ven 27 juin 2025 - 21:06

Le serment maçonnique

Dans l’enceinte sacrée d’une loge, où les murmures des siècles résonnent sous la voûte étoilée, j’ai choisi d’aborder un sujet aussi rare qu’inhabituel en franc-maçonnerie : le serment. Ce thème, peu souvent exploré dans nos travaux, demande une approche prudente, compte tenu du temps limité dont nous disposons. Pourtant, je m’autoriserai quelques audaces, une bourrasque printanière en somme, avec l’espoir que des esprits plus éclairés que le mien apporteront leurs lumières pour enrichir cette réflexion.

Si, par inadvertance, je venais à décevoir certains d’entre vous, je vous présente par avance mes excuses les plus sincères. Ce voyage initiatique, à travers l’historique, la définition et la spécificité du serment maçonnique, vise à éclairer son rôle d’outil de liberté, de fidélité à la tradition et d’engagement librement consenti.

I. Comprendre le Serment : Définition et Enracinement Historique

Qu’est-ce qu’un Serment ?

Le Serment (Dionysos Tsokos, 1849) illustre une cérémonie d’initiation : le pope semble être Grigórios Phléssas, le combattant Theódoros Kolokotrónis.

Le mot « serment » tire ses racines du latin sacramentum, signifiant « sacré ». Le sacré, par essence, inspire un respect profond, une vénération, et revêt un caractère inviolable. Un serment est ainsi une affirmation solennelle, un jurement, une promesse prononcée en invoquant une entité ou un objet sacré – qu’il s’agisse d’une divinité, d’un symbole moral ou d’un gage de bonne foi. Prononcé en public, il devient un témoignage de sincérité et de fidélité envers ceux qui le reçoivent, un engagement irrévocable.

Universel à travers les âges et les civilisations, le serment se structure généralement en trois parties distinctes :

  1. L’invocation (invocare, appeler à l’aide), une prière adressée à une divinité ou une puissance garante.
  2. La promesse (promissa, ce que l’on s’engage à faire), cœur de l’engagement.
  3. L’imprécation (imprecatio, souhait de malheur), qui énonce les sanctions encourues en cas de parjure.

Cette triade, vieille comme le droit lui-même, repose sur un principe juridique ancestral : nul engagement n’a de force sans sanction. Dès l’Antiquité, les châtiments imaginés étaient aussi variés que cruels – Charlemagne ordonnait la mutilation de la main, tandis que les rituels maçonniques évoquaient des supplices comme la gorge tranchée ou la langue arrachée, symboles d’une rupture morale et spirituelle.

Un Pilier de Confiance à Travers l’Histoire

2 mains posées sur le Bible pour le serment

Depuis la nuit des temps, les sociétés humaines, comme les individus, ont eu besoin de confiance pour s’organiser, entreprendre et préserver leurs acquis – sociaux, culturels, religieux ou initiatiques. Cette confiance, moteur de notre distinction du monde animal, s’est souvent cristallisée autour du serment. Quelques exemples illustrent cette universalité :

  • Au Moyen Âge, un marché se concluait par une poignée de main sur le champ de foire, avec l’adage « cochon qui s’en dédit ».
  • Dans le système féodal, le vassal prêtait allégeance au suzerain, la félonie étant la pire des trahisons.
  • En 1789, les révolutionnaires du serment du Jeu de Paume affirmèrent leur détermination face au marquis de Dreux-Brézé : « Dites à votre Maître, nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes. »
  • Le citoyen témoigne sous serment de dire « la vérité, toute la vérité », sous peine de faux témoignage.
  • Le serment d’Hippocrate guide les médecins, tandis qu’aux États-Unis, les immigrants prêtent serment sur la Bible et le drapeau.
  • Dans les sociétés primitives, le pacte de sang scellait une fraternité indéfectible, et même le Christ, dans l’humilité, offrit son sang comme symbole ultime.
  • Les chevaliers, par l’adoubement, juraient fidélité à leur ordre.

Pour arracher un sourire fraternel, évoquons aussi le serment de l’ivrogne ou du joueur, aussi légers que des vapeurs d’alcool, ou encore les serments d’amour, souvent aussi éphémères qu’un souffle. Ces exemples, qu’ils soient graves ou ludiques, soulignent un objectif commun : garantir une déclaration sur un fait passé, une promesse pour l’avenir. Le serment maçonnique, avec son caractère promissoire, s’inscrit dans cette lignée, mais avec une spécificité qui le distingue.

II. Le Serment Maçonnique : Un Acte de Transformation

Un Moment Clé de l’Initiation

Le serment maçonnique occupe une place centrale, pour ne pas dire primordiale, dans la cérémonie d’initiation. Il provoque un bouleversement mental, des modifications cognitives et des évocations d’états d’être inédits. Solennel par sa dénomination, il se déploie en plusieurs étapes entrelacées, marquant un passage irréversible.

Les Étapes du Serment

  1. Le Cabinet de Réflexion : Avant même la cérémonie, l’impétrant rédige un testament philosophique, incluant un engagement écrit envers l’Ordre, signé en pleine conscience – comme le rappelait Corneille, « quiconque écrit s’engage ».
  2. Les Avertissements Progressifs : Le Vénérable Maître, depuis sa chaire, interroge à plusieurs reprises l’impétrant, le prévenant des étapes à venir et des engagements croissants, jusqu’à l’avertissement final : au-delà, il ne pourra plus se rétracter.
  3. La Coupe d’Amertume : Une libation symbolique, empreinte de remords, scelle un nouvel engagement.
  4. Les Épreuves : À travers les épreuves de l’air, de l’eau et du feu, l’impétrant réitère son acceptation.
  5. Le Serment Solennel : Agenouillé à l’autel des serments, les yeux bandés, il prononce :
    « Moi …, de ma propre et libre volonté, en présence du GADLU et de cette respectable loge de Francs-Maçons, je jure et promets solennellement et sincèrement de ne jamais révéler aucun des mystères de la Franc-Maçonnerie qui vont m’être confiés et de ne m’entretenir qu’avec de bons et légitimes maçons ou dans une loge régulièrement constituée. Je promets d’aimer mes FF:., de les secourir, de leur venir en aide en toute circonstance. Aussi, je préfèrerais avoir la gorge coupée et la langue arrachée plutôt que de manquer à mon serment et d’être rejeté comme parjure. »

Une Gestuelle Chargée de Symboles

Bible et 3 grandes Lumières
Bible ouverte avec équerre, compas dans le Temple. Serment

Ce serment, prononcé à l’autel des serments – au pluriel, en prévision des degrés futurs –, s’accompagne d’une gestuelle unique. L’impétrant, en pantoufles, agenouillé sur une jambe formant une équerre, pose la main droite sur le Volume de la Loi Sacrée et tient le compas, branches ouvertes à 90°, une pointe sur le cœur, l’autre vers le ciel. Ce geste unit matière et esprit, invoquant le GADLU comme créateur sacré. Le compas devient une antenne, offrant l’âme pour recevoir la lumière qui forge un homme nouveau. Dante, évoquant la Divinité, écrivait : « Celui qui par son compas marque les limites du monde et règle dedans tout ce qui se voit et tout ce qui est caché. » Cette appartenance, paradoxalement, se vit comme « une liberté perdue pour une liberté éternelle ».

Le bandeau retiré, l’impétrant découvre les épées pointées vers lui et le parjure, allongé sur un drap noir, tête vers l’occident, sans gants ni tablier, un linge sanglant sur le cœur. Cette image, rare dans les serments profanes, symbolise la mort spirituelle du traître, dont le cœur est « soudé » au GADLU par l’initiation. Un proverbe berbère éclaire cette démarche : « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens. » Le combat hors du temple, pour rester digne de cet engagement « en toute circonstance », devient alors une quête quotidienne.

Les Imprécations : Symbole ou Réalité ?

Les imprécations – gorge tranchée, langue arrachée – intriguent. Aucun apprenti ne croit réellement à leur application littérale aujourd’hui. Mais pourquoi les avoir conservées dans le passage de l’opératif au spéculatif, alors que leur nécessité pratique a disparu ? La réponse réside dans la tradition, ce fil vivant qui relie notre passé à notre avenir. Renoncer à ces racines reviendrait à trahir notre histoire. Ces sanctions, bien que symboliques, structurent notre spiritualité : violer le serment menace notre élévation, nous transformant en nos propres bourreaux. Erasme le disait : « L’Homme ne naît pas, l’Homme il le devient. » Le serment, en révélant nos imperfections, devient un outil de liberté, un devoir de les corriger.

La pénalité de la langue arrachée, liée au signe d’ordre, vise la parole pervertie du parjure. Privé de parole, il ne peut plus donner les mots de reconnaissance ni restituer la parole sacrée, brisant son lien avec le Volume de la Loi Sacrée, où s’ouvre l’Évangile de Jean : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. » C’est seulement après ce serment que l’impétrant, devenu néophyte, est créé, constitué et reçu franc-maçon.

III. Conclusion : Un Chemin vers la Lumière

Prêter serment est un acte rare, que beaucoup ne connaîtront jamais. J’ai tenté de montrer que, contrairement aux engagements profanes – souvent laïcisés, formels et parfois oubliés –, le serment maçonnique, pris sur les trois grandes lumières sous le regard du GADLU, marque la naissance de l’initié. C’est le premier pas vers une reconstruction métaphysique, du matériel vers le spirituel. Un sartrien pourrait dire : « Un homme est ce qu’il fait de lui-même. » Dans ce secret alchimique d’engagements, de promesses et de sanctions, méditons cette phrase de Tolstoï dans Anna Karénine :

« Si ce n’était que la raison pure, ce serait un vêtement de mousseline incapable de protéger du froid. » Que ce serment, vivace à chaque tenue, nous guide avec humilité vers une lumière toujours plus grande.

1 COMMENTAIRE

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES