mar 08 avril 2025 - 05:04
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Quand le homard fait bisquer

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J’étais en Loge hier soir et forcément, au moment des agapes, nous avons évoqué la démission d’un ministre, pincé à cause d’un homardi… La Roche Tarpéienne n’est décidément pas loin du Capitole.
Bien entendu, la dramaturgie est toujours la même : un média montre qu’un homme politique a eu des frais de bouche pharaoniques ou joui d’avantages indus, les tenants du parti opposé en appellent à l’indignité et à la sanction, alors que les défenseurs du mis en cause poussent les cris d’orfraie de circonstance, jusqu’au moment où un autre homme politique se fait épingler et ainsi de suite. Ainsi fonctionne le spectacle lamentable de la vie politique française. On a une petite variation de ce thème : le démantèlement des assurances sociales (santé et chômage) au nom d’une idéologie d’avant-guerre un peu rance. C’est ainsi que nos ministres annoncent sans rire une loi pour la précarité… Loi qui restreint désormais les cotisants d’une assurance sociale obligatoire l’étendue des prestations pour lesquelles ils ont pourtant payé. La fin du solidarisme est en marche, mais je crains que peu de monde ne s’en rende compte, tant nous sommes conditionnés à accepter la perte de certains droits au nom d’un impératif d’économie. Pour le franc-maçon que je suis, c’est une catastrophe. Non pas à cause de la perte d’un acquis social, mais plutôt à cause d’une victoire obscurantiste. Nos dirigeants sont imprégnés de l’œuvre de penseurs réactionnaires plutôt fascisants des années 30, qui estimaient que les avantages sociaux et les assurances sociales allaient créer des profiteurs de la manne de l’argent public. Précisons que lesdits penseurs ne parlaient que des travailleurs, pas des parlementaires ni des gouvernements…

Pour en revenir à notre ministre amateur qui crût que les choses allaient se tasser avec son homard, sa démission montre un signe intéressant. Dans la tradition politique française héritée de la monarchie de la fin de l’Ancien Régime, les puissants et les aristocrates s’étourdissent de fêtes et banquets somptueux, les bourgeois font des affaires et le peuple crève de faim. A en juger par les éditoriaux que je lis et entends à droite et à gauche, il semble que le monde n’ait guère changé. Néanmoins, en dépit de l’offensive toujours plus abrutissante des acteurs de la société du spectacle, j’ai l’impression qu’il y a une exigence d’éthique publique, similaire à celle en vigueur dans les pays scandinaves. En fait, dans les pays du Nord de l’Europe, la vie publique est très contrôlée et les habitants, en raison d’un fait religieux fort, sont très regardants sur leur propre comportement et celui de leurs dirigeants. On a ainsi vu une ministre scandinave contrainte de démissionner de son poste pour avoir payé une barre de chocolat avec sa carte de crédit professionnelle… Prise de conscience éthique ? Sursaut luthérien ? Je ne le crois pas. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une saturation. En fait les pouvoirs publics et les politiques imposent depuis des décennies une politique de rigueur et d’économies, qui nous tuent à petit feu. Ainsi, des lignes de train, des écoles, des filières universitaires, des services publics sont fermés ou à défaut, réduits au nom d’économies. Dans n’importe quelle entité (associative, publique ou privée), chaque Euro dépensé doit pouvoir être justifié, contrairement à ce que clament des parlementaires, outrés qu’on ose leur demander des comptes sur l’utilisation de leur budget issu de l’argent public.

En Loge, comme nous sommes des associations de loi 1901, nous avons un compte en banque, un budget, dont une partie est reversée à nos obédiences, qui doivent rendre compte devant les représentants des Loges de la bonne utilisation des deniers des Frères. Les trésoriers doivent également rendre compte de l’exercice financier devant les Frères. Concernant le tronc de bienfaisance, c’est plus compliqué. Le montant est en général connu du Frère Hospitalier et du Vénérable et est utilisé à la discrétion du Vénérable. Il faut évidemment une certaine éthique et une certaine rigueur pour échapper à la tentation de mal utiliser le Tronc de la Veuve. Ethique que la fréquentation des plus hautes valeurs morales nous permet d’atteindre, contrairement à nos hommes politiques.

A propos d’éthique, certaines obédiences ont commis quelques abus de bien sociaux, qui leur ont valu une mise sous tutelle judiciaire, mais c’est une autre histoire. Même un Franc-maçon est susceptible de commettre un abus de bien social. Abus qui peut provoquer un certain ressentiment pouvant amener à la destruction de l’Obédience. Après, les frais de représentation et les frais de bouche peuvent s’expliquer tant qu’ils restent dans un domaine raisonnable.

En fait, quand on explique au personnel d’un service que le budget va être réduit, que le recrutement et les salaires vont être gelés pour faire des économies, il devient alors insoutenable de voir des représentants du peuple se goinfrer à ses frais. Il est aussi insoutenable de demander davantage d’efforts à une population qui vit la réalité du déclassement social et des fins de mois difficiles. Il est encore plus insoutenable de voir des parlementaires, des représentants élus du peuple se gaver avec des fonds publics quand la redistribution des assurances sociales est restreinte arbitrairement, au nom d’un principe d’économie (qui est un vaste mensonge, mais c’est une autre histoire).

On dit qu’un peuple a le gouvernement qu’il mérite. Ainsi lassé des vieux barbons, aveuglé par les sirènes de la nouveauté et ayant cru s’y fier, il finit crucifié.

J’ai dit.

i Vous me pardonnerez les mauvais jeux de mots et jeux littéraires susceptibles fleurir dans ce billet… Pour ma défense, je subis la très mauvaise influence de mon jovial Vénérable bien en chair (bisous JL).

Tempus fugit : Ordo ab Chao

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J’étais en Loge hier soir, et comme nous avions une Tenue administrative, j’ai trouvé le temps long, très long. Il faut dire que les bilans comptables, rapports moraux et autres formalités bureaucratiques ne me passionnent pas vraiment. J’ai donc repensé à une conversation que j’ai eue au dojo où je vais m’entraîner avec ma partenaire d’arts martiaux K, avec qui nous avons parlé du temps et de ses déclinaisons.

Remontons aux Egyptiens anciens. Traditionnellement, ils disposaient d’un modèle de lecture du temps qui passe : la règle à 24 divisions, encore utilisée dans nos Loges, qui symbolise les 24 portes que franchit la barque du dieu Râ.
Plus proche de nous, les grecs anciens avaient plusieurs perceptions du temps, symbolisées par différents dieux primordiaux (antérieurs aux Titans). Il y avait ainsi Chronos, dieu du temps en tant que temps linéaire et limité (passé, présent et avenir), traditionnellement représenté sous forme d’un vieillard ailé équipé d’une faux et d’un sablier (à ne pas confondre avec le Titan Cronos, fils d’Ouranos). A Chronos est associé Kairos, le temps opportun, dieu représentant l’instant à saisir. La troisième représentation du temps est Aion ou Eon, dieu de l’Eternité. Contrairement à Chronos, Aion n’a ni commencement ni fin.
L’existence de plusieurs dieux pour le même concept montre combien il est difficile de définir ou d’appréhender le temps. Néanmoins, il me paraît important à ce stade de préciser que la notion est propre à chaque civilisation : les civilisations des autres continents ont des notions du temps très différentes de nos notions occidentales, et ne s’en portent pas si mali. Le temps en Chine ou en Afrique est très différent du temps européen. Mais c’est une autre histoire.

Plus proche de nous, en Europe, les horlogers ont rivalisé d’inventivité pour créer des indicateurs de temps : cadrans solaires, montres, horloges, sabliers, clepsydres, chronomètres, etc. Mais chacun de ces appareils ne fait que donner une information, elle-même déduite de mouvements mécaniques. Ainsi, ma montre me donne une heure, qui est en fait une information relative : je lis la position des aiguilles que j’interprète comme une date et une heure, mais rien ne me garantit qu’il ne s’agisse de l’heure exacte. Je ne fais que lire la position sur un cadran de 2 aiguilles, dont le mouvement précis vient lui-même des propriétés piézoélectriques d’un cristal de quartz. De même, sur une horloge comtoise, l’heure affichée n’est que la lecture d’un mouvement issu d’un mécanisme subtil de mouvements de poids et de contrepoids. En fin de compte, c’est moi qui donne à ces horloges le sens de l’heure qu’il est.

Dans le fond, qu’est-ce que le temps ? Une date ? Une durée ? Une mesure ? La question est très difficile à résoudre. En fait, ce que nous appelons temps dans le sens de durée est la perception de l’évolution de notre organisme et de son environnement : naissance, croissance, déclin, mort de l’organisme et transformation de la matière associée. La perception durée pourrait être la perception de d’un ensemble très complexe de phénomènes physico-chimiques irréversibles. Nous avons la sensation de trouver le temps long parce que notre système nerveux est fait pour agir. L’inaction nous pèse en raison de cette configuration de système nerveux. Pour ceux que ça intéresse, je vous encourage à lire le célèbre Eloge de la Fuite du professeur Henri Laborit, ou à défaut, d’en visionner l’adaptation cinématographique Mon oncle d’Amérique, d’Alain Resnais, avec le jeune Gérard Depardieu. Considérons donc l’hypothèse suivante : le point faible de l’humain est qu’il ne supporte pas l’ennui.

Vers la fin du XIXe siècle, en pleine révolution industrielle, l’ingénieur Frédérick Taylor propose d’organiser scientifiquement le travail, en vue d’obtenir un rendement maximal. On résume très simplement ce paradigme : time is money. Il est possible que notre rapport au temps ait évolué à ce moment là : le temps est devenu ressource, voire monnaie d’échange. Il est intéressant de noter que les horloges de ville montées vers la fin du Moyen-âge, durant les grandes réformes de Frédéric II étaient financées par les marchands. De là à penser que la division du temps est un outil destiné au service du capital, il n’y a qu’un pas. Je vous invite à lire les travaux de David Graeber à ce sujet.
L’homme occidental met donc un point d’honneur à mesurer, quantifier et occuper utilement le temps. Il y a en effet un fait de civilisation : on considère dans l’occident judéo-chrétien que l’oisiveté est la mère de tous les vices. Ce fait social peut expliquer l’obsession des représentants du patronat ou les détenteurs du capital à toujours vouloir faire travailler tout le monde, avec les injonctions paradoxales que cela engendre, mais c’est une autre histoire. Gloire au travail ? Mon œil !

Depuis le XXe siècle, nous savons grâce aux travaux d’Albert Einstein et de sa femme Mileva que le temps est un phénomène relatif : son écoulement varie avec la vitesse du corps en mouvement. La contraction du temps ne nous concerne pas dans la vie de tous les jours, il faut être à des vitesses phénoménales pour le percevoir. On peut toutefois retenir l’idée qu’il n’existe pas de temps ou de date absolue dans l’univers.
A propos de relativité, il est vrai qu’en Loge, le temps peut être très long. Même si nous vieillissons ensemble du temps passé en Loge, la perception de ce temps varie grandement selon la subjectivité de chacun. Une même Tenue peut être perçue comme courte quand 2 heures se sont écoulées par l’un et comme très longue par un autre…

Désormais, dans notre monde, le temps disponible est devenu une ressource rare et précieuse. Et comme toute ressource, elle est convoitée. On se souvient de l’ancien dirigeant de TF1 qui affirmait sans rire vendre à une célèbre marque de soda du « temps de cerveau disponible » (d’où la qualité des programmes…). Actuellement, notre temps nous est volé soit par le travail sous forme de temps de transport, soit sous forme de sollicitations diverses : notifications, mails, vidéos putaclicks, publicités sans cesse plus envahissantes pour nous faire acheter des choses superflues mais auxquelles nous nous sentons obligés de répondre, dans le sentiment d’urgence que nous laissons s’installer. Le hic est que ces urgences (qui dans le fond, n’en sont pas) nous éloignent de l’essentiel ou de l’important : prendre du temps pour soi, se poser, penser.
Ainsi, toutes ces sollicitations constituent un véritable chaos, qui nous rend prisonniers de nous-mêmes : nous régressons vers le stade oral de l’intelligence. Je clique, j’appuie, je sollicite, je dois donc être servi immédiatement. Toujours ce paradigme d’occupation, qui devient aussi, dans une certaine mesure, du vol d’attention, voire du vol de temps.

Tous nos gestes et nos comportements sont minutés, afin d’être toujours plus efficaces. Ainsi, dans le cas du soin, les soins apportés au patient doivent être minutés, calibrés, comme sur une chaîne de montage. Le soignant doit accomplir sa tâche en temps limité, comme un ouvrier et passer à la tâche suivante. Le problème très simple et pourtant à l’origine de la très grave crise que traversent nos institutions de soin des plus fragiles, c’est que le soignant doit avoir l’efficacité d’un robot et que le patient (ou sujet) n’est plus qu’un objet. Or, transformer un sujet en objet est une définition de la violence. C’est de cette façon que l’institution de soin, par mesure d’efficacité et d’économie, transforme son personnel soignant en robots, qui sont censés prendre soin des patients, eux-mêmes devenus de facto objets. Si ce n’est pas une institutionnalisation de la violence, ça en a l’aspect. Les dirigeants d’institutions ont, je le crains, oublié la dimension majeure du soin : le temps. Le soin, ce n’est pas changer des pansements, poser un cathéter, ou faire la toilette à vitesse supraluminique. Le soin, c’est aussi prendre le temps d’écouter le patient, d’où le terme patient, notons-le. Les psychanalystes ne s’y sont pas trompés : la première éthique de la psychanalyse, c’est l’écoute. Le problème est qu’écouter prend du temps, et donc de l’argent… C’est peut-être là le nexus du problème : l’application d’un paradigme industriel à une institution humaine et la recherche de rentabilité dans un secteur qui n’a aucunement à l’être. Peut-être est-il temps de cesser d’appliquer le taylorisme à l’hôpital avant que d’autres dramesii ne surviennent…

Ce qui est valable pour le soin l’est aussi pour d’autres domaines : pourquoi vouloir tout faire toujours plus vite, alors qu’il existe une limite physique au temps et à la matière ?

L’avantage que nous procure l’Initiation est de nous recentrer, dans la Loge qui est un espace hors du temps (même si le temps peut paraître long). Peut-être est-ce là la vraie maîtrise : être capable d’ordonner nos priorités dans le chaos que constitue notre monde malade de ses trop nombreuses connexions ? Dans le fond, peut-être est-il temps d’apprendre à reprendre le temps ?

J’ai dit

i Petite anecdote à ce propos : lorsque les sud-américains descendants des peuples autochtones passaient les tests de QI occidentaux, ils les rataient systématiquement, se faisant cataloguer comme idiots. Idiots, vraiment, les descendants d’un peuple d’astronomes et de mathématiciens ? En fait, non. La raison était que les sud-américains traditionnels ne connaissaient pas la notion d’exercice en temps limité… et n’étaient donc pas préparés aux exercices d’évaluation du QI. Ethnocentrisme, quand tu nous tiens !

ii Références aux cas de maltraitances institutionnalisées dans les EPAHD ou dans les hôpitaux régulièrement recensés dans la presse.

La question du mal (2): l’histoire de L

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J’étais en Loge hier soir, mais ce n’est pas ce que je vais partager avec vous aujourd’hui. Je vais plutôt vous parler de L. Qui est L ? Une initiale, pour préserver son anonymat, mais ce n’est pas le plus important. L est comme moi, fonctionnaire, mais travaille dans un service déconcentré de l’État. L travaille dans le corps des secrétaires administratifs. Contrairement à d’autres, L n’occupe pas un « bullshit job » et sa plus-value est non seulement réelle, mais mesurable. L a toujours eu de très bonnes évaluations. Sa hiérarchie s’en est toujours remise à L pour régler les nombreux problèmes que connaissent son service et ses usagers. L étant en poste depuis très longtemps, les procédures n’ont plus aucun secret. Et comme L est une personne très joviale, L est très appréciée de l’ensemble des agents du service. En fait, chacun d’entre eux a pu un jour être secouru par L. Le service fonctionnait bien. Et puis le drame est arrivé.

Il y a moins de deux ans, un nouvel encadrement a été désigné. Appelons X le représentant de ces nouveaux cadres, qui est le supérieur direct de L. X a souhaité marquer son autorité par un coup de force : les agents allaient désormais devoir pointer sur une badgeuse (version high tech et connectée de la pointeuse). Nouvelle liberté ? Que non point ! Un moyen de les forcer à ne pas générer d’heures supplémentaires convertibles en journées de RTT. Nouvel usage : heures supplémentaires interdites. Et la qualité du service (qui requiert selon les périodes quelques efforts)  ? On s’en fout. On doit trouver des solutions pendant les heures de bureau, pas après l’heure officielle de sortie. L, connaissant son métier et refusant de transiger avec sa mission de service public, n’a pas accepté de jouer ce jeu. L a toutefois badgé, faisant monter son compteur de jours de RTT. Car pour L, on ne laisse pas un usager ou un agent en plan. Jamais. L a toutefois pu s’accommoder des mesquineries. Alors, a commencé un ballet infernal. Ainsi, impossible de dialoguer d’un bureau à l’autre, on passe par des mails. Pour faire son travail, L devait répondre (immédiatement) aux sollicitations écrites de X, dont le poste était dans le bureau d’en face. Puis ça a continué : les dossiers de L lui ont été retirés pour être répartis ailleurs, et L a dû passer du temps sans activité, alors que les besoins du service et des usagers étaient toujours là.

Cette répartition rationnellement inexplicable a engendré une baisse de la qualité de service. X a multiplié les rapports contre L, heureusement toujours sans effet. Par contre, la santé de L a commencé à dangereusement décliner : L a perdu du poids, a perdu le sommeil et selon ses propres termes, a vu sa vitalité se faire siphonner. L a consulté un médecin qui l’a orienté vers un psychiatre. L a donc basculé dans la spirale des antidépresseurs, somnifères et anxiolytiques.

Récemment, X et son encadrement ont convoqué L pour lui administrer une sanction. Heureusement, L a pu démontrer son innocence et sa bonne foi et s’en sortir honorablement, mais du mal a été fait.

Dernier coup en date : X a refusé les congés de L, estimant que ces jours de congés et de RTT étaient indus. L a craqué. L a ravagé le bureau de X, et X ne doit sa survie qu’à l’intervention d’un collègue. L a dû rentrer à l’hôpital, et n’en sortira pas avant un moment. L est désormais en longue maladie, sous médicaments et avec un suivi médical lourd. L ne reviendra pas travailler. Plus jamais.

Il est arrivé à L un processus terrible : L a décompensé après deux années de harcèlement. Le harcèlement est une chose terrible : on est réduit à un état d’objet, et la subjectivité est annulée. On est pour ainsi dire coupé de sa propre humanité. En termes cliniques, on appelle ça la dépersonnalisation. Et ce phénomène de dépersonnalisation peut mener à la violence physique, voire à la mort. Même une personne supérieurement entraînée peut tomber sous le poids de la dépersonnalisation. Même un Maître Franc-maçon.

L, c’est n’importe lequel d’entre nous : compagnon, compagne, époux, épouse, parent, enfant, ami, vous, moi… L, comme trop de monde est victime de ces cheffaillons de malheur, ces pervers minables qui confondent pouvoir et domination, et dont la vie est tellement vide qu’il leur faut détruire leur entourage. Ces gens là sont sous la coupe des tristement célèbres Mauvais Compagnons, l’Ignorance, le Fanatisme et l’Ambition. X ignorant tout du service a tenté d’imposer sa loi par la force, ce qui n’est jamais une bonne idée. X n’a jamais voulu admettre ses erreurs, et s’est enferré dans son comportement. Plus grave encore, X nourrit une certaine ambition professionnelle et n’hésitera pas à écraser les personnes sous ses ordres pour arriver à ses fins. Le problème qui se pose, c’est que les gens comme X sont de plus en plus nombreux : petits chefs zélés, prêts à appliquer une politique manageriale par la terreur dans un service public sans jamais faire preuve de discernement. Ces gens là n’ont rien à faire en Loge. Rien. Nous ne serons jamais sûrs d’être à l’abri de gens comme X. D’où l’importance des enquêtes et du bandeau, pour éviter de faire entrer le loup dans la bergerie. De toute façon, des gens comme X ne sont pas dans une démarche de perfectionnement spirituel ou intellectuel. Mais restons vigilants.

Nous autres Francs-maçons avons pour devoir d’élever des temples et creuser de sombres prisons au vice. J’ai pris mes outils pour préparer celle de X et ses semblables.

Alors, L, bats-toi ! Je suis avec toi, en toute fraternité. Ce qui s’est passé n’est pas ta faute, mais bien celle de ton encadrement malveillant.

J’ai dit.

Et si les maçons se trompaient d’interprétation sur la méthode ?

Depuis toujours, la méthode maçonnique repose sur le postulat suivant : action > réaction. Un principe basé sur la ligne du temps que nous retrouvons sur la règle à 24 divisions.

Prenons comme exemple le travail de la Pierre brute. Elle est d’abord extraite de la carrière, puis grâce au savoir-faire maçonnique, elle va peu à peu se polir et marquer ses angles. Chaque coup de ciseau est destiné à aboutir au produit fini, nommé Pierre cubique. En définitive, le tailleur de pierre décrète préalablement la forme finale. C’est ainsi que sont préconçues la forme des pierres, celle du mur et… la construction du Temple tout entier. Ce dernier doit d’ailleurs correspondre en tous points au plan initial de l’architecte.

Le travail en Loge du maçon sur lui même suit-il ce même processus ?
OUI ! Pourtant, il me semble que la réponse devrait être NON !

On pourrait ainsi considérer que bon nombre de maçons se trompe d’interprétation sur la méthode.

La problématique de ces derniers réside précisément dans la compréhension de cette mécanique aléatoire et au demeurant incertaine. Ils mémorisent des méthodes et des réflexes et capitalisent ainsi jusqu’à la totale maîtrise des enchaînements des causes et des effets. C’est ce qu’on nomme habituellement des conditionnements. Prenez l’exemple des joueurs d’échecs. Le travail des grands maîtres repose sur la mémorisation par bloc de milliers de parties passées. Ainsi, ils musclent leur mémoire à court terme qui est appelée « mémoire de travail ». Leur pratique devient ainsi le résultat d’un lent processus pour forger des mécanismes automatiques. La finalité du joueur consiste ensuite à tout oublier pour laisser son instinct totalement disponible afin de réagir aux actions de l’adversaire. Lorsqu’on sait qu’il existe 4 milliards de combinaisons pour les 3 coups à venir, on comprend aisément que la formation à un conditionnement est la seule voie de l’efficacité pour gagner.

Le travail de l’alchimiste est précisément le contraire. Il reproduit ce qui pourrait sembler être une technique apprise et renouvelée des centaines de fois, alors qu’en réalité, il pratique l’acte unique. Chaque manipulation n’a pas pour objectif de renouveler les gestes en améliorant le savoir-faire. Le but est de générer des réalités nouvelles, jamais observées avant, et ce, dans un état de disponibilité mentale absolue. C’est justement dans ces nouvelles réalités qui apparaissent furtivement, que l’alchimiste va conduire ses recherches pour explorer, en totale résonance avec son être, l’art qu’il tente de développer.

A l’image d’un comédien qui rejoue 500 fois la même pièce sans jamais retrouver le même public, la même énergie de jeu… ni la même magie finale. C’est ce qui rend la pièce totalement unique et c’est pour cela qu’on le nomme « Art ».

« Quel rapport avec la Franc-maçonnerie » me direz-vous. Je vais y venir.

Toutes les personnes qui sont en Loge à nos côtés sont le résultat d’une sélection totalement aléatoire, car elles ne sont pas rentrées en même temps, ni sélectionnées par le même groupe. Par conséquent, lorsqu’on intègre une Loge normalement constituée, on entre dans une communauté parfois disparate, mais jamais uniforme. C’est pourquoi, les passions du maçon sont ensuite soumises à rude épreuve. Il faut avouer que l’interaction avec toutes ces personnalités différentes vient chatouiller l’orgueil pour les uns, les petites certitudes pour les autres et sans aucun doute pour tout le monde, le sentiment de l’inconnu et du manque de contrôle. Tout cela est de nature à secouer le maçon qui vient en Loge pour chercher à se réfugier des problèmes du monde extérieur.

C’est alors là qu’il doit faire face à des difficultés relationnelles. Il essaie de plaquer sur des problématiques nouvelles des méthodes anciennes qui ne fonctionnaient déjà plus au dehors. L’attitude de certains êtres dit réactionnels est de prendre le contrôle du groupe. Nous voyons alors apparaître la cratophilie[1] dans toute sa splendeur. Bienvenue dans le monde de la course aux grades et aux fonctions. Dans l’autre camp, celui des êtres dit inhibés, nous observons des maçons qui se referment, immobiles en attendant la fin du conflit. Ils sont tétanisés et restent hors de l’action. Dans toutes les querelles de Loges, vous voyez ceux qui se bagarrent pour obtenir leur trophée et le troupeau loin derrière qui attend pour compter les points. Chacun a une bonne raison d’agir comme il le fait et tout cela devient le travail alchimique de la Loge.

En réalité, il n’y a ni bons ni méchants dans cette affaire, il n’y a que des expériences humaines vécues. Le seul point qui me pose problème, c’est le sens donné au travail dans la Loge. Combien de maçons affirment haut et fort qu’ils ne sont certainement pas venus en Loge pour vivre cela !

C’est là qu’ils comment une grave erreur. Soit ils se comportent en technicien et viennent en Loge pour reproduire inlassablement ce qu’ils connaissent déjà, soit ils viennent pour donner un sens nouveau à des expériences déjà connues, tel l’alchimiste. Et là, une transmutation peut s’opérer pour que le maçon devienne qui il est réellement. Il opère alors le « Connais-toi toi-même » par des réponses nouvelles à des questions habituelles.

Ce point de questionnement est absolument crucial et très peu de Frères abordent la notion du chaos dans ce sens. Je vous propose donc d’envisager quelques instants cette nouvelle façon de penser grâce à un exemple précis.

– Vous prêtez 100 € à votre jumeau de Loge. Ce denier ne vous le rend pas le jour convenu. Comme à l’habitude vous prenez le téléphone et vous menacez jusqu’à ce qu’il cède, du moins si vous êtes dans le groupe des réactionnels. Sinon, vous courbez l’échine, vous vous plaignez de l’ingratitude et du manque de Fraternité, du moins si vous êtes dans le groupe des inhibés. Vous avez gagné, il vous rembourse dans le premier cas. Vous avez perdu, vous êtes victime dans le second. Dans tous les cas, les apparences vous donnent raison… du moins temporairement, car l’harmonie entre votre jumeau et vous est rompu. Quant à vous, vous avez expérimenté  en Loge le même comportement qu’au dehors. Était-il réellement utile de se faire initier ?

Observons maintenant la même situation avec des outils maçonniques. Aucune Loge ne pourra vous prémunir contre les Frères qui ne remboursent pas. Il n’existe pas de communauté humaine qui ne créé pas des discordes ou des conflits. Travaillons donc avec nos outils symboliques et commençons par le fil à plomb. Il symbolise la rectitude, c’est à dire ce qui est juste et aligné. Posez-vous la première question :

a) est-ce qu’il vous arrive souvent de vous faire mentir ou vous faire abuser dans les engagements pris ?
Il est possible que cette mésaventure avec votre jumeau vous permette de prendre conscience de la récurrence de certaines situations. Auquel cas, la deuxième question est :

b) comment je réagis habituellement ? (confrontation, fuite, rancune, vengeance…) ?

Votre Loge devient dans cet exemple un laboratoire humain où vous pourrez expérimenter de nouvelles réactions inhabituelles afin d’obtenir des résultats différents grâce à vos Frères de Loge.

Pour le prix de 100 €, il serait utile par exemple d’aller rencontrer en tête à tête et très calmement le jumeau et l’interroger sur ce qui a pu l’autoriser à croire qu’il avait le droit de vous léser de cette somme. Cela vous permettra peut-être de comprendre ce qui se dégage de vous et qui engendre cette répétition infernale de situations. L’intérêt de cette épreuve, vous l’aurez compris, n’est pas de s’améliorer dans le recouvrement de vos créances, mais bien de comprendre ce qui vibre assez fort chez vous pour créer des situations répétitives. Vous pourrez ensuite commencer à travailler sur votre centre (le fil à plomb) et aussi sur votre comportement (la matière du niveau). Une fois les deux alignés, vous serez dans une élévation, une maîtrise pourrait-on dire… et vous conduire ensuite vers la leçon n°2, car la première sera totalement acquise par votre conscience.

Mon propos n’est certainement pas de vous donner des combines pour régler vos conflits en Loge. Il s’agit uniquement de comprendre que lorsqu’un conflit naît, il faut au minimum 2 intervenants : L’autre et vous ! Et si vous entrez en guerre contre tous les autres, le problème principal (vous) restera toujours le même. Vous ne pourrez pas tuer l’ensemble des méchants de cette terre, il en naît de nouveaux chaque matin.

Cet autre est venu à votre rencontre pour vivre l’expérience du conflit. La raison est la suivante : votre vibration et la sienne sont entrées en harmonie. Si vous changez votre vibration, l’attirance de cet autre disparaîtra comme par enchantement. Voilà ce qu’on nomme la loi d’attraction. Il s’agit tout simplement de deux fréquences silencieuses qui s’unissent pour vivre des expériences utiles sur le chemin de la sagesse. C’est le même principe qui attire deux êtres dans l’amour. Tant que la leçon n’est pas comprise, on continue son chemin jusqu’à la prochaine rencontre et ainsi de suite jusqu’au changement de fréquence. C’est un peu comme un autoradio qui traverserait la France et qui rencontrerait dans chaque ville des stations de radio qui diffusent des programmes différents… mais toujours de même nature musicale.

Comment procéder pour progresser et sortir de ce cycle. C’est très simple, commencez par vous observer et voyez quels sont vos mécanismes habituels. Puis, faites le pas de côtés, le temps de prendre le recul nécessaire. Et enfin, tournez le bouton de la fréquence afin de produire un autre résultat en vous. Ensuite, vous pourrez continuer le chemin et essayer de comprendre les tenants et aboutissants de chaque expérience. En résumé, la Loge est un lieu d’expérimentation où on travaille le Solve et Coagula alchimique. Au lieu de réagir instinctivement pour protéger votre territoire acquis, la question qui doit venir à l’esprit pour chaque épreuve devrait-être : « Que dois-je faire de ce qui m’arrive ? ». Or la plupart des gens se disent : « Pourquoi cela m’arrive t’il encore ? ». On tourne en rond et cela peut durer toute une vie.

Comme le disait Rita Mae Brown : « La folie consiste à faire la même chose encore et encore et à attendre des résultats différents. ». C’est peut-être en cela que la Franc-maçonnerie est très intelligente. Elle ne sert aucunement à changer les choses. Elle sert à modifier notre regard, afin de les envisager dans leur réalité profonde. C’est cela et uniquement cela l’alignement et la rectitude dont nous parlons dans le fameux V.I.T.R.I.O.L.. Tout le reste ne ressemble qu’à la force qui conduit à la rigidité. On connait tous la fin de l’histoire. Jean de La Fontaine nous en avait déjà parlé avec son chêne et son roseau.

Franck Fouqueray

[1] L’amour du pouvoir

La question du mal

J’étais en Loge hier soir, et comme souvent, j’ai réfléchi et travaillé à ma quête personnelle, la question du mal. En fait, je cherche la part du libre-arbitre dans le choix du mal, délibéré ou non et ce qui se passe dans la tête de gens qui font littéralement du mal. Ainsi, je me demande ce qu’avait dans la tête le fonctionnaire qui a rédigé le plan de sauvegarde de la Grèce (processus orwellien, le plan de sauvetage était le plan d’application d’une politique d’austérité impitoyable qui a mis sur la paille des milliers de personnes et tout le pays à genoux). Question d’autant plus importante que dans ce processus impersonnel, personne n’était responsable des conséquencesi. De la même manière, je me demande ce que les chargés d’urbanisme ont dans la tête quand je vois les catastrophes sur les voies publiques : travaux à répétition, construction inepte d’ouvrages, aménagement de lotissements en zone inondables. Toujours dans cette même optique, j’essaie de comprendre les motivations des chefaillons ou des PDG qui érigent le harcèlement en mode de management, harcèlement qui peut mener le travailleur à la mort. D’ailleurs, je suis avec beaucoup d’intérêt le procès de France Télécom que je considère être le procès du mal moderne : la domination et la quête du profit au détriment de l’humain.

Dans un ordre d’idée tout à fait différent, j’ai appris l’existence de chaines YouTube où des parents torturent littéralement leurs enfants sous couvert de farces ou de canulars, qu’on appelle des pranks (non, je ne donnerai pas les références de ces chaines, je me sens déjà assez sale comme ça !). Ainsi, on voit les parents dévaster une pièce et accuser et punir leurs enfants des dégâts occasionnés. Ou encore les parents s’adonner dans la bonne humeur à la torture mentale et physique de leurs enfants, en les faisant se battre ou en les secouant la tête en bas. Il paraît que c’est à la mode… Comme ces chaînes respectent les standards américains, elles permettent auxdits parents d’engranger des bénéfices dus au visionnage de leurs œuvres. Et comme elles sont très suivies, je vous laisse analyser l’équation : des parents se font de l’argent en s’exhibant en train de torturer leurs enfants, avec la bénédiction de Youtubeii et des lois américaines. Mais que peut-on avoir dans la tête pour faire ça ? La réponse est chez Hannah Arendt : rien.

Hannah Arendt, suite au procès d’Adolf Eichmanniii, avait introduit le concept de « banalité du mal », qu’elle associait à une incapacité crasse à penser. Eichmann avait utilisé l’argument de l’obéissance pour sa défense : il s’était contenté d’obéir aux ordres et de concevoir son système de planification de trains, système étrangement très performant, prétendant ne pas savoir ce qu’il y avait dans les trains. Hannah Arendt avait donc formulé son concept de banalité du mal en arguant du fait qu’Eichmann était doté d’une incapacité à penser et d’une extraordinaire superficialité. La réalité a montré ultérieurement qu’Eichmann était un nazi convaincu et savait pertinemment ce qu’il faisait, et pour quoi il le faisait. Mais le concept est resté : au sens d’Hannah Arendt, le mal naît de l’incapacité à penser et à se projeter.

Pour ma part, je ne suis pas aussi optimiste : je pense que nous avons une propension innée à faire souffrir autrui ou détruire ce qui nous entoure et en tirer une certaine jouissance, un bénéfice immédiat ou un intérêt quelconque. Ce sont les manifestations des pulsions sadiques et de destruction mises en valeur par Freud, et dont l’étude sera approfondie par ses disciples. Concernant la banalité du mal et la superficialité, le psychanalyste Erich Fromm a approfondi le concept en posant l’hypothèse que destructivité et spiritualité étaient inversement proportionnelles dans son ouvrage phare La peur de la liberté. Toujours selon Fromm, l’être humain peut choisir une voie du mal en soutenant le despotisme, la dictature ou le totalitarisme pour lutter contre sa propre peur ou sa propre angoisse, ou encore par identification à l’image de l’autorité du père. On comprend mieux à la lecture de Fromm le soutien ou la collaboration de la population avec des régimes dictatoriaux ou totalitaires…

Remontons plus loin encore. Le philosophe latin Epictète voyait comme réponse à la question du mal un argument très important : la peur de la mort. Cette peur nous pousse à commettre le mal lorsque nous lui cédons. Freud reformule le même argument avec l’ambivalence et l’angoisse de la mort, ou encore le principe de plaisir et le principe de réalité. Ainsi, la peur de la mort et des maux associés ou liés tels que la peur de la pauvreté qui engendre le goût du pouvoir, la peur du manque qui engendre le goût du luxe ou l’appât du gain, la peur de vieillir qui engendre la haine que nous ressentons à l’égard des plus jeunes nous pousseraient à choisir la voie du mal ou commettre le mal. La théorie freudienne rajoute à l’argument d’Epictète les pulsions et jouissances sadiques et sexuelles.

Quid du mal en franc-maçonnerie, me direz-vous ? Hé bien, le mal est présent chez nous. Plus précisément, nous savons que le mal est en nous. Il existe en effet dans notre mythe fondateur les Mauvais Compagnons, que nous sommes tous susceptibles de devenir un jour. Néanmoins, la Franc-maçonnerie étant une démarche très raisonnée, nous sommes en mesure de faire avec ce mal intrinsèque. Ainsi, nous pouvons nous accommoder de la peur de la mort avec l’Initiation, qui à l’instar de la philosophie, nous apprend à mouririv. Notre système nous apprend à occuper à tour de rôle toutes les fonctions, des plus illustres aux plus humbles, afin de nous faire réaliser l’importance de chaque moment. Nous adoptons un idéal de fraternité et devons considérer notre prochain comme un Frère, avec l’ambivalence que cela suppose : « le Frère est celui qu’on connaît mais qu’on aime quand même ». Bref, le Rite et le rituel doivent empêcher notre mal inhérent de s’exprimer ou comme dans les arts martiaux, le laisser s’exprimer là où il ne fera pas de dégâts. La pratique du Rite, qu’on peut interpréter comme une démarche spirituelle nous permet au sens de Fromm de limiter l’expression de notre destructivité. Nous savons aussi que chacune de nos actions a une conséquence et travaillons normalement à ce que les conséquences de notre action ne soient pas néfastes mais bénéfiques, ou à défaut, neutres. En un sens, nous pratiquons une forme d’éthique conséquentialiste : les conséquences de l’action comptent plus que l’action elle-même.

Si j’en reviens aux parents irresponsables qui mettent en ligne leurs exactions sur leurs enfants, je dirai qu’ils agissent dans un principe de plaisir immédiat : se faire remarquer, « liker », gagner de l’argent facilement et qu’ils ne font preuve d’aucune éthique ni de réflexion sur les conséquences de leurs actes. Seuls comptent la jouissance et le profit immédiats, et tant pis pour les conséquences. Encore qu’à ce niveau, je ne suis pas sûr que ces individus n’aient une idée des conséquences de leurs actes.

De manière similaire, un dirigeant de grande entreprise qui va chercher à réaliser davantage de bénéfices pour plus de gains sans redistribution et au détriment de ses employés ne fait montre d’aucune éthique lui non plus. En tout cas, d’aucune éthique conséquentialiste. La jouissance du profit, les gains, les « économies » ? Oui. La vie des salariés qui justement créent la valeur? Non. Et tant pis pour les conséquences que la rapacité des dirigeants engendre pour le salarié : mal-être au travail, harcèlement, injonctions paradoxales, dépressions, suicides… Peut-être écrirai-je un jour un billet sur le mal et le management. Il y a de quoi dire.
Quoi qu’il en soit, dans les deux cas (parents et chefs d’entreprise), penser aux conséquences nécessite comme condition première de penser… Et penser, c’est se questionner, faire preuve d’esprit critique.

On en revient à Hannah Arendt : le mal est banal. Dans son optique, le mal consiste en une absence, en une chose qui n’est pas. Le paradigme platonicien est que personne ne peut faire le mal volontairement, dont en découle la proposition d’universalité du bien. Il est fondamental de noter que le mal est souvent commis par des personnes n’ayant jamais pris la décision d’être bons ou mauvais (à l’exception des sociopathes, psychopathes et autres pervers). D’où l’effarement dans mes exemples de parents et de chefs d’entreprises face aux conséquences de leurs actes. Ils n’avaient tout bêtement pas pensé.

Dans le fond, je crains que la réponse à la question du mal ne soit dans cette réplique de la série Hokuto no Kenv : « les temps comme les œufs sont durs et la bêtise humaine n’a pas de limite ».

J’ai dit.

Pour aller plus loin : Hannah Arendt, Considérations morales, Payot et Rivage, qui synthétise son travail sur la banalité du mal.

i On pourra lire pour aller plus loin l’excellent ouvrage de Marcel Gauchet : Comprendre le malheur français

ii Il semblerait que les choses aient un peu changé et que certaines vidéos aient été démonétisées…

iiiAdolf Eichmann, nazi, est l’ingénieur planificateur des trains de la mort ayant amené les déportés dans les camps.

iv Montaigne : « Philosopher, c’est apprendre à mourir ».

v Célèbre série animée japonaise futuriste post-apocalyptique, très inspirée de l’univers de Mad Max et destinée à un public de jeunes adultes, cette série a été diffusée dans une émission pour enfants. La violence des histoires et des images a incité les doubleurs à faire des dialogues humoristiques, adaptés à un jeune public. La version française est devenue ainsi culte. Je recommande la lecture du manga, certes très incohérent et démodé, mais très intéressant dans la quête du bien et de l’ordre juste dans un monde dévasté et revenu au chaos.

Dieu est mort… assassiné par les Francs-maçons

Voila quelques années qu’à chaque fois que je prends la parole en Loge pour comparer maçonnerie et religion, je pose une question qui pourrait être interprétée comme provocatrice, alors qu’en réalité, elle est bien réelle. Je vous la soumets aujourd’hui : « Comment peut-on être à la fois Franc-maçon et Chrétien sans être schizophrène ? »

En 1888, dans « Le Crépuscule des idoles » Friedrich Nietzsche écrit la chose suivante : « En renonçant à la foi chrétienne, on se dépouille du droit à la morale chrétienne. Celle-ci ne va absolument pas de soi (…). Le christianisme est un système, une vision des choses totale et où tout se tient. Si l’on en soustrait un concept fondamental, la foi en Dieu, on brise également le tout du même coup : il ne vous reste plus rien qui ait de la nécessité. »

Je doute que le philosophe prusse ait été un jour Franc-maçon. Je vous confirme que pour ma part, je ne suis pas philosophe. Pourtant, nous nous rejoignons totalement sur ce constat. Travailler à la gloire de Dieu (ou en son nom pour certains autres), ne peut s’effectuer qu’avec la toile de fond de la foi du croyant. C’est là qu’une incohérence profonde apparaît !

Pour ce qui concerne la maçonnerie, son fondement indiscutable repose sur le doute, ou la quête de la gnose si vous préférez. Un Franc-maçon qui œuvrerait dans la foi d’une vérité révélée serait comme un chrétien qui admettrait le doute sur l’existence de son Dieu unique. Dans les deux cas c’est totalement incompatible.

A chaque fois que j’ai posé la question à un adepte de la fusion du dieu en tablier, il m’a répondu par des pirouettes du genre :

  • « Je suis chrétien et voila 30 ans que je concilie parfaitement les deux »
  • « Il ne faut pas prendre les choses au pied de la lettre, la foi peut être considérée comme une simple boussole »
  • « Il suffit d’être dans la foi durant les offices religieux et s’ouvrir au doute durant les Tenues »

Vous vous souvenez de la réplique de Jean Gabin dans le film Le Président : « Y’a aussi des poissons volants mais qui ne constituent pas la majorité du genre. » Pour moi, le mélange des genres entre la foi et la quête de la gnose conduit tout simplement à une schizophrénie certaine. Je ne condamne, ni ne juge aucune voie spirituelle dans mon propos. Il s’agit uniquement d’incompatibilité entre deux voies d’élévation. Je connais des derviches tourneurs qui tournent et des méditants bouddhistes qui méditent immobiles. Les deux voies peuvent conduire au même sommet. Mais si vous demandez à Mathieu Ricard de commencer à faire des rotations physiques durant ses méditations vous risquez de perturber le pauvre homme jusqu’à le rendre fou.

S’adapter à un système dysfonctionnant ou contre nature ne le rend pas normal par la quantité de pratiquants. Vous conviendrez avec moi qu’à l’époque ou l’église nous faisait croire que la terre était plate, cela n’a pas influencé d’un millimètre la circonférence de notre planète. Il en est de même avec cet assemblage surprenant de la foi et de la quête de la gnose. Ce n’est pas parce que de nombreuses Loges le pratiquent que cela devient pour autant logique ou efficace.

Certains vont sauter sur l’occasion pour me vendre leur laïcité qui lave plus blanc que blanc. Je vous préviens tout de suite, j’ai encore plus de mal à comprendre ceux qui viennent en Loge pratiquer un Rituel maçonnique pour glorifier la laïcité. Cela revient en quelques sortes à organiser un méchoui pour les végans !!! C’est tout aussi incompatible.

Soit on pratique un Rituel car on reconnait la force du non visible, soit on est purement rationnel et on zappe de ses tenues tous ces pitreries à commencer par l’initiation qui entre-nous soit dit, n’a rien de très cartésien.

En résumé, il me semble que la maçonnerie initiatique est une voie de spiritualité dont le moteur est la recherche de la vérité. Parmi tous ses pratiquants, certains sont arrivés avec leurs bagages chrétiens et d’autres avec leurs valises anticléricales. Tout cela porte le même nom : maçonnerie et nous sommes censés être tous Frères. Je vous avoue qu’avec un tel constat on peut comprendre qu’il y ait parfois des querelles entre frangins.

Ah à propos, avant la bagarre, si parmi vous, quelqu’un peut répondre à ma question du début, j’en serai heureux. Merci d’avance.

Franck Fouqueray

Le néolibéralisme, valeur antimaçonnique

J’étais en Loge hier soir, et avec la chaleur montante, je pensais aux factures d’électricité des utilisateurs de climatiseurs. Ce qui m’a amené immédiatement à penser à la manière dont nous utilisons l’énergie, pensées que ma bonne éducation m’empêche de reproduire telles quelles.
Afin de clarifier mon propos, je vous propose de faire l’approximation suivante (dérivée la relativité générale) : énergie et matière sont la même chose. Par extension, l’énergie est un bien. Avec ce prisme, on peut analyser différemment la situation, notamment de l’énergie électrique. Il existe différentes manières de produire de l’énergie électrique : nucléaire, fossile ou renouvelable. La production doit répondre à un objectif : approvisionner le réseau électrique avec une quantité d’énergie constante, voire croissante, étant donné que nos besoins en énergie croissent avec l’utilisation des nouvelles technologies de l’information. Ben oui, jouer à Fortnite, consulter Facebook ou poster une série de selfies sur Instagram , ça consomme de l’énergie. Beaucoup. Par rapport à nos voisins européens, nous avons la chance d’avoir un système de production qui nous offre de l’énergie à bon prix, en l’occurrence 27 réacteurs nucléaires de production d’énergie, installés dans les années 60-70. Je ne reviendrai pas sur les polémiques du nucléaires, ni sur les craintes que cette énergie peut susciter. Le problème que je vois est la libéralisation du marché de l’énergie. Celle-ci nous est présentée comme un progrès depuis plus de 20 ans : fixation automatique des prix par la « main invisible du marché », avantage pour le consommateur qui se verra proposer le meilleur prix grâce à la concurrence libre et non faussée, etc. Sauf que cet argumentaire est une vaste fumisterie et dissimule une réalité moins glorieuse.

En fait, le nucléaire rend le coût de la production d’énergie électrique faible. Si faible que les fournisseurs d’énergie ne peuvent pas rivaliser avec l’opérateur historique. Il a donc régulièrement été demandé au fournisseur d’énergie d’augmenter artificiellement ses prix pour que les concurrents puissent adapter leurs prix (et donc augmenter le profit). Autrement dit, on augmente artificiellement le prix d’un bien commun, dans un appareil de production créé par les investissements de l’Etat, donc de l’ensemble de la nation (autrement dit, nous tous depuis quelques générations) afin de permettre à quelques compagnies d’engranger les retours sur investissement. Profits pour quelques-uns financés par la communauté, qui n’en verra pas une miette. Je rappelle au passage que la théorie du ruissellement n’a aucun sens en physique et encore moins en sciences économiques…

A l’heure de l’écriture de ces lignes, il se déroule une affaire similaire, liée à la recherche française en génie génétique. Celle-là même qui est financée par les dons du Téléthon de l’Association Française contre les Myopathies. Après des années de travaux, une équipe française a trouvé un traitement susceptible de neutraliser les processus dégénératifs de l’amyotrophie spinale infantile (ou syndrome de Werdnig-Hoffman). Le problème est que pour d’obscures raisons de revente et d’achats de brevets, ce médicament a été racheté par une grande firme pharmaceutique qui va le vendre très cher aux patients. Cette firme va donc faire une plus-value très importante sans avoir investi le moindre sou dans la recherche. Le profit l’emporte sur l’intérêt public.
Peut-être que je me trompe, mais pour moi, ce sont des braquages.

On nous cite souvent en exemple les golden boys de la Silicon Valley : Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou les fondateurs de Google. On nous raconte toujours la même histoire : une idée de génie qui a germé au fond d’un garage et qui a permis à son auteur de fonder un empire. Certes. Mais sans les investissements des Etats dans la recherche fondamentale qui ont amené cette teknè que nous glorifions, ces gens-là auraient-ils pu bâtir leurs empires ? Je n’en suis pas si sûr. Ces réussites individuelles n’ont pu être possibles que par les investissements collectifs réalisés quelques décennies avant. Il est ainsi regrettable que les tenants les plus extrêmes du néolibéralisme, celles et ceux en France qui sont passés par les universités et établissements publics, ont fait fortune (souvent grâce à héritage ou à défaut, un appui familial) soient les premiers à cracher sur les services publics, ou à refuser de les financer en utilisant l’optimisation, voire la fraude fiscale. Ceux-là ont oublié cette valeur fondamentale de la société du XXe siècle qu’est le solidarismei.

Le plus dramatique, c’est que les tenants du néolibéralisme disposent de tribunes ou d’outils de lobbying pour faire passer leurs idées. En fait, j’ai l’impression quand je lis la presse de relire l’histoire du prêtre ascétique de Nietzscheii, celui qui est minoritaire mais persuadé de détenir la vérité et qui va tenter de l’imposer par la force pour faire de son comportement individuel la norme. Je me demande si au fond, tous les idéologues du néolibéralisme, ceux qui nous polluent l’esprit avec leur alerte à la dette ou à la lourdeur des services publics (dont ils bénéficient pourtant des largesses) croient réellement à ce qu’ils clament. Et je me demande aussi, s’ils n’ont pas conscience de l’inanité ou du danger que représentent les idées qu’ils défendent et s’ils ne cherchent pas, par leurs think tanks à justifier leur occupation. Je me contenterai de regarder ça avec dédain si je ne me sentais pas un peu complice.

En fait, j’ai fait partie d’un think tank maçonnique, où je dirigeais un groupe de travail relatif à l’éthique et à l’économie. On m’a imposé de recevoir des invités médiatiques (e.g un enseignant d’HEC, un membre du cercle Jean-Baptiste Say, des représentants d’organisation patronales) qui présentaient un point commun : l’apologie du néolibéralisme et du profit.
Pour faire bonne mesure, j’avais pensé inviter d’autres représentants d’autres courants pour enrichir notre pensée mais je me suis fait opposer une fin de non-recevoir. Des membres du groupe et moi-même avions alors rédigé un recueil d’idées basées sur nos valeurs, mais il nous a été expliqué que nous devions nous contenter d’être les vecteurs des « experts » que nous recevions. Ce cahier est tombé dans l’oubli d’une corbeille à papier. Mon orgueil, le fait que je ne voulais pas faire la promotion d’idées que je combats (et qui vont à l’encontre de mes valeurs) et aussi le découragement et le manque de temps m’ont poussé à démissionner. J’ai pris le temps de réfléchir et je me suis rendu à l’évidence : le néolibéralisme et le national-libéralisme ne sont en rien des valeurs maçonniques, ni même humanistes. Je crois même que ce sont des valeurs profondément anti-maçonniques, en ce qu’elles sont réductrices de liberté en instaurant une nouvelle féodalité, factrices d’inégalités en accentuant les extrêmes riches et pauvres, et factrices de destruction de liens de fraternité en détruisant les institutions publiques, ou plus largement ce qui fait lien au-delà des marchés. Je ne reviendrai pas sur le racket et le vol induits par l’accaparation des ressources communes évoquée supra.
Plus largement, je pense que nous faire complices de la propagation des idées néolibérales est une trahison de ce que nous représentons, voire une trahison de nos valeurs fondamentales de liberté, d’égalité et de fraternité. Trahison d’autant plus perverse que le terme néolibéralisme désignerait plutôt la mainmise sur le bien commun par une oligarchie d’entreprises, qui reconstituent elles-même un ordre féodal. Un processus linguistique très orwellien. En fait, Proudhon n’a jamais eu autant raison : « la propriété, c’est le vol ».

J’ai dit.

i Un très bon billet, écrit par une personne très douée est disponible à cette adresse : https://blog.onvarentrer.fr/index.php/2018/12/26/du-solidarisme/

ii Généalogie de la Morale

Refoulement pulsionnel et violence routière

J’étais en Loge hier soir, bien content d’avoir pu y arriver en un seul morceau. Il est vrai qu’être piéton en ville devient plus dangereux que la traversée d’une jungle équatoriale en tongs et jogging. J’ai pu constater que l’arrêt au feu rouge devenait pour les automobilistes comme le latin pour les collégiens : une option. Et la priorité aux piétons semble avoir disparu au même titre que la courtoisie ou la galanterie. Pire, je me suis fait insulter pour avoir eu l’outrecuidance de traverser au passage piéton !
Je suis aussi obligé de faire attention aux deux-roues et aux trottinettes en tout genre qui ont décrété que le code de la route ne s’appliquait pas à eux. Rien que ce midi, j’ai failli être percuté par deux cyclistes qui ne s’estimaient pas concernés par le feu rouge…
Il sera important de noter qu’une fois sur deux, le cycliste est responsable de l’accident dans lequel il est impliqué. J’avoue avoir du mal à comprendre que l’on puisse traverser au feu rouge pour avoir l’illusion de gagner quelques secondes, et s’arrêter après au milieu du carrefour parce que la circulation est trop dangereuse…
J’ai pu aussi constater que des gens très bien au quotidien se transformaient en véritables barbares une fois au volant ! L’usage de la voiture semble visiblement cristalliser certaines de nos pulsions.

Dans la même veine, le passage des routes nationales de 90 km/h à 80 km/h a catalysé un certain nombre de frustrations. Une étude a montré une forte corrélation entre la participation au mouvement des gilets jaunes et les zones concernées par ce changement de vitesse. Au-delà de l’obligation mathématique de rallonger le temps quotidien de trajet, j’ai l’impression que cette réglementation est vécue comme une castration.
Plus largement, j’ai le sentiment que la voiture ou l’usage de la route devient le terrain d’expression d’un individualisme pathologique : « je suis important, donc au-dessus des lois et tant pis pour les autres ». Je vous dispense de ma blague habituelle (prise à Robin Williams dans Mrs. Doubtfire) : les hommes prennent de grosses voitures pour compenser la petitesse de leur sexe. Tout est là, en fait !

Freud expliquait dans son ouvragei Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci que le travail était « l’espace de sublimation de nos pulsions ». Il évoquait également un « report de l’énergie sexuelle sur la vie professionnelle ». A en juger par le comportement de mâle tout-puissant des usagers de la route, à en juger par le langage ordurier employé par certains, il semblerait que l’on puisse appliquer l’hypothèse de Freud à l’automobiliste moyen !
En allant plus, on pourrait construire un tout autre éclairage de l’irrespect du Code de la Route, que je vous propose. L’utilisation de la voiture est une métaphore de l’acte sexuel. Je ne reviendrai pas sur l’aspect phallique du levier de vitesse… Rouler en voiture devient alors comparable à une jouissance sexuelle, voire une jouissance sexuelle. Or, depuis la révolution de la libération sexuelle (un oxymore, selon Jacques Lacan), nous vivons dans un paradigme de « jouissance sans entrave » qui entraîne une sensation de toute puissance. Pour le chauffard moyen, il n’est donc pas concevable de se voir ainsi limité par des règles extérieures telles que le Code de la Route, qui sont autant d’obstacles à sa jouissance, à l’instar d’une autorité paternelle.

D’où la transgression du tabou ainsi créé et les comportements déviants au volant qui en découlent. Le petit problème qui se pose, c’est que l’instauration du tabou et de la limitation de la jouissance sont des éléments nécessaires participant de la construction de la civilisation, ce fameux « vivre ensemble », par création du refoulement pulsionnel. On l’oublie, mais la jouissance, le principe de plaisir ne sont pas forcément compatibles avec la vie en société. Refuser ou combattre les limitations imposées par le Code de la Route, c’est refuser la civilisation au nom d’un égoïsme et d’un égocentrisme déplacés, indécents, et meurtriers. Pour mémoire, très récemment, un enfant a été tué par un chauffardii à Rennes, une jeune fille a été fauchée par un chauffard à Schaerbeek (Bruxelles)…

Refuser les règles du Code de la Route, c’est tout simplement refuser de vivre ensemble, c’est refuser le refoulement pulsionnel nécessaire à la construction du sujet, c’est se ramener à une condition quasiment animale.
Petit rappel statistique issues du rapport de la Sécurité Routière: 61 224 accidents corporels et 3684 tués en 2017.

En Loge, nous avons un refoulement pulsionnel très puissant : le Rite, et son rituel. Les Rites maçonniques nous incitent à refouler nos pulsions (les fameux métaux, et les non moins fameux Mauvais Compagnons), ce qui doit nous amener à un plus haut degré de civilisation. Selon le vécu de chacun, le rituel peut être une forme de pulsion de mort (ici, dans le sens de l’attrait de l’inanimé) qui contrecarre une trop grande pulsion de vie, ou à l’inverse une pulsion de vie contrariée par la pulsion de mort que représentent la mise à l’ordre et le Signe Pénal (dont on connaît la signification). Il reste à savoir qui parmi nous, malgré cette construction culturelle puissante, parvient à rester civilisé au volant… Je crois utile de rappeler que nous travaillons avec les vertus de tempérance et de prudence. Peut-être devrait-on les appliquer au volant, voire partout dans l’espace public.

En attendant, histoire de laisser s’exprimer mes pulsions diverses en automobile, je m’en vais brancher ma console de jeux et jouer à un jeu de course futuriste que j’adore. Au moins, mon retour de refoulé et ma jouissance ne blesseront personne, à part la décence et la bonne éducation.

J’ai dit.

i Redde Caesari quae sunt Caesari, j’emprunte cette interprétation au journaliste Christophe Lacroix, du média en ligne Philonomist

ii L’individu, âgé de 20 ans, est mis en examen pour délit de fuite, conduite sans permis ni assurance, refus d’obtempérer et homicide et blessures involontaires aggravés.

A partir de quarante ans, on a la gueule qu’on mérite

Regardez-bien chacun des membres de votre Loge et jurez moi la main sur cœur que vous seriez devenus amis avec tous ces gens là, du moins si la Loge n’avait pas fait le travail de présélection ?

Allons, allons, un peu d’honnêteté ! Nous nous retrouvons dans un espace fermé avec des caractères différents que nous n’avons pas choisi et c’est cela qui est à la fois la solution et le problème de notre voie initiatique. Je vais partager avec vous mon avis sur la question, mais permettez-moi avant de vous dire comment cette idée d’article m’est venue.

J’étais en Loge il y a quelques heures, comme orateur occasionnel. Je me suis retrouvé à quelques mètres de deux espèces de harpies en tablier qui me lançaient avec leurs yeux des éclairs et qui trépignaient sur leur chaise sans que je comprenne très bien ce qui pouvait déclencher chez elle autant d’animosité contre moi ? Bon… Il faut dire que j’étais en campagne électorale et je n’étais pas leur gourou préféré. Mais cela n’explique pas tout. Comment peut-on arriver à autant de manifestation haineuse dans un Temple maçonnique après des décennies de pratique ?

Lorsque j’y repense, je souris de bon cœur, car tout cela n’est qu’un jeu sans conséquence auquel nous nous prêtons tous. Avouons que nous ne risquons pas notre vie ou la santé de nos proches. Nous parlons là de position dans un Temple et de fonctions symboliques quelques heures par mois. Or là ! J’avais sous les yeux 4 sœurs d’une même Loge. Les 2 jeunes me regardaient avec douceurs et fraternité, les 2 moins jeunes (le fraternellement correct reste de mise), me fusillaient du regard comme si j’avais égorgé leur chat.

Je me suis alors dit : « Tout ce travail, tout cet investissement personnel en Loge, pour en arriver à un tel niveau d’acariâtreté, que gâchis. A quel moment le train a-t’il déraillé pour elles ? » Accessoirement, je me suis inquiété aussi pour les 2 jeunes sœurs qui vont forcément souffrir de l’influence de leurs aînées avec leur contact nocif.

Il me semble que la première étape du travail initiatique est de comprendre qu’on ne ressortira pas vivant de la vie et qu’il faut la prendre sans trop de sérieux.

Le deuxième point, tel que le disait Edgar Degas « A partir de quarante ans, on a la gueule qu’on mérite ». D’où l’intérêt de cultiver le bonheur intérieur qui se voit à l’extérieur.

Le troisième point et pas des moindres, nous n’entrons pas en Loge pour nous planquer des dangers ou des agressions du monde extérieur. Au contraire, celles et ceux qui se réfugient dans des Ateliers mono esprits, tellement on a éliminé les différences, finissent par ressembler à ce qu’ils essaient de fuir. Ces Loges deviennent l’enfer des acariâtres, qu’on lit d’ailleurs sur leurs visages agressifs ou désabusés. Cela existe autant chez les hommes que les femmes. Toutes les Obédiences et tous les Rites en possèdent des échantillons pour nous servir de miroir.

Vous connaissez peut-être ce vieux conte Cherokee :

Un vieil homme veut apprendre à son petit-fils ce qu’est la vie.

“En chacun de nous, il y a un combat intérieur” dit-il au jeune garçon. “C’est un combat jusqu’à la mort et il se tient entre deux loups.”

“Le premier est ténébreux. Il est la colère, l’envie, le chagrin, le regret, l’avidité, l’arrogance, l’apitoiement sur soi-même, la culpabilité, le ressentiment, l’infériorité, la supériorité, les mensonges, la fausse fierté et l’égo.”

“Le second est lumineux. Il est la joie, la paix, l’amour, l’espoir, la sérénité, l’humilité, la gentillesse, la bienveillance, l’empathie, la générosité, la vérité, la compassion et la foi.”

Le petit-fils réfléchit pendant un long moment. Puis, il demande à son grand-père : “Quel est le loup qui gagne ?”

Le vieil homme sourit et lui répond : “Celui que tu nourris.”

Je crois très fermement que chaque être est en mesure de cultiver le meilleur comme le pire de lui même. Son libre arbitre ou sa pleine conscience lui donne l’orientation choisie. Il n’existe aucune circonstance atténuante selon moi. Tout ce qui arrive n’est qu’expérience neutre pour grandir et trouver la Lumière. C’est pourquoi, il n’existe pas de Loge ou d’Obédience parfaite, il n’existe que des moments, des situations si vous préférez. Ensuite, les maçons choisissent individuellement de travailler sur la Lumière ou de laisser les Ténèbres gagner la bataille. Si tout était plat, comment pourrions-nous apprécier les monts et les vallées ? Il en est de même dans la Loge, c’est par la nuance de la manifestation des vertus ou des vices qu’on peut savourer la progression du travail maçonnique.

C’est d’ailleurs pourquoi, je ne vous affirmerai certainement pas que j’ai trouvé très agréable la proximité des 2 harpies dont je vous parlais plus haut. Cependant, je peux vous assurer que je leur manifeste ma totale gratitude. C’est en effet grâce à elles et toutes leurs congénères que je progresse. Si je ne suis pas encore certain de ma direction finale, je sais où je n’ai surtout pas envie d’aller. Tel que l’enseignait un ami très sage: « Une boussole qui montre le sud est très utile, car même si ce n’est pas la bonne fonction, elle te permet de situer les choix profonds de ton cœur ».

Comme quoi, si tout est symbole en Loge, tout est aussi très formateur… il reste à être attentif et surtout, Maître de ses passions.

De Guy Debord à Black Mirror

Je n’étais pas en Loge hier soir, mais chez moi, bien tranquillement. Les ponts de mai ont en effet perturbé le travail et forcé les Frères à prendre du repos, bien qu’ils n’aspirent pas à celui-ci. J’ai donc mis à profit ces jours de vacances pour visionner cette excellente série qui parle de notre futur, j’ai nommé Black Mirror. J’attends avec impatience un épisode sur les phénomènes d’évaluation permanente, un peu comme ce qui se passe en Chine voire chez nous en Europe.

Quand je parle d’évaluation permanente, je pense à l’entretien annuel d’évaluation en milieu professionnel, qui ressemble de plus en plus à un procès stalinien, un peu comme dans l’Aveu, de Costa-Gavras. En milieu professionnel, nous sommes ainsi toujours évalués, jugés, sanctionnés par une note etc. Il en est un peu de même en Loge. J’ai vu un candidat à un degré supérieur relativement jeune dans son grade, mais motivé, et ayant du potentiel. Sa planche de passage était très intéressante, mais très scolaire. C’est d’ailleurs ce qui a été reproché par les Maîtres en conseil s’improvisant jury d’examen. Un frère avait pris la défense du candidat en arguant du fait que le candidat était jeune, et vivait dans ce paradigme de jugement perpétuel, comme à l’école, d’où sa planche scolaire. La génération des 30-40 ans vit ainsi dans une perspective d’évaluation permanente, ce qui se retrouve en Loge. Au point que nous en sommes à nous créer un « maçonniquement correct », nous empêchant d’être lucides. C’est très regrettable, puisque notre devoir de Franc-maçon est la quête de la Vérité, et que dans notre quête, nous n’acceptons aucune entrave. Aucune, à part celles que nous créons et nous imposons nous-mêmes, dans notre crainte du jugement par nos pairs et frères. Pas de dispute, dans le sens étymologique du terme : disputer, c’est penser mais différemment de son interlocuteur. Donc nous uniformisons notre pensée pour plaire ou obtenir un avantage. On est loin du « loin de me léser (…), ta différence m’enrichit » gravé dans l’escalier de l’hôtel du Grand Orient de France…
A force d’être évalué, nous n’agissons plus que pour plaire à l’évaluateur, dans le monde profane comme dans le monde maçonnique. Au prix de notre liberté de pensée, et de notre créativité.

En fait, avant le Black Mirror, il existe un autre miroir de notre société : les influenceurs.
Eux, qui vivent du suivi des internautes qui prennent connaissance de leurs créations diverses (un peu comme un franc-maçon blogueur…), n’ont pas d’autre choix que de rester dans la zone de confort de leur audience, s’ils tiennent à la conserver. A moins de disposer d’une communauté très forte. Ce faisant, ils se mettent en spectacle, tout en étant spectateurs. En fait, nous sommes réellement dans les prédictions de la Société du Spectacle, de Guy Debord. Chacun est acteur, en quête de like à mettre dans son chapeau, et chacun est spectateur, consommateur du spectacle produit par l’influenceur. L’influenceur a donc besoin du regard des autres pour exister. Peut-il s’en émanciper ? Je ne sais pas. A se demander si la dialectique du Maître et de l’Esclave est toujours d’actualité… En attendant, cette tendance à n’exister que par le spectacle de nos vies, que nous affichons sur les réseaux sociaux ne présage rien de bon pour le futur. Un type d’humain particulier est en train de devenir le dominant : le courtisan. Un courtisan n’agissant jamais de manière désintéressée, n’ayant pas d’idées ou de valeurs propres, toujours propre à courtiser non l’homme de pouvoir, mais son prochain, ce dernier ayant le pouvoir de le liker… Charmant, n’est-ce pas ?

Pour en revenir au propos initial, ma compagne et moi avons mis au point un système en droite ligne de la Loi Salique avec des amendes sous forme de points de socialisation, attribués en fonction de notre comportement. Prenons quelques exemples : jeter un mégot ou un papier dans la rue serait sanctionné d’un retrait de points. De la même façon, utiliser son portable au cinéma serait sanctionné d’un retrait de point, avec, en deça d’un certain seuil, un panel de sanctions, allant de l’éviction du cinéma au visionnage obligatoire de l’oeuvre de Tommy Wiseaui. De la même façon, un homme harcelant une femme serait sanctionné aussi, avec des travaux d’intérêt général. Ou encore un homme politique élu sur un programme prenant des décisions à l’encontre de son programme voire à l’encontre de l’intérêt général serait sanctionné de retrait de points, d’inéligibilité, avec travaux d’intérêt général dans les services publics qu’il aura préalablement contribué à dégrader…

Dans un souci d’impartialité et de justice, les sanctions seraient attribuées par une intelligence artificielle bien programmée, et ne reflétant surtout pas les biais de pensée de ses créateurs. Donc pas de circonstance aggravante si le fautif n’est pas un mâle blanc dominant hétérosexuel cisgenre ! Merveilleux, n’est-ce pas ?

Ah, en fait, un tel système a déjà été envisagé dans la littérature : Nous Autres, de Zamiatine, rédigé dans les années 1920. Bon ben, comme la création de Jeff Bezos ne me l’a pas suggéré, je vais en commander la toute nouvelle traduction chez mon libraire, et ainsi gagner des points de civisme.

J’ai dit.

iCinéaste, auteur de The Room, film expérimental, considéré à juste titre comme le pire film de l’histoire du cinéma…