jeu 21 novembre 2024 - 23:11

Carte postale

Je n’étais pas en Loge hier soir, mais en vacances. J’ai quitté quelques jours ma grande métropole pour me mettre au vert dans ma maison de campagne. Encore un privilégié, me direz-vous. Défions-nous de nos passions et jugements trop hâtifs, vous comprendrez.

La région où se situe cette maison de campagne est sur cet axe symbolique, la « Diagonale du Vide » qui s’étend entre le Sud-Ouest et le Nord-Est de notre beau pays. La densité de population est faible. En fait, il y a moins d’habitants dans ce département que dans un grand arrondissement de Paris. La région est surtout agricole, orientée vers le bio et le raisonné, suite à une série de catastrophes écologiques il y a quelques années. La terre a en effet été ravagée par l’emploi de pesticides divers, rendant l’avenir des cultures très incertains. Les fermiers et paysans ont donc choisi de se tourner vers le bio pour sauver ce qui pouvait l’être. En quelques années, la situation semble s’être normalisée. D’ailleurs, en rentrant d’une fête en pleine nuit, j’ai eu la joie d’entendre des grillons chanter, ce que je n’avais plus entendu depuis fort longtemps, au point que j’en croyais l’espèce éteinte. Et ce ciel étoilé, tellement beau !

Ces petites vacances ont été aussi l’occasion de visiter les Loges du secteur. J’en garde un très bon souvenir : un accueil simple et chaleureux, des échanges joyeux et des agapes plutôt festives. Heureusement que je rentrais à pied, le vin amené par le Frère vigneron était plutôt corsé !

Je me suis aussi amusé à tester le principe physique du ruissellement, qui sert de modèle à nos politiques économiques (enrichir les plus riches pour que les plus pauvres puissent en profiter). Le phénomène de remplissage des verres de la base par débordement du premier ne fonctionne tout simplement pas, à moins de disposer d’une quantité infinie de liquide et d’un temps infiniment long et d’admettre un volume très grand de pertes. Or l’argent n’est pas infini, le temps non plus.
Il est dommage que nos gestionnaires se basent sur un modèle aussi absurde pour élaborer ou justifier des politiques…

A part cette expérience de physique amusante, j’ai redécouvert des choses simples : aller faire le marché, discuter avec les commerçants, et surtout prendre mon temps. Les mauvaises langues diraient qu’il n’y a forcément que ça à faire. Ce qui est faux : il y a toujours une fête, un petit festival, une manifestation quelque part, sans compter les soirées avec les amis. D’ailleurs, en discutant avec les commerçants, j’ai eu la joie de voir qu’il existait tout un réseau d’AMAP, de circuits courts et d’autres initiatives éloignées de la grande distribution. D’autres se battent pour maintenir ouverts des lieux de vie, d’échanges ou de culture, lieux toujours menacés d’extinction au nom des économies.

J’ai aussi redécouvert la joie de prendre une voiture ou un vélo. C’est un peu le revers de la médaille : il n’y a pas forcément (voire pas du tout) de transports. Le département n’étant pas très peuplé, on considère que chacun doit avoir une voiture et se débrouiller par lui-même. Mais il paraît que ça fait faire des économies.

Je voulais acheter des timbres et adresser un recommandé, mais j’ai dû attendre le jour de l’ouverture de l’agence postale, la Poste ayant été fermée quelques années auparavant. Gênant pour l’usager, mais il paraît que ça fait faire des économies.

Un jour, j’ai eu un souci de santé, et j’ai voulu consulter un médecin. Tudieu, quelle épopée ! Car il est très compliqué d’avoir un rendez-vous avec un médecin. Et je n’ose pas imaginer la situation pour les femmes enceintes, quand les maternités ferment suite à une décision administrative. Il est vrai que la vie d’une femme et d’un nouveau-né coûtent cher pour nos élites. Mais il paraît que ça fait faire des économies.

On pourrait continuer longtemps avec ce refrain : fermeture des lignes de bus. Mais il paraît que ça fait faire des économies. Fermeture des tribunaux de proximité (premiers juges européens, rappelons-le) ? Mais il paraît que ça fait faire des économies. Fermeture arbitraire d’usines pourtant rentables dévastant un territoire entier, le condamnant à la pauvreté ? Mais il paraît que ça fait faire des économies et en plus, ça pollue moins (et tant pis pour les polluants déjà entreposés, hein ?). Aménagement douteux du territoire, asphyxiant le cœur des villes au profit de ces hangars de périphérie ? Il paraît que ça fait faire des économies, mais c’est une autre histoire. Sinon, la liberté, l’égalité, la fraternité ? Quelqu’un y a pensé ? Et surtout, à qui profitent ces fameuses économies dont les effets à long terme coûteront sûrement très cher à la communauté, si celle-ci n’est pas dissoute d’ici là ?

En introduction, j’avais évoqué mon privilège. Mais ce privilège est né d’une contrainte très forte. Ma compagne est fonctionnaire d’Etat et a été mutée dans ce département sans qu’il n’ait été tenu compte de notre situation familiale. Pas assez de points, paraît-il. Et impossible de faire jouer les rapprochements de conjoint. Donc depuis 2 ans, elle comme moi nous rendons visite à chaque week-end, comme le Bouvier et la Princesse des légendes asiatiques, séparés par la Voie Lactée. Depuis 2 ans donc, nous voyageons par les Intercités et TER pour protéger notre vie de couple, quand la SNCF nous en laisse le loisir. A ce propos, notre maison est proche de la gare TER du coin (5 minutes en voiture). Il est dommage que la gare soit désormais fermée le week-end, et que les TER circulent de manière très aléatoire. Depuis un an, j’ai dû avoir 30% de trajets TER sans problème… Il est dommage de devoir faire une heure de route pour prendre un train, quand on a une gare à côté de chez soi. Comment justifier de fermer des lignes de train à une époque où l’essence devient hors de prix (sans compter les conséquences environnementales), non à cause des taxes mais à cause d’intérêts politiques ?

Au fond, quand on voit comment l’Etat traite ses propres agents, pour ne pas dire ses serviteurs, je ne suis pas étonné de la destruction en cours du tissu social ni des structures territoriales. Comme l’expliquent Noam Chomsky et Christopher Lasch, les élites n’aiment pas la démocratie. Et comme l’a très bien noté Riss, nos dirigeants n’aiment pas leur peuple.

En tant que Franc-maçon, très attaché aux valeurs de solidarisme, d’égalité et de fraternité, qui sont des fondements de la République, je vois nos dernier lieux d’égalité républicaine être sciemment détruits et advenir le règne d’un chacun pour soi très malsain. Au nom de quoi ? Au nom d’une vision comptable étriquée, qui masque des pulsions et des jouissances sadiques non avouées, quand ce n’est pas une inconscience criminelle ou une légèreté blâmable. Pour nous, les valeurs n’ont tout simplement pas de prix. Ceux qui nous dirigent ne devraient pas l’oublier.

J’ai dit.

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Josselin
Josselin
Josselin Morand est ingénieur de formation et titulaire d’un diplôme de 3e cycle en sciences physiques, disciplines auxquelles il a contribué par des publications académiques. Il est également pratiquant avancé d’arts martiaux. Après une reprise d’études en 2016-2017, il obtient le diplôme d’éthique d’une université parisienne. Dans la vie profane, il occupe une place de fonctionnaire dans une collectivité territoriale. Très impliqué dans les initiatives à vocations culturelle et sociale, il a participé à différentes actions (think tank, universités populaires) et contribué à différents médias maçonniques (Critica Masonica, Franc-maçonnerie Magazine). Enfin, il est l’auteur de deux essais : L’éthique en Franc-maçonnerie (Numérilivre-Editions des Bords de Seine) et Ethique et Athéisme - Construction d'une morale sans dieux (Editions Numérilivre).

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