Dans l’univers feutré des loges et des obédiences maçonniques, où la quête de lumière et de perfection morale guide traditionnellement les esprits, une ombre plane : l’incompétence. Inspiré par le principe de Peter, popularisé dans les années 1960, le principe de Dilbert, tel que formulé avec humour par Scott Adams dans son livre satirique Le Principe de Dilbert, offre une lentille acérée pour décrypter ce phénomène.
Si le principe de Peter postule que « tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence », le principe de Dilbert pousse l’absurde plus loin :
« Les gens les moins compétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : ceux de managers. »
Appliqué au contexte maçonnique, ce concept révèle des vérités troublantes sur certains dignitaires, qu’il s’agisse des loges locales ou des instances dirigeantes des obédiences. Entre satire et réflexion, cet article explore cette dynamique, tout en s’inspirant des valeurs de la Franc-maçonnerie – travail sur soi, fraternité, tolérance – avec une pointe d’ironie, en écho à la célèbre maxime :
« La différence entre la tolérance et la Fraternité ? La tolérance consiste à savoir qu’il y a des imbéciles dans les loges et la Fraternité consiste à ne pas donner les noms. »
Pierre Dac
Du principe de Peter au principe de Dilbert : une évolution vers l’absurde

Le principe de Peter, énoncé par Laurence J. Peter en 1969, suggérait que dans une organisation, un individu compétent gravit les échelons jusqu’à atteindre un poste où ses compétences s’épuisent, le rendant inapte. Dans ce schéma, un dirigeant incompétent aurait au moins été efficace à un niveau subalterne. Mais Scott Adams, dans Le Principe de Dilbert, propose une version aggravée et humoristique : les moins compétents ne sont pas simplement promus par erreur, ils sont délibérément placés en gestion, où leur ignorance – notamment en technologie ou en bon sens – cause le moins de dégâts opérationnels. Les employés brillants, irremplaçables à leurs postes, stagnent, tandis que les maladroits règnent.
Transposée au monde maçonnique, cette idée prend une tournure fascinante. Les loges et obédiences, censées être des écoles de perfectionnement moral et intellectuel, ne sont pas immunisées contre ces dynamiques. Les dignitaires, qu’ils soient vénérables maîtres ou grands maîtres, ne sont pas toujours choisis pour leur sagesse ou leur érudition, mais parfois pour leur capacité à ne pas perturber l’équilibre fraternel – ou, ironiquement, pour leur inaptitude à gérer les détails techniques ou philosophiques du travail initiatique.
L’incompétence maçonnique : des loges aux obédiences

Dans les loges, le phénomène peut se manifester subtilement. Un frère, peut-être peu à l’aise avec les rituels ou les symboles, gravit les grades grâce à son engagement social ou sa popularité, devenant vénérable maître. Là, son manque de profondeur intellectuelle ou sa méconnaissance des textes traditionnels – comme les Constitutions d’Anderson – peut transformer les tenues en exercices formels plutôt qu’en moments de réflexion. Les frères compétents, ceux qui maîtrisent l’équerre et le compas dans leur sens symbolique, restent souvent à l’ombre, jugés trop précieux pour quitter leurs rôles opérationnels.
À un niveau supérieur, dans les obédiences, l’incompétence peut s’amplifier. Certains grands maîtres, élus pour leur charisme ou leurs réseaux plutôt que pour leur vision, peinent à guider les loges vers une unité spirituelle. Ignorants des subtilités des rites – qu’il s’agisse du Rite Écossais Ancien et Accepté ou du Rite Français – ou des enjeux contemporains comme la laïcité, ils privilégient l’administration ou les compromis politiques internes. Cette situation rappelle le principe de Dilbert : placer les moins aptes en haut limite les dégâts sur le terrain, mais étouffe l’élan initiatique.
Un exemple frappant est l’organisation d’événements majeurs, comme des colloques maçonniques. Sous la direction d’un dignitaire incompétent, ces rassemblements, censés éclairer, se réduisent parfois à des discours creux ou à des querelles de pouvoir, loin de l’idéal de « travail sur soi » cher à la maçonnerie.
Une solution paradoxale : la stagnation des compétents

Le principe de Dilbert offre une solution paradoxale au problème posé par le principe de Peter. Dans une entreprise dilbertienne, les incompétents sont promus pour quitter leurs postes inefficaces, tandis que les compétents restent à leur place, préservant l’efficacité globale. Dans une obédience maçonnique, cela pourrait signifier que les frères maladroits accèdent aux charges symboliques (vénérable, grand officier), laissant les érudits – ceux qui décryptent les mystères du GADU (Grand Architecte de l’Univers) – continuer leur labeur discret en loge.
Cette stagnation des talents a un revers : elle protège la tradition. Les loges conservent leurs piliers intellectuels, ceux qui maintiennent vivants les symboles – tablier, compas, niveau – et les idéaux de tolérance et de fraternité. Mais elle risque aussi de figer l’institution, empêchant une régénération par les idées neuves portées par les plus capables.
La tolérance maçonnique face à l’incompétence : une fraternité silencieuse

Ici entre en jeu la sagesse de Pierre Dac : « La différence entre la tolérance et la Fraternité ? La tolérance consiste à savoir qu’il y a des imbéciles dans les loges et la Fraternité consiste à ne pas donner les noms. » Cette phrase, à la fois ironique et profonde, encapsule l’attitude maçonnique face à l’incompétence. La tolérance, vertu cardinale, invite à accepter les faiblesses humaines, même chez les dignitaires. La fraternité, elle, impose un silence bienveillant, évitant les jugements publics qui fractureraient l’harmonie de la loge.
Pour un franc-maçon, cette approche n’est pas une capitulation, mais un défi. Le travail sur soi, pilier de l’initiation, exige de polir ses propres « pierres brutes » – jugements hâtifs, frustrations – face à l’inaptitude d’autrui. Les symboles comme l’équerre (rectitude) et le fil à plomb (verticalité morale) rappellent que la critique doit d’abord s’exercer en son for intérieur. Ainsi, la loge devient un laboratoire où l’incompétence des autres devient une occasion de croissance personnelle, plutôt qu’une source de division.
Une satire constructive : le miroir de la maçonnerie

Le principe de Dilbert, appliqué à la franc-maçonnerie, n’est pas une condamnation, mais un miroir. Il incite les frères à réfléchir : les dignitaires incompétents sont-ils le reflet de nos propres failles collectives ? La promotion des moins aptes pourrait découler d’une culture fraternelle trop indulgente, où la loyauté prime sur le mérite. Pourtant, cette faiblesse apparente cache une force : en évitant de promouvoir les meilleurs, les loges préservent leur essence initiatique, loin des ambitions personnelles.
En 2025, alors que les obédiences affrontent des défis modernes – numérisation, diversité, renouvellement –, le principe de Dilbert invite à un équilibre. Plutôt que de déplorer l’incompétence, les maçons pourraient la transformer en opportunité : former les dignitaires, valoriser les compétences subalternes, et faire de la fraternité un levier d’amélioration mutuelle. Comme le suggère le compas, modérer ses attentes tout en mesurant son propre progrès reste la clé.
En somme, le principe de Dilbert, lu à travers le prisme maçonnique, devient une satire bienveillante.
Il rappelle que, même parmi les « imbéciles » des loges, la lumière de l’initiation peut briller – à condition que la tolérance s’allie à un travail sincère sur soi, dans le silence fraternel prôné par Pierre Dac.

a rapprocher de l’effet Dunning-Kruger 😉
Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit de la tendance des personnes les moins compétentes à surestimer leurs capacités, et des plus compétentes à les sous-estimer. On peut rapprocher cet effet Dunning-Kruger d’une propension en loge et dans les convents, à pratiquer l’autosatisfaction à la méthode Coué alors que la simple objectivité remet bien souvent les pendules à l’heure de la stagnation ! On peut aussi rapprocher la 2ème partie de cet effet du fait que les soeurs et frères les plus sérieux semblent le plus souvent s’effacer devant les « fort-e-s en gueule » qui jouent la séduction mythomaniaque !
à ce rythme d’incompréhension …l’hypocrisie et la lâcheté prendront place sur les colonnes…un constat d’une grande tristesse après bientôt 40 ans de fidèle présence…les colonnes se fragilisent…les marchands pénètrent l’espace sacré…les discussions s’appauvrissent…le niveau ignore la perpendiculaire et l’équerre passe sur le compas. Bien fraternellement à vous tous
L’intérêt de l’article est de nous amener à réfléchir sur la gouvernance d’une loge et aussi sur son rôle. Le principe de Dilbert concernait semble-t-il plus les dérives de la bureaucratie. La loge concerne plutôt le milieu associatif avec l’idée majeure de réunir des personnes ayant les mêmes affinités. Il n’y a pas d’autres critères de réussite : pas de chiffre d’affaires, pas d’objectif de rentabilité ! Simplement rassembler ce qui est épars ! Il n’y a aucune compétence particulière à avoir pour être franc-maçon-ne , simplement être soi-même !
C’est un non sens de vouloir appliquer ce principe sauf à susciter une réflexion !
La question que l’on pourrait se poser ne pourrait-elle pas être de savoir le degré de satisfaction de celles et ceux qui vivent cette convivialité et de réfléchir pour l’améliorer ?
Pour cette question, ne serait ce pas la Théorie de l’équité de John Stacey Adams qui pourrait nous aider ? en 1963 Adams a évalué la satisfaction dans un poste de travail sur la base du ratio charges/avantages et aussi en observant que les individus se sentent bien dans un groupe lorsqu’ils perçoivent que les échanges sont équitables sans domination, ni soumission.
Fraternité
L’incompétence est certes régressive pour le fonctionnement d’une Loge mais elle n’est pas le fléau le plus significatif. Pour ma part, ce qui fait stagner une Loge dans son évolution spirituelle c’est la présence de Frères qui pensent vivement à l’agape alors que l’on vient juste d’ouvrir les travaux. Mais chut, le GADLU m’a dit qu’il ne fallait surtout pas évoquer cet état de fait sous peine de vexer certains Frères qui pourraient quitter définitivement les colonnes.
Je suis totalement d’accord avec PALLARES. Les valeurs maçonniques sont perdues au profit de l’ego et de l’argent. Les capitations sont plus importantes que le travail en Loge. De même pour les agapes.Et pourtant la franc-maçonnerie est un réservoir de connaissance, de symbolisme et d’ésotérisme. Il suffit de voir le nombre de rites qui existe.
Je vois que tu as fait preuve de beaucoup de fraternité dans ton article MTCF 😉
La critique est aisée… l’art est difficile.
Toute la différence entre Acteur et spectateur.
Cet article ne sert « qu’au dépens de celui qui l’écoute , cette leçon vaut bien un remplissage sans doute ».
Le corbeau journaliste et le Renard lecteur.
J’ai quitté ma loge après une dizaine d’années en maçonnerie, ne retrouvant plus les valeurs qui m’avaient tant attiré…Je ne voyais plus que luttes d’égos pour le pouvoir, clans, mépris, argent, bref tout ce qui pollue notre vie profane…et que l’on devrait laisser à la porte du temple…Etant maçon pour la vie, peut-être un jour reviendrais-je frapper à la porte d’un temple, mais j’en doute au vu de l’évolution du monde…
Bonjour mon frère
Dans quelle obédience étais tu? Même s’il n’y a pas de rapport avec ce que tu as vécu.
Les cycles du temps sont immuables et créent des imperfections car garder une loge juste et parfaite est impossible.
Une loge est un endroit où nous rencontrons, en accéléré, tout ce qui ne va pas dans le monde. Une loge n’est pas un endroit où nous avons des francs-maçons accomplis, une loge est un endroit ou un certain nombre d’entre nous essayent de s’améliorer. Par conséquent, y retrouver les travers profanes n’a rien d’étonnant, Maintenant comment s’en servir ? C’est justement un lieu où l’on peut travailler, sur soi, les difficultés rencontrées, c’est un lieu où l’on peut s’entraîner pour que dans la vraie vie, nous puissions être mieux armés. Si l’on est déçu, dans une loge, le responsable n’est pas automatiquement l’autre, cela peut être également soi-même, dans la difficulté que nous éprouvons à surmonter cette désillusion. J’ai l’habitude de comparer une loge à un accélérateur de particules, où en très peu de temps, on peut vivre beaucoup, beaucoup d’expériences différentes qui dans la vie profane, demanderaient des années, voire des dizaines d’années pour y être confronté. Maintenant en FM comme dans la vraie vie il y a des rythmes, des saisons, des marées (hautes et basses) etc. N’oublions pas que tout n’est que mouvements et transformations, alors patience.
Bonjour MTCF
Ce sont pour les mêmes raisons que j’ai quitté la loge, j’en ai expliqué les raisons dans ma lettre adressée au Vénérable, qui a été lue lors des travaux. « Je démissionne pour toutes les valeurs et authenticités que je n’ai pas trouvés dans un temple qui prône la Tempérance, la Fraternité, la Générosité, la Bienveillance, et la base de tout : le Respect. ! Toutes ces belles valeurs maçonniques qui ne sont parfois que palabres… »
Un pavé dans la marre !
Depuis, excepté mon parrain, plus aucun frère/sœur ne m’adresse la parole. J’ai pourtant été honnête, principe fondamentale en FM…
Les valeurs que je recherchais en FM, je les garde toujours mais je doute de retourner frapper à la porte d’un temple.
Juste pour infos : 8 frères et sœurs ont également quittés cette loge dans les deux mois après mon départ, y compris la Vénérable….
J’ai dit.
Les citations de Pierre Mac ne relèvent pas beaucoup le niveau de ce travail
La déperditions des Frères sur nos colonnes (multiple enquêtes) est plus du à une perte de spiritualité dans les travaux (planches) qu’à de l’incompétence, qui par ailleurs, se maitrise assez bien en Loge.