ven 20 juin 2025 - 23:06

Y a t-il une philosophie maçonnique ?

Parler de la philosophie maçonnique est sans doute de ma part un pari audacieux car l’opinion dominante parmi les Maçons est qu’il n’existe nulle idéologie en Maçonnerie. A cela je répondrais qu’il est encore plus téméraire de le nier car si on met bout à bout les idées formulées dans le rituel et donc présentées par l’Ordre comme vérités maçonnique à recevoir comme telles, on est bien en présence de thèmes et propositions tout à fait cohérentes.

J’exclus naturellement tout ce qui vient d’ouvrages maçonniques innombrables et de toutes les spéculations auxquelles se livrent les Maçons depuis la nuit des temps. Je ne m’appuierai pour ma démonstration et mes analyses sur ce qui fait partie du Rite écossais et constitue la pensée régulière de notre Ordre. Il existe bien un système qui est proposé à notre réflexion comme découlant de textes constitutionnels et de la trame générale de notre symbolisme..

Dissipons d’abord un malentendu qui pourrait expliquer les divergences d’opinions sur la question. Certes la Franc- Maçonnerie de Rite écossais n’impose pas de système d’interprétation concernant l’ensemble des mythes, légendes et symboles sur lesquels le Rite est construit, même si la Tradition qui constitue en soi un code de décryptage nous impose des grilles de lecture que l’initié ne peut ignorer.

A cet égard nous sommes libres de choisir la vision initiatique et métaphysique que nous pouvons tirer de notre pratique du Rite. Il n’en reste pas moins qu’il va découler des Constitutions et de la Tradition judéo-chrétienne à laquelle nos symboles et légendes font référence un corpus d’idées présentées comme Vérités de l’Ordre et qu’il nous est difficile de mettre en question à moins de nous mettre en contradiction avec l’identité même de notre Maçonnerie et de notre Rite. C’est là que je situe ce que je nommerai la philosophie maçonnique qui certes est très difiérente des métaphysiques totalisantes comme celles des religions ou de certains systèmes rationnels comme ceux de Descartes, Leibniz ou Spinoza.

Puisque nous recherchons la Parole perdue dont nous essayons d’approcher à travers l’infinie multiplicité des symboles et des mythes qui nous en restent et qui en assurent la transmission, nous n’avons pas de dogme à proposer sur des représentations globales du monde et de l’Ordre divin. Mais nous pouvons dégager des Constitutions et des rites un ensemble de principes généraux qui touchent essentiellement à l’éthique et leur servent de fondement, mais aussi à une méthode symbolique de progression de la pensée qui peut constituer une véritable théorie de la Connaissance et du perfectionnement de Soi

Et les principes de l’éthique, non plus d’ailleurs que la méthode symbolique ne peuvent être mis en discussion précisément parce qu’ils sont les fondements premiers de notre Ordre et les sources de son identité.

Philosophie générale des Constitutions

La Franc- Maçonnerie se place d’emblée sous le signe de l’universel en ce sens qu’elle s’adresse à tous les hommes sans aucune distinction ni exclusive.

« La Franc- Maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel et universel fondé sur la Fraternité. Elle constitue une alliance d’hommes libres et de bonnes mœurs, de toutes races, de toutes nationalités et de toutes croyances »

La fraternité dont se réclame d’abord notre Ordre est celle qui unit d’abord tous ses membres et, faut-il le préciser, sans distinction d’obédience, mais elle s’applique aux yeux des Maçons à tous les hommes. Cette vision de la fraternité humaine est d’abord un héritage de la pensée ont une identité de nature et possèdent en propre la raison.

Mais c’est aussi un héritage de la pensée biblique et du christianisme qui a affirmé la dignité universelle de l’être humain en sa qualité de création divine et de descendant d’Adam et d’Eve.

« La Franc-Maçonnerie a pour but le perfectionnement de l’humanité »

Cette finalité du perfectionnement de l’humanité relie également notre Ordre à la pensée humaniste qui a présidé à la fondation de la Maçonnerie au XVIIIe siècle.

La notion de perfectionnement revêt une signification double : d’une part il s’agit d’abord pour le Maçon de perfectionner son être intérieur en résistant à toutes les pulsions de l’ego qui l’attache aux choses sensibles et à l’opinion des autres, en développant sans cesse sa Connaissance initiatique, en travaillant par l’ascèse à la purification de son esprit.

Pour le Maçon, le perfectionnement se mesure au progrès de la maîtrise de sa nature, au degré d’amour incarné dans la pratique des valeurs et des vertus que nous enseignent les rites et symboles de la Maçonnerie comme nous le verrons ultérieurement.

Mais le paragraphe suivant nous montre que le perfectionnement du Maçon ne peut se limiter à son intériorité, car les exigences d’une conscience morale authentique ne peuvent que nous inciter à rechercher non seulement l’amélioration de nos rapports avec nos semblables mais aussi « l’amélioration constante de la condition humaine, tant sur le plan spirituel et intellectuel que sur le plan du bien-être matériel ».

Ce qui veut dire que rien de ce qui touche au sort de l’humanité dans son ensemble ne nous est étranger, que chaque Maçon à la place où il est et avec les moyens dont il dispose, est engagé dans l’aventure humaine et qu’il a pour devoir de contribuer par ses œuvres et son exemple àla réduction des souffrances et des misères humaines, à accroître la justice et la solidarité dans la société, à augmenter le potentiel de l’humanité afin de remédier aux maux qui l’accablent.

Cette obligation de secourir nos semblables est également inscrite dans la Constitution: « Les Francs-Maçons doivent porter secours à toute personne en danger ».Et plus loin: « Ils sont des citoyens éclairés et disciplinés et conforment leur existence aux impératifs de leur conscience » ce qui découle logiquement des principes d’humanité affirmés plus haut.

Dans le même esprit ils sont des artisans de paix, de conciliation « et veulent unir les hommes dans la pratique d’une morale universelle et dans le respect de la personnalité de chacun ».

Rassembler ce qui est épars

Nous touchons ici à l’éthique fondamentale de la Maçonnerie qui se résume dans une formule spécifiquement maçonnique « Rassembler ce qui est épars ». Elle exprime la volonté de réunir dans une fraternité harmonieuse des individus différents par leur pensée et leur existence.

Si la Maçonnerie s’est voulu dès les origines un lieu d’union et de rassemblement, c’est qu’elle a voulu être une communauté d’un type original où seraient exclus tous les clivages nés des différences de condition comme des conflits idéologiques générés parles différences de religion et de conceptions politiques. C’est pourquoi la Maçonnerie se définit d’abord comme un Ordre éthique où seules sont prises en compte la volonté morale, les valeurs et les qualités spirituelles des hommes. Ce qui cimente l’unité de notre Ordre, c’est le respect de l’humain, la volonté de le promouvoir, l’amour de la liberté, de l’égalité et de la fraternité que nous manifestons à chaque Rite d’ouverture et de fermeture de nos Loges.

Nous pensons aussi que les idéaux qui unissent les Maçons ont le pouvoir rapprocher et de relier tous les hommes de bonne volonté. Dans cet esprit nous recherchons dans notre vie profane la meilleure relation, la communication et la solidarité avec les autres.

En Maçonnerie comme dans le monde profane, nous favorisons le consensus et même comme le dit la Constitution « la conciliation des contraires ›› en partant du principe que des hommes inspirés par des valeurs communes peuvent toujours trouver un terrain d’entente et des modalités de compromis. En ce sens le Maçon se doit d’être un pacificateur, un créateur de communauté. Mais comme nous ne sommes pas des utopistes, nous savons que nombreux sont ceux qui préfèrent s’enfermer dans les passions de l’ego, leurs intérêts et des idéologies exclusives plutôt que de rechercher le dialogue et des solutions de paix.

C’est pourquoi nous dénonçons toutes les formes de sectarisme, de dogmatisme et de fanatisme qui signifient l’exclusion de la pensée de l’autre et une volonté de la soumettre à une idéologie qui lui est étrangère.

 Liberté – Égalité – Fraternité

Pour nous la liberté de penser est une caractéristique fondamentale de l’humanisme et la défendre contribue à étendre toujours plus le champ de la fraternité.

Elle est la première liberté du Maçon, inséparable pour nous du respect de la dignité humaine.

Reconnaître cette dignité de la personne, c’est respecter la liberté de sa volonté, de sa pensée, de ses opinions, de ses choix de vie. Ce respect, nous le nommons tolérance et c’est pour nous une vertu maçonnique majeure.

Ce mot n’est peut-être pas approprié car la tolérance peut signifier une acceptation à contrecœur, alors qu’il s’agit pour nous d’une valeur cardinale à défendre en toutes circonstances, d’abord en Loge mais surtout dans le monde profane où elle est toujours menacée par l’ignorance , le fanatisme et le désir de puissance.

Si la liberté de penser est inscrite depuis 1789 dans les Droits de l’homme et du citoyen, si le triptyque « liberté- égalité- fraternité ›› est devenu la devise de la République, la Maçonnerie y est sans doute pour quelque chose. Elle est aussi le principe de base de la démocratie et toutes les formes de la tyrannie commencent par la nier

Elle est aussi au fondement de la laïcité qui en découle car elle implique l’expression plurielle des idéologies et l’exclusion de toute volonté hégémonique de quelque idéologie que ce soit sur la société. La Franc- Maçonnerie a toujours soutenu la laïcité parce qu’elle comporte la condamnation de toute forme de dogmatisme et de totalitarisme, pleinement accordée à ses propres principes.

Evidemment la liberté est aussi à usage interne car elle préside à nos recherches et à nos travaux.

La liberté maçonnique c’est d’abord la recherche illimitée de la vérité métaphysique inscrite dans les rites et les symboles avec l’appui de la Tradition qui oriente l’esprit tout en lui ouvrant des voies multiples d’interprétation.

Illimité signifie d’abord que nous passons outre les interdits religieux concernant la recherche ésotérique en général et l’examen de tout ce qui dans la religion relève du mystère c’est à dire de l’inexplicable pour l’esprit humain.

Car le mystère est précisément le lieu d’élection de l’initiation de Rite écossais puisque nous voulons éclairer les racines initiatiques de la religion et la signification ésotérique des mythes religieux ainsi que celle des cultes à mystères de l`Antiquité.

Mais notre liberté essentielle c’est celle d’interpréter selon notre jugement et notre sensibilité tout le symbolisme et le patrimoine ésotérique légué par la Tradition.

Le principe d’égalité au départ signifie que la Franc-maçonnerie ne prend pas plus en considération le rang social que l’appartenance idéologique. Dans les Loges du XVIIIème siècle pouvaient se rencontrer des aristocrates et des bourgeois,

L’égalité a le même fondement que la fraternité, une commune origine, une commune nature qui comporte chez l’homme l’universalité de la raison d’où procède l’idée de l’égale dignité de chaque être. Cette notion de valeur de toute personne est conçue comme universelle quelle que puissent être les différences entre les aptitudes individuelles, les conditions sociales, les cultures qui les séparent. Sinon l’idée d’égalité en droits fondatrice de nos institutions démocratiques n’auraient pas de sens.

L’égalité en dignité transcende toutes les différences et constitue le principe fondateur de tout humanisme y compris le nôtre. C’est en fonction de cette valeur capitale que s’opèrent les efforts pour réaliser dans l’ordre profane un accroissement de l’égalité des sexes, des conditions sociales, des communautés culturelles, des handicapés.

En Maçonnerie, l’égalité signifie que chaque initié, chaque quêteur de Connaissance et de sagesse a une égale valeur aux yeux de tous, les seules différences étant les mérites dans le dévouement à l’Ordre et le degré d’avancement dans les progrès de l’initiation et de l’évolution spirituelle, aucune différence de degré ou de grade ne mettant en cause l’égalité d’appartenance de tous les Maçons.

Toutefois reconnaissons que le montant de nos capitations ne favorise guère l’intégration de profanes de condition modeste. Nous avons encore des progrès à faire à cet égard.

La Fraternité est sans doute la valeur prépondérante de la Maçonnerie pour les raisons que j’ai esquissées dans l’introduction.

« La Franc-maçonnerie est un Ordre initiatique traditionnel fondé sur la fraternité » énonce la Constitution. Elle est un principe d’union de ceux qui se nomment « Frères » ou « Sœurs » et nomment ainsi les profanes au cours des tenues blanches. Parce que ce principe, au delà de la Maçonnerie nous l`étendons à tous les être humains en raison de la croyance en l’unité humaine que nous héritons des Lumières mais aussi de notre Tradition initiatique qui voit dans l’homme une création divine.

Terme initial de la Constitution, sans cesse réitéré dans tous nos rituels, la fraternité comme la liberté et l’égalité sont des valeurs éthiques transcendantes qui diffèrent complètement de tout ce qui relève de la Connaissance initiatique qui appartient à la sphère de la métaphysique et de l’ésotérisme. C’est dans ce domaine de la Connaissance que la Maçonnerie s’interdit tout discours doctrinal car tout y est discutable dans les cadres fixés par la Tradition.

Liberté Egalite Fraternité
devise France : Liberté Egalite Fraternité

Par contre ce qui relève de l’éthique ne l’est pas. Les valeurs nous sont transmises par le canal du Rite, elles sont donc impératives et non discutables. Vous n’avez jamais assisté à des discussions sur la légitimité des idéaux du triptyque liberté- égalité- fraternité qui définit dès son origine moderne l’identité de la Maçonnerie.

Ainsi la Franc-maçonnerie a fortement contribué à faire pénétrer les valeurs humanistes dans l’ordre politique et à réaliser la conciliation difficile de l’éthique et de la politique qui constitue l’honneur et la grandeur de la démocratie.

Les valeurs que la Maçonnerie nous enseigne sont pour elle des absolus universellement valables c’est à dire applicables à tous les hommes en raison de leur dignité d’hommes, et que nous avons le devoir de partager, d’intérioriser, de transformer en règles de vie personnelles parce qu’elles sont la raison d’être de notre Ordre, ce pourquoi il a été conçu, édifié et répandu.

Il en va de même d’autres valeurs que nous glorifions comme le travail en un temps où tant d’individus, sans parler de certains théoriciens, le déprécient, le rejettent et en méconnaissent la valeur humaine. Tous nos outils notamment l’équerre, le maillet, le ciseau, la règle, le fil à plomb sont là pour nous en rappeler les vertus et le rôle formateur.

Nous, héritiers des constructeurs de cathédrales, fils des travailleurs de la pierre voués à la construction d’édifices sacrés, comment pourrions nous ne pas Voir dans le travail la source de toutes les grandes œuvres, de tous les progrès de l’humanité et le premier ciment de la fraternité. « Ce qui fait la grandeur d’un métier, c’est d’unir les hommes ›› écrivait Saint-Exupéry.

Mais le travail que nous glorifions par dessus tout c’est celui que nous pratiquons en Loge parce qu’il consiste à donner le plus belle forme à sa propre pierre, celle de notre âme et de son esprit. En apparence ce travail n’est pas productif, en fait il est essentiel car en développant notre connaissance initiatique il nous permet d’accéder à des états de conscience qui nous fournissent les clefs de notre existence, nous dotent de nouvelles potentialités et de pouvoirs sur nous-mêmes, améliorent notre rapport aux autres et au monde.

Et ces changements ne peuvent que se traduire par des choix de vie, des orientations de conduite qui peuvent aboutir à des actions et à des œuvres utiles aux autres et susceptibles d’accroître la part du bien dans le monde.

N’est-ce pas le devoir majeur que se propose la Maçonnerie ?

Le Devoir et la Loi

C’est pourquoi, toujours à contre-courant de la société profane, la Franc-maçonnerie ne peut que valoriser la notion de devoir puisqu’il n’est rien d’autre qu’une soumission de l’esprit à des valeurs qui s’imposent à lui comme des forces capables d’inspirer et de guider sa conduite. Le Maçon est un homme de devoir et notre Ordre l’incite constamment à pratiquer les vertus morales: dévouement, courage, esprit de sacrifice, respect des engagements, fidélité, humilité, ouverture et bienveillance envers nos semblables etc. Vous retrouverez tous ces termes dans nos rites parce que le but ultime de l’initiation n’est pas seulement de nous faire pénétrer les mystères de la vie et de la condition humaine, mais de nous inspirer le désir d’œuvrer à l’élévation de notre esprit et de notre être aussi à la promotion de l’humain– ce qui nous ramène aux grandes ambitions énoncées par notre Constitution.

L’amour de ces valeurs qui nous ont conduites dans ce Temple et que nous nous efforçons de pratiquer en essayant de surmonter les obstacles inhérents aux limites de l’humaine nature, constitue une modalité de la foi, de l’adhésion intérieure qui doit peu au savoir mais trouve sa source dans la profondeur du sentiment. Ce que nous nommons souvent le cœur et qui n’est peut-être que le nom de l*esprit. Il est la source de la spiritualité et comme nous avons vu que les valeurs maçonniques ont un caractère impératif, nous traduisons par l’idée et le mot de Loi cette manifestation de la transcendance de ces valeurs. La notion de Loi induit l’obligation de les rechercher et de les aimer.

Elle a pour nous une source biblique où elle est sacralisée mais nous la sacralisons également d’une manière plus rationnelle en prenant la Voûte étoilée, l’image de l’ordre cosmique comme symbole de la Loi morale. Car toute éthique est un principe d’ordre au sein de chaque conscience comme au sein de la société. Comment l’ordre cosmique qui est pour nous la manifestation d’un Ordre invisible pourrait-il ne pas inspirer l’idée de loi inscrite dans le fonctionnement même de l’univers?

Le Grand Architecte de l’Univers

Cette médiation de la Loi et de son symbole cosmique nous conduit logiquement à ce qui constitue la clef de voûte de notre Maçonnerie de Rite écossais : le Grand Architecte, nommé plusieurs fois au cours de la cérémonie d’initiation au 1° degré.

Par l’Equerre, la Loi est comprise par notre jugement mais par le Compas elle nous vient de l’Ordre cosmique qui est aussi le symbole majeur du Grand Architecte. Difficile de ne pas l’évoquer quand on traite de la pensée maçonnique mais comme il s’agit d’un sujet infini, je me limiterai à quelques points fondamentaux.

Le Grand Architecte incarne et symbolise un Ordre de perfection puisqu’il est posé comme Créateur de l’Ordre cosmique.

La finalité inaccessible à laquelle tend l’initié c’est une Connaissance et une intelligence de cet Ordre de perfection auquel il se doit de participer mais c’est surtout une perfection intérieure que nous appelons Maîtrise, Sagesse, Force et Beauté. En invoquant le Grand Architecte, nous posons l’existence d’un principe de transcendance, d’un symbole de perfection dont par ailleurs nous ignorons la nature.

3 Piliers
3 Piliers – Sagesse Force et Beauté

Notre ordre a adopté une position déiste, ce qui veut dire que nous croyons à la réalité d’une Raison cosmique, d’un Esprit supérieur à l’œuvre dans le monde, mais nous ne savons rien de plus et notre Rite exclut toute considération d’ordre théologique.

La Perfection de l’ordre cosmique et l’existence d’une loi naturelle présupposent une Raison et une puissance créatrices. Rien de ce que nous avançons ne contredit les données de la science qui en raison de ses méthodes spécifiques ne peut tirer de ses découvertes aucune conclusion d’ordre métaphysique.

En même temps nous demeurons en accord avec la tradition judéo-chrétienne en affirmant l’existence d’une Raison créatrice dans l’univers et en lui attribuant l’instauration d’une Loi morale, ce qui ne nous empêche pas de rester proches de la pensée voltairienne qui affirmait que toutes les religions s’accordent sur deux points fondamentaux: la croyance en une ou plusieurs divinités créatrices, la formulation d’une Loi morale émanant d’une volonté divine.

La Maçonnerie ne va pas au delà du déisme voltairien qui n’exclut en rien l’adhésion à des croyances religieuses plus élaborées à la condition expresse qu’au sein de la Maçonnerie elles soient respectueuses des convictions des autres Frères et des principes majeurs du Rite écossais. A l’instar des idées de Voltaire, le déisme demeure éloigné des religions constituées ce qui explique les positions souvent hostiles au cours de l’histoire de l’Eglise catholique à notre égard.

J’évoquerai maintenant une question encore plus délicate. 0n sait que depuis longtemps l’idée du Grand architecte constitue un point de désaccord avec nos Frères de rite français moderne qui l’ont exclu considérant que l’idée d’un Principe créateur est étranger à la raison et que la Loi morale n’est qu’un produit des cultures humaines.

A première vue l’idée peut sembler cohérente. Elle soulève pourtant beaucoup de problèmes et d’objections. Je ne peux que répéter ici ce que j’ai déclaré plusieurs fois à des philosophes du GO avec lesquels j’entretiens des relations fraternelles : « Si on élimine la possibilité d’un monde invisible et l’existence d’une puissance créatrice, il y a dans l’histoire du monde quatre phénomènes qui demeurent des mystères intégraux: c’est la naissance du cosmos et de l’univers matériel, l’apparition de la vie, la progression de l’évolution vers des animaux de plus en plus complexes et autonomes et par dessus tout la naissance de l’homme porteur de raison, de spiritualité et de créativité»

Il est difficile de comprendre que la chaîne de l’évolution ait produit un animal possesseur d’une puissante rationalité qui le dote d’un immense pouvoir de connaissance, un être pensant capable de se poser des questions métaphysiques, de concevoir et de créer des valeurs éthiques et esthétiques si aucune raison, aucun esprit n’est intervenu dans cette genèse.

L’esprit peut-il naître d’une organisation perfectionnée de la matière ?

Certes, ce sont là des problèmes métaphysiques dont je ne méconnais pas la difficulté à l’heure où une science matérialiste travaille à expliquer entièrement l’homme par une somme de facteurs biologiques et neurologiques mais je pense que la position déiste de notre Ordre augmente l’intelligibilité du monde et me semble à cet égard plus rationnelle qu’un matérialisme brut où les phénomènes de la vie et la nature de l’homme seraient le fruit d’un matérialisme brut où les phénomènes de la vie et la nature de l’homme seraient le fruit d’une série de hasards miraculeux d’autant que nous sommes en présence d’une physique de moins en moins déterministe. Contrairement à ce que prétendent les matérialistes des découvertes comme les gènes et la génétique ou la physique quantique et donc un certain jeu à l’intérieur de la structure atomique, n’affaiblissent pas mais au contraire renforcent la probabilité d’une Raison organisatrice.

En conclusion je dirai que le Grand Architecte que nous glorifions est une idée à la fois rationnelle, mesurée, dépourvue de dogmatisme et largement ouverte à toutes le définitions que chacun d’entre nous est libre de lui donner.

La Méthode symbolique

Il n`est pas possible de clôturer ce tour d’horizon sur la pensée maçonnique sans faire référence à notre méthode de recherche qui fait partie intégrante de notre représentation du monde. Elle constitue l’équivalent de ce qu’on nomme dans les philosophies profanes une théorie de la connaissance. Elle est fondée sur le choix d’un langage approprié pour sonder un champ de réalité qui échappe à une appréhension par les sens et l’expérience sensible, celui de notre vie intérieure et celui du monde supra sensible, celui des grands mystères de l’existence.

Elle permet à l’esprit d’en pénétrer parfois le sens par la voie de l’imaginaire, de l’intuition et de la sensibilité. Une voie d’ouverture qui laisse à chacun une grande liberté d’interprétation à la différence du langage conceptuel beaucoup plus rigide et directif.

Le langage symbolique a ce pouvoir d’exprimer la profondeur et la vérité de l’âme humaine dans son universalité, c’est à dire ce qui chez l’homme transcende les différences culturelles et se retrouve dans tous les temps et toutes les civilisations.

De plus le symbole est pour nous porteur d’une vérité métaphysique car il peut nous relier aux plus profonds mystères de l’ordre cosmique, de l’existence humaine, de la vie, de la mort et de la renaissance dans cet espace supraterrestre que nous nommons « l’Orient éternel ».

Le symbole et le mythe sont la clef de la recherche initiatique parce que nous pensons qu’ils ne sont pas, comme l’ont cru et le croient encore des rationalistes enfermés dans le scientisme, que des images et des récits poétiques, mais qu’ils nous voilent et dévoilent en même temps les réalités du monde invisible. Ils véhiculent une science ésotérique qui nous en ouvre les portes.

Elle n’est pas l’irrationnel sinon par rapport au rationalisme clos du positivisme mais la découverte à l’aide des lumières de l’esprit et de la raison de la Raison suprême qui préside à l’ordre cosmique et trouve son répondant et son reflet dans la conscience, la pensée et les œuvres de l’humanité.

Contrairement aux idées qui peuvent diviser et nourrir des polémiques, le symbole est un grand unificateur parce que dans les limites de ce qui nous est révélé par le Rite et la Tradition, il est polysémique, porte des sens d’une diversité et d’une richesse inépuisable et que les différences qu”il suggère ne sont pas de l’ordre de la contradiction mais de la complémentarité.

C’est pourquoi il favorise par excellence le pluralisme de la pensée et l’enrichissement spirituel de chaque Maçon par le partage des visions et des perspectives.

La méthode symbolique est une perpétuelle interrogation sur le sens des symboles, des légendes et des rites, il est au principe de notre tolérance et un facteur capital de l’harmonie des conceptions initiatiques au sein de notre Ordre.

Notre méthode découle des finalités spirituelles de notre initiation et des voies que nous sont tracées.

3 Commentaires

  1. Didactique, plaisant à lire et source de réflexions nombreuses. Des mots sont mis sur des concepts quelquefois délicats à exprimer simplement et de manière compréhensible. Un texte qui peut servir de base à alimenter des discussions passionnantes sur les sujets fondamentaux qui sont évoqués.

  2. Tout au long de ce trop long texte, Christian Belloc ne fait jamais référence à des auteurs maçonniques reconnus, à des sources historiques précises voire à des débats internes aux Obédiences, tant en France qu’à l’étanger.
    Il ne cite ni Oswald Wirth, ni René Guénon, ni Paul Naudon, ni Pierre Mollier, ni Roger Dachez ni aucun penseur maçonnique contemporain.
    C’est là un indice bien révélateur. Cette pensée s’auto-fonde.
    Or, une philosophie qui ne se confronte pas à d’autres pensées, qui ne cite aucun Frère, aucune Loge, aucun vécu initiatique autre que le sien… est une pensée solitaire, sinon solipsiste.
    Elle relève moins d’un travail d’Atelier que d’une déclaration d’autorité – une posture problématique pour quiconque se revendique d’un Ordre initiatique…

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

Articles en relation avec ce sujet

Titre du document

DERNIERS ARTICLES