dim 14 décembre 2025 - 13:12
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Une leçon sur la préservation de l’émerveillement au Pakistan – Le Temple maçonnique devient musée

De notre confrère pakistanais thenews.com.pk – Par Nabil Abro

La Loge des Francs-Maçons, un bâtiment de l’époque coloniale entouré de mystère, rouvre ses portes sous le nom de Musée de la faune du Sindh. J’avais l’habitude de traverser Din Muhammad Wafai Road presque tous les jours sans remarquer le vieux bâtiment en pierre qui se dressait silencieusement derrière ses portes. Pour moi, ce n’était qu’un vestige du passé colonial de Karachi, niché entre les arbres et l’ombre. J’ai finalement appris qu’il ne s’agissait pas d’un bâtiment ordinaire. C’était la Loge des Francs-Maçons, un lieu enveloppé de mystère pendant des décennies. Aujourd’hui, la loge a trouvé une nouvelle vie et est devenue le Musée de la faune du Sindh.

Construite en 1914, alors que Karachi connaissait une expansion rapide sous la domination britannique, la loge était autrefois le lieu de rencontre des francs-maçons, une confrérie internationale influente souvent associée au secret et à l’exclusivité. Ses hautes arches et sa façade en pierre reflétaient la grandeur coloniale. Pour la plupart des habitants de la ville, elle était imprégnée de mystère.

Rares étaient ceux qui pénétraient dans le bâtiment. De nombreuses rumeurs circulaient sur d’étranges rituels et des rassemblements secrets.

« Pour les habitants de Karachi, ce lieu était entouré de mystère »

explique un historien de l’architecture coloniale. « On ignorait ce qui s’y passait, et des mythes se sont développés autour de lui. C’est ainsi qu’il a été surnommé le Jadoo Ghar, ou Maison de la Magie. »

Les années qui suivirent l’indépendance furent difficiles pour la loge. Les francs-maçons perdirent de leur influence et, dans les années 1970, leurs réunions à Karachi cessèrent. Le majestueux bâtiment tomba à l’abandon, ses portes verrouillées et ses secrets s’évanouissant dans le silence. Pendant des décennies, il resta une énigme, admiré de l’extérieur mais abandonné à l’intérieur.

L’histoire prit un nouveau tournant dans les années 1990, lorsque le Département de la faune du Sindh décida de transformer le lodge en musée. Pour une ville peu riche en histoire naturelle, le projet était ambitieux. L’objectif était de préserver la biodiversité du Sindh dans les murs d’un monument chargé d’histoire. Une modeste collection d’animaux empaillés, de photographies et de livres y était exposée, offrant aux habitants un aperçu de la faune de la province. Mais le musée peinait à survivre. Faute de financements suffisants, d’une promotion insuffisante et d’un soutien institutionnel insuffisant, il ferma rapidement ses portes. Pendant près de 29 ans, le bâtiment resta à nouveau négligé, son musée oublié, son potentiel gaspillé et sa façade drapée dans le silence.

En 2020, le silence a finalement été rompu et les choses ont commencé à changer. Le Département de la faune du Sindh, avec le soutien du Programme des Nations Unies pour le développement, a restauré le bâtiment et rouvert le musée, investissant près de 1,6 million de roupies dans ce projet.

L’inauguration ressemblait moins à l’ouverture d’une galerie qu’à la renaissance d’un pan oublié de la ville. « Il s’agissait de bien plus qu’une simple rénovation », a déclaré Javed Ahmed Mahar, conservateur en chef du Département de la faune du Sindh. « Nous souhaitions faire revivre un musée capable de sensibiliser le public à la faune du Sindh tout en respectant l’histoire de ce bâtiment remarquable. Pour nous, c’est un pont entre conservation et culture. »

À l’intérieur, la transformation est saisissante. Le musée présente plus de 300 espèces d’oiseaux, 100 reptiles et 80 mammifères, tous préservés grâce à la taxidermie. Les cerfs semblent figés en mouvement, les faucons déploient leurs ailes en plein vol et les tortues dévoilent leurs carapaces avec des détails réalistes. Une biche se penchant pour protéger son faon figure parmi les expositions les plus admirées, créée par des taxidermistes talentueux qui allient science et art.

Il est important de noter que le musée applique une politique stricte de non-abattage. « Nous sommes là pour célébrer et protéger la faune sauvage, et non pour lui faire du mal », explique Mahar. « Les animaux que vous voyez ici sont morts de causes naturelles. Nous leur avons donné une seconde vie pour que le public puisse apprendre d’eux. »

Le musée abrite également une bibliothèque, considérée comme l’une des plus riches collections de littérature animalière du pays. Certains volumes remontent à près de deux siècles. Ces étagères poussiéreuses recèlent des documents précieux pour les chercheurs et les étudiants. Il est prévu de numériser la collection pour un accès plus large. « Nous disposons ici de documents que vous ne trouverez nulle part ailleurs au Pakistan », explique Mahar. « C’est un trésor de connaissances caché. »

Pour les habitants, la réouverture a également transformé la perception du bâtiment. « Enfants, on nous disait que c’était un lieu hanté, un Jadoo Ghar où des choses étranges se produisaient », se souvient Rafiq Ahmed, un habitant de longue date de Saddar. « Avant, on passait devant, effrayés. Maintenant, j’emmène mes petits-enfants ici et, au lieu d’avoir peur, ils découvrent des animaux. C’est un changement merveilleux. »

D’autres partagent ce sentiment. « Le bâtiment est passé du secret à l’ouverture », explique un historien. « Ce qui était autrefois le pavillon le plus exclusif de Karachi est aujourd’hui un musée public. Ce changement reflète l’évolution de la ville elle-même. »

Le Musée de la faune du Sindh continue de jouer son rôle. Depuis sa réouverture, il accueille des sorties scolaires, des chercheurs, des photographes et des artistes. Les enfants admirent les expositions avec émerveillement. Photographes et peintres animaliers trouvent l’inspiration dans ces expositions réalistes.

Les responsables espèrent que le musée pourra s’agrandir davantage et se transformer un jour en un véritable musée d’histoire naturelle, comparable à ceux des autres grandes villes. « La conservation commence par la sensibilisation. Les musées jouent un rôle essentiel à cet égard », explique Mahar. « Nous voulons que ce soit un lieu où les générations futures viendront découvrir leur environnement. »

L’aspect le plus puissant du musée est peut-être symbolique. La Loge des Francs-Maçons, autrefois considérée comme un lieu de secret et de peur, est devenue un lieu d’apprentissage.

Ses pierres centenaires évoquent encore le passé colonial de Karachi, mais ses salles racontent aussi l’histoire des merveilles naturelles du Sindh.

Pour une ville souvent accusée de négliger son patrimoine, cette transformation est un rare exemple de renouveau.

Le Musée de la faune du Sindh ne se résume pas à des animaux en vitrine. Il s’agit de se réapproprier l’histoire, de remodeler les mythes et de réimaginer des espaces pour le bien public. La Maison de la Magie a rouvert ses portes, mais cette fois, la magie est bien réelle. Elle réside dans la possibilité de redécouvrir le cœur sauvage du Sindh, préservé entre les murs d’un bâtiment autrefois secret.

Briser les petites baronnies maçonniques

La souveraineté de la Loge, l’humilité des Offices

Nous voyons monter, de beaucoup d’Orients – ces jours-ci, plus nombreux depuis le grand Sud-Ouest – une même sidération : ici un Vénérable qui confond maillet et sceptre, là un Surveillant qui tient la Colonne comme on tient un ban, plus loin un Inspecteur de Loge ou un représentant provincial qui parle en suzerain et non en serviteur. Les mots sont durs parce que les blessures le sont. La féodalité s’infiltre parfois sous les voûtes, tel un brouillard qui ternit l’éclat des métaux.

Nulle région n’est indemne, nul rite ni Obédience n’est visé ; seul l’autoritarisme est en cause, où qu’il se loge.

Maître maçon grincheux

Elle prend le visage des petites baronnies, ces micro-pouvoirs qui prétendent régenter la vie de la Loge, du district, de la province, jusqu’à croire avoir « droit de vie et de mort » sur les itinéraires, les travaux, les destins. Nous savons, par l’histoire autant que par le rituel, que la Maçonnerie n’a pas été instituée pour adouber des seigneurs mais pour libérer des ouvriers. Le maillet n’est pas un droit de cuissage, l’équerre n’est pas une verge de commandement ; ce sont des instruments de service.

Le mécanisme est connu. Il commence par une captation douce : le calendrier, l’ordre du jour, la parole distribuée selon l’humeur. Puis survient la mise sous tutelle de l’Atelier : cooptations orientées, silences découragés, visites filtrées, lectures « retenues » pour préserver une paix factice.

L’étape suivante est l’édification d’un égrégore d’obéissance

La critique devient offense, la régularité se confond avec l’allégeance, la fraternité se mesure à l’applaudimètre. À la fin, la Loge ne respire plus qu’au rythme d’un petit nombre et c’est l’âme même de l’Atelier qui se rétrécit. Nous ne parlons pas ici d’autorité légitime – nécessaire, claire, assumée – mais d’autoritarisme, c’est-à-dire d’une dérive où la fonction se nourrit d’elle-même et oublie la pierre à polir.

Maçonne autoritaire

Nous pourrions minorer le phénomène en le renvoyant aux caractères : narcissisme des petites différences, susceptibilités, querelles d’ego. Ce serait trop simple. La tentation féodale est structurelle dès qu’une organisation oublie ses finalités pour ne plus penser qu’en termes de positions. La science des symboles nous instruit pourtant d’un autre ordre : l’Orient n’est pas un trône mais un chantier ; Le mailletage est d’abord un rythme intérieur. Il n’impose pas la cadence mais met la Loge à l’unisson ; la colonne J comme la colonne B doivent demeurer vivantes, contradictoires, hospitalières. Quand les offices se crispent, le Temple se pétrifie et quand la parole se raréfie, la Lumière se fait rare !

Rappelons quelques évidences initiatiques que le tumulte fait parfois oublier

Venerable maîtresse autoritaire

La souveraineté réside dans la Loge réunie, non dans celui qui la préside ; l’élection n’est pas onction mais confiance révocable ; le serment lie à plus grand que soi : à la Loi de la Loge, à l’esprit du Rite, à l’Ordre tout entier. La règle de l’Atelier – ses Règlements, ses anciens usages, la jurisprudence fraternelle – vaut garde-fou contre l’arbitraire. La chaîne d’union n’est pas une corde de traction pour amener tous au même pas, c’est un cercle de respiration où l’on tient et où l’on est tenu. « Gradus » signifie marche : chaque grade oblige à plus d’humilité, non à plus de crédit social.

Que faire, alors, lorsque se lèvent ces petites baronnies qui projettent leur ombre ? D’abord, nommer les choses sans outrager les personnes. Gardons en mémoire cette exigence d’exactitude :

« Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde. »

Albert Camus,

– « Sur une philosophie de l’expression », Poésie 44, n°17, 1944. Dire ce qui blesse avec les mots du Rituel : profanation du silence, détournement des offices, privatisation des outils, confusion entre personne et fonction. Ensuite, réouvrir le Temple à la Loi commune : relire ensemble les Règlements de la Loge, les textes fondateurs de l’Obédience, la lettre du Rite. Rien n’est plus désarmant pour l’arbitraire que la lecture apaisée des règles auxquelles tous ont juré obéissance.

Vient alors l’œuvre de réparation…

 Elle n’est pas spectaculaire. Elle est patiente, presque ascétique. Rendre à la parole sa juste circulation en disciplinant les débats ; restaurer la rotation réelle des charges en veillant à l’alternance et à la formation préalable des officiers ; redonner aux visites et aux échanges inter-Orients leur puissance d’oxygénation ; instaurer des moments de régulation non judiciaires – médiations fraternelles, « tenues de réconciliation », planches d’éthique préparées à plusieurs voix. Il est bon parfois qu’une Loge, après un épisode féodal, s’offre un cycle de travaux explicitement consacrés à l’humilité des offices : « Du service au commandement », « L’usage des outils ne fait pas la main », « Le silence, vertu active ». C’est dans la liturgie même que se trouvent nos remèdes.

Il y a aussi des garde-fous concrets

Rimbaud avait tout compris: « Je est un Autre »

Ils ne brisent pas la poésie du Rite, ils la protègent : calendrier des élections et transmissions clarifié longtemps à l’avance ; votes réellement libres, scrutateurs choisis avec prudence, procès-verbaux fidèles aux débats ; droit de visite et d’expression réaffirmé pour tout Maître, droit d’alerte sobre et fraternel lorsque la forme déraille ; accompagnement par des Frères expérimentés venus d’autres Orients quand la Loge peine à se redresser seule. Dans les structures régionales, rappel qu’aucun « représentant » ne tient son mandat d’une délégation divine mais d’une mission temporaire au service des Loges, et que toute injonction doit pouvoir être relue à la lumière des textes.

Nous n’ignorons pas que la douleur est vive chez ceux qui témoignent

Temple du Grande Oriente Lusitano (GOL)
Temple du Grande Oriente Lusitano (GOL)

Elle l’est davantage quand l’on a donné du temps, des nuits, des pages, des larmes, et que l’on voit la fraternité se racornir. Mais nous savons aussi que l’Ordre, dans sa longue mémoire, a traversé d’autres fièvres. À chaque fois, le retour à la simplicité rituelle, à la sincérité des regards, à l’économie des mots, a fini par déliter les fiefs. L’ego aime les estrades ; la Lumière préfère les Ateliers où l’on taille vraiment.

Gardons-nous des anathèmes

Rien n’est plus tentant que d’opposer les « purs » et les « seigneurs ». Or nous ne guérissons pas la féodalité par une nouvelle croisade. Nous la dissolvons en rappelant que nous sommes tous Apprentis – mais pas éternellement – de quelque chose et responsables les uns des autres – cette fois-ci éternellement. La mainmise se défait lorsque beaucoup de mains se remettent à l’œuvre. Le jour où le Vénérable redevient d’abord un conducteur de parole, le Surveillant un veilleur de croissance, l’Inspecteur un frère-ressource, le représentant provincial un messager, ce jour-là, la Loge respire, la région s’apaise, la province redevient un réseau d’entraide et non un échiquier de notabilités.

Nous n’avons pas d’autre ambition que celle-ci : rendre à la Maçonnerie son visage d’apprentissage.

Au fond, tout est dit dans nos outils

L’équerre n’ordonne pas, elle rectifie. Le compas n’enserre pas, il ouvre. Le maillet ne frappe pas des sujets, il réveille des consciences. Si nous consentons à cette ascèse du sens, les petites baronnies se dissiperont comme se dissipent les brumes au lever du jour : non par un coup d’éclat, mais parce qu’une Lumière tranquille s’installe et dure.

Qu’on nous entende clairement. La loi du silence n’est pas l’omerta. Elle est ce repli intérieur qui permet au verbe de devenir juste.

Frères et sœurs qui souffrez de ces féodalités, écrivez, témoignez, demandez médiation, faites valoir vos textes, cherchez l’appui d’Orients voisins, osez l’alliance des humbles. Et vous qui tenez aujourd’hui un office, rappelez-vous que la trace la plus haute qu’on laisse dans un Temple n’est pas celle de son nom au tableau des Vénérables, mais celle des frères grandis quand on s’efface.

Du chantier au Temple, telle est notre promesse. Elle ne souffre ni suzerain, ni vassaux. Elle réclame des ouvriers consentants, des officiers modestes, des Loges souveraines. Alors seulement la Tradition respire et la République des esprits – notre véritable province – se reconnaît à ce signe : personne n’y règne, chacun y sert.

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20/09/25 – Académie maçonnique Paris : « Pourquoi ai-je eu l’idée de fonder une Obédience ? »

Ce samedi 20 septembre à 10h30, l’Académie maçonnique Paris recevra, lors de son webinaire mensuel, pour une conférence intitulée :

« Pourquoi ai-je eu l’idée de fonder une Obédience ? »

Marcel LAURENT,

Fondateur de la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité,

Ce webinaire est gracieusement accessible aux Sœurs et aux Frères de toutes Obédiences, titulaires du grade de Maître, sur inscription préalable :

https://us06web.zoom.us/webinar/register/WN_nmeFmLV2Rr6kfc936mVGBg

Marcel Laurent

Dans son nouveau cycle annuel 2025-2026 qui a pour thème général : « Paroles de vie maçonnique(s) », l’Académie maçonnique Paris recevra le T⸫ C⸫ F⸫ Marcel LAURENT qui, initié dans une loge de la G⸫ L⸫ N⸫ F⸫ – obédience à laquelle il a appartenu pendant 23 ans, y occupant longtemps de hautes fonctions –,  a décidé, en tirant les conséquences de convictions personnelles, de fonder, il y a 25 ans, la Grande Loge des Cultures et de la Spiritualité.

C’est ainsi, qu’au cours d’un entretien avec Christian Roblin, suivi des habituelles questions-réponses, il répondra à la question :

«  Pourquoi ai-je eu l’idée de fonder une Obédience ? »

L’entretien se déroulera en trois temps :

Marcel Laurent
  • Tout d’abord, Marcel LAURENT présentera cette obédience spiritualiste mixte travaillant au Rite Écossais Ancien et Accepté, dont beaucoup de Frères et de Sœurs ont entendu parler, sans en connaître la spécificité ;
  • Il expliquera, en suite, sur quels fondements  et avec qui il a fondé cette obédience qui compte aujourd’hui une quarantaine de loges en France et à l’étranger ;
  • Enfin, il terminera sur une note plus personnelle élargissant ses réflexions à son engagement maçonnique dans la vie.

C’est une occasion tout à fait particulière de découvrir les conditions de la genèse de cette Obédience, d’examiner les principes qui la guide et de converser avec son fondateur, personnage attachant dont le parcours de vie, aux aspects multiples, n’est pas l’objet de cet  entretien, laissant celles et ceux qui s’y intéresseraient se rapporter à son autobiographie disponible sur Amazon, sous le titre : À dire vrai – un destin français (249 p.).

Daniel Keller ancien Grand Maître (GODF) et Marcel Laurent (GLCS)

En visioconférence avec l’outil Zoom en vous inscrivant grâce au lien suivant :

https://us06web.zoom.us/webinar/register/WN_nmeFmLV2Rr6kfc936mVGBg

Accès réservé aux Sœurs et aux Frères de toutes obédiences, titulaires du grade de maître.

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Grand Collège des Rites Écossais – Sous la voûte de Groussier, Lausanne se lève

De la pierre des Constitutions à la chair des consciences, une fraternité en action

Nous entrons rue Cadet comme on franchit un seuil intérieur. Le Temple Arthur Groussier, archiplein – plus de 400 participants –, respire, vaste atelier d’Écosse où la mémoire n’est pas un musée mais une lampe allumée sur le chantier. Le Grand Collège des Rites Écossais a voulu, en ce vendredi 5 septembre, reprendre Lausanne non pour l’embaumer mais pour l’éprouver.

Nous y avons entendu des voix différentes et concordantes, issues de juridictions masculines, mixtes et féminines, signe clair que l’Écossisme se sait aujourd’hui pluriel, hospitalier et fidèle à sa promesse d’universalité.

Nul oubli de la mixité, nulle amnésie de la féminité : la parole des Sœurs y fut reçue, écoutée, honorée, et c’est à cette place enfin assumée que l’« universel » commence à prendre corps.

Présenté avec élégance par Gérard Boned, président de la commission du colloque du Suprême Conseil, l’assemblée prit place dans le célèbre Grand Temple. À l’heure dite – l’heure, c’est l’heure – il frappa les coups d’usage avec une précision suisse.

Michel Meley

Michel Meley, Très Puissant Grand Commandeur du Grand Conseil de la Fédération française du Droit Humain, ouvre la marche en historien du Rite et en homme d’atelier. Il remonte les filons qui convergent vers 1875 : des Constitutions dites de 1786 aux aspirations de concorde entre Suprêmes Conseils, du principe créateur affirmé à la liberté de conscience défendue, de la lutte contre l’ignorance à l’exigence d’égalité. Lausanne apparaît alors comme une charpente : confédérer sans asservir, reconnaître des souverainetés tout en fixant des repères, garantir l’unité du REAA sans l’uniformiser. On mesure combien ces « landmarks » ne sont pas des bornes figées mais des jalons pour marcher droit, équerre en main, au milieu des vents contraires de l’histoire.

André Combes
André Combes

André Combes, historien, campe ensuite la figure d’Adolphe Crémieux, Grand Commandeur et homme d’État, maître du verbe et du courage. Par lui nous voyons la politique du XIXᵉ siècle dialoguer avec la haute maçonnerie : tenir ensemble la transcendance nommée et l’ouverture libérale, apaiser les tempêtes internes sans étouffer la réforme, préserver l’autorité du Rite en la mettant au service de la Cité. À travers Crémieux, c’est la stratégie d’un bâtisseur que l’on saisit, prudente et résolue, soucieuse de rassembler ce qui est épars sans dissoudre l’exigence.

Pierre Mollier
Pierre Mollier

Pierre Mollier, historien, membre du Suprême Conseil du Grand Collège des Rites Écossais, avec la précision qui éclaire sans blesser, replace la réaction du Grand Collège des Rites et du Grand Orient de France dans la longue durée. Il montre que la querelle ne fut pas tant métaphysique qu’institutionnelle : moins une dispute sur le Principe qu’un conflit de légitimité et de juridiction pour la pratique des grades. Le fameux article qui irrita rue Cadet disait en creux l’éternel débat entre l’Obédience et la Juridiction. Ici encore, la leçon n’est pas de polémique mais de méthode : chaque fois qu’une autorité cherche à faire taire une autre, le Rite se rétrécit ; chaque fois qu’elles se reconnaissent, il respire.

Gérard Boned et Christian Mermet
Gérard Boned et Christian Mermet

Christian Mermet, historien, membre du Suprême Conseil pour la France, pour la  déplie alors une page souvent méconnue, celle du Tuilleur de Lausanne et de la tentative de normalisation des rituels. Nous comprenons que la « grammaire » des hauts grades ne se réduit pas à des prescriptions techniques : elle dessine une manière de parler à l’âme, de conduire les symboles, d’accorder la légende d’Hiram à la musique des consciences. Normaliser n’est pas uniformiser : c’est chercher la note juste qui permette au chœur d’être un chœur et à chaque voix de rester une voix.

Évelyne Grimal-Richard
Évelyne Grimal-Richard

Vient la parole attendue de notre Sœur Évelyne Grimal-Richard pour le Suprême Conseil Féminin de France. Elle rappelle avec finesse que l’« universel » proclamé à Lausanne portait, en 1875, une cécité : l’absence des femmes. Non pour condamner les Pères, mais pour dire l’inaccompli et la patience de l’accomplissement. De la longue histoire des loges d’adoption à l’adoption du REAA par la GLFF, de la création du Suprême Conseil Féminin à l’essor actuel des travaux de recherche, elle trace une ligne claire : l’Écossisme ne devient vraiment universel que lorsqu’il s’ouvre à toute l’humanité. Ce jour-là, au Temple Groussier, le Grand Collège des Rites n’a pas oublié cette évidence : il a donné place, écoute et rayonnement à la voix des Sœurs. Cette présence n’est pas un appendice moderne ; elle est la mesure même de notre fidélité au Rite, qui ne sépare jamais la Sagesse de la Beauté, ni la Force de la douceur.

À la tribune, Christian Confortini, Très Puissant Souverain Grand Commandeur du Grand Collège des Rites Écossais, filmé par un invité
À la tribune, Christian Confortini, Très Puissant Souverain Grand Commandeur du Grand Collège des Rites Écossais, filmé par un invité

La conclusion de Christian Confortini tient de la bénédiction et de l’appel.

Gratitude aux intervenants, rappel des chantiers ouverts : publication des actes, poursuite des rencontres internationales, volonté de faire grandir une Charte commune des hauts grades qui respecte les souverainetés tout en ouvrant des passages. Surtout, une injonction douce et ferme : « Aimer, c’est agir ». À quoi sert Lausanne si ce n’est à nourrir nos loges de gestes justes ? À quoi sert l’histoire si elle n’allume pas nos braises d’aujourd’hui ?

En clôture, Christian Confortini, Très Puissant Souverain Grand Commandeur du Grand Collège des Rites Écossais, scella les travaux avec maestria, rappelant que l’universel n’est pas un slogan mais une pratique quotidienne de la Fraternité.

Nous sortons dans la lumière de midi avec une boussole et non une relique. Lausanne, relu à Groussier, nous enseigne que l’unité sans liberté est servitude, que la diversité sans repères est dispersion, et que l’universel sans les femmes n’est qu’un demi-cercle.

Alors nous reprenons nos outils. Nous savons que l’équerre demande la droiture, que le compas exige l’ampleur, que la règle réclame la patience. Et nous entendons, plus clairement qu’hier, cette phrase que le Rite murmure à chacun : avance, mais avance ensemble. Parce qu’au fond, nos « landmarks » ne valent que par la fraternité qu’ils rendent possible, et notre fidélité ne s’éprouve qu’à ce signe : faire place à tous les visages de l’humanité pour bâtir, enfin, un Temple habitable.

Photos © Yonnel Ghernaouti, YG

25/09/25 – Ouverture des portes de l’initiation : l’OITAR invite le public à sa conférence à Paris

Dans un monde où les secrets de la franc-maçonnerie fascinent autant qu’ils intriguent, l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal (OITAR) franchit une étape audacieuse : ouvrir ses mystères au grand public. Le 25 septembre prochain, à partir de 19h00, une conférence publique exceptionnelle se tiendra au Forum 104, au 104 rue de Vaugirard dans le 6e arrondissement de Paris. Organisée par OITAR IDF, cette soirée, qui s’étendra jusqu’à 22h30, promet d’éclairer – sans trop en révéler, bien sûr – les engagements qui guident la vie d’un franc-maçon au sein de cet ordre unique.

Fondé en 1974 au sein de la mouvance libérale et adogmatique de la franc-maçonnerie française, l’OITAR se distingue par son attachement exclusif au Rite Opératif de Salomon, un rituel en neuf degrés qui met l’accent sur le développement spirituel, le travail symbolique et la transmission orale des savoirs.

Cliquez sur la photo pour réserver

Née de la volonté de neuf frères du Grand Orient de France, dont Jacques de La Personne, cette fraternité mixte – ouverte aux femmes et aux hommes – compte aujourd’hui environ 1 350 membres en France métropolitaine, outre-mer et à l’international (Belgique, Canada, Madagascar).

Contrairement aux obédiences traditionnelles, l’OITAR s’organise en fédération de loges souveraines, où chaque atelier garde une autonomie totale, sous réserve d’une stricte observance du rite.

Le thème de cette conférence, « Franc-maçonnerie, un art du vivre ensemble », résonne avec les valeurs fondamentales de l’ordre : un progrès personnel et collectif imprégné d’humanisme, invitant ses membres à devenir des citoyens « ouverts, lucides et responsables » au sein de la société.

L’événement sera animé en présence de Thomas Denicourt, Grand Maître Général de l’OITAR, un physicien de formation surnommé « Boulonnais, l’Épicurien du Savoir » pour sa passion contagieuse pour les symboles et la connaissance.

Initié il y a plus de vingt ans, Denicourt défend une maçonnerie comme un « espace privilégié de respiration », loin des clichés conspirationnistes, et ancrée dans une démarche initiatique moderne.

L’entrée est libre, mais l’inscription préalable est recommandée via HelloAsso ou en cliquant sur le lien dédié sur le flyer de l’événement. Pour tout renseignement, contactez idf@oitar.info. Cette conférence s’inscrit dans une série d’initiatives publiques de l’OITAR, comme celles récemment tenues à Marseille ou prévues à Troyes, visant à démystifier la franc-maçonnerie et à partager ses outils pour un « vivre ensemble » harmonieux.

En conclusion, cette soirée au Forum 104 n’est pas qu’une simple causerie : c’est une invitation à explorer l’Art Royal comme un chemin vers l’épanouissement collectif, où le sacré et le rationnel se rencontrent pour réenchanter le quotidien. Profanes et curieux, saisissez cette opportunité avant que les tabliers ne se ferment à nouveau !

Monde perdu, lumière retrouvée – L’abécédaire initiatique de Lauric Guillaud

Nous ouvrons ce livre comme nous pousserions une porte lourde et sculptée, avec la sensation d’entrer dans un cabinet de curiosités où les vitrines sont des alphabets et les cartes des songes. Lauric Guillaud a choisi la forme du dictionnaire, pourtant son abécédaire ne dresse pas une collection immobile.

DICTIONNAIRE du MONDE PERDU
DICTIONNAIRE du MONDE PERDU

Chaque entrée palpite, chaque toponyme imaginaire respire, chaque créature chimérique garde le souffle discret des légendes qui refusent de s’éteindre. Nous avançons de A jusqu’à Z comme nous traverserions une forêt d’emblèmes, et nous reconnaissons très vite que ce monde perdu relève moins du folklore exotique que d’une géographie intérieure. Le territoire que nous parcourons ne se situe pas seulement sur des plateaux amazoniens ou dans des îles qu’une Atlantide oublieuse aurait laissées derrière elle. Il s’enracine dans la nuit fertile où se recueillent nos peurs, nos élans, nos récits de fondation. Ce beau livre relié, à la tenue solide et à l’iconographie généreuse, nous rappelle que toute image se lit comme un signe et que tout signe ouvre une porte.

La genèse du mythe se déploie avec la lenteur majestueuse des ères géologiques. Au dix-neuvième siècle, Richard Owen forge le mot dinosaure et nous oblige à étirer notre temps intérieur. Georges Cuvier fait parler les couches du sol, et la paléontologie devient un art d’exhumation qui ressuscite des mondes ensevelis. Les reconstitutions savantes fascinant alors les foules installent dans les esprits une scène nouvelle où se rassemblent squelettes, empreintes, silhouettes d’animaux disparus. La notion de fossile vivant dérange la flèche rassurante du progrès et donne aux marges de la carte l’éclat d’un possible. Des récits jalonnent cette montée. Cutcliffe Hyne C. J. (1866 – 1944) propose sa nouvelle The Lizard à la fin du siècle. Sir Arthur Conan Doyle (1859 – 1930) esquisse une trouée avec The Terror of Blue John Gap et confie qu’une nuit de croisière en Grèce il crut voir surgir un plésiosaure. L’explorateur Percy Fawcett (1867 – 1925), colonel de son état, cherche un isolat primordial sur le mont Roraima et sur les mesas du Venezuela, comme si la géologie elle-même protégeait un plateau suspendu à l’abri des saccages du temps. La science et le roman s’approchent l’un de l’autre et se tendent la main par-dessus le gouffre des certitudes trop étroites. Le mythe trouve alors son lit et s’y installe avec une vigueur qui ne se dément plus.

Parce qu’il s’agit d’un dictionnaire, nous laissons l’abécédaire guider nos pas. Les noms communs d’abord deviennent des pierres d’attente. Dinosaure. Paléontologie. Fossile vivant. Plésiosaure. Mesa. Cryptozoologie telle que la redonnera plus tard le docteur Bernard Heuvelmans (1916 – 2001) avec un doute méthodique qui n’est pas crédule mais attentif. Atlantide comme horizon de mémoire blessée. Les noms propres ensuite forment la constellation des passeurs. Henry Rider Haggard (1856 – 1925)et Edgar Rice Burroughs nourrissent le rêve d’empires intérieurs. Joseph Henri Rosny Aîné (1856 – 1940) ouvre des galeries préhistoriques où palpite une éthique de la survie. Jules Verne porte la lampe sous la voûte terrestre. Steven Spielberg rend à la stupeur une chair contemporaine. Georges Cuvier et Richard Owen installent les cadres du regard. Bernard Heuvelmans demande un surcroît d’enquête. Nous voyons naître une lignée. Nous comprenons que le thème du monde perdu assemble savants, romanciers, cinéastes et voyageurs de l’âme autour d’un même chantier.

Arthur Conan Doyle le 1er juin 1914
Arthur Conan Doyle le 1er juin 1914

Au centre de cette constellation nous consacrons notre regard à Arthur Conan Doyle. Médecin formé au regard exact, voyageur des confins durant la guerre des Boers, écrivain que nous suivons de Baker Street aux plateaux oubliés, il avance avec deux lampes tenues ensemble. L’une éclaire le patient de chair et d’os. L’autre éclaire le patient de l’esprit, car Arthur Conan Doyle fréquente la Société métapsychique et s’engage en Franc-Maçonnerie. Ce double apprentissage façonne le professeur Challenger, figure haute en couleur qui ne craint ni l’hypothèse ni la vérification. Lorsque paraît The Lost World, l’Amazonie se change en salle d’initiation à ciel ouvert. Un isolat perché au sommet d’un monde, protégé par des falaises comme par un secret, héberge la survivance des règnes anciens. La fiction accueille les découvertes récentes de la paléontologie depuis le baptême des terribles lézards par Richard Owen jusqu’aux reconstitutions qui enflamment l’époque. La notion de fossile vivant dérange la chronologie commune. Arthur Conan Doyle entend ce frémissement et l’honore. Dans Le Monde perdu, la descente vers l’inconnu devient montée en conscience. Le plateau interdit fonctionne comme une chambre des épreuves. Nous apprenons la retenue devant ce qui précède l’homme et qui pourtant continue de nous juger.

Portrait de Flammarion par Eugène Pirou en 1883
Portrait de Flammarion par Eugène Pirou en 1883

Nous accordons une égale attention à Camille Flammarion (1842 – 1925). Savant conteur qui parle au grand public sans appauvrir la pensée, astronome attentif à la poésie des faits, il enseigne que la science moderne réveille les ancêtres de la Terre en fouillant les tombeaux de pierre. La résurrection des tombes déploie une liturgie de la mémoire. Le Monde avant la création de l’homme propose des images puissantes où les ères anciennes se lèvent comme à l’appel. La popularisation chez Camille Flammarion n’est jamais un divertissement. Elle agit comme une pédagogie du regard. Nous apprenons à relier les cycles du ciel et les strates du sol. La dramaturgie des origines et des retours s’éclaire d’une ferveur qui n’abolit pas la rigueur. Nous reconnaissons là une attitude maçonnique. La curiosité s’unit à la modestie. La précision s’unit au désir de comprendre.

Sous la plume de Lauric Guillaud, ces lignes de force se rejoignent. Les dinosaures surgis au dix-neuvième siècle déplacent les horizons de l’histoire naturelle et installent une temporalité vertigineuse. L’archétype du savant explorateur devient un compagnon de quête. Arthur Conan Doyle érige le professeur Challenger en hiérophante d’un monde resté en marge du temps. Henry Rider Haggard, Edgar Allan Poe, Edgar Rice Burroughs et Joseph Henri Rosny Aîné nous escortent. Jules Verne fait circuler la lampe sous la voûte de la terre. Steven Spielberg redonne à la stupeur un corps et une voix. Bernard Heuvelmans rend à des figures indécises leur droit au doute. L’inventaire s’élargit sans se disperser, car l’architecture d’ensemble demeure lisible. Chaque motif retrouve sa généalogie. Chaque fil se rattache à un métier plus ancien. Nous voyons la trame.

La lecture se fait marche initiatique. Les mondes perdus ne sont pas des réserves d’archaïsme où nous viendrions célébrer une nostalgie. Ils composent une chambre des épreuves où nous apprenons à peser le poids de la merveille et le prix du discernement. Le seuil se reconnaît à ses gardiens. Reptile gigantesque ou peuple oublié. Ce que nous appelons prodige, le Rite y voit l’allégorie d’une lumière conquise. L’ésotériste y décèle la grammaire d’une métamorphose lente.

Dans les notices de Lauric Guillaud, la précision érudite n’éteint pas la braise symbolique. Nous passons d’une date à une figure, d’un roman à une fouille, d’un film à un rite de passage. Les terres imaginaires ne sont pas des décors. Elles deviennent des tableaux opératifs. Le compas n’y mesure pas seulement des distances sur une carte. Il mesure l’écart entre ce que nous croyons connaître et ce que nous sommes prêts à reconnaître. L’équerre n’y juge pas seulement l’angle d’un rocher. Elle juge l’angle d’une conscience.

Lauric Guillaud – Babelio

Il convient de saluer l’auteur. Lauric Guillaud, professeur émérite à l’Université d’Angers, explore depuis des décennies les littératures de l’imaginaire et les régimes symboliques qui les portent. Chercheur et passeur, il relie l’érudition la plus précise à une intuition des mythes qui éclaire Howard Phillips Lovecraft autant qu’Edgar Allan Poe ou Nathaniel Hawthorne. Son œuvre trace un chemin où Le sacre du noir fait dialoguer imaginaire gothique et imaginaire maçonnique, où Lovecraft une approche généalogique de l’horreur au sacré expose l’arrière-plan du fantastique moderne, où Mystères d’hier et d’aujourd’hui rassemble des regards croisés sur les énigmes persistantes, où Imaginaires prophétiques et barbares s’aventure dans les soubassements d’une dérive européenne. Cette trajectoire a reçu une reconnaissance éloquente. Lauric Guillaud a été distingué par le Prix littéraires de l’Institut Maçonnique de France en 2019 dans la catégorie « Essais » pour Le sacre du noir, ouvrage paru déjà aux Éditions du Cosmogone. Cette distinction confirme une autorité de lecteur des symboles et une fidélité à l’esprit de transmission qui se manifeste dans les conférences, les directions de recherches et l’accompagnement patient des jeunes lecteurs de signes.

DICTIONNAIRE du MONDE PERDU, 4e de couv.

Ce Dictionnaire du monde perdu poursuit et accomplit ce patient travail. Il ne se contente pas d’indexer des terres imaginaires et des espèces improbables. Il réunit des lignes de force. Il fait sentir le poids d’un héritage qui traverse les disciplines. Il montre comment le roman d’exploration se transforme en atelier d’idées, comment la science prête à l’étrangeté un surcroît de crédibilité, comment le cinéma saisit l’âme contemporaine par la voie de la stupeur, comment la bande dessinée et le jeu vidéo prolongent la disponibilité au merveilleux. Le lecteur y trouve un miroir fraternel. Il reconnaît la dialectique de la chute et de la remontée. Il reconnaît la valeur des seuils. Il reconnaît la nécessité des gardiens. Nous savons alors que le monde perdu auquel nous rêvons n’est pas un décor ancien. Il devient une fabrique de symboles où se vérifie la qualité de notre regard.

Editions-du-Cosmogone

Nous refermons l’ouvrage avec gratitude. Les entrées continuent de résonner comme des loges accolées autour d’un même chantier. Nous avons parcouru des continents imaginaires et c’est notre latitude intérieure qui a changé. Ce beau livre relié a l’assise d’un compagnon éprouvé. Il nous fait voyager sans dissiper l’énigme. Il nous instruit sans dessécher la surprise. Il nous met en présence d’une tradition qui se renouvelle au contact des formes et qui sait que la carte la plus précieuse ne figure pas les routes mais la manière de marcher.

Dictionnaire du monde perdu

Lauric GuillaudÉdition du Cosmogone, 2025, 222 pages, 32,70 €

Édition du Cosmogone, maison d’édition et éditeur de livres, le site

Éd. du Cosmogone

25/09/25 – GODF : Réveiller l’idéal républicain, bâtir la République sociale d’aujourd’hui

Jeudi 25 septembre à 19h, à l’occasion du 233e anniversaire de la Première République, le Grand Orient de France (GODF), avec la Loge d’études et de recherche « République universelle »*, vous convie dans le Grand Temple Arthur Groussier (16 rue Cadet, 75009 Paris) à une intervention publique et fraternelle sur :

« La République sociale : son histoire, ses principes, son avenir »

Affiche conférence

En présence de Pierre Bertinotti, Grand Maître du Grand Orient de France, et d’une délégation du Conseil de l’Ordre, vous êtes invités à entendre :

  • Jean-Numa Ducange – Le regard d’un spécialiste insatiable

Jean-Numa Ducange, historien français né en 1980, est professeur des universités à Rouen et membre junior de l’Institut universitaire de France. Spécialiste réputé de l’histoire politique et sociale des XIXᵉ et XXᵉ siècles, il a consacré sa carrière à l’étude des gauches françaises et germanophones, de la Révolution française et des marxismes.

Jean-Numa Ducange en 2024
Jean-Numa Ducange en 2024

Auteur de nombreux travaux majeurs, il dirige la revue « Actuel Marx » et a récemment proposé une biographie de référence sur Jean Jaurès, renouvelant l’analyse des sources et la dimension internationale de cette figure emblématique. Ses recherches, guidées par une rigueur méthodologique et une curiosité intellectuelle profonde, offrent un éclairage unique sur les révolutions, les espérances et les expériences du socialisme en Europe.

Salomé Berlioux
  • Salomé Berlioux – L’engagement pour la jeunesse oubliée

Essayiste, entrepreneure sociale et fondatrice de Rura (ex-Chemins d’Avenirs), Salomé Berlioux déploie une action pionnière en faveur de la jeunesse rurale et des territoires dits « périphériques ». Diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENS, elle a été consultante en relations institutionnelles et conseillère ministérielle. À travers ses ouvrages, dont « Les Invisibles de la République », elle dénonce les injustices frappant la jeunesse rurale et propose des solutions concrètes pour promouvoir l’égalité des chances. Son parcours, issu de l’Allier, incarne le potentiel des territoires délaissés, et son engagement s’est traduit par l’accompagnement de milliers de jeunes vers leur avenir, toujours guidé par la conviction que chaque parcours doit être révélé et accompagné.

  • Denis Maillard – Penser le travail et le vivant

Philosophe, diplômé de Sciences Po Lyon et de philosophie politique, Denis Maillard est un expert sur la question du travail et sur les mutations sociales qui traversent le monde contemporain. Il a oeuvré au sein de Médecins du Monde, de l’Assurance chômage, puis fondé le cabinet Temps commun, accompagnant entreprises et organisations dans la transformation du monde professionnel. Auteur de plusieurs essais majeurs (« Indispensables mais invisibles ? », « Tenir la promesse au Tiers-État », « Une colère française »), il interroge les liens entre la société civile, la question sociale et la promesse républicaine à l’égard du travail. Sa réflexion fusionne philosophie, expertise terrain et engagement citoyen, apportant un regard incisif sur les défis du vivre-ensemble et de la République sociale.

Blason GODF

Animation : Ella Micheletti, journaliste

La conférence sera animée avec talent et discernement par Ella Micheletti, journaliste engagée, et laissera place à l’échange avec le public.

Ne manquez pas cette soirée où intellectuels, experts et acteurs de terrain poseront les jalons d’une réflexion vivante sur l’histoire, la philosophie et l’avenir de la République sociale.

GODF, façade – coll. particulière

Informations pratiques

Lieu : GODF, Grand Temple Groussier, 16 rue Cadet, 75009 Paris / Date et heure : Jeudi 25 septembre 2025 à 19h / Inscription obligatoire : www.godf.org

*La création, en 2019, de la Loge d’études et de recherche « République Universelle » au sein du Grand Orient de France marque une étape significative. Implantée en Région Paris III, elle réunit 39 Maîtres fondateurs issus d’Orients variés, portés par le désir de réfléchir à la vocation universaliste du projet maçonnique.

Portrait imaginaire d’Andrew Michael Ramsay

Inspirée du discours du chevalier de Ramsay et de l’esprit des Lumières, la loge entend revisiter cette « utopie féconde » qui irrigua la Déclaration des droits de l’Homme et des Lumières.

Jean-Jacques-François Le Barbier (dit l’Aîné, attribué à, 1738-1826) – détail – Musée Carnavalet

Son ambition : explorer, par des planches et des débats, la portée actuelle de l’idéal universaliste, face aux replis identitaires contemporains. Elle devient ainsi la quinzième loge de recherche du GODF. Ses travaux, trois à quatre fois par an, donneront lieu à des échanges ouverts et à des publications électroniques. Le collège fondateur se distingue par sa diversité géographique et l’ampleur de son engagement collectif. L’allumage des feux a eu lieu le 12 janvier 2019, rue Cadet, autour d’une première tenue placée sous le signe de l’universalisme.

GODF – Loge République Universelle

Pourquoi les Francs-Maçons du XVIIIe siècle ont accordé une importance particulière à l’Ancien Testament ?

Le Christianisme, en tant que religion abrahamique, s’appuie sur deux corpus scripturaires : l’Ancien Testament, correspondant à la Bible hébraïque, et le Nouveau Testament, qui relate la vie et les enseignements de Jésus-Christ ainsi que les premières communautés chrétiennes. L’Ancien Testament, loin d’être relégué au second plan, est resté un pilier théologique et symbolique du Christianisme. Par ailleurs, au XVIIIe siècle, les Francs-Maçons protestants, particulièrement en Angleterre et en Écosse, accordent une place prépondérante à l’Ancien Testament, souvent au détriment du Nouveau Testament.

Pourquoi le Christianisme a conservé l’Ancien Testament

Contexte de l’émergence du Nouveau Testament

Comme nous l’avons abordé au cours des 10 articles parus sur le journal, le Christianisme naît au Ier siècle dans le contexte du Judaïsme du Second Temple, une période marquée par une diversité de courants religieux (Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Zélotes). Les premiers disciples de Jésus, juifs pour la plupart, s’inscrivent dans cette tradition et considèrent les Écritures hébraïques (l’Ancien Testament) comme la parole de Dieu. Le Nouveau Testament, composé au cours du Ier et du début du IIe siècle, regroupe des textes variés : les Évangiles, les Actes des Apôtres, les épîtres (notamment celles de Paul) et l’Apocalypse. Ces textes reflètent les efforts des premières communautés chrétiennes pour articuler leur foi en Jésus comme Messie et Fils de Dieu, tout en se positionnant par rapport à la Loi juive.

Les oppositions entre Paul et Jacques, deux figures centrales du Christianisme primitif, illustrent les débats sur le rôle de la Loi mosaïque (issue de l’Ancien Testament) dans la nouvelle foi. Jacques, surnommé « le Juste », dirigeait l’Église de Jérusalem et représentait les Judéos-Chrétiens, qui insistaient sur le respect de la Loi (circoncision, prescriptions alimentaires, sabbat) comme condition de la foi en Jésus. Dans l’Épître de Jacques (2:14-26), il défend l’idée que «la foi sans les œuvres est morte », soulignant l’importance des actes conformes à la Loi pour démontrer la foi.

Paul, apôtre des Gentils, prônait une vision radicalement différente. Dans ses épîtres, notamment aux Romains (3:28) et aux Galates (2:16), il soutient que la justification vient par la foi en Jésus-Christ et non par l’observance de la Loi. Pour Paul, la mort et la résurrection de Jésus instaurent une Nouvelle Alliance, rendant la Loi mosaïque obsolète pour les croyants, bien que l’Ancien Testament reste une source d’enseignement moral et prophétique. Ces divergences culminent dans l’« incident d’Antioche » (Galates 2:11-14), où Paul reproche à Pierre (Céphas) d’avoir cédé aux pressions des Judéos-Chrétiens proches de Jacques en se séparant des Gentils.

Le concile de Jérusalem (Actes 15, vers 49-50 ap. J.-C.) tente de résoudre ces tensions. Il décide que les convertis non juifs ne sont pas tenus d’observer l’ensemble de la Loi mosaïque, mais doivent respecter certaines règles éthiques, celle des lois de Noé, (abstention des viandes sacrifiées aux idoles, du sang, etc.). Ce compromis reflète l’importance continue de l’Ancien Testament comme cadre moral, même pour les communautés pauliniennes.

Continuité théologique et accomplissement des Écritures

Malgré ces débats, l’Ancien Testament reste central pour les premiers Chrétiens. Jésus lui-même, selon les Évangiles, se présente comme l’accomplissement des Écritures : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir » (Matthieu 5:17). Les prophéties messianiques (Isaïe 7:14, Michée 5:2) sont interprétées comme annonçant la venue de Jésus, conférant à l’Ancien Testament une légitimité théologique essentielle. Sans ce corpus, le Christianisme aurait perdu son ancrage historique et prophétique.

L’historien Jaroslav Pelikan, dans The Christian Tradition (1971), souligne que l’Ancien Testament permet aux Chrétiens de s’inscrire dans une histoire sacrée continue, de la Création à la rédemption. Rejeter l’Ancien Testament, comme le proposaient certains groupes hérétiques (par exemple, les Marcionites au IIe siècle), aurait signifié rompre avec cette continuité et délégitimer le Christianisme face au Judaïsme et aux Romains. (Voir l’article  Les origines du christianisme -10) <https://450.fm/2025/09/11/les-origines-du-christianisme-10/>

Universalité et richesse symbolique

L’Ancien Testament offre des récits universels (Création, Déluge, Exode) qui transcendent le contexte juif et parlent à des publics variés. Ces récits permettent au Christianisme de s’adresser aux Gentils dans le monde gréco-romain, en proposant une éthique universelle. De plus, les figures symboliques comme le Temple de Salomon ou l’Arche d’Alliance enrichissent la théologie chrétienne. Par exemple, le Temple est vu comme une préfiguration de l’Église, corps mystique du Christ.

La Septante, traduction grecque de l’Ancien Testament, facilite son adoption par les communautés chrétiennes non juives. Utilisée dès le Ier siècle, elle devient le texte de référence pour les premières Églises, renforçant l’autorité de l’Ancien Testament.

L’importance de l’Ancien Testament dans la Franc-Maçonnerie protestante du XVIIIe siècle

Contexte historique et spirituel

La Franc-Maçonnerie moderne émerge en 1717 avec la création de la Grande Loge de Londres, dans un contexte marqué par les Lumières et l’essor du Protestantisme en Angleterre et en Écosse. Les Francs-Maçons, souvent issus de milieux protestants (anglicans ou presbytériens), cherchent à créer une fraternité universelle fondée sur des principes moraux et spirituels, tout en évitant les dogmes confessionnels. Dans ce cadre, l’Ancien Testament devient un outil privilégié, car il offre un socle éthique et symbolique compatible avec une vision universaliste.

Le symbolisme de l’Ancien Testament dans les rituels maçonniques

Les Francs-Maçons du XVIIIe siècle s’inspirent largement des récits de l’Ancien Testament, en particulier du Temple de Salomon et de figures comme le Roi Salomon ou Hiram, devenu architecte légendaire maçonnique. Selon Pierre-Yves Beaurepaire (L’Europe des Francs-Maçons, 2002), le Temple de Salomon devient une métaphore centrale : les loges sont des « chantiers » où les membres, tels des artisans, construisent leur « temple intérieur », symbolisant la quête de perfection morale et spirituelle. Les récits de la construction du Temple (1 Rois 5-7) fournissent des allégories pour les valeurs maçonniques : sagesse, force, fraternité.

Contrairement au Nouveau Testament, centré sur la rédemption par la foi en Jésus, l’Ancien Testament propose des récits historiques et symboliques moins liés à des débats théologiques chrétiens.
En effet, l’Ancien Testament, surtout les livres historiques, servait de “terrain d’entente” dans un monde encore marqué par les guerres de religion.Cette neutralité permet aux loges d’accueillir des membres de diverses croyances, y compris des déistes ou des Juifs.
Les francs-maçons voulaient rassembler des hommes de confessions différentes autour de textes qui ne déclencheraient pas immédiatement de querelles théologiques propres au Nouveau Testament (notamment sur la figure du Christ).

Influence protestante et universalisme des Lumières

Le Protestantisme, particulièrement dans sa forme calviniste ou anglicane, valorise l’étude directe des Écritures, y compris l’Ancien Testament. Les Francs-Maçons protestants s’inscrivent dans cette tradition, utilisant l’Ancien Testament comme un texte de référence éthique. Par exemple, le serment maçonnique est souvent prêté sur une Bible ouverte à un passage de l’Ancien Testament, comme les Psaumes ou le Livre des Rois, soulignant son rôle de socle moral.

Les Lumières, avec leur emphase sur la raison et la tolérance, influencent également la Franc-Maçonnerie. Comme le note Margaret Jacob dans The Radical Enlightenment (2006), les loges cherchent à dépasser les divisions confessionnelles (catholicisme vs protestantisme) en adoptant un cadre spirituel universel. L’Ancien Testament, avec ses récits non christologiques, permet de rassembler des membres de différentes croyances sans imposer une lecture exclusivement chrétienne.

Mise en retrait du Nouveau Testament

Le Nouveau Testament, centré sur la divinité du Christ et la rédemption, est moins adapté à l’universalisme maçonnique. Son insistance sur la foi chrétienne aurait pu exclure des membres non chrétiens ou déistes, nombreux dans les loges du XVIIIe siècle. De plus, les débats théologiques issus du Nouveau Testament (par exemple, la nature de la Trinité ou la justification par la foi, hérités des tensions entre Paul et Jacques) sont perçus comme clivants dans un contexte où la Franc-Maçonnerie prône la tolérance.

L’Ancien Testament, en revanche, offre un terrain neutre, avec des récits et des symboles qui peuvent être interprétés de manière allégorique, sans référence explicite à la théologie chrétienne. Cette approche reflète l’esprit des Lumières, qui valorise la raison et la morale universelle sur les dogmes religieux.
Ainsi, L’Ancien Testament servait aux francs-maçons du XVIIIᵉ siècle de réservoir commun de symboles, de pont entre confessions, et de fondation mythique (Noé, Temple de Salomon, Hiram…) permettant d’inscrire la Franc-maçonnerie dans une tradition antique et universelle de valeurs morales compatibles avec leur idéal, tout en évitant les querelles christologiques qui auraient brisé l’unité de la loge. En privilégiant l’Ancien Testament, ils évitent les controverses théologiques du Nouveau Testament, tout en s’inscrivant dans une tradition protestante qui valorise l’étude des Écritures.

Ce choix reflète à la fois leur héritage religieux et leur ambition de créer une fraternité transcendant les divisions confessionnelles.

Le Convent de Lausanne : l’idéal universel inachevé

À l’occasion du cent-cinquantième anniversaire du Convent de Lausanne (6-22 septembre 1875), Franc-Maçonnerie magazine (n°106, septembre-octobre 2025) publie, sous la plume de Pierre Mollier, un article éclairant sur cette rencontre majeure de l’histoire du Rite Écossais Ancien et Accepté (REAA).

Moment d’espérance et de tensions, il fut marqué par l’ambition d’une unité universelle mais aussi par les divergences spirituelles et culturelles entre Suprêmes Conseils. Ce rêve d’harmonisation, resté inachevé, demeure pourtant une étape fondatrice de la réflexion maçonnique sur l’universalité de l’Ordre.

Il y a des dates qui résonnent comme des pierres d’angle dans l’histoire de la Franc-Maçonnerie.

1875, Lausanne. Du 6 au 22 septembre, vingt-trois Suprêmes Conseils du Rite Écossais Ancien et Accepté se rassemblent dans la cité helvétique, porteurs d’une ambition grandiose : donner corps à l’universalité tant rêvée par le chevalier Andrew Michael Ramsay (1686-1743), qui dès 1736, dans son célèbre discours, ouvrait déjà l’horizon de la Maçonnerie aux grandes traditions de l’humanité. Ce Convent se voulait une Arche reliant les continents, un Temple de parole où s’uniraient enfin les voix multiples de l’Ordre.

La perspective universaliste habitait alors les esprits. Jean-Marie Ragon de Bettignies (1781-1866) et Jean-Baptiste Vassal (1791-1867) avaient souligné, dès les décennies précédentes, que les hauts grades écossais portaient en eux la mémoire des grandes traditions spirituelles. Outre-Atlantique, Albert Pike (1809-1891), Grand Commandeur du Suprême Conseil de la Juridiction Sud des États-Unis, rêvait d’un souffle unificateur capable de transcender les frontières. En France, Adolphe Isaac Crémieux (1796-1880), avocat, homme politique et Grand Commandeur du Suprême Conseil, espérait ardemment jeter ce pont de fraternité au-delà des mers.

L'aigle bicéphale dessiné pour le Convent de Lausanne
L’aigle bicéphale dessiné pour le Convent de Lausanne

Mais la lumière, ce jour-là, se fit vacillante. Très vite surgirent les fractures. Les Suprêmes Conseils anglo-saxons défendirent une approche strictement chrétienne, attachée à la Bible et au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Les Suprêmes Conseils latins, marqués par l’esprit des Lumières, invoquèrent le Grand Horloger de Voltaire (1694-1778) ou un principe créateur universel, refusant de réduire le Grand Architecte de l’Univers à une confession particulière. Ce fut là l’abîme : d’un côté, la fidélité à une tradition religieuse ; de l’autre, la volonté de préserver une ouverture philosophique et humaniste.

Le Convent de Lausanne fut donc un sommet sans couronnement. Derrière les discours solennels et les photographies figées des dignitaires, il reste une mémoire paradoxale : celle d’une fraternité qui osa croire à l’unité, mais qui se heurta aux murs invisibles des dogmes et des particularismes.

Pourtant, cet échec apparent garde une portée initiatique. Il nous enseigne que l’universel n’est pas un acquis mais une quête, que l’unité ne s’impose pas mais se construit pas à pas, dans l’épreuve des différences et dans la tension entre l’idéal et le réel. Lausanne rappelle que la Franc-Maçonnerie n’est pas un havre de certitudes mais un chantier permanent où la diversité des pierres, loin d’être une faiblesse, fait surgir la beauté du Temple.

Cent cinquante ans après, le Convent de Lausanne demeure une énigme féconde. Non pas un échec à effacer, mais un jalon à méditer. Il nous invite à rouvrir sans cesse la question du Grand Architecte : principe de vie, souffle divin, mystère ineffable… Il appartient à chaque Frère, à chaque Atelier, d’y puiser sa propre lumière et d’accepter que cette lumière, comme celle du soleil qui éclaire les colonnes du Temple, soit toujours plurielle et universelle.

Les représentants des suprêmes Conseils ayant participé aux Convent de Lausanne.
Les représentants des suprêmes Conseils ayant participé aux Convent de Lausanne.

Dans son article, Pierre Mollier ne propose pas une liste exhaustive des participants au Convent. Il se concentre sur le contexte de cette rencontre et sur les grandes figures intellectuelles qui ont marqué l’esprit du REAA : Ramsay, Pike, Crémieux, Ragon, Vassal et Voltaire. Il insiste sur le clivage fondamental entre Suprêmes Conseils latins et anglo-saxons, sur la grandeur de l’ambition universaliste et sur l’échec relatif de l’entreprise, incapable de déboucher sur une constitution commune.

Cette lecture, précise et nuancée, porte la marque de Pierre Mollier, l’une des grandes figures de l’historiographie maçonnique contemporaine.

GODF – 16 Cadet

Né en 1961 à Lyon, historien formé à Sciences Po et à l’EPHE, il a dirigé la Bibliothèque-archives du Grand Orient de France et assumé la conservation du musée de la franc-maçonnerie, reconnu « musée de France » et situé rue Cadet à Paris. Commissaire de la grande exposition « La franc-maçonnerie » à la Bibliothèque nationale de France en 2016, il conjugue rigueur historique et sensibilité symbolique.

220 ans de REAA

Ancien rédacteur en chef de la revue d’études maçonniques et symboliques Renaissance Traditionnelle, il codirige les Chroniques d’Histoire Maçonnique (CHM) et a été Editor-in-Chief du journal en ligne Ritual, Secrecy, and Civil Society (aujourd’hui Enlightenment: Ritual, Secrecy, Civil Society, and Freemasonry). Contributeur régulier de Franc-maçonnerie magazine, auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles, il a récemment dirigé l’ouvrage collectif 220 ans de Rite Écossais Ancien Accepté en France, 1804-2025 (Conform édition, 2025). Sa plume, savante et accessible, articule recherche historique et réflexion initiatique, offrant aux Frères, aux Sœurs et aux chercheurs une vision toujours renouvelée d’un patrimoine spirituel et culturel universel.

L’État renforce son partenariat avec les Compagnons du Devoir

Accord-cadre pour booster l’alternance et l’insertion professionnelle.

Dans un contexte où la formation professionnelle et l’insertion des jeunes restent des priorités nationales, le ministère du Travail a franchi une étape symbolique en signant, le 8 septembre dernier, un accord-cadre de partenariat avec l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir du Tour de France (AOCTDF) et la Fédération des Compagnons du Tour de France (FCTF).

Cet engagement, qui s’étend sur dix ans, vise à consolider le modèle unique du compagnonnage en l’intégrant pleinement dans les dispositifs d’apprentissage et de professionnalisation.

Un modèle historique au service de l’excellence et de l’emploi

Jeune fille – Compagnon du Devoir

Le compagnonnage, héritage séculaire des traditions artisanales françaises, repose sur une transmission orale et itinérante des savoir-faire. Les Compagnons du Devoir, qui forment aujourd’hui plus de 20 000 jeunes dans une quarantaine de métiers (du bâtiment à la joaillerie en passant par la mécanique), affichent un taux d’insertion professionnelle impressionnant de 90 %. Cet accord-cadre apporte une stabilité inédite à ce système. Il marque une reconnaissance officielle de l’AOCDTF et de la FCTF comme acteurs clés de la formation en alternance.

Photo d’Astrid Panosyan-Bouvet en 2022

La signature a eu lieu en présence d’Astrid Panosyan-Bouvet alors ministre chargée du Travail et de l’Emploi, et de sa collègue Catherine Vautrin, aujourd’hui Ministre démissionnaire du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles de France. Sur les réseaux sociaux, Astrid Panosyan-Bouvet a salué cette avancée : « Ce partenariat vise à soutenir un modèle unique : l’excellence du geste professionnel, indissociable des valeurs de solidarité et de transmission du compagnonnage, une solution efficace pour l’emploi des jeunes, mais aussi pour les réorientations et les reconversions. » Elle a également souligné l’adaptation continue de ce modèle historique aux besoins contemporains, notamment en matière d’innovation pédagogique.

Les objectifs concrets de l’accord : favoriser l’accès à la qualification

Compagnon en action

L’accord-cadre met l’accent sur le développement et la mise en œuvre des contrats d’apprentissage et de professionnalisation au sein des entreprises partenaires des deux organismes. Son but principal ? Favoriser l’accès à la qualification et l’insertion professionnelle des individus engagés dans le « Tour de France », ce parcours initiatique qui emmène les apprentis à travers l’Hexagone pour perfectionner leurs compétences.

Parmi les mesures phares :

  • Soutien aux entreprises : Accompagnement pour l’accueil d’apprentis compagnons, avec des outils adaptés pour intégrer ces formations dans les stratégies RH.
  • Innovation et reconversion : Promotion du compagnonnage comme voie de reconversion pour les adultes en recherche d’emploi, en lien avec les politiques nationales d’emploi.
  • Stabilité décennale : Contrairement aux conventions triennales habituelles, cette durée de dix ans garantit une vision à long terme, permettant des investissements durables en formation.

Cet accord s’inscrit dans une dynamique plus large de relance de l’apprentissage en France. Alors que le pays vise à former 500 000 apprentis par an d’ici 2027, le compagnonnage apporte une réponse qualitative, centrée sur l’excellence manuelle et la mobilité.

Réactions et perspectives

Image par Solange Sudarskis

Les représentants des Compagnons du Devoir ont accueilli l’accord avec enthousiasme. Patrick Chemin, porte-parole de l’organisation, a toutefois tempéré les espoirs en évoquant une « rentrée 2025 plus compliquée » pour l’apprentissage, en raison de défis économiques persistants. « Cet accord est un levier précieux pour surmonter ces obstacles et valoriser nos traditions au service de l’avenir », a-t-il déclaré.

Du côté du ministère, on insiste sur l’aspect inclusif : cet engagement pourrait inspirer d’autres partenariats avec des acteurs de la formation non conventionnelle, renforçant ainsi le maillage territorial de l’alternance. À l’heure où le gouvernement prépare son budget 2026, cet accord pourrait préfigurer une augmentation des subventions pour les filières artisanales.

Un modèle au service de l’excellence artisanale

Reconnu d’utilité publique, le compagnonnage par alternance demeure un moteur de qualification fondé sur la transmission conjointe des savoir-faire et des savoir-être. Ce partenariat réaffirmé en fait un véritable laboratoire d’innovation pédagogique au service de l’insertion, des réorientations et des reconversions. En stabilisant l’horizon de l’alternance tout en respectant la singularité de la tradition compagnonnique, l’État et les Compagnons du Tour de France entendent soutenir durablement la formation et l’emploi sur l’ensemble du territoire.

De l’atelier à l’entreprise, la mesure se prendra à l’épreuve des œuvres ; un premier pas décisif a été franchi.