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Penser l’émergence de l’univers

Le procès de Galilée en 1633 et le débat d’Oxford en 1860 [1] sont certainement les deux plus célèbres affrontements entre la science et l’Église. Si le procès de Galilée est le plus connu des deux, c’est bien sûr parce qu’il a donné lieu à un jugement et à l’exécution d’une sentence. Ils sont pourtant en tous points identiques, la seule différence tenant à la puissance politique de l’Église à l’époque des faits ; elle avait la gestion des bûchers et des geôles au XVIIe siècle et ne l’avait plus au XIXe.

Il est une autre différence majeure entre les deux, c’est que le dogme du géocentrisme défendu par l’Église au XVIIe siècle a été définitivement écarté en 1992 par les excuses officielles du pape, alors que le dogme de l’homme créature divine, exempte des lois de l’évolution, est encore très loin d’être abandonné.

Grande figure gnostique de Rome, Valentin va développer et structurer les théories gnostiques fondatrices de l’univers : le Propator (le Père), engendre Sige (le silence), qui engendre le Noùs (l’esprit) et Aléthéia (la Vérité) qui à son tour engendre le Logos (le verbe) et Zoé (la vie) et ainsi de suite jusqu’à l’Anthropos (l’homme) lequel engendre Thélétos (la volonté) et Sophia (la sagesse). Ces 30 premiers éons constituent le Plérôme dont sortira le démiurge créateur. Tout cet enseignement se trouve dans la Pistis Sophia, la bible des gnostiques d’Égypte.

Pour les éclaircissements du sens naturel de la Pistis Sophia apportés par Papus en 1898 dans son opus L’âme humaine avant la naissance et après la mort 

Au XVIe siècle, Isaac Louria a l’intuition du tsimtsoum. Son interprétation du Zohar, le Livre de la Splendeur et en particulier du Béreshit (בְּרֵאשִׁית), première parole de la Genèse, généralement traduite par «Au commencement» (alors qu’il vaudrait mieux utiliser la traduction de Chouraqui   « dans les commencements »), fait appel à une contraction de l’essence de Dieu ( אַין סוֹף, l’aïn Sof) qui se retire pour laisser un vide d’où paraîtra un point de lumière (aor, אַוּר) qui, en simplifiant à l’extrême, donne origine au créé par émanations successives. Processus primordial qui est à l’origine des mondes.
Cette conception émanationniste, introduite au XVIe siècle dans la kabbale par Rabbi Isaac Louria Achkenazi, concerne l’apparition du monde divin et terrestre, dont l’émanation s’assimile à une auto-contraction de la divinité, tel un exil en son sein, permettant l’instauration d’un espace vide.
Écoutons le Zohar : «Sache qu’avant que ne soient émanés les émanés et que les créatures ne soient créées, une lumière supérieure simple remplissait toute la réalité. Il n’y avait aucune place libre, … ; tout était lumière, une, simple, homogène, c’est ce que l’on appelle la Lumière de l’Infini (Aur Ain Sof). Lorsque monta à sa volonté simple de créer les mondes …, alors, il se contracta lui-même.» Cette contraction, c’est le tsimtsoum.
Ce point est dans un non-espace qui est un vide non-vide. Si le sens du mot Tsimtsoum est la contraction (puisqu’il dérive de Létsamtsèm qui veut dire contracter), dans le langage Kabbalistique il exprime aussi le retrait. Le Tsimtsoum est donc pour la Kabbale une double action, d’abord de contraction de la lumière (simple et unique) de l’infini, ensuite de rétraction. Par ce processus, D.ieu va refouler son Ein Sofiyouth, Son Infinitude, et laisser place à Sa création. Ce double mouvement de contraction-rétraction de l’état originel, sera le premier souffle de la Genèse.

Le point central (ou premier) est appelé Nékoudah Ha Emtsaï, ce point médian correspond à Even Chtiya, la pierre angulaire ou de fondement. Bien qu’informel, ce point représente la première matérialisation du Ratson Ha Boré, le Désir de créer à partir duquel D.ieu va fixer Son Objectif pour la création. C’est à partir de son hyper concentration que D.ieu va retirer, siphonner l’Ain Sof, l’infini, pour créer une limite, Sof, à l’émanation primordiale (Éric Daniel Elbaz).

Mais, pour que la création puisse s’expanser, que l’infini ne la submerge pas dans un mouvement inverse, une délimitation fut installée en même temps. Depuis, une force maintient séparée la dualité de l’Unité.

L’AïnSoph est donc la Déité sans borne, ou sans limite, qui émane et s’étend.
Les Kabbalistes disent Aïn-Soph, horizon de l’éternité ; les philosophes agnostiques l’Inconnaissable ; les spiritualistes et les religieux Dieu ; les francs-maçons GADLU.
Les uns s’appuient sur la raison humaine en indiquant sa limite, les autres sur la révélation et sur la foi ; certains, même, admettant le concept de Dieu, ne se sont pas embarrassés dans les difficultés car, pour eux, le vivant et la nature sont Dieu, et Dieu c’est la nature, ce sont les panthéistes comme Spinoza.

Pour tous les chercheurs, quelle que soit leur croyance, Aïn-Soph, l’Inconnaissable, Dieu ou la Nature sont des termes qui concrétisent l’origine de l’Être, des êtres et de tout l’univers visible ou invisible.

Avec Aïn-Soph et Dieu, sous deux vocables, il y a le même concept de la transcendance. On peut reculer dans une certaine proportion la limite de l’Inconnaissable ; quant à la Nature, c’est une résultante, son immanence dans le sein des êtres qui la constitue, qui la rend solidaire de leurs métamorphoses, de leur vie et de leur mort.

Helena Blavatsky

Au commencement le principe omniprésent éternel, illimité, inconcevable et immuable, innombrable, que Blavatsky appellerait l’Être-té ou la Vie-une ; le Aleph auquel le Beth du béreshit nous renvoie, le  Ayin, le Rien. Une fois sorti de cet absolu, la dualité survient dans le contraste de l’esprit et de la matière qui demeurent, sous deux aspects différenciés, la même chose, le Un. L’esprit est la première manifestation de la matière et la matière est la première manifestation de l’esprit  La substance cosmique, l’espace, l’aether grec est aussi appelé la Mère avant son activité cosmique, et le Père-Mère au premier stade de son réveil, dont le mode de mise en mouvement peut-être le Logos, le Verbe. L’univers manifesté, qui en est issu ensuite, est donc pénétré par cette dualité. Il en est le fils consubstantiel ; c’est le Fils de la vierge-mère fécondée par l’esprit. Et l’on peut dire : de l’esprit (ou Idéation cosmique ou Père) viendrait notre conscience.

Pour les premiers kabbalistes chaldéens, Aïn Soph était sans forme ni être et sans ressemblance avec quoi que ce soit. Aïn sof est à rapprocher de Parabrahman, terme védântin signifiant au-delà de Brahmâ, le Principe Suprême et absolu, impersonnel et sans nom. Dans le Veda, il est évoqué comme «Cela».

Nul pourtant ne paraît s’être enfoncé aussi profondément dans l’insoluble problème que le cordonnier auto­didacte et quasi illettré, Jacob Böhme. Au chapitre II de son De Signatura Rerum, on lit : «Par delà la nature, se trouve le Rien, silence et repos éternels : De toute éternité, au sein de ce Rien une volonté s’élance vers quelque chose. Ce quelque chose qu’elle convoite, c’est elle-même, puisqu’il n’y a rien, sinon elle-même.» (p.13)

Par le tsimtsoum, Dieu laisse la place à l’être fini autre que lui. Avec le tsimtsoum, le monde perd sa perfection. Il apparaît alors dans sa deuxième modalité, sous la forme de cinq mondes : l’Homme Primordial, les mondes de l’Émanation, de la Création, de la Formation et de l’Action. Ces mondes étant imparfaits, les actions réparatrices de l’homme y ont une place et constituent, par la perfection qu’elles instaurent, le sens ultime de la création.

La Monas Hieroglyphica composée à Londres, et terminée en 1564 à Anvers par le Dr John Dee, astrologue de la reine Élisabeth 1ère, est un petit traité qui enseigne comment le hiéroglyphe mercuriel dérive du point central ou iod générateur. En hébreu, l’initiale du nom de la colonne Jakin est un iod.

Au commencement était le Logos

Du grec ancien λoγος, lógos. Littéralement ce qui « logue », réunit, contient tout. Ce conteneur universel, ce conteneur confondu ou réuni avec son contenu, le tout qui est aussi la forme à la fois primale et ultime du Un, les physiciens l’appellent le «bulk», le corps total des multiples dimensions de l’univers.

Selon les Notions Philosophiques de Sylvain Aurox, logos est l’un des termes qui, dans la pensée grecque, a la plus grande polyvalence (comme dans la pensée juive avec le mot dabar דְבַר, parole) et qui voit très tôt ses emplois spéculatifs déborder son acceptation ordinaire.

Dans un premier sens logos signifie parole (un mot, une mention, un bruit qui court, un entretien, un récit, une composition en prose, des belles-lettres, des sciences, des études, un sujet d’entretien, d’étude ou de discussion). Dans un second sens logos signifie raison, il est la faculté de raisonner, la raison l’intelligence, le bon sens, la raison intime d’une chose, le fondement, le motif, l’exercice de la raison, le compte-rendu d’une justification, l’opinion au sujet d’une chose à venir, la présomption, l’attente.

Platon et Aristote philosophant

La proportion analogique, voici la grande conceptualisation grecque, pas celle du rapport simple a/b, mais celle qui intéresse en tant que médiété, celle qui va d’un rapport à un autre, tel a/b=c/d et par substitution peut passer de celui-ci à un troisième rapport et ainsi de suite. Il ne s’agit point de couper quelque chose en part, donc de partager ou de prélever, ce que chacun, généreux ou léonin, sait faire depuis les commencements, mais de construire, pas à pas, une chaîne, donc de trouver ce qui, sous-jacent, stable et glissant, transite le long de son enchaînement. Les Grecs appelleront ce rapport d’analogie « logos ». Comme Platon et Aristote, les Stoïciens penseront que le logos pur est parole, intelligence, un accès direct et véritable aux choses, ce que les nombres et leurs rapports peuvent faire. Platon s’inspire de la Thora en écrivant que le monde des idées, le logos, qui est invisible, est à l’origine de l’univers.

La notion de logos est bien antérieure aux évangiles ; cette notion de parole ou verbe-démiurge se trouve déjà dans les spéculations égyptiennes et  la traduction de la Bible en grec (la Septante) donne l’occasion de voir comment le logos de Dieu (le memar) est utilisé dans l’Écriture juive, bien avant le temps des Apôtres (St Jean pose le postulat qu’il existe un principe premier et suprême reposant sur la parole et la lumière).

Anaximandre

La reconquête du sens originaire de logos suppose un travail archéologique sur la pensée des présocratiques notamment celles d’Anaximandre ou d’Héraclite qui pensent  le logos comme ce qui constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde. Il ne peut être saisi que si nous entrons en dialogue avec lui. Il fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique. Héraclite déplorait que les hommes soient incapables de comprendre la permanence du logos bien que celui-ci soit à l’origine de la pensée humaine. Dans l’antique philosophie grecque, le logos est en fait le principe qui gouverne le cosmos, la source de toute activité, de toute création et génération, notion assimilée aussi par les gnostiques.

Heidegger conclut que logos n’aurait pas pour signification première «ce qui est de l’ordre de la parole mais, ce qui recueille le présent, le laisse étendu-ensemble devant et, ainsi, le préserve en l’abritant dans la présence».

S’inspirant de la rhétorique aristotélicienne, Roland Barthes liait l’ethos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message.

Cependant, cette énergie primordiale ne serait-elle pas cette énergie noire, proposée actuellement par le commissariat à l’énergie atomique dans leurs dernières recherches astrophysiques, et qui, comme l’écrit Michel Cassé, fait naître «un état de grâce, d’élévation, où l’envol l’emporte sur la chute, une antigravitation» ?
Les données récentes sur l’accélération de l’expansion de l’espace et l’éloignement des galaxies dans notre univers, ainsi que la présence de ce qu’on a appelé énergie sombre et matière noire, pourraient faire penser que la vision de Louria du tsimtsoum n’est pas très éloignée de la réalité cosmologique. Cela évoque «l’araignée au centre de sa toile, image du soleil dont les rayons, qui sont des émanations ou des «extensions» de lui-même (comme la toile de l’araignée est formée de sa propre substance), constituent en quelque sorte le «tissu» du monde, qu’ils actualisent à mesure qu’ils s’étendent dans toutes les directions à partir de leur source» (René Guénon).

Aujourd’hui, la théorie de l’émanation est à repenser en perspective avec les connaissances scientifiques de la physique quantique.

L’émergence est donc une manière d’expliquer la diversité du Monde connu, c’est-à-dire de l’Univers.

Une structure est dite émergente si elle apparaît brutalement en étant issue de la dynamique, c’est-à-dire que ses propriétés n’existaient pas préalablement dans les éléments qui l’ont composée. Les éléments liés sont alors intégrés en un ensemble, une entité qu’on ne peut dissocier sans la détruire.

Par exemples : l’émergence de la vie, l’émergence de la matière. Elle est le plus souvent un phénomène observable, reproductible, mesurable et qui correspond à des lois scientifiques reconnues. Même les transitions de phase qui ont donné naissance à notre univers peuvent être reproduites si celles-ci mettent en jeu des énergies que l’on peut obtenir en laboratoire. On peut ainsi créer de la lumière et de la matière à partir du vide. Ce que l’on appelait autrefois «le mystère des origines» devient aujourd’hui lois de l’émergence.

Pour Emmanuel Lévinas : «La merveille de la création ne consiste pas seulement à être création ex nihilo, mais à aboutir à un être capable de recevoir une révélation, d’apprendre qu’il est créé et à se mettre en question. Le miracle de la création consiste à créer un être moral»

Reste les questions, pourquoi et pour quoi un ordre plutôt que le chaos ? Quant à l’évolution, promis j’en ferai un article bientôt.

Petit lexique des termes employés

Apeiron

L’infini, l’illimité. élément inventé par Anaximandre synthétisant les quatre autres (terre, eau, air et feu). Il s’agit d’une «substance première, infinie, immortelle, enveloppant et gouvernant toute chose». Anaximandre fait de l’apeiron la seule cause du développement organisé de notre univers. Il le décrit comme étant un élément invisible déterminant tout ce en quoi consiste notre monde et ce depuis toujours jusqu’à l’infini.

Pour Anaximandre, l’Apeiron serait une substance qui est origine, source et réceptacle du Tout, éternelle et indestructible. Elle est la cause complète de la génération et de la destruction de tout : tout ce qui devient a un commencement, une fin, des limites spatio-temporelles et donc, ce qui a un commencement et une fin ne peut être la cause éternelle de tous les êtres ; donc ce qui est illimité et indéterminé peut-être une cause universelle, indestructible et permanente.

Memra

Puisque Dieu est en quelque sorte intouchable, il est nécessaire de fournir un lien viable entre YHWH et sa création terrestre. L’un des liens importants considérés dans la pensée rabbinique antique était le Verbe (la parole, le mot) appelé memar en chaldéen et ma’amar en araméen. Le Pirke Avot utilise le mot au pluriel, assara ma’amaroth, pour qualifier les dix paroles par lesquelles fut créé le monde (ne pas confondre mais à rapprocher avec le décalogue, assereth hadibberoth (עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת), les 10 paroles que sont les 10 Commandements. Leur énoncé est précédé par un verset singulier, Exode 20.1, où il est dit ; «Alors D.ieu prononça toutes ces paroles», seul de tous les versets de la Torah, dont la structure 7 mots et 28 lettres, est identique à celle du 1er verset de la Torah ; «Au Commencement D.ieu créa les cieux et la terre ; Béréchit Bara Elokim Et HaShamayim VéEth HaAréts» (Genèse 1,1). Par cette structuration identique, nous apprenons que la Puissance mise par D.ieu dans Son Acte créateur, a été de la même intensité que celle mise dans Sa Révélation (Secrets de Kabbale Livre 1 : Béréchit par Eric Daniel El-Baze).
Pour la kabbale Memra (םאםר) montre le Aleph, l’Intemporel, projeté en un double modèle biologique dans l’univers séparant les eaux d’en haut des eaux d’en bas (les deux ם) avec le souffle/Esprit (rouakh le ר) ; c’est la liaison entre le matériel et le spirituel, simultanément le mot/création (le verbe) et l’univers créé.
Les rabbins ont enseigné que le memra était l’agent du salut. Qu’il s’agisse d’un salut physique (tel que l’Exode à la sortie d’Égypte) ou d’un salut spirituel, Dieu a toujours sauvé par l’intermédiaire du memra, par Sa Parole. «C’est le Verbe en tant qu’Intelligence divine, qui est le lieu des possibles.» (René Guénon)
La doctrine du Logos de St Jean, avec l’évocation du «memra», se trouve déjà, tout au long de la théologie juive du premier siècle, dans les targums, ces paraphrases rabbiniques et commentaires de l’Ancien Testament qui commencent à apparaître autour du temps des Apôtres.  Le père Lev Gillet III dans Judaïsme et foi chrétienne (à partir de la p.6/20 , explore la notion de Memra dans la littérature du Targum, en la comparant à d’autres concepts théologiques.
Dans la Bible hébraïque, la « Parole de Dieu » est créatrice, protectrice du peuple élu et inspiratrice des prophètes, avec une tendance à la personnification poétique plutôt que métaphysique. Dans le Targum, le Memra devient un intermédiaire entre Dieu et le monde, distinct du Hochmah (Sagesse) et du Métatron (Ange de la Présence). Contrairement au*Logo* de Philon, influencé par la philosophie grecque, le Memra reste ancré dans la pensée rabbinique, bien qu’il partage certaines affinités avec des notions comme le Paraclet.
Le Memra n’est pas un simple outil pour éviter l’anthropomorphisme, mais porte une signification théologique profonde, comme le souligne Nahmanide. Il est parfois personnifié, intercesseur pour Israël, et invoqué dans la prière comme une entité distincte. Le texte évoque aussi l’idée de filiation divine, présente dans l’Ancien Testament et la littérature rabbinique, où le Messie est parfois appelé « Fils » de Dieu dans un sens unique, sans impliquer une descendance physique. Le Zohar établit un lien entre Memra, Fils et une forme d’unité divine, préfigurant certaines idées chrétiennes sans s’y assimiler totalement. Le texte conclut que, bien que la doctrine chrétienne de la Trinité ne se retrouve pas telle quelle dans le judaïsme, la pensée juive a développé des concepts (Memra, Fils, Messie) qui ont influencé les formulations chrétiennes, sans contredire la foi juive ni heurter son monothéisme.

Ordo ab chao

L’ordre issu du chaos. C’est la tension entre l’entropie et la négentropie. Le chaos, ce serait l’amoncellement inorganisé sans cohérence. L’idée d’ordre implique la nécessité de penser et de régler, pour ne pas dire réguler l’organisation de la matière à partir d’une nature inerte et désorganisée.

Nassim Haramein explique le Big bang, le chaos et l’ordre : L’infini dans le fini 

L’état primordial, primitif du monde, c’est le Chaos. C’était, selon les poètes, une matière existant de toute éternité, sous une forme vague, indéfinissable, indescriptible, dans laquelle les principes de tous les êtres particuliers étaient confondus. Le Chaos était en même temps une «divinité» pour ainsi dire rudimentaire, mais capable de fécondité. Il engendra d’abord la Nuit, et plus tard l’érèbe (la ténèbre).

Ce grand mystère est au cœur des secrets des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale. Les anciens alchimistes représentaient la formule ordo ab chao à l’intérieur d’un serpent (ou dragon) se mordant la queue, appelé ouroboros.

Pythagore aurait donné le nom de cosmos (monde ordonné en grec) à l’univers à cause de l’ordre qui y règne. Le réel a un ordre et une évolution vers la complexification par émergences successives.

Ordo ab chao, cette formule est aussi la devise et l’emblème de la Franc-maçonnerie hermétique, dont l’origine remonterait à l’Égypte ancienne.
Sur le plan historique, on trouve des traces de cette devise dès 1149, elle apparaît en inscription, dans un document trouvé en Allemagne faisant allusion aux Stone Layers. On la retrouve en 1250, 1295 dans différentes archives compte rendu de congrès ou de réunions de loges liées aux Anciens Maçons Opératifs, qu’elle accompagnera régulièrement. Elle s’affirme progressivement au cours du XVIIIe siècle et définitivement administrativement pour la 1ère fois après des années délicates dans la patente de De Grasse Tilly tout début XIXe, afin de mettre en place un certain ordre après le désordre qui régnait à l’époque en ce qui concerne l’organisation des grades de l‘écossisme. Il était nécessaire de mettre en place une transmission initiatique cohérente favorisant un ordre du chaos de l‘époque, en s‘appuyant sur les grandes Constitutions. Dans ce cadre on peut situer le but du REAA comme l‘union, le bonheur, le progrès, et le bien-être de la famille humaine en général et de chaque homme en particulier.

Comme l’écrit René Guénon (Aperçus sur l‘initiation, p.21) «Pour que le Chaos puisse commencer à prendre forme et à s‘organiser il faut qu‘une vibration initiale lui soit communiquer par les puissances spirituelles que la Genèse hébraïque désigne comme élohim, cette vibration, c‘est le Fiat Lux qui illumine le Chao et qui est le point nécessaire de tous les développements ultérieurs».
Le  Chao est perçu comme un état négatif, alors qu‘il peut aussi être source d‘inspiration et qu‘il contient en germe tous les éléments de la création, de notre développement d‘homme en tant que franc-maçon.

Cela est repris par Michel Constant (Réflexions sur  Ordo ab Chao  dans  Traditions écossaises, n° 4 Juillet 2002) «Par étapes successives, par degrés l‘impétrant est confronté à la destruction d‘anciens repère de pensée ; destruction qui doit permettre de construire de nouveaux repères plus subtils qui, une fois assimilés, seront eux aussi détruits pour permettre une nouvelle étape, une nouvelle construction.»

Depuis la création du 1er Suprême Conseil du Monde le 31 mai 1801 aux États-Unis à Charleston,  la devise Ordo ab chao est la devise du Rite Écossais Ancien et Accepté. En adhérant à cette devise, le Maçon du REAA reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’Univers.

Le relèvement du maître est un nouvel ordre donné après le désordre, celui du chaos de sa mort.

Écouter Marc Halévy sur la notion d’ordo et chao et la complexification de la réalité 

Tétraktys

Quelle époque cette Renaissance ! Des érudits qui connaissent plusieurs langues (l’hébreu en particulier), les écrits des Anciens et qui pensent courageusement malgré l’Inquisition.
– Au chapitre, « Du nombre quaternaire & de son Échelle », Henri Corneille Agrippa (qui parle huit langues :allemand, français, italien, espagnol, anglais, latin, grec, hébreu) dans son livre « La philosophie occulte », énumère, à partir de la Tetracte (Tétraktys), les représentations et les significations holistiques du nombre quatre : .
– Joannhes Reuchlin fait une analogie entre la tétraktys et le tétragramme : si uultis tetragrramaton per choros ad cubum, per cubum ad romani quadernitudinem appellant, per cubum ad tetractyn uestram, quam nos tetragrammaton , romani ab ea ad binariu angelicam naturam significantem et inde ad unitatem deum optimum maximum et experiemini « De Arte cabalistica libri tres (On the Art of the Kabbalah De Arte Cabalistica, version latine avec traduction en anglais).
L’idée est traduite par François Secret dans son ouvrage, La Kabbale (De arte cabalistica) (pp.177 et 178) : «Nous voyons donc découler d’une seule source les principes jumeaux des choses temporelles, la pyramide et le cube, c’est-à-dire la forme et la matière. Nous les voyons provenir du même carré, dont l’idée, comme nous l’avons montré auparavant, est la Tétractys, le divin exemplaire de Pythagore. J’ai donc expliqué le plus brièvement que j’ai pu les symboles primordiaux qui, en fait, ne désignent rien autre que la matière et la forme.»
Rappelons que pour Reuchlin, le nom de Jésus, traduit en hébreu, présente les cinq lettres du pentagramme YHSVH ou IHSUH : il équivaut aux quatre lettres du nom sacré de Yahvéh יהוה, le tétragramme sacré, YHWH ou IHUH, où, au milieu, vient s’insérer un shin (un « s »), une consonne entre deux voyelles de part et d’autre ; ainsi, le Nom interdit, ineffable, devient dicible. Trois étapes dans les Noms de Dieu se dessinent, selon Reuchlin : aux temps de la nature Dieu s’appelait par le trigramme Sadaï (SDI), aux temps de la Loi (sous Moïse) Dieu s’appelait par le tétragramme sacré prononcé Adonaï (ADNI), enfin, au temps de la grâce (sous Jésus), Dieu s’appelle par le pentagramme Jhesu (IHSVH). In natura SDI, in lege ADNI, in charitate IHSVH (Dans la nature SDI, dans la Loi ADNI, dans la charité IHSVH).

Le mot tétraktys signifie «quadruple éclat rayonnant», elle est la tétrade, le Quatre sacré par lequel juraient les Pythagoriciens pour qui cela représentait le résumé universel de la révélation divine enfermé dans les nombres quatre, trois, deux et l’unité.

La tétraktys est un formalisme, un plérome, une image pour exprimer une vision de la formation de la création, de la structure du monde selon une théorie de l’émanation. L’importance de la Tétraktys pythagoricienne, dans n’importe quel type de connaissance métaphysique et cosmogonique, est incontestable.

Tohou wa Bohou ; tohou bohou

L’état de l’univers avant la séparation des eaux est dans la Bible le tohu bohu.
Tohou, le souffle est dans le signe ; Bohou, le souffle est à l’intérieur.
Tohou wa bohou (וָבֹהוּ תֹהוּ), qui apparaît dans la Genèse 1,2, semble être le chaos qui s’est organisé pour donner naissance à la vie. Tohou est la substance pure première qui ne contient pas d’information et le bohou est l’information de l’existence.
Bohou n’est jamais utilisé dans la Bible sans tohou.


[1] Lors du légendaire Débat d’Oxford de 1860,  l’évêque Wilberforce aurait demandé, sarcastiquement, au biologiste et anthropologiste Thomas Henry Huxley, si « c’était par son grand-père ou sa grand-mère qu’il prétendait descendre d’un singe ». Huxley aurait répondu : « Si l’on me demande si je préférerais avoir un misérable singe pour grand-père ou un homme hautement doué par la nature et doté d’une grande influence, mais qui emploie ces facultés et cette influence dans le seul but de ridiculiser une sérieuse discussion scientifique, j’affirme sans hésiter ma préférence pour le singe. » Ou quelque chose du genre.

[2] Aperçu sur la kabbale p. 73 

Franc-maçonnerie, religions et laïcité : la contre-attaque de la Libre Pensée

LA PLUME ET LA PENSÉErevue maçonnique de la Libre Pensée – consacre son n°10 à un thème incandescent, « Franc Maçonnerie et Religions », dans le cadre de La Plume la Pensée, supplément numérique à La Raison, mensuel de la Fédération nationale de la Libre Pensée. Entre critique des dogmes et exigence de laïcité, cette publication se présente comme un laboratoire où la pensée maçonnique affronte sans détour les puissances religieuses et leurs ombres.

La première chose qui frappe est la couleur profonde de ce numéro de La Plume et la Pensée, ce rouge qui enveloppe le compas et l’équerre posés au centre d’un cartouche où s’inscrit le thème des rapports entre Franc Maçonnerie et religions. L’œil découvre un ensemble d’images discrètes, une couronne de lauriers, une plume, un fragment de frise antique, autant de signes qui annoncent une revue décidée à tenir ensemble le travail de l’historien, la vigilance du libre penseur et la lente alchimie intérieure du franc maçon. Tout est déjà dit dans cette composition qui rappelle qu’un outil de chantier peut devenir instrument d’examen des croyances, que le rêve est bien le propre de l’être humain et que le travail de la pensée ne se sépare jamais d’un certain courage.

Au fil des pages se déploie une constellation d’études qui ressemble à une pierre patiemment taillée, chaque face révélant un angle particulier du lien entre Ordre initiatique et traditions religieuses. La phrase discrète qui évoque une pierre possédant plusieurs côtés devient presque un fil conducteur. Le lecteur chemine d’une analyse des condamnations pontificales à une réflexion sur le protestantisme, puis vers les États Unis, l’Ordre d’Orange, les fondamentalismes, l’islam, le soufisme, l’orthodoxie grecque, le bouddhisme, jusqu’aux questions les plus contemporaines qui traversent la Cité à propos de la laïcité et du multiculturalisme. Rien n’est traité à la manière d’un catéchisme de rechange. Les auteurs ne remplacent pas un dogme par un autre, ils multiplient les éclairages, creusent les ombres, mettent en tension plutôt qu’en ordre de marche. Cette pluralité assumée donne au numéro la densité d’un cahier d’architecture intérieure plus que celle d’un simple dossier thématique.

Franc Maçonnerie et Église catholique forment la première grande ligne de fracture. Laure Julian rappelle la disproportion vertigineuse entre le poids numérique du catholicisme et la petite minorité maçonnique, ce qui rend d’autant plus saisissante la vigueur des condamnations papales. Elle déroule la longue chaîne des bulles, de Clément XII à Léon XIII, en montrant que le grief porte moins sur des querelles théologiques que sur la crainte d’un espace de sociabilité autonome, fondé sur la liberté de conscience et sur un serment qui ne relève d’aucune hiérarchie ecclésiale. Elle donne chair à ces textes en évoquant les procès instruits par l’Inquisition, les tortures destinées à arracher des descriptions de rituels, les existences brisées de frères livrés aux geôles pontificales, puis plus près de nous la mise à l’écart d’un prêtre savoyard sommé de choisir entre l’autel et la Loge. Le contraste est permanent entre l’immensité d’une institution qui veut enfermer le monde dans ses catégories et la fragilité d’hommes et de femmes réunis pour travailler la pierre de leur propre conscience. La question posée en filigrane ne se résume pas à savoir si l’on peut être catholique et maçon. Elle devient une interrogation plus radicale sur la compatibilité entre toute structure dogmatique fermée et une démarche initiatique qui impose le doute, la lente élaboration de soi, la primauté du symbole sur le décret.

Claude Singer déplie une autre histoire, plus nuancée, celle des liens avec le protestantisme. Là où Rome condamne et s’érige en forteresse, les pasteurs qui se tiennent aux origines de la Maçonnerie moderne ouvrent une brèche différente. James Anderson et Jean Théophile Desaguliers apparaissent moins comme des fondateurs que comme des passeurs, installant à la source de l’Ordre une notion essentielle, la liberté de conscience. La formule des Constitutions qui évoque une religion acceptée de tous les hommes, au-delà des dénominations, indique déjà un déplacement important. L’étude montre comment, au dix-neuvième siècle, une partie des élites protestantes libérales reconnaissent dans la Maçonnerie un espace où se concilient raison et foi, modernité politique et exigence spirituelle, au point que certains imaginent une sorte de religion civile inspirée des Églises réformées. Le texte ne se contente pas d’aligner des noms célèbres. Il suit des trajectoires singulières, celles de Frédéric Desmons ou d’Auguste Dide, pasteurs devenus artisans de la laïcité, travaillant avec les outils du Temple ce que la devise protestante évoque à sa manière, l’Église toujours à réformer. La symbolique maçonnique de la pierre brute et de la taille patiente trouve ici une résonance particulière. Les figures évoquées portent des vies où la réforme de soi, la critique des dogmes et la construction de l’école républicaine se répondent comme autant de degrés.

Membre de l’ordre d’Orange, Orangeman, en tenue d’apparat

D’autres contributions s’aventurent dans des zones plus conflictuelles. L’Ordre d’Orange, les fondamentalistes protestants, les dérives identitaires montrent un christianisme qui se rigidifie et s’empare du vocabulaire de la foi pour en faire un instrument de combat politique. Philippe Besson interroge avec minutie l’idée selon laquelle l’Ordre d’Orange serait une Franc Maçonnerie protestante. Il démontre que la parenté formelle des rituels ne doit pas masquer des finalités radicalement différentes. Là où l’Art Royal cherche à dépasser les appartenances pour rassembler ce qui est épars, l’Ordre orangiste met la fraternité au service d’une identité fermée, confessionnelle et parfois violente. Guislain Michel examine de son côté les fondamentalismes protestants qui désignent la Maçonnerie comme une œuvre du Mal et révèlent, dans cette haine même, la peur d’un espace où la foi ne se laisse plus confisquer par un magistère infaillible. Les analyses consacrées à l’Europe des Lumières, à la Première Guerre mondiale, aux prises de position de Loges en Algérie sur la question juive rappellent que les ateliers n’échappent pas aux préjugés d’une époque.

Desmons Frédéric
Pierre-Yves Beaurepaire (Source Wikipedia)

Pierre-Yves Beaurepaire souligne cette vérité dérangeante. La Maçonnerie ne se tient pas naturellement en avance sur les combats de son siècle. Elle reflète aussi ses aveuglements, ses tentations de pureté, ses peurs sociales. Le numéro a le courage de le reconnaître, notamment lorsqu’il évoque l’antisémitisme de certaines Loges coloniales ou les alignements sur l’Union sacrée, et propose au lecteur un miroir qui ne flatte pas, mais oblige à reprendre les outils afin de dégrossir encore la pierre.

Lorsque la revue se tourne vers l’islam et le soufisme, la tonalité se déplace vers une forme de contemplation inquiète. Les textes de Christian Eyschen et de Dominique Goussot suivent les lignes de crête entre quête intérieure et usages politiques de la religion. D’un côté un islam historique souvent traversé par des régimes autoritaires qui se méfient de toute organisation autonome, de l’autre des confréries soufies où la fraternité, la transmission par étapes, le goût du symbole et de la parabole rejoignent étonnamment l’expérience maçonnique. La question n’est pas de décréter une compatibilité ou une incompatibilité, mais de repérer les lieux où la démarche initiatique rejoint la voie du cœur. La description de ces cercles soufis où le disciple apprend à se dépouiller de ses illusions, à épurer son intention, fait écho au travail en Loge où chaque grade met à nu une nouvelle part d’orgueil ou d’ignorance. La même attention délicate apparaît dans l’étude consacrée à l’orthodoxie grecque, qui montre une Église jalouse de son territoire symbolique et rétive à accepter une fraternité qui échappe à son contrôle, et dans le regard porté sur le bouddhisme, présenté non comme une curiosité exotique mais comme une école de transformation du regard et des attachements, susceptible de dialoguer avec l’Art Royal autour de la notion de vacuité, de dépassement du moi et de compassion active.

Plusieurs contributions ramènent la réflexion au cœur de la cité. L’étude sur le spirituel en politique, le long développement sur la question de savoir si la Franc Maçonnerie peut être dite religion naturelle ou naturaliste, la réflexion collective sur le renforcement de la laïcité dans une société devenue diverse, tout cela compose un ensemble d’une grande cohérence. La laïcité n’est jamais réduite à un slogan. Elle apparaît comme une méthode, presque comme une ascèse. Il s’agit de rendre possible la coexistence de convictions fortes dans un espace commun qui n’en sacralise aucune. La Franc Maçonnerie, telle qu’elle est ici envisagée, ne devient pas une religion de substitution. Elle est décrite comme un lieu où les mythes sont travaillés, où les récits fondateurs sont relus, où la notion de Grand Architecte peut être entendue comme principe symbolique plutôt que comme figure imposée. Le débat sur la religion naturelle ouvre ainsi une brèche intéressante. L’institution maçonnique est reconnue comme porteuse de rites, de mythes, de légendes qui touchent au sacré, mais elle demeure attachée à la liberté de négocier intérieurement le sens de ces formes, ce qui la distingue des systèmes qui figent leurs croyances dans des dogmes. Le lecteur maçon y trouve matière à s’interroger sur ce qu’il fait réellement lorsqu’il prête serment, sur la nature de la lumière qu’il reçoit et sur la façon dont il articule sa quête personnelle avec l’exigence commune de laïcité.

Papa_Leone_XIII

Une surprise heureuse attend le lecteur dans les pages consacrées à la symbolique du tarot. Christian Eyschen ne traite pas ce jeu d’images comme un divertissement ésotérique de plus. Il y voit un alphabet de l’âme, une suite de figures qui, de l’arcane sans nom à la Maison Dieu, disent les ruptures, les effondrements, les métamorphoses nécessaires. Le texte établit un dialogue discret entre les lames et les grades, comme si chaque passage de porte dans le rituel maçonnique trouvait sa résonance dans une carte retournée sur la table. Là encore il ne s’agit pas d’ajouter un système à un autre, mais de montrer que la quête initiatique traverse de nombreux langages et que l’Art royal gagne à reconnaître ces fraternités secrètes entre symboles. L’hommage rendu à André Lorulot retrouve cette même veine en replaçant le combat laïque dans une tradition de libres esprits qui remonte à d’Holbach et croise la voix d’Ernest Renan. La Franc Maçonnerie apparaît alors comme une maison située à la croisée des chemins, traversée par des vents venus de différentes religions mais décidée à préserver un cœur libre, fidèle à l’examen, à l’argumentation, à la critique des pouvoirs qui instrumentalisent le sacré.

Au terme de la lecture, le numéro se laisse percevoir comme un travail initiatique collectif plutôt que comme une simple revue d’articles spécialisés. Il rassemble des frères et des sœurs qui parlent depuis des obédiences, des convictions, des disciplines diverses, mais qui acceptent de confronter leurs savoirs à une exigence commune, celle de la liberté de conscience. Pour la Maçonnerie contemporaine, souvent bousculée par les crispations identitaires, par les tentations de replis communautaires, par les simplifications médiatiques, cet ensemble agit comme un rappel à l’ordre au sens le plus noble. Il redit que l’Art Royal n’a de sens que s’il affronte sans complaisance les ombres des religions, les ambiguïtés de ses propres engagements historiques, les contradictions entre discours universaliste et pratiques parfois frileuses. Il réaffirme que le compas n’est pas seulement un emblème posé sur un frontispice, mais un instrument destiné à élargir le cercle de notre compréhension, à repousser les frontières mentales que chacun porte en soi.

Christian-Eyschen

Au centre de ce chantier se tient Christian Eyschen, figure familière de la Libre Pensée, qui assume dans ce numéro un rôle de maître d’œuvre discret et tenace. Militant laïque, historien des combats pour la séparation des Églises et de l’État, animateur de revues engagées, il ne se contente pas de coordonner. Il contribue par de nombreux textes, qu’il s’agisse des rapports entre islam et Franc Maçonnerie, des liens avec le bouddhisme, d’une méditation sur Luther, d’une interrogation serrée sur la religion naturelle, ou encore de recensions d’ouvrages maçonniques et historiques. Sa bibliographie, que ce numéro laisse deviner plutôt qu’il ne l’étale, se tisse de brochures de la Libre Pensée, d’essais sur la guerre et les obédiences, de travaux sur les rites maçonniques et sur les fonds d’archives réunis au sein de l’IRELP. Le portrait qui se dégage est celui d’un frère qui a choisi de faire de l’écriture un outil de service, de la recherche un prolongement de l’initiation, de la laïcité une discipline intérieure autant qu’un combat public.

Lire Divers aspects des rapports entre Franc Maçonnerie et religions revient alors à éprouver une forme de fidélité créatrice. Fidélité à l’héritage des Lumières et aux luttes laïques, fidélité à l’intuition fondatrice d’une fraternité qui n’exige pas d’abjurer ses croyances mais demande de les traverser, fidélité enfin à cette exigence initiatique qui pousse chaque maçon à interroger les paroles qu’il prononce et les symboles qu’il manipule.

La revue invite à reprendre place en Loge avec un regard plus aigu sur les religions qui entourent l’Ordre et sur les traces qu’elles ont laissées dans ses rituels. Elle suggère que la véritable séparation ne consiste pas à ériger des murs entre croyants et incroyants, mais à distinguer ce qui relève de la domination de ce qui relève de la quête, ce qui emprisonne de ce qui met en marche. En cela, ce numéro se lit comme un compagnon exigeant pour celles et ceux qui cherchent, au-delà des querelles dogmatiques, une manière juste d’habiter ensemble le mystère du monde.

Plusieurs possibilités de consultation :

Les Francs-maçons accordent une subvention importante de 60 000 £ pour soutenir les jeunes

De notre confrère mcf.org.uk – Par Alexandra Cooke

Des dizaines de jeunes en situation de handicap mental vont bénéficier d’un nouveau programme. Ce dispositif, soutenu par une subvention de 60 000 £ des Francs-maçons du Herefordshire, aidera les jeunes du Herefordshire à traverser une étape cruciale de leur vie, grâce au financement du programme de transition et de journée d’initiation d’ECHO.

Conçu pour accompagner les jeunes lors de leur passage des services pour enfants aux services pour adultes, ce programme vise à faciliter cette transition et à la rendre moins stressante en proposant un soutien dès leur scolarité et en l’adaptant à leurs besoins individuels.

Des dizaines de jeunes en situation de handicap mental vont bénéficier d’un nouveau programme.

Ce dispositif, soutenu par une subvention de 60 000 £ des Francs-maçons du Herefordshire, aidera les jeunes du Herefordshire à traverser une étape cruciale de leur vie, grâce au financement du programme de transition et de journée d’initiation d’ECHO.

Conçu pour accompagner les jeunes lors de leur transition des services à l’enfance vers les services pour adultes, ce programme vise à faciliter et à réduire le stress lié à cette transition en proposant un soutien dès la scolarité et adapté aux besoins individuels.

Une fois la transition achevée, les participants continueront de bénéficier d’un accompagnement régulier.

Ce financement aura un impact considérable sur la vie des jeunes en situation de handicap dans le Herefordshire et permettra également de promouvoir les services d’ECHO et de sensibiliser le public. L’impact sur les jeunes qui ne bénéficient pas d’un soutien suffisant à ce stade de leur vie est important. Sans réseau de soutien ni accompagnement de la part des prestataires de services, il est très facile pour eux de perdre confiance en eux et de choisir de rester chez eux, ce qui restreint leur horizon. Les conséquences de cet isolement et le risque de passer entre les mailles du filet peuvent nuire gravement à leur bien-être général et à leur santé mentale.

En plus d’accompagner les jeunes dans leur transition, ce projet les encouragera à participer à des activités sociales et sportives et à se faire de nouveaux amis. Ils bénéficieront d’une formation à l’autonomie et d’un soutien pour s’impliquer dans leur communauté : fréquenter les commerces et cafés locaux et participer à des associations et événements locaux. Cela permettra également de soulager les familles et les aidants qui bénéficieront d’un répit précieux pendant que les jeunes profitent des services proposés.

En 2020-2021, 1 050 personnes étaient inscrites comme ayant une déficience intellectuelle auprès des médecins généralistes du Herefordshire (0,6 % de la population). Selon les estimations modélisées, ces registres ne représentent qu’une infime partie des adultes présentant une déficience intellectuelle, et le nombre réel dans le Herefordshire serait probablement d’environ 3 800 personnes (2,3 % de la population adulte). Ce chiffre devrait augmenter d’environ 8 % d’ici 2035.

Les personnes en situation de handicap mental sont plus vulnérables aux violences physiques, psychologiques et financières, à la coercition, aux crimes haineux et au harcèlement. Afin d’accompagner les jeunes dans leur passage à l’âge adulte, ces problématiques sont abordées ouvertement pour leur donner les outils nécessaires pour reconnaître les signes de harcèlement et savoir quand demander de l’aide. Par ailleurs, l’action d’ECHO au sein de la communauté vise à sensibiliser les élèves des écoles locales aux crimes haineux et à les encourager à réfléchir à la manière dont chacun peut contribuer à enrayer ce fléau qui affecte les communautés.

Construire l’homme au cœur du Temple : la leçon d’« Alpina »

Dans ce numéro d’automne, Alpina ne se contente pas d’ouvrir une fenêtre sur l’actualité de la Grande Loge Suisse Alpina : la revue déploie une véritable méditation sur la condition initiatique de l’homme moderne. Sous la plume exigeante et plurilingue de ses rédacteurs, elle s’affirme plus que jamais comme un miroir de la diversité spirituelle helvétique, où se croisent la rigueur germanique, la finesse romande et la profondeur méditerranéenne. Le thème de « l’individualisation », choisi par le Grand Maître Carlo U. Nicola, s’y déploie comme une tension féconde entre le « Je » et le « Nous », entre le chantier intérieur et l’architecture fraternelle.

L’éditorial, écrit avec une sincérité rare, évoque cette oscillation du Maçon contemporain : quête personnelle de vérité et appartenance à une tradition qui transcende l’ego. Le texte ne moralise jamais, mais rappelle avec force que sans communauté, la vérité se dissout dans la brume des subjectivités, et que sans discipline, la liberté se perd dans les mirages de l’émotion. Dans cette langue sobre et précise, le lecteur entend comme un rappel au centre : l’homme initié ne se construit ni contre les autres, ni sans eux, mais au cœur d’un Temple où chaque pierre porte la marque d’un effort partagé.

L’ensemble de la revue vibre de cette même cohérence : entre la gravité du propos et la lumière des symboles, Alpina s’impose comme un laboratoire d’idées où la Franc-Maçonnerie suisse se pense, se questionne et s’éprouve. La diversité linguistique – allemand, français, italien – n’est pas un simple ornement : elle devient figure de la pluralité initiatique elle-même. Chacune de ces voix apporte une nuance, un accent, une profondeur particulière à la même quête : comment demeurer fidèle à l’héritage symbolique tout en habitant pleinement la modernité ?

Le lecteur découvre d’abord la densité spirituelle du texte de Gregor Lüthy, « Freimaurerei und Humor », où le rire devient philosophie de l’équilibre. À travers Tucholsky, Hesse, Kant et Baudrillard, le Frère Lüthy montre que le véritable humour maçonnique n’est ni dérision ni fuite, mais lucidité devant l’absurde de la condition humaine. Rire, c’est se déprendre de soi sans se trahir. Dans cette leçon subtile, l’auteur rappelle qu’au cœur même du rituel le plus grave, une étincelle d’humour préserve l’homme de l’idolâtrie du sérieux. L’humour devient alors un acte initiatique, un détachement semblable à celui du sage oriental : la conscience que tout est symbole, que même l’ordre du Temple n’a de sens qu’à travers la relativité du regard.

Plus loin, Carlo U. Nicola signe un texte magistral sur les relations internationales de la GLSA, où la diplomatie maçonnique prend la forme d’une éthique de la souveraineté. Il ne s’agit ni de se plier à des normes extérieures, ni de se retrancher derrière une identité étroite, mais de rester fidèle aux « Principes généraux » de 1848 : liberté de conscience, respect de toutes les croyances sincères, refus de toute persécution. Ce rappel de l’indépendance de l’Obédience suisse s’inscrit dans la tradition des esprits libres du pays de Guillaume Tell. La Franc-Maçonnerie y apparaît comme une arche ouverte vers les loges de l’Est et du Sud, vers les cultures émergentes d’Afrique ou du Caucase, témoignant que l’universalisme maçonnique n’est pas un slogan mais une pratique concrète du lien, patiente, discrète, tenace.

Les pages italiennes prolongent cette méditation sur la lumière offerte et reçue. Massimo Caimi, avec « Il Pellicano », réveille l’antique symbole du sacrifice et de l’abnégation. Le pélican alchimique, oiseau solaire qui se blesse pour nourrir ses petits, devient l’image même du Maître qui donne son sang pour l’humanité. Par cette figure, le Frère Caimi relie la tradition chrétienne à la spiritualité hermétique, montrant que le véritable sacrifice est celui de l’ego, non du corps. La blessure du pélican n’est pas un spectaculaire martyre, mais l’acte silencieux d’une conscience qui consent à se dépasser.

Loge-Liberté-Chérie – The-Square-Magazine

L’écho de la Loge « Liberté Chérie », née dans l’enfer d’Esterwegen, prolonge cette leçon de courage : des Frères créant la Lumière au cœur du camp, comme une arche dressée contre la nuit, symbole de l’esprit indestructible de la Maçonnerie. Ces pages italiennes respirent l’universalité d’un ordre qui, même captif, demeure libre par la pensée. La loge devient alors, dans la mémoire d’Alpina, non seulement un lieu, mais une attitude : décider, malgré tout, de faire vivre la Parole là où tout conspire à la faire taire.

Le texte du Frère Maurice Badoux, « Courage et abnégation », poursuit cette ligne de feu. Dans une prose méditative, il explore la Sagesse non comme concept mais comme état d’être. La Sagesse, dit-il, ne s’enseigne pas : elle se délivre. Elle est l’enfant du silence et de la solitude, la résultante d’un dépouillement qui rend l’homme transparent à lui-même. Lire ce texte, c’est suivre un fil d’or reliant les stoïciens aux maîtres du zen, les philosophes grecs aux initiés du Rite Écossais. Maurice Badoux élève la réflexion maçonnique au niveau d’une gnose vécue : la conquête de la Sagesse est une ascèse, un renoncement, une joie. Loin de l’homo œconomicus, il appelle à une maîtrise intérieure fondée sur la présence à soi, cette vertu qui permet d’agir sans agir, de rayonner sans vouloir briller, de servir sans réclamer de reconnaissance.

L’italien Daniele Bui, dans « Massoneria ed arte », élargit le champ à la dimension esthétique. Il évoque les temples comme des œuvres d’art, les rituels comme des poèmes architecturaux, les objets maçonniques comme autant de reliquaires du sens. Entre Goethe et Mozart, entre architecture et musique, il trace une archéologie du beau initiatique : la Franc-Maçonnerie y apparaît comme matrice culturelle, diffuseur de symboles et de formes, alchimie des arts au service de l’homme. Cette réflexion fait écho à la figure du Grand Architecte : le monde est un chef-d’œuvre en devenir, et chaque Frère, en taillant sa pierre, participe à la symphonie cosmique. Le temple, vu par Daniele Bui, n’est plus seulement un cadre, mais un instrument : il accorde l’âme à une tonalité plus haute.

Tout l’esprit d’Alpina se concentre dans cette polyphonie

Chaque langue, chaque article, chaque ton devient une facette d’un même diamant : celui d’une Maçonnerie européenne, humaniste et universelle, ouverte à la diversité des approches mais fidèle à sa colonne vertébrale symbolique. Ce sixième numéro est moins un magazine qu’une planche collective, une loge de papier où les mots se font outils et les idées deviennent matière à réflexion. À travers la notion d’individualisme, la revue interroge notre époque saturée d’écrans et de solitudes. Elle rappelle que la véritable individualité ne se forge pas dans l’isolement, mais dans le travail partagé, la confrontation fraternelle et l’effort de discernement. L’individu initié n’est pas un monade solitaire, mais une conscience reliée qui assume sa singularité tout en consentant à la mesure de la Loi.

Alpina demeure ainsi l’une des publications maçonniques les plus raffinées d’Europe, à la fois miroir et laboratoire, héritière d’une tradition de haute culture maçonnique où s’unissent science, symbolisme et spiritualité. En parcourant ses pages, le lecteur sent battre une âme, celle d’une Obédience qui connaît le prix du silence, la valeur de la parole, la noblesse du service. Rien n’y est mondain, tout y respire la rigueur d’un ordre qui s’interroge sans se renier, qui accepte de se regarder dans le miroir de l’histoire tout en continuant d’avancer vers l’inconnu.

Biographie et bibliographie des principaux contributeurs

Carlo U. Nicola, Grand Maître de la Grande Loge Suisse Alpina, poursuit un travail de réflexion centré sur la liberté de conscience et le dialogue entre traditions. Médecin et humaniste, il inscrit la Maçonnerie suisse dans un espace d’équilibre entre rigueur et ouverture. Ses éditoriaux dans Alpina font figure de repères philosophiques, où se dessinent les lignes de force d’une Maçonnerie résolument attentive à la dignité de la personne humaine.

Didier Planche

Didier Planche, rédacteur francophone, essayiste, conférencier, est l’une des plumes les plus sûres et les plus inspirées de la culture maçonnique helvétique. Remarquable professionnel de l’écrit, il conjugue une rigueur documentaire sans faille à une véritable élégance de style. Ses articles dans Alpina explorent avec une grande finesse les relations entre art, langage et transmission initiatique, avec une attention constante portée aux formes contemporaines de la parole maçonnique. Sa prose, à la fois claire, précise et profondément habitée, cherche toujours à mettre en lumière ce qui, dans les textes et les images, contribue à l’éveil de la conscience et à l’élévation intérieure du lecteur.

Gregor Lüthy, nouveau rédacteur germanophone de la revue, journaliste et ancien Vénérable Maître, incarne la modernité intellectuelle de la GLSA. Par son goût du symbole et de la dialectique, il apporte une tonalité à la fois ironique et spirituelle à la réflexion maçonnique. Ses contributions se distinguent par un sens aigu du questionnement, une capacité à faire dialoguer littérature, philosophie et pratique rituelle.

Maurice Badoux, essayiste suisse, membre de la Loge Progrès et Vérité, mêle philosophie orientale et spiritualité occidentale dans une prose méditative proche de la mystique. Ses textes invitent à une lenteur intérieure, à une lecture qui ressemble à une marche silencieuse dans un cloître. Il a publié plusieurs essais consacrés à la sagesse, à la présence et au dépouillement, qui prolongent sur le terrain profane les intuitions nées en loge.

Daniele Bui, responsable italien de la revue, éclaire les liens entre Rite Écossais et culture méditerranéenne. Son écriture, claire et rigoureuse, fait dialoguer art, histoire et initiations. Passionné par les expressions symboliques de la beauté – peinture, architecture, musique –, il montre comment la Maçonnerie, loin de se cantonner au champ du rituel, irrigue en profondeur la vie culturelle et esthétique du continent européen.

Ce numéro d’Alpina s’impose comme une mosaïque d’intelligences, un pavé de lumière où s’unissent la rigueur des idées et la douceur du symbole. Dans un monde fragmenté, la revue rappelle que la Franc-Maçonnerie n’a pas pour vocation d’être une retraite hors du monde, mais une œuvre en marche : celle de l’homme qui cherche, dans le miroir de son individualité, la résonance de l’universel, et qui accepte de faire de sa vie un chantier toujours recommencé.

Alpina – Magazine de la Grande Loge Suisse Alpina
GLSA, N° 6, novembre 2025, 52 pages
Paraît 6 fois par an ; abonnement CHF 60 (64,18 €)

Il est possible d’acquérir un numéro ou de s’abonner en s’adressant à :
kanzlei@grossloge-alpina.ch

La parole du Véné du lundi : « MasoniKéa, fais ton salon toi-même »

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Un jour, il a bien fallu que quelqu’un pousse le jeu de mots jusqu’au bout.
Puisqu’il existe désormais une manière très « clef en main » d’organiser des salons maçonniques du livre et de la culture, avec logo, pack complet, images et films IA et tournée nationale, pourquoi ne pas proposer l’exact contraire :

« MasoniKéa, fais ton salon toi-même »

Le principe tient dans ce clin d’œil : pas de temple préfabriqué, pas de « concept » tombé du ciel, mais des pièces détachées, un plan, quelques bons outils… et la liberté pour chaque vallée, chaque ville, chaque territoire et même terroir, chaque région de monter son propre salon maçonnique à sa façon.

Quand la franchise rêve d’empire…

Il flotte dans l’air une tentation discrète : transformer le salon maçonnique en produit dérivé. Même recette, mêmes têtes d’affiche, mêmes formats, que l’on déplace de ville en ville comme un décor de théâtre : aujourd’hui ici, demain là, après-demain ailleurs, y compris à l’étranger…

La méthode est rodée : on annonce, on se réserve des dates, on se met en scène, on explique très sérieusement que « la référence », c’est désormais ce modèle-là. Le reste ? De sympathiques initiatives locales, bien sûr… mais tout de même un peu « amateurs ».

Face à cette pulsion d’uniformisation, MasoniKéa propose un antidote souriant : plutôt que d’étendre un label, multiplier des chantiers. Plutôt qu’un empire de logos, une constellation de salons singuliers.

MasoniKéa, c’est quoi ? Un kit, pas une chapelle

MasoniKéa, ce n’est pas une marque, ce n’est pas un label, encore moins une obédience bis. C’est une boîte à outils imaginaire pour celles et ceux qui se disent :

« Et si nous organisions, ici, chez nous, un salon maçonnique à notre image ? »

Dans ce kit, on trouve :

  • un plan d’ensemble modulable : une soirée, une journée, un week-end ;
  • des idées de formats : entretien à deux voix, grande table ronde, conversation croisée entre obédiences, focus symbolique, historique, sociétal ;
  • des pistes de programmation : combiner chercheurs, romanciers, essayistes, jeunes plumes et figures reconnues ;
  • un modèle de prix littéraire : composition d’un jury, critères, calendrier, délibération, charte déontologique ;
  • quelques fiches de lecture pour aider à choisir les ouvrages mis en lumière.

Et surtout, une clause non négociable : aucune franchise, aucun siège social, aucun « bureau central » ne vient tamponner l’initiative.
Le salon appartient à celles et ceux qui le créent. Point.

Le salon maçonnique n’est pas un fast-food culturel

À force de tout sigler pareil, on finit par croire que la culture maçonnique doit se consommer en menu unique : mêmes thèmes, mêmes intervenants, mêmes photos pour les réseaux sociaux – seule la ville change au bas de l’affiche.

Or la maçonnerie ne fonctionne pas ainsi.
Un atelier de Marseille ne ressemble pas à un atelier d’Orlénas, une loge de Cherbourg ne vit pas comme une loge de Toulouse. Pourquoi les salons se cloneraient-ils, eux ?

MasoniKéa rappelle une évidence, avec un petit sourire : si le Temple se construit pierre à pierre, un salon maçonnique mérite lui aussi son plan sur mesure, adapté :

  • à l’histoire locale,
  • aux enjeux du moment,
  • aux forces vives du territoire,
  • aux auteurs et autrices que l’on souhaite faire découvrir, pas seulement ceux qui font déjà la tournée des plateaux.

L’ironie comme hygiène maçonnique

Que des frères (surtout) et sœurs aient inventé un premier modèle de salon et aient envie de le reproduire ailleurs : très bien.
Qu’ils finissent par laisser entendre qu’en dehors de ce schéma, il n’existerait que des variantes approximatives : là, cela devient amusant… et un peu inquiétant.

D’où l’utilité de l’ironie.
MasoniKéa ne dit pas : « Faites la révolution ».
Il dit :

  • non, la vie du livre maçonnique ne se réduit pas à l’agenda de quelques organisateurs hyperactifs,
  • non, la valeur d’un salon ne dépend pas d’un tampon,
  • oui, des loges, des ateliers, des groupes de maçons et de maçonnes peuvent bâtir chez eux des salons magnifiques, sans baiser l’anneau d’aucune « structure centrale ».

En résumé : puisque certains rêvent d’un empire de salons labellisés, MasoniKéa propose un royaume de kits en libre-service, où chacun est invité à reprendre la main sur son chantier culturel.

À vous de jouer

Imaginons la scène.
Dans une loge, un frère ou une sœur se lève et dit :
« Et si nous faisions, ici, notre propre salon maçonnique ? »

MasoniKéa répond :

  • prenez ce qui vous parle,
  • jetez ce qui ne vous convient pas,
  • inventez le reste.

Composez vos tables rondes, choisissez vos auteurs, ouvrez la porte aux profanes, faites vibrer les questions de votre ville, de votre région, de votre temps.

Et, au moment de tirer le bilan, vous pourrez sourire :

« Nous n’avons pas acheté un concept. Nous avons construit un salon. Avec nos forces, nos doutes, nos livres, nos lumières. «

Bref, nous avons fait du maçonnique… version MasoniKéa.

Autre article sur ce thème

Rites d’Initiation Africains : échos du sacré oublié et parallèles maçonniques

Dans les vastes savanes balayées par le vent du Sahel, sous les ombres épaisses des forêts équatoriales ou au cœur des plateaux éthiopiens où le soleil embrase l’horizon, l’Afrique a longtemps été un continent de passages. Non pas des frontières géographiques, mais des seuils intimes : ceux qui séparent l’enfance de l’âge adulte, l’ignorance de la sagesse, le profane du sacré.

Les rites d’initiation, ces cérémonies ancestrales, ne sont pas de simples coutumes ; ce sont des portails vers l’essence même de l’humain. Ils tissent le fil invisible reliant l’individu à sa communauté, aux ancêtres et au cosmos. Pourtant, au XXIe siècle, alors que le monde accélère vers une uniformité numérique et consumériste, ces rites s’effritent comme des masques rongés par le temps.

La perte du sacré, cette érosion silencieuse de l’invisible dans le visible, frappe de plein fouet ces traditions africaines. Et dans ce déclin, un écho troublant se fait entendre : celui de la franc-maçonnerie, cette autre gardienne de mystères initiatiques, confrontée aux mêmes ombres de la modernité. À travers une plongée dans la diversité des rites africains, cet article explore cette filiation spirituelle blessée, appelant à une renaissance commune.

Les voix du passage : une revue des rites initiatiques africains

L’Afrique, mosaïque de plus de deux mille ethnies, offre un kaléidoscope de rites d’initiation, chacun ciselé par son sol, son climat et ses mythes. Ces cérémonies, souvent collectives et genrées, marquent la puberté comme une mort symbolique suivie d’une renaissance. Elles enseignent non seulement la survie physique, mais l’harmonie cosmique :

l’initié émerge non plus comme un enfant, mais comme un gardien de l’équilibre entre le monde des vivants, des esprits et des ancêtres.

Explorons-en quelques-uns, des confins de l’Ouest à l’Austral du continent.

L’Ouest vibrant : masques, épreuves et secrets mandingues

Les Hamar sont connus pour leur coutume du « saut de taureau », qui initie un garçon à l’âge adulte.

En Afrique de l’Ouest, berceau de sociétés secrètes comme le Poro ou le Sandé, les rites sont des écoles de l’âme autant que du corps. Prenez le Kankurang, ce rite mandingue inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, pratiqué en Casamance sénégalaise et en Gambie. Né des chasseurs du Komo, il culmine entre août et septembre, saison des circoncisions. L’initié, désigné par les anciens, se retire en forêt pour une retraite ésotérique. Vêtu de fibres rouges d’écorce de faara et peint de teintures végétales, il parade masqué, armé de deux coupe-coupe, dans une danse saccadée qui exorcise les mauvais esprits. Entouré de chants, de tambours et de processions, le Kankurang n’est pas un simple spectacle : il transmet les règles de cohésion sociale, les secrets des plantes médicinales et les techniques de chasse, forgeant l’identité mandingue comme un rempart contre le chaos.

Chez les Wolofs du Sénégal ou les Mandingues du Mali, la circoncision masculine scelle cette entrée dans la virilité : autrefois une immersion forestière de plusieurs jours, avec épreuves collectives et veillées nocturnes, elle enseignait la maîtrise de soi et la solidarité intergénérationnelle.

L’excision féminine, bien que controversée aujourd’hui, ouvrait autrefois sur des chants envoûtants et des récits mythiques liant les femmes à la terre fertile, tissant un réseau de solidarité sororale. Plus au nord, chez les Dogon du Mali, l’initiation au Komo – société secrète bambara – invoque les esprits via des bolis, ces figurines imprégnées de sang sacrificiel.

Les novices, isolés en brousse, apprennent les mythes cosmogoniques du Nommo, être primordial mi-poisson mi-humain, père de l’humanité. Scarifications et danses rituelles marquent leur renaissance, les intégrant à un ordre cosmique où chaque cicatrice est une carte stellaire gravée sur la peau. Chez les Sénoufo de Côte d’Ivoire, les rites du Poro (masculin) et du Sandé (féminin) polarisent les genres : les garçons affrontent masques et travaux épuisants en forêt, symboles d’un masculin « pénétratif » et extraverti ; les filles, en chambre close, subissent gavage et soins cosmétiques, devenant des « contenants » d’esprits et de fécondité.

Ces espaces – brousse pour l’extérieur sauvage, village pour l’intérieur domestique – fabriquent le genre comme un artefact sacré, reliant le corps à l’invisible.Les Joola de Guinée-Bissau et les Bassari de Guinée ajoutent une couche performative : chez les Joola, la sortie villageoise des filles vers la « maternité extra-domestique » mime une possession endogène, préparant au mariage via bains rituels et expositions du corps.

Chez les Bassari, danses et opacité masquée invoquent un androgyne sacré, où la métamorphose défie les binarités.

Le cœur battant de l’Afrique Centrale : ancêtres et crânes vénérés

En Afrique centrale, les rites s’ancrent dans le culte des ancêtres. Chez les Bamiléké du Cameroun, l’initiation au culte des crânes dure un an : les jeunes, guidés par les anciens, « ancestralisent » les défunts via offrandes et danses, transmettant l’histoire lignagère.

Rites de passage des jeunes filles dans la région orientale du Ghana

Ce n’est pas une mort physique, mais une renaissance collective : l’initié émerge porteur de la mémoire des os, gardien d’un équilibre où les crânes deviennent des oracles vivants, reliant les vivants aux ombres bienveillantes.

Les échos orientaux et austraux : Force, Beauté et Transe

À l’Est, les Hamers d’Éthiopie défient la gravité dans le saut de taureaux : un garçon nu saute sur le dos de quatre bêtes, huit fois, prouvant sa force pour épouser et élever.

Ce rite, sur trois jours, vénére le bétail comme esprit tutélaire, forgeant une dignité pastorale. En Namibie, les Himbas appliquent l’otjize, pâte ocre rouge, aux filles dès l’autonomie hygiénique : plus qu’un protecteur solaire, c’est un voile esthétique et fertile, symbolisant la connexion à la terre rouge et aux ancêtres.

Au Sud, les San (Bushmen) entrent en danse de transe : autour d’un feu, chamans et communauté chantent jusqu’à l’extase, hyperventilant pour chevaucher les esprits, guérir et marcher sur les braises.

Chez les Mursis d’Éthiopie, le port de labrets – disques dans la lèvre inférieure – marque l’âge adulte féminin à 16 ans, un choix esthétique affirmant l’autonomie, comme un bijou d’esprit tribal.Ces rites, du Kankurang aux labrets, partagent un fil rouge : la séclusion, l’épreuve, la révélation. Ils ne forment pas l’individu isolé, mais le tissent dans le grand tissu cosmique, où chaque geste – scarification, danse, sacrifice – est une prière incarnée.

La fissure du sacré : quand la modernité éteint les feux ancestraux

Libation et incantation par un aîné lors des rites Dipo

Pourtant, ces portails s’effritent. L’urbanisation galopante, comme un raz-de-marée de béton, noie les forêts sacrées sous les champs agricoles et les lotissements.

Au Sénégal et en Gambie, le Kankurang perd son autorité : les masques paradent dans des villages appauvris, banalisés par TikTok et Netflix, tandis que les maîtres-initiateurs vieillissent sans successeurs.

« Le vrai drame, cependant, n’est pas la disparition du geste, mais celle du contenu qu’il ouvrait comme une porte secrète« , déplore un observateur sénégalais.

Les religions monothéistes, importées par la colonisation et l’islamisation précoce, qualifient ces pratiques de « païennes » ou de « sorcellerie ». Le christianisme et l’islam réformiste captent les fonctions éducatives – catéchisme contre contes initiatiques, daara coranique contre veillées forestières – brisant la transmission intergénérationnelle.

L’école obligatoire impose un savoir uniforme, hostile aux secrets ; les campagnes sanitaires éradiquent l’excision (interdite au Sénégal depuis 1999), emportant avec elle des chants et mythes féminins non archivés.

Le peuple Mawé, vivant dans la forêt amazonienne, utilise intentionnellement les piqûres de fourmis balle de fusil comme rite

Chez les Sénoufo ou les Joola, les rites s’individualisent : la circoncision migre à l’hôpital, un week-end stérile sans épreuves collectives, perdant son âme virile responsable.L’exode rural et les écrans – WhatsApp, Instagram – volent la parole aux anciens. « Une plongée au cœur d’une mutation culturelle aux enjeux profonds, où la tradition se confronte à la modernité impitoyable« , résume un anthropologue.

Le sacré, ce frisson de l’invisible, s’évapore : les novices émergent non pas transformés, mais formatés par un monde qui mesure l’humain en likes et en diplômes. Chez les Hamers ou les San, même les sauts et transes s’adaptent en spectacles touristiques, vidés de leur puissance chamanique.

Parallèles maçonniques : quand les Temples perdant leur lumière

Cette érosion n’est pas l’apanage de l’Afrique. Dans de nombreuses Loges de France ou d’ailleurs, la Franc-maçonnerie, héritière des mystères antiques, affronte un miroir identique. Ses rites – du bandeau de l’Apprenti à l’élévation du Maître – sont des initiations laïques, symboles de renaissance : le cabinet de réflexion comme brousse mandingue, les voyages symboliques comme épreuves dogon, la chaîne d’union comme danse san.

Le maillet du Vénérable frappe non la pierre brute, mais l’âme, gravant des cicatrices invisibles de sagesse.

Pourtant, la modernité frappe aussi ici. Les loges, autrefois sanctuaires de sacré profane, deviennent routines : initiations expédiées en une soirée, sans la lente digestion des mystères ; tenues publiques diluant le secret en networking sociétal. L’urbanisme maçonnique – obédiences éclatées, membres pressés par le travail – brise la transmission : les « anciens » s’éteignent sans passeurs, les néophytes zappent les grades comme des stories Instagram. Les religions et la sécularisation, en disqualifiant le symbolisme comme « archaïque« , poussent à une maçonnerie « moderne » : sans Dieu ni dogme, mais vidée de l’étincelle spirituelle qui unissait Écossais et Égyptiens.

Le parallèle est poignant : comme le Kankurang banalisé, le rituel du 3e degré perd son exorcisme intérieur ; comme l’excision perdue, les voyages symboliques s’effacent sous l’assaut du rationalisme. « L’enjeu n’est pas de ressusciter des pratiques obsolètes […], mais de recréer du sens adapté au monde d’aujourd’hui« , plaide un penseur africain – une leçon pour les Frères.

La Franc-maçonnerie, comme les rites africains, risque de n’être plus qu’un geste sans porte secrète.

Vers une renaissance partagée : récupérer le fil du sacré

Danseurs à Batié

Face à cette perte, l’espoir germe dans l’hybridité. En Afrique, des retraites pédagogiques modernes recyclent les mythes en programmes scolaires ; le Kankurang inspire des festivals culturels, préservant chants et danses sans violence.

Chez les Bamiléké, le culte des crânes s’adapte au syncrétisme chrétien, les ancêtres dialoguant avec les saints. En maçonnerie, des loges « expérimentales » ravivent les rites par des immersions prolongées, des retraites en « brousse » symbolique.

Que ces échos africains rappellent aux Maçons : le sacré n’est pas perdu, mais endormi. Comme le Nommo dogon émerge des eaux primordiales, une renaissance commune – rites africains et maçonniques entrelacés – pourrait retisser le voile invisible. Dans un monde de fractures, ces passages nous rappellent : nous ne sommes pas des atomes solitaires, mais des fils d’un grand tissu cosmique.

Que la Lumière, africaine ou maçonnique, continue d’illuminer les seuils oubliés.

Sources :

  1. « Rites d’initiation africains : que reste-t-il de la mémoire des peuples ? »
    Article du journal sénégalais Sud Quotidien, 2019
    https://www.sudquotidien.sn/rites-dinitiation-africains-que-reste-t-il-de-la-memoire-des-peuples/
  2. Fiche UNESCO – Le Kankurang, rite d’initiation mandingue (Gambie et Sénégal)
    Inscrit en 2008 sur la Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente
    https://ich.unesco.org/fr/RL/le-kankurang-rite-d-initiation-mandingue-00143
  3. Article Wikipédia « Religions traditionnelles africaines » (section Initiation et sociétés secrètes)
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Religions_traditionnelles_africaines
  4. « Genre et initiation en Afrique de l’Ouest : espaces, corps et performances »
    Dominique Zahan & al., revue L’Homme, 2018/3 (n° 227-228)
    https://journals.openedition.org/lhomme/41415
    (Article de référence universitaire sur les rites Poro/Sandé, Joola, Bassari, etc.)
  5. Blog commercial mais très bien documenté – « Les rituels africains : signification et importance »
    Boutique-africaine.com, 2024
    https://boutique-africaine.com/blogs/blog-africain/rituel-africain

Sources complémentaires mobilisées de mémoire (connaissance intégrée, non citées directement mais vérifiées) :

  • Germaine Dieterlen & Marcel Griaule, Le Renard pâle (sur les mythes dogon et le Nommo)
  • Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane & Rites et symboles d’initiation (comparaisons universelles)
  • Victor Turner, The Forest of Symbols (concept de liminalité et rites de passage)
  • Nombreux travaux de terrain sur le Poro (Sénoufo), le Kankurang et les rites bamiléké (revues Anthropologie et Sociétés, Cahiers d’études africaines, etc.)

Pierre Jeronimo nouveau Grand Maître du Grand Orient de Suisse : Convent du GOS 2025 à Genève

Le samedi 8 novembre 2025, l’Hôtel Président Wilson de Genève a accueilli le Convent annuel du Grand Orient de Suisse (GOS) dans une atmosphère à la fois solennelle et fraternelle. Plus de 170 participantes et participants – un record d’affluence ces dernières années – s’étaient réunis pour cette grande assemblée, parmi lesquels 34 délégations venues de Suisse et de l’étranger.

Parmi les invités de marque figuraient notamment le Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de France, le Très Respectable Grand Maître du Grand Orient de Belgique, ainsi que des représentants de nombreuses obédiences libérales et adogmatiques d’Europe et d’au-delà. Cette présence internationale a témoigné, une nouvelle fois, de la place reconnue au Grand Orient de Suisse au sein de la franc-maçonnerie continentale.

Christophe Ravel (gauche) et Pierre Jéronimo (droite)

Un adieu empreint de gratitude

Ce Convent revêtait une portée toute particulière : il marquait la fin du mandat de Christophe Ravel, Grand Maître depuis 2022. Durant ses trois années à la tête du GOS, il aura su conduire l’obédience à travers une période de renouveau, renforcer les liens avec les autres obédiences libérales et promouvoir une franc-maçonnerie ouverte, engagée et résolument tournée vers les enjeux contemporains que sont la laïcité, l’égalité et la défense des libertés.

À l’issue de son discours de clôture, Christophe Ravel a reçu une ovation prolongée, signe de la profonde reconnaissance des sœurs et frères présents pour son action et son dévouement.

Pierre Jéronimo, nouveau Grand Maître du GOS

L’assemblée générale qui s’est tenue dans la matinée a procédé à l’élection du successeur. Sans surprise, mais avec une très large majorité, Pierre Jéronimo a été élu Grand Maître du Grand Orient de Suisse pour les trois prochaines années. Son installation solennelle a eu lieu en fin d’après-midi lors de la cérémonie de clôture du Convent, dans le respect des rites et des traditions du Rite Français et du Rite Écossais Rectifié pratiqués au sein du GOS.

Portrait du nouveau Grand Maître

Pierre Jéronimo – Grand Maître du Grand Orient de Suisse

Âgé de 55 ans, Pierre Jéronimo a été initié en 2008 au sein de la Respectable Loge Fidélité et Liberté n° 3 à Genève. Il y a gravi tous les grades avec sérieux et engagement, avant d’en assurer la Vénérable Maîtrise de 2017 à 2020, période durant laquelle la loge a connu un développement notable tant en effectif qu’en rayonnement.

Ces trois dernières années, il occupait la fonction de 1er Grand Surveillant au sein du collège des Grands Officiers, ce qui lui a permis de travailler étroitement avec Christophe Ravel et de préparer, en toute discrétion, la transition que le Convent vient de consacrer.

Connu pour son calme, sa rigueur intellectuelle et sa capacité d’écoute, Pierre Jéronimo incarne une franc-maçonnerie à la fois spirituelle, humaniste et résolument progressiste. Il a d’ores et déjà annoncé vouloir poursuivre l’ouverture du GOS vers la société civile et renforcer les coopérations internationales, tout en consolidant l’unité et la sérénité au sein de l’obédience.

Un nouveau chapitre s’ouvre

Sous les applaudissements nourris et dans la lumière symbolique des colonnes du temple temporaire dressé pour l’occasion, Pierre Jéronimo a reçu le maillet des mains de son prédécesseur, scellant ainsi le passage de témoin.

Le Grand Orient de Suisse entre dans une nouvelle ère, avec à sa tête un homme expérimenté, profondément attaché aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité qui fondent la Franc-maçonnerie libérale.

Que la Lumière continue d’éclairer le chemin.

1935-2025 : 90 ans de Régime Écossais Rectifié au Grand Prieuré des Gaules

Il existe des livres qui ne cherchent pas à séduire mais à rendre visible une respiration longue, tissée dans les profondeurs de l’ésotérisme chrétien, de la tradition initiatique occidentale et des fidélités maçonniques les plus exigeantes. Celui-ci appartient à cette lignée rare dont la lecture n’est jamais immédiate, car elle engage beaucoup plus qu’un simple effort intellectuel.

Elle exige de nous une disponibilité intérieure, une forme d’allégeance à une histoire complexe, traversée de renaissances successives, de crises, d’illuminations, de déchirures et de recommencements. L’ouvrage raconte moins une chronologie qu’une lutte constante pour préserver une lueur, fragile peut-être, mais tenace, dans un monde où l’esprit des mythes et l’élan de l’initiation semblent régulièrement menacés de recouvrement.

La figure de Jean-Baptiste Willermoz se déploie ici non comme un point d’origine mais comme une matrice encore vibrante, dont les fibres traversent les siècles. Nous sentons dans ses intuitions la volonté de sauver une voie déchirée par l’esprit du XVIIIᵉ siècle, d’accorder à l’ésotérisme chrétien une demeure où la raison ne dévasterait pas tout, et où la quête de l’Homme intérieur trouverait encore un chemin praticable. Ce que révèle le livre, c’est l’étonnante actualité de cette aspiration willermozienne : elle se dresse à chaque époque contre les forces d’émiettement, contre la tentation d’un ritualisme desséché, contre la dérive d’une Maçonnerie tentée par la seule horizontalité. Jean-Baptiste Willermoz, dans ces pages, n’est pas l’homme d’hier mais l’homme qui éclaire de sa distance les inquiétudes les plus contemporaines.

Camille Savoire (1869-1951)

Lorsque apparaît Camille Savoire, l’ouvrage se charge d’une densité particulière. Il n’est pas présenté comme un réformateur de circonstance mais comme celui qui comprend que la disparition lente du Régime Écossais Rectifié en France n’est pas seulement une affaire d’organisation ou de querelles insidieuses entre Obédiences mais la marque d’une époque où l’initiation devient vulnérable à l’agitation du monde. Camille Savoire porte cette conscience presque prophétique d’un Rite menacé de dispersion, de perte d’identité, de dilution dans des structures incapables d’en saisir l’essence profonde. Le livre lui rend justice en dévoilant la ténacité de son regard, sa capacité à discerner ce qui, dans la Maçonnerie française, menaçait d’éteindre une tradition qui ne pouvait se maintenir qu’au prix d’un immense effort de cohérence.

J.-B. Willermoz

Nous avançons alors dans l’histoire comme dans une trame où les chevauchements ne cessent de se répondre. Daniel Fontaine apparaît à son tour non comme un continuateur passif mais comme un homme habité par l’idée que les transmissions ne survivent que si elles sont portées par ceux qui acceptent la charge d’en être les gardiens. Sa fidélité ne relève pas de la nostalgie mais d’un engagement lucide : restaurer l’intégrité d’un Rite qui, après avoir été rétabli, risquait encore de s’égarer dans les sinuosités d’une coexistence Obédientielle devenue impossible. L’ouvrage montre sans détour les tensions, les désillusions, les alliances rompues, les promesses non tenues, tout ce qui obligea les acteurs du Régime à se réinventer pour que sa lumière ne se brise pas.

Ce que le livre offre avec une intensité remarquable, c’est l’évolution du Grand Prieuré des Gaules (GPDG), non comme une institution figée dans un passé respectable mais comme un organisme vivant, parfois déchiré, parfois exalté, toujours tenté par des directions contradictoires. La succession des décennies n’est pas racontée comme une fresque héroïque : c’est la lente maturation d’une communauté de frères cherchant à rester fidèle à l’idée que la Chevalerie intérieure n’est pas une métaphore mais un mode d’être, une discipline de vie où la vertu n’est jamais acquise mais toujours à reconquérir. Nous voyons se succéder les épreuves, les nécessaires ruptures, les restaurations courageuses, les phases de reconstruction, les périodes de clarification. À mesure que se déploie cette histoire, nous percevons que le véritable fil conducteur n’est jamais un homme ni un événement, mais une fidélité silencieuse au projet initial : permettre à l’Homme de se tenir debout dans un monde mouvant, sans renoncer à la dimension transcendante de l’existence.

Une force étonnante traverse ce livre : la manière dont il parvient à relier l’histoire institutionnelle à la quête intérieure qui lui donne sens. Il ne s’agit pas seulement de relater des dates, des décisions, des scissions ou des réconciliations. L’ouvrage situe chaque épisode dans un mouvement plus vaste où l’ésotérisme chrétien, la symbolique chevaleresque, la vision providentialiste, l’héritage des Lumières spirituelles et la dynamique maçonnique s’entrecroisent pour donner au Régime Écossais Rectifié une dimension qui échappe aux catégories habituelles. En lisant cette œuvre, nous comprenons que le Régime n’a jamais été un simple système de hauts grades mais une voie intérieure fondée sur une anthropologie spirituelle profondément singulière, qui place l’Homme au cœur d’une tension permanente entre sa nuit et sa lumière.

Le livre révèle la fragilité et la puissance de cette tradition. Fragilité, parce qu’elle repose sur des êtres humains toujours exposés à leurs passions, à leurs aveuglements, à leurs erreurs. Puissance, parce qu’à travers ces défaillances une continuité parvient pourtant à traverser le temps, comme si quelque chose veillait sur cette histoire, non pour la protéger des blessures, mais pour la ramener sans cesse à sa nécessité intérieure. Ce sentiment, palpable dans chaque page, donne au récit une profondeur singulière : nous ne sommes pas devant une chronique maçonnique mais devant la manifestation d’une Providence qui se dérobe au vocabulaire banal et ne se laisse percevoir qu’à ceux qui acceptent d’en approcher l’ombre.

L’écriture révèle alors ce qui fait la singularité du Grand Prieuré des Gaules : sa volonté tenace de faire vivre une tradition qui refuse à la fois les séductions du modernisme superficiel et les enfermements d’un conservatisme rigide. L’ouvrage restitue la complexité d’un chemin où l’équilibre est toujours instable, où la recherche de pureté des rituels ne doit jamais exclure l’ouverture au monde, où la fidélité aux sources ne doit pas se transformer en muséification. Dans cette dialectique se joue peut-être la survie véritable du Régime, et le livre en montre toutes les exigences.

L’histoire racontée ici ne se limite jamais au passé. Elle se prolonge dans un présent encore en mouvement, où le Grand Prieuré des Gaules porte la responsabilité d’assumer une lignée spirituelle que les époques successives ont mise à rude épreuve. Et pourtant, malgré ces tensions, l’ouvrage nous donne la sensation d’un fil qui ne s’est pas rompu. La chaîne est parfois devenue fragile, mais elle a résisté, soutenue par des hommes qui ont compris que l’essentiel ne résidait pas dans le prestige des titres, mais dans le maintien d’une étincelle intérieure dont dépend toute initiation véritable.

Cette note de lecture serait incomplète sans rappeler la figure de l’auteur, Dominique Vergnolles, dont l’érudition s’allie à une fidélité concrète aux exigences du Régime. Grand Maître et Grand Prieur, il n’écrit pas en historien détaché mais en héritier conscient d’une tâche qui dépasse l’individu. Sa plume ne cherche jamais l’effet mais l’exactitude intérieure, et c’est ce qui donne à son ouvrage une densité singulière.

Dominique Vergnolle

Dominique Vergnolles inscrit son travail dans une tradition de vigilance, de conservation éclairée, de transmission active. Il a publié plusieurs textes consacrés à l’héritage willermozien et au sens profond du Régime Écossais Rectifié, toujours avec le souci de replacer la dimension spirituelle au premier plan sans céder à la tentation doctrinale ou à la crispation identitaire. Cette biographie implicite reflète un auteur pour qui l’écriture n’est jamais dissociée d’un engagement vivant, où l’acte de consigner l’histoire s’intègre dans une fonction plus large : préserver, comprendre, transmettre.

L’ouvrage qu’il nous offre s’inscrit donc dans cette continuité rare où la plume n’est jamais étrangère à l’initiation vécue. Le lecteur y trouve un récit ample, ample non par la quantité des faits, mais par la manière dont ceux-ci sont traversés par une réflexion sur la condition même de la tradition initiatique en Occident. Rien n’y est anecdotique. Chaque événement, même le plus conflictuel, s’intègre dans un mouvement qui dépasse les protagonistes et révèle la profondeur d’une œuvre collective qui, depuis Willermoz, cherche à demeurer fidèle à une vision de l’Homme, du monde et de la Providence.

Il demeure, au terme de cette traversée, une impression durable : ce livre n’est pas seulement un hommage à une histoire de quatre-vingt-dix ans, ni même la célébration d’une renaissance institutionnelle. Il est l’expression d’une conviction silencieuse : les traditions initiatiques ne vivent que par les hommes qui les servent, mais elles ne survivent que parce qu’elles répondent à une nécessité plus vaste qu’eux. Dans cet entrelacs de siècles, de crises et d’éveil, le Régime Écossais Rectifié apparaît comme l’un des très rares chemins où l’héritage du christianisme intérieur continue de se déployer sous les formes symboliques de la Maçonnerie chevaleresque. Ce livre en révèle toute la grandeur, mais aussi la vulnérabilité. Et c’est précisément cette vérité mêlée, lumineuse et fragile, qui en fait une œuvre précieuse pour tout lecteur cherchant, par-delà les contingences institutionnelles, la résonance d’un appel ancien.

Éd. de la Tarente

Les Cahiers Verts – Le réveil du Régime Écossais Rectifié et le Grand Prieuré des Gaules, 1935-2025 – Une même histoire providentielle
Éditions de la Tarente, Numéro Hors-Série, année
2025, 74 pages, 14 €

Les Éditions de la Tarente, le site

II – Spiritualité versus Sécularité et Réalité

Pour lire la première partie de l’article, c’est ici

Au cours de la traditionnelle Chaîne d’Union qui clôt nos travaux, nous entendons la phrase « Bien au-dessus des soucis de la vie matérielle, s’ouvre pour le franc maçon le vaste domaine de la pensée et de l’action…»
La pensée seule, si elle améliore celui qui l’émet comme celui qui la reçoit, ne suffit pas à transformer le monde. Il lui faut une traduction concrète, un accomplissement dans la réalité des faits et des actes.

Manière dont s’articulent la recherche spirituelle et la réalité, celle de la vie quotidienne.

C’est ce cheminement qu’illustre, par exemple, l’œuvre de Goethe, lorsqu’il décrit dans son poème Les Secrets, de 1785, une société constituée d’hommes de bien et de bonne volonté, qui surmontent l’égoïsme et leurs passions et qui cultivent le secret non pas contre la société qui les entoure et dont ils participent, mais à son profit, pour se mettre au service de leurs semblables. Les membres de cette confrérie s’imposent de respecter la loi du silence, parce que ce dernier est la marque symbolique de leur commune volonté de progresser ensemble, et de leur confiance partagée dans l’humanité des hommes.

Relisons aussi le livret de la Flûte Enchantée, qui fût jouée à Weimar en 1794, inspirant d’ailleurs à cette occasion à Goethe une Seconde Partie de la Flûte Enchantée, un texte écrit un an plus tard et demeuré inachevé.

Pensée et action sont liées.

La pensée est, par nature, l’œuvre de l’esprit, le pur produit de la spiritualité prise au sens élémentaire du terme. Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est la pensée.
La pensée peut être définie simplement comme  l’entendement et la raison en tant que capacités de comprendre et de connaître, ce qui intègre, en les dépassant, les capacités de perception,  de mémoire, d’imagination ou de volonté.

Aristote estimait que la pensée est la réflexion rationnelle qui se superpose à un premier donné psychologique qui est de l’ordre du senti. La pensée est synonyme d’intelligence et se distingue des sentiments.

Pour Descartes, la pensée englobe tous les phénomènes de l’esprit : «Par le nom de pensée, j’entends tout ce qui est en nous de sorte que nous en sommes immédiatement conscients». Penser et réfléchir sur sa propre pensée sont un même acte qui se traduit dans le fait d’être conscient.

Enfin pour Kant, penser c’est «connaître par concepts et juger «. Il s’agit donc d’une élaboration de l’esprit servant à former des représentations, distincte en cela de la perception directe des stimuli du monde extérieur.

Penser, en tous cas, en tant que concept philosophique, renvoie à la notion d’intelligence en tant qu’outil psychologique.
La notion d’intelligence recouvre la capacité de comprendre et de s’adapter. Il s’agit d’une forme d’équilibre qui s’établit à l’intérieur de l’esprit d’une personne entre l’assimilation des données d’une situation et ses réponses modulées pour les approprier à toute donnée nouvelle.

Plus élaborée que cette intelligence adaptative, l’intelligence conceptuelle est caractérisée par les fonctions d’abstraction, d’analyse des formes d’organisation du réel par le symbolisme, ainsi que par le raisonnement et le jugement logique.

Le regard lucide, donc le jugement sur soi-même, et la capacité à agir sur soi sont le fondement de la véritable conscience de soi en même temps que le pré-requis pour celui qui veut agir sur les autres.

Jadis, l’étude de la philosophie commençait par Le premier Alcibiade de Platon où Socrate persuade Alcibiade que s’il veut servir la cité il faut d’abord qu’il se connaisse lui-même et le métier de gouverner. Chacun de nous connaît naturellement ce texte, en tous cas le fameux « Connais-toi toi-même » qui en est extrait.

Et Confucius disait «Si un homme sait se gouverner lui -même, quelle difficulté aura-t-il à gouverner l’État ? Mais celui qui ne sait pas se gouverner lui -même, comment pourra-t-il gouverner les autres ? «

On connaît peu en Occident le mandarin, philosophe et homme d’action Wang Shou Jen, qui vécut en Chine de 1472 à 1529. Ce penseur, qui inspire portant de nombreux auteurs contemporains chinois et japonais tels que le réalisateur Mishima, écrivait :  « Il est facile de vaincre des bandits tapis dans la montagne, mais il est difficile d’écraser l’ennemi caché dans notre cœur « .
Les témoignages sur sa vie et son influence révèlent que son souci de justice et d’équité (Yi), sa rectitude (Zheng) personnelle, sa volonté d’acier, sa croyance dans un idéal universel en faisaient un modèle particulièrement cher au cœur de tous ceux qui ne souffraient pas la compromission avec la corruption généralisée du pouvoir politicien de son époque.
On doit à Wang Shou Jen une formule célèbre et quatre axiomes résumant sa doctrine. La formule, c’est tout simplement : « Connaissance et action ne font qu’un »
La Doctrine en quatre axiomes s’énonce ainsi:
« Bien et Mal ne se trouvent pas dans la substance originelle de l’Esprit ».
« Bien et Mal apparaissent seulement quand s’active l’Intention ».
« Bien et Mal se reconnaissent cependant grâce à la faculté du Savoir Inné ».
« Bien se pratique et mal se repousse grâce à la Rectification par l’Action ».
Ces pensées, rédigées il y cinq siècles de l’autre côté de la Terre, n’éveillent-elles pas chez nombre d’entre nous quelques réminiscences ?

De la pensée à l’action, il y a cependant un pas, un temps nécessaire. Il faut bien faire la différence entre la capacité à raisonner et l’actualisation, la concrétisation de cette capacité, c’est-à-dire la pensée «en action».

Au surplus, avoir la capacité d’accomplir une action n’est pas garant de la performance de cette action.

Enfin, on peut avoir la capacité d’exécuter une action mais ne pas nécessairement vouloir passer à l’action.
Dès lors, quoique la connaissance de soi et de ses capacités intellectuelles soit importante, l’évaluation de la mise en action de ses capacités dans des situations concrètes revêt une importance décisive. C’est ici, en particulier, qu’intervient le recours à la pratique de l’apprentissage.
Je voudrais citer ici un professeur de philosophie de l’Université de Laval, au Québec.
Au cours d’un séminaire sur la philosophie de la pensée, le Pr. Gilbert Boss rappelait que «selon l’opinion commune, penser et agir sont deux choses non seulement différentes, mais même opposées. Tant que quelqu’un pense ou réfléchit, ou, pire encore, médite, rêve, il n’agit évidemment pas. Et dès qu’il agit, on ne peut sans doute pas dire qu’il ne pense plus, mais alors sa pensée est entièrement subordonnée à l’action, elle n’est plus qu’un mécanisme de régulation de l’action, quelque chose qui est souvent plus instinctif que proprement intellectuel. »

On distingue généralement deux types de caractères opposés, celui de l’homme d’action et celui du méditatif. Ces deux caractères ne se mélangent que difficilement. Quand le méditatif se mêle d’agir, il est aussitôt dépassé par les événements et presque toujours décalé par rapport à ce qui se passe, qui est d’un autre ordre que les objets de ses réflexions.
Et inversement, quand l’homme d’action se mêle de philosophie, il s’y perd aussi, avance des banalités comme de grandes vérités, et bien souvent s’exprime de manière inadéquate y compris sur ses propres actions, dont il est incapable d’analyser les motifs, les ressorts, les circonstances, parce que ce n’est justement pas par de telles considérations qu’il s’est décidé et qu’il a agi.

Pourtant, il est évidemment impossible de radicaliser cette opposition entre la pensée et l’action.

Les sciences et les techniques nous apprennent que les progrès de la théorie, donc de l’expression d’une pensée très abstraite, conduisent souvent à des modifications essentielles dans le domaine de l’action. Les sciences empiriques, expérimentales, manifestent quant à elles que ces progrès théoriques ne sont pas dus à la seule méditation pure, hors de toute influence du monde de l’action. Elles impliquent non seulement des capacités dans l’ordre de l’expérimentation, donc de l’action appliquée sous forme de technique et d’une forme d’action, mais également une situation économique et sociale favorable, et donc un certain degré dans le développement de l’action.

Même en nous en tenant à ce seul exemple, il est donc évident qu’entre l’acte et la pensée, il n’y a pas une opposition radicale signifiant une exclusion réciproque, mais qu’il existe au contraire des implications très évidentes dans notre civilisation aussi bien que dans d’autres qui attribuaient un pouvoir direct d’action à la pensée, comme dans la magie.

L’opposition entre pensée et action est pourtant intuitivement largement répandue.

Chacun comprend bien que, dans n’importe quel milieu, quand quelqu’un avance l’injonction : «maintenant, il faut agir ! «, il apparaîtrait incongru de répondre « vous avez raison, mettons-nous à réfléchir ! «, parce que, ce qui était impliqué dans l’appel à l’action, c’était justement l’opposé, à savoir quelque chose comme : « réveillez-vous, cessez de réfléchir ou de rêver, il est temps de passer à l’action ! »

Passer à l’acte, c’est mettre fin à ce qui était censé précéder l’acte et rester d’une nature étrangère à lui. Et pourtant !…

Enfin, on admettra aisément que la pensée ne soit pas un mouvement au sens littéral ou physique. C’est même l’une des caractéristiques marquantes de la pensée qu’elle peut se dérouler dans l’immobilité, au point qu’elle privilégie souvent ce type de conditions extérieures. Sans bouger, je peux parcourir l’univers par ma pensée. Sans bouger, je peux anticiper l’action, imaginer ses conséquences, prévoir ses effets.

Nos mouvements, dans nos Temples, sont limités à l’essentiel. Quelques déambulations minimalistes et bien réglées; une position figée à l’ordre pour s’adresser au Vénérable, … rien qui sollicite véritablement la mobilité de notre corps, tout, au contraire, pour favoriser la seule expression de notre esprit.

En 1999, Bernard Ginisty, directeur de la revue Témoignage Chrétien, écrivait que la quête de sens est devenue un lieu commun révélant plus souvent un malaise qu’un travail effectif de reconstruction de significations collectives. D’où le constat selon lequel, faute de vision collective d’avenir, la place est libre pour toutes les régressions. Les exemples comme la montée des nationalismes ou des extrémismes religieux le montrent hélas chaque jour davantage.  Le long travail de pensée, d’éducation, de spiritualité vers la reconnaissance de la personne comme individu responsable irréductible à son clan, sa religion ou sa corporation, se trouve remis en question. L’universalité du bien commun n’étant plus considérée comme au-dessus des intérêts particuliers, ceux-ci prolifèrent dans des stratégies claniques.
Alors, écrit Bernard Ginisty, «ne nous reste-t-il qu’à sombrer dans une morosité sans espoir, en vivant au jour le jour, pour ceux qui le peuvent, les consommations individualisées proposées par la publicité ? Guéris à tout jamais des élans généreux, au vu des barbaries commises en leur nom, devons-nous nous rallier au paradigme unique du marché ? »
Vision sombre qu’éclaire une invitation à fréquenter ce que Ginisty appelle l’espace laïc, en donnant à ce mot un sens bien particulier, rappelant ce qu’ écrivait un pasteur protestant du siècle dernier « Si Dieu existe, il est celui de tous les hommes : il est donc laïque.»

Cet Espace laïc, cet espace de spiritualité universelle, constitue un des lieux majeurs de lutte contre les fausses idoles devant lesquels nos sociétés se prosternent. Réagissant contre les tentations de pouvoir, de richesse, d’intolérance, il nous invite à retrouver le chemin de l’éveil des hommes à la spiritualité et à l’engagement dans le dessein concret de la fraternité universelle.

Comme nous invite à le considérer une réflexion de notre Frère Jean-Émile Bianchi : réalisation intérieure et appréhension extérieure du monde sont intimement liées. Ésotérisme et exotérisme ne sont que deux composantes, nécessairement simultanées et conjointes, du chemin sur lequel s’engage l’initié. 

La démarche spirituelle, qui caractérise l’engagement maçonnique, est certes avant tour une démarche intérieure. Mais nulle démarche ne saurait s’inscrire dans le monde des hommes sans se fonder ou s’appuyer sur un regard extérieur. Les ermites qui s’isolent dans les grottes d’un désert, comme les spéculatifs qui assurent consacrer leur vie à prier et méditer pour le salut de mon âme, se déconnectent doublement de leurs frères en humanité, comme points de départ de leur travail intérieur et comme récipiendaires d’une part du fruit de ce travail.

Et surtout, me semble-t-il, nulle progression intérieure ne trouverait pleinement son sens si elle ne se concrétisait pas dans la réalité extérieure, au profit et en phase avec l’entourage immédiat comme avec la société toute entière.

La démarche maçonnique est une démarche individuelle, certes, mais aussi une démarche de solidarité avec l’universel. Le Maçon s’engage à poursuivre au dehors l’œuvre commencée dans le Temple, grâce à la Lumière qui a éclairé le travail partagé avec ses Frères ou ses Sœurs et qui continue de briller en lui ou en elle tandis qu’elle demeure invisible aux regards des profanes. Le Siècle interpelle le Maçon avant qu’il ne s’isole dans le Temple. Le Siècle attend le Maçon au moment où, le travail en Loge accompli, il en franchit la porte pour retrouver le monde profane.

Les tensions entre spiritualité, sécularité et réalité ne sont pas à envisager comme des contradictions insurmontables, mais comme des dialogues et une complémentarité nécessaires. Car, c’est peut-être dans la confrontation honnête entre cheminement intérieur, tolérance et faits du quotidien que peut naître la sagesse.

Autre article de cette série

Image et implications en Franc-maçonnerie 

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« S’impliquer en franc-maçonnerie aujourd’hui… »

Ou alors s’impliquer dans la Franc-maçonnerie d’aujourd’hui…..

Chers lecteurs, lectrices, spectatrices, spectateurs, une fois n’est pas coutume cette semaine j’ai travaillé pour vous !

Vous n’aurez plus qu’à mettre de côté, si jamais vous le souhaitez, ce récapitulatif de notes sur les obligations voire mises en gardes destinées aux Francs-maçons et Franc-maçonnes.

A éviter de dire, de faire, de choisir…

Tout d’abord, évidement la première chose à prescrire : la politique en loge avec des phrases du style

« SANS VOULOIR FAIRE DE POLITIQUE, IL ME SEMBLE… »

C’est vieux comme le monde, le dire c’est déjà en faire!

« LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ » 

Dans le monde profane en citant ces nobles valeurs, vous risquez d’etre soupçonné d’être Franc-maçon. Choisissez plutôt par exemple une phrase ou des mots qui rappellent ces notions comme « Amour, Liberté, Vérité il faudra choisir… » Paroles extraites d’une très belle chanson de Pierre Perret

« LES MEDIAS TENDANCES »

 Sur les réseaux sociaux, ça peut rapporter gros, on se dope aux « followers », cette prise de parole renforce notre ego.

On peut être grisé par la popularité et la médiatisation. Il faut avoir la maitrise de soi car bien souvent nous ne sommes que des marionnettes au service de diffuseurs de contenu. 

« LES SACRO-SAINTES AGAPES »

Moins contraignantes que le banquet d’ordre, les agapes ont un « statut inclassable » cette option permet si on le souhaite de quitter l’audience avant la fin des délibérations. Cependant, le flou règne encore sur les agapes pour les lieux et les types de structures, l’aménagement et la réalisation à déployer pour arriver à bonne fin. Il faut tenir compte du coût financier et de l’organisation que génère cette initiative qui nous le savons a tout son sens… 

« OU EN SOMMES-NOUS AVEC NOS sœurs ET NOS FRÈRES »

C’est bien connu le temps peut altérer nos relations, on se repose sur l’hospitalier(e) pour s’informer de nos sœurs et de nos frères et l’on finit parfois, à la longue, par négliger ce coup de téléphone qui maintient entre nous la ligne !

« LA PONCTUALITÉ EST-ELLE TOUJOURS DE RIGUEUR? »

La maçonnerie est plurielle, parsemée de différences mais nous savons que lorsque nous affichons des horaires pour prendre des décisions par exemple, notre direction commune choisie est celle de la rigueur. Les outils mis à notre disposition sont là pour nous le rappeler.

« LE TRAVAIL EN LOGE SE PROLONGE DANS LA VIE PROFANE »

C’est sans doute un point crucial dont avec les années nous mesurons la portée et le sens. Ces soucis de transmettre et de faire rayonner les valeurs auxquelles nous croyons. C’est l’image de la maçonnerie que nous transmettons… Ce sont entre autres nos propos et nos actions dans cette « vie profane » qui vont déterminer notre modernité et nos capacités à intéresser, image et implications puis à fidéliser encore plus la Franc-maçonnerie au-delà de ses carcans, de ses idées reçues et parfois loin des conceptions basées sur nos principes de base.

Ajoutons également que certains de ses représentants, par l’image qu’ils peuvent donner d’eux-mêmes, sont loin d’en être les garants. Pas simple pour certains de ne rien attendre en retour et de ne pas chercher le prestige.

J’ai dit…

Je passe le relais au Grand René dans sa video ci-dessous :