La racine latine du mot, *premere, d’origine incertaine, définit l’idée de presser, extraire un liquide, comme le permet le pressoir. Au sens moral, accabler. Assortie de divers préfixes, elle produit un large champ sémantique qui va, entre autres, du comprimé à la dépression qui oppresse, de l’expression à l’imprimerie, de l’opprimé à la répression qu’il subit. Qu’elle soit légère réprimande ou insoutenable pression, il s’agit toujours de réprimer un excès, de langage, de geste, de supprimer du visage rétif les sentiments qu’il exprime. Parce que celui qui en témoigne le fait sûrement exprès, n’est-ce pas ? Ainsi pressurée, la victime est près de craquer, presque au bord de l’aveu. L’accabler donc, effacer toute trace de sa révolte. Après, on verra bien le sort qu’on lui réservera. Car il y a grand danger à tolérer l’empreinte que risque de laisser cette tête qui refuse de s’incliner, cette voix qui ne se tait point, même dans son silence.
L’empreinte, comme le vestige au sens propre, dessine une marque indélébile, même dans le sable, même gommée sur la page d’imprimerie. Empreinte digitale qu’on a laissée sur ce qu’on a saisi ou effleuré, empreinte du pas qui précède la marche, trace de mémoire dans la conscience individuelle et collective. Chacun à sa manière cherche à laisser une marque, même diaphane, diffuse, dans le regard, l’oreille, le coeur de ceux qu’il a croisés. Effacer sciemment ses empreintes cache au contraire un dessein peu avouable.
L’empreinte est une preuve d’avoir existé, une justification intellectuelle ou affective pour ne pas avoir cheminé en vain, en vide de souvenirs semés. C’est ce qu’on nomme la tradition.
Annick DROGOU
Quand nous utilisons ce mot “empreinte“, de quoi s’agit-il ? D’une empreinte qui nous définit et qui est indélébile, empreinte digitale ou empreinte ADN, ou bien s’agit-il de l’empreinte fragile de nos pas sur le sable, vite recouverte et effacée par la marée ? Par-delà l’apparente opposition, c’est bien de la même réalité que nous parle l’empreinte. Elle nous dit l’unicité de chaque être vivant et l’unicité de l’instant. Ton empreinte digitale ou ta signature ADN sont uniques, tu existes. Incomparable ou plutôt comparable jusqu’à cette infime différence qui te distingue des tiens et de tous tes semblables. Car tu n’es pas un clone, une terne copie de tes géniteurs, tu es différent de tes frères et sœurs. Et c’est cela qui nous constitue frères et sœurs, car nous ne sommes pas superposables.
Unique aussi ton empreinte de pas dans le sable, la trace de ta marche. Cette forme éphémère de ton pied que la mer efface déjà, que la marée recouvre inéluctablement. Unique, ton histoire que tu embarquais dans cette marche, le rêve que tu portais. Le temps n’est rien. Cette empreinte déjà effacée, c’est bien la seule, l’éternelle et véritable empreinte de tout ce que tu es, de ce que tu aimes. De ce que nous sommes. Il faut aimer l’instant et le voir s’effacer. Aimer l’empreinte déjà disparue et qu’on sait pourtant indélébile comme la mer recommencée dans la prochaine vague.
Et pourtant : Un bématiste (du grec ancien βηματιστής) est un arpenteur de la Grèce antique qui mesurait la distance entre deux points en comptant le nombre de pas (en grec βῆμα / bêma) ; ici en l’occurrence ceux d’un chameau dont les pas étaient réputés égaux et réguliers, en somme identiques quelque soit le chameau !