mar 03 décembre 2024 - 09:12

La carte postale ancienne (CPA) maçonnique du dimanche 25 août 2024

Cette CPA intitulée « Un repêchage laborieux » par Achille Lemot est une illustration satirique imprégnée d’un discours profondément critique et cynique à l’égard de la politique française du début du XXe siècle, particulièrement en ce qui concerne l’art royal.

Pour une avant-dernière fois, nous allons chercher à décortiquer les multiples couches de signification de cette image en s’appuyant sur les éléments visuels, textuels et contextuels.

« Un repêchage laborieux »

L’image, manifestement une caricature, est une critique acerbe des luttes de pouvoir au sein des institutions politiques françaises. Le titre « Un repêchage laborieux » suggère d’emblée une difficulté extrême, voire une lutte désespérée, pour se maintenir ou accéder à une position de pouvoir. Cette notion de repêchage évoque un sauvetage in extremis, ce qui en soi, pose un regard ironique sur la situation politique dépeinte.

Les personnages représentés

Ils sont vraisemblablement des figures politiques de l’époque, aux prises avec les méandres du pouvoir. Au sommet de l’illustration, le mot « Présidence » et la sonnette associée symbolisent l’apogée de la hiérarchie politique, une position que tout le monde semble vouloir atteindre ou conserver (Tiens, tiens… déjà ! Même en franc-maçonnerie, nous en connaissons un autre qui s’accroche ! Ou bien, veut-il désigner à l’avance sa marionnette pour continuer à tirer les ficelles ?!).

La scène principale, où un homme, visiblement âgé et affaibli, est repêché par deux autres hommes à l’aide de crocs, est particulièrement éloquente. Le visage de l’homme, ses vêtements humides et sa posture vulnérable accentuent l’idée d’un individu exténué, à bout de forces, qui n’arrive à se maintenir qu’avec l’aide d’autres personnes, symbolisant peut-être les alliances et les manipulations nécessaires pour rester au sommet dans un système corrompu.

Le personnage central vêtu d’un tablier maçonnique

Le personnage qui tient une pancarte indiquant « 2 VOIX » renforce l’idée de la précarité de la position de l’homme, suggérant qu’il s’accroche au pouvoir avec une majorité fragile. Cette idée est encore soulignée par l’inscription « URNE » sur le pot en dessous, rappelant la fragilité de la démocratie et les manipulations électorales qui peuvent l’accompagner. Le jeu de mots avec « URNE » renvoie aussi à l’idée de mort et de destruction politique.

Détaillons…

L’image centrée sur l’homme âgé suspendu par des crocs offre une richesse de détails symboliques qui méritent une attention particulière. Ce personnage, manifestement dans une posture de grande faiblesse, est une représentation caricaturale de l’instabilité et de la précarité du pouvoir politique.

L’homme, vêtu d’un habit vert et d’une chemise rouge, tient dans sa main droite un carton sur lequel est inscrit « 2 VOIX ». Ce détail est essentiel car il renvoie à une notion de fragilité politique. Obtenir seulement deux voix dans une élection, particulièrement au sein d’une assemblée législative ou d’un comité, souligne une position incroyablement instable et une légitimité presque inexistante. Cette mention critique implicitement les élections ou les nominations truquées où des figures politiques sont maintenues en place malgré une faible approbation, ce qui reflète une certaine dérision envers la démocratie représentative.

L’expression du personnage, avec son visage ridé et fatigué, ses cheveux clairsemés et son regard abattu, renforce l’idée de décrépitude et d’épuisement, non seulement physique mais aussi moral. Il est probable que ce personnage soit une représentation d’un politicien âgé qui s’accroche désespérément au pouvoir, malgré sa déconnexion apparente avec le soutien populaire.

La bouée (de sauvetage ?) qu’il tient de sa main gauche semble marquée « L A G », pourrait probablement faire référence à la franc-maçonnerie, un thème récurrent dans la critique politique de l’époque. « L A G » pourrait être une abréviation, possiblement pour « Loge Anti-Gouvernementale », ou une autre entité fictive utilisée pour symboliser les forces occultes ou secrètes qui tirent les ficelles derrière les scènes politiques…

En vérité, il semble inscrit la mention « La Gaité »

Le fait que cette bouée, de couleur jaune tout comme le tablier, porte cette inscription ajoute une dimension supplémentaire à la satire. Signifiant joie ou encore allégresse, cela contraste fortement avec l’expression abattue et la posture désespérée du personnage. Ce contraste ironique souligne encore plus l’absurdité de la situation : le personnage, clairement en difficulté, semble s’accrocher à un dernier vestige de bonne humeur ou de positivité, représenté par cette bouée.

Dans ce contexte, « La Gaité » pourrait être interprétée comme une sorte de façade ou de masque que ce personnage politique tente de maintenir, malgré la gravité de sa situation. La bouée, normalement un symbole de secours et de survie, devient ici une représentation du fait que ce personnage s’accroche à une forme superficielle de bien-être ou d’optimisme, tandis que tout dans son attitude et la situation décrite dans l’image indique le contraire.

Le fait que la bouée ne soit pas ceinturée autour de son corps, mais qu’elle ne semble pas l’aider réellement à rester à flot, renforce l’idée que cette gaité est illusoire. C’est une allusion amère à la manière dont les politiciens peuvent essayer de maintenir une image publique positive ou joyeuse même lorsqu’ils sont en difficulté, soulignant le décalage entre l’image publique et la réalité.

Le tablier maçonnique, symbole de travail et de pureté

Il est ici visible sur l’homme âgé. C’est un élément central de la caricature qui revêt ainsi une importance symbolique considérable dans la lecture de cette image. Le tablier jaune (cette couleur reprise sous le terme « canari » est utilisé pour désigner les dignitaires du Grand Orient de France), vêture maçonnique emblématique, est ici dépeint de manière à accentuer les critiques de l’époque à l’égard des francs-maçons, souvent perçus comme une force occulte et influente dans la politique française.

Ce tablier est marqué par des symboles et des inscriptions qui, dans ce contexte satirique, pourraient être destinés à ridiculiser ou à dénoncer les prétentions morales des francs-maçons. Le fait que le personnage soit représenté avec un tablier, mais dans une posture humiliante et dépendante, souligne l’idée que l’influence maçonnique est perçue ici non pas comme une force noble, mais comme une nécessité pour ceux qui n’ont pas d’autre moyen de s’accrocher au pouvoir, tient encore…).

La franc-maçonnerie, souvent la cible de théories du complot et de critiques virulentes, est ici dépeinte comme un soutien indispensable mais aussi illégitime pour se maintenir au pouvoir

Les deux crocs qui tiennent l’homme par le col, actionnés par des mains anonymes, symbolisent l’intervention de forces extérieures dans le maintien de sa position. Ces forces peuvent représenter les manipulations politiques, les alliances secrètes, ou encore l’appui de groupes d’influence, tels que les loges maçonniques. Ces crocs, outils habituellement utilisés pour soulever des poids lourds, soulignent le caractère artificiel de son maintien au pouvoir, un fardeau qu’il ne peut porter seul.

L’inscription « URNE » en dessous de lui, vers laquelle il semble être suspendu, ajoute une dimension cynique à la scène. En politique, l’urne symbolise la démocratie et le processus électoral, mais ici, elle semble plutôt représenter une sorte de fosse ou de piège dans lequel il est sur le point de tomber. L’humidité visible sur ses vêtements, avec des gouttes qui tombent, peut être interprétée comme une allusion à sa sueur, symbole de la peur ou de l’anxiété, ou encore à une immersion dans une situation désespérée.

Enfin, les ombres dans l’arrière-plan renforcent le caractère sinistre et manipulateur de la scène. Elles suggèrent la présence invisible de personnages ou d’entités qui tirent les ficelles dans l’ombre, renforçant le sentiment de complot et de manipulation.

L’homme dans la partie inférieure de l’image

Il est en train de ramper ou de tomber, est peut-être une allusion à ceux qui échouent dans cette lutte acharnée pour le pouvoir. Le palmier et la cloche associée à la vice-présidence illustrent peut-être un poste moins prestigieux, mais néanmoins convoité. La difficulté apparente de l’individu pour s’accrocher à ce palmier souligne le caractère chaotique et aléatoire des carrières politiques.

L’élection du bureau de la Chambre

L’inscription en bas de l’image, où l’on parle de « l’élection du bureau de la Chambre » et de « M. Jaurès battu par le député des nègres de la Guadeloupe », révèle un discours raciste et méprisant, typique des préjugés coloniaux de l’époque. La référence à « l’abbé Delsor » et son expulsion de France par M. Combes en raison de son statut d’« Alsacien » souligne également les tensions régionales et religieuses. L’accumulation de stéréotypes et de clichés dans cette caricature reflète une société française profondément divisée, où le racisme, l’anticléricalisme, et les discriminations régionales alimentent les discours politiques.

Cette carte postale n’est pas seulement une illustration humoristique ; elle est un document historique révélateur des courants de pensée de l’époque, illustrant les tensions sociales, politiques, et religieuses qui traversaient la France. Elle met en lumière la lutte féroce pour le pouvoir au sein d’une élite politique décrite comme corrompue, manipulatrice, et sans scrupules, tout en exacerbant les préjugés et les discriminations qui imprégnaient la société française au début du XXe siècle. Le travail d’Achille Lemot ici n’est pas seulement de faire sourire, mais aussi de dénoncer, avec un cynisme mordant, la réalité politique de son temps.

Pour (re)découvrir Achille Lemot, auteur de cette CPA, relisez notre article du 7 juillet dernier… Si tel est votre désir !

AchilleLemot-Autoportrait

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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