lun 25 novembre 2024 - 05:11

L’Expérience de Muir peut-elle nous aider à créer de meilleures Loges maçonniques ?

De nombreuses Loges s’enrichissent de nouveaux maillons, toujours plus performants et plus conformes aux membres déjà présents dans l’atelier. L’objectif, souvent inavoué, est de sélectionner les meilleurs recrues afin de fonder une Loge toujours plus « pure », plus « harmonieuse »… plus fraternelle. En réalité, ce chemin ne serait-il pas le moyen d’appauvrir sa Loge ? L’expérience de William Mur tendrait pourtant à le prouver.

Un biologiste de l’évolution de l’Université de Purdue, William Muir, a étudié la productivité des poules. Il créa donc une expérience pour en comprendre les ressorts.

Les poules vivant en groupe, il sélectionna un groupe moyen et le laissa tranquille pendant six générations. Il créa ensuite un second groupe avec les poules les plus productives, qu’on pourrait appeler les Super-Poules, et il a formé un Super-Groupe. Et à chaque génération, il sélectionnait les plus productives pour la reproduction.

Après six générations, que découvrit-il ? Dans le premier groupe, les poules moyennes allaient très bien. Elles étaient toutes dodues et pleines de plumes et la production avait incroyablement augmenté. Qu’en était-il du deuxième groupe ? Toutes sauf trois étaient mortes. Elles avaient picoré les autres à mort.

Les poules productives avaient réussi simplement parce qu’elles avaient réduit la productivité des autres.

Si vous racontez cette histoire, vous serez probablement surpris de voir que tout le monde se reconnait dans cette histoire : « ce Super-Groupe, c’est mon entreprise… » ou « c’est mon pays… » ou « c’est ma vie. »

3 Poules

On nous a toujours dit que pour avancer, il faut être en compétition : aller dans la bonne école, avoir le bon travail, arriver au sommet, et je n’ai jamais trouvé cela très stimulant.

On pense réussir en sélectionnant les superstars, les hommes, parfois les femmes, les plus brillants et en leur donnant toutes les ressources et tout le pouvoir.

Et le résultat observé est le même que dans l’expérience de William Muir : agressivité, dysfonctionnement et gâchis. Si la seule façon pour que les plus productifs puissent réussir, c’est de réprimer la productivité des autres, alors nous devons vraiment trouver une façon de travailler et de vivre plus saine. 

Alors, pourquoi certains groupes sont plus performants et plus productifs que d’autres ?

C’est la question qu’une équipe du MIT s’est posée. Ils ont pris des centaines de volontaires, ont formé des groupes, puis ils leur ont donné des problèmes à résoudre. Et il se passa exactement ce à quoi on s’attendait : certains groupes étaient plus performants que d’autres.

Ce qui est intéressant, c’est que les groupes très performants n’étaient pas ceux avec une ou deux personnes au Q.I. incroyablement élevé, ni ceux qui avaient la plus haute valeur en additionnant les Q.I. 

Mais les groupes qui réussissaient avaient trois caractéristiques. D’abord, ils avaient un haut degré de sensibilité sociale mesuré par un test, le R.M.E.T qui évalue le niveau d’empathie.

Ensuite, ces groupes donnaient autant de temps à chacun des membres, de telle sorte que personne ne dominait, et que personne ne se taisait.

Et finalement, les groupes les plus performants avaient plus de femmes.

Est-ce parce qu’habituellement les femmes ont des résultats plus élevés au R.M.E.T et sont naturellement deux fois plus empathiques ? Ou parce qu’elles apportent des perspectives plus variées ?

On ne sait pas, mais l’intérêt de cette expérience n’est pas de démontrer ce que l’on sait déjà, à savoir que certains groupes sont plus performants, mais que le facteur primordial de ces derniers est la connectivité sociale entre les membres du groupe.

De plus en plus d’entreprises ont compris que quand les problématiques deviennent plus complexes à résoudre, il faut faire émerger des idées nouvelles et créer les conditions de cette émergence.

Quand Alex Pentland a suggéré à une entreprise de synchroniser les pauses café pour que les collaborateurs puissent se parler, les bénéfices ont augmenté de 15 millions de dollars, et la satisfaction des employés de 10%.

Pas mal comme retour sur le capital social, qui croît même quand on l’utilise.

Les Suédois ont même un mot spécial pour ça. Ils l’appellent « Fika », ce qui est plus qu’une pause-café : c’est un moment de restauration collective.

Idexx, une société dans le Maine, a acheté des lopins de terre pour que des collaborateurs cultivent des potagers afin que les gens venant de départements différents puissent travailler ensemble et en apprendre plus sur l’entreprise.

Les sociétés n’ont pas d’idées, ce sont les gens qui en ont. Et ce qui motive les gens, ce sont les liensla loyautéla confiance qu’ils développent entre euxL’important, c’est le mortier, pas simplement les briques.

En assemblant tout cela, on obtient ce qu’on appelle le capital social. C’est la confiance créée par les liens et l’interdépendance. Les équipes travaillant ensemble longtemps s’améliorent, parce qu’il faut du temps pour avoir cette confiance qui permet la franchise et l’ouverture.

Et c’est comme ça que les bonnes idées deviennent des idées géniales, parce qu’aucune idée ne naît complètement formée. Elle arrive un peu comme un enfant, brouillon et désordonnée, mais pleine de possibilités. Ce n’est qu’avec de nombreuses contributions, la confiance et les défis qu’elle réalise son plein potentiel. Et c’est ce qu’offre le capital social.

On n’a pas vraiment l’habitude de parler de cela, du talent et de la créativité, de cette manière. On a l’habitude de parler des stars en entreprises, des fameux hauts potentiels que l’on isole dans des parcours de formation spécifique, comme les Super poules.

Si vous visitez des entreprises renommées pour leur inventivité et leur créativité, vous ne rencontrerez aucune superstar, parce que tout le monde y est important.

Diriger en faisant des concours de talents ne fait souvent que monter les collaborateurs les uns contre les autres.

La rivalité doit donc laisser la place au capital social.

On a longtemps essayé de motiver les gens avec l’argent, alors que beaucoup de recherches montrent qu’il détruit la connectivité sociale. Il faut laisser les gens se motiver les uns les autres.

On a aussi longtemps pensé qu’un leader était un héros qui, seul, allait pouvoir résoudre des problèmes difficiles.

Nous devons redéfinir le « leadership » comme une activité créant les conditions nécessaires pour que tout le monde puisse oser réfléchir ensemble.

On sait que ça fonctionne. Quand le Protocole de Montréal a demandé l’élimination progressive des CFC, les chlorofluorocarbures impliqués dans le trou de la couche d’ozone, les risques étaient énormes. Les CFC étaient partout, et personne ne savait si l’on trouverait un substitut. Mais une équipe a relevé le défi en adoptant 3 principes clés.

Le premier : le chef de l’ingénierie, Frank Maslen, a annoncé qu’il n’y aurait pas de stars dans cette équipe. On a besoin de tout le monde. Et tout le monde a une vision valide.

Deuxièmement, on travaille suivant une norme : la meilleure possible.

Et troisièmement, il a dit à son patron, Geoff Tudhope, qu’il devrait se tenir à l’écart du projet parce qu’il savait que le pouvoir peut être perturbateur. Ça ne veut pas dire que Tudhope n’a rien fait. Il leur a donné le champ libre, et les a écoutés afin de s’assurer qu’ils respecteraient leurs principes. Et ça a fonctionné. Ils ont devancé toutes les autres entreprises en étant les premiers à résoudre ce problème.

Et à ce jour, le Protocole de Montréal est l’accord environnemental international le plus performant jamais mis en œuvre.

Nous ne résoudrons aucun problème si on s’attend à ce qu’ils soient résolus par quelques super-hommes ou super-femmes. On a besoin de toutes les contributions, et c’est seulement quand nous comprendrons que tout le monde a de la valeur que nous libérerons l’énergie et l’imagination dont nous avons besoin pour créer un monde meilleur.

Merci à Pascal Ledru pour sa page

1 COMMENTAIRE

  1. Sans être savant,sans compétences particulières ce sont les principes que j’ai essayé ( et semble t’il réussi) à imprimer à une nouvelle loge que l’on m’a demandé de créer il y a trente ans.1) Pas d’élitisme basé sur les Diplômes,la position sociale ou l’argent. 2) Que chacun soit content d’être là et d’y rencontrer ceux qui s’y trouvent. 3) Favoriser les contacts entre membres,aussi en dehors des tenues.
    Rien que de très normal en somme mais l’attention que chacun porte aux autres fait chaud au cœur et notre expérience est une réussite
    puis je constater immodestement.

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