Alain Bauer, écrivain gastronome, ancien Grand maitre du Grand Orient de France : « La franc-maçonnerie est née dans les auberges ».
Par Yves Deray – Contributeur
Alain Bauer est un homme multiple. On l’a connu franc-maçon éminent, expert en questions de sécurité, conseiller de Nicolas Sarkozy, mais il est aussi un fin gastronome. En cette fin d’année synonyme d’agapes et de mets fins, il publie un livre avec 60 chefs cuisiniers qui se mettent à table ! Une invitation à la gourmandise…
Vous publiez un livre avec une soixantaine de chefs cuisiniers. C’est votre coming-out de gastronome ?
Alain Bauer : Pas vraiment ! J’ai déjà écrit deux « Que sais-je ? » sur la question, plusieurs articles et même une « Gastroménologie », un essai sur phénoménologie du goût avec le grand critique Marc de Champérard… Mais ce livre me permet d’aller beaucoup plus loin dans l’histoire de la gastronomie, du restaurant et des chefs. Et surtout, il permet à ces cheffes et chefs, cuisinières et cuisiniers, restauratrices et restaurateurs de partager leurs parcours et leurs passions. Je les ai interrogés à une période très particulière, quand leurs établissements étaient fermés du fait de la crise sanitaire, et donc toutes et tous ont eu le temps de se confier en profondeur.
D’où vous vient cette passion ?
A. B. : Elle m’a été transmise par mon père, grand gastronome qui récompensait mes efforts scolaires par une gratification comestible. À chaque fois, il m’emmenait dans un restaurant différent. D’abord dans la proximité lyonnaise de mes origines familiales, puis au fil du temps, dans le reste du pays, d’étoilé en étoilé. Il m’a ainsi permis un apprentissage formidable.
Alain Bauer : Je pense que la haute gastronomie connaît une révolution, un renouvellement et une remise en cause tout à fait utiles.
Vous avez été, incognito, inspecteur de guide pendant près de 40 ans. Cela vous amusait ?
A. B. : Beaucoup ! C’est une activité que j’ai adorée : c’était anonyme, on payait l’addition et on en profitait pour découvrir de nouvelles tables. Évidemment, au fil du temps, l’anonymat s’est estompé et l’exercice changeait un peu de nature. Mais j’avais une technique secrète : en regardant comment étaient traités les autres convives, je pouvais me faire une idée assez précise de la qualité réelle de l’établissement que je visitais, même quand j’étais reconnu. Il m’arrivait aussi de me faire accompagner d’amis ou de proches qui déjeunaient à une autre table et prenaient les mêmes plats. Et nous comparions qualité, quantité et service.
Comment jugez-vous l’évolution actuelle de la haute gastronomie, sous l’influence d’Instagram et de la télévision ?
A. B. : Je pense que la haute gastronomie connaît une révolution, un renouvellement et une remise en cause tout à fait utiles. Bien sûr, le fait de photographier son plat plutôt que de le déguster a parfois un côté déroutant pour la personne qui l’a conçu et vous le sert. Mais on peut aussi dire que cela force à l’humilité. Et puis aujourd’hui, un restaurant et son personnel doivent répondre à des problématiques nouvelles comme la proximité, le zéro déchet, la relation entre tradition et innovation.
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Le livre
Confessions gastronomiques – Avec 59 chefs, cuisiniers et restaurateurs (Fayard, 839 pages, 26 €)
Présentation de l’éditeur :
Souvent, on parle nourriture, cuisine, restauration. On débat des produits, du bio, du durable. On commente, on critique, on félicite les cuisiniers. Parfois, on les interroge. La télévision a trouvé un filon en mettant la gastronomie au cœur de ses programmes, alternant cuisiniers et pâtissiers, amateurs et professionnels.
Paul Bocuse avait réussi à faire sortir les chefs de leur cuisine. Ils sont maintenant devenus les héros et les hérauts de la culture gastronomique française. On les note, on les classe, on les étoile. On parle beaucoup d’eux. Quand on les interroge, c’est plus souvent sur leurs recettes que sur leur vie.
Cinquante-neuf cuisiniers, parfois accompagnés de leur muse ou de leur alter ego, ont bien voulu utiliser un temps d’incertitude, de doute et de crise pour se confier sur leur parcours, leur évolution, leurs projections.
Avec Alain Bauer, ils se sont livrés comme jamais au regard bienveillant, mais interrogateur, d’un client qui « sait manger », sans pour autant s’imaginer cuisinier. Un gastronome critique qui, parallèlement à son parcours académique, a pu les fréquenter, créer des liens amicaux, obtenir leur confiance dans cet exercice inédit de « confessions gastronomiques ».
Voici le premier panorama du paysage gastronomique français de l’« après », une vision optimiste de lendemains mieux cuisinés.