dim 09 février 2025 - 14:02

L’énigme des Maîtres -3- Newton par ci, par là

(Lire le précédent épisode ici)

Newton par ci, par là

Par de savants détours, pour éviter les célèbres embouteillages de Londres, le chauffeur parvint rapidement à la destination.

– Je vous attendrai ici après votre visite, dit Lord Archibald.

Impatient de se trouver devant ce fameux tableau de Newton, Alexander ne remarqua pas que ce message lui était adressé.

Sur le perron de la National Portrait Gallery, le Conservateur qui les attendait les reçut avec le protocole de sa fonction qui, pour être strict, n’en était pas moins chaleureux. Il les invita à le suivre dans la salle où se trouvait l’œuvre qui donnait des inquiétudes sécuritaires.

– Nous y voilà ! se dit Alexander.

Quelle ne fut sa surprise de ne pas se trouver devant l’œuvre de James Thornhill qu’il avait identifiée mais devant celle du peintre allemand Godfrey Kneller. Newton y apparaît blondinet à 47 ans, une coupe de cheveux à la mode des sixties lui donnant cet air des jeunes de la contre-culture de ces années-là.

– Newton fait hippie et en plus il a un petit air féminin, se moqua-t-il, un peu déçu dans son attente.

Pendant que le conservateur et Guido s’affairaient à faire le point sur les systèmes de détection rapprochés, Alexander prit le soin d’analyser la pâte du célèbre portraitiste allemand. En s’approchant suffisamment il s’attarda sur la forme, la technique et les couleurs. Puis il prit un peu de recul pour saisir la composition et la mise en lumière de la scène. Et puis, il les vit, bien en évidence avec la main claire, au premier plan, posée en contraste sur l’habit noir drapé : le majeur et l’annulaire bizarrement accolés.

Alors qu’il veut immédiatement mentionner cette coïncidence particulière à Guido, celui-ci, comprenant son appel à sa main levée, lui fait un infime signe de tête lui intimant le silence d’un air inhabituellement sérieux.

Retranché dans ce silence, Alexander se souvint alors du portrait, également peint par Kneller, de l’amiral Georges Churchill en manteau de velours rouge prune foncé aux boutons et boutonnières brodés d’or, portant une perruque marron foncé. Sa main droite repose sur un bâton et sa gauche, sur sa hanche, a la pose du signe.

– Est-ce Newton ou le peintre qui avait choisi la pose ? pensa Alexander, les sourcils froncés. Faut-il voir la production de l’œuvre dans un double sens : ce qui s’élabore (ou se crée) d’une part et, d’autre part, ce qui se manifeste et prend sens à travers cette création par celui qui la regarde.

– Il faut absolument que je voie l’autre toile de Newton pour en avoir le cœur net, pensa-t-il et, se tournant vers l’aimable conservateur, il osa demander cette fois-ci, n’acceptant pas d’être venu ici sans trouver le tableau de la photo :

– La National Gallery ne possède-t-elle pas un autre portrait de Newton, celui peint par James Thornhill ?

– Cher Monsieur, cette œuvre plus tardive est au Trinity College, à Cambridge. Peut-être pourriez-vous vous y rendre pendant que je m’entretiens de sécurité confidentielle avec Monsieur Lhermitt ?

Guido, se rapproche d’Alexander et lui murmure que Lord Winston l’attendait justement pour l’y conduire.

–  On se retrouve ce soir Alex, nous avons plusieurs sujets à aborder ici.

Ne s’étonnant de rien, Alexander rejoignit le comte qui savait déjà, sans une parole échangée, où il devait l’amener.

Le silence de Lord Winston revêtait une forme de noble dignité, il n’était ni pesant, ni désobligeant. Alexander choisit de ne pas abîmer ce moment d’élégance par des bavardages mondains en se recueillant sur les nuages qui se délitaient comme des fibres de coton, laissant percer quelques délicieux rais de lumière. Le contraste de ces lignes dorées sur ce camaïeu de gris chaud, épousant les collines anglaises, était remarquable.

Chapelle du Trinity College

Archibald emmena Alexander jusque devant la porte de la chapelle du Trinity College.

– C’est là que vous trouverez ce que vous cherchez. Prenez votre temps, Je vous attends ici.

 Prêtant peu d’attention aux contreforts et aux flèches caractéristiques du style gothique de l’édifice, l’homme pressé y entre d’un pas vif. La lumière filtre à travers les magnifiques vitraux, créant un jeu de couleurs qui danse sur les murs en pierre. Là, il prend un moment pour apprécier l’ensemble, sachant que quelque part ici se trouve le portrait recherché.

Il ne s’attarde guère devant les tombeaux et les monuments commémoratifs, tout en demandant discrètement à d’autres visiteurs s’ils connaissent l’emplacement du portrait de Newton.

Finalement, Alexander remarque une petite plaque près d’une porte latérale qui indique une section spéciale dédiée aux œuvres d’art. Animé par l’excitation, il emprunte le passage indiqué, descendant quelques marches jusqu’à une salle adjacente à la chapelle. Cette salle, un espace plus intime, abrite une collection d’œuvres d’art.

Au pied de l’escalier, la première chose qu’il vit fut un portrait en pied de Newton mais peint par Thomas Murray. À l’évidence, sa main droite avec le signe, s’appuyant sur la hanche, attirait le regard par la clarté de la peinture tout autant que son visage qui se détachaient sur les tons sombres de son habit.

– Quoi, 75 ans et une allure aussi jeune ! Inutile d’avoir ce regard narquois Sir Newton. Je te cherche et te trouverai tel que Thornill t’a vu, sans ta perruque, à 67 ans, quoi qu’apparaissant plus âgé.

Alexander se détourna, boudant comme un gamin qui n’aurait pas reçu le cadeau qu’il attendait. Avant de remonter les escaliers trop déçu qu’il était de cette ironie, il jeta un regard alentour.

Il était là le portrait, un peu plus loin. L’artiste avait souligné d’une même lumière le front de Sir Isaac et sa main gauche aux médius et l’annulaire serrés, posée sur sa poitrine, ce qui en faisait une accroche indéniable du regard. Cette main aux doigts fins était le centre du tableau, son point focal.

– Nous voici donc avec un triangle mystérieux, trois peintres différents et un même sujet, et la même main. Et maintenant ?

Alexander attendait un signe de l’œuvre pour comprendre et s’adressa à lui.

– Allez Isaac, parle-moi.

Le commentaire d’une étiquette sur le côté du cadre attira son attention : James Thornill FRS, peintre de la Cour et membre de la Royal Society. Auteur de la fresque du dôme de la cathédrale Saint-Paul de Londres pour l’architecte Sir Christopher Wren FRS. Don de Richard Bentley.

Il semblait bien que les liens qui unissaient Isaac Newton, Christopher Wren, Godfrey Kneller et James Thornill ne se cantonnaient pas qu’à la Royal Society.

Newton, connu pour ses lois de la physique, dissimulait une toute autre dimension de sa pensée. Ses équations secrètes n’étaient pas simplement des formules mathématiques, mais des représentations codées de la nature fondamentale de la réalité.

Alexander pensa que Newton utilisait les doigts joints comme une métaphore pour l’unité des forces opposées de l’univers. Les équations transcendaient les lois de la physique classique pour décrire une réalité plus profonde, une interconnexion mystique entre la matière et l’énergie. Chaque équation était une pièce d’un puzzle métaphysique, reliant les principes de la nature à une compréhension supérieure.

– Il faut que je rejoigne Guido ! Lâcha-t-il à haute voix en s’adressant à Newton. Il y a peut-être plus d’un tableau mais une liste des cibles potentielles…

Sans plus s’attarder, il quitta la chapelle et retrouva Lord Winston à l’extérieur.

– Merci de m’avoir attendu. Nous devons absolument rejoindre Guido au plus vite.

Après quelques minutes, alors que la voiture avançait tranquillement dans le flot du trafic, Lord Archibald choisit de rompre le silence.

–  Guido m’avait informé de votre sagacité. Et je devine par votre enthousiasme et votre empressement que vous l’avez vu…

– C’est-à-dire ? Puis comprenant rapidement l’allusion, il reprend.

– Voulez-vous dire que vous le saviez déjà ? Vous saviez pour les doigts joints ?

–  Oui ce signe m’est connu. Comme vous avez la confiance de Guido, et sur son insistance dans la conversation que j’ai eue avec lui pendant votre voyage, je dois maintenant vous expliquer votre présence ici. Nous avons des projets pour vous.

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Solange Sudarskis
Solange Sudarskis
Maître de conférences honoraire, chevalier des Palmes académiques. Initiée au Droit Humain en 1977. Auteur de plusieurs livres maçonniques dont le "Dictionnaire vagabond de la pensée maçonnique", prix littéraire de l'Institut Maçonnique de France 2017, catégorie « Essais et Symbolisme ».

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