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Hiram sur le divan du psy

Hiram sur le divan du psy

Que vient faire la psychanalyse dans l’initiation ? Ce sont deux choses qui n’ont pas de rapports entre elles. La progression maçonnique n’a rien à voir avec les psy. Surtout si ce sont des psychanalystes. De toute façon, Freud, c’était bon pour son époque et encore…

Maintenant c’est dépassé ! Et puis, tout ramener au sexe, est-ce que ce n’est pas exagéré ? Enfin, la psychanalyse prétend toujours expliquer tout. N’est-ce pas dogmatique et insupportable ?

Voilà des propos que j’ai entendus plusieurs fois de la part de Sœurs et de Frères, par ailleurs parfaitement loyaux et de bonne volonté. Pas facile de les amener à la curiosité et à la sérénité requises pour découvrir la lumière que cette approche dévoile. La psychanalyse, en bref, éclaire avec acuité le monde de l’inconscient individuel et collectif dans les profondeurs obscures de l’être ; bien au-delà de la morale et des jugements. Et c’est pourquoi elle est, oui c’est cela ! une école de tolérance. Mettant au jour ce qui est enfoui et le plus souvent indicible, elle fait remonter à la conscience des émotions anciennes et fondatrices. La mise à l’ordre, justement, n’est-elle pas une invitation à descendre en soi-même, et à soulever la marmite des pulsions ?

Le propos de cet article n’est pas du tout de comparer les démarches maçonnique et psychanalytique. Il est d’expliquer, avec les concepts de la psychanalyse, ce qui se trame dans l’inconscient sous les symboles, le mythe et le rituel. Le projet peut paraître détestable.

Pourquoi remuer la boue, concèdent celles et ceux qui songent que, vraiment, il y a un monde de mystères glauques ? Pas étonnant, dans ces conditions, qu’elle ait de très nombreux détracteurs. Pourtant, allonger Hiram sur le divan est une entreprise enthousiasmante. Participer ensuite, à une élévation, une exaltation à la Maîtrise bouleverse et apporte l’oxygène nécessaire à la plongée en soi. Merveilleux rite maçonnique qui, en une tenue, parvient à condenser des traits essentiels de l’inconscient, les arcanes de nos secrets ! Il s’agit clairement, dans cet article, d’utiliser les concepts classiques de la psychanalyse, pour mieux appréhender ce que le rite d’élévation à la Maîtrise met en œuvre dans notre inconscient. Pour que cela ne vive plus à notre insu. On peut évidemment travailler avec d’autres approches, telles la sociologie, la psychologie des groupes restreints, l’ethnologie ; ou bien, d’une autre manière, l’alchimie, l’hermétisme, l’arithmologie, par exemple. Ces démarches réclament érudition et réflexion et, en tant que telles, peuvent servir à une lecture du fait et du rite maçonnique. Il n’en va pas de même avec la psychanalyse. On peut lire tout Freud et ne rien comprendre à l’affaire. Rien ne remplace le vécu, celui de la cure par excellence. Dans ce cas, on a l’occasion de sentir de l’intérieur le bien-fondé de l’approche psychanalytique. Comme pour une tenue, il faut la vivre. S’allonger sur le divan rend plus lucide sur soi-même et ouvre sur une meilleure maîtrise de ses pulsions. C’est un gain inouï dans la connaissance de soi. La dramaturgie rituelle de l’élévation, elle, est tout à fait en mesure de faire remonter, dans le silence et l’émotion, les contenus inconscients qui structurent cette cérémonie.

Or, la démarche maçonnique, à notre époque, met en avant, comme tâche primordiale, le « Connais-toi toi-même ». Cette injonction devient même un leitmotiv, une exigence dans certains rites et certaines Loges. De fait, la plupart des parcours de sagesse, à travers le temps et l’espace, guident leurs adeptes sur cette voie. Et l’Ordre peut s’enorgueillir d’y être parvenu progressivement, au cours des décennies. Le processus initiatique n’est-il pas devenue, grâce à cette évolution, un véritable et solide parcours de sagesse, dont la devise pourrait être : une spiritualité pour agir ?

Quand nous descendons, nous entrevoyons des pulsions à l’œuvre, des désirs de résistance et des accommodements, pour faire passer la coupe de breuvage amer. En tant qu’humain, nous avons tous des dispositions psychiques semblables dans le fond, mais qui se différencient selon l’histoire personnelle ; notamment en fonction de notre sexe. Le vécu d’une fille, par exemple, dans les relations fondatrices à la mère, au père, n’est pas tout à fait le même que celui d’un garçon. Sans qu’il soit tenu un seul instant, pour conséquence, une inégalité sociale des femmes et des hommes. Or, je suis, Jacques Fontaine, un homme et je ne me permettrais pas de décrire l’inconscient des Sœurs lors de l’élévation. Ce serait outrecuidant. Je livre ici, les découvertes et le vécu d’un homme. Je n’ignore pas, que dans cette cérémonie, il est question de vie, de mort, de violence, de renaissance, qui concernent les deux sexes, mais chacun à sa manière. L’amour et la haine ne se tissent pas avec les mêmes fils dans les deux cas. Seule une Sœur, ayant expérimenté la psychanalyse, pourrait écrire cet article complémentaire. Je livrerai donc, ici, le récit hiramite vu par un initié, un homme. Occasion pour les Frères de se percevoir dans les méandres de leur inconscient. Opportunité pour les Sœurs de découvrir ce qui se trame dans les profondeurs psychiques de la plupart de leurs Frères ; pour mieux comprendre et déclencher en elles, le désir d’effectuer un parcours équivalent, mais distinct.

Lecteur, lectrice, mon Frère, ma Sœur, ne rejetez pas, a priori, cette lecture. Car le rite maçonnique laisse éclater son génie dans l’élévation à la Maîtrise. Il délivre un message original, puissant et renversant. Un joyau ! Aussi, avant de vous forger un jugement, lisez cet article sans crainte ou vindicte, les paumes ouvertes, dans le silence de votre âme.

Suivons la chronologie de la cérémonie de passage, non point dans les diversités culturelles des rites, mais dans la structure immuable que l’on observe dans tous les rituels. Valable pour le REAA, le rite français et les autres ; plus loin, pour le rite d’York, les rites de style Émulation. Partout, où est mis en scène le mythème du meurtre du père. Car c’est par cette porte, déjà repérée par plusieurs auteurs et Francs-maçons,  que nous allons pénétrer des mystères du Maître, moins connus, voire ignorés.

La Loge est tendue de noir. L’Expert fait entrer le Compagnon qui doit être élevé. La Chambre du Milieu veut s’assurer qu’il n’est pas l’assassin d’Hiram. Elle le constate, en effet. Intéressant, car c’est ce même Compagnon, a priori innocent, qui recevra les coups qui tuent. Démêlons ! L’assassin ne peut être l’un des Maîtres ; poser la question est déjà insupportable. Mais, dans la réalité du drame, c’est quand même les Maîtres, par l’intermédiaire de trois d’entre eux, dont, dans certains rites, le Vénérable lui-même. Les Maîtres se sentent coupables, car ils ont en eux le secret désir de tuer le père. Que faire de sa culpabilitédissimulée et lourde ? « C’est l’autre, le jeune, le coupable, pas nous ! ». Tout commence par une dénégation. Le moteur des désirs et des peurs est ainsi mis en route.

Arrivent les trois coups meurtriers. Soyons vigilants et scrutons les replis de l’âme, comme il est proféré au Rite français de 1785. Les Maîtres font d’une pierre, deux coups. D’abord, ils tuent l’Architecte, leur père, par le truchement de trois d’entre eux. Pour fuir leur culpabilité, ils mettent en scène, dans le rituel, trois mauvais Compagnons, qui vont mimer un vrai meurtre. Sur les colonnes, ils assistent à cette mort du père, tout en prétendant qu’ils n’en sont pas les auteurs. Hiram Abi signifie, c’est clair, « Hiram mon Père ». Le complexe d’Œdipeamène la plupart des petits garçons à se rivaux de leur père, dans leur amour pour leur mère. Ainsi naissent en eux, des désirs d’élimination de l’obstacle. Les Maîtres sont bien, en fait, les fils violents d’Hiram, leur père. Même, si inconsciemment, ils l’ignorent, ou veulent taire en mentant ; leur haine habite leur inconscient. Parricide classique !Mais qui veut tuer son père mérite une très lourde punition ; c’est leur crainte effroyable d’être castrés par ce père qui leur interdisait l’accès à la mère. On verra qu’ils feront tout pour éviter ce sort terrible, et on le comprend sans peine.

Mais, en outre, dans la réalité du drame fictif, ils font semblant de tuer le Compagnon ; c’est lui qui reçoit les coups mimés. Parce que, eux aussi, se prennent pour les pères de ce Compagnon, qui, dans sa toute puissance fantasmée, ose désirer la mère. Les rôles sont inversés. C’est souvent, dans les rites, le Vénérable, autre incarnation du père, dans l’imaginaire des Frères et Sœurs, qui assène le coup de grâce.

On tue, dans un seul élan de violence, un père et un fils, Hiram et le Compagnon. Parricideet infanticidesimultanés. Bref, on joue deux rôles quand ça arrange les désirs enfouis ; gagnant sur tous les fronts. Mais il reste une sacrée culpabilité dont il faut se débarrasser. En tous les cas, la peur panique de la castration se calme, puisque le père est mort, et qu’en conséquence, il ne peut pas y procéder sur son fils. Hiram ne commandera plus les Maîtres, ses enfants.

Ce point est capital, et laisse voir une formidable lumière qui inonde toute la doctrine maçonnique : il faut que le père meurt pour que le fils vive. Et pas seulement symboliquement, puisque dans la cérémonie, le récipiendaire est allongé comme mort. Alors que de grands pans de la civilisation occidentale déploient, depuis deux millénaires, la croyance chrétienne qui donne raison à Dieu le Père, qui assassine le Fils, Jésus :il faut que le fils meurt pour que le père vive. L’infanticide chrétien ! avec tout ce que cela charrie : la domination, parfois la brutalité du père, de l’homme ; et l’obéissance des enfants et des femmes. Et bien, la Franc-maçonnerie clame autre chose. Oui, les fils doivent mourir comme le Compagnon qui joue le rôle d’Hiram, mais en même temps, elle refuse cette conception et en propose l’inverse. D’abord, le Compagnon-fils est castré symboliquement : les trois coups qui lui sont portés. Mais ensuite, cette castration sera évitée, quand les Maîtres feront jouer au candidat, le rôle du père assassiné. On connaît le dénouement du mythe. Les fils ne seront pas castrés, punis, mais vivront dans la félicité d’une fratrie heureuse. Mais pour y arriver, il va falloir encore un peu de détours, d’oublis et de refoulements.

En attendant, comme le père n’est plus, la mère est enfin disponible, et réhabilitée majestueusement ; c’est l’inceste béat, la fusion dans le corps sacré de la mère, femme d’Hiram, femme du père. Tout à l’heure, dans la tenue, on apprendra au nouveau Maître, le signe de détresse, dernier souvenir de la castration : « A moi, les enfants de la Veuve ! ». Puis chacun, chacune, glissera une pièce dans le « tronc » de la Veuve ; avant de retourner au monde profane « secourir la Veuve et l’orphelin… » de père seulement bien entendu.

La cérémonie rituelle de l’élévation continue ; dans le pathos et la culpabilité brûlante. Les Maîtres partent en procession lugubre pour retrouver le corps de ce père qu’ils ont tué, qui est aussi celui du fils-Compagnon. Ils font comme s’ils ne se rappelaient pas le lieu du forfait. Il faut chercher et chercher encore et encore. Sans renoncer, accablés par la souffrance de la double culpabilité. Comment, à tout prix, s’en débarrasser ? Et, dans le même temps, ils souhaitent posséder la puissance du père Hiram. Deux injonctions contradictoires ! C’est un problème angoissant. Ils s’approchent toujours plus près, et discernent enfin, une branche d’acacia. La vie ! Alors, c’est la révélation ; il n’est pas mort, il est toujours vivant. Il faudrait, à la fois, simuler la mort de l’architecte et s’identifierà lui, pour s’approprier la puissance paternelle. Ce serait très bien ; plus de culpabilité et assimilation de la force du père. Mais comment faire ? Comment ne pas avouer le double meurtre ? Comment se protéger contre les pensées haineuses ? En un premier temps, les Maîtres vont projeterleur désir d’identification sur le Compagnon étendu. Celui-ci devient le représentant symbolique de la Chambre du Milieu. Il faudrait que le Compagnon ne soit plus Hiram agressé, mais un Maître qui s’identifie à lui. Mais le plus fort reste à venir.

Dans un second temps, c’est par un tour de magie, un subterfuge extraordinaire que la solution s’impose : la palingénésie ? On découvre le cadavre du père-fils et on fusionne les deux entités. Le fils Compagnon se fond dans le père-Hiram, et devient ce Maître qui, apparemment, a réglé ses douloureux problèmes. Les Maîtres sont enfin tranquilles ; le père n’est pas mort, la preuve ? Il se relève. Le fils n’est pas mort non plus, la preuve ? Il se relève aussi. Et avec ce puissant déni, ils annulent leur double forfait : « Nous ? On n’a rien fait ! ». Tout va bien mieux, avec ce refoulement plus qu’astucieux. L’amour peut alors se donner libre cours et terrasser la haine ; ce sont les cinq points parfaits de la Maîtrise où les corps s’étreignent. Ce n’est pas tout…

Qui sont, à présent, les protagonistes ? Des Maîtres ; à savoir des fils-amants qui risqueraient d’être en rivalité. Mais les pulsions d’amour, cet amour qui vient d’être démontré par les corps serrés l’un contre l’autre, vont trouver un destin naturel. L’amour pour le jeune Maître et pour tous les autres, s’appuie et se renforce en activant la phase d’homosexualité, que nous avons tous connus, avant de devenir, pour beaucoup d’entre nous, hétérosexuels.

C’est le triomphe irréfragable de la grande et belle fraternité, valeur maçonnique entre toutes. Nous avons partagé les mêmes souffrances, nous avons vécu la même histoire : « Je t’aime, mon Frère. Mon amour pour toi est plus fort que ma haine ». L’amour homosexuel n’est-il pas indispensable à une société, qui, sans lui, serait en conflits, en déchirements, en guerre perpétuelle ? C’est, en effet, ce qu’affirme la psychanalyse. On sait, hélas, que le chemin des pulsions n’est pas toujours aussi pacifique et ne se fraie pas systématiquement un chemin dans la violence des hommes.

Tout le monde, dans cette histoire, joue un double jeu, sauf Hiram Abi. Les Maîtres sont, tour à tour, des pères, puis des fils. Le Compagnon, lui, est censé être, d’abord un fils, puis devient un père. L’écheveau est délicat à dénouer, tellement la pelote inconsciente des désirs et des peurs est emmêlée. On ne doute pas, qu’à chaque élévation, l’inconscient de la majorité des Maîtres est sollicité et orienté vers des voies que la conscience ordinaire méconnaît. Il reste aux Sœurs, de se prononcer sur la validité, pour elles, de ce mythe, en tout ou partie. Déjà, la problématique de la mort est commune aux deux sexes. Le mythème de la renaissance pourrait être interprété avec une force saisissante, pour celles qui peuvent donner la vie. Ce que racontent certaines Sœurs. A explorer.

Le mythe d’Hiram, dans sa dramaturgie exceptionnelle, est une occasion magnifique et précieuse, pour les initiés, de visiter leur propre triangulation œdipienne : le père, la mère et moi. Et d’affirmer les valeurs de jouissance et de bonheur qu’ils peuvent tirer de ce retour vers les arcanes de leur propre enfance. Pour peu qu’ils soient loyaux dans leur introspection.

Dans le rêve prométhéen d’accomplir le destin de leur vie belle. En bref, les Francs-maçons connaissent le secret des secrets. Le mythe d’Hiram, recteur dans la vie de l’initié, est une pure merveille de l’Ordre. Si beaucoup de Frères aiment, d’un attachement intense, leur Franc-maçonnerie, c’est parce qu’elle est en mesure de donner un sens à leur destin. Et, par ce faire, les soulever dans un élan de spiritualité.

Beaucoup de bruit pour rien…

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J’étais en loge hier soir et la Tenue a failli dégénérer en foire d’empoigne. On se serait cru à l’Assemblée Nationale. Ou en réunion de copropriétaires, ce qui revient au même. On notera à l’intention des partisans de la théorie du complot illuminati-reptilien–maçonnique qu’il suffit d’assister à ce type de réunion pour se rendre compte de l’inanité de ces théories. Des Frères qui n’avaient pas la parole ont exigé et pris la parole sans l’autorisation du Vénérable pour donner leur avis (non sollicité) sur une décision dudit Vénérable. D’autres, plus dissipés, bavardaient allègrement sur les Colonnes. Tout cela a brisé le fragile égrégore de la Loge. Il est très malheureux de voir que les travers du monde profane se sont installés en Loge. Le Vénérable a dû faire usage de son autorité et faire taire les vieux maçons aussi dissipés qu’indisciplinés.

Si dans la vie courante, on tend à ne pas respecter la parole d’autrui en le coupant, ou en parlant en même temps que lui, il n’en est pas de même en Loge. Normalement. Nous pratiquons une prise de parole particulière, la « triangulation de la parole ». Le Vénérable dit que la parole circule, et chacun peut s’exprimer, après avoir reçu l’autorisation du Vénérable, autorisation elle-même transmise par le Surveillant de la colonne. Le Frère qui souhaite parler peut alors exprimer ce qu’il a à dire, à la condition expresse de ne s’adresser qu’au Vénérable et à l’ensemble des Frères. Le but est de rendre le discours inclusif, autrement dit, de n’exclure personne. Le Vénérable doit alors reformuler ce qui a été dit et le transmettre au Frère concerné, très souvent le conférencier du soir. Autrement dit, tout dialogue exclusif entre deux Frères est proscrit. Le Vénérable a ici un rôle de modérateur. Il doit temporiser les échanges parfois vifs. Mais il revient à chacun de faire l’effort de se modérer, de « rester à l’ordre » et de formuler son discours de manière à s’adresser à tous, et non à un seul, ce qui requiert l’utilisation du style indirect. Une petite gymnastique à faire, mais qui en vaut la peine. Inutile de dire que mes dents d’Expert grincent quand les Frères de ma Loge commencent à dialoguer d’une Colonne à l’autre ou pire, à bavarder sur les Colonnes !

Notre individualisme exacerbé nous incite à donner notre opinion, et parfois à sortir du cadre du débat. Nous pensons que ce que nous disons est important, quitte à sortir du cadre et digresser, parfois au détriment du temps passé en loge. Je pense qu’il s’agit d’un désir de briller. En général, c’est la preuve que le Frère n’a pas déposé tous ses métaux. D’ailleurs, ça me rappelle un Vénérable qui fit un jour un long discours pour nous vanter l’éloge de la synthèse, montrant ainsi combien nous étions tous perfectibles… Mais dans le fond, donner son opinion, exposer ce qu’on pense d’un sujet, est-ce si important ? Dans quelle mesure cela peut-il faire avancer les choses ? Venons-nous en Loge pour briller ou pour éclairer ?
Voilà une série de bonnes questions qu’il faut se poser. Une Sœur que j’ai bien connue parlait volontiers d’éthique du silence.

En un sens, s’écouter parler, c’est faire du bruit. En effet, on peut définir le bruit comme une information non sollicitée envahissant la zone propre du sujet. Si l’on va plus loin, nous vivons dans un monde de bruit : bruits mécaniques en villes, musiques ou paroles non sollicitées, publicités envahissantes sur nos ordinateurs et tablettes, écrans publicitaires à cristaux liquides installés partout (au détriment du dogme d’économie d’énergie, applicable aux citoyens mais pas aux professionnels…).

En Loge, nous devons aussi faire silence, au moins le temps de notre apprentissage. Faire silence permet d’accueillir ce que l’Autre a à dire, sans juger. En nous taisant, nous apprenons à écouter, ce qui est très important à notre époque de bruit permanent. En fait, l’écoute constitue la première éthique et une lutte contre la violence. Écouter l’Autre permet de l’accueillir, et de le reconnaître comme sujet. Bien sûr, cela n’est possible que dans le cadre privilégié de la Loge, qui est normalement protégée de toute sorte de bruit -d’où l’importance de bien déconnecter ses appareils et surtout de se taire. Dominer son envie de briller et laisser ainsi l’Autre exister, n’est-ce pas là un bel exemple de Fraternité au quotidien ?

Et moi, je vais profiter du calme de ma soirée, et écouter le silence de mon salon une aurore boréale pour mieux me ressourcer.

 

L’égalité contre l’égalitarisme ? (2)

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Revenons sur la notion d’identité. Paul Ricœur rappelle que « c’est en distinguant qu’on identifie ».

L’identification se fait par différenciation. Par exemple, les Francs-maçons se distinguent des profanes ; mais s’ils se définissent comme des « initiés », ils vivent aussi en-dehors des temples. Autrement dit, ils sont à la fois identifiés comme « frères » et identiques à tous les citoyens. C’est dans cette ambivalence entre identité et identification, entre ressemblance et différence que l’égalité trouve sa place, en rejetant la notion uniformisante d’égalitarisme.

Demande : « Êtes-vous Franc-maçon ? »

Réponse : « Mes frères me reconnaissent comme tels », dit le rituel du grade d’apprenti.

Cette phrase est lourde de sens ; car elle signifie d’une part que je suis (et que je m’identifie) comme Franc-maçon ; d’autre part que je suis identifié comme tel par d’autres qui me confèrent cette qualité. Ce lien d’appartenance, s’il fait notre différence (vis-à-vis de l’extérieur), désigne de même notre équivalence (en interne) : mon identité en tant que personne (« intuitu personæ ») me singularise dans le groupe identifié auquel j’appartiens (les « Francs-maçons »). L’égalité s’établit dans la parité de nos rapports : la confrérie m’apporte ses valeurs, je la valorise par ce que je vaux. Dans cette équipollence, chacun trouve son compte : avec mon « ego », je me positionne – et ils me positionnent – comme leur égal.

Allons plus loin. Si je ne les avais pas reconnus, ou s’ils ne m’avaient pas reconnu comme tel, il ne pourrait pas y avoir d’égalité. C’est parce que, des deux côtés, nous nous sommes acceptés, c’est parce qu’il y a réciprocité dans nos rapports de parité que l’équation (du latin « æquatio », « égalisation ») peut être réalisée. Comme en mathématique, dès lors, chaque membre de l’égalité, définissant l’autre, lui donne son sens.

En fait, l’étymologie latine attribuée au terme « égal » est « aequus », avec les significations « d’équitable » et de « juste ». Le principe d’égalité est donc équilibré par l’idée de justesse et la valeur d’équité : « Dans le cas des actions justes l’égal, au sens premier, est ce qui est proportionné au mérite » édicte Aristote. « Quand, en effet, l’affection est fonction du mérite des parties, alors il se produit une sorte d’égalité, égalité qui est considérée comme un caractère propre de l’amitié. […] Ce n’est que si la bienveillance est réciproque qu’elle est amitié ». Il en découle que « c’est la proportionnalité qui établit l’égalité entre les parties », poursuit-il.

Mais quand la justesse rend justice à tous, et qu’elle proportionne l’égalité au mérite de chacun, elle définit l’équité. De même que l’iniquité éclaire l’injustice dans les inégalités, de même l’équité met en lumière la justice dans l’égalité.

Toutefois, « ce qui fait la difficulté, c’est que l’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la Loi, mais un correctif de la justice légale » achève Aristote. L’équité serait donc le moyen d’adoucir les rigueurs de l’égalité qu’ordonne le Droit.

La tolérance mutuelle est le signe d’une reconnaissance réciproque de nos différences.

En Franc-maçonnerie, au-delà de l’amitié même, la fraternité a pour but d’instiller une harmonieuse concorde dans les échanges entre les « ego » et les « alter ego ».

Les travaux sont ouverts. Sur les colonnes voisinent des frères de différents rites, de différentes obédiences, de différents degrés ; mais tous travaillent au grade d’apprenti. L’égalité maçonnique célèbre l’équité entre les initiés.

Le Surveillant Ancien, au « Rite Opératif de Salomon », convie les assistants à « prêter attention au Vénérable Maître d’Œuvre pour la deuxième batterie et l’acclamation du rite : “Liberté-Équité-Amitié” »…[1]

 

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

 

[1] Voir l’article précédent « L’égalité contre l’égalitarisme ? »(1), rubrique : « Des clés pour aujourd’hui et pour demain ».

L’égalité contre l’égalitarisme ? (1)

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Qu’il s’agisse de jeunes animaux ou d’enfants, l’imitation est la voie de l’apprentissage (éducation de savoir-faire par mimétisme pour les bêtes, éducation de savoir-être par transmission de connaissances pour les humains). La « mimesis » conditionnerait-elle une forme d’égalitarisme en imposant une uniformité des savoirs ?
Dans sa forme évoluée – celle des sociétés -, « l’égalitarisme identitaire » se décline de nombreuses façons : c’est « l’égalité de nature » (qui fait que tous les individus d’une même espèce sont créés les uns à la ressemblance des autres) ; c’est « l’égalité des sexes » (qui cherche à contrebalancer les privilèges que le sexe dit « fort » s’est acquis sur le sexe dit « faible ») ; c’est « l’égalité des droits » (qui tente de corriger les inégalités issues des distinctions héréditaires et sociales entre citoyens) ; c’est « l’égalité des chances » (qui vise à garantir les mêmes moyens de réussite, quelles que soient les origines des hommes et des femmes), etc.
Ces compensations d’inégalités – qui ne sont pas naturelles, mais culturelles – contraignent donc les individus qui y sont astreints : l’égalitarisme est l’expression d’une égalité forcée ; elle ne s’expose pas comme une réalité, elle s’impose par autorité. De ce fait, elle se présente comme une restriction de liberté.
À l’inverse, la doctrine libérale (« la main invisible » en économie), en prônant la libre entreprise et en revendiquant la liberté totale des échanges, creuse plus profondément le fossé qui sépare les riches des pauvres. Pourquoi ? Parce qu’en refusant l’égalitarisme, en subordonnant le principe démocratique à une vision individualiste des rapports humains, elle ajoute des inégalités sociales aux inégalités naturelles et culturelles.
Faut-il donc revenir à l’égalitarisme pour éviter les méfaits de l’individualisme ? Tocqueville s’insurge, imaginant « sous quels traits nouveaux ce despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée des autres ».
Ainsi l’égalitarisme transforme-t-il l’égalité en indifférenciation, puis en indifférence. C’est l’exaltation de la « mêmeté » sociale qui fabrique de l’identique, égalisant les êtres et refusant de discerner la femme de l’homme, deux femmes entre elles ou deux hommes entre eux . Elle nie les distinctions de nature (et la génétique), les distinctions de sexes (et la biologie), les distinctions sociales (l’économie et la sociologie), les distinctions psychiques (la philosophie, la théologie et la psychologie – avec leurs approches différenciées) au nom d’idéologies arbitrairement égalitaires.
Si l’individualisme renforce les inégalités, et si l’égalitarisme aplanit et nivelle, vers quoi se tourner ? L’égalitarisme a-t-il tué toute possibilité d’égalité entre les hommes ?
Non, si l’on accepte les spécificités de l’être dans son identification à l’autre : la distance qui sépare le « Je » du « Tu » fait ontologiquement de l’autre un « autre-que-moi ». Si nous avançons ensemble sur le chemin de la vie, nous ne marchons pas dans les mêmes souliers. « L’inégalité naturelle ou physique » nous rappelle que si nous empruntons tous deux les mêmes voies, nos chaussures n’ont pas les mêmes pointures.
Mon semblable n’est pas mon reflet – sinon il serait ma copie conforme, mon double. Faire de l’autre son sujet, c’est le transformer en objet, en miroir de soi-même. Il y perd son identité.
À l’inverse, n’identifier que les spécificités de l’être sans son identification à l’autre présente aussi bien des dangers à l’égard de l’égalité entre les hommes. En effet, l’éloge de la différence met l’accent sur l’hétérogénéité, sur ce qui distingue, sépare, divise ; les revendications communautaristes ont beau jeu de la magnifier, au nom de « l’égalité entre les différences » (politiques, économiques, sociales, culturelles, religieuses, etc.). Par ce biais, « l’égalitarisme identitaire » fait un retour en force, collectivisant l’individualisation au niveau du groupe.
La véritable égalité doit donc concilier les spécificités de l’être et l’identification à l’autre. Le célèbre apophtegme de Saint-Exupéry : « Mon Frère, si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis » n’est pas une ode à l’individualisme ; ce serait oublier les mots : « mon Frère » qui donnent tout son sens à cette phrase. Le frère, c’est le pair, celui qui est de la même famille (biologique, spirituelle ou affective), celui qui me reconnaît et que je reconnais comme mon égal (dans le respect de nos différences). Il ne peut y avoir d’égalité au sein d’une collectivité sans une certaine parité qui préserve à la fois la singularité des individus et l’altérité de leurs rapports. Si la réciprocité est la conséquence de ce type de relations, l’identité de la personne en est la source.

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

De la violence

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J’étais en Loge hier soir, et nous avons parlé de violence. Je reste très partagé sur la question de la violence, surtout depuis que j’ai lu le récent ouvrage de Steven Pinker, la Part d’ange en nous. La thèse que défend Pinker est que notre monde est bien moins violent qu’il y a un siècle, si on se base sur les statistiques des décès. En effet, on meurt moins de mort violente, si on se base sur les statistiques. L’actualité récente en France donne le sentiment du contraire (je dis bien sentiment, et un sentiment ou une hypothèse ne sont pas des faits). Mais je crois que c’est plus subtil que ça.

Qu’est-ce que la violence ? Pour ma part, j’aime beaucoup la définition donnée par le physicien Aurélien Barrau dans Des univers parallèles : « la violence, c’est considérer comme acquis ce qui est à construire ». Une autre définition, que je tiens de mon ancien prof de philologie est celle qui consiste à « transformer l’impératif en indicatif », définition que j’apprécie aussi. Il y a dans ces deux définitions l’idée de l’exercice d’une coercition sur l’autre, que l’on réduit au statut d’objet.

La violence peut s’exercer de différentes manières : règles humiliantes, agressions physiques, verbales, dégradations, etc. Elle peut parfois s’expliquer. J’attire votre attention sur le fait qu’expliquer n’est en aucun cas justifier. On peut expliquer un séisme, une tempête ou un accident nucléaire sans pour autant le justifier ni l’accepter. Confondre justifier et expliquer constitue une insulte à la pensée de Jankélévitch(i).

Le problème est que l’être humain est un être violent, très ambivalent. « Au commencement était la haine », nous dit Freud. Tout le but de la civilisation est de réprimer la violence et les pulsions violentes que nous avons tous en nous. L’être humain se dote aussi de mécanismes pour justifier sa propre violence. Or, l’expression de la colère et de la violence n’est pas acceptable socialement (du moins pour le moment, la morale publique n’étant pas absolue mais relative, cf. Niezsche(ii)).

En dépit de l’observation de Steven Pinker, on a le sentiment que la voie de fait devient la norme. Il suffit de regarder les réseaux sociaux pour s’en rendre compte : dès que quelqu’un a le malheur de dire ou écrire quelque chose qui ne va pas dans le sens d’un groupe, la réaction du groupe tend vers le lynchage de l’individu. L’Autre qui pense différemment est donc un objet de ressentiment et doit être détruit…
A propos de violences, la journaliste et femme de lettres Zineb el Rhazoui est toujours la cible de menaces écrites sur ces structures ochlocratiques que sont les réseaux sociaux, suite à ses différents travaux sur l’islam. Je suis très triste qu’aucune obédience, bien que celles-ci soient très promptes à s’indigner, n’ait ouvertement pris sa défense. En attendant, lisez ses livres, je crois que c’est important.
La structuration des réseaux sociaux, parfois dépendant de juridictions d’autres pays donne aux usagers un sentiment d’impunité, qui leur permet d’exercer leur violence sans conséquence. On l’a vu récemment avec l’affaire de la Ligue du LOL.
A propos d’impunité, nous avons en France une culture de l’excuse, qui nie l’existence du mal en tant qu’action volontaire. Nous faisons souvent la part belle au bourreau qui doit être vu comme une victime du système ou de tout autre élément extérieur. Autrement dit, on ne doit pas sanctionner à l’école un petit caïd ou une petite frappe violente, parce que ces charmants bambins sont de pauvres victimes de leur famille/un vilain prof/leurs vilains petits camarades bons à l’école/leur condition sociale (biffer la mention inutile). Ce type d’enseignement remonte à Mai 68 et après : les disciples des grands penseurs ont appliqué les belles idées. Ainsi, dans les années 80, on n’avait plus le droit de sanctionner un gamin de primaire en lui faisant nettoyer la cour ou réparer ses bêtises. Une ministre de l’époque avait décidé que c’était du travail gratuit (on est dans les années 80, je le rappelle). La même ministre avait commis un ouvrage à l’époque expliquant combien la déferlante de dessins animés japonais était dangereuse pour la culture française et l’intellect de nos têtes blondes. Il est vrai que les dessins animés américains diffusés à l’époque tels que He-Man (Musclor), GI Joe ou MASK étaient sûrement bien plus pacifiques et porteurs de valeurs que Candy, Lady Oscar ou Albator(iii). Mais je m’égare. Les héritiers des grands penseurs de Mai 68 et de ce courant libertaire estimaient donc que sanctionner la violence, c’était punir de pauvres petites victimes de notre affreuse société tortionnaire, contre laquelle les étudiants s’étaient révoltés. Pire encore, il arrive que la victime ait des ennuis supplémentaires : il suffit d’entendre ce qu’on dit aux femmes qui ont le courage de porter plainte contre un agresseur. On leur dit que c’est de leur faute, et qu’elles ont provoqué leur agresseur(iv)… « Cachez ce sein que je ne saurais voir », je crains que Molière n’ait pas pris une ride.
Malheureusement, une éducation sans contrainte ne peut aboutir à rien de bon. Le cadre, la règle, la contrainte et la sanction sont nécessaires à la liberté. Sans cela, c’est le chaos, et l’individu n’a pas de structure. Vous imaginez bien les dégâts que cela peut faire sur les jeunes enfants et les adultes qu’ils deviennent. J’en viendrais à me demander si les joyeux lurons de la Ligue du LOL ne sont pas de pauvres gamins victimes de cette éducation qui en a fait des adultes déstructurés, avec un sentiment d’impunité et de toute-puissance (comment, je suis de mauvaise foi, moi ?).
Toute plaisanterie mise à part, éduquer un enfant avec l’idée qu’il est « interdit d’interdire », sans le sanctionner parce que ce qu’il peut faire n’est jamais sa faute, c’est en faire un adulte non structuré, voire irresponsable. La liberté est dans la règle, et les anarchistes l’avaient très bien compris.

Nous sommes amenés en Franc-maçonnerie à soumettre notre volonté, vaincre nos passions ou encore faire un examen critique, seul vrai rempart à la violence primitive qui existe en nous tous. Tout ce que nous faisons est ritualisé, encadré et structuré. Le Rite est marqueur d’un haut degré de civilisation. On pourrait penser que nous sommes de gentils messieurs-dames et que la violence n’existe pas. Que nenni ! Notre mythe fondateur est un meurtre et nous jouons un assassinat. Par ailleurs, en dépit de cet outil civilisationnel qu’est le Rite, nous ne sommes pas à l’abri de nos passions, que nous devons pourtant apprendre à maîtriser. Face au déferlement quotidien de rage et de colère, il est plus que nécessaire de rester dans le dialogue, et de considérer l’Autre en Frère et ne pas, ne surtout pas en faire un objet.

Toute cette violence me fatigue et m’écoeure. Tiens, je vais brancher ma console et jouer à un bon jeu de combat pour me défouler, comme Soul Calibur, Tekken ou Fortnite.

J’ai dit.

PS : j’omets volontairement les histoires de violences policières, étant donné les instructions en cours…

 

i-A propos de la Shoah : « ce qui s’est passé ne devra jamais être compris, dans la mesure où comprendre, c’est justifier ».

ii-Généalogie de la Morale

iii-On pourrait disserter des heures, mais Candy raconte l’histoire voulant vivre libre à l’époque victorienne, où la violence est avant tout sociale, Lady Oscar se déroule avant la Révolution Française et Albator raconte l’histoire d’un pirate de l’espace luttant contre un oppresseur extraterrestre… Les animes avaient le tort de ne pas être d’origine occidentale, visiblement, d’où la préférence vers l’animation américaine, ou plus rarement française. Ce n’est bien sûr qu’une hypothèse.

iv-Il suffira de lire les minutes du procès des policiers accusés de viol dans les locaux de la Police Judiciaire pour se faire une idée du chemin qui reste à parcourir pour déconstruire la « culture du viol ».

« Le nomade des noms » extrait de « La parole est au silence ! Le signe du secret »

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« Le nomade des noms » de Pierre Pelle Le Croisa, extrait de « La parole est au silence ! Le signe du secret » (ch. 21), éd. du Cosmogone, Lyon, 2009)

 Le nomade des noms

L’homme a donné des noms aux êtres et aux choses. Et les noms ont fait ce qu’il est : un nom-ade. De « nomas », voyageur. De « nomen », mot. Un voyageur de mots. Un nom-ade de noms.

Dans sa tête, les mots se bousculent. Ils font grand bruit. Ils soupirent, ils gémissent, ils vocifèrent. C’est la foire, c’est le bazar, c’est le souk dans sa cervelle ! Il y a là, disposé sur des présentoirs, tout un lot de propos épicés, d’herbes et de verbes aux aromates, de locutions poivrées, de substantifs poudrés de muscade et de safran, des termes aux senteurs d’anis et de vanille, des noms parfumés à la cannelle et au gingembre. Et puis, servis sur des plateaux de phrases ciselées, il y a tout un assortiment de mots sucrés et de mots-gâteaux dont les lèvres goûtent les saveurs avant d’en croquer les douces paroles : mots-pâtisseries aux dattes, aux amandes, aux noix, aux pistaches ; mots feuilletés au sésame, à la cardamome, aux raisins secs ; mots confits au miel, à la cannelle, au sucre glacé ; mots-délices à l’anis vert, au thym sauvage, à la fleur d’oranger…

Le nomade baguenaude entre les échoppes ouvertes sur l’extérieur et les étals dressés en plein vent. Il soupèse les étoffes, compare les text(es)iles, apprécie leur valeur au poids des mots. Les commerçants l’interpellent : marchands d’éloquence, jaseurs de phrases, camelots d’idées, tous cherchent à l’attirer. Mais il a l’œil. Il ne se laisse pas séduire. Il garde ses distances. Il marchande. Il négocie le prix de ses achats : tissés de tournures, draperies d’aphorismes, festons d’adages, soieries d’exposés, parures de principes, toiles de lois et de codes, draps de formules et de clichés, cuirs gaufrés d’expressions, rubans incrustés de signes – guillemets, tirets, virgules, parenthèses -. Il acquiert aussi quelques tapis brodés de phrases et des coussins ornés de figures de style et d’hyperboles.

Les mots de la mémoire

Il s’approche d’une boutique de joaillerie. Dans des écrins de bois peint s’entasse tout un bric-à-brac de bimbeloterie : bagues d’o, boucles de l, colliers de voyelles, bracelets de consonnes, verroterie de lettres, pacotille de syllabes, babioles de mots. Les bijoux colorés étincellent dans ses yeux. Captivé par leur brillance, il s’en procure de grandes quantités. En les recédant, il en tirera de bonnes marges.

Il s’approvisionne en armes, aussi, pour les bretteurs des joutes oratoires et des fantasias du verbe : mots de guerre, mots de razzia, mots-épées, mots-poignards, mot-mousquets, mots qui blessent et mots qui tuent.

Il fait encore des provisions pour la route : mots de bouche, mots-lards qui tiennent au corps, mots-fèves qui sustentent, mots fumés, mots boucanés qui se conservent, mots-thés qui désaltèrent, mots-figues, mots-pruneaux, mots-raisins, fruits secs de la pensée…

Il ramène ses emplettes et son viatique au camp. Là, il rassemble ce qu’il va emporter. Pour le voyage. Dans le désert. Le désert des pensées. Il remplit ses jarres et ses corbeilles de tout ce qu’il resserre déjà, sous la tente : les mots de la mémoire. Mots-souvenirs. Mots-images. Il les étale devant lui, sur le sol : grouillement de mots, mots épars, mots en vrac, mots agglutinés, mots liés, entremêlement de mots, mots-pelote, mots déchirés, mots rapiécés, mots raccommodés, mots tressés, bulles de mots, mots diserts, murmures de mots, mots haletants, mots qui respirent, mots qui vivent, mots-plaisir, mots doux, mots tendres, mots merveilleux d’amour, mots qui s’unissent, mots qui naissent, cris de vie, mots d’enfant, cacophonie, mots-parents, mots familiers, éty-mot-logie. Et puis, il enferme dans un coffret les mots prisés par ses clients les plus riches : mots précieux de myrrhe, d’or et d’encens ; mots de lumière, mots de lampe et d’arc-en-ciel ; mots de couleurs et de parfums. Enfin, il regroupe en un tas compact tous les mots qui restent, le tout-venant, les mots ordinaires qui ne s’apparient à rien et qu’il écoulera aux plus pauvres : les mots usés, les mots-épaves, les mots creux, les mots exsangues, les mots rachitiques, les bouts de mots, les mots d’humeur, les mots-rebelles, les mots-pièges, les mots-prisons, les mots condamnés. Dans ses sacoches il enfourne ses bibelots de rêves, ses fleurs de rhétorique séchées, ses bouquets d’images et toutes ses vieilles ficelles de la pensée. Pour se distraire pendant le trajet, il prévoit d’emporter des jeux de mots, des mots-fantaisies, ses mots sous-entendus. Son barda est prêt.

Le souffle de l’esprit

Le nomade rejoint la caravane des orateurs. Avec ses paquets. Ses mots, ses phrases et son texte. Il prend sa place dans la file. Il attend que le cortège se mette en marche, au fil des mots. Que leur guide, le premier rhéteur, démarre. Les autres, après, suivront. Mais vient son tour. Ça y est, il part. Il fait un pas, il dit une parole ; puis une autre. Maintenant, il trouve son rythme. Le balancement des phrases, le ronron des sons donnent la cadence.

Le temps s’écoule. Les heures passent. Le soleil de l’inspiration darde ses rayons. L’air devient chaud. Trop chaud ! Dans l’assemblée, des dunes de dos commencent à bouger. C’est le temps du sirocco. Des tourbillons secouent les bannes qui débordent. Tombent sur le sable, amortis, quelques mots perdus. Et les sons qui vont avec. Des sons inaudibles : ils bruissent dans le désert. Le souffle se lève. Le souffle de l’esprit. Il enfle sous la voûte. Il enfle sous son crâne. La tempête pousse les monticules. Ses rafales soulèvent des bouts de phrases. Ils s’échappent des couffins. Le sable de l’oubli les engloutit aussitôt.

Les nuages tourbillonnant, à présent, piquent ses yeux. Des grains de mots, soulevés par la bourrasque, voilent son regard. Le souffle de l’esprit change avec le sens du vent. Et le sens du vent  modifie le sens de ses pensées. Il s’abrite derrière ses mots. Il s’entoure dans son long manteau de certitudes, d’évidences, de truismes, de tautologies, de lapalissades, de phrases toutes faites, de citations passe-partout…

La tornade passe. Le calme revient. La nuit tombe. Il se lève. Sous la voûte étoilée de leurs rêves, les caravaniers font halte dans le désert des pensées. Ils se nourrissent de paroles. Ils échangent quelques mots. Ils rient, ils fraternisent. Ils se racontent des histoires. Les histoires de leurs vies. Les histoires de leurs voyages. Leurs épreuves. Leurs peines et leurs joies mêlées. Mots-images, mots-souvenirs qu’ils troquent pour un sourire, un regard, une écoute. Les pérégrins communiquent. Le dialogue les rapproche. Ils se transmettent leurs richesses : de la verroterie, de la pacotille, des breloques… tout ce qu’ils ont !

Les mots de passage

Le nomade est heureux. Assis devant le feu des réflexions qui crépitent, au milieu de ses compagnons de bivouac, il songe que demain, après avoir franchi le djebel, ils rejoindront la première oasis et le douar attenant. La marche sera difficile et pénible. Ils longeront les sables mouvants des idées creuses. Ils éviteront les éboulis des mots de pierre qui ralentissent la progression. Ils emprunteront la route du sel, dans les pages des livres qu’ils traverseront. Au soir, dans le tremblotement de l’air sur le couchant des pensées, ils  atteindront le campement : quelques tentes perdues dans le désert.

Là, les premiers, les enfants viendront à leur rencontre. Ils chercheront, dans les sacoches que transportent les caravaniers, les mots sucrés, les mots-friandises, les mots-pâtisseries, les mots-gâteaux dont ils se délectent.

Les femmes, à leur suite, s’approcheront pour venir tâter les étoffes de bons mots, les draps de formules et de clichés, les cuirs gaufrés d’expressions, les rubans incrustés de signes que les marchands dérouleront sous leurs yeux envieux. Elles essayeront les bagues d’o, les boucles de l, les colliers de voyelles, les bracelets de consonnes dans les bris de glace, les fragments de texte que leurs tendent les revendeurs.

Les guerriers, restés en arrière, après un temps d’observation, s’avanceront : ils chasseront avec impatience les commères et les marmots pour réclamer les armes. Ils voudront voir et tenir les mots-épées, les mots-poignards, les mot-mousquets, ceux avec lesquels ils lanceront leurs raids dans les écrits des autres.

Alors, quand ils seront partis, chargés de leurs prises et de leurs biens, la foule des badauds prendra son tour pour fouiner dans le grouillement des mots qui s’entremêlent, dans les mots épars, les mots en vrac, les mots agglutinés, les mots liés, les mots-pelote. Quelques curieux chineront dans les corbeilles d’osier le tout-venant des termes ordinaires : mots usés, mots-épaves, mots creux, mots exsangues, tous ces bouts de mots qui ne valent rien parce qu’ils ne font pas des phrases. Le nomade revendra ce qu’il a acheté, il transmettra ce qu’il a reçu. Et tout le monde y trouvera son content.

La nuit éteindra le manège des hommes : les voyageurs replieront leurs paniers et refermeront leurs mots-valises avant de se coucher dans leur couverture chaude et leurs coussins ornés de figures de style et d’hyperboles.

En retrait, sous un palmier, comme d’habitude ils remarqueront un vieil homme, assis sur une pierre, profiter de la fraîcheur du soir sur le miroir de l’eau. Toute l’année il est là, à chacun de leurs voyages, à les regarder aller et partir, sans un mot.

Les nomades des noms vont et viennent, vivent et meurent : ils ne colportent que des mots de passage ; lui, il reste avec les siens. Qu’il garde par devers soi : il se méfie des paroles qui s’envolent. Il ne prend pas les mots pour des idées. Il sait que les tournures d’esprit ne font pas les mots d’auteur. C’est son secret de maître du désert. De maître secret du désert des pensées. Le vieil homme est un sage. Il vit près de son arbre. Un arbre-pilier qui grandit en sagesse. Et qui lui fait comprendre que les plus belles pousses s’épanouissent sur le terreau du silence…

 

Pierre PELLE LE CROISA, ch. 21 de « La parole est au silence ! Le signe du secret »,

éd. du Cosmogone, Lyon, 2009)

La Franc-maçonnerie : Exemplarité ? Valeurs ? « Grands initiés » ?

Exemplarité, valeurs, « grands initiés » ?… Pourquoi la Franc-maçonnerie y fait-elle référence ? Et à quel titre ? Pour l’éclaircir, disons tout de suite ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas ; en commençant par ce qu’elle n’est pas : Elle n’est ni une confraternité religieuse, ni une société philosophique, ni un parti politique, ni une organisation sociale, ni une association d’entraide.

Qu’est-elle, alors ? Elle est un peu tout cela – et plus encore ; car si elle n’est ni religieuse, ni philosophique, ni politique, ni sociale, ni humanitaire, elle incite chacun de ses membres à prendre position et à s’engager personnellement dans le monde profane… mais à titre individuel, en tant qu’homme ou femme et non en qualité affichée de Franc-maçon ou Franc-maçonne.

En effet, si dans le temple, le Franc-maçon ne doit parler ni de religion ni de politique, au-dehors il a le droit – et même le devoir – de s’engager pour sa foi en l’homme et pour tout ce qui dans la cité fait progresser l’humanité. L’initiation est un commencement : la mort à la vie profane met un terme à une voie sans issue et ouvre un chemin de vie pour l’initié ; un chemin qu’il va défricher, pas à pas, jour après jour sur les traces de ses modèles, pour tenter de les retrouver et de devenir exemplaire, comme eux. En fait, ce n’est pas l’homme qui fait le maçon ; c’est au contraire le maçon qui doit refaire l’homme. Il faut donc rechercher pour soi, dans les œuvres des autres, l’enseignement qui œuvre dans sa vie, s’en instruire, s’en déduire et s’en construire. La vérité que recherche l’initié n’est pas dans le savoir des choses ; elle est dans la connaissance, dans le vécu des êtres. La quête de soi est requête de l’autre, elle prend le chemin de l’altérité.

Quand elle regroupe ses idées-forces autour de la « Déclaration de principes du Convent de Lausanne » (1875), la Franc-maçonnerie demande à ses membres, différents par leurs origines, par leurs conditions, par leurs langues et par leurs cultures, de se rassembler en hommes et en femmes de bonne volonté pour travailler en commun au perfectionnement de chacun et chacune et à l’amélioration intellectuelle et morale de tous, dans un esprit de fraternité. Rejetant les clivages, elle cherche à faire « régner l’amour, l’harmonie et la concorde » (chapitre I de la « Constitution » de la « Grande Loge de France ») et « à étendre à tous les membres de l’humanité les liens fraternels qui unissent les Francs-maçons sur toute la surface du globe » (article II de la « Constitution »). Les dissemblances font la richesse de son alliance. Elle est un ordre initiatique et traditionnel qui « recommande à ses adeptes la propagande par l’exemple, la parole et les écrits, sous réserve de l’observation du secret maçonnique[1] » (article II de la « Constitution » du « Grand Orient de France »).

Ceci étant rappelé, sur quoi s’appuie la démarche initiatique ? Elle se fonde :

–          sur des connaissances progressives (appropriation des savoirs sous forme de vécu) plutôt que sur une somme de savoirs (accumulation de données, érudition) ;

–          sur des mythes (porteurs de messages culturels) ;

–          sur des rites[2] qui font vivre ses messages (en les rendant actifs dans des cérémonies) ;

–          sur un triple langage (rationnel ou logique, symbolique ou analogique, gestuel ou kinesthésique) ;

–          sur des outils (matériels ou opératifs autrefois, intellectuels ou spéculatifs aujourd’hui).

Cet appareillage est l’équipage qui va accompagner le Franc-maçon tout au long de son parcours de vie.

 

Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015

[1] Voir l’article « Sacré secret ! » publié par les « Illustrissimes Blogueurs » dans la rubrique « La Franc-maçonnerie actuelle et de demain éclairée par celle d’hier ».

[2] Voir l’article « Pourquoi faire appel à des rites ? » dans la rubrique « Le champ des rites ».

Le sexe des mots : un chemin vers l’égalité De Claudie Baudino

L’auteure, ou autrice, puisqu’aussi bien l’un et l’autre, l’un ou l’autre se dit ou se disent, poursuit dans son nouvel ouvrage paru dans la collection « Egale à égal » de Belin, son combat pour la féminisation du langage quand il s’agit des femmes. Reprenant les arguments que certains et hélas certaines ne veulent toujours pas entendre, la politologue rappelle en cinq courts chapitres une vision de la question du sexe des mots que l’on peut ainsi résumer : la langue est sexiste ; elle est façonnée par et pour les hommes ; il convient de mettre les mots au service de l’égalité ; un combat à langue armée est nécessaire pour vaincre les résistances qui constituent une violence faite aux femmes et à la mixité et il existe des chemins vers l’égalité.

On retiendra de cette lecture que rien ne sert d’espérer dans la naissance d’un neutre ou la promotion de l’épicène. Il faut appeler un chien un chien et une chienne une chienne, comme diraient les chattes de garde. A propos de langue armée, Claudie Baudino propose de s’emparer du caractère performatif de la langue pour ne pas hésiter à répéter les nécessaires féminisations et faisant fi des ricanements basés sur les connotations en retournant d’un humour léger le gras des blague salaces. Elle nous  offre un bel exemple : Il faut employer l’expression « femme publique » pour désigner toutes celles qui consacrent leur vie au bien de la société, louer leur vertu et leur engagement au lieu de commenter leur situation familiale ou leur tenue vestimentaire ».

Dont acte, allons-y, ne baissons pas les bras, cessons de penser que les hommes publics font le tapin et signalons dans cette collection de poche une quinzaine d’autres textes consacrés depuis 2014 à cette problématique, vendus 6,5 euros. N’hésitons pas à les offrir à celles et ceux que l’on n’ose appeler des résistants, à cause de connotations, vous comprenez. Ce Sexe des mots recèle comme il se doit une petite bibliographie et même un quiz, avec dix questions qui permettent de regarder en s’amusant où l’on en est de sa culture féministe.

Pour qui voudrait approfondir la question, Claudie Baudino qui fit jadis sa thèse sur une comparaison entre la situation française et belge (Politique de la langue et différence sexuelle, la politisation du genre des noms de métier, l’Harmattan, 2001) a également publié : « Le travail social au défi de la mixité », L’année de l’action sociale 2015 : Objectif autonomie, Dunod, 2014 ; « De la féminisation des noms à la parité : réflexion sur l’enjeu politique d’un usage linguistique », Ela. Études de linguistique appliquée 2006/2, no 142 ;  « Du « genre » dans le débat public ou comment continuer la guerre des sexes par d’autres moyens ? », Travail, genre et sociétés 2006/2, n°16 ; « La cause des femmes à l’épreuve de son institutionnalisation »,  Politix 2000/3, n° 51.  J. Scott, La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, Politix 1998/3, n° 43.

La question de l’évolution du langage, parallèlement à celle de la société est donc de moins en moins marginale, Gaudeamus igitur ! Nos lecteurs liront dans le numéro 11 de la revue Critica masonica, paru il y a quelques semaines, l’entrevue que nous avons réalisée avec Eliane Viennot, autre spécialiste de la cause sous le titre : « Et la  modernité fut masculine ». Pour ce qui est de Claudie Baudino, elle  s’exprime également en  ligne sur www.laboratoiredelegalie.org

Le sexe des mots : un chemin vers l’égalité – De Claudie Baudino

Jean-Pierre Bacot

Première parution

Blog Critica masonica 14 mars 2018

Notre frère Georges Thill

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Ce fut l’une des plus belles voix de l’histoire de l’art lyrique français et sans conteste un des plus beaux timbres.  Ce fut un ténor dit de demi-caractère, expression qui n’a rien de péjoratif. Georges Thill est né le 14 décembre 1897 et est décédé à Draguignan le 17 octobre 1984.

S’il a été reçu au Grand orient de France à la loge Rénovation, sans que l’affaire soit bien documentée, on peut supposer s’il fut plus souvent présent dans sa loge de salle de spectacle que dans sa loge maçonnique

Quoi qu’il en ait été, sa voix si chaleureuse aura ravi plusieurs générations de lyricomanes, puisque sa carrière dura trente ans, dont la moitié au firmament. Il est possible, grâce à son abondante discographie, d’écouter aujourd’hui en disque compact ou en vinyle, et bien évidemment sur YouTube, du Puccini, du Mozart ou du Wagner chanté en français. On peut se poser paradoxalement comme défenseur des versions originales et apprécier ces transpositions en allant rechercher l’argument du diable : on comprend dès lors ce qu’il chante, et ce d’autant mieux qu’il  était doté de la plus belle articulation qui fût et d’un phrasé que l’on a parfois qualifié de dandy. Dans sa carrière internationale, Thill a également chanté en italien et en allemand, sans jamais transposer  les pires difficultés, eu égard à son contre-ut impeccable, comme en a témoigné, entre autres exemples, son interprétation de l’air célébrissime « Que  cette main en froide (che gelida manina) » de la Bohème de Puccini.

Quant à l’opéra français qui demeura sa prédilection, il en a parcouru tout le répertoire qu’il a partiellement illustré au cinéma. Les  afficionados pourront ainsi le retrouver dans Aux portes de Paris de Jacques de Baroncelli et Charles Barrois (1934), Chansons de Paris de Jacques de Baroncelli (1934) et Louise (1939) d’Abel Gance, à partir de l’opéra de Gustave Charpentier.