sam 23 novembre 2024 - 04:11

Le Maire de Lyon et le Grand Maître du GODF débattent de la société

De notre confrère tribunedelyon.fr – Par Rodolphe Koller

Grégory Doucet recevait le Grand Maître du Grand Orient de France ce vendredi à l’Hôtel de Ville. À l’origine pour les 250 ans de la loge maçonnique, mais leurs regards croisés se sont également portés sur l’actuellement brûlante des retraites.

Au lendemain de l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution par le gouvernement afin d’entériner la réforme des retraites, le maire de Lyon Grégory Doucet et le Grand Maître du Grand Orient de France ont échangé avec Tribune de Lyon. Initialement à l’occasion des 250 ans de la loge des francs-maçons, mais aussi autour des violences survenues en Presqu’île, des questions de démocratie représentative, de laïcité et de République.

S’en prendre à l’Hôtel de Ville de la troisième ville de France, qu’est-ce que cela dit de notre époque ?

Grégory Doucet : La colère provoquée par la façon dont le gouvernement et le président de la République ont appréhendé la réforme des retraites était prévisible, attendue. Après, bien évidemment, je suis contre toute forme de violence, y compris si elle est nourrie par de la colère. Je regrette bien sûr que les manifestants aient pu s’en prendre à l’Hôtel de Ville. Ce sont les services de la Ville et de la Métropole que je remercie parce qu’ils ont été extrêmement efficaces et tout de suite au travail ce matin.

Georges Sérignac : La violence ne peut être que condamnée d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit, mais évidemment qu’il y a une provocation à la violence. Ce n’est pas à nous de nous prononcer sur la validité ou pas. En revanche, nous avons quelques notions de démocratie et de République au Grand Orient de France. Et donc quand 80 à 90 % d’une population est contre une réforme, ça veut dire que soit elle a été mal expliquée, soit que les gens ne la considèrent pas bonne pour eux.

À partir de là, la moindre des choses est de prendre en compte cette volonté populaire, c’est la base de la démocratie que d’écouter la volonté populaire. Donc condamner la violence bien sûr, mais on ne peut pas ne pas l’excuser et ne pas la comprendre. Quand on n’est pas écouté d’une telle façon, je dirais que tous les moyens sont bons pour se faire entendre. Ça n’excuse en rien la violence, mais ça permet de la comprendre.

Cela dit aussi quelque chose sur l’état de la démocratie représentative, de la façon dont les corps intermédiaires sont ignorés. Que vous inspire le climat social du moment, et le rapport des Français à leurs institutions ?

GD : On peut s’interroger sur le fonctionnement des institutions, pour autant on a une Assemblée, un Sénat, un Parlement, avec des gens de différentes couleurs politiques. Ce qui se passe, c’est qu’on a pour la 11e fois un projet de loi qui passe sans un vote, et sur un sujet aussi majeur que la question des retraites. Les retraites, c’est le quotidien des gens, c’est pour ça d’ailleurs qu’il y a cette colère. Le fait que ça passe sans vote du Parlement, ça veut dire qu’on a enlevé la légitimité démocratique de cette décision. Alors même qu’elle en a besoin, parce qu’elle concerne tout le monde. On parle d’une institution qui est au cœur de notre démocratie, et qu’on a mis au point mort. Or, on ne peut pas avancer sans ce moteur. Ce qui vient de se passer, c’est une trahison démocratique, un recul démocratique. Ce n’est pas possible, ce n’est pas acceptable de trahir à ce point la démocratie.

GS : Je pense que nous ne sommes pas dans une crise de la représentation démocratique. Il y a différentes procédures au sein de l’Assemblée et du Sénat, procédures qui ont été respectées. L’article 49.3 est prévu par la Constitution. Donc dans le fonctionnement des institutions, les choses fonctionnent. Ce qu’il y a, c’est un problème d’écoute de la volonté populaire générale. Et sur un sujet d’une importance absolument essentielle, le sujet de la solidarité sociale. Les retraites c’est, avec la Sécurité sociale, la plus belle expression de la solidarité sociale. Donc sur un sujet aussi sensible, il est certain que nous sommes à un moment très complexe et très compliqué, aussi bien de notre vie démocratique que de notre République.

Après cet épisode récent avec la communauté israélite, et votre position sur le vœu des Échevins, en quoi avez-vous des choses à vous dire sur le sujet de la laïcité ?

GD : Pour le coup, parce que je suis un élu de la République, et que le Grand Orient est à l’avant-garde de la défense des valeurs de la République, ça nous fait forcément un point commun. Sans être un spécialiste, je sais en partie ce qu’on doit à la franc-maçonnerie sur la construction des idées républicaines. Parmi les acquis de notre République, il y a notamment la question de la laïcité. Et c’est un sujet qui est pour moi au cœur de l’exercice de mon mandat. J’ai été amené à me positionner en utilisant comme référence cette grande loi de 1905. C’est une loi qui a très bien su poser un magnifique équilibre entre cette liberté de croire, de pratiquer, et cette liberté de ne pas croire. Et qui dit aussi l’amitié entre toutes les femmes et tous les hommes, quelles que soient leurs croyances. Je pense l’avoir utilisé à bon escient, notamment en ce qui concerne ma venue après le rituel du vœu des Échevins pour être en dialogue avec la communauté catholique. Mais sans venir prendre une part dans un rituel qui appartient à la communauté catholique, parce que ce n’est pas mon rôle en tant qu’élu républicain.

GS : Il est écrit dans notre règlement que le Grand Orient de France accorde une place fondamentale à la laïcité. Ça veut dire que pour nous, ça n’est pas une loi majeure, c’est LA loi majeure, la loi socle de la République. Quand on déroule la pelote de ce que représente la laïcité, c’est vraiment la clé de voûte de la République. Elle rassemble les idées de liberté, égalité, fraternité. Rien n’est possible sans une liberté absolue de conscience, la liberté de culte, et la séparation des Églises et de l’État. Donc une fois que l’on a dit ça, bien sûr que nous sommes absolument favorables à cette séparation entre tous politiques quels qu’ils soient et toutes Églises quelles qu’elles soient.

Or, il peut y avoir une confusion entre l’aspect culturel et l’aspect cultuel, utilisée par les Églises pour enfoncer un coin dans la loi de 1905. Parce qu’on s’aperçoit que les adversaires de la laïcité utilisent certains biais pour mettre de la confusion là où les choses devraient être très claires et très simples. Quand on voit certains maires défendre les crèches dans les mairies, il ne s’agit pas de savoir si c’est culturel ou cultuel, mais si c’est dans la loi ou pas. Et ça ne l’est pas. Les choses sont claires : un petit Jésus, ce n’est pas une représentation culturelle, c’est une représentation religieuse. La loi de 1905 dit que la République ne reconnaît, ne salarie, ne subventionne aucun culte, mais la République garantit la liberté de conscience et le libre exercice des cultes.

Mais la République laïque, c’est évidemment beaucoup plus vaste que le problème religieux, c’est un projet de société, rassembleur. C’est le peuple uni reconnaissant dans sa sphère privée ses différences, ce qu’on oublie souvent de rajouter. Il ne s’agit pas d’un peuple indifférencié dont on gommerait les différences. C’est même un enrichissement pour un peuple d’avoir des différences. Mais au niveau de l’État, le peuple est uni dans un projet commun.

Autre évolution par rapport aux années Collomb, qui revendiquait son appartenance au Grand Orient : personne n’a revendiqué son appartenance dans les nouveaux exécutifs.

GS : Notre règlement est très clair. En franc-maçonnerie, nous ne pouvons pas révéler l’identité d’un membre, ça ne nous appartient pas. En revanche, je vais vous donner un scoop, je suis franc-maçon, et certains l’ont dit pour eux-mêmes. On essaie de beaucoup communiquer pour que les gens perdent cette idée de réseau, d’entre-soi, et de montrer que les franc-maçons sont des gens normaux qui ont un engagement républicain, qui ont une école de pensée qui va plus loin que ce que l’on en raconte. Donc cette affaire de dévoilement, il faut qu’elle arrive à se dédramatiser. Je crois que cela relève de la sphère de l’intime : ceux qui veulent le dire le disent, et qu’on en fasse plus une question.

Quelles relations entretenez-vous l’un avec l’autre ?

GS : Je crois que la question ne se pose pas comme ça. Chaque loge du Grand Orient de France est une association loi 1901. Donc les relations sont les mêmes qu’avec une association.On a des relations personnelles, ou pas ; institutionnelles, ou pas. C’est vraiment de la sympathie mutuelle, de la conjoncture. Mais il n’y a pas d’organisation en réseau de la franc-maçonnerie avec la politique, c’est un fantasme depuis trois siècles.

Mais lors d’une élection, au même titre que l’on pourrait s’appuyer sur l’association des habitants de la rue Édouard Herriot, on pourrait s’appuyer sur une loge maçonnique.

GS : Sauf que les loges du Grand Orient de France sont parfaitement indépendantes de tout pouvoir politique. Qui peut savoir pour qui je vote ? Et je m’attache à ce que les 53 000 membres de notre obédience soient dans le même cas. Après, c’est leur problème si eux veulent avoir des engagements politiques. Mais je crois que notre indépendance est fondamentale pour avoir une parole républicaine qui soit crédible.

GD : Pas besoin d’être franc-maçon pour s’intéresser aux valeurs républicaines, et c’est heureux. C’est bien la preuve que tout cet héritage de la franc-maçonnerie s’est disséminé. Moi aussi, au travers de lectures, d’échanges avec des individus dont je ne sais pas forcément s’ils sont franc-maçons ou non, j’ai découvert quelques figures d’inspiration qui se trouvent être des franc-maçons. Et il n’y a pas besoin, surtout pas, d’institutionnaliser quoi que ce soit entre nous, je pense même que ce serait une erreur. On y perdrait plus qu’on y gagnerait.

Monsieur Doucet, vous avez fait de la représentation des femmes un enjeu important de votre mandat. Au Grand Orient de France, il n’y a que 10 % de femmes depuis que les loges sont devenues mixtes en 2010. Visez-vous la parité ?

GS : Nous sommes une vieille maison, et nous ne travaillons pas à arriver à une parité. Les choses vont évoluer d’elles-mêmes. 8 000 sœurs en dix ans, c’est beaucoup. Dans quelques années, nous serons d’ailleurs peut-être l’obédience qui compte le plus de femmes. C’est un peu plus que 10 % d’ailleurs, mais c’est un mouvement de fond, et surtout une mise en cohérence avec nos valeurs. Nous sommes la seule grande obédience historique à avoir fait ce choix. Nous ne décrétons pas cette parité, ce n’est pas du tout dans nos habitudes, notre fonctionnement. En revanche, nous avons aujourd’hui deux sœurs qui sont au conseil de l’ordre, pour leur qualité, pas pour leur genre. Et les choses vont se faire très naturellement.

GD : La parité, dans la constitution de l’exécutif, est légale. Après c’est vrai qu’on a mis en place un certain nombre d’actions, on pourrait prendre des tas d’exemples. Je crois que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes doit être traitée par tous les moyens d’agir. Et sur le fonctionnement du Grand Orient de France, ce n’est pas à moi de juger si la démarche est bonne ou pas. Moi je le fais dans le cadre des fonctions qui m’ont été confiées, et pour moi c’est essentiel d’aller vers une société plus égalitaire. On est au fondement des valeurs républicaines.

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