dim 16 mars 2025 - 03:03

Félix Natali, Grand Maître de la GLMF : « Notre commune humanité passe par la mixité sociale »

De notre confrère guadeloupe.franceantilles.fr – PPar Yvor J. Lapinard, publié le 10 mars 2025 sur France-Antilles Guadeloupe

En ce début mars 2025, la Guadeloupe accueille une figure inattendue : Félix Natali, 49 ans, originaire d’Ajaccio en Corse, et depuis 2024 Grand Maître de la Grande Loge Mixte de France (GLMF). De passage dans l’archipel pour la première fois, ce franc-maçon passionné a accordé une interview exclusive à France-Antilles, lors d’une visite aux loges locales à Pointe-à-Pitre.

Entre son attachement à une maçonnerie ouverte et son plaidoyer pour une plus grande mixité sociale, Natali dévoile une vision humaniste et ambitieuse pour une institution souvent perçue comme mystérieuse. Rencontre avec un homme qui veut faire tomber les murs – ceux des loges comme ceux de la société.

Un Corse à la tête d’une Obédience mixte

Félix Natali n’est pas un inconnu dans les cercles maçonniques. Né à Ajaccio, ville baignée par le soleil méditerranéen et imprégnée d’une histoire de résistance, il porte en lui l’héritage d’une Corse fière et indépendante. Initié dans les années 2000 au sein de la GLMF – une obédience fondée en 1982, célèbre pour sa mixité hommes-femmes et son progressisme –, il gravit les échelons avec une détermination discrète mais implacable. Élu Grand Maître en 2024 à l’âge de 49 ans, il succède à une lignée de leaders qui ont fait de cette loge un bastion de la diversité et de la modernité dans le paysage maçonnique français.

Son parcours, bien que peu détaillé dans les archives publiques, reflète une vie riche : un diplôme en sciences humaines, une carrière dans l’enseignement, et un engagement de longue date dans les associations corses pour la préservation de la culture insulaire. « J’ai toujours cru que rassembler les gens, c’est leur donner une chance de se comprendre », confie-t-il, assis dans une salle lumineuse de la Maison des Associations de Pointe-à-Pitre, où il a rencontré les frères et sœurs guadeloupéens le 8 mars. Ce voyage aux Antilles, son premier en tant que Grand Maître, marque une étape dans sa mission : tisser des liens avec les loges ultramarines et porter haut les valeurs de la GLMF.

Une élection, un défi, une ambition

Félix Natali (Photo Pierre-Dominique Natali)

Interrogé sur ce que représente son élection à la tête de la GLMF, Félix Natali ne cache pas l’ampleur de la tâche : « Cela représente à la fois du travail et la possibilité de mettre en pratique des idées permettant de rassembler des gens d’horizons divers. » Pour lui, être Grand Maître n’est pas une simple distinction honorifique ; c’est une opportunité de transformer une institution parfois vue comme élitiste en un vecteur d’unité et d’humanité. « Véhiculer dans la société des valeurs fortes, chères aux francs-maçons, c’est notre mission », ajoute-t-il, les yeux pétillants d’une conviction sincère.

Ces valeurs – liberté, égalité, fraternité, tolérance – ne sont pas nouvelles. Elles puisent leurs racines dans les Lumières et dans l’histoire tumultueuse de la franc-maçonnerie, née en 1717 à Londres et implantée en France dès le XVIIIe siècle. Mais Natali déplore leur faible rayonnement hors des loges : « Le travail est là, mais les idées ne sont pas assez répandues. Pourtant, elles renvoient à de belles valeurs humaines. » À une époque marquée par la polarisation sociale et les crises – économiques en Guadeloupe, climatiques aux Antilles, politiques en métropole –, il voit dans la maçonnerie un rempart contre la division, un espace où l’on peut encore « construire ensemble » (Dickie, 2021, pp. 234-250).

La Guadeloupe : une terre de rencontres

Son passage en Guadeloupe n’est pas anodin. « La franc-maçonnerie permet de rencontrer des gens que nous n’aurions jamais rencontrés. Ces rencontres sont très enrichissantes », explique-t-il avec un sourire. Avant ce voyage, Natali avait déjà tissé des liens avec des maçons ultramarins à Paris et Marseille, notamment lors des grandes tenues nationales de la GLMF. Mais, comme il le souligne, « je les avais vus chez moi, jamais chez eux. Il est important pour moi de les rencontrer sur leur territoire. »

Les Antilles, et la Guadeloupe en particulier, représentent une première étape dans un périple ambitieux : visiter toutes les loges de la GLMF, des métropoles hexagonales aux confins ultramarins. « Les Antilles, c’est une première pour moi », confesse-t-il, visiblement ému par l’accueil chaleureux des frères et sœurs guadeloupéens. « Il est important de montrer que la GLMF est présente partout en France. Je compte voir toutes mes loges. L’affection est égale. Il s’agit de manifester toute l’affection de la GLMF. » Ce message d’unité résonne dans un archipel où la franc-maçonnerie, introduite dès le XVIIIe siècle par les colons et les libres de couleur, a pris des couleurs locales uniques, mêlant rites européens et influences créoles (Pöhlmann, 2017, pp. 145-162).

La Guadeloupe, avec ses 400 000 habitants et son histoire de métissage, incarne pour Natali un terrain fertile pour son projet. Les loges locales, bien que discrètes, comptent des membres issus de tous horizons – enseignants, artisans, fonctionnaires, agriculteurs – reflétant une diversité que le Grand Maître veut amplifier. « Ici, je découvre une maçonnerie vivante, ancrée dans une culture riche et complexe », note-t-il, saluant au passage des initiatives comme les conférences publiques organisées par la loge L’Étoile des Antilles sur des thèmes comme la justice sociale et l’écologie.

La mixité sociale : une révolution en marche

SISYPHE une revue de la Grande Loge Mixte de France
SISYPHE une revue de la Grande Loge Mixte de France

Mais le cœur de son discours, c’est la mixité sociale. Dans une société française où les inégalités se creusent – 41 % des Guadeloupéens vivent sous le seuil de pauvreté selon l’IEDOM (2024) –, Natali veut ouvrir grand les portes des loges. « La franc-maçonnerie ne doit pas être un club fermé pour une élite. Elle doit refléter la diversité de nos territoires », insiste-t-il. Historiquement, les loges ont souvent été des refuges pour les bourgeois éclairés ou les notables – en Guadeloupe, elles ont compté des planteurs, des avocats, mais aussi des figures abolitionnistes comme Louis Delgrès. Aujourd’hui, Natali rêve d’y voir des ouvriers, des jeunes des quartiers populaires, des femmes de toutes origines.

Ce plaidoyer n’est pas qu’une utopie. La GLMF, avec sa tradition de mixité hommes-femmes, a déjà une longueur d’avance. Mais Natali veut aller plus loin : « Pourquoi pas des bourses pour les cotisations ? Des rencontres hors des temples, dans les marchés ou les écoles ? » Ces idées, encore en germe, pourraient transformer la GLMF en un acteur social plus visible, loin de l’image de « société secrète » qui lui colle à la peau.

Une vision humaniste pour un monde fracturé

Au fil de l’interview, une idée revient comme un leitmotiv : l’humanité partagée. « Notre commune humanité, c’est ce qui nous lie au-delà des différences de classe, de couleur, de croyance », affirme-t-il, faisant écho aux idéaux maçonniques de fraternité universelle. En Guadeloupe, où les tensions entre générations, entre « ceux qui partent » pour la métropole et « ceux qui restent », restent palpables, ce message trouve un écho particulier. « La maçonnerie peut être un pont, un lieu où l’on apprend à écouter et à comprendre », ajoute-t-il, citant en exemple une récente rencontre avec un frère guadeloupéen, ancien marin, dont les récits l’ont bouleversé.

Cette vision n’est pas sans rappeler celle d’autres figures maçonniques, comme Alain Pozarnik, ancien Grand Maître de la Grande Loge de France, qui prônait une initiation au service de l’évolution humaine (Pozarnik, 2010, pp. 89-104). Mais Natali y ajoute une touche personnelle : une simplicité corse, un pragmatisme insulaire, et une foi inébranlable dans le pouvoir des rencontres. « Je ne suis pas là pour imposer, mais pour proposer », dit-il modestement, avant de rire : « Et puis, entre la chjama corsa et le gwoka guadeloupéen, on a de quoi chanter ensemble ! »

Une étape dans un périple fraternel

Ce séjour guadeloupéen n’est qu’un début. Félix Natali prévoit de visiter les loges de Martinique, de Guyane et de La Réunion dans les mois à venir. De quoi rapporter de bonnes nouvelles pour le prochain convent de la GLMF en juin 2025. « Chaque territoire a sa richesse, sa voix. Mon rôle, c’est de les entendre toutes », confie-t-il, un carnet de notes à la main, où il griffonne déjà ses impressions sur l’archipel.

En quittant Pointe-à-Pitre, il laisse derrière lui un message d’espoir et une promesse : celle d’une franc-maçonnerie plus ouverte, plus diverse, plus humaine. « Très loin de la France métropolitaine ou au cœur de nos villes, la GLMF doit être partout où bat le cœur de l’humanité », conclut-il, avant de saluer ses hôtes d’un geste fraternel. Dans une Guadeloupe en quête de repères, ses mots pourraient bien semer les graines d’un renouveau – maçonnique, mais aussi citoyen.

2 Commentaires

  1. Le commentaire de JB-J est d’un réalisme implacable
    Je préfère par l’exemple allez porter à extérieur ce pour quoi nous nous engageons en maçonnerie plutôt que des discours et des voyages
    JB TG

  2. Les coûts pharaoniques des mastodontes administratifs que sont les grandes obédiences, et les montants astronomiques engendrés par les évènements pompeux, nécessitent des fonds conséquents qui impactent grandement les montants des capitations… qui est la cause principale de la non “mixité sociale”… CQFD
    À cela nous pouvons ajouter le fait qu’une personne ayant le frigo vide a comme priorité de le remplir, pas de débattre sur du spirituel.
    Ce débat est d’une hypocrisie royale…

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Erwan Le Bihan
Erwan Le Bihan
Né à Quimper, Erwan Le Bihan, louveteau, a reçu la lumière à l’âge de 18 ans. Il maçonne au Rite Français selon le Régulateur du Maçon « 1801 ». Féru d’histoire, il s’intéresse notamment à l’étude des symboles et des rituels maçonniques.

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