Cette approche symbolique se veut être un complément au très beau morceau d’architecture que notre sœur Solange a produit ici même (Lire son article). Comme toujours en matière de symbolisme maçonnique, pour chaque symbole il y a le sens primitif et puis les rajouts effectués par les chefs de file des courants philosophico-ésotériques.
Le sens primitif du symbolisme de la coupe d’amertume me semble être d’inspiration biblique en conformité avec la démarche des premiers concepteurs des rituels maçonniques.
Pour aboutir à cette conclusion, plusieurs pistes sont à notre portée :
- Les mots dans la Bible
- L’évangile selon Saint Mathieu
- La logique même du rituel maçonnique dans sa pureté initiale !
Les mots dans la Bible
Dans la Bible, on retrouve les mots, coupe, amertume,
- La coupe a 59 occurrences ;
- Amertume a 21 occurrences;
- Dans les Psaumes, « l’humanité est comparée à un invité recevant de Dieu, en une coupe, un lot d’expériences heureuses (Ps 16:6 23:6 etc.), mais aussi à un malheureux recevant de Dieu le lot amer de l’infortune (11:6) » ;
- La coupe de la colère et de la justice de Dieu, (Jer 25:15, Eze 23:32 )
L’Evangile de Jésus-Christ selon Saint Matthieu
C’est dans le chapitre 20 Verset 22 que l’on trouve l’expression la plus claire :
…. « Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Pouvez-vous boire la coupe amère de souffrance que je vais boire ? » « Oui, répondirent-ils, nous le pouvons ! »
La logique primitive du rituel maçonnique
La particularité de notre rituel est de mettre en scène sans expliquer !
C’est par la concomitance des déroulements des différentes phases de la Bible et du rituel maçonnique que l’on comprend ce à quoi notre symbolisme renvoie.
Globalement, le rituel maçonnique du 1er au 3ème degré peut être compris comme une illustration de l’expérience mythique de l’élévation de Jésus-Christ.
Tout se passe comme si boire la coupe était une prédiction : l’annonce d’un vrai malheur, la mort d’Hiram en parallèle avec la crucifixion de Jésus, et aussi l’annonce d’un vrai bonheur, son élévation en parallèle avec la résurrection de Jésus.
On pourrait démontrer que l’essentiel des différentes phases de nos rituels se passe avant, pendant et après la crucifixion, à Pâques, entre Midi et Minuit. L’initié est amené à revivre la passion du Christ via la légende d’Hiram !
La coupe d’amertume se place au tout début du processus ! Si classiquement elle est mise en rapport avec un serment, il est clair qu’il s’agit là d’un prétexte organisationnel qui ne correspond pas à l’importance du symbole !
Tout se passe comme si la coupe d’amertume avait une fonction annonciatrice qui se vérifiera au 3ème degré lors de l’annonce du meurtre d’Hiram, équivalent symbolique de la crucifixion.
On lit parfois que la coupe d’amertume est l’équivalent de la coupe des libations ! C’est bien sûr un contresens. La coupe des libations célèbre Jésus ! Cela ne correspond à aucun temps des rituels anciens ! Il en est de même de la confusion entre Calice et Coupe !
D’une certaine matière la réflexion que je vous propose rejoint le paragraphe « Un peu d’histoire » paru sur le site « Chemin 47 » :
« Selon André Doré, ce symbole proviendrait d’Allemagne, via le Rite Rectifié qui en faisait déjà usage vers 1755. Jean Reyor considère que le « calice d’amertume » n’a pas d’équivalent dans les initiations chrétiennes ni dans les initiations chevaleresques et hermétiques. Cette pratique semble aussi complètement inconnue en Angleterre. On la retrouve dans le rituel de 1785 du Grand Orient de France.
Dans le « Régulateur du Maçon » datant de 1801, le « calice d’amertume » est présenté au Récipiendaire après les trois voyages dans la Loge. Sa signification n’est pas liée à une mise en garde vis-à-vis d’un reniement du serment, mais par rapport aux difficultés de la voie initiatique.
C’est pourquoi les paroles prononcées par le Vénérable Maître à l’issue de cette épreuve ont à peu près le sens suivant : « Monsieur, ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des chagrins inséparables de la vie humaine : la résignation aux décrets de la Providence peut seule les adoucir ».
Au Rite moderne (belge), la phrase exacte est : « Ce breuvage, par son amertume, est l’emblème des épreuves inséparables de la vie. La résignation peut en adoucir les effets, mais le courage seul peut vous aider à les vaincre ».
Selon Christian Guigue, la coupe d’amertume présente dans les rituels d’Initiation maçonnique remonte aux temps les plus lointains. Dans les initiations égyptiennes, le candidat devait boire un breuvage délicat composé de vin et de myrrhe, du moins le lui présentait-on ainsi ! En réalité, il s’agissait plus probablement d’une mixture affreuse faite de vinaigre et de teinture de noix de galle ! »
En conclusion
On ne comprend bien le symbolisme primitif des symboles utilisés dans les rituels d’initiation maçonniques des trois degrés principiels qu’en se référant à la correspondance biblique !
En ce qui concerne la coupe d’amertume, c’est fondamentalement une annonce subtile de ce qui se passera au 3ème degré ! L’annonce d’un grand malheur qui sera suivie de l’annonce d’un grand bonheur !
Ce symbole rappelle aussi le caractère sacrificiel de notre initiation ! Nous sommes destinés à nous sacrifier pour assumer l’annonce de la « Vérité » ! Telle est notre voie !
Naturellement cela correspond au XVIIIème siècle ! Aujourd’hui bien que nous ayons une diversité de démarches et d’approches, et que le mysticisme a montré ses limites, peut-être n’est-il pas inutile de faire vivre ce symbole qui a le mérite de ne pas nous faire rêver à une vie qui serait un long fleuve tranquille !