Qu’il s’agisse de jeunes animaux ou d’enfants, l’imitation est la voie de l’apprentissage (éducation de savoir-faire par mimétisme pour les bêtes, éducation de savoir-être par transmission de connaissances pour les humains). La « mimesis » conditionnerait-elle une forme d’égalitarisme en imposant une uniformité des savoirs ?
Dans sa forme évoluée – celle des sociétés -, « l’égalitarisme identitaire » se décline de nombreuses façons : c’est « l’égalité de nature » (qui fait que tous les individus d’une même espèce sont créés les uns à la ressemblance des autres) ; c’est « l’égalité des sexes » (qui cherche à contrebalancer les privilèges que le sexe dit « fort » s’est acquis sur le sexe dit « faible ») ; c’est « l’égalité des droits » (qui tente de corriger les inégalités issues des distinctions héréditaires et sociales entre citoyens) ; c’est « l’égalité des chances » (qui vise à garantir les mêmes moyens de réussite, quelles que soient les origines des hommes et des femmes), etc.
Ces compensations d’inégalités – qui ne sont pas naturelles, mais culturelles – contraignent donc les individus qui y sont astreints : l’égalitarisme est l’expression d’une égalité forcée ; elle ne s’expose pas comme une réalité, elle s’impose par autorité. De ce fait, elle se présente comme une restriction de liberté.
À l’inverse, la doctrine libérale (« la main invisible » en économie), en prônant la libre entreprise et en revendiquant la liberté totale des échanges, creuse plus profondément le fossé qui sépare les riches des pauvres. Pourquoi ? Parce qu’en refusant l’égalitarisme, en subordonnant le principe démocratique à une vision individualiste des rapports humains, elle ajoute des inégalités sociales aux inégalités naturelles et culturelles.
Faut-il donc revenir à l’égalitarisme pour éviter les méfaits de l’individualisme ? Tocqueville s’insurge, imaginant « sous quels traits nouveaux ce despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée des autres ».
Ainsi l’égalitarisme transforme-t-il l’égalité en indifférenciation, puis en indifférence. C’est l’exaltation de la « mêmeté » sociale qui fabrique de l’identique, égalisant les êtres et refusant de discerner la femme de l’homme, deux femmes entre elles ou deux hommes entre eux . Elle nie les distinctions de nature (et la génétique), les distinctions de sexes (et la biologie), les distinctions sociales (l’économie et la sociologie), les distinctions psychiques (la philosophie, la théologie et la psychologie – avec leurs approches différenciées) au nom d’idéologies arbitrairement égalitaires.
Si l’individualisme renforce les inégalités, et si l’égalitarisme aplanit et nivelle, vers quoi se tourner ? L’égalitarisme a-t-il tué toute possibilité d’égalité entre les hommes ?
Non, si l’on accepte les spécificités de l’être dans son identification à l’autre : la distance qui sépare le « Je » du « Tu » fait ontologiquement de l’autre un « autre-que-moi ». Si nous avançons ensemble sur le chemin de la vie, nous ne marchons pas dans les mêmes souliers. « L’inégalité naturelle ou physique » nous rappelle que si nous empruntons tous deux les mêmes voies, nos chaussures n’ont pas les mêmes pointures.
Mon semblable n’est pas mon reflet – sinon il serait ma copie conforme, mon double. Faire de l’autre son sujet, c’est le transformer en objet, en miroir de soi-même. Il y perd son identité.
À l’inverse, n’identifier que les spécificités de l’être sans son identification à l’autre présente aussi bien des dangers à l’égard de l’égalité entre les hommes. En effet, l’éloge de la différence met l’accent sur l’hétérogénéité, sur ce qui distingue, sépare, divise ; les revendications communautaristes ont beau jeu de la magnifier, au nom de « l’égalité entre les différences » (politiques, économiques, sociales, culturelles, religieuses, etc.). Par ce biais, « l’égalitarisme identitaire » fait un retour en force, collectivisant l’individualisation au niveau du groupe.
La véritable égalité doit donc concilier les spécificités de l’être et l’identification à l’autre. Le célèbre apophtegme de Saint-Exupéry : « Mon Frère, si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis » n’est pas une ode à l’individualisme ; ce serait oublier les mots : « mon Frère » qui donnent tout son sens à cette phrase. Le frère, c’est le pair, celui qui est de la même famille (biologique, spirituelle ou affective), celui qui me reconnaît et que je reconnais comme mon égal (dans le respect de nos différences). Il ne peut y avoir d’égalité au sein d’une collectivité sans une certaine parité qui préserve à la fois la singularité des individus et l’altérité de leurs rapports. Si la réciprocité est la conséquence de ce type de relations, l’identité de la personne en est la source.
Pierre PELLE LE CROISA, le 27 avril 2015