sam 21 décembre 2024 - 15:12

 Vous avez dit « philomaçonnerie » ?

Bien penser pour mieux vivre – Deux disciplines, deux définitions :

La connaissance par la raison et la recherche du sens des choses définissent classiquement la philosophie.

L’amélioration de l’homme et de la société, par le biais d’une association à caractère philosophique, caractérise la franc-maçonnerie.

On le voit, le but des deux disciplines est le même : le perfectionnement, l’enrichissement de soi par l’apprentissage.

C’est clair, n’en déplaise aux gens de mauvaise foi, la franc-maçonnerie spéculative, née au XVIIIème siècle, est bel et bien une discipline philosophique qui articule sa pratique avec les valeurs morales, spirituelles et existentielles de la sagesse grecque antique. Ainsi que le montrent les définitions ci-dessus !

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Soyons objectifs : Ce n’est évidemment pas un hasard, si l’on rencontre dans l’exercice rituélique de l’Art Royal, la science des nombres de Pythagore, la méthode verbale de Socrate, la symbolique des éléments de Platon, et encore la métaphysique d’Aristote. Le raisonnement rigoureux de Descartes et l’esprit des Lumières de Kant, avec son sens du devoir s’expriment pleinement dans ces mêmes rituels. Et enfin la question de l’Etre et de ses mécanismes – posée chacun à leur manière par Nietzsche et Freud – apparaît à l’évidence, « déguisée » avec les mots du vocabulaire maçonnique, au gré des idées développées dans les livrets d’instruction.

L’Art Royal, cet « emprunteur »

Un enchaînement : Il n’est pas faux de dire que l’un et l’autre penseur ont de la sorte pré-tracé la voie des sciences humaines précitées. La psychanalyse a entraîné l’anthropologie, la psychologie a suscité la sociologie et la linguistique, la littérature a introduit la poésie. Notamment celle que l’on retrouve dans les tournures de phrases ampoulées du 18ème siècle qui peuplent les échanges rituels, tout comme elle fleurit les appellations des degrés des rites !

Nous retrouvons ici le syncrétisme plus haut évoqué :

l’Art Royal est un grand emprunteur.

Tant en termes de légendes méditerranéennes que de figures géométriques fondamentales.

Tant sous forme de représentations des outils manuels des bâtisseurs médiévaux et d’utilisations des disciplines intellectuelles susdites.

Réciprocité. Qu’offre de son côté la philosophie à l’Art Royal ? Selon la formulation antique : Un modèle de réflexion pour « gens de raison » ! Raisonner signifiant penser, réfléchir, comprendre, spéculer et ensuite écouter, débattre, dialoguer avec soi et les autres, pour trouver la concorde. Et déboucher sur une pensée commune, une idée générale conceptuelle. A l’image de Platon qui proposaient des « idées carrées », vérifiables et immuables comme ladite forme. Sans toutefois passer par une croyance ou une transcendance, cosmique ou divine.

Penser sans Dieu : Les philosophes anciens proposaient de cette manière l’accès à une « vie bonne », deux mille deux cents ans avant leurs collègues promoteurs des Lumières. Après celles-ci, ce concept a été repris au 20ème siècle par plusieurs philosophes contemporains : Vladimir Jankélévitch d’abord puis André Comte-Sponville et Luc Ferry. Il a débouché sur ce qu’ils ont appelé la spiritualité laïque.

Luc Ferry la définit ainsi : « Il y a de grandes spiritualités qui ne passent ni pas Dieu ni par la foi, des spiritualités qui apportent, elles aussi des réponses à la question de la vie bonne, mais avec les moyens du bord, en restant dans l’humain, dans sa raison et sa finitude. Et cela s’appelle la philosophie. C’est exactement là ce que je désigne sous le nom de « spiritualité laïque » (Sagesses d’hier et d’aujourd’hui – Editions Flammarion 2013).

Cette vie de l’esprit non conditionnée, parfaitement individuelle et libre, que désigne-t-elle ? Le déroulement même des « choses de la vie », c’est à dire nos problèmes existentiels qui nous préoccupent et les valeurs qu’ils représentent, à savoir : la vie, le vivant, l’être, l’amour, l’éducation, le travail, la nature, le progrès, la liberté, le bien, le mal, le vrai, la responsabilité, la mémoire, la maladie, la souffrance, les joies, les peines, l’amitié, le bonheur, la séparation, le vieillissement, le deuil, la mort. Etc.

Pour le profane, pour le franc-maçon, la franc-maçonne : Autant de thèmes et de circonstances, de joies au cœur et de maux à l’âme. Autant de gratifications, d’agressions, d’interrogations, de doutes. Autant de solutions mais aussi de problèmes à résoudre, de faits à accepter. L’Art royal a tout naturellement adopté le contenu ci-dessus de la spiritualité laïque pour en faire ses sujets d’étude au fil des planches des frères et sœurs.

On remarque ainsi que ces grands thèmes qui animent la vie de l’esprit constituent en vérité le quotidien de chacun, de chacune d’entre nous. La vie est une suite d’imprévus. Dès lors la tradition devient un modèle en mouvement. Elle demande ainsi à la fois discernement et créativité !

Rencontres et étonnements

 Que signifie philosopher ? Ce n’est surtout pas se retrancher en soi et ruminer ses pensées !

Que signifie maçonner ? Ce n’est certainement pas se barricader dans son temple intérieur !

Les deux disciplines se rejoignent ici, philosopher et maçonner, c’est au contraire sortir de soi – se mettre « hors de soi » au sens littéral – pour communiquer. Tel le sage Socrate qui abordait les gens dans les rues d’Athènes et engageait la conversation, en les questionnant. Tel le pasteur Théophile Désaguliers, le soir de la Saint Jean d’été en 1717, à l’auberge londonienne l’Oie et le Gril, dialoguant avec les convives, après la présentation de son projet d’instauration d’une structure maçonnique de grande tolérance civile et religieuse.

Philosopher et Maçonner, c’est s’ouvrir à l’autre, échanger sereinement, accepter la critique, chercher la concorde, en philosophe réaliste et franc-maçon pratique. La vie est une suite de rencontres et d’étonnements. Donc d’initiations. Ces face-à-face définissent bien, précisément, ce qu’est une vie initiatique :

  • Conscience de la construction de soi grâce à autrui,
  • Respect réciproque qui fonde la fraternité,
  • Sentiment profond d’appartenance à la société sacrée des hommes,
  • Art de la contemplation pour apprécier la beauté du monde,
  • Souci de la parole juste et amour de la vérité,
  • Maîtrise des passions,
  • Joie du cœur et paix de l’âme,
  • Ecoute et accueil des opinions diverses voire contraires,
  • Opposition à l’intolérable,
  • Acceptation des aléas de la vie et de la finitude.

Autant de séquences temporelles essentielles, autant de mouvements positifs de la pensée. Nous le constatons, maçonner, c’est philosopher, philosopher c’est maçonner. J’ose ici un néologisme « symbiotique » : PHILOMAÇONNERIE !

Ecoutons Epicure : « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse ». Les grands philosophes sont dits « créateurs de concepts », de modèles. Pour les « cherchants » que sont les francs-maçons, le concept est certainement moins important que « l’apprendre à penser » qui doit privilégier le doute précité.

Cette notion capitale contenant l’art de la critique est à l’opposé même de la pensée consensuelle et lisse. En recherche constante d’harmonie, nous la confondons souvent avec le compromis. Or, la loge ne doit pas devenir un lieu de confort intellectuel. Encore moins de compromission des consciences ! Vouloir ne pas faire de vagues, c’est transformer ladite loge – cette diversité passante – en un fleuve tranquille. C’est précisément de l’intranquillité que vient la pensée nouvelle, pas de cerveaux conditionnés et assoupis ! En termes de construction, ce sont les aspérités des pierres qui procurent leur parfait jointoiement. Et je me permets ici cette métaphore : Ce n’est pas le tablier qui fait le tailleur de ces pierres, mais sa dextérité !

De la sorte, la philosophie qui met en avant le « concept naturel » du oui et du non, indique au franc-maçon, à la franc-maçonne, que ces deux critères, affirmatif et négatif, doivent toujours prendre place dans chaque raisonnement se voulant « réfléchi »… puisque nous revendiquons la qualité de « penseurs » !

Les passeurs de lumière

La philosophie est une discipline (qui se décline en d’autres mots : « sagesse », « savoir », « connaissance ») mais elle ne serait rien sans les grands noms qui lui donnent corps et partant toute son humanité. De Socrate à Sénèque précités, de Confucius à Jésus. D’Avicenne et Maïmonide aux célébrités des temps modernes. De Spinoza, le précurseur des Lumières et de la maçonnerie spéculative – en passant par Kant – à Jankélévitch précité lui aussi, promoteur d’une « spiritualité sans ciel » mais les pieds sur terre !

Encore une fois, que serait l’édifice maçonnique sans les pierres – citées ici dans le désordre – qui en font aujourd’hui en France cette construction de l’esprit… qui tient debout : Pascal, Descartes, Schopenhauer, Nietzsche, Diderot, Rousseau, Heidegger, Arendt, Vernet, Conche, qui ont précédé les talentueux vulgarisateurs Comte-Sponville et Ferry. D’autres noms résonnent dans les loges européennes, tout aussi percutants : Appia, Negri, Taylor, Cavell, Nussbaum, parmi les plus connus.

Autant de « passeurs de lumières » qui éclairent et mettent en relief l’Art Royal. La philosophie est vieille de près de trois millénaires, la franc-maçonnerie est jeune de trois siècles ! La philosophie a des synonymes, le plus usité étant « sagesse » puisque sa racine grecque l’indique (philen, amour, sophia, sagesse, savoir). Comme le fait remarquer Luc Ferry, la philosophie est définie à l’école par réflexion, argumentation, apprentissage de l’esprit critique. L’intention est de faire déboucher l’élève sur la pensée autonome. Elle rejoint ici l’instruction civique, ce qui peut faire penser que tout un chacun est philosophe : qui ne réfléchit pas, n’argumente pas, n’a pas l’esprit critique devant son poste de télévision ?

La vie bonne

4 enfants riants au pied d'un arbre
4 enfants riants au pied d’un arbre

 Or la philosophie originelle – à retrouver- telle que la vivait les penseurs antiques et que l’ont perpétuée ensuite leurs suivants, visait trois grands thèmes : la vérité, la justice, la « vie bonne ». C’est à dire une vie sans peur de la mort, cette peur qui empêche de bien vivre, donc d’être serein, de penser correctement, d’avoir une vision du monde basée sur la générosité et l’amour. Cette philosophie postule que l’on peut y parvenir par soi-même, par la raison, sans recourir à la foi. Il s’agit de remettre « à leur place » les valeurs morales, spirituelles, existentielles. Et de pratiquer ainsi une « spiritualité laïque » (au sens de la séparation mais de la tolérance d’exercice de toutes les religions) : nous l’avons abordée plus haut, en tant que définition même de la philosophie. Autrement dit « d’amplifier » sa vie, en lui donnant une raison d’être et de faire. En allant vers les autres. Partant, en nous arrachant à nous même. En passant de ce « culte du moi » – que dispense une maçonnerie mal comprise – à la culture du semblable !

Entendons-nous bien : Ce que les Grecs antiques appelaient « la vie bonne » signifiait pour le citoyen » mener une vie bonne dans une vie mauvaise ». C’est à dire, vrai, juste, calme, joyeux – autant que faire se peut- avec le souci de soi et de l’autre, malgré les aléas de l’existence. La vie n’a pas changé de nature au XXIème siècle. Elle n’est pas un être, n’est pas une conscience, n’a pas de morale, ne nous entend pas ! Ce n’est une personne, mais un organisme. Elle consiste « en l’ensemble des fonctions qui résiste à la mort ». (Buffon).

En cela nous sommes organiquement des « résistants ». Ce qui ne veut pas dire forcément « lutter » mais « accueillir » les forces contraires. A la manière du judoka qui utilise la force l’adversaire pour le neutraliser. Quand cette pression se manifeste sous la forme de « passions tristes » (Ex : peur, haine, rancœur, envie, jalousie), il s’agit d’en chercher la ou les raisons, ou de les analyser. Connaître, c’est ne plus subir !

Alors pourquoi la détestation ? Les hommes se haïssent non pour leurs oppositions mais parce qu’ils ont les mêmes convoitises (pouvoirs, territoires, objets). Posséder, c’est être possédé ! Sublimer n’arrange rien, c’est archiver ! Il convient, à l’inverse, « d’expulser » le tourment. En s’en écartant, en « passant au large » pour gagner d’autres centres d’intérêt qui procurent du plaisir. S’interdire rend triste, se permettre donne de la joie. L’humour est un excellent « détachant ». Etre heureux, « bien sans sa peau », rend meilleur dans la cité. Ce qui, nuance, n’exclut pas la retenue quand elle s’impose : « Un homme, çà s’empêche ! » fait dire Albert Camus, à l’un de ses personnages de roman.

Le philosophe, à sa façon, interprète le monde. Le franc-maçon, la franc-maçonne, avec leurs moyens, s’appliquent à le transformer.

2 Commentaires

  1. L’écrivain américain Francis Scott Fitzgerald ajoute pour sa part que “la vie est, bien entendu, un processus de démolition”. A l’encontre de cette vision, certes réaliste, la franc-maçonnerie, résolument optimiste pour sa part, nous confirme dans notre rôle de constructeurs. Et par le jeu de la transmission, qui est notre devoir accepté, elle invente ainsi la vie éternelle! L’utopie n’est pas qu’un rêve, c’est une précieuse philosophie de voyage! GG

  2. La vie, est-elle comme pour Bichat “l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort”, ou bien selon Cioran, “l’ensemble des fonctions qui nous y entraînent ?”

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Gilbert Garibal
Gilbert Garibal
Gilbert Garibal, docteur en philosophie, psychosociologue et ancien psychanalyste en milieu hospitalier, est spécialisé dans l'écriture d'ouvrages pratiques sur le développement personnel, les faits de société et la franc-maçonnerie ( parus, entre autres, chez Marabout, Hachette, De Vecchi, Dangles, Dervy, Grancher, Numérilivre, Cosmogone), Il a écrit une trentaine d’ouvrages dont une quinzaine sur la franc-maçonnerie. Ses deux livres maçonniques récents sont : Une traversée de l’Art Royal ( Numérilivre - 2022) et La Franc-maçonnerie, une école de vie à découvrir (Cosmogone-2023).

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