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29/11/25 – Château Saint-Antoine (GLDF – Marseille) : Les Taïnos, gardiens d’une autre voie initiatique

Les Indiens Taïnos, une autre société initiatique – Une soirée d’exception au Château Saint-Antoine

Château Saint-Antoine
Château Saint-Antoine

La Respectable Loge n°1 Saint-Jean d’Écosse – Mère Loge Écossaise, à l’Orient de Marseille, propose le samedi 29 novembre 2025 à 18 h, au Château Saint-Antoine, une conférence publique ouverte à toutes et à tous sur un thème aussi rare que fascinant :
« Les Indiens Taïnos, une autre société initiatique », animée par Jean-Pierre Lacoste.

Jean-Pierre Lacoste

Derrière ce titre se dessine une soirée singulière : la rencontre entre un haut lieu maçonnique marseillais et une grande civilisation précolombienne des Antilles, longtemps réduite au silence par la Conquête, mais dont la mémoire symbolique, les rites et l’art sacré reviennent aujourd’hui au premier plan.

Jean-Pierre Lacoste, un passeur entre mathématiques, histoire et civilisations d’Amérique

Agrégé de mathématiques, Jean-Pierre Lacoste a enseigné à l’Université de Bordeaux. Très vite, le pur géomètre s’est doublé d’un voyageur et d’un historien des sciences et des civilisations. Ses nombreux séjours en Amérique du Sud et en Amérique centrale l’ont conduit aux sources des sociétés premières, là où s’inventent les liens entre cosmos, organisation sociale et structures rituelles.

Carte des différents groupes Tainos avant les découvertes de Christophe Colomb

Parmi ces peuples, les Taïnos de Saint-Domingue occupent une place particulière dans ses recherches et ses engagements. Il leur a consacré plusieurs ouvrages, mais aussi une action concrète pour la préservation de leur patrimoine matériel et immatériel : vestiges archéologiques, sites cérémoniels, objets cultuels, mais aussi mémoire vivante de leurs descendants et de ceux qui se réclament de leur héritage.

En l’invitant, Saint-Jean d’Écosse – Mère Loge Écossaise ne cherche pas à plaquer sur le passé un vernis exotique. Elle propose, plus profondément, de laisser parler une autre forme de société initiatique, née bien avant les Lumières européennes, et de questionner, à partir d’elle, notre propre rapport au sacré, au symbole et à la communauté.

Reconstitution village Taïnos – Cuba

Qui sont les Taïnos ? Une grande civilisation des Antilles

Avant 1492, les Taïnos occupent l’essentiel des Grandes Antilles : Hispaniola (Haïti et République dominicaine), Porto Rico, Cuba orientale, Jamaïque, Bahamas. Ils représentent l’un des aboutissements majeurs des cultures arawak dans la Caraïbe.

Leur société est structurée autour d’une organisation hiérarchisée : au sommet, les caciques, chefs politiques et religieux, entourés d’une noblesse, les nitaínos, et d’un peuple d’hommes et de femmes libres, les naborias. La cohésion de la communauté repose sur un dense réseau de mythes d’origine, de cérémonies collectives et de pratiques rituelles.

Groupes Taïnos

Sur le plan religieux, les Taïnos vénèrent des forces spirituelles appelées zemis (ou cemíes), esprits de la nature, ancêtres divinisés ou puissances tutélaires, qui prennent forme dans des sculptures anthropomorphes ou zoomorphes, taillées dans la pierre, le bois, l’os ou la céramique.

Ces zemis ne sont pas de simples « idoles » décoratives : ils concentrent la présence du divin et le pouvoir symbolique du cacique, qui en est le gardien.

La vie collective s’organise autour de places cérémonielles rectangulaires, les batey, bordées de pierres gravées de pétroglyphes. C’est là que se déroulent les jeux de balle, mais aussi des cérémonies judiciaires et rituelles où le politique, le religieux et le social se nouent intimement.

Spatules_vomitoires_du_Musée_du_quai_Branly

« Une autre société initiatique » : cohoba, areíto et transformations symboliques

En quoi peut-on parler, à propos des Taïnos, de « société initiatique » ?

Jean-Pierre Lacoste montrera que cette expression ne relève ni d’un anachronisme facile ni d’une récupération maçonnique abusive, mais d’une structure : celle d’une société qui met en scène, à travers des rites précis, la transformation de l’être humain, son lien au sacré et sa place dans la communauté.

Parmi ces rites, la cérémonie de la cohoba occupe une place centrale. Les caciques et les chamanes (behiques) y inhalent, à travers des tubes et des instruments soigneusement sculptés, une poudre hallucinogène préparée à partir de graines spécifiques.

Avant d’entrer dans l’état visionnaire, ils pratiquent une purification par le vomissement rituel, à l’aide de spatules ouvragées : purification du corps, mais aussi dépouillement symbolique, préalable à la rencontre avec les zemis.

Amulette Taïno, musée de Châlons

Loin d’être un simple « chamanisme spectaculaire », la cohoba s’inscrit dans un système codifié :
– préparation du corps et de l’esprit ;
– usage d’objets sacralisés ;
– consultation des esprits pour la conduite de la communauté (guerre, agriculture, justice) ;
– interprétation des visions par des spécialistes.

On retrouve cette dimension initiatique dans les areítos, grandes cérémonies collectives de chants, de danses et de récits, où la communauté rejoue son histoire, ses mythes fondateurs et les exploits de ses ancêtres.

Dans ces longues nuits rituelles, la parole chantée, les gestes codifiés, la circularité de la danse tissent un lien vivant entre les vivants, les morts et les dieux.

La conférence proposera de lire ces pratiques comme autant de chemins de transformation : l’individu y apprend à se situer dans une trame cosmique, à se déprendre de lui-même, à reconnaître la présence de l’invisible dans le visible.

Femmes préparant le pain de cassave

L’art taïno : du symbole gravé au support de méditation

Un des temps forts de la soirée sera la présentation d’objets et de représentations de l’art taïno, que Jean-Pierre Lacoste fera découvrir au public. Là encore, rien de décoratif au sens moderne : l’art taïno est une écriture symbolique.

On y reconnaît :

  • les zemis sculptés, figures humaines ou animales parfois hybrides, qui condensent la puissance des esprits protecteurs ;
  • les duhos, ces sièges rituels en bois finement sculptés, sur lesquels s’assoit le cacique pendant la cohoba ;
  • les mystérieuses pierres à trois pointes, plantées dans la terre, qui semblent liées à la fertilité des champs, à la stabilité du monde et aux forces telluriques.(Smarthistory)

Chaque objet est un vecteur d’énergie symbolique : par sa forme, sa matière, ses motifs gravés, il dit quelque chose de la manière dont les Taïnos se représentaient le cosmos, le temps, la mort, la fécondité, la justice. À cet égard, le parallèle avec l’usage maçonnique des symboles – outils du constructeur, colonnes, étoiles, lumière – est éclairant : dans les deux cas, le signe matériel est appelé à réveiller une conscience, à mettre en mouvement un travail intérieur.

Regards croisés : ce qu’un franc-maçon peut entendre des Taïnos

La vocation d’une telle conférence, au cœur d’un site maçonnique, n’est pas de décréter que les Taïnos seraient des « francs-maçons avant la lettre ». Ce serait leur faire injure, en projetant sur eux nos catégories modernes. L’enjeu est plutôt de laisser résonner quelques échos.

Par exemple :

  • La manière dont les Taïnos articulent pouvoir et sacré, en confiant aux caciques la charge d’interpréter la volonté des zemis, invite à réfléchir à la responsabilité de ceux qui, aujourd’hui, occupent des charges « à l’Orient » : l’autorité ne se justifie que si elle sert le bien commun et reste reliée à une verticalité spirituelle.
  • La centralité des espaces rituels – bateys, maisons des zemis, grottes ornées de pictogrammes – rappelle que toute quête initiatique demande un lieu mis à part, un « temple » où se vivent d’autres rapports au temps, à la parole et au corps.
  • Le soin extrême apporté à l’art sacré (zemis, duhos, pétroglyphes) fait écho, pour les initiés, au travail symbolique sur les décors de loge, aux bannières, aux colonnes : la beauté n’est pas un supplément d’âme, elle est une pédagogie du regard.

Enfin, le destin brisé des Taïnos, frappés en moins d’un siècle par la violence de la Conquête, les maladies, l’exploitation et les déplacements de population, pose une question brûlante : que faisons-nous, aujourd’hui, des civilisations fragiles, des minorités spirituelles, des cultures qui ne rentrent pas dans les cadres dominants ? La défense du patrimoine taïno ne relève pas de la nostalgie, mais d’une éthique : reconnaître que d’autres manières d’habiter le monde, d’y dire le sacré et d’y organiser le vivre-ensemble, ont existé et méritent respect.

Chateau-sAint-Antoine

Une soirée au Château Saint-Antoine : vivre la rencontre

Le choix du Château Saint-Antoine, à Marseille, n’est pas anodin. Ce lieu emblématique, qui accueille de nombreuses manifestations culturelles et maçonniques, offre un cadre idéal pour une rencontre entre héritage méditerranéen et mémoire caribéenne.

Le public sera accueilli à partir de 16 h ; la clôture des émargements interviendra à 17 h 50 pour permettre le début de la conférence à 18 h précises. Le site dispose d’un parking gratuit (dans la limite des places disponibles). Un bar ainsi qu’un Comptoir du livre permettront de prolonger la réflexion autour d’ouvrages consacrés aux civilisations précolombiennes, à l’histoire des Taïnos et, plus largement, aux spiritualités du monde.

Les organisateurs proposent également, pour celles et ceux qui le souhaitent, un repas après la conférence (menu complet à 25 €, entrée, plat au choix, dessert et boisson). L’inscription au repas s’effectue en même temps que l’inscription à la conférence, par paiement en ligne : il est demandé de choisir son plat au moment de l’inscription, aucun changement ne pouvant être effectué le soir même.

Inscription : gratuité, contribution et dons

Fidèle à son principe de gratuité des conférences publiques, la Loge Saint-Jean d’Écosse – Mère Loge Écossaise propose un accès libre à cette soirée, sur inscription préalable obligatoire via la plateforme dédiée.

Au moment de l’inscription, plusieurs options sont possibles :

  • assister gratuitement à la conférence ;
  • contribuer, si on le souhaite, aux frais d’organisation par un soutien financier libre ;
  • ajouter éventuellement un don au profit de l’association organisatrice ;
  • s’inscrire au repas qui prolongera la rencontre.

Ce dispositif permet de concilier l’ouverture au plus grand nombre et la pérennité d’une programmation culturelle de qualité.

Une invitation à changer de regard

En ouvrant ses portes à la civilisation taïno, Saint-Jean d’Écosse – Mère Loge Écossaise invite le public – profane comme initié – à un déplacement intérieur. Quitter, l’espace d’une soirée, les repères familiers de l’Occident pour entrer dans un autre univers symbolique : celui d’un peuple pour qui la pierre gravée, le bois sculpté, la danse nocturne, le souffle de la cohoba et le visage énigmatique des zemis tissent une vision du monde à la fois sobre et profondément spirituelle.

Pour les Francs-Maçons, cette rencontre offrira matière à méditation : elle rappellera que la voie initiatique n’appartient à aucune culture en particulier, qu’elle prend des formes multiples, et que notre propre travail sur la pierre brute gagne à se confronter à d’autres traditions du sacré.

Pour tous, ce sera l’occasion de découvrir les Indiens Taïnos comme des alliés de pensée, témoins d’une autre manière d’habiter la terre, de respecter les forces qui nous dépassent et de faire de la communauté humaine un espace de transformation plutôt que de domination.

Rendez-vous donc le samedi 29 novembre 2025, à 18 h, au Château Saint-Antoine, 10 boulevard Jules Sébastianelli, 13011 Marseille, pour cette plongée rare dans une « autre société initiatique ».

L’accès à la conférence est gratuit, mais l’inscription préalable est obligatoire: cliquez-ICI

Huit femmes mystiques qui nous éclairent et nous inspirent

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L’auteure présente huit femmes mystiques — de l’époque médiévale jusqu’au XXᵉ siècle — qui témoignent d’une spiritualité vivante et incarnée, et propose ainsi des enseignements pour « ces temps difficiles ». Parmi les mystiques retenues figurent Hildegarde de Bingen, Marguerite Porete, Thérèse d’Avila, Julian of Norwich, Faustine Kowalska, Simone Weil, Eileen Caddy, et Mâ Ananda Moyi. Chacune de ces figures est explorée dans sa biographie, son expérience mystique, et ce qu’elle peut « nous » transmettre aujourd’hui.

Flavia Mazelin Salvi insiste sur le fait que la voie mystique n’est pas une retraite hors-monde mais s’inscrit « dans le quotidien » Elle valorise la dimension de l’expérience personnelle, du don de soi, de la relation à l’Invisible — et comment ces femmes ont manifesté ces dimensions dans des contextes souvent adverses (répression, maladie, solitude) mais porteurs de transformation.

Parmi les leçons proposées :

  • L’appel à l’intériorité — développer une relation personnelle à la source spirituelle plutôt que se reposer uniquement sur des structures extérieures.
  • Le courage de l’authenticité — ces mystiques ont osé affirmer une vie vécue selon l’élan intérieur, parfois contre les normes de leur temps.
  • L’ouverture à l’universel — au-delà de leur appartenance religieuse ou culturelle, elles témoignent d’un élan vers l’humanité, la compassion, la transcendance.
  • L’incarnation — l’idée que la vie spirituelle n’est pas séparation, mais intégration : contempler et agir, prier et servir.
  • La pertinence pour « aujourd’hui » — l’auteure suggère que, dans un monde fragmenté et incertain, ces parcours offrent souffle, puissance et joie.

Ce livre s’adresse à toute personne en quête spirituelle, à celles et ceux qui souhaitent s’inspirer de figures mystiques féminines pour repenser leur propre vie intérieure et extérieure. Il peut servir de repère ou d’encouragement, sans prétendre proposer une méthode rigide — plutôt des pistes à explorer.

Dans le contexte ésotérique ou de recherche intérieure (que vous appréciez), il offre des ponts intéressants entre expérience mystique, affirmation de soi, et engagement spirituel.

Flavia Mazelin Salvi a été Rédactrice en Chef et conseillère éditoriale du magazine PSYCHOLOGIES. Elle est accompagnatrice spécialisée depuis plus de trente ans en psycho-spiritualité. Elle est l’auteure de livres et d’articles consacrés à la conscience de soi et elle anime des ateliers sur ces thèmes.

« Balade Maçonnique en Terre Niçoise » : quand la ville devient Loge…

Balade Maçonnique en Terre Niçoise de Bernard Basso-Bondini se lit comme une marche lente dans une ville qui accepte enfin de livrer ses coulisses. Nice, capitale des Alpes-Maritimes, longtemps vantée pour la baie des Anges et les élégances de la Côte d’Azur, fondée par les Grecs puis recherchée par l’élite européenne du XIXᵉ siècle et par tant d’artistes, cesse d’y être simple façade azurée pour cartes postales et se révèle matrice, presque maternelle, où l’histoire profane et la mémoire discrète des loges se tressent dans la pierre, les plaques de rues, les perspectives de collines et de mer.

Le livre adopte la forme modeste d’un guide que nous pourrions glisser dans un sac, pourtant il agit comme autre chose : une initiation urbaine, une cartographie intérieure, un moyen de reconnaître dans le tissu niçois les traces de ce que la tradition maçonnique et ésotérique a semé, puis parfois laissé dormir.

Bernard Basso-Bondini choisit d’abord un axe très parlant pour qui connaît la symbolique des parcours. Les premiers pas nous conduisent vers les cimetières du château, lieux où les morts veillent à ciel ouvert, surplombant la ville comme une terrasse de mémoire. Commencer par ces terrasses funéraires revient à poser la pierre d’angle : reconnaître que la démarche initiatique se nourrit toujours de la conscience du temps, des générations et de l’inachèvement de nos existences. De là, chapitre après chapitre, le tracé se déploie en cercles élargis : Vieux-Nice, places Masséna et Garibaldi, quais et Promenade des Anglais, puis le centre-ville, Nice-Nord, Pasteur, le port, Cimiez et la pyramide de Falicon, enfin Nice-Ouest et une vaste synthèse consacrée à la franc-maçonnerie niçoise. Ce n’est pas seulement un découpage géographique. Nous ressentons un mouvement de spirale qui part des profondeurs – les nécropoles, les caves, les loges oubliées – pour remonter vers les hauteurs, les terrasses, les collines, la mystérieuse pyramide, avant de revenir à l’essentiel : les hommes et les femmes qui, aujourd’hui encore, cherchent la lumière dans les temples de la ville.

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Le livre se présente comme un topoguide très concret, avec des points de départ, des suggestions de balades, des plans et une abondance d’images. Les plaques de rues y tiennent un rôle central. Nous apprenons à les regarder non comme des indications anodines, mais comme de petites planches gravées qui condensent des pans entiers de mémoire maçonnique, politique, philosophique. Rue Pierre-Dominique Garnier, ancien Vénérable d’Atelier, avenues portant les noms de Joffre, La Fayette, Joseph de Maistre, Voltaire ou Churchill, inscriptions rappelant des musiciens, des savants, des écrivains. Les noms alignés sur les façades deviennent un véritable cabinet de curiosités symbolique. Ils indiquent, au ras du trottoir, qu’une cité n’est jamais seulement faite de béton et d’asphalte, mais d’idéaux, de combats, d’initiations silencieuses. En cela, l’ouvrage initie à une lecture maçonnique du paysage urbain : la ville entière se transforme en tableau de loge à ciel ouvert où les colonnes sont des boulevards, les pavements des places, les décors des façades, les « traces » des loges des signes à décrypter.

Toute la démarche repose sur un double mouvement très maçonnique. D’un côté, Bernard Basso-Bondini suit la chronologie particulière de la franc-maçonnerie niçoise, fragmentaire au XVIIIᵉ siècle, interrompue puis relancée, avant de connaître, après l’union de 1860 et plus encore après les années 1960-1970, une véritable floraison qui fait de Nice l’une des grandes villes maçonnées de France. De l’autre, il descend dans la chair de la ville, rue après rue, quartier après quartier, comme si chaque pierre devait témoigner de cette histoire faite de silences, de recommencements et de fidélités tenaces. Nous ressentons fortement cette articulation entre le temps initiatique – celui des transmissions, des ruptures et des renaissances – et le temps urbain, plus large, où la cité change de souveraineté, d’appartenance nationale, de vocation sociale, tout en gardant dans ses interstices les empreintes de ses ateliers.

Les promenades sont soigneusement composées. Du Vieux-Nice aux quartiers populaires, du port aux collines plus bourgeoises, du centre commerçant aux confins de Nice-Ouest, nous marchons dans une ville que la lumière méditerranéenne rend parfois presque irréelle, mais que l’auteur ramène sans cesse à son épaisseur humaine. Les figures de Garibaldi et de Napoléon, toutes deux passées par ces rues, ne sont pas convoquées comme icônes glorifiées. Elles deviennent des points de convergence où l’histoire politique, les luttes d’indépendance, les rêves d’unité italienne et les aspirations humanistes des loges se rencontrent. Nice apparaît alors comme un carrefour où se croisent les destins européens, ville frontière longtemps tiraillée, mais justement pour cela particulièrement apte à accueillir une franc-maçonnerie de passage, de transit, de métissage.

Le chapitre consacré à Cimiez et à la pyramide de Falicon introduit une tonalité plus nettement ésotérique. La pyramide, monument ruiné qui coiffe l’entrée de la grotte des Ratapignata au nord de la ville, alimente depuis le XIXᵉ siècle de nombreuses hypothèses, de la simple balise napoléonienne à un possible sanctuaire lié aux cultes à mystères ou à l’imaginaire templier.

Bernard Basso-Bondini n’épuise pas ce mystère, il le respecte. Il montre comment ce fragment de pierre, posé sur une caverne, dialogue avec l’ancienne Cemenelum gallo-romaine, avec les théories sur Mithra, avec les fantasmes modernes autour des pyramides européennes. Le lecteur Maçon y reconnaît immédiatement une figure forte : l’élévation géométrique construite au-dessus d’une cavité souterraine, comme si l’aspiration à la lumière ne pouvait se comprendre qu’à partir d’un cœur obscur, d’une grotte intérieure. La pyramide niçoise devient alors un miroir discret du chemin initiatique lui-même, qui exige la descente dans la profondeur pour autoriser l’ascension.

L’écriture accompagne ce travail de dévoilement avec une grande délicatesse. Bernard Basso-Bondini n’adopte ni le ton sec du spécialiste, ni celui du touristique enthousiaste. Nous cheminons avec un homme qui parle de sa ville d’adoption en Frère de route, attentif à la fois aux archives, aux nuances de la langue niçoise, aux petites légendes locales, aux transformations récentes du tissu urbain. Son regard s’attarde sur des détails qui, à première vue, pourraient passer inaperçus : un porche, une façade quelconque, une place banale, un immeuble moderne où une loge a pourtant travaillé des décennies durant. Il ne sacralise pas ces lieux, il les réinscrit dans la vie quotidienne, celle des habitants qui tracent leurs propres lignes de fuite entre travail, famille, loisirs et engagement discret au sein de la chaîne d’union. La ville n’est pas muséifiée ; elle reste corps vivant, parfois cabossé, où la franc-maçonnerie prend sa part, ni plus ni moins, mais avec cette exigence de fidélité à une éthique de la fraternité.

Nice et la Méditerranée depuis la colline du château
Nice et la Méditerranée depuis la colline du château

La dimension initiatique s’affirme à travers un vocabulaire choisi, mais surtout par la manière de disposer les scènes. Les balades partent souvent d’un point très concret pour accéder à une lecture plus intérieure. Une plaque de rue conduit à un récit biographique, ce récit ouvre sur une méditation sur l’exil, la guerre, la liberté de conscience, puis la promenade revient à un détail de paysage, à un jeu de lumière entre mer et façades. À plusieurs reprises, nous sentons que l’auteur s’adresse autant au frère qu’au simple curieux. Il rappelle les vertus de patience, de rectitude, d’attention au réel, qui sont autant de qualités requises pour interpréter les symboles que pour comprendre les lignes d’une ville méditerranéenne marquée par les recompositions politiques. La démarche maçonnique, loin d’être plaquée sur le décor urbain, apparaît alors comme une méthode pour habiter le monde : regarder davantage, écouter mieux, questionner la mémoire et la transformer en responsabilité.

L’ouvrage donne également une belle place à la dimension spirituelle, au sens large. Nice y est perçue comme un lieu où se rencontrent plusieurs traditions religieuses, plusieurs formes de quête, plusieurs styles de prière ou de méditation. Les églises, les temples, les synagogues, les assemblées protestantes et les loges ne sont jamais juxtaposés comme autant de curiosités. Bernard Basso-Bondini souligne plutôt leur coprésence dans l’espace niçois, cette proximité qui oblige à penser autrement la fraternité, non comme simple tolérance, mais comme cohabitation active de chemins multiples. La quête de l’élévation de l’esprit humain, chère à la franc-maçonnerie, se nourrit ici d’un paysage religieux et philosophique très contrasté, où les héritages grecs, romains, italiens et français se répondent.

Collage de Nice - Wikimedia Commons
Collage de Nice – Wikimedia Commons

L’appareil documentaire, très précis, prolonge cette ambition. L’auteur propose des références, des pistes de lecture, des repères de localisation, des ressources iconographiques qui permettent d’approfondir chaque balade. Cette rigueur ne vient jamais alourdir la marche. Elle donne plutôt l’impression que chaque promenade pourrait se poursuivre en loge, en bibliothèque ou devant un écran, au gré des recherches que le lecteur entreprendra. Le livre devient un compagnon durable pour quiconque souhaite articuler pratique maçonnique, histoire locale et curiosité spirituelle.

La dernière page, où Bernard Basso-Bondini demande au lecteur s’il a fait une belle visite et l’invite à lui en faire part, referme le cercle de manière très touchante. Le geste est plus qu’une formule de politesse. Nous y lisons l’attitude même de la démarche initiatique : rien n’est jamais clos, chaque voyage dépend de celui qui l’accomplit, la transmission n’a de sens que si elle suscite une réponse.

Le livre n’est pas un monument de plus dans le paysage éditorial maçonnique. Il ressemble plutôt à ces petites bornes que les anciens posaient sur les chemins pour indiquer une direction, laisser un signe, inviter les passants à poursuivre.

Un mot enfin sur Bernard Basso-Bondini lui-même. Né un 21 août dans la deuxième moitié du siècle passé, il porte en lui la marque du Lion, ce mélange de courage, de panache et de respect d’autrui que ses proches reconnaissent immédiatement. Grand voyageur, il a parcouru plus de trente pays d’Afrique et d’Europe de l’Est, s’imprégnant avec patience des cultures et des traditions rencontrées. Originaire de Bergerac, figure qui évoque irrésistiblement le Cyrano de Rostand, il a longtemps sillonné la France fidèle à sa « BMW Adventure » avant d’entreprendre un voyage d’une tout autre nature, une quête intérieure en recherche de spiritualité et de sens. Cette démarche contemplative l’a conduit jusqu’à Nice, perle de la Côte d’Azur où il a choisi d’établir sa résidence. De cette vie faite de routes, de curiosité et de fidélité aux valeurs de cœur est né ce livre singulier, qui prolonge ses pas et ses méditations en les offrant généreusement à celles et ceux qui accepteront de le suivre dans cette exploration initiatique de la ville.

Balade Maçonnique en Terre Niçoise apparaît ainsi comme le fruit mûr d’un long compagnonnage avec la cité et avec la franc-maçonnerie : un livre écrit par quelqu’un qui sait ce qu’est marcher, arpenter, prendre la mesure d’un relief, mais aussi lire les traces invisibles, les fraternités discrètes, les promesses parfois trahies et pourtant jamais entièrement perdues.

Nice, baie des Anges
Nice, baie des Anges

Dans le paysage actuel de la littérature maçonnique, souvent saturé de synthèses théoriques ou de traités abstraits, l’ouvrage de Bernard Basso-Bondini apporte une respiration singulière. Il rappelle que la voie initiatique s’enracine toujours quelque part, dans une terre, une langue, des rues, des corps qui circulent. Nice devient ici laboratoire, temple à ciel ouvert, miroir de nos propres villes intérieures. Nous sortons de cette balade avec l’impression d’avoir reçu plus qu’un savoir : une manière de regarder, humble et fraternelle, qui fait de chaque plaque de rue, de chaque façade, de chaque colline, un signe possible sur la route longue et exigeante de l’initiation.

Balade Maçonnique en Terre Niçoise

Bernard Basso-BondiniLiberFaber, 2025, 354 pages, 25 €

LiberFaber, le site

L’Impératrice (III) : L’Ange ou la Reine ? L’Énigme de la Création

Que vous soyez un fidèle de notre rendez-vous hebdomadaire ou un nouveau venu, bienvenue. L’ambition de ce blog est simple, et oserais-je dire, ludique : nous explorons ensemble le Tarot d’Oswald Wirth comme un formidable miroir des symboles, en laissant volontairement l’art divinatoire de côté. Notre jeu est bien plus intime. Il ne s’agit pas de lire le Tarot, il s’agit de le vivre.

Pour cela, je vous invite à vous prêter à l’exercice : vous n’êtes pas le spectateur. Vous incarnez le Tarot. Vous êtes le Héros de ce chemin initiatique, vivant chaque arcane comme une étape de votre propre transformation.

La semaine dernière, ou peut-être à l’instant si vous nous rejoignez, vous avez incarné l’Arcane II, La Papesse. Vous étiez assis, immobile, entre les deux colonnes. Vous étiez le silence, la réceptivité pure, le miroir de la Gnose (cette connaissance intime et directe du divin). Vous avez appris à être. Vous teniez le livre (entr’ouvert !) de la dualité et les clés du visible et de l’invisible.

Bravo. L’épreuve du silence est réussie.

Et maintenant ? Allez-vous rester assis sur ce trône pour l’éternité ?

Certainement pas ! La Gnose n’est pas faite pour être thésaurisée. La Sagesse (Chokmah) n’existe que pour être comprise. La lumière reçue doit être manifestée. C’est le premier pas concret vers l’élévation spirituelle. L’énergie change… radicalement.

Du 2, nous passons au 3. Du binaire, nous passons à la trinité. Du silence, à l’action.

Vous devenez… L’Impératrice.

Ce n’est pas une simple succession, c’est une synthèse créatrice. Vous unissez en vous les principes contemplatifs de La Papesse (II) et l’énergie active du Bateleur (I). Si La Papesse était la Gardienne (le Donateur chez Propp) qui vous a testé, L’Impératrice est ce que vous devenez après avoir réussi le test. C’est l’activation de votre propre puissance créatrice. Vous n’êtes plus le miroir, vous êtes le soleil. Vous n’êtes plus la coupe qui reçoit, vous êtes la source qui déborde.

L’Ange ou la Reine ? L’Énigme de sa Double Nature

Regardez-la. Elle est tout le contraire de La Papesse. Elle n’est pas cachée dans un Temple intérieur, elle est assise au grand jour. Son trône n’est pas austère, c’est un cube (la matière) confortable. Elle ne regarde pas en dedans, elle regarde le monde.

Mais l’élément le plus fascinant, ce sont ses ailes. Discrètes mais puissantes, elles se déploient derrière elle, symbolisant la légèreté et l’élévation. La Papesse était ancrée au sol ; l’Impératrice, elle, est une « femme terrestre et ange céleste« . Elle est une médiatrice, son pouvoir est à la fois spirituel et terrestre.

Elle tient le sceptre de la domination (surmonté d’un globe et d’une croix) et un bouclier. Et sur ce bouclier ? Un Aigle. Pas un aigle héraldique et guerrier, mais l’Aigle alchimique, symbole solaire d’élévation spirituelle.

Elle est Vénus-Uranie. La Mère universelle. Elle est l’Intelligence qui donne forme à l’idée.

De la Graine à la Fleur : Pistes d’Analyse (inspirées)

Vous avez reçu la Gnose de La Papesse. En devenant L’Impératrice, vous allez la comprendre et l’enfanter. Le Tarot miroir des symboles nous guide sur ce chemin de l’incarnation.

Du « dedans » au « dehors » : La Lettre Ghimel (ג)

Vous étiez Beth (ב), la Maison, l’immobilité. Vous devenez Ghimel (ג), le Chameau. Le chameau est l’animal qui traverse le désert. C’est le mouvement, le pont, le véhicule. La Papesse était le Temple ; L’Impératrice est le chemin qui en sort pour aller vers le monde. C’est l’arcane qui relie, qui communique, qui transporte la Sagesse hors de son sanctuaire. La synthèse de la dualité.

L’Intelligence qui organise : Le lien Kabbalistique

C’est ici que le passage du 2 au 3 prend tout son sens. Si La Papesse était Chokmah (חכמה), la Sagesse, c’est-à-dire l’idée pure, le « germe« , vous devenez Binah (בינה), l’Intelligence, la Compréhension. Binah est la troisième Séphirah. C’est la Grande Mère Cosmique. C’est le « palais » ou « l’utérus » qui reçoit le germe de Chokmah et lui donne une structure, une forme, une organisation.

La Papesse savait. L’Impératrice comprend. Et en comprenant, elle crée l’Univers.

Elle est l’intelligence qui organise la nature, les cycles, la vie.

L’arbre de vie – Le tarot miroir des symboles P44 – ed LLDMV 2025

Le Couronnement (Les 12 Étoiles)

Sur sa tête, Wirth dessine une couronne de 12 étoiles (9 visibles, 3 cachées). C’est le Zodiaque. L’Impératrice ne règne pas malgré le temps, elle règne avec le temps. Elle maîtrise les cycles, les saisons. Elle est la souveraine de la nature manifestée.

L’Envers du Miroir (L’Arcane XX)

Dans le grand jeu des correspondances transversales, qui fait face à L’Impératrice (III) ? C’est Le Jugement (XX). L’une, l’Impératrice, représente la fécondité, la créativité matérielle. L’autre, Le Jugement, évoque l’illumination spirituelle et la révélation. C’est la Création active qui fait face à la Révélation divine. La naissance dans le monde physique répond à la renaissance dans le monde spirituel.

Aparté : Oswald Wirth, le restaurateur de l’essence du Tarot

Mais qui est donc cet Oswald Wirth (1860-1943) que nous citons si souvent ?

Si le Tarot est arrivé en France par les cours italiennes (les Tarocchi), s’il fut « révélé » comme un livre égyptien par Court de Gébelin, puis magnifiquement « kabbalisé » par Éliphas Lévi, il manquait encore l’essentiel : l’Image.

Oswald Wirth, médecin suisse, Franc-maçon et occultiste, fut l’homme de la situation. Sous l’impulsion de son maître, Stanislas de Guaita, il n’a pas « inventé » un Tarot. Il a agi en véritable « restaurateur« . Il a repris le dessin traditionnel du Tarot de Marseille et y a réintroduit, avec un talent de dessinateur et une intuition d’Initié, tous les symboles ésotériques que le temps et l’usage « profane » avaient effacés ou obscurcis.

Son génie est d’avoir fait de l’iconographie un enseignement en soi. Avec lui, le Bâton du Bateleur devient une baguette magique, La Papesse reçoit son Yin-Yang, L’Impératrice son aigle alchimique, et surtout, chaque arcane majeur reçoit visiblement sa lettre hébraïque.

Le Tarot de Wirth (1889) est le premier jeu initiatique moderne, un pont parfait entre la tradition populaire (Marseille) et la haute synthèse ésotérique (Lévi, Guaita). C’est un outil de méditation où chaque trait, chaque couleur, chaque symbole a été pesé au trébuchet de la Connaissance.

Conclusion : La Vie qui appelle l’Ordre

En devenant L’Impératrice, vous avez fait le pas de la gestation à la manifestation. Vous êtes l’intelligence créatrice, la nature dans sa splendeur, la vie qui s’expanse. Vous êtes passé d’Être à Comprendre pour Créer.

Dans la tradition maçonnique, L’Impératrice n’est autre que la colonne de la Beauté, ce pilier central qui symbolise l’harmonie et la perfection dans l’œuvre initiatique. Elle incarne cette union indispensable des principes actifs (volonté) et passifs (réceptivité) pour accomplir la transmutation.

L’ouvrage « Le Tarot miroir des symboles » explore bien sûr les autres facettes de cette lame, notamment son lien avec le Verbe et l’action de l’Esprit Saint, ou la signification plus profonde de ses ailes.

Mais regardez bien cette création. Elle est magnifique, n’est-ce pas ? Luxuriante, expansive, presque trop. Une telle explosion de vie ne risque-t-elle pas de sombrer dans le chaos ?

Cette nature abondante, pour durer, a besoin d’une structure. Cette création fertile a besoin de règles pour s’organiser. La Création (III) a besoin d’une Loi (IV).

C’est la prochaine étape de notre jeu… Bientôt, l’énergie va se durcir, se stabiliser. Nous allons rencontrer la puissance de L’Empereur (IV).

Mais n’allons pas trop vite…

« Recevoir la lumière est Sagesse ; lui donner la vie est Intelligence », disait l’Impératrice.

« Le Tarot miroir des symboles »

« Recevoir la lumière est Sagesse ; lui donner la vie est Intelligence », disait l’Impératrice.

Autres articles de cette série

Penser l’émergence de l’univers

Le procès de Galilée en 1633 et le débat d’Oxford en 1860 [1] sont certainement les deux plus célèbres affrontements entre la science et l’Église. Si le procès de Galilée est le plus connu des deux, c’est bien sûr parce qu’il a donné lieu à un jugement et à l’exécution d’une sentence. Ils sont pourtant en tous points identiques, la seule différence tenant à la puissance politique de l’Église à l’époque des faits ; elle avait la gestion des bûchers et des geôles au XVIIe siècle et ne l’avait plus au XIXe.

Il est une autre différence majeure entre les deux, c’est que le dogme du géocentrisme défendu par l’Église au XVIIe siècle a été définitivement écarté en 1992 par les excuses officielles du pape, alors que le dogme de l’homme créature divine, exempte des lois de l’évolution, est encore très loin d’être abandonné.

Grande figure gnostique de Rome, Valentin va développer et structurer les théories gnostiques fondatrices de l’univers : le Propator (le Père), engendre Sige (le silence), qui engendre le Noùs (l’esprit) et Aléthéia (la Vérité) qui à son tour engendre le Logos (le verbe) et Zoé (la vie) et ainsi de suite jusqu’à l’Anthropos (l’homme) lequel engendre Thélétos (la volonté) et Sophia (la sagesse). Ces 30 premiers éons constituent le Plérôme dont sortira le démiurge créateur. Tout cet enseignement se trouve dans la Pistis Sophia, la bible des gnostiques d’Égypte.

Pour les éclaircissements du sens naturel de la Pistis Sophia apportés par Papus en 1898 dans son opus L’âme humaine avant la naissance et après la mort 

Au XVIe siècle, Isaac Louria a l’intuition du tsimtsoum. Son interprétation du Zohar, le Livre de la Splendeur et en particulier du Béreshit (בְּרֵאשִׁית), première parole de la Genèse, généralement traduite par «Au commencement» (alors qu’il vaudrait mieux utiliser la traduction de Chouraqui   « dans les commencements »), fait appel à une contraction de l’essence de Dieu ( אַין סוֹף, l’aïn Sof) qui se retire pour laisser un vide d’où paraîtra un point de lumière (aor, אַוּר) qui, en simplifiant à l’extrême, donne origine au créé par émanations successives. Processus primordial qui est à l’origine des mondes.
Cette conception émanationniste, introduite au XVIe siècle dans la kabbale par Rabbi Isaac Louria Achkenazi, concerne l’apparition du monde divin et terrestre, dont l’émanation s’assimile à une auto-contraction de la divinité, tel un exil en son sein, permettant l’instauration d’un espace vide.
Écoutons le Zohar : «Sache qu’avant que ne soient émanés les émanés et que les créatures ne soient créées, une lumière supérieure simple remplissait toute la réalité. Il n’y avait aucune place libre, … ; tout était lumière, une, simple, homogène, c’est ce que l’on appelle la Lumière de l’Infini (Aur Ain Sof). Lorsque monta à sa volonté simple de créer les mondes …, alors, il se contracta lui-même.» Cette contraction, c’est le tsimtsoum.
Ce point est dans un non-espace qui est un vide non-vide. Si le sens du mot Tsimtsoum est la contraction (puisqu’il dérive de Létsamtsèm qui veut dire contracter), dans le langage Kabbalistique il exprime aussi le retrait. Le Tsimtsoum est donc pour la Kabbale une double action, d’abord de contraction de la lumière (simple et unique) de l’infini, ensuite de rétraction. Par ce processus, D.ieu va refouler son Ein Sofiyouth, Son Infinitude, et laisser place à Sa création. Ce double mouvement de contraction-rétraction de l’état originel, sera le premier souffle de la Genèse.

Le point central (ou premier) est appelé Nékoudah Ha Emtsaï, ce point médian correspond à Even Chtiya, la pierre angulaire ou de fondement. Bien qu’informel, ce point représente la première matérialisation du Ratson Ha Boré, le Désir de créer à partir duquel D.ieu va fixer Son Objectif pour la création. C’est à partir de son hyper concentration que D.ieu va retirer, siphonner l’Ain Sof, l’infini, pour créer une limite, Sof, à l’émanation primordiale (Éric Daniel Elbaz).

Mais, pour que la création puisse s’expanser, que l’infini ne la submerge pas dans un mouvement inverse, une délimitation fut installée en même temps. Depuis, une force maintient séparée la dualité de l’Unité.

L’AïnSoph est donc la Déité sans borne, ou sans limite, qui émane et s’étend.
Les Kabbalistes disent Aïn-Soph, horizon de l’éternité ; les philosophes agnostiques l’Inconnaissable ; les spiritualistes et les religieux Dieu ; les francs-maçons GADLU.
Les uns s’appuient sur la raison humaine en indiquant sa limite, les autres sur la révélation et sur la foi ; certains, même, admettant le concept de Dieu, ne se sont pas embarrassés dans les difficultés car, pour eux, le vivant et la nature sont Dieu, et Dieu c’est la nature, ce sont les panthéistes comme Spinoza.

Pour tous les chercheurs, quelle que soit leur croyance, Aïn-Soph, l’Inconnaissable, Dieu ou la Nature sont des termes qui concrétisent l’origine de l’Être, des êtres et de tout l’univers visible ou invisible.

Avec Aïn-Soph et Dieu, sous deux vocables, il y a le même concept de la transcendance. On peut reculer dans une certaine proportion la limite de l’Inconnaissable ; quant à la Nature, c’est une résultante, son immanence dans le sein des êtres qui la constitue, qui la rend solidaire de leurs métamorphoses, de leur vie et de leur mort.

Helena Blavatsky

Au commencement le principe omniprésent éternel, illimité, inconcevable et immuable, innombrable, que Blavatsky appellerait l’Être-té ou la Vie-une ; le Aleph auquel le Beth du béreshit nous renvoie, le  Ayin, le Rien. Une fois sorti de cet absolu, la dualité survient dans le contraste de l’esprit et de la matière qui demeurent, sous deux aspects différenciés, la même chose, le Un. L’esprit est la première manifestation de la matière et la matière est la première manifestation de l’esprit  La substance cosmique, l’espace, l’aether grec est aussi appelé la Mère avant son activité cosmique, et le Père-Mère au premier stade de son réveil, dont le mode de mise en mouvement peut-être le Logos, le Verbe. L’univers manifesté, qui en est issu ensuite, est donc pénétré par cette dualité. Il en est le fils consubstantiel ; c’est le Fils de la vierge-mère fécondée par l’esprit. Et l’on peut dire : de l’esprit (ou Idéation cosmique ou Père) viendrait notre conscience.

Pour les premiers kabbalistes chaldéens, Aïn Soph était sans forme ni être et sans ressemblance avec quoi que ce soit. Aïn sof est à rapprocher de Parabrahman, terme védântin signifiant au-delà de Brahmâ, le Principe Suprême et absolu, impersonnel et sans nom. Dans le Veda, il est évoqué comme «Cela».

Nul pourtant ne paraît s’être enfoncé aussi profondément dans l’insoluble problème que le cordonnier auto­didacte et quasi illettré, Jacob Böhme. Au chapitre II de son De Signatura Rerum, on lit : «Par delà la nature, se trouve le Rien, silence et repos éternels : De toute éternité, au sein de ce Rien une volonté s’élance vers quelque chose. Ce quelque chose qu’elle convoite, c’est elle-même, puisqu’il n’y a rien, sinon elle-même.» (p.13)

Par le tsimtsoum, Dieu laisse la place à l’être fini autre que lui. Avec le tsimtsoum, le monde perd sa perfection. Il apparaît alors dans sa deuxième modalité, sous la forme de cinq mondes : l’Homme Primordial, les mondes de l’Émanation, de la Création, de la Formation et de l’Action. Ces mondes étant imparfaits, les actions réparatrices de l’homme y ont une place et constituent, par la perfection qu’elles instaurent, le sens ultime de la création.

La Monas Hieroglyphica composée à Londres, et terminée en 1564 à Anvers par le Dr John Dee, astrologue de la reine Élisabeth 1ère, est un petit traité qui enseigne comment le hiéroglyphe mercuriel dérive du point central ou iod générateur. En hébreu, l’initiale du nom de la colonne Jakin est un iod.

Au commencement était le Logos

Du grec ancien λoγος, lógos. Littéralement ce qui « logue », réunit, contient tout. Ce conteneur universel, ce conteneur confondu ou réuni avec son contenu, le tout qui est aussi la forme à la fois primale et ultime du Un, les physiciens l’appellent le «bulk», le corps total des multiples dimensions de l’univers.

Selon les Notions Philosophiques de Sylvain Aurox, logos est l’un des termes qui, dans la pensée grecque, a la plus grande polyvalence (comme dans la pensée juive avec le mot dabar דְבַר, parole) et qui voit très tôt ses emplois spéculatifs déborder son acceptation ordinaire.

Dans un premier sens logos signifie parole (un mot, une mention, un bruit qui court, un entretien, un récit, une composition en prose, des belles-lettres, des sciences, des études, un sujet d’entretien, d’étude ou de discussion). Dans un second sens logos signifie raison, il est la faculté de raisonner, la raison l’intelligence, le bon sens, la raison intime d’une chose, le fondement, le motif, l’exercice de la raison, le compte-rendu d’une justification, l’opinion au sujet d’une chose à venir, la présomption, l’attente.

Platon et Aristote philosophant

La proportion analogique, voici la grande conceptualisation grecque, pas celle du rapport simple a/b, mais celle qui intéresse en tant que médiété, celle qui va d’un rapport à un autre, tel a/b=c/d et par substitution peut passer de celui-ci à un troisième rapport et ainsi de suite. Il ne s’agit point de couper quelque chose en part, donc de partager ou de prélever, ce que chacun, généreux ou léonin, sait faire depuis les commencements, mais de construire, pas à pas, une chaîne, donc de trouver ce qui, sous-jacent, stable et glissant, transite le long de son enchaînement. Les Grecs appelleront ce rapport d’analogie « logos ». Comme Platon et Aristote, les Stoïciens penseront que le logos pur est parole, intelligence, un accès direct et véritable aux choses, ce que les nombres et leurs rapports peuvent faire. Platon s’inspire de la Thora en écrivant que le monde des idées, le logos, qui est invisible, est à l’origine de l’univers.

La notion de logos est bien antérieure aux évangiles ; cette notion de parole ou verbe-démiurge se trouve déjà dans les spéculations égyptiennes et  la traduction de la Bible en grec (la Septante) donne l’occasion de voir comment le logos de Dieu (le memar) est utilisé dans l’Écriture juive, bien avant le temps des Apôtres (St Jean pose le postulat qu’il existe un principe premier et suprême reposant sur la parole et la lumière).

Anaximandre

La reconquête du sens originaire de logos suppose un travail archéologique sur la pensée des présocratiques notamment celles d’Anaximandre ou d’Héraclite qui pensent  le logos comme ce qui constitue, éclaire et exprime l’ordre et le cours du monde. Il ne peut être saisi que si nous entrons en dialogue avec lui. Il fonde le discours et le dialogue, et anime la dialectique. Héraclite déplorait que les hommes soient incapables de comprendre la permanence du logos bien que celui-ci soit à l’origine de la pensée humaine. Dans l’antique philosophie grecque, le logos est en fait le principe qui gouverne le cosmos, la source de toute activité, de toute création et génération, notion assimilée aussi par les gnostiques.

Heidegger conclut que logos n’aurait pas pour signification première «ce qui est de l’ordre de la parole mais, ce qui recueille le présent, le laisse étendu-ensemble devant et, ainsi, le préserve en l’abritant dans la présence».

S’inspirant de la rhétorique aristotélicienne, Roland Barthes liait l’ethos à l’émetteur, le pathos au récepteur et le logos au message.

Cependant, cette énergie primordiale ne serait-elle pas cette énergie noire, proposée actuellement par le commissariat à l’énergie atomique dans leurs dernières recherches astrophysiques, et qui, comme l’écrit Michel Cassé, fait naître «un état de grâce, d’élévation, où l’envol l’emporte sur la chute, une antigravitation» ?
Les données récentes sur l’accélération de l’expansion de l’espace et l’éloignement des galaxies dans notre univers, ainsi que la présence de ce qu’on a appelé énergie sombre et matière noire, pourraient faire penser que la vision de Louria du tsimtsoum n’est pas très éloignée de la réalité cosmologique. Cela évoque «l’araignée au centre de sa toile, image du soleil dont les rayons, qui sont des émanations ou des «extensions» de lui-même (comme la toile de l’araignée est formée de sa propre substance), constituent en quelque sorte le «tissu» du monde, qu’ils actualisent à mesure qu’ils s’étendent dans toutes les directions à partir de leur source» (René Guénon).

Aujourd’hui, la théorie de l’émanation est à repenser en perspective avec les connaissances scientifiques de la physique quantique.

L’émergence est donc une manière d’expliquer la diversité du Monde connu, c’est-à-dire de l’Univers.

Une structure est dite émergente si elle apparaît brutalement en étant issue de la dynamique, c’est-à-dire que ses propriétés n’existaient pas préalablement dans les éléments qui l’ont composée. Les éléments liés sont alors intégrés en un ensemble, une entité qu’on ne peut dissocier sans la détruire.

Par exemples : l’émergence de la vie, l’émergence de la matière. Elle est le plus souvent un phénomène observable, reproductible, mesurable et qui correspond à des lois scientifiques reconnues. Même les transitions de phase qui ont donné naissance à notre univers peuvent être reproduites si celles-ci mettent en jeu des énergies que l’on peut obtenir en laboratoire. On peut ainsi créer de la lumière et de la matière à partir du vide. Ce que l’on appelait autrefois «le mystère des origines» devient aujourd’hui lois de l’émergence.

Pour Emmanuel Lévinas : «La merveille de la création ne consiste pas seulement à être création ex nihilo, mais à aboutir à un être capable de recevoir une révélation, d’apprendre qu’il est créé et à se mettre en question. Le miracle de la création consiste à créer un être moral»

Reste les questions, pourquoi et pour quoi un ordre plutôt que le chaos ? Quant à l’évolution, promis j’en ferai un article bientôt.

Petit lexique des termes employés

Apeiron

L’infini, l’illimité. élément inventé par Anaximandre synthétisant les quatre autres (terre, eau, air et feu). Il s’agit d’une «substance première, infinie, immortelle, enveloppant et gouvernant toute chose». Anaximandre fait de l’apeiron la seule cause du développement organisé de notre univers. Il le décrit comme étant un élément invisible déterminant tout ce en quoi consiste notre monde et ce depuis toujours jusqu’à l’infini.

Pour Anaximandre, l’Apeiron serait une substance qui est origine, source et réceptacle du Tout, éternelle et indestructible. Elle est la cause complète de la génération et de la destruction de tout : tout ce qui devient a un commencement, une fin, des limites spatio-temporelles et donc, ce qui a un commencement et une fin ne peut être la cause éternelle de tous les êtres ; donc ce qui est illimité et indéterminé peut-être une cause universelle, indestructible et permanente.

Memra

Puisque Dieu est en quelque sorte intouchable, il est nécessaire de fournir un lien viable entre YHWH et sa création terrestre. L’un des liens importants considérés dans la pensée rabbinique antique était le Verbe (la parole, le mot) appelé memar en chaldéen et ma’amar en araméen. Le Pirke Avot utilise le mot au pluriel, assara ma’amaroth, pour qualifier les dix paroles par lesquelles fut créé le monde (ne pas confondre mais à rapprocher avec le décalogue, assereth hadibberoth (עֲשֶׂרֶת הַדִּבְּרוֹת), les 10 paroles que sont les 10 Commandements. Leur énoncé est précédé par un verset singulier, Exode 20.1, où il est dit ; «Alors D.ieu prononça toutes ces paroles», seul de tous les versets de la Torah, dont la structure 7 mots et 28 lettres, est identique à celle du 1er verset de la Torah ; «Au Commencement D.ieu créa les cieux et la terre ; Béréchit Bara Elokim Et HaShamayim VéEth HaAréts» (Genèse 1,1). Par cette structuration identique, nous apprenons que la Puissance mise par D.ieu dans Son Acte créateur, a été de la même intensité que celle mise dans Sa Révélation (Secrets de Kabbale Livre 1 : Béréchit par Eric Daniel El-Baze).
Pour la kabbale Memra (םאםר) montre le Aleph, l’Intemporel, projeté en un double modèle biologique dans l’univers séparant les eaux d’en haut des eaux d’en bas (les deux ם) avec le souffle/Esprit (rouakh le ר) ; c’est la liaison entre le matériel et le spirituel, simultanément le mot/création (le verbe) et l’univers créé.
Les rabbins ont enseigné que le memra était l’agent du salut. Qu’il s’agisse d’un salut physique (tel que l’Exode à la sortie d’Égypte) ou d’un salut spirituel, Dieu a toujours sauvé par l’intermédiaire du memra, par Sa Parole. «C’est le Verbe en tant qu’Intelligence divine, qui est le lieu des possibles.» (René Guénon)
La doctrine du Logos de St Jean, avec l’évocation du «memra», se trouve déjà, tout au long de la théologie juive du premier siècle, dans les targums, ces paraphrases rabbiniques et commentaires de l’Ancien Testament qui commencent à apparaître autour du temps des Apôtres.  Le père Lev Gillet III dans Judaïsme et foi chrétienne (à partir de la p.6/20 , explore la notion de Memra dans la littérature du Targum, en la comparant à d’autres concepts théologiques.
Dans la Bible hébraïque, la « Parole de Dieu » est créatrice, protectrice du peuple élu et inspiratrice des prophètes, avec une tendance à la personnification poétique plutôt que métaphysique. Dans le Targum, le Memra devient un intermédiaire entre Dieu et le monde, distinct du Hochmah (Sagesse) et du Métatron (Ange de la Présence). Contrairement au*Logo* de Philon, influencé par la philosophie grecque, le Memra reste ancré dans la pensée rabbinique, bien qu’il partage certaines affinités avec des notions comme le Paraclet.
Le Memra n’est pas un simple outil pour éviter l’anthropomorphisme, mais porte une signification théologique profonde, comme le souligne Nahmanide. Il est parfois personnifié, intercesseur pour Israël, et invoqué dans la prière comme une entité distincte. Le texte évoque aussi l’idée de filiation divine, présente dans l’Ancien Testament et la littérature rabbinique, où le Messie est parfois appelé « Fils » de Dieu dans un sens unique, sans impliquer une descendance physique. Le Zohar établit un lien entre Memra, Fils et une forme d’unité divine, préfigurant certaines idées chrétiennes sans s’y assimiler totalement. Le texte conclut que, bien que la doctrine chrétienne de la Trinité ne se retrouve pas telle quelle dans le judaïsme, la pensée juive a développé des concepts (Memra, Fils, Messie) qui ont influencé les formulations chrétiennes, sans contredire la foi juive ni heurter son monothéisme.

Ordo ab chao

L’ordre issu du chaos. C’est la tension entre l’entropie et la négentropie. Le chaos, ce serait l’amoncellement inorganisé sans cohérence. L’idée d’ordre implique la nécessité de penser et de régler, pour ne pas dire réguler l’organisation de la matière à partir d’une nature inerte et désorganisée.

Nassim Haramein explique le Big bang, le chaos et l’ordre : L’infini dans le fini 

L’état primordial, primitif du monde, c’est le Chaos. C’était, selon les poètes, une matière existant de toute éternité, sous une forme vague, indéfinissable, indescriptible, dans laquelle les principes de tous les êtres particuliers étaient confondus. Le Chaos était en même temps une «divinité» pour ainsi dire rudimentaire, mais capable de fécondité. Il engendra d’abord la Nuit, et plus tard l’érèbe (la ténèbre).

Ce grand mystère est au cœur des secrets des alchimistes médiévaux en quête de la perfection intérieure et de la pierre philosophale. Les anciens alchimistes représentaient la formule ordo ab chao à l’intérieur d’un serpent (ou dragon) se mordant la queue, appelé ouroboros.

Pythagore aurait donné le nom de cosmos (monde ordonné en grec) à l’univers à cause de l’ordre qui y règne. Le réel a un ordre et une évolution vers la complexification par émergences successives.

Ordo ab chao, cette formule est aussi la devise et l’emblème de la Franc-maçonnerie hermétique, dont l’origine remonterait à l’Égypte ancienne.
Sur le plan historique, on trouve des traces de cette devise dès 1149, elle apparaît en inscription, dans un document trouvé en Allemagne faisant allusion aux Stone Layers. On la retrouve en 1250, 1295 dans différentes archives compte rendu de congrès ou de réunions de loges liées aux Anciens Maçons Opératifs, qu’elle accompagnera régulièrement. Elle s’affirme progressivement au cours du XVIIIe siècle et définitivement administrativement pour la 1ère fois après des années délicates dans la patente de De Grasse Tilly tout début XIXe, afin de mettre en place un certain ordre après le désordre qui régnait à l’époque en ce qui concerne l’organisation des grades de l‘écossisme. Il était nécessaire de mettre en place une transmission initiatique cohérente favorisant un ordre du chaos de l‘époque, en s‘appuyant sur les grandes Constitutions. Dans ce cadre on peut situer le but du REAA comme l‘union, le bonheur, le progrès, et le bien-être de la famille humaine en général et de chaque homme en particulier.

Comme l’écrit René Guénon (Aperçus sur l‘initiation, p.21) «Pour que le Chaos puisse commencer à prendre forme et à s‘organiser il faut qu‘une vibration initiale lui soit communiquer par les puissances spirituelles que la Genèse hébraïque désigne comme élohim, cette vibration, c‘est le Fiat Lux qui illumine le Chao et qui est le point nécessaire de tous les développements ultérieurs».
Le  Chao est perçu comme un état négatif, alors qu‘il peut aussi être source d‘inspiration et qu‘il contient en germe tous les éléments de la création, de notre développement d‘homme en tant que franc-maçon.

Cela est repris par Michel Constant (Réflexions sur  Ordo ab Chao  dans  Traditions écossaises, n° 4 Juillet 2002) «Par étapes successives, par degrés l‘impétrant est confronté à la destruction d‘anciens repère de pensée ; destruction qui doit permettre de construire de nouveaux repères plus subtils qui, une fois assimilés, seront eux aussi détruits pour permettre une nouvelle étape, une nouvelle construction.»

Depuis la création du 1er Suprême Conseil du Monde le 31 mai 1801 aux États-Unis à Charleston,  la devise Ordo ab chao est la devise du Rite Écossais Ancien et Accepté. En adhérant à cette devise, le Maçon du REAA reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’Univers.

Le relèvement du maître est un nouvel ordre donné après le désordre, celui du chaos de sa mort.

Écouter Marc Halévy sur la notion d’ordo et chao et la complexification de la réalité 

Tétraktys

Quelle époque cette Renaissance ! Des érudits qui connaissent plusieurs langues (l’hébreu en particulier), les écrits des Anciens et qui pensent courageusement malgré l’Inquisition.
– Au chapitre, « Du nombre quaternaire & de son Échelle », Henri Corneille Agrippa (qui parle huit langues :allemand, français, italien, espagnol, anglais, latin, grec, hébreu) dans son livre « La philosophie occulte », énumère, à partir de la Tetracte (Tétraktys), les représentations et les significations holistiques du nombre quatre : .
– Joannhes Reuchlin fait une analogie entre la tétraktys et le tétragramme : si uultis tetragrramaton per choros ad cubum, per cubum ad romani quadernitudinem appellant, per cubum ad tetractyn uestram, quam nos tetragrammaton , romani ab ea ad binariu angelicam naturam significantem et inde ad unitatem deum optimum maximum et experiemini « De Arte cabalistica libri tres (On the Art of the Kabbalah De Arte Cabalistica, version latine avec traduction en anglais).
L’idée est traduite par François Secret dans son ouvrage, La Kabbale (De arte cabalistica) (pp.177 et 178) : «Nous voyons donc découler d’une seule source les principes jumeaux des choses temporelles, la pyramide et le cube, c’est-à-dire la forme et la matière. Nous les voyons provenir du même carré, dont l’idée, comme nous l’avons montré auparavant, est la Tétractys, le divin exemplaire de Pythagore. J’ai donc expliqué le plus brièvement que j’ai pu les symboles primordiaux qui, en fait, ne désignent rien autre que la matière et la forme.»
Rappelons que pour Reuchlin, le nom de Jésus, traduit en hébreu, présente les cinq lettres du pentagramme YHSVH ou IHSUH : il équivaut aux quatre lettres du nom sacré de Yahvéh יהוה, le tétragramme sacré, YHWH ou IHUH, où, au milieu, vient s’insérer un shin (un « s »), une consonne entre deux voyelles de part et d’autre ; ainsi, le Nom interdit, ineffable, devient dicible. Trois étapes dans les Noms de Dieu se dessinent, selon Reuchlin : aux temps de la nature Dieu s’appelait par le trigramme Sadaï (SDI), aux temps de la Loi (sous Moïse) Dieu s’appelait par le tétragramme sacré prononcé Adonaï (ADNI), enfin, au temps de la grâce (sous Jésus), Dieu s’appelle par le pentagramme Jhesu (IHSVH). In natura SDI, in lege ADNI, in charitate IHSVH (Dans la nature SDI, dans la Loi ADNI, dans la charité IHSVH).

Le mot tétraktys signifie «quadruple éclat rayonnant», elle est la tétrade, le Quatre sacré par lequel juraient les Pythagoriciens pour qui cela représentait le résumé universel de la révélation divine enfermé dans les nombres quatre, trois, deux et l’unité.

La tétraktys est un formalisme, un plérome, une image pour exprimer une vision de la formation de la création, de la structure du monde selon une théorie de l’émanation. L’importance de la Tétraktys pythagoricienne, dans n’importe quel type de connaissance métaphysique et cosmogonique, est incontestable.

Tohou wa Bohou ; tohou bohou

L’état de l’univers avant la séparation des eaux est dans la Bible le tohu bohu.
Tohou, le souffle est dans le signe ; Bohou, le souffle est à l’intérieur.
Tohou wa bohou (וָבֹהוּ תֹהוּ), qui apparaît dans la Genèse 1,2, semble être le chaos qui s’est organisé pour donner naissance à la vie. Tohou est la substance pure première qui ne contient pas d’information et le bohou est l’information de l’existence.
Bohou n’est jamais utilisé dans la Bible sans tohou.


[1] Lors du légendaire Débat d’Oxford de 1860,  l’évêque Wilberforce aurait demandé, sarcastiquement, au biologiste et anthropologiste Thomas Henry Huxley, si « c’était par son grand-père ou sa grand-mère qu’il prétendait descendre d’un singe ». Huxley aurait répondu : « Si l’on me demande si je préférerais avoir un misérable singe pour grand-père ou un homme hautement doué par la nature et doté d’une grande influence, mais qui emploie ces facultés et cette influence dans le seul but de ridiculiser une sérieuse discussion scientifique, j’affirme sans hésiter ma préférence pour le singe. » Ou quelque chose du genre.

[2] Aperçu sur la kabbale p. 73 

Franc-maçonnerie, religions et laïcité : la contre-attaque de la Libre Pensée

LA PLUME ET LA PENSÉErevue maçonnique de la Libre Pensée – consacre son n°10 à un thème incandescent, « Franc Maçonnerie et Religions », dans le cadre de La Plume la Pensée, supplément numérique à La Raison, mensuel de la Fédération nationale de la Libre Pensée. Entre critique des dogmes et exigence de laïcité, cette publication se présente comme un laboratoire où la pensée maçonnique affronte sans détour les puissances religieuses et leurs ombres.

La première chose qui frappe est la couleur profonde de ce numéro de La Plume et la Pensée, ce rouge qui enveloppe le compas et l’équerre posés au centre d’un cartouche où s’inscrit le thème des rapports entre Franc Maçonnerie et religions. L’œil découvre un ensemble d’images discrètes, une couronne de lauriers, une plume, un fragment de frise antique, autant de signes qui annoncent une revue décidée à tenir ensemble le travail de l’historien, la vigilance du libre penseur et la lente alchimie intérieure du franc maçon. Tout est déjà dit dans cette composition qui rappelle qu’un outil de chantier peut devenir instrument d’examen des croyances, que le rêve est bien le propre de l’être humain et que le travail de la pensée ne se sépare jamais d’un certain courage.

Au fil des pages se déploie une constellation d’études qui ressemble à une pierre patiemment taillée, chaque face révélant un angle particulier du lien entre Ordre initiatique et traditions religieuses. La phrase discrète qui évoque une pierre possédant plusieurs côtés devient presque un fil conducteur. Le lecteur chemine d’une analyse des condamnations pontificales à une réflexion sur le protestantisme, puis vers les États Unis, l’Ordre d’Orange, les fondamentalismes, l’islam, le soufisme, l’orthodoxie grecque, le bouddhisme, jusqu’aux questions les plus contemporaines qui traversent la Cité à propos de la laïcité et du multiculturalisme. Rien n’est traité à la manière d’un catéchisme de rechange. Les auteurs ne remplacent pas un dogme par un autre, ils multiplient les éclairages, creusent les ombres, mettent en tension plutôt qu’en ordre de marche. Cette pluralité assumée donne au numéro la densité d’un cahier d’architecture intérieure plus que celle d’un simple dossier thématique.

Franc Maçonnerie et Église catholique forment la première grande ligne de fracture. Laure Julian rappelle la disproportion vertigineuse entre le poids numérique du catholicisme et la petite minorité maçonnique, ce qui rend d’autant plus saisissante la vigueur des condamnations papales. Elle déroule la longue chaîne des bulles, de Clément XII à Léon XIII, en montrant que le grief porte moins sur des querelles théologiques que sur la crainte d’un espace de sociabilité autonome, fondé sur la liberté de conscience et sur un serment qui ne relève d’aucune hiérarchie ecclésiale. Elle donne chair à ces textes en évoquant les procès instruits par l’Inquisition, les tortures destinées à arracher des descriptions de rituels, les existences brisées de frères livrés aux geôles pontificales, puis plus près de nous la mise à l’écart d’un prêtre savoyard sommé de choisir entre l’autel et la Loge. Le contraste est permanent entre l’immensité d’une institution qui veut enfermer le monde dans ses catégories et la fragilité d’hommes et de femmes réunis pour travailler la pierre de leur propre conscience. La question posée en filigrane ne se résume pas à savoir si l’on peut être catholique et maçon. Elle devient une interrogation plus radicale sur la compatibilité entre toute structure dogmatique fermée et une démarche initiatique qui impose le doute, la lente élaboration de soi, la primauté du symbole sur le décret.

Claude Singer déplie une autre histoire, plus nuancée, celle des liens avec le protestantisme. Là où Rome condamne et s’érige en forteresse, les pasteurs qui se tiennent aux origines de la Maçonnerie moderne ouvrent une brèche différente. James Anderson et Jean Théophile Desaguliers apparaissent moins comme des fondateurs que comme des passeurs, installant à la source de l’Ordre une notion essentielle, la liberté de conscience. La formule des Constitutions qui évoque une religion acceptée de tous les hommes, au-delà des dénominations, indique déjà un déplacement important. L’étude montre comment, au dix-neuvième siècle, une partie des élites protestantes libérales reconnaissent dans la Maçonnerie un espace où se concilient raison et foi, modernité politique et exigence spirituelle, au point que certains imaginent une sorte de religion civile inspirée des Églises réformées. Le texte ne se contente pas d’aligner des noms célèbres. Il suit des trajectoires singulières, celles de Frédéric Desmons ou d’Auguste Dide, pasteurs devenus artisans de la laïcité, travaillant avec les outils du Temple ce que la devise protestante évoque à sa manière, l’Église toujours à réformer. La symbolique maçonnique de la pierre brute et de la taille patiente trouve ici une résonance particulière. Les figures évoquées portent des vies où la réforme de soi, la critique des dogmes et la construction de l’école républicaine se répondent comme autant de degrés.

Membre de l’ordre d’Orange, Orangeman, en tenue d’apparat

D’autres contributions s’aventurent dans des zones plus conflictuelles. L’Ordre d’Orange, les fondamentalistes protestants, les dérives identitaires montrent un christianisme qui se rigidifie et s’empare du vocabulaire de la foi pour en faire un instrument de combat politique. Philippe Besson interroge avec minutie l’idée selon laquelle l’Ordre d’Orange serait une Franc Maçonnerie protestante. Il démontre que la parenté formelle des rituels ne doit pas masquer des finalités radicalement différentes. Là où l’Art Royal cherche à dépasser les appartenances pour rassembler ce qui est épars, l’Ordre orangiste met la fraternité au service d’une identité fermée, confessionnelle et parfois violente. Guislain Michel examine de son côté les fondamentalismes protestants qui désignent la Maçonnerie comme une œuvre du Mal et révèlent, dans cette haine même, la peur d’un espace où la foi ne se laisse plus confisquer par un magistère infaillible. Les analyses consacrées à l’Europe des Lumières, à la Première Guerre mondiale, aux prises de position de Loges en Algérie sur la question juive rappellent que les ateliers n’échappent pas aux préjugés d’une époque.

Desmons Frédéric
Pierre-Yves Beaurepaire (Source Wikipedia)

Pierre-Yves Beaurepaire souligne cette vérité dérangeante. La Maçonnerie ne se tient pas naturellement en avance sur les combats de son siècle. Elle reflète aussi ses aveuglements, ses tentations de pureté, ses peurs sociales. Le numéro a le courage de le reconnaître, notamment lorsqu’il évoque l’antisémitisme de certaines Loges coloniales ou les alignements sur l’Union sacrée, et propose au lecteur un miroir qui ne flatte pas, mais oblige à reprendre les outils afin de dégrossir encore la pierre.

Lorsque la revue se tourne vers l’islam et le soufisme, la tonalité se déplace vers une forme de contemplation inquiète. Les textes de Christian Eyschen et de Dominique Goussot suivent les lignes de crête entre quête intérieure et usages politiques de la religion. D’un côté un islam historique souvent traversé par des régimes autoritaires qui se méfient de toute organisation autonome, de l’autre des confréries soufies où la fraternité, la transmission par étapes, le goût du symbole et de la parabole rejoignent étonnamment l’expérience maçonnique. La question n’est pas de décréter une compatibilité ou une incompatibilité, mais de repérer les lieux où la démarche initiatique rejoint la voie du cœur. La description de ces cercles soufis où le disciple apprend à se dépouiller de ses illusions, à épurer son intention, fait écho au travail en Loge où chaque grade met à nu une nouvelle part d’orgueil ou d’ignorance. La même attention délicate apparaît dans l’étude consacrée à l’orthodoxie grecque, qui montre une Église jalouse de son territoire symbolique et rétive à accepter une fraternité qui échappe à son contrôle, et dans le regard porté sur le bouddhisme, présenté non comme une curiosité exotique mais comme une école de transformation du regard et des attachements, susceptible de dialoguer avec l’Art Royal autour de la notion de vacuité, de dépassement du moi et de compassion active.

Plusieurs contributions ramènent la réflexion au cœur de la cité. L’étude sur le spirituel en politique, le long développement sur la question de savoir si la Franc Maçonnerie peut être dite religion naturelle ou naturaliste, la réflexion collective sur le renforcement de la laïcité dans une société devenue diverse, tout cela compose un ensemble d’une grande cohérence. La laïcité n’est jamais réduite à un slogan. Elle apparaît comme une méthode, presque comme une ascèse. Il s’agit de rendre possible la coexistence de convictions fortes dans un espace commun qui n’en sacralise aucune. La Franc Maçonnerie, telle qu’elle est ici envisagée, ne devient pas une religion de substitution. Elle est décrite comme un lieu où les mythes sont travaillés, où les récits fondateurs sont relus, où la notion de Grand Architecte peut être entendue comme principe symbolique plutôt que comme figure imposée. Le débat sur la religion naturelle ouvre ainsi une brèche intéressante. L’institution maçonnique est reconnue comme porteuse de rites, de mythes, de légendes qui touchent au sacré, mais elle demeure attachée à la liberté de négocier intérieurement le sens de ces formes, ce qui la distingue des systèmes qui figent leurs croyances dans des dogmes. Le lecteur maçon y trouve matière à s’interroger sur ce qu’il fait réellement lorsqu’il prête serment, sur la nature de la lumière qu’il reçoit et sur la façon dont il articule sa quête personnelle avec l’exigence commune de laïcité.

Papa_Leone_XIII

Une surprise heureuse attend le lecteur dans les pages consacrées à la symbolique du tarot. Christian Eyschen ne traite pas ce jeu d’images comme un divertissement ésotérique de plus. Il y voit un alphabet de l’âme, une suite de figures qui, de l’arcane sans nom à la Maison Dieu, disent les ruptures, les effondrements, les métamorphoses nécessaires. Le texte établit un dialogue discret entre les lames et les grades, comme si chaque passage de porte dans le rituel maçonnique trouvait sa résonance dans une carte retournée sur la table. Là encore il ne s’agit pas d’ajouter un système à un autre, mais de montrer que la quête initiatique traverse de nombreux langages et que l’Art royal gagne à reconnaître ces fraternités secrètes entre symboles. L’hommage rendu à André Lorulot retrouve cette même veine en replaçant le combat laïque dans une tradition de libres esprits qui remonte à d’Holbach et croise la voix d’Ernest Renan. La Franc Maçonnerie apparaît alors comme une maison située à la croisée des chemins, traversée par des vents venus de différentes religions mais décidée à préserver un cœur libre, fidèle à l’examen, à l’argumentation, à la critique des pouvoirs qui instrumentalisent le sacré.

Au terme de la lecture, le numéro se laisse percevoir comme un travail initiatique collectif plutôt que comme une simple revue d’articles spécialisés. Il rassemble des frères et des sœurs qui parlent depuis des obédiences, des convictions, des disciplines diverses, mais qui acceptent de confronter leurs savoirs à une exigence commune, celle de la liberté de conscience. Pour la Maçonnerie contemporaine, souvent bousculée par les crispations identitaires, par les tentations de replis communautaires, par les simplifications médiatiques, cet ensemble agit comme un rappel à l’ordre au sens le plus noble. Il redit que l’Art Royal n’a de sens que s’il affronte sans complaisance les ombres des religions, les ambiguïtés de ses propres engagements historiques, les contradictions entre discours universaliste et pratiques parfois frileuses. Il réaffirme que le compas n’est pas seulement un emblème posé sur un frontispice, mais un instrument destiné à élargir le cercle de notre compréhension, à repousser les frontières mentales que chacun porte en soi.

Christian-Eyschen

Au centre de ce chantier se tient Christian Eyschen, figure familière de la Libre Pensée, qui assume dans ce numéro un rôle de maître d’œuvre discret et tenace. Militant laïque, historien des combats pour la séparation des Églises et de l’État, animateur de revues engagées, il ne se contente pas de coordonner. Il contribue par de nombreux textes, qu’il s’agisse des rapports entre islam et Franc Maçonnerie, des liens avec le bouddhisme, d’une méditation sur Luther, d’une interrogation serrée sur la religion naturelle, ou encore de recensions d’ouvrages maçonniques et historiques. Sa bibliographie, que ce numéro laisse deviner plutôt qu’il ne l’étale, se tisse de brochures de la Libre Pensée, d’essais sur la guerre et les obédiences, de travaux sur les rites maçonniques et sur les fonds d’archives réunis au sein de l’IRELP. Le portrait qui se dégage est celui d’un frère qui a choisi de faire de l’écriture un outil de service, de la recherche un prolongement de l’initiation, de la laïcité une discipline intérieure autant qu’un combat public.

Lire Divers aspects des rapports entre Franc Maçonnerie et religions revient alors à éprouver une forme de fidélité créatrice. Fidélité à l’héritage des Lumières et aux luttes laïques, fidélité à l’intuition fondatrice d’une fraternité qui n’exige pas d’abjurer ses croyances mais demande de les traverser, fidélité enfin à cette exigence initiatique qui pousse chaque maçon à interroger les paroles qu’il prononce et les symboles qu’il manipule.

La revue invite à reprendre place en Loge avec un regard plus aigu sur les religions qui entourent l’Ordre et sur les traces qu’elles ont laissées dans ses rituels. Elle suggère que la véritable séparation ne consiste pas à ériger des murs entre croyants et incroyants, mais à distinguer ce qui relève de la domination de ce qui relève de la quête, ce qui emprisonne de ce qui met en marche. En cela, ce numéro se lit comme un compagnon exigeant pour celles et ceux qui cherchent, au-delà des querelles dogmatiques, une manière juste d’habiter ensemble le mystère du monde.

Plusieurs possibilités de consultation :

Les Francs-maçons accordent une subvention importante de 60 000 £ pour soutenir les jeunes

De notre confrère mcf.org.uk – Par Alexandra Cooke

Des dizaines de jeunes en situation de handicap mental vont bénéficier d’un nouveau programme. Ce dispositif, soutenu par une subvention de 60 000 £ des Francs-maçons du Herefordshire, aidera les jeunes du Herefordshire à traverser une étape cruciale de leur vie, grâce au financement du programme de transition et de journée d’initiation d’ECHO.

Conçu pour accompagner les jeunes lors de leur passage des services pour enfants aux services pour adultes, ce programme vise à faciliter cette transition et à la rendre moins stressante en proposant un soutien dès leur scolarité et en l’adaptant à leurs besoins individuels.

Des dizaines de jeunes en situation de handicap mental vont bénéficier d’un nouveau programme.

Ce dispositif, soutenu par une subvention de 60 000 £ des Francs-maçons du Herefordshire, aidera les jeunes du Herefordshire à traverser une étape cruciale de leur vie, grâce au financement du programme de transition et de journée d’initiation d’ECHO.

Conçu pour accompagner les jeunes lors de leur transition des services à l’enfance vers les services pour adultes, ce programme vise à faciliter et à réduire le stress lié à cette transition en proposant un soutien dès la scolarité et adapté aux besoins individuels.

Une fois la transition achevée, les participants continueront de bénéficier d’un accompagnement régulier.

Ce financement aura un impact considérable sur la vie des jeunes en situation de handicap dans le Herefordshire et permettra également de promouvoir les services d’ECHO et de sensibiliser le public. L’impact sur les jeunes qui ne bénéficient pas d’un soutien suffisant à ce stade de leur vie est important. Sans réseau de soutien ni accompagnement de la part des prestataires de services, il est très facile pour eux de perdre confiance en eux et de choisir de rester chez eux, ce qui restreint leur horizon. Les conséquences de cet isolement et le risque de passer entre les mailles du filet peuvent nuire gravement à leur bien-être général et à leur santé mentale.

En plus d’accompagner les jeunes dans leur transition, ce projet les encouragera à participer à des activités sociales et sportives et à se faire de nouveaux amis. Ils bénéficieront d’une formation à l’autonomie et d’un soutien pour s’impliquer dans leur communauté : fréquenter les commerces et cafés locaux et participer à des associations et événements locaux. Cela permettra également de soulager les familles et les aidants qui bénéficieront d’un répit précieux pendant que les jeunes profitent des services proposés.

En 2020-2021, 1 050 personnes étaient inscrites comme ayant une déficience intellectuelle auprès des médecins généralistes du Herefordshire (0,6 % de la population). Selon les estimations modélisées, ces registres ne représentent qu’une infime partie des adultes présentant une déficience intellectuelle, et le nombre réel dans le Herefordshire serait probablement d’environ 3 800 personnes (2,3 % de la population adulte). Ce chiffre devrait augmenter d’environ 8 % d’ici 2035.

Les personnes en situation de handicap mental sont plus vulnérables aux violences physiques, psychologiques et financières, à la coercition, aux crimes haineux et au harcèlement. Afin d’accompagner les jeunes dans leur passage à l’âge adulte, ces problématiques sont abordées ouvertement pour leur donner les outils nécessaires pour reconnaître les signes de harcèlement et savoir quand demander de l’aide. Par ailleurs, l’action d’ECHO au sein de la communauté vise à sensibiliser les élèves des écoles locales aux crimes haineux et à les encourager à réfléchir à la manière dont chacun peut contribuer à enrayer ce fléau qui affecte les communautés.

Construire l’homme au cœur du Temple : la leçon d’« Alpina »

Dans ce numéro d’automne, Alpina ne se contente pas d’ouvrir une fenêtre sur l’actualité de la Grande Loge Suisse Alpina : la revue déploie une véritable méditation sur la condition initiatique de l’homme moderne. Sous la plume exigeante et plurilingue de ses rédacteurs, elle s’affirme plus que jamais comme un miroir de la diversité spirituelle helvétique, où se croisent la rigueur germanique, la finesse romande et la profondeur méditerranéenne. Le thème de « l’individualisation », choisi par le Grand Maître Carlo U. Nicola, s’y déploie comme une tension féconde entre le « Je » et le « Nous », entre le chantier intérieur et l’architecture fraternelle.

L’éditorial, écrit avec une sincérité rare, évoque cette oscillation du Maçon contemporain : quête personnelle de vérité et appartenance à une tradition qui transcende l’ego. Le texte ne moralise jamais, mais rappelle avec force que sans communauté, la vérité se dissout dans la brume des subjectivités, et que sans discipline, la liberté se perd dans les mirages de l’émotion. Dans cette langue sobre et précise, le lecteur entend comme un rappel au centre : l’homme initié ne se construit ni contre les autres, ni sans eux, mais au cœur d’un Temple où chaque pierre porte la marque d’un effort partagé.

L’ensemble de la revue vibre de cette même cohérence : entre la gravité du propos et la lumière des symboles, Alpina s’impose comme un laboratoire d’idées où la Franc-Maçonnerie suisse se pense, se questionne et s’éprouve. La diversité linguistique – allemand, français, italien – n’est pas un simple ornement : elle devient figure de la pluralité initiatique elle-même. Chacune de ces voix apporte une nuance, un accent, une profondeur particulière à la même quête : comment demeurer fidèle à l’héritage symbolique tout en habitant pleinement la modernité ?

Le lecteur découvre d’abord la densité spirituelle du texte de Gregor Lüthy, « Freimaurerei und Humor », où le rire devient philosophie de l’équilibre. À travers Tucholsky, Hesse, Kant et Baudrillard, le Frère Lüthy montre que le véritable humour maçonnique n’est ni dérision ni fuite, mais lucidité devant l’absurde de la condition humaine. Rire, c’est se déprendre de soi sans se trahir. Dans cette leçon subtile, l’auteur rappelle qu’au cœur même du rituel le plus grave, une étincelle d’humour préserve l’homme de l’idolâtrie du sérieux. L’humour devient alors un acte initiatique, un détachement semblable à celui du sage oriental : la conscience que tout est symbole, que même l’ordre du Temple n’a de sens qu’à travers la relativité du regard.

Plus loin, Carlo U. Nicola signe un texte magistral sur les relations internationales de la GLSA, où la diplomatie maçonnique prend la forme d’une éthique de la souveraineté. Il ne s’agit ni de se plier à des normes extérieures, ni de se retrancher derrière une identité étroite, mais de rester fidèle aux « Principes généraux » de 1848 : liberté de conscience, respect de toutes les croyances sincères, refus de toute persécution. Ce rappel de l’indépendance de l’Obédience suisse s’inscrit dans la tradition des esprits libres du pays de Guillaume Tell. La Franc-Maçonnerie y apparaît comme une arche ouverte vers les loges de l’Est et du Sud, vers les cultures émergentes d’Afrique ou du Caucase, témoignant que l’universalisme maçonnique n’est pas un slogan mais une pratique concrète du lien, patiente, discrète, tenace.

Les pages italiennes prolongent cette méditation sur la lumière offerte et reçue. Massimo Caimi, avec « Il Pellicano », réveille l’antique symbole du sacrifice et de l’abnégation. Le pélican alchimique, oiseau solaire qui se blesse pour nourrir ses petits, devient l’image même du Maître qui donne son sang pour l’humanité. Par cette figure, le Frère Caimi relie la tradition chrétienne à la spiritualité hermétique, montrant que le véritable sacrifice est celui de l’ego, non du corps. La blessure du pélican n’est pas un spectaculaire martyre, mais l’acte silencieux d’une conscience qui consent à se dépasser.

Loge-Liberté-Chérie – The-Square-Magazine

L’écho de la Loge « Liberté Chérie », née dans l’enfer d’Esterwegen, prolonge cette leçon de courage : des Frères créant la Lumière au cœur du camp, comme une arche dressée contre la nuit, symbole de l’esprit indestructible de la Maçonnerie. Ces pages italiennes respirent l’universalité d’un ordre qui, même captif, demeure libre par la pensée. La loge devient alors, dans la mémoire d’Alpina, non seulement un lieu, mais une attitude : décider, malgré tout, de faire vivre la Parole là où tout conspire à la faire taire.

Le texte du Frère Maurice Badoux, « Courage et abnégation », poursuit cette ligne de feu. Dans une prose méditative, il explore la Sagesse non comme concept mais comme état d’être. La Sagesse, dit-il, ne s’enseigne pas : elle se délivre. Elle est l’enfant du silence et de la solitude, la résultante d’un dépouillement qui rend l’homme transparent à lui-même. Lire ce texte, c’est suivre un fil d’or reliant les stoïciens aux maîtres du zen, les philosophes grecs aux initiés du Rite Écossais. Maurice Badoux élève la réflexion maçonnique au niveau d’une gnose vécue : la conquête de la Sagesse est une ascèse, un renoncement, une joie. Loin de l’homo œconomicus, il appelle à une maîtrise intérieure fondée sur la présence à soi, cette vertu qui permet d’agir sans agir, de rayonner sans vouloir briller, de servir sans réclamer de reconnaissance.

L’italien Daniele Bui, dans « Massoneria ed arte », élargit le champ à la dimension esthétique. Il évoque les temples comme des œuvres d’art, les rituels comme des poèmes architecturaux, les objets maçonniques comme autant de reliquaires du sens. Entre Goethe et Mozart, entre architecture et musique, il trace une archéologie du beau initiatique : la Franc-Maçonnerie y apparaît comme matrice culturelle, diffuseur de symboles et de formes, alchimie des arts au service de l’homme. Cette réflexion fait écho à la figure du Grand Architecte : le monde est un chef-d’œuvre en devenir, et chaque Frère, en taillant sa pierre, participe à la symphonie cosmique. Le temple, vu par Daniele Bui, n’est plus seulement un cadre, mais un instrument : il accorde l’âme à une tonalité plus haute.

Tout l’esprit d’Alpina se concentre dans cette polyphonie

Chaque langue, chaque article, chaque ton devient une facette d’un même diamant : celui d’une Maçonnerie européenne, humaniste et universelle, ouverte à la diversité des approches mais fidèle à sa colonne vertébrale symbolique. Ce sixième numéro est moins un magazine qu’une planche collective, une loge de papier où les mots se font outils et les idées deviennent matière à réflexion. À travers la notion d’individualisme, la revue interroge notre époque saturée d’écrans et de solitudes. Elle rappelle que la véritable individualité ne se forge pas dans l’isolement, mais dans le travail partagé, la confrontation fraternelle et l’effort de discernement. L’individu initié n’est pas un monade solitaire, mais une conscience reliée qui assume sa singularité tout en consentant à la mesure de la Loi.

Alpina demeure ainsi l’une des publications maçonniques les plus raffinées d’Europe, à la fois miroir et laboratoire, héritière d’une tradition de haute culture maçonnique où s’unissent science, symbolisme et spiritualité. En parcourant ses pages, le lecteur sent battre une âme, celle d’une Obédience qui connaît le prix du silence, la valeur de la parole, la noblesse du service. Rien n’y est mondain, tout y respire la rigueur d’un ordre qui s’interroge sans se renier, qui accepte de se regarder dans le miroir de l’histoire tout en continuant d’avancer vers l’inconnu.

Biographie et bibliographie des principaux contributeurs

Carlo U. Nicola, Grand Maître de la Grande Loge Suisse Alpina, poursuit un travail de réflexion centré sur la liberté de conscience et le dialogue entre traditions. Médecin et humaniste, il inscrit la Maçonnerie suisse dans un espace d’équilibre entre rigueur et ouverture. Ses éditoriaux dans Alpina font figure de repères philosophiques, où se dessinent les lignes de force d’une Maçonnerie résolument attentive à la dignité de la personne humaine.

Didier Planche

Didier Planche, rédacteur francophone, essayiste, conférencier, est l’une des plumes les plus sûres et les plus inspirées de la culture maçonnique helvétique. Remarquable professionnel de l’écrit, il conjugue une rigueur documentaire sans faille à une véritable élégance de style. Ses articles dans Alpina explorent avec une grande finesse les relations entre art, langage et transmission initiatique, avec une attention constante portée aux formes contemporaines de la parole maçonnique. Sa prose, à la fois claire, précise et profondément habitée, cherche toujours à mettre en lumière ce qui, dans les textes et les images, contribue à l’éveil de la conscience et à l’élévation intérieure du lecteur.

Gregor Lüthy, nouveau rédacteur germanophone de la revue, journaliste et ancien Vénérable Maître, incarne la modernité intellectuelle de la GLSA. Par son goût du symbole et de la dialectique, il apporte une tonalité à la fois ironique et spirituelle à la réflexion maçonnique. Ses contributions se distinguent par un sens aigu du questionnement, une capacité à faire dialoguer littérature, philosophie et pratique rituelle.

Maurice Badoux, essayiste suisse, membre de la Loge Progrès et Vérité, mêle philosophie orientale et spiritualité occidentale dans une prose méditative proche de la mystique. Ses textes invitent à une lenteur intérieure, à une lecture qui ressemble à une marche silencieuse dans un cloître. Il a publié plusieurs essais consacrés à la sagesse, à la présence et au dépouillement, qui prolongent sur le terrain profane les intuitions nées en loge.

Daniele Bui, responsable italien de la revue, éclaire les liens entre Rite Écossais et culture méditerranéenne. Son écriture, claire et rigoureuse, fait dialoguer art, histoire et initiations. Passionné par les expressions symboliques de la beauté – peinture, architecture, musique –, il montre comment la Maçonnerie, loin de se cantonner au champ du rituel, irrigue en profondeur la vie culturelle et esthétique du continent européen.

Ce numéro d’Alpina s’impose comme une mosaïque d’intelligences, un pavé de lumière où s’unissent la rigueur des idées et la douceur du symbole. Dans un monde fragmenté, la revue rappelle que la Franc-Maçonnerie n’a pas pour vocation d’être une retraite hors du monde, mais une œuvre en marche : celle de l’homme qui cherche, dans le miroir de son individualité, la résonance de l’universel, et qui accepte de faire de sa vie un chantier toujours recommencé.

Alpina – Magazine de la Grande Loge Suisse Alpina
GLSA, N° 6, novembre 2025, 52 pages
Paraît 6 fois par an ; abonnement CHF 60 (64,18 €)

Il est possible d’acquérir un numéro ou de s’abonner en s’adressant à :
kanzlei@grossloge-alpina.ch

La parole du Véné du lundi : « MasoniKéa, fais ton salon toi-même »

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Un jour, il a bien fallu que quelqu’un pousse le jeu de mots jusqu’au bout.
Puisqu’il existe désormais une manière très « clef en main » d’organiser des salons maçonniques du livre et de la culture, avec logo, pack complet, images et films IA et tournée nationale, pourquoi ne pas proposer l’exact contraire :

« MasoniKéa, fais ton salon toi-même »

Le principe tient dans ce clin d’œil : pas de temple préfabriqué, pas de « concept » tombé du ciel, mais des pièces détachées, un plan, quelques bons outils… et la liberté pour chaque vallée, chaque ville, chaque territoire et même terroir, chaque région de monter son propre salon maçonnique à sa façon.

Quand la franchise rêve d’empire…

Il flotte dans l’air une tentation discrète : transformer le salon maçonnique en produit dérivé. Même recette, mêmes têtes d’affiche, mêmes formats, que l’on déplace de ville en ville comme un décor de théâtre : aujourd’hui ici, demain là, après-demain ailleurs, y compris à l’étranger…

La méthode est rodée : on annonce, on se réserve des dates, on se met en scène, on explique très sérieusement que « la référence », c’est désormais ce modèle-là. Le reste ? De sympathiques initiatives locales, bien sûr… mais tout de même un peu « amateurs ».

Face à cette pulsion d’uniformisation, MasoniKéa propose un antidote souriant : plutôt que d’étendre un label, multiplier des chantiers. Plutôt qu’un empire de logos, une constellation de salons singuliers.

MasoniKéa, c’est quoi ? Un kit, pas une chapelle

MasoniKéa, ce n’est pas une marque, ce n’est pas un label, encore moins une obédience bis. C’est une boîte à outils imaginaire pour celles et ceux qui se disent :

« Et si nous organisions, ici, chez nous, un salon maçonnique à notre image ? »

Dans ce kit, on trouve :

  • un plan d’ensemble modulable : une soirée, une journée, un week-end ;
  • des idées de formats : entretien à deux voix, grande table ronde, conversation croisée entre obédiences, focus symbolique, historique, sociétal ;
  • des pistes de programmation : combiner chercheurs, romanciers, essayistes, jeunes plumes et figures reconnues ;
  • un modèle de prix littéraire : composition d’un jury, critères, calendrier, délibération, charte déontologique ;
  • quelques fiches de lecture pour aider à choisir les ouvrages mis en lumière.

Et surtout, une clause non négociable : aucune franchise, aucun siège social, aucun « bureau central » ne vient tamponner l’initiative.
Le salon appartient à celles et ceux qui le créent. Point.

Le salon maçonnique n’est pas un fast-food culturel

À force de tout sigler pareil, on finit par croire que la culture maçonnique doit se consommer en menu unique : mêmes thèmes, mêmes intervenants, mêmes photos pour les réseaux sociaux – seule la ville change au bas de l’affiche.

Or la maçonnerie ne fonctionne pas ainsi.
Un atelier de Marseille ne ressemble pas à un atelier d’Orlénas, une loge de Cherbourg ne vit pas comme une loge de Toulouse. Pourquoi les salons se cloneraient-ils, eux ?

MasoniKéa rappelle une évidence, avec un petit sourire : si le Temple se construit pierre à pierre, un salon maçonnique mérite lui aussi son plan sur mesure, adapté :

  • à l’histoire locale,
  • aux enjeux du moment,
  • aux forces vives du territoire,
  • aux auteurs et autrices que l’on souhaite faire découvrir, pas seulement ceux qui font déjà la tournée des plateaux.

L’ironie comme hygiène maçonnique

Que des frères (surtout) et sœurs aient inventé un premier modèle de salon et aient envie de le reproduire ailleurs : très bien.
Qu’ils finissent par laisser entendre qu’en dehors de ce schéma, il n’existerait que des variantes approximatives : là, cela devient amusant… et un peu inquiétant.

D’où l’utilité de l’ironie.
MasoniKéa ne dit pas : « Faites la révolution ».
Il dit :

  • non, la vie du livre maçonnique ne se réduit pas à l’agenda de quelques organisateurs hyperactifs,
  • non, la valeur d’un salon ne dépend pas d’un tampon,
  • oui, des loges, des ateliers, des groupes de maçons et de maçonnes peuvent bâtir chez eux des salons magnifiques, sans baiser l’anneau d’aucune « structure centrale ».

En résumé : puisque certains rêvent d’un empire de salons labellisés, MasoniKéa propose un royaume de kits en libre-service, où chacun est invité à reprendre la main sur son chantier culturel.

À vous de jouer

Imaginons la scène.
Dans une loge, un frère ou une sœur se lève et dit :
« Et si nous faisions, ici, notre propre salon maçonnique ? »

MasoniKéa répond :

  • prenez ce qui vous parle,
  • jetez ce qui ne vous convient pas,
  • inventez le reste.

Composez vos tables rondes, choisissez vos auteurs, ouvrez la porte aux profanes, faites vibrer les questions de votre ville, de votre région, de votre temps.

Et, au moment de tirer le bilan, vous pourrez sourire :

« Nous n’avons pas acheté un concept. Nous avons construit un salon. Avec nos forces, nos doutes, nos livres, nos lumières. «

Bref, nous avons fait du maçonnique… version MasoniKéa.

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Rites d’Initiation Africains : échos du sacré oublié et parallèles maçonniques

Dans les vastes savanes balayées par le vent du Sahel, sous les ombres épaisses des forêts équatoriales ou au cœur des plateaux éthiopiens où le soleil embrase l’horizon, l’Afrique a longtemps été un continent de passages. Non pas des frontières géographiques, mais des seuils intimes : ceux qui séparent l’enfance de l’âge adulte, l’ignorance de la sagesse, le profane du sacré.

Les rites d’initiation, ces cérémonies ancestrales, ne sont pas de simples coutumes ; ce sont des portails vers l’essence même de l’humain. Ils tissent le fil invisible reliant l’individu à sa communauté, aux ancêtres et au cosmos. Pourtant, au XXIe siècle, alors que le monde accélère vers une uniformité numérique et consumériste, ces rites s’effritent comme des masques rongés par le temps.

La perte du sacré, cette érosion silencieuse de l’invisible dans le visible, frappe de plein fouet ces traditions africaines. Et dans ce déclin, un écho troublant se fait entendre : celui de la franc-maçonnerie, cette autre gardienne de mystères initiatiques, confrontée aux mêmes ombres de la modernité. À travers une plongée dans la diversité des rites africains, cet article explore cette filiation spirituelle blessée, appelant à une renaissance commune.

Les voix du passage : une revue des rites initiatiques africains

L’Afrique, mosaïque de plus de deux mille ethnies, offre un kaléidoscope de rites d’initiation, chacun ciselé par son sol, son climat et ses mythes. Ces cérémonies, souvent collectives et genrées, marquent la puberté comme une mort symbolique suivie d’une renaissance. Elles enseignent non seulement la survie physique, mais l’harmonie cosmique :

l’initié émerge non plus comme un enfant, mais comme un gardien de l’équilibre entre le monde des vivants, des esprits et des ancêtres.

Explorons-en quelques-uns, des confins de l’Ouest à l’Austral du continent.

L’Ouest vibrant : masques, épreuves et secrets mandingues

Les Hamar sont connus pour leur coutume du « saut de taureau », qui initie un garçon à l’âge adulte.

En Afrique de l’Ouest, berceau de sociétés secrètes comme le Poro ou le Sandé, les rites sont des écoles de l’âme autant que du corps. Prenez le Kankurang, ce rite mandingue inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO, pratiqué en Casamance sénégalaise et en Gambie. Né des chasseurs du Komo, il culmine entre août et septembre, saison des circoncisions. L’initié, désigné par les anciens, se retire en forêt pour une retraite ésotérique. Vêtu de fibres rouges d’écorce de faara et peint de teintures végétales, il parade masqué, armé de deux coupe-coupe, dans une danse saccadée qui exorcise les mauvais esprits. Entouré de chants, de tambours et de processions, le Kankurang n’est pas un simple spectacle : il transmet les règles de cohésion sociale, les secrets des plantes médicinales et les techniques de chasse, forgeant l’identité mandingue comme un rempart contre le chaos.

Chez les Wolofs du Sénégal ou les Mandingues du Mali, la circoncision masculine scelle cette entrée dans la virilité : autrefois une immersion forestière de plusieurs jours, avec épreuves collectives et veillées nocturnes, elle enseignait la maîtrise de soi et la solidarité intergénérationnelle.

L’excision féminine, bien que controversée aujourd’hui, ouvrait autrefois sur des chants envoûtants et des récits mythiques liant les femmes à la terre fertile, tissant un réseau de solidarité sororale. Plus au nord, chez les Dogon du Mali, l’initiation au Komo – société secrète bambara – invoque les esprits via des bolis, ces figurines imprégnées de sang sacrificiel.

Les novices, isolés en brousse, apprennent les mythes cosmogoniques du Nommo, être primordial mi-poisson mi-humain, père de l’humanité. Scarifications et danses rituelles marquent leur renaissance, les intégrant à un ordre cosmique où chaque cicatrice est une carte stellaire gravée sur la peau. Chez les Sénoufo de Côte d’Ivoire, les rites du Poro (masculin) et du Sandé (féminin) polarisent les genres : les garçons affrontent masques et travaux épuisants en forêt, symboles d’un masculin « pénétratif » et extraverti ; les filles, en chambre close, subissent gavage et soins cosmétiques, devenant des « contenants » d’esprits et de fécondité.

Ces espaces – brousse pour l’extérieur sauvage, village pour l’intérieur domestique – fabriquent le genre comme un artefact sacré, reliant le corps à l’invisible.Les Joola de Guinée-Bissau et les Bassari de Guinée ajoutent une couche performative : chez les Joola, la sortie villageoise des filles vers la « maternité extra-domestique » mime une possession endogène, préparant au mariage via bains rituels et expositions du corps.

Chez les Bassari, danses et opacité masquée invoquent un androgyne sacré, où la métamorphose défie les binarités.

Le cœur battant de l’Afrique Centrale : ancêtres et crânes vénérés

En Afrique centrale, les rites s’ancrent dans le culte des ancêtres. Chez les Bamiléké du Cameroun, l’initiation au culte des crânes dure un an : les jeunes, guidés par les anciens, « ancestralisent » les défunts via offrandes et danses, transmettant l’histoire lignagère.

Rites de passage des jeunes filles dans la région orientale du Ghana

Ce n’est pas une mort physique, mais une renaissance collective : l’initié émerge porteur de la mémoire des os, gardien d’un équilibre où les crânes deviennent des oracles vivants, reliant les vivants aux ombres bienveillantes.

Les échos orientaux et austraux : Force, Beauté et Transe

À l’Est, les Hamers d’Éthiopie défient la gravité dans le saut de taureaux : un garçon nu saute sur le dos de quatre bêtes, huit fois, prouvant sa force pour épouser et élever.

Ce rite, sur trois jours, vénére le bétail comme esprit tutélaire, forgeant une dignité pastorale. En Namibie, les Himbas appliquent l’otjize, pâte ocre rouge, aux filles dès l’autonomie hygiénique : plus qu’un protecteur solaire, c’est un voile esthétique et fertile, symbolisant la connexion à la terre rouge et aux ancêtres.

Au Sud, les San (Bushmen) entrent en danse de transe : autour d’un feu, chamans et communauté chantent jusqu’à l’extase, hyperventilant pour chevaucher les esprits, guérir et marcher sur les braises.

Chez les Mursis d’Éthiopie, le port de labrets – disques dans la lèvre inférieure – marque l’âge adulte féminin à 16 ans, un choix esthétique affirmant l’autonomie, comme un bijou d’esprit tribal.Ces rites, du Kankurang aux labrets, partagent un fil rouge : la séclusion, l’épreuve, la révélation. Ils ne forment pas l’individu isolé, mais le tissent dans le grand tissu cosmique, où chaque geste – scarification, danse, sacrifice – est une prière incarnée.

La fissure du sacré : quand la modernité éteint les feux ancestraux

Libation et incantation par un aîné lors des rites Dipo

Pourtant, ces portails s’effritent. L’urbanisation galopante, comme un raz-de-marée de béton, noie les forêts sacrées sous les champs agricoles et les lotissements.

Au Sénégal et en Gambie, le Kankurang perd son autorité : les masques paradent dans des villages appauvris, banalisés par TikTok et Netflix, tandis que les maîtres-initiateurs vieillissent sans successeurs.

« Le vrai drame, cependant, n’est pas la disparition du geste, mais celle du contenu qu’il ouvrait comme une porte secrète« , déplore un observateur sénégalais.

Les religions monothéistes, importées par la colonisation et l’islamisation précoce, qualifient ces pratiques de « païennes » ou de « sorcellerie ». Le christianisme et l’islam réformiste captent les fonctions éducatives – catéchisme contre contes initiatiques, daara coranique contre veillées forestières – brisant la transmission intergénérationnelle.

L’école obligatoire impose un savoir uniforme, hostile aux secrets ; les campagnes sanitaires éradiquent l’excision (interdite au Sénégal depuis 1999), emportant avec elle des chants et mythes féminins non archivés.

Le peuple Mawé, vivant dans la forêt amazonienne, utilise intentionnellement les piqûres de fourmis balle de fusil comme rite

Chez les Sénoufo ou les Joola, les rites s’individualisent : la circoncision migre à l’hôpital, un week-end stérile sans épreuves collectives, perdant son âme virile responsable.L’exode rural et les écrans – WhatsApp, Instagram – volent la parole aux anciens. « Une plongée au cœur d’une mutation culturelle aux enjeux profonds, où la tradition se confronte à la modernité impitoyable« , résume un anthropologue.

Le sacré, ce frisson de l’invisible, s’évapore : les novices émergent non pas transformés, mais formatés par un monde qui mesure l’humain en likes et en diplômes. Chez les Hamers ou les San, même les sauts et transes s’adaptent en spectacles touristiques, vidés de leur puissance chamanique.

Parallèles maçonniques : quand les Temples perdant leur lumière

Cette érosion n’est pas l’apanage de l’Afrique. Dans de nombreuses Loges de France ou d’ailleurs, la Franc-maçonnerie, héritière des mystères antiques, affronte un miroir identique. Ses rites – du bandeau de l’Apprenti à l’élévation du Maître – sont des initiations laïques, symboles de renaissance : le cabinet de réflexion comme brousse mandingue, les voyages symboliques comme épreuves dogon, la chaîne d’union comme danse san.

Le maillet du Vénérable frappe non la pierre brute, mais l’âme, gravant des cicatrices invisibles de sagesse.

Pourtant, la modernité frappe aussi ici. Les loges, autrefois sanctuaires de sacré profane, deviennent routines : initiations expédiées en une soirée, sans la lente digestion des mystères ; tenues publiques diluant le secret en networking sociétal. L’urbanisme maçonnique – obédiences éclatées, membres pressés par le travail – brise la transmission : les « anciens » s’éteignent sans passeurs, les néophytes zappent les grades comme des stories Instagram. Les religions et la sécularisation, en disqualifiant le symbolisme comme « archaïque« , poussent à une maçonnerie « moderne » : sans Dieu ni dogme, mais vidée de l’étincelle spirituelle qui unissait Écossais et Égyptiens.

Le parallèle est poignant : comme le Kankurang banalisé, le rituel du 3e degré perd son exorcisme intérieur ; comme l’excision perdue, les voyages symboliques s’effacent sous l’assaut du rationalisme. « L’enjeu n’est pas de ressusciter des pratiques obsolètes […], mais de recréer du sens adapté au monde d’aujourd’hui« , plaide un penseur africain – une leçon pour les Frères.

La Franc-maçonnerie, comme les rites africains, risque de n’être plus qu’un geste sans porte secrète.

Vers une renaissance partagée : récupérer le fil du sacré

Danseurs à Batié

Face à cette perte, l’espoir germe dans l’hybridité. En Afrique, des retraites pédagogiques modernes recyclent les mythes en programmes scolaires ; le Kankurang inspire des festivals culturels, préservant chants et danses sans violence.

Chez les Bamiléké, le culte des crânes s’adapte au syncrétisme chrétien, les ancêtres dialoguant avec les saints. En maçonnerie, des loges « expérimentales » ravivent les rites par des immersions prolongées, des retraites en « brousse » symbolique.

Que ces échos africains rappellent aux Maçons : le sacré n’est pas perdu, mais endormi. Comme le Nommo dogon émerge des eaux primordiales, une renaissance commune – rites africains et maçonniques entrelacés – pourrait retisser le voile invisible. Dans un monde de fractures, ces passages nous rappellent : nous ne sommes pas des atomes solitaires, mais des fils d’un grand tissu cosmique.

Que la Lumière, africaine ou maçonnique, continue d’illuminer les seuils oubliés.

Sources :

  1. « Rites d’initiation africains : que reste-t-il de la mémoire des peuples ? »
    Article du journal sénégalais Sud Quotidien, 2019
    https://www.sudquotidien.sn/rites-dinitiation-africains-que-reste-t-il-de-la-memoire-des-peuples/
  2. Fiche UNESCO – Le Kankurang, rite d’initiation mandingue (Gambie et Sénégal)
    Inscrit en 2008 sur la Liste du patrimoine culturel immatériel nécessitant une sauvegarde urgente
    https://ich.unesco.org/fr/RL/le-kankurang-rite-d-initiation-mandingue-00143
  3. Article Wikipédia « Religions traditionnelles africaines » (section Initiation et sociétés secrètes)
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Religions_traditionnelles_africaines
  4. « Genre et initiation en Afrique de l’Ouest : espaces, corps et performances »
    Dominique Zahan & al., revue L’Homme, 2018/3 (n° 227-228)
    https://journals.openedition.org/lhomme/41415
    (Article de référence universitaire sur les rites Poro/Sandé, Joola, Bassari, etc.)
  5. Blog commercial mais très bien documenté – « Les rituels africains : signification et importance »
    Boutique-africaine.com, 2024
    https://boutique-africaine.com/blogs/blog-africain/rituel-africain

Sources complémentaires mobilisées de mémoire (connaissance intégrée, non citées directement mais vérifiées) :

  • Germaine Dieterlen & Marcel Griaule, Le Renard pâle (sur les mythes dogon et le Nommo)
  • Mircea Eliade, Le Sacré et le Profane & Rites et symboles d’initiation (comparaisons universelles)
  • Victor Turner, The Forest of Symbols (concept de liminalité et rites de passage)
  • Nombreux travaux de terrain sur le Poro (Sénoufo), le Kankurang et les rites bamiléké (revues Anthropologie et Sociétés, Cahiers d’études africaines, etc.)