitées.

    Les propos de Dupond-Moretti : une attaque frontale

    Dans cette vidéo de plus d’une heure, Éric Dupond-Moretti, connu pour son franc-parler, ne mâche pas ses mots. Il commence par rappeler son attachement indéfectible à la laïcité, un pilier de la République française, avant d’aborder à la seizième minute le sujet de la Franc-maçonnerie. Selon lui, certaines loges maçonniques, sous couvert de principes philosophiques et humanistes, exerceraient une influence discrète mais problématique sur les sphères du pouvoir, notamment dans la justice et la politique.

    L’ex ministre dénonce ce qu’il appelle des « réseaux d’influence souterrains des Frères La gratouille » qui, selon lui, nuisent à la transparence et à l’égalité devant la loi. Il cite des exemples où des magistrats ou des fonctionnaires, membres de loges maçonniques, auraient favorisé des « frères » dans des décisions judiciaires ou des nominations administratives, au détriment du mérite et de l’impartialité. « Je ne peux pas tolérer que des cercles privés, quels qu’ils soient, viennent interférer dans le fonctionnement de la justice« , assène-t-il, martelant que la République doit rester « aveugle aux appartenances et aux affiliations« .

    Dupond-Moretti va plus loin en critiquant le secret qui entoure les activités maçonniques. Il évoque les serments d’allégeance prêtés par les membres, qu’il juge incompatibles avec les devoirs des fonctionnaires publics, notamment dans le cadre de la justice. « Quand on prête serment à la République, on ne peut pas prêter serment ailleurs« , déclare-t-il, suggérant que cette dualité d’engagement pourrait créer des conflits d’intérêts.

    Contexte : une justice sous tension

    Eric Dupond-Moretti

    Cette sortie intervient dans un contexte où la justice française est sous le feu des critiques. Depuis son arrivée au ministère de la Justice en 2020, Dupond-Moretti a dû faire face à de nombreuses polémiques, notamment sur son propre passé d’avocat et sur des accusations de conflits d’intérêts dans certaines affaires. En 2025, alors que la France prépare des échéances électorales majeures, l’ex ministre semble vouloir réaffirmer son autorité et son engagement pour une justice indépendante.

    La Franc-maçonnerie, présente en France depuis le XVIIIe siècle, a toujours été un sujet sensible. Avec environ 160 000 membres répartis dans diverses obédiences (comme la Grande Loge de France, le Grand Orient de France ou encore la Grande Loge Nationale Française), elle est souvent perçue comme un réseau d’influence, notamment dans les hautes sphères de l’État. Des affaires passées, comme les scandales impliquant des réseaux maçonniques dans les années 1980 et 1990, ont alimenté les soupçons d’une collusion entre certaines loges et des responsables publics. Les propos de Dupond-Moretti s’inscrivent donc dans une longue tradition de méfiance à l’égard de cette organisation.

    Une critique à nuancer

    Théâtre Marigny depuis le 1er février 2025.

    Si les accusations de l’ex ministre devenu comédien sont graves, elles méritent d’être nuancées. D’une part, la Franc-maçonnerie n’est pas un monolithe : les différentes obédiences ont des orientations idéologiques variées, allant de la défense de la laïcité à des positions plus conservatrices. De nombreux francs-maçons revendiquent un engagement sincère pour des valeurs humanistes et républicaines, et rejettent toute idée d’influence indue.

    D’autre part, les preuves concrètes d’une influence systématique de la Franc-maçonnerie sur la justice restent rares. Si des cas isolés de favoritisme ont été documentés par le passé, ils ne permettent pas de généraliser à l’ensemble de l’organisation. Dupond-Moretti lui-même n’apporte pas d’exemples précis dans cette vidéo, ce qui pourrait affaiblir la portée de ses accusations. Certains observateurs y voient une stratégie politique : en s’attaquant à une organisation souvent perçue comme mystérieuse, le ministre pourrait chercher à détourner l’attention de ses propres difficultés et à se poser en défenseur intransigeant de la République lorsqu’il était ministre.

    Réactions et polémiques

    Les réactions à cette vidéo n’ont pas tardé. Du côté des obédiences maçonniques, le ton est à l’indignation. Le Grand Orient de France a publié un communiqué dénonçant une « attaque injustifiée » et rappelant que la Franc-maçonnerie promeut des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, en parfaite adéquation avec les idéaux républicains. « Nous ne sommes pas un contre-pouvoir, mais un espace de réflexion« , affirme le communiqué, qui appelle Dupond-Moretti à « faire preuve de plus de discernement« .

    Sur les réseaux sociaux, les avis sont partagés. Certains internautes saluent le courage du ministre pour avoir abordé un sujet tabou, estimant qu’il est temps de faire la lumière sur les réseaux d’influence dans les institutions. D’autres, en revanche, accusent Dupond-Moretti de populisme, voire de relayer des théories complotistes sur la Franc-maçonnerie. Des voix critiques soulignent également l’ironie de la situation : Dupond-Moretti, lui-même accusé par le passé de conflits d’intérêts, serait mal placé pour donner des leçons de transparence.

    Vers une réforme ou une polémique stérile ?

    Dans d’autres supports, Dupond-Moretti annonçait son intention lorsqu’il était aux affaires de renforcer les mécanismes de contrôle pour garantir l’indépendance des magistrats et des fonctionnaires. Il évoquait notamment la possibilité d’imposer une déclaration obligatoire d’appartenance à des organisations comme la Franc-maçonnerie pour certains postes sensibles, une mesure qui, si elle était mise en œuvre, risquerait de provoquer un tollé.

    En 2025, alors que la France est confrontée à des défis majeurs – crise sociale, défiance envers les institutions, montée des extrêmes –, ces sorties de Dupond-Moretti pourraient n’être qu’une diversion. Si elles ont le mérite de poser la question de la transparence dans les institutions, elles risquent aussi de raviver des clichés sur la Franc-maçonnerie sans apporter de solutions concrètes.

    En conclusion, les déclarations d’Éric Dupond-Moretti dans cette vidéo du 7 mai 2025 témoignent d’une volonté de s’attaquer aux zones d’ombre de la République, mais elles soulèvent autant de questions qu’elles n’apportent de réponses. Entre défense de la laïcité et risque de stigmatisation, le débat sur la Franc-maçonnerie reste plus que jamais d’actualité.

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    28/05/25 à 19h30 à la GLDF : Conférence théâtralisée : « Intelligence Artificielle, éthique et morale » avec Laurence Devillers

    La Grande Loge de France se donne tous les ans un thème de questions à l’étude de ses Loges qui le souhaitent. Le fil directeur de la période se terminant est « l’intelligence artificielle« . Lui a succédé « l’humain, le vivant, la planète« .

    Dominique Losay

    Nous clôturons la séquence des conférences publiques destinées à éclairer la réflexion sur le thème de l’intelligence artificielle avec cette conférence théâtralisée, ouverte à tout public, maçons ou non maçons, tout à fait exceptionnelle intégrant de larges extraits de la pièce « Qui a hacké Garoutzia ? » :

    Clément Ledoux

    Introduction : Dominique Losay, 1er Grand Maître adjoint de la Grande Loge de France
    Modération : Clément Ledoux, Vénérable maître de la Loge « La Justice« 

    PREMIERE PARTIE

    Animation théâtrale :

    Lecture de textes tirés d’extraits de la pièce de théâtre sur l’Intelligence Artificielle : « Qui a hacké Garoutzia ? » et d’autres textes de la compagnie Atropos spécialisée en Art et Sciences.

    Ils seront interprétés par les comédiens de cette Compagnie.

    Metteuse en scène : Lisa Bretzner, Autrice, comédienne

    DEUXIEME PARTIE

    Laurence DEVILLERS

    Débat avec les éminents spécialistes :

    Laurence DEVILLERS, professeure en IA à Sorbonne Université, chercheur au CNRS, présidente de la Fondation Blaise Pascal, co-autrice de « Qui a hacké Garoutzia ? » et autrice du livre « IA, Ange ou Démon ? » Ed. Du Cerf,

    Serge ABITEBOUL, chercheur à Inria et ENS, Paris, membre de l’Académie des Sciences, co-auteur de « Qui a hacké Garoutzia ? »

    Mercredi 28 mai 2025 à 19 h 30

    Hôtel de la GLDF – Grand Temple Pierre Brossolette
    8, rue Louis Puteaux
    75017 PARIS
    (Métro Rome)

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