Le rock : voix de salut pour l’ésotérisme ?
« Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse. »
On va commencer de manière bien scolaire, en précisant ce qu’est pour nous l’ésotérisme. Comme tout le monde, on ne va trop se fouler et on va aller mater la page Wikipédia sur ce sujet.
Elle est parfaite, concise, et pas prise de tête. Déjà, que je suis bien sympa en faisant cet article, je ne vais pas m’embêter à me coller des tonnes de livres sur l’ésotérisme. La plupart, sont beaucoup trop épais, partent dans tous les sens. L’ésotérisme, ce doit être comme le rock : court, efficace, ça claque et on reste toujours un peu sur sa faim. C’est le principe des fast-foods comme Mac Do et Burger King aussi, mais bon, hein, on va s’arrêter là dans ce genre de digression, sinon, je vais faire ce que je dénonce, de la logorrhée pseudo-ésotérique… . On va éviter les trucs du genre, je coupe la pomme en deux, et j’y vois une étoile à cinq branches ! Le seul truc ésotérique que je peux distinguer dans ce que je viens de vous écrire, c’est que le groupe post- punk français, les Satellites avait raison : «… les américains sont les plus forts, ils n’ont jamais de problèmes, ils fument des clopes qui font maigrir, ils fument des clopes qui font rire, … même Jean-Marie Le Pen n’est pas aussi malin que les américains… ». Les américains, ils inventent des trucs qui te donnent toujours plus envie d’en consommer ; comme l’ésotérisme quoi ! Aujourd’hui, plus on s’intéresse à l’ésotérisme, plus on a envie d’en consommer. L’ésotérisme est devenu un produit de consommation courante. En plus, si on met un peu de cul, sous prétexte de tantrisme et autre, ça fait bien vendre.
Le rock, invention musicale américaine, n’échappe à ce principe. Ian Dury ne chantait-il pas “Sex and drug and rock n’roll “ ? Le film Easy Rider ne nous faisait-il pas passer de l’autre côté du miroir, comme le hurlait si bien le « back door man » Jim Morrison ?
Ben oui, le rock, c’est comme tout aujourd’hui, ma brave dame, me dirait mon épicier, c’est devenu un objet de consommation courante. L’ésotérisme c’est pareil ! On saupoudre le tout de cul, de trucs bizarres, vaguement mystérieux, qui ont l’air vachement savant et on obtient les écoles de kabbalah popularisées par Madonna et d’autres stars du rock. Super cool, non ?
C’est tellement tout simple tous ces trucs inventés par d’anciennes entités. Avec tout cela tu vas retrouver l’origine du monde. Tu seras même plus fort que Gigalmesh, man ! L’immortalité te tend les bras.
C’est là que cela devient intéressant, Bro ! Tous ces trucs de kabbalah, de new age, et autres bricolos du dimanche pseudo ésoterico-spiritualistes, ils oublient de te renseigner sur l’essentiel.
Essaye de piger dude, la cabale, sans parler l’araméen et l’hébreu de Spinoza ! Connais-tu le grec ancien ? Je n’ose même pas te demander si tu déchiffres couramment les hiéroglyphes égyptiens ? On oublie que Gurdjieff était un escroc, qui a fini poivrot et que son ennéagramme devrait s ‘appeler plutôt « neuneugramme ». Bref, l’ésotérisme actuel, c’est comme la plupart de la guimauve pseudo rock qu’on essaye de vous faire avaler à grands coups de tailles dans le larfeuille !
On ne va pas leur en vouloir d’essayer de vous arnaquer. C’est pour votre bien-être. Allégé du portefeuille, il ne vous reste plus que le chèque cœur. Vous voyagerez plus léger sur une autoroute à quatre voies. Qu’est-ce qu’on leur dit : « Merci, Messieurs les marchands du temple » ? Tout cela donne la gerbe alors que nous, on aimerait plutôt se concentrer sur le rameau d’or.
C’est pour cette raison que René Guénon me donne de l’urticaire. Il était fort le René, il te raisonnait en mode chrétien, mais si ça ne collait pas, il te rajoutait un petit bout de soufisme, un morceau d’hindouisme, et hop, le tour était joué. Ah René, c’était le meilleur bricolo du dimanche de l’ésotérisme. Un sacré précurseur car il a ouvert la voie à tous les gourous de l’ésotérisme d’aujourd’hui. Franchement, plutôt que de lire un René Guénon, je préfère me mater un film de Tarzan avec sa guenon, Cheetah !
Tous ces gourous, tous ces grands initiés vous font croire que l’ésotérisme c’est facile et que vous allez pouvoir tout comprendre pour ne faire qu’un avec votre moi cosmique.
Or, l’ésotérisme, c’est dur, c’est même très dur et vous n’aurez jamais fini. Pourquoi, parce que l’ésotérisme – sans faire un cours dessus – implique l’étude de la philosophie, des mathématiques, de la littérature, de courants de pensées théologiques ou religieux comme la gnose, et surtout, l’utilisation des symboles. Un symbole dont on a fait le tour complet est « mort ». Il n’est plus un symbole. L’ésotérisme est tout sauf simple ! Lisez Baudelaire, Borgès ou Pessoa et vous comprendrez.
Le rock est pareil que l’ésotérisme. Les émissions de The Voice, la Nouvelle Star, etc … font croire que la musique c’est simple. Tout le monde peut devenir musicien, donc rocker ! Hélas non, il faut du talent et du travail.
De la même manière, la plupart des radios de grande écoute vous font écouter de la musique préfabriquée et préformatée pour les consommateurs de musique. Cette musique n’est pas destinée aux musiciens ni aux mélomanes. Elle a juste pour but de vous accompagner au supermarché, de vous amuser en boîte de nuit, et de vous faire bouger le boulard dans un club de sport ! C’est juste de la musique d’accompagnement de l’instant présent. Comme les objets, son obsolescence est pratiquée. Jacques Attali l’a très bien vu dans son essai sur l’économie de la musique.
Pour faire simple, le rock et l’ésotérisme ont perdu leur caractère sacré. La vache n’est plus sacrée, elle s’est transformée en vache à lait, juste bonne à traire. Le hic, c’est que la vache, c’est vous !
Patti Smith, dans Just Kids, l’avait bien défini, cette perte de sacralité du rock. Elle écrivait « On avait peur que la musique qui nous avait nourris se trouve en danger d’inanition spirituelle. On avait peur qu’elle ait perdu sa raison d’être, qu’elle tombe entre des mains engraissées, qu’elle patauge dans la fange du spectacle, de la finance et d’insipides complexités techniques. ». C’est la même chose pour l’ésotérisme d’aujourd’hui. Remplacez dans cette citation de Patti Smith, le mot « musique » par celui de« ésotérisme ».
Trouvez-moi un groupe de rock aujourd’hui qui soit ésotérique, qui pratique le symbolisme, ou qui fait du texte à plusieurs niveaux d’interprétation possible ? Pas un groupe de rock d’une tribu musicale qui pratique un ésotérisme de pacotille ! Tous les jours, on annonce la mort du rock !
C’est flippant car les grandes icônes du rock disparaissent les unes après les autres : Bob Marley, John Lennon, David Bowie, Lou Reed, etc …. . Pour elles, le rock était une culture, donc une spiritualité, dans le sens que toute activité culturelle de l’homme est spirituelle. Ces stars transcendaient leur matérialité par la musique, la langue des dieux ! Elles bâtissaient dans les airs, des cathédrales de sons, mais aussi, avec l’arrivée de Dylan dans le rock, des cathédrales de mots.
Led Zeppelin composait « Stairway To Heaven”, John Lennon faisait sa dernière prophétie, les Stones et les Beatles partaient en Inde, Bowie se comportait en démiurge en prétendant venir d’un autre monde, John Entwistle, le bassiste des Who, était franc-maçon.
Les textes des chansons des Doors, écrits par Jim Morrison, nécessitaient plusieurs niveaux de » compréhension. Ce dernier n’était-il pas nourri de William Blake, de Baudelaire, de Milton ? Ne voulait-pas initier son public pour qu’il passe de l’autre côté du miroir, en ouvrant les portes de la perception.
Cette spiritualité dans le rock avait son propre ésotérisme.
Greil Marcus dans son « Lipstick Traces » ne compare-t-il pas le punk à la gnose ? En voulant revenir à l’essence du rock, à sa pureté originelle, un beat bien simple, loin de toutes les longues virtuosités des gros groupes de la FM taillés pour la FM américaine, les punks sont des gnostiques pour cet auteur, l’un des plus rock n’roll qui soit.
Le mouvement punk est d’ailleurs caricatural de la perte de spiritualité du rock. Il est s’est transformé à son tour en une « marchandise musicale » avec l’arrivée de Sid Vicious dans le groupe des Sex Pistols. C’était fini, punk was dead et no future !
Pour percer et devenir riches et célèbres, les groupes de rock devaient vendre leur âme au diable, comme le bluesman Robert Johnson, premier membre du club des 27, à la croisée des chemins, mais au moins, ils avaient créé leur univers musical. Aujourd’hui, plus besoin de vendre son âme au diable, il lance ses propres légions de groupes de rock, bien proprets, consommateurs de produits bios, ne buvant que de l’eau, et pré-formatés musicalement pour correspondre au goût des consommateurs musicaux.
Il serait bon de relire le prologue de « Ainsi Parlait Zarathoustra » de Nietzche, que citait Jim Morrison, partagé entre ses énergies dionysiaque et apollinienne, pour résumer la démarche artistique des Doors, : « Il faut encore avoir du chaos en soi pour pouvoir enfanter une étoile qui danse. ».
Tous ces groupes voulaient être des intermédiaires aux frontières du réel, des portes de la perception, des guides vers des mondes invisibles, souvent découverts sous l’emprise des acides et autres, et l’évocation jalonne non seulement leur musique mais les textes de leurs chansons. Encore une fois, Morrison l’a parfaitement résumé, dans un interview, « Il y a le connu. Et il y a l’inconnu. Et entre les deux, il y a la porte, et c’est cela que je veux être. Je veux être la porte. ». Pour eux, la musique n’était pas un simple rapport sonore mais un véhicule vers l’Autre-Monde, comme dans les pratiques chamaniques.
Aujourd’hui, comme le rock, ce n’est plus le cas pour l’ésotérisme. On n’interprète plus, on n’étudie plus, on consomme. Le grand mensonge est celui-ci : l’ésotérisme n’a jamais eu pour but de mener au bien-être, ni au mieux-être ! Tenter de comprendre le monde dans son unité, en rassemblant ce qui est épars, le sacré et le profane, c’est peut-être devenir un « emerech ». Bref, ce n’est pas très vendeur, car trop difficile et trop long, sans obsolescence programmée ! « Ça » ne vous éclaire pas sur ce que vous voulez entendre mais sur ce que vous pourriez comprendre !
D’ailleurs, l’initié, qu’il soit ésotériste ou rocker, ne s’y trompe pas ! Il néglige tous ces kits de prêt-à-penser ésotérique, comme les groupes de prêt-à-écouter calibrés et « panelisés » pour s’orienter vers les vrais mystères, qui ne sont pas des consommables. La musique, donc le rock, vise à vous faire ressentir ce que le langage ne peut exprimer, l’ineffable. L’ésotérisme vise à faire comprendre ce qui n’est pas visible sans une initiation du regard, comme de tous les autres sens, dont l’ouïe.
L’ésotérisme et le rock entrainent leur adepte dans un voyage qui, comme tout voyage, le ramène à son point de départ, transformé, modifié. Seul le voyage vers l’Orient Eternel est sans retour, d’où l’attirance de Jim Morrison, comme d’autres musiciens, vers la Mort, pour passer de l’autre côté du miroir.
La musique, l’ésotérisme, devenus biens de consommation aujourd’hui, notamment dans le marché du bien-être, ne sont plus des moyens de transports initiatiques mais des viatiques destinés à nous rassurer. D’où peut-être cette impression qu’aujourd’hui nous ne sommes plus mortels, que la société n’évoque plus la Mort et qu’elle cache ses vieux, sauf s’ils ont du pouvoir temporel, parce que l’intemporel n’a aucun intérêt. On a même commercialisé le slogan des anciens égyptiens « La mort n’est qu’un commencement. » (sic !). Plus besoin d’évoquer la mort, elle est prégnante dans l’aseptisation du rock et de l’ésotérisme aujourd’hui.
La jeunesse d’aujourd’hui ne s’y trompe pas, en revenant à l’écoute des Doors, de David Bowie, de Led Zeppelin, en créant ses tribus musicales avec ses religions hors-pistes et leurs ésotérismes propres. La jeunesse ne s’y trompe pas car les groupes les plus populaires, comme Rammstein, sont ceux qui ne font pas partie du marché !
Il serait temps de laisser chanter son chaos intérieur, pour le maîtriser en lumière capable de faire flamboyer à nouveau notre petite étoile !
Paraphrasons…. de loin … Hermès Trimégiste : « L’ésotérisme est une voix pour le rock, ; le rock est voix pour l’ésotérisme ».
Bertrand PAVLIK
Excellent papier !
Merci