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Città meneghina (Milan) le 8 mars
Via Giuseppe Antonio Sassi est une petite rue en équerre bordant le jardin de l’église Santa Maria delle Grazie, une rue élégante et tranquille, typiquement milanaise. D’un côté de l’équerre, le soleil éclaire les bâtiments, avec leurs façades en pierre ou en en briques d’un ocre rouge profond, témoignant de l’architecture harmonieuse propre à ce quartier. Les pavés rappellent ceux du couvent dominicain de Santa Maria delle Grazie adjacent. De l’autre, la ruelle est plongée dans l’ombre tant la ruelle devient étroite ; les hauts murs laissant un air frais s’en ressentir. Au numéro 2, de petites plaques de verdure la ponctuent avec des fougères aux fenêtres grillagées du rez-de-chaussée, tandis que les balcons en pierre blanche plus ouvragés du premier étage abritent des sculptures d’animaux, des singes en l’occurrence rappelant la sagesse de ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire.
Mitoyenne, une maison plus basse s’ouvre sur un hangar aux portes de bois, elle fait face à l’arrière de la basilique.
Alexander y pénétra seul, serrant le diamant dans sa main.
Ancien atelier de peinture, le lieu exhale encore une odeur d’huile et de solvants. Les murs sont tachés de couleurs effacées, comme les vestiges d’une époque plus créative, mais aujourd’hui le silence, comme une épaisseur, décore le lieu par une tension presque palpable.
Alexander ne voit que Silvestro, au centre, flanqué de trois hommes de main armés et cagoulés. Derrière eux, Caris bâillonnée et aveuglée par un bandeau est attachée à une chaise. Toute son attitude montre qu’elle est apeurée, ses boucles désordonnées cachent son visage penché.
Silvestro étire un sourire en voyant Alexander avancer.
– Ah, Monsieur Meïr ! Et oui, je vous connais. Le très bavard Enhardir, que nous avons su faire parler, nous a renseignés. Grâce aux caméras de sa galerie, il a fait des recherches. Vous êtes suffisamment connu pour qu’il retrouve votre trace à partir de votre photo. Vous l’avez inquiété savez-vous ? Il croyait que c’était un de mes fidèles, dit-il en éclatant de rire. Ainsi c’est vous qui m’apportez ce que j’attendais, peut-être que je vous laisserai repartir, vous et la demoiselle. Approchez lentement et donnez-moi le diamant.
– Montrez-moi d’abord qu’elle va bien, ordonne Alexander d’une voix aussi ferme et autoritaire qu’il put.
Silvestro ricane mais fait un signe à un de ses hommes qui s’avance pour relever la tête de la jeune femme et lui enlève le bandeau. Elle cligne des yeux, une larme coulant sur sa joue, mais elle semble indemne.
– Elle est vivante, comme promis. Et maintenant le diamant.
Alexander s’avança, chaque seconde étirée dans ses pas, son bras en avant, lui montrant sa main renversée devant lui qui renfermait le diamant. Il progressait lentement dans une trajectoire telle qu’il parvint à se mettre entre Caris et Silvestro, obligeant celui-ci à pivoter pour le suivre du regard. Les sbires accompagnaient le mouvement, satellites du Milanais.
Soudain, un bruit de détonation éclate à l’extérieur et on entend Guido hurler « intervention » ! Les portes latérales du hangar volent en éclats alors que les forces d’Interpol dissimulées parmi les touristes, surgissent, armes braquées. Une fusillade éclate aussitôt.
Alexander plonge vers Caris faisant de son corps un bouclier, tandis que des balles sifflent autour d’eux. Dans l’échange des feux, un policier au sol, une large tache de sang s’étendant sur sa cuisse, crispe ses doigts sur la plaie pour tenter d’arrêter l’hémorragie. Plus loin, un autre agent, touché à l’épaule, grimace en cherchant à recharger son arme, tandis qu’un des criminels s’effondre avec un cri guttural, une balle ayant traversé son flanc. À son tour, Guido est blessé, du sang coule de son oreille, une balle lui a emporté le lobe gauche.
Alexander parvient à détacher Caris avant de lui murmurer :
– Reste ici. Je vais finir tout ça.
Et criant pour se faire entendre, brandissant sa main fermée, il interpelle le chef.
– Buonvincini, regarde, mais regarde bien en lui montrant le diamant entre deux doigts, puis il le fait glisser, comme Guido lui avait enseigné lors de la préparation pour l’assaut, entre le majeur et l’annulaire, déclenchant le pouvoir du diamant en faisant le signe.
Toutes les armes cessèrent de fonctionner.
Silvestro, figé, regarde médusé Alexander qui s’est mis face à lui à quelques mètres.
Alors, du plus profond du peu que lui reste sa conscience volontaire, Alexander implore le diamant :
– Choisis maintenant d’être ou d’exister, renonce par ta puissance à ta forme ! Voile ton principe et abîme ton entéléchie.
Il sentit dans sa main disparaître la consistance de la pierre alchimique, ne put retenir le mouvement de l’ouvrir et d’envoyer en l’air son contenu comme un fauconnier le ferait avec un oiseau. Il y eut juste une trace scintillante au-dessus du chaos qui jeta une douce lumière avant de se dissiper.
Silvestro comprit que c’était fini. Sa quête s’arrêtait là et il se rendit en jetant son arme à terre ainsi que ses deux acolytes survivants.
Il eut un instant un regret, en revoyant le ravissant visage d’Amélie qui l’avait tant aimé, sacrifiée et victime pour rien. Il n’eut aucune pensée pour Jakub Novák, ni pour Hircine Enhardir, ni pour aucune autre mort qu’il avait rendue inutile.
Et puis soudain, profitant de l’attention portée aux blessés et tandis que Guido s’était précipité pour prendre Caris dans ses bras, Silvestro, s’enfuit par la porte donnant sur l’autre angle de la rue. Alexander essaie de le suivre, mais l’homme est rapide.
En sortant à sa suite, Alexander aperçoit une scène incroyable : le carnaval ambrosien bat son plein, une foule immense d’individus déguisés en arlequins et pierrots dansent et chantent envahissant toute la rue, attirée qu’elle a été par ce qui lui avait semblé être des pétards. Un homme, assommé et dévêtu de son déguisement, gît comme un pantin contre la façade de la ruelle. Silvestro s’est mélangé à la foule, portant son masque et son costume bariolé.
Silvestro Buonvincini disparut en se fondant dans l’anonymat du pareil.
Épilogue la semaine prochaine