sam 19 avril 2025 - 21:04
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Mutt zu traümen

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Je discutais un soir dans les vestiaires de mon dojo, avec un jeune (tout jeune arrivé de son outremer natal pour faire ses études en métropole… Il a pas dû être déçu!). Celui-ci me disait que dans sa scolarité, les programmes scolaires de lecture ne lui avaient pas du tout fait aimer la lecture. Renseignement pris, il y a véritablement un problème avec la lecture et la littérature dans le secondaire. Bien qu’il existe des structures aussi anciennes que la République (les bibliothèques municipales pour la lecture publique, par exemple), il existe encore des personnes qui ont peur d’ouvrir un livre, ou tout simplement, qui n’en ont pas le réflexe, n’ayant pas vu leurs parents le faire. En même temps, la manière dont on demande aux enseignants d’enseigner la littérature au travers d’articles de journaux ou d’ouvrages calibrés pour des élèves de collège. Bon, il y a aussi le stand-up ! Bon, je ne remets pas en cause l’intérêt de cette discipline (même si ceux qui la pratiquent dans mon bureau ont tendance à me soûler), mais résumer l’expression orale à un numéro comique semi-improvisé, n’est-ce pas un peu réducteur, en dépit du flow ? Quid des grands monologues du Cid ? Ou de la splendide Contrebasse de Patrick Süskind ? Bon, je suis un boomer avec mes références germanopratines...
Au fond, ces programmes imposés par des technocrates qui le font « pour notre bien », n’ont pour effet qu’un appauvrissement de la langue et de la pensée. Plus grand monde ne connaît le Cid, Musset ou Michel Audiard. Que connaît-on à la place ? Ben… Pas grand-chose (ou des comédiens de stand-up).

De la même manière, il y avait eu une polémique il y a quelques années sur la traduction des aventures du Club des Cinq. Les traductions contemporaines sont en effet beaucoup plus pauvres en vocabulaire que les traductions d’il y a quelques décennies. Pour simplifier la tâche des enfants, ou des parents trop fatigués (ou ignorants) pour leur expliquer le sens d’un mot ?

L’Ignorance remercie donc les pédagogues, qui imposent la lecture globale, interdisent la grammaire, estiment que la division ne peut être comprise avant 12 ans et refusent l’accès au savoir aux jeunes générations. Le Fanatisme, nourri des fadaises qui remplacent le savoir dans le grand vide creusé par des années de programmes à la noix aussi. L’Ambition, qui déclenche des effets Dunning-Krueger aux conséquences dévastatrices (il n’y a qu’à voir nos gouvernants actuels) également.

En fait, j’en viens à me demander s’il n’y a pas une volonté politique des caciques de la pédagogie (les mêmes que ceux qui parlent de « référentiel bondissant » pour un ballon ou de « milieu aquatique fermé » pour un bassin) de laisser les élèves dans une forme de médiocrité. Le peu de littérature offert aux enfants ne les incite pas à rêver, mais plutôt à se résigner. Certes, des enseignants résistent à cette immonde broyeuse d’âmes qu’est devenue l’Education Nationale et tentent au risque de sanctions administratives, d’enseigner à leurs élèves qu’il faut rêver. Nous avons besoin d’Edmond Dantès, d’Eugène Rastignac, de Jean Valjean, Marius Pontmercy, des Thénardier, de Harry Potter, de Corto Maltese, de Tintin, de d’Artagnan, d’Elric de Melniboné, de Salambo et de tant d’autres qui ont su se battre pour dépasser leur condition. Nous avons besoin de craindre Voldemort, Milady, Hermionei ou Vautrin, ou de mépriser Georges Duroy. Nous avons besoin d’admirer Roland, Olivier, Arthur, Lancelot, Perceval, Robin des Bois ou Don Rodrigue. Nous avons besoin de nous balader dans le Paris des Merveilles ou les Terres du Milieu, de voyager avec Gulliver ou encore d’admirer de loin l’île d’Avalon. Nous avons besoin de lire autre chose que nous-mêmes pour mieux nous retrouver. Connaître les grands récits et les grands héros quelques soient leurs noms (Elric, d’Artagnan, Harry Potter, le Cid etc.) et leurs histoires, souvent les mêmes, nous aide à rêver, imaginer, créer, ou à défaut, nous dire qu’autre chose peut exister que ce monde toujours plus triste ou consommer devient notre seule liberté. Nous avons besoin de héros qui nous font voyager et qui nous montrent que d’autres mondes sont possibles. Nous avons besoin de héros qui nous montrent des ailleurs ! Bref, nous avons besoin de héros qui dépassent leurs conditions, qui nous inspirent et nous encouragent à bouleverser l’ordre établi ou nous battre pour ce qui compte à nos yeux. En somme, tout ce que le pouvoir, les intégrismes ou les tyrannies n’aiment pas.

Dans ma Loge, il y a une petite tradition. Chaque apprenti, au bout de quelques mois, fait son premier travail de la manière suivante : il offre un livre qui lui correspond particulièrement, et explique devant l’Atelier pourquoi il offre cet ouvrage et pas un autre. J’ai accompli cette tradition avec joie, ce qui m’a donné l’occasion de relire Les 3 mousquetaires et de me rendre compte que j’aurais toujours besoin de rêver, même si par les temps qui courent, il faut le courage de rêverii. Rêver pour m’élever, et rêver pour me révolter.

J’ai dit.

PS: je suppose que vous l’avez déjà fait, mais n’hésitez pas à lire la tribune “Ensemble, défendons notre liberté”, publiée le 23/9 dans différents journaux et à soutenir la liberté de la presse contre les réels Mauvais Compagnons, qui font des dégâts non moins réels.

iJe parle de l’héroïne tragique de Racine, pas de Hermione Granger.

iiTraduction du titre de mon billet, il s’agit d’une chanson issue de la comédie musicale allemande Linie 1

Meus meumque jus

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On se plaint souvent des incivilités de nos concitoyens : celui qui jette son mégot ou son masque par terre, celui qui pose ses encombrants sans le déclarer, celui qui grille un stop ou un feu rouge, celui qui agresse un chauffeur de bus, un maire ou tout autre représentant de l’ordre au nom de ce qu’il croit être « son droit ». On retrouve ce phénomène dans l’enseignement : des élèves se croient fondés à transgresser ou désobéir au nom de ce leitmotiv : « j’ai le droit », qui justifie leurs actions, certaines étant anecdotiques, d’autres étant plus graves. Une enseignante, Barbara Lefèvre, a d’ailleurs poussé un coup de gueule et un cri d’alarme, sous forme d’un ouvrage : Génération j’ai le droit dans lequel elle dénonce ces comportements délétères, induits entre autres par l’illusion du libéralisme dévoyé, qui promet surtout beaucoup de vent. C’est peut-être se comporter en vieux con que de trouver que les jeunes font n’importe quoi, et oublier qu’on a soi-même été jeune. Quand on est jeune, on veut transgresser (je dirais même plus, la construction de soi passe par la transgression, c’est le fameux « pas de côté » avant de revenir à l’ordre mais c’est une autre histoire). Et on s’estime fondé à « avoir le droit de ». Ceci dit, « avoir le droit de » ne signifie pas forcément être dans le cadre de la loi. Si je m’en réfère à Simone Weil, « avoir le droit de » présuppose plutôt l’idée « d’avoir la force de ». Autrement dit, revendiquer ce qu’on croit être un droit relève surtout de l’épreuve de force. On notera d’ailleurs que l’Etat est caractérisé par l’emploi légitime (et mesuré) de la force, ce qui lui permet de faire respecter le droit comme la loi. Et nul n’a le droit de se substituer à l’Etat.

Il existe un phénomène similaire sur la voie publique : les livreurs qui vont se garer n’importe comment ou rouler sur les trottoirs. Ils ont le droit, ils travaillent (oui, parce que quand on se déplace, on ne travaille pas, c’est bien connu). Donc on peut commettre une infraction au code de la route au motif qu’on travaille. Notons qu’aller travailler à son emploi protège de la contaminationi au covid-19, contrairement aux restes des activités sociales… Toujours est-il qu’à partir du moment où « on travaille », « on est pressé » etc., toute considération pour autrui disparaît. Toute considération pour l’environnement aussi. Ainsi, tant pis pour ce piéton qui traverse, je veux rentrer chez moi, « j’ai le droit ». Bon, j’ai le 4×4 et la cylindrée qui vont avec aussi. Tant pis pour ce coin de verdure, j’ai des gravats à décharger et ainsi de suite. L’impératif de mon désir l’emporte sur le respect ou le soin que je dois à mes semblables et mon environnement. On se dit que « j’ai le droit parce que… ». En gros, au nom de ce qu’on croit être son bon droit, on traite les autres comme un moyen et non une fin. On fait valoir son existence sur le reste et donc sur les autres. Outre le scandale légitime de cet incivisme, ce « moi et mon droit », je me suis demandé comment on en était arrivé là. Impunité à l’école ou à la maison ? Reproduction de violences ou de comportements déviants, voire sociopathes ?

Et puis, fort de ces interrogations, j’ai lu un billet de Frédéric Lordon paru sur la plate-forme du Monde Diplomatique. Il y expliquait à propos de France Télécom que le néolibéralisme et le capitalisme engendraient des sociopathes. Ah, Seigneur mon Dieu, mais qu’est-ce donc qu’un sociopathe ? Est-ce un adepte des jeux de rôle sur table ou des jeux vidéo comme l’affirmait un psychiatre à la télévision en 1996ii? Un parfait inadapté social comme le personnage de Sheldon Cooper, de Big Bang Theory ? Ou, comme dans le titre Antisocial de Trust, un type qui perd son sang-froid ?
Sans rentrer dans des considérations cliniques, disons qu’un sociopathe est un individu présentant un comportement antisocial, et présentant une absence d’empathie. Pour Frédéric Lordon, le sociopathe « se sert des autres comme des choses ». L’Autre est pour ces gens un moyen et non une fin. Et pan sur le bec d’Emmanuel Kant qui professait plutôt le contraire.
Ainsi, dans cette acception, les personnes intégrant les grands corps de l’Etat (Mines, Ponts, Inspection des Finances) deviendraient des individus incapables d’empathie envers leurs subordonnés, qui n’existent que sous forme d’indicateurs RH ou de statistiques. Pour ces gens-là, l’humanité n’existe pas, en dehors d’eux-mêmes et de leurs camarades de promotion, et n’a pour but que de servir leur recherche de profits à tout prix, quitte à bafouer la loi ou l’éthique. C’est un droit qu’ils prennent puisqu’ils en ont la force…
Au final, quand on voit que les dirigeants de grands groupes ou de grandes administrations sont incapables de considérer l’Autre comme autre chose qu’une fin et se contrefichent de la loi qu’ils bafouent allègrementiii, il ne faut plus guère s’étonner de l’absence de civisme au quotidien quand le mauvais exemple vient du haut de la société. Quand le mauvais exemple vient d’en haut, que ce mauvais exemple est médiatisé, répété maintes fois, au fond, il ne faut plus s’étonner de cet individualisme antisocial ou de ces comportements sociopathes que l’on retrouve à tous les échelons de la société.

Et nous, Francs-maçons, sommes-nous de dangereux sociopathes, avec nos rituels bizarres, nos costumes rigolos ou notre argot bizarroïde ? Dans la mesure où nous vivons en Loge l’impératif de Fraternité, qui nous oblige au contraire des tendances actuelles, à considérer l’Autre comme une fin et non un moyen, la réponse est bien sûr non. Évidemment, on n’est jamais à l’abri de types qui vont tenter de construire un réseau pour leur propre promotion ou gloire. Mais on en trouve aussi dans les clubs de sport, les clubs services, les syndicats, les associations diverses etc. Fort heureusement, ce genre de bonhomme est assez rare en Loge. En effet, je vois mal un X-Mines ou un énarque accepter de faire silence au Septentrion pendant une à trois années…

Mais face à cet incivisme travesti sous l’illusion du « Moi et mon droit », je ne vois guère que notre propre exemplarité à opposer. Accomplir le Devoir est souvent ingrat, mais ce n’est qu’ainsi que nous pouvons lutter pour le moment dans ces épreuves de force. Si en plus on parvient à accueillir l’Autre comme une fin et non un moyen, là, nous parvenons à lutter contre la déshumanisation du monde que veulent imposer les sociopathes qui nous dirigent.

Restons vigilants.

J’ai dit.

i J’ai encore du mal à comprendre qu’on force la population à prendre les transports pour se rendre dans les bureaux quand on laisse les théâtres, cinémas, clubs de sport et temples maçonniques fermés pour raison de santé publique… Il semblerait que pour certains, le refrain de la chanson d’Henri Salvador « Le travail, c’est la santé » soit un manuel de santé au travail !

ii Je ne remercie pas ce psychiatre ni la production de cette émission.

iii On lira l’œuvre édifiante des Pinçon-Charlot sur le comportement des ultra-riches, notamment leur lien à l’impôt ou à la solidarité nationale. On peut aussi lire le récent La loi des plus forts, un recueil de chroniques et de points de vue sur le procès France Télécom (éditions de l’Opportun).

Offense & préjudice

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Toute ressemblance avec l’œuvre de l’écrivaine Jane Austen serait purement fortuite.
En ces temps d’ouverture du procès des attentats de janvier 2015 (incluant le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo) ou de caricatures plus ou moins douteuses de personnalités plus ou moins contestées ou contestables, je crois qu’un petit rappel des fondamentaux d’éthique s’avère nécessaire.

Pour commencer, on va supposer que faire le mal, ou mal agir, c’est infliger à autrui une souffrance indue (pour plus de détails, je vous invite à vous référer à mon ouvrage disponible ici ou chez votre libraire). De la même manière, une conduite immorale, c’est une conduite allant contre la morale en vigueur. M. de Lapalisse n’eût pas dit mieux, mais il est toujours bon de revenir aux fondamentaux. Allons plus loin, et intéressons-nous à l’offense et au préjudice.
Une offense est une parole ou une action blessante, selon le dictionnaire. Ainsi, l’œuvre de Gim’s ou PNL sont pour moi des offenses au bon goût de la culture bourgeoise post-rebelle…
A l’inverse, un préjudice est la résultante d’une action mauvaise, autrement dit, la résultante des conséquences d’une action infligeant une souffrance indue à autrui. Pour garder le même registre, le collègue qui écouterait Gim’s ou PNL dans l’open spacei m’infligerait un préjudice, puisqu’il m’imposerait ses goûts et me ferait subir un bruit qui m’est désagréable. Il est important de noter que le préjudice est toujours identifiable et quantifiable, alors que l’offense n’est au final qu’une question de principe ou de morale. Le préjudice est sanctionné, l’outrage est sanctionné, mais l’offense, en principe, ne l’est pas et n’a pas à l’être si elle ne porte pas à préjudice.

Et là, me direz-vous, quid des caricatures et des dessins de presse ? Et plus spécialement des caricatures des figures religieuses par la rédaction de Charlie Hebdo, par exemple ? Il faut savoir qu’il existe un truc, qui s’appelle la loi et un autre machin, qu’on appelle liberté d’expression (qui est un peu en danger, en ce moment, en raison du caractère ochlocratique des réseaux numériques). La législation française n’interdit pas la caricature ou le dessin de presse, dans la mesure où ceux-ci restent dans le cadre de la loi et ne portent pas préjudice à qui que ce soit (je vous invite à consulter les travaux de mon éminent et respecté Frère Maître Emmanuel Pierrat, qui écrit beaucoup à ce sujet). Les religieux divers, toujours prompts à invoquer « leur » liberté pour restreindre le cadre légal n’ont encore jamais réussi à faire admettre un préjudice quelconque suite à la publication de caricatures. En effet, si le blasphème peut être vu comme une offense, il n’est en aucun cas un délit en France, et, que le Grand Architecte de l’Univers me mette PNL dans la tête si je me trompe, je n’ai encore jamais vu un blasphème porter un préjudice, autrement dit, un dommage identifiable et quantifiable à qui que ce soit.
Par contre, les courageux trolls et haters anonymes qui harcèlent, intimident ou menacent, les fanatiques en tout genre, qui au nom de la religion qu’ils imaginent défendre, vont dégrader des bâtiments, agresser des personnes (comme des vendeurs de journaux) ou les assassiner, ceux-là doivent être poursuivis et sanctionnés. Car le préjudice et le mal, ce sont eux et bien eux qui le commettent. Pas les dessinateurs de presse.

Certains me demanderont alors quid de la polémique entre un hebdomadaire d’ultra-droite et leur représentation douteuse d’une députée, elle-même d’extrême-gauche, proche de la mouvance indigéniste et tenant des positions plus que discutablesii… Il appartient à ladite députée de démontrer qu’il y a bien eu préjudice et de faire la seule chose vraiment valable, qui différencie l’Etat de droit de la fosse aux lions que devient l’opinion publique : utiliser le droit de réponse d’abord, et ensuite, porter l’affaire devant les tribunaux, seuls réellement aptes à juger.

Suite aux attentats de 2015 et aux menaces régulièrement proférées contre Charlie Hebdo ou d’autres, la veuve de Wolinski, la journaliste Caroline Fourest et d’autres encore ont identifié ce qu’ils appellent « dictature de la sensibilité », phénomène qui fait qu’une publication sur les réseaux sociaux peut amener à des polémiques vaines et stériles… Et parfois à des préjudices quand un groupe quelconque appelle au cancel de telle ou telle personne ! Certains vont jusqu’à se faire les avocats d’une cause qu’ils ne connaissent pas quitte à la défendre avec de mauvais argumentsiii, etc. En fait, le problème qui se pose est, je pense, la confusion entre offense et préjudice. Parfois avec les meilleures intentions du monde, celles dont on pave les Enfers, certains vont déclencher des vagues de haine pour une simple offense, ou quelque chose qui va contre leur morale… Décidément, personne n’a compris Nietzsche !

Et nous autres, Francs-maçons, alors ? Supportons-nous d’être caricaturés, moqués, accusés du Terrible Complot Mondial et d’autres fadaises du même genre ? J’ai envie de dire oui. Tant qu’on en reste au niveau de l’offense ou de la caricature et qu’il n’y a pas à proprement parler d’attaque personnelle, nous savons en nous mettant à l’ordre, contenir le bouillonnement de nos passions. Par contre, si on commence à nous menacer des pires sévices, dégrader nos temples, ou nous agresser, là, ça devient du préjudice et on rentre dans un tout autre registre.

En fait, le monde vivrait mieux en appliquant les quelques principes développés par feu le philosophe Ruwen Ogien, inventeur de l’éthique minimalisteiv. Une éthique basée sur quelques principes simples : considérer l’Autre comme un égal, adopter une certaine indifférence morale du rapport à soi-même, et bien évidemment, ne pas chercher à nuire à autrui. Tiens, tiens, ça me rappelle nos grands principes d’égalité et de fraternité, tout ça. Pas vous ?

J’ai dit.

i Situation fictive, je précise. Je ne travaille pas en open space, heureusement.

ii Pour préserver ma bonne santé mentale et morale, je ne lis pas cet hebdomadaire, et je n’écoute pas forcément tout ce que disent les députés.

iii Ce qui est préjudiciable !

iv Je vous invite à découvrir son œuvre, notamment l’éthique aujourd’hui ou l’influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine.

Vous doutez ? Vous prenez de la valeur !

Pleins de certitudes, vous êtes trop facile à cerner puis à manipuler par les algorithmes, même politiquement. Mais si vous doutez, vous conservez votre liberté.

Notre ordre et ses instructions à chaque grade nous incitent à une étude prudente du réel ; nos chères Lumières dont bien entendu Descartes ont beaucoup fait pour la popularité du doute dans nos sociétés.

Serait-ce alors un sujet tarte-à-la-crème ? La requête Google « citation doute » ramène environ 40 millions de résultats ! En cherchant de même les citations avec « certitude » ou « croyance » on a 20 fois moins de réponses.

Est-ce à dire que nos contemporains pratiquent quasi-tous un doute prudent et suspendent sagement leurs opinions jusqu’à ce que des preuves béton soient présentées ? Nous savons bien que non, et parce qu’entre cœur et raison c’est bien souvent le cœur qui a le dernier mot…les rationalistes restent minoritaires, même chez nos frères et sœurs.

La raison agit d’abord tel un comité consultatif, et après décision l’intelligence se mue en fidèle et efficace exécutant, pourvoyeur de bonnes ou moins bonnes justifications du choix qui a été fait.

Ce lucide pessimiste de Cioran ne s’y était pas trompé lorsqu’il écrivait : il faut une grande maturité pour comprendre que l’opinion que nous défendons n’est que notre hypothèse préférée, imparfaite, probablement transitoire, que seuls les très bornés peuvent faire passer pour une certitude ou une vérité. 

Bref, nous avons tous un quota certain de croyances ou certitudes plus ou moins dures, qui correspondent à nos envies ; cela nous permet une certaine efficacité de prise de décision : pas trop d’erreurs, et pas trop de consommation d’énergie pour la prise de décision.

Ceux que nous nommerons fraternellement les « économes en énergie décisionnelle » sont nombreux. Les multinationales et les états, exploitant les Big Data, les connaissent bien. La confidentialité de leurs données leur importe peu, pourvu que la « gratuité » des services ( réseaux sociaux, télévision, etc ) soit présente.

Les multinationales les remercient en les bombardant de publicités taillées sur mesure pour leur profil psychologique, si bien qu’ils achètent pile ce qui est proposé. Elle est pas belle la vie ?

Cette méthode marche aussi en politique. Les publicités ciblées à la personne ont permis l’élection de Beppe Grillo et Matteo Salvini, et Donald Trump aux USA en 2016, pour ne nommer que les gros poissons. Euh, et les principes de la démocratie dans tout ça ?

Une des méthodes utilisées aux USA en 2016 était d’envoyer des mails décourageant d’aller voter à des opposants ( dont des afro-américains ) . Mais quelqu’un qui a réfléchi et a pris une orientation, pour ne pas dire une décision, n’est pas si facile à « retourner » que ça, ce qui augmente sérieusement le coût d’une telle opération, sans compter les risques de se « faire gauler » et démolir médiatiquement pour ces vilains agissements.

Il existe une autre cible tentante à traiter :  les indécis. C’est sur cette cible-là que les manipulateurs de 2016 concentraient leurs tirs. Bref, si vous êtes dans le doute, vous êtes en train de devenir un chouchou à séduire, et ceci vaut autant pour vos choix politiques que vos goûts en matière de consommation.

Conclusion :  ayez des pudeurs de vierge effarouchée ( comme on disait d’antan ) sur internet, et vous aurez pris de la valeur aux yeux de tous les vendeurs de soupe, qui se plieront en quatre pour vous plaire.

PS : les études comportementales ont aussi montré l’efficacité des récompenses aléatoires :  ce qui est prévisible perd son côté addictif, aussi le nombre de « like » que vous obtenez sur vos posts Facebook est éminemment variable, ce qui vous incite à chaque fois à revenir voir si votre blague géniale a plu moins ou plus que la précédente…et vous enfiler encore quelques pubs.

Donc : utilisez ceci dans l’autre sens : soyez imprévisible ! ( tous les séducteurs et –trices savent ça )

Qu’en pensez vous ?

Fahrenheit 451 (2)

Mon père est cinéphile. Un vrai de vrai, qui peut vous citer le titre du premier film de Truffaut, le nom des chefs opérateurs de Kubrick ou encore expliquer les effets spéciaux. Un authentique geek, dont la bibliothèque déborde d’ouvrages sur le cinéma. Encyclopédies, secrets de tournage, sans oublier les placards emplis de films (souvent en director’s cut, on est puriste ou on ne l’est pas) et bien évidemment, mémoires de cinéastes. Comme beaucoup de cinéphiles français, il attendait non sans impatience la publication des mémoires de Woody Allen. Quelle n’a pas été sa déception d’apprendre que la publication dudit ouvrage était reportée sine die pour des raisons que nous autres, français, ne pouvons pas vraiment comprendre. Woody Allen a été marqué du sceau de l’infamie par une partie du public américain, qui appelle au boycott de son œuvre et à l’interdiction de la publication de ses mémoires. La raison ? D’obscures histoires de mœurs, pour lesquelles il a finalement été innocenté. Dans le même esprit, JK Rowling, l’autrice de Harry Potter a été marquée de la flétrissure pour avoir tenu des propos jugés transphobes par un groupe communautaire. Ce groupe appelle donc au boycott de son œuvre.

Admettons que je trouve que les textes de PNL ou Gim’s soient contraires aux bonnes mœurs et dégradants pour les femmes. Est-ce que je peux les faire censurer et interdire qu’on invite le duo sur les plateaux au nom du féminisme, bien qu’étant un homme ? Ou puis-je me contenter de ne pas acheter leurs œuvres et les produits dérivés et de garder un avis critique ?

En allant plus loin et en lisant le nouveau numéro de Philosophie Magazine, j’ai découvert que les maisons d’édition américaines disposaient d’un délégué à la sensibilité, chargé entre autres de censurer les œuvres pour que celles-ci ne heurtent pas telle ou telle communauté. Attendez, aux USA , le pays de la liberté, les gens auraient peur de la censure, comme les russes au temps de l’URSS ? Intéressant, ça !En même temps, le politiquement correct est né dans le pays de l’Oncle Sam, je ne devrais donc pas m’étonner. Et puis, au bon vieux temps du Maccarthysme, les censeurs censuraient bon train, au point que des œuvres telles que le célèbre Lolita de Vladimir Nabokov ont dû d’abord être publiées en France avant d’être autorisées à paraître en Amérique du Nord…
A propos de censure, j’ai relu SOS Bonheur, de Jean Van Hamme et Griffo, une série BD des années 1970-1980, dans laquelle Jean Van Hamme réfléchit aux dérives de la technologie (oui, c’est Black Mirror, mais en BD et 30 ans avant). Dans cette série en anthologies, on peut y suivre entre autres l’histoire de l’écrivain Stéphane Grenier, très talentueux, disposant d’une bourse de l’État pour créer, mais dont les œuvres sont systématiquement refusées par les éditeurs, au motif qu’elles sont trop pessimistes et ne vont pas dans le sens voulu par l’Etat. Au final, le héros (publié clandestinement) est arrêté pour exercice illégal de l’écriture. J’ai beau ne pas être d’accord avec les idéaux ultra-libéraux que défend Van Hamme dans ses œuvres (Largo Winch, entre autres), je me permets quand même de vous en recommander la lecture. Ses récits sont terriblement actuelsi.

Si problème il y a, il existe une institution qui s’appelle la justice, auprès de laquelle on peut porter plainte. Et parfois, elle peut ordonner l’interdiction du produit culturel à l’origine de la plainte. Et seule la justice (en tant qu’institution) a le droit de déclarer ou non une personne coupable. Pas une foule déchaînée, comme celle que Freud qualifie de masse dans son Psychologie des Masses et Analyse du Moi. Nous bénéficions encore en France d’une certaine liberté d’expression (sinon, je ne prendrais pas le risque de publier mon coup de gueule chaque jeudi…), que nous avons très durement conquise. Pour les ignorants, songez que des auteurs comme Diderot ou Voltaire étaient contraints de publier leurs œuvres en Suisse ou aux Pays-bas, où la censure n’était pas la même ! Peut-on se permettre de perdre cette liberté d’expression au nom de la dictature des sensibilités ou de communautés non identifiées et dont on peut douter du bien-fondé des objectifs ?

Le problème que me pose la cancel culture, c’est qu’elle annihile ce qui doit être connu ou combattu et constitue le pire argument qui soit : l’argument ad personam. Ceux qui se croient malins à appeler au boycott au nom de telle ou telle communauté refusent à leur adversaire le droit de se défendre. Ca s’appelle un lynchage, et on reste bien dans les traditions américaines. Les mêmes supposent aussi que le public est trop stupide pour faire la part des choses, comprendre ou interpréter ce qu’il a entre les mains. C’est gentil de penser à moi, mais j’estime avoir l’âge et le niveau nécessaire pour me faire ma propre opinion. La preuve, j’ai bien écouté les œuvre de Gim’s ou PNL et ça ne m’a pas plu.

Nous autres Francs-maçons, nous battons pour la liberté d’expression, même si je commence à craindre une autocensure et une forme de « maçonniquement correct ». Nous estimons que tout doit pouvoir être dit ou discuté, combattu parfois sur le terrain de la dialectique. L’argument ad personam n’a donc pas lieu d’être chez nousii. Ce phénomène nouveau de cancel culture représente, à mon sens, un grave danger de censure, imposée par des groupes pas vraiment identifiés et aux objectifs plus que discutablesiii. Faire disparaître l’oeuvre d’Untel et le rendre invisible, est-ce que ce n’est pas un autodafé écologique ?

Méfions-nous des ignorants, des fanatiques et des ambitieux qui prétendent agir pour notre bien. Ces gens sont dangereux.

J’ai dit.

iIl y en a un intitulé « A votre santé », qui décrit un monde avec une assurance maladie universelle où il est interdit de tomber malade et dans lequel la santé est érigée en valeur suprême. Très très actuel…

iiY compris pour René Guénon, même si je le déplore !

iiiPour ceux que ça intéresse, je vous invite à lire cette tribune dans Marianne : https://www.marianne.net/debattons/tribunes/la-cancel-culture-assez-dure

Liberté quand tu nous tiens…

Sommes nous tous (re)devenus des enfants capricieux ? Nous ne supportons plus la moindre remarque. La difficulté de réflexion sur la durée nous menace.

J’observais mes petits-enfants s’ébattre au soleil d’août, et en les voyant défendre bec et ongles leur liberté de choix personnel à propos de tout, je me demandais pourquoi des notions comme le bien commun ou la solidarité semblent avoir perdu du terrain des pratiques quotidiennes de nos contemporains.

La fraternité s’est elle dissoute dans l’individualisme post-soixante-huitard ?

Certes, notre chère démocratie s’oblige à protéger les minorités, et la plus petite minorité c’est l’individu, comme l’indiquait Ayn Rand, après avoir vécu sous le joug soviétique.  Mais cette fois on se demande si le balancier, détaché, ne s’est pas envolé vers le côté jungle.

Jungle, parce que, réseaux sociaux et algorithmes aidant, c’est toujours l’émotion et très souvent l’émotion négative qui est stimulée, si bien que tout luxe ou tout bonheur apparent déclenche l’envie ( avec son prétexte «  il ne l’a pas acquis honnêtement » ), toute opinion déclenche sa contradiction, etc.

Arrêt sur l’image de la société qu’affichent nos écrans .

D’un côté, nous vivons dans une société dans laquelle, semble-t-il, tout est possible, donc pas de limite à nos désirs. De l’autre, il reste quelques contraintes, de moins en moins supportables,  imposées par les représentants d’une autorité résiduelle comme les élus, parlant au nom de la volonté majoritaire sortie des urnes, ou comme la police, qui possède officiellement le monopole de la violence légale, et d’autres, comme les banquiers qui gèrent nos dépenses et rentrées ( dépenses souvent plus grandes que rentrées puisque la dette ne semble pas avoir de plafond ), et les multinationales qui derrière leurs clinquantes publicités n’ont d’yeux que pour nos minces portefeuilles.

Alors, d’où vient notre rage anti-contraintes ?

En observant à nouveau les petits enfants, un premier indice apparaît . Peu après leur naissance, leurs parents veillent à ce qu’ils ne manquent de rien :  nourriture, chaleur, propreté, sécurité… Cela vient si automatiquement ( dans la plupart des cas ) que l’enfant développe une pensée magique :  mon besoin se comble avant même qu’il ne se précise dans mon esprit, et c’est parce que je suis tout puissant !

Patatras, les premières interdictions tombent un peu plus tard, et le deuil de la toute-puissance sera long et douloureux. Chez les enfants-rois on recule un peu cette échéance sans la supprimer et on ne peut exclure que cela ne la rende encore plus difficile que chez les autres enfants. Parfois même l’enfant-roi ne disparaît pas : il devient un adulte ingouvernable ( tiens tiens, un qualificatif qu’on accole parfois à notre peuple…) . Dans tous les cas, la frustration du désir non immédiatement comblé reste cuisante .

Bref, à ce stade de nos réflexions, nous voilà devant une régression du niveau moyen de maturité de nos contemporains, mais attention : c’est observable dans toutes les tranches d’âge ! On pourra leur trouver comme explications ou excuses l’implacable efficacité du marketing et des algorithmes.

Les algorithmes ? Oui, vous savez, l’exploitation de ce Big Data qui nous connaît mieux que nous-mêmes parce qu’il a enregistré tous nos like et autres clics sur la toile . L’avalanche d’informations et distractions, ajoutée à la bonne connaissance de nos façons de réagir, a obtenu que beaucoup de nos jeunes et moins jeunes vivent dans la civilisation du poisson rouge :  ce dernier a en effet une durée d’attention de 8 secondes, à comparer aux 9 secondes trouvées par une étude d’un échantillon de jeunes américains ( non , on ne ricane pas sur le dos de nos amis d’outre-Atlantique ! ).

Soit, mais n’y a-t-il pas autre chose ?

Il y a plus de cent ans déjà, le sociologue Durkheim analysait les statistiques des suicides et détectait des hausses des taux de suicide pendant les récessions économiques mais aussi pendant les périodes de boom économique. Il découvrit le point commun des deux hausses en question :  l’anomie, ou absence de norme, c’est-à-dire qu’il s’agissait de périodes pendant lesquelles les désirs compris comme réalisables et la réalité telle que vécue dans le présent étaient trop éloignés les uns des autres. Cette caractéristique, nous l’avons évoquée à propos de l’époque actuelle puisque tout est présenté comme possible, tandis que dans la réalité les plafonds de verre existent partout.

Comment calmer nos contemporains, enfants éblouis par tant de promesses mais en difficulté dès qu’un effort long est nécessaire pour atteindre un objectif digne du nom, comme tailler sa pierre ?

Il me semble important de commencer par bien s’approprier cette réalité de nos faiblesses mentales face au monde qui nous entoure : la lucidité est le premier pas, et ensuite gouverner c’est prévoir. Qu’en pensez vous ?

De l’esprit des lois en 2020

Je comptais prendre des vacances, mais les Mauvais Compagnons n’en ont pas pris, eux. Je ne pourrai donc pas profiter de la trève estivale en confiance et en sérénité. La situation est grave, vraiment grave, et des choses doivent être mises au point. Avant d’aller plus loin, je crois important de faire un rappel sur l’histoire des institutions de notre beau pays.

Mais avant, un petit avertissement pour les âmes sensibles : ce billet va contenir des éléments politiques, parfaitement assumés. Si ça ne vous plaît pas, je vous invite à passer votre chemin et à ne pas me mettre de commentaires me reprochant que c’est trop politique pour vous. Vous aurez été prévenus.

Revenons à nos moutons. En 1789, le régime absolutiste est renversé pour être remplacé par un régime constitutionnel. La Constitution est elle-même basée sur les travaux de notre Frère Montesquieu, qui voyait la stabilité et la prospérité d’un régime politique basées sur la séparation nette des pouvoirs : un pouvoir législatif pour rédiger les lois, un pouvoir exécutif pour les faire appliquer et un pouvoir judiciaire pour sanctionner les écarts. Le pouvoir législatif est composé des élus du peuple (bon à l’époque, c’était plutôt la bourgeoisie, mais ne pinaillons pas), le pouvoir exécutif est composé des fonctionnaires des administrations diverses, qui produisent des normes et les font respecter en rapport avec la loi. Enfin, le pouvoir judiciaire est composé de l’institution judiciaire (police et tribunaux entre autres).

Une démocratie en bonne santé nécessite que ces trois pouvoirs soient strictement indépendants, et explique pourquoi il est très mal vu que le Parquet ait des connexions douteuses avec le pouvoir politique… De la même manière, un élu ne doit pas instrumentaliser l’administration pour son seul profit. C’est un délit, passible de prison (sauf dans certaines zones de non-droit ou territoires perdus de la République tels que les Hauts de Seine).

Notons également que les travaux de notre Frère Montesquieu recoupent les idées développées dans les écrits de Polybe, cet homme de lettres romain, qui avait décrit les 3 régimes possibles : monarchie, aristocratie, démocratie et leurs 3 déviances : autocratie, oligarchie et ochlocratie, et de Lycurgue, législateur grec, auteur de la constitution de Sparte.

Donc petit rappel d’instruction civique (cette matière oubliée que peu d’entre nous connaissent) : dans une démocratie, la loi est écrite par le Parlement. Elle peut être proposée par le gouvernement, mais doit être votée par les représentants du peuple, sauf dans des cas particulier, comme une guerre. On pourra alors trouver abusif l’utilisation d’articles constitutionnels à utiliser en temps de guerre pour faire passer rapidement disons, une réforme du code du travail ou une réforme des retraites dont personne ne veut, mais c’est une autre histoire. Enfin, Montesquieu avait remarqué que tout homme doté du pouvoir risquait d’en abuser. Il avait donc réfléchi à organiser pour chaque pouvoir un contre-pouvoir pour limiter les abus.

J’en viens maintenant à l’objet de mon ire. A l’occasion d’une visite en Haute-Marne, un homme, ministre de l’Intérieuri a déclaré que « c’est la police de la République, la gendarmerie, les forces légitimes d’intervention des forces de l’ordre qui font la loi dans notre pays ». Certes, il y a un contexte : l’arrestation de ressortissants prêts à en découdre dans une histoire de guerre de clans etc. Mais ces mots sont graves, très graves. Ils témoignent de l’ignorance de ceux qui nous dirigent. Ce n’est pas à l’administration ou à la police de « faire la loi », c’est bien au Parlement et à personne d’autre, à moins qu’on ne soit dans un état policier ou totalitaire. Le rôle de l’exécutif est d’appliquer, de respecter et de faire respecter la loi. J’ai du mal à admettre que nos dirigeants ne sachent pas faire cette distinction fondamentale. Pour l’exemplarité des dirigeants, mention peut mieux faire.

Il semblerait que dans les instituts d’études politiques, on ait non seulement oublié les fondamentaux comme Montesquieu, mais aussi négligé les travaux de philosophes contemporains comme Hannah Arendt. Petit rappel, doncii : Hannah Arendt définit le totalitarisme comme le maintien à tout prix de la cohérence d’un ordre du monde mensonger, et l’état totalitaire comme un Etat orienté vers le soutien du régime, dans lequel le pouvoir est aux mains de la police secrète. Affirmer que « la police (…) [fait] la loi » est donc une grave erreur traduisant une large méconnaissance des institutions, ou bien l’aveu que nous avons basculé vers un état totalitaire et que le gouvernement s’est fait déborder par son administration, ce qui n’augurerait rien de bon… Peut-être que je m’angoisse pour rien, nous n’en sommes bien évidemment pas encore là, mais des choses doivent nous alerter : le Parlement n’est plus qu’une chambre d’enregistrement inféodée à l’exécutif (et je ne parle pas de l’Europe, mais bien de notre beau pays), la justice voit ses moyens et ses compétences toujours diminués, j’en veux pour preuve les dispositions d’exception de l’état d’urgence entrées dans le droit commun ou encore les aménagements des tribunaux, et les règlements de moins en moins favorables aux justiciables.

Notre exécutif veut se débarrasser de ses contre-pouvoirs et « prendre le lead » pour notre bien, visiblement.

Mais alors, me direz-vous, que peut la Franc-maçonnerie face à ces dérives que nous observons ? La réponse est : absolument rien. En fait, la Franc-maçonnerie n’est plus un sujet politique et ne pourra pas grand-chose. Qui plus est, la Franc-maçonnerie est plurielle, et donc divisée en différentes fédérations ou obédiences. Il n’y a donc pas à proprement parler de bloc compact. Par contre, les Francs-maçons peuvent individuellement agir : décoder et alerter sur les dérives et les abus du pouvoir, informer, dialoguer. Les Rites maçonniques et les travaux symboliques agissent sur nous comme éveilleurs de conscience et peuvent nous donner une certaine lucidité.

Pour ceux qui estiment que nous n’avons pas à faire de politique, je tiens à leur rappeler que la Franc-maçonnerie a pour but d’améliorer l’Homme et la Société. Or, selon ma vieille amie Hannah Arendt, si nous voulons agir, il nous faut être politiques et nous impliquer, chacun à notre manière, dans la vie de la Cité et ainsi porter au dehors l’oeuvre commencée au dedans. Peut-être que de cette manière, on se débarrassera de la clique d’ignorants, de fanatiques et d’ambitieux qui prétendent nous diriger.

Vigilance et persévérance.

J’ai dit.

ihttps://www.francetvinfo.fr/politique/gerald-darmanin/aucune-communaute-sur-le-sol-de-la-republique-ne-fait-sa-loi-declare-gerald-darmanin-a-saint-dizier-sur-fond-de-tensions-avec-la-communaute-tchetchene_4076599.html

iiHannah Arendt, la nature du totalitarisme, Petite bibliothèque Payot, 2018

Le Un, concept unique … mais pourquoi ?

Nous francs-maçons adorons le Un : ne citons que la chaîne d’Union . Il en existe des raisons profondes.

Nous discutions l’autre jour entre frères et sœurs, et je fus frappé par ces paroles : «  Ne crois tu pas qu’il y a un seul grand Tout ? »

Je ne pus m’empêcher de jouer au mécréant scientiste en répondant : «  Et pourquoi pas deux ? »

Tout de même, si je puis me permettre, en franc-maçonnerie, « Un » c’est le Mot-compte-triple. On le rencontre dès le premier grade avec la synthèse qui clôt thèse-antithèse avec un retour à l’unité.

On le rencontre encore dans la chaîne d’union forgeant l’unité locale d’une loge. La même unité se retrouve, en globalisant, dans l’universalité de l’ordre, et dans l’unité spirituelle créée par la fraternité…bref la liste symbolique est longue.

Nos doxas contemporaines reviennent quelque peu en arrière par rapport à cet unitarisme : éloge de la (bio)diversité, de l’enrichissement par la diversité ( Saint Ex, si tu nous regardes..) , de l’Altérité…

Pouvons nous expliquer ce succès du Un ?

Et ceci  sans vouloir faire de pub pour ce chouette journal qu’est le « Un » d’Eric Fottorino et ses équipes ?

Grattons un peu.

D’abord, rappelons nous que nous aimons les images et les histoires simples et nettes. Simples, ça veut dire faciles à comprendre, avec les bons ( moi ) et les mauvais ( d’autres ) . Nettes, ça veut dire qu’il n’y a pas de trous dans la narration, pas de phénomènes non expliqués.

Pourquoi ce goût des belles histoires ? Parce qu’elles servent à rassurer, et qu’il est donc nécessaire qu’on ne laisse pas de zone d’ombre susceptible d’abriter un démon prêt à fondre sur nous.

OK donc, mécanisme de protection contre l’angoisse : une histoire lisse unique = tout a son explication et je n’ai rien à craindre.

Et si on reprenait nos vieux grimoires que sont les écrits d’un certain Sigmund Freud ? Celui-ci ramenait beaucoup de nos dadas à des problèmes ( réels ou supposés ) subis dans l’enfance, et en particulier le manque d’amour.

La réaction inconsciente de l’enfant en manque d’amour est ( disait le père Sigmund ) de vouloir retourner dans le sein maternel pour y retrouver chaleur et protection :  en somme recréer l’Unité originelle… tiens tiens.

Alors, qu’en pensez vous ?

Le siècle des Lumières a-t-il réellement diffusé la Lumière pour tout le monde ?

Il existe un mythe, que vous connaissez tous, selon lequel nous n’utiliserions que 10% de notre cerveau. Il s’agit évidement d’une légende urbaine. Les scientifiques ont démontré depuis longtemps le contraire. Notre cerveau dans sa totalité est exploité, mais son potentiel d’évolution est encore colossal, ce qui est grandement différent.

Ce que ne disent pas nos amis de la science et c’est dommage, c’est que le monde qui nous entoure est constitué de millions de couches qui vont de l’infiniment petit à l’infiniment grand. Nos sens, si chers au second degré de notre Art maçonnique, ne perçoivent qu’une infime partie de ce qui est dans notre Univers. Par ailleurs, et ça personne n’en parle non plus, c’est que nos sens ne peuvent pas percevoir ce qu’ils ne connaissent pas encore, ils sont limités au monde connu.

Prenons un exemple, montrez des triangles, des équerres et des compas parmi d’autres figures géométriques à des profanes, ils passeront à côté sans les distinguer, car leur cerveau n’a pas été programmé, ni sensibilisé à ces figures. Cette fonction  cérébrale se nomme le Système d’Activation Réticulaire.  C’est en quelque sorte ce qui permet à une femme enceinte d’en voir dans toutes les rues ou pour vous mes Frères de voir débarquer de partout des voitures identiques à votre prochain achat de véhicule. Il s’agit tout simplement d’une sensibilité d’attention qui n’existait pas avant sur un sujet défini.

Imaginons un instant toute la masse d’informations générées toutes les secondes dans le monde. Le nombre de naissances, de morts, de rencontres, de séparations, d’accident, d’heureuses nouvelles, de maisons construites et d’autres abattues. Pensez à tous les événements individuels parmi les 1000 milliard d’espèces qui pourraient exister sur la terre. Et nous ne parlons pas du reste de l’univers.

Ainsi, la référence du savoir universel de Diderot et D’Alembert matérialisé par L’Encyclopédie de 1772 avec ses  17 volumes de texte, 11 volumes de planches et 71 818 articles fait office de petit carnet de notes quand on imagine ce que l’univers recèle tous les jours comme informations naissantes et mourantes.

Dans cette masse incommensurable d’information, les 10 millions de français qui se nourrissent du JT de TF1 se croient informés car ils ont été renseignés sur 5 pauvres événements de la journée, quelle rigolade.

En résumé, notre cerveau perçoit le micron d’un milliardième des informations de ce qui se déroule dans le monde et dans notre suffisante outrecuidance, nous pensons être intelligents et surtout informé. Quelle audace !

Alors, il est possible que dans quelques décennies, nos cerveaux se connectent à des supers ordinateurs qui nous fournissent en temps réel des informations à n’en plus finir. Nous pourrons ainsi nous venter de savoir enfin.

Ce sera un merveilleux progrès. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que nos peurs seront toujours les mêmes. Notre cupidité sera toujours la même. Notre orgueil sera toujours le même. Sur une terre où le QI moyen sera celui de Elon Musk ou de Bill Gates, si nos passions sont toujours nos Maîtres, quel sera l’intérêt de tout ce chemin technologique ?

Chaque grande entreprise est doté d’un Président, d’un directeur financier, d’un patron du marketing ou de la recherche, mais quelle est l’entreprise qui s’est doté d’un contre pouvoir puissant composé de sages ? Quelle Obédience maçonnique est structurée autour d’un Grand Maître administratif pour gérer la politique et d’un Guide sage qui conduirait tout le monde sur la voie du bonheur, plus que celle du succès ?

Il nous reste encore du chemin… mais je ne suis pas certain qu’on soit sur la bonne route.

Bonne soirée à bientôt

Ma Loge-mère en 2020

D’après Rudyard Kipling. Toute ressemblance etc. Les prénoms ont été changés.

Il y avait S :., le chef de choeur,
G :., de l’énergie,
Y :. , de la logistique,
J :.-P :., de l’informatique,
A :., l’amoureux des livres,
Et F :., le philosophe,
Qui fut deux fois notre Vénérable,
Et aussi Jean l’Ancien, le maître menuisier
Qui façonna nos équerres et nos maillets.

Dehors, on se disait : « Sergent, Monsieur, Salut, Salam ».
Dedans c’était : « Mon frère », et c’était très bien ainsi.
Nous nous réunissions sur le niveau et nous nous quittions sur l’équerre.
Moi, j’étais Expert dans ma Loge-mère, là-bas !

Il y avait encore Fr :., le comptable,
R :., le juif d’Oran,

Toujours de bonne humeur,
P :., l’architecte au soleil,

Toujours la main tendue,
Le sieur Jacques L :., mon parrain et maître,
J :.-P :. le rouge,
Et R :., des escales de réparation,
Le Catholique romain.
H :. mon filleul, le jeune harmoniste,
qui relie le présent au passé
R :. son jumeau, le jeune architecte, son complice,
Féru d’histoires et d’Histoire,
F :. l’ancien, l’ancien architecte et poète,
O :. le graphiste, notre secrétaire,
ajoutant la beauté à l’efficacité
J :. le médecin des esprits,
F :. le kiné, soigneur des corps et des âmes
L :. l’ingénieur, tout fait d’équerres
T :. le héros et artiste,
et tant d’autres que la vie a éloignés.

Nos décors n’étaient pas riches,
Notre Temple était vieux et dénudé,
Mais nous connaissions les anciens Landmarks
Et les observions scrupuleusement.
Quand je jette un regard en arrière,
Cette pensée, souvent me vient à l’esprit :
« Au fond il n y a pas d’incrédules
Si ce n’est peut-être nous-mêmes !

Car, quand nous pouvions, après la tenue,
Nous nous réunissions pour dîner et causer. Causer surtout.
Nous osions faire de banquets
Sans peur d’enfreindre le régime de certains frères.
Et nous causions à cœur ouvert de religion, de politique et d’autres choses,
Chacun de nous se rapportant
A ce qu’il connaissait le mieux.
L’un après l’autre, les frères prenaient la parole
Et aucun ne s’agitait.
L’on se séparait à la nuit, quand fermaient les transports
Et le maudit métro porte-fièvre ;

Comme après tant de paroles
Nous nous en revenions à pied ou VTC,
Platon, Dieu et Karl Marx
Jouaient étrangement à cache-cache dans nos têtes.

Bien souvent depuis lors,
Mes pas errant au service du Gouvernement,
Ont porté le salut fraternel
De l’Orient à l’Occident,
Comme cela nous est recommandé,
De Toulon à Valenciennes,

De Gramat à Paris,
Mais combien je voudrais les revoir tous
Ceux de la Loge-Mère, là-bas !

Comme je voudrais les revoir,
Mes frères de tous horizons,
Et sentir le parfum des bières, des panachés et des Monacos
Pendant que circulent les serveurs,
Et que le Maître des Cérémonies s’active,
Pour nous réunir sur le parvis
Et me retrouver parfait Maçon
Une fois encore dans ma Loge d’autrefois.

Dehors, on se disait : « Sergent, Monsieur, Salut, Salam ».
Dedans c’était : » Mon frère « , et c’était très bien ainsi.
Nous nous réunissions sur le niveau et nous nous quittions sur l’équerre.
Moi, j’étais Orateur dans ma Loge-mère, là-bas !

Vous me manquez tous !