Le mythe du bon sauvage est secoué dans ces lignes ; l’archéologie du 21e siècle montre que rien n’est inéluctable : bonne nouvelle !
Chez nous les Francs-maçons, on peut dire « au commencement était la Bible ». Et celle-ci commence par la Genèse, elle-même débutant avec la description du Paradis, qu’Adam et Eve perdront dans les circonstances frugivores que nous connaissons. A la lecture de l’aventure comme rédigée, par Moïse semble-t-il, on n’ose trop dire qu’Eve était bonne fille, un peu trop copine avec le serpent, toussa…
Adam n’était pas trop « futt-futt », mais fondamentalement, c’était un bon gars, juste un peu sauvage. Un bon sauvage, tiens, ça nous rappelle un célèbre texte : « Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ». Cette dissertation date de 1754.
JJ Rousseau
Elle est signée Jean-Jacques Rousseau et affirme l’état d’innocence originelle de l’homme.
Cela entrait en contradiction avec ce que racontait Thomas Hobbes dans son « Léviathan », en 1651 déjà. Il soutenait que l’homme est profondément égoïste de nature et que les dispositifs répressifs de l’État sont nécessaires pour que la vie en société reste possible.
Bien plus tard, le sciences humaines (histoire, anthropologie, archéologie) ont tenté de chercher quelle thèse se rapproche le plus de la vérité. Jusqu’il y a peu, le gagnant c’est Rousseau, donc aussi la Bible et sa Genèse. Décrit ainsi, ce n’est pas très étonnant !
Sapiens – Yuval Noah Harari
Deux synthèses majeures récentes : Homo Sapiens, de Yuval Noah Harari, et le Triomphe des Lumières, de Steven Pinker.
Ce dernier est actuellement en première ligne pour défendre Harvard contre les trumpistes.
Le livre de Pinker décrit comme une réussite les processus civilisationnels de la zone territoriale et la période historique dotée de l’écriture. La réussite tient essentiellement à une réduction de la violence mesurable. Certains ont objecté que dans d’autres zones, notamment les zones marginales, l’image est bien moins idyllique. Et ce que nous voyons dans notre quotidien ( retour des empires, guerres hybrides, communautarisme…) ne nous incite pas à dormir sur nos deux oreilles.
Épris de liberté et d’égalité, nous voyons encore beaucoup d’inégalité, de domination, dans notre monde actuel. La société est devenue si complexe qu’elle nous semble bloquée : c’est l’enfer, bien que toujours pavé de bonnes intentions affichées.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Le narratif simplifié ( mythe ) est linéaire :
1/ le paléolithique = l’Éden = les chasseurs-cueilleurs ; 2/ le néolithique = l’agriculture = stockage des excédents = capitalisme = hiérarchies verticales = villes ; 3/ on civilise les villes, on extrapole à l’État.
David Graeber
Un livre a été écrit par deux David (mais ne se veut pas une nouvelle bible) : « au commencement était… » L’un était anthropologue (et anar), David Graeber, l’autre archéologue, David Wengrow.
Le narratif linéaire date en fait du 20e siècle, époque où on connaissait peu les périodes paléo- et néolithiques, par manque de documents écrits. L’interprétation des sites archéologiques est plus difficile, mais les décennies récentes ont vu les découvertes importantes s’accumuler, permettant de corriger les interprétations antérieures un peu rapides (ou idéologiques).
Le mérite du livre des deux David, c’est de porter pas mal de ces éléments au grand public.
Voici quelques un de ces faits notables, et qui secouent le mythe régnant.
D’abord, parmi les conquérants du nouveau monde, il y avait ceux qui étaient chargés de bien le comprendre et d’en ramener la substantifique moelle à leurs supérieurs en Europe. Cela incluait les religieux. Presque tous se sont de manière récurrente étonnés. Ils découvraient chez les « sauvages » une incroyable maîtrise des notions abstraites que nous nommons actuellement « valeurs ». Oui, celles qui nous tiennent si fort à cœur dans nos enseignements et travaux maçonniques. De plus, la plupart des sauvages disposait d’une éloquence qui faisait vaciller leurs interlocuteurs européens.
Kandiaronk
C’est au point que plusieurs (dont le chef huron Kandiaronk) ont été invités en Europe. Pourquoi ? Afin de défendre eux-mêmes leur point de vue en Europe. Devinez qui s’est arrangé à cette occasion pour échanger avec eux à propos des notions philosophiques ? Nos Lumières, bien sûr.
Notre duo de Davids a effectué une relecture des comptes-rendus de l’époque. Découverte : les systèmes de vie de plusieurs tribus étaient, en termes de libertés individuelles et de démocratie, proches de notre société démocratique. En fait, bien plus proches de la nôtre que de celle de nos ancêtres de l’époque des conquêtes.
Linéarité du narratif mise à mal : guerre des mythes
Il y a eu des villes sans agriculture, des villes « égalitaires », sans hiérarchie héréditaire avec pouvoir sans limites. Il y a aussi eu des zones qui ont abandonné l’agriculture, ou les hiérarchies liberticides. Bref, un gros foisonnement. Une partie du foisonnement est attribuée à la « schismogénèse», qui est aux tribus ou chefferies contiguës ce qu’est l’esprit de contradiction aux individus. Il était donc très fréquent d’avoir des mœurs radicalement différentes entre deux peuplades qui se connaissaient bien, mais chacune « persistant et signant » ses choix.
Devons-nous réviser d’autres croyances ?
Francis Fukuyama
Cela commence par la question initiale : la société actuelle est-elle vraiment non déblocable ? Non, puisque beaucoup de systèmes se sont succédé et dans des sens parfois opposés, et durant des périodes notables. Cela montre que presque tous les systèmes peuvent fonctionner dans la durée. Mais il faut retenir que l’esprit de contradiction rôde toujours et qu’il n’y aura pas de « fin de l’histoire » telle celle de Fukuyama.
L’archétype du sauvage hirsute analphabète est repoussé bien loin dans les millénaires. Il laisse la place à des gens « comme nous » même avant le néolithique.
Désigner le meilleur système sociétal pour les humains reste une gageure, malgré la multiplicité des systèmes qui ont coexisté. Toutes les nuances entre individualisme et collectivisme semblent avoir été testées quelque part. Il en va de même pour les régimes patri – ou matrilinéaires, idem pour les stratifications de classes sociales, etc.
Nos deux David ont quelque part échoué à mettre le doigt sur une origine simple de l’inégalité. Et à voir l’ininterrompue succession des systèmes différents, il reste impossible de prédire de quoi après-demain sera fait.
Bref, restons vigilants et persévérants ! Et soyons rassurés : le pire n’est pas certain, et nous avons un peu de prise sur notre destin.
De notre confrère elnacional.com – Par Mario Múnera Muñoz PGM
Le mal, cette prédisposition humaine à privilégier l’intérêt personnel au détriment de la loi morale, comme le définissait Emmanuel Kant, est une réalité omniprésente dans notre monde. De l’individu aux huit milliards d’habitants de la planète, nul n’échappe à cette inclination, qu’elle se manifeste par de simples pensées malveillantes ou par des actes aux conséquences dévastatrices. Comme le souligne le texte, « nous vivons sous son joug », et les conflits qui déchirent le monde – qu’ils soient individuels ou collectifs – témoignent de cette barbarie qui freine l’élévation de notre conscience.
Pourtant, des institutions comme la Franc-maçonnerie, le bouddhisme ou les grandes traditions religieuses offrent des voies pour transcender le mal, en s’appuyant sur des méthodes symboliques et une quête de connaissance. À travers ce prisme, explorons la nature complexe du mal, ses origines, et les moyens de le combattre, notamment dans le cadre initiatique de la Franc-maçonnerie.
Le mal : une notion philosophique et éthique
Le mal est un sujet de réflexion philosophique depuis des siècles. En éthique, branche de la philosophie qui étudie la moralité, le mal se définit comme l’opposé du bien, une violation des principes moraux ou une absence de ce qui est juste. Le texte le formule avec clarté :
« Le mal se définit fondamentalement comme le déni, l’absence ou la violation de ce qu’une morale particulière considère comme ‘bien’ ou ‘juste’. »
Mais cette définition est loin d’être universelle. Ce qui est jugé mal dans une culture peut être célébré dans une autre, car « ce qui est bon ici est mauvais ailleurs ». Les lois et les coutumes locales, comme le note l’auteur, façonnent notre perception du mal, rendant la justice et la moralité relatives et dépendantes des contextes.
Philosophiquement, le mal est souvent comparé à une absence, une ombre qui surgit là où la lumière du bien est absente.
« Le mal, pourrait-on comparer, est l’absence de bien, tout comme la nuit est l’absence de jour, de lumière »
explique le texte. Cette métaphore résonne avec les enseignements maçonniques, où la lumière – symbole de connaissance et de vérité – est au cœur de la quête initiatique. Mais le mal est aussi un phénomène multiforme, motivé par des forces comme l’ego, l’ignorance et le ressentiment. Il n’est pas une maladie, mais une attitude, un choix conscient ou inconscient qui cause souffrance, injustice et destruction.
Les origines du mal : entre psychologie et dualité
L’origine du mal est une question complexe qui divise les penseurs. D’un point de vue psychologique, le mal peut résulter de facteurs comme un environnement social malsain, des traumatismes infantiles, le narcissisme ou une ambition excessive. Le texte cite des causes telles que « l’ego, le pouvoir, les traumatismes infantiles », qui poussent les individus à agir contre la loi morale. Mais il rejette l’idée que le mal provienne d’une source universelle ou divine, affirmant :
« Ce dont je suis certain, c’est qu’il ne trouve pas son origine dans la Grande Énergie Universelle ni dans le Tout. »
Lune et Soleil
Une autre perspective, centrale dans le texte, est celle de la dualité, une loi absolue qui régit notre existence terrestre. « Sur ce plan, tout a son contraire : beau-moche, mince-gros, grand-petit, paradis-enfer, blanc-noir, paix-guerre, ignorance-connaissance, bonté-humiliation », énonce l’auteur. Le mal, dans cette vision, est l’opposé du bien, une force qui existe parce que nous vivons dans un monde de contrastes. Mais cette dualité n’est pas une fatalité : elle est un défi à transcender. Le texte propose une distinction intéressante : si le mal est un problème psychique, la bonté, elle, vient du plus profond de notre être, forgée à travers « de nombreuses vies antérieures, où l’être a cherché à élever son niveau de conscience ». Cette idée d’élévation spirituelle est au cœur de la démarche maçonnique, où l’initié travaille à polir sa pierre brute pour révéler la lumière intérieure.
La société et le mal : une corruption de la bonté naturelle ?
JJ Rousseau par Quentin de la Tour
Jean-Jacques Rousseau, cité dans le texte, apporte une perspective éclairante sur l’origine du mal. Dans Du contrat social (1762), il soutient que « les êtres humains naissent intrinsèquement bons, et c’est la société qui les pervertit ». Selon Rousseau, l’homme à l’état de nature est naturellement bon, compatissant et libre. Mais la société, avec ses inégalités, ses institutions et ses conventions – comme la propriété privée – introduit l’ambition, l’égoïsme et l’hypocrisie, corrompant cette bonté originelle. Cette vision, bien que romantique, offre un contraste intéressant avec des penseurs comme Thomas Hobbes, qui, dans Le Léviathan (1651), dépeint l’homme comme naturellement égoïste et violent, nécessitant un contrat social pour contenir ses instincts.
Le texte nuance cette opposition en proposant une vision équilibrée : « Plutôt que de considérer les êtres humains comme intrinsèquement bons ou mauvais, il est peut-être plus juste de les considérer comme intrinsèquement sociaux et dotés d’un potentiel à la fois bon et mauvais. » La société joue un rôle clé dans la canalisation de ce potentiel. Une société juste et équitable, fondée sur des valeurs positives, peut favoriser la coopération et un comportement éthique, tandis qu’une société inégalitaire ou oppressive peut exacerber les tendances au mal.
La Franc-Maçonnerie face au mal : une quête d’équilibre et de lumière
La Franc-maçonnerie, en tant qu’institution initiatique, se consacre à ouvrir la conscience de ceux qui aspirent à la liberté. Comme le note le texte,
« il existe sur Terre de nombreuses institutions qui se consacrent à la tâche difficile d’essayer, par des méthodes symboliques et la connaissance, d’ouvrir la conscience ».
Dans le cadre maçonnique, le mal est vu comme un voile qu’il faut lever pour élever son niveau de conscience. Les rituels, riches en symboles, enseignent à l’initié à transcender la dualité et à cultiver des vertus comme l’humilité, la bienveillance et la compassion.
Le cabinet de réflexion, par exemple, confronte le profane à des symboles qui l’appellent à méditer sur sa propre nature et sur les forces qui le gouvernent – y compris ses inclinations au mal. L’équerre et le compas, symboles fondamentaux de la Franc-maçonnerie, rappellent l’importance de l’équilibre : l’équerre pour la rectitude morale, le compas pour la mesure et la maîtrise des passions. Le texte le souligne avec justesse : « Le mal peut être combattu, même s’il ne peut peut-être jamais être complètement éradiqué, et ce processus, inévitablement, passe aussi par la recherche d’un équilibre. »
Cet équilibre se manifeste par des pratiques comme le non-attachement et le détachement, des concepts que la Franc-maçonnerie partage avec le bouddhisme. En se détachant de l’ego, du pouvoir ou de l’ambition, le maçon apprend à agir avec bienveillance et compassion, des vertus qui sont les antidotes naturels au mal. Pierre Dac, Frère maçon et humoriste, incarnait à sa manière cette légèreté face aux pesanteurs humaines : en riant des travers de l’ego, il rappelait que la vraie lumière vient de l’humilité et de la fraternité.
Combattre le mal : un engagement collectif et initiatique
Le texte propose une voie pour combattre le mal :
« On le combat par la ‘bienveillance’ et la ‘compassion’, et tout cela repose sur le ‘non-attachement’ et le ‘détachement’. »
Cette approche, qui met l’accent sur des valeurs positives, est au cœur de la démarche maçonnique. En cultivant l’humilité et en se détachant des désirs égoïstes, l’initié contribue à construire un monde plus juste et plus compatissant, où le mal a moins de place pour s’épanouir.
Mais cet engagement ne se limite pas à l’individu. Comme le souligne Rousseau, la société joue un rôle crucial dans la formation des comportements. La Franc-maçonnerie, en tant qu’institution, a une responsabilité : promouvoir des valeurs éthiques et fraternelles qui contrebalancent les dérives du monde profane. En Loge, les Frères et les Sœurs apprennent à travailler ensemble, à s’écouter et à s’entraider, créant un microcosme de la société idéale que Rousseau appelait de ses vœux.
Un chemin vers la lumière
Le mal, dans toute sa complexité, reste un défi pour l’humanité. Ni la philosophie, ni la psychologie, ni les religions ne s’accordent sur une réponse définitive à son origine ou à sa nature. Mais une chose est certaine : il est une ombre qui ne peut être dissipée que par la lumière – lumière de la connaissance, de la bienveillance et de la compassion. En Franc-maçonnerie, cette quête de lumière est au cœur de l’initiation. En transcendant la dualité, en se détachant de l’ego et en cultivant l’humilité, l’initié œuvre à lever le voile du mal pour révéler la beauté profonde de l’être.
« Les ouvriers d’Hiram Abiff », en travaillant à la construction du temple intérieur, nous rappellent que le mal n’est pas une fatalité. Il peut être combattu, non pas par la violence ou le jugement, mais par un engagement sincère envers des valeurs universelles. Comme le disait Jean-Jacques Rousseau, c’est la société qui pervertit la bonté naturelle de l’homme – mais c’est aussi la société, lorsqu’elle est guidée by des principes éthiques, qui peut la restaurer. Que chaque maçon, dans sa quête de lumière, contribue à ce monde plus juste et plus fraternel, où le mal, s’il ne disparaît jamais complètement, est relégué à l’ombre d’une conscience éveillée.
Vénérables Maîtres, Très Chers Frères Députés, Mes Très Chers Frères,
Ces derniers jours, plusieurs d’entre vous ont exprimé, avec sincérité et gravité, leur émotion face à la tragédie qui frappe les populations civiles au Proche-Orient, et leur interrogation sur l’absence de la Grande Loge de France parmi les signataires d’un appel maçonnique à la paix diffusé publiquement.
Je tiens à préciser que notre Obédience n’a pas été sollicitée pour participer à la rédaction ni à la diffusion de ce texte. Nous en avons pris connaissance comme chacun, avec une conscience vive de la souffrance des peuples et de la complexité des événements.
Depuis toujours, la Grande Loge de France se veut une voix singulière et libre dans le paysage maçonnique. Nous nous exprimons rarement, mais avec un sens aigu de la mesure et de la responsabilité. Nous refusons toute parole précipitée ou alignée, car nous croyons que notre force réside dans notre fidélité à la méthode initiatique, à la transmission patiente, à la profondeur de la réflexion. Cela ne signifie pas l’indifférence. Bien au contraire ! Nous condamnons avec fermeté toute atteinte à la dignité humaine, toute forme de fanatisme, toute violence faite aux innocents, quels qu’ils soient, où qu’ils soient. Notre engagement pour la Fraternité ne connaît ni frontière, ni préférence, ni silence complice.
Mais nous savons aussi que la paix véritable ne naît pas des injonctions publiques. Elle se construit dans le cœur des Hommes, dans la voie intérieure de l’initiation, dans l’écoute, le dialogue, l’intelligence, l’exigence morale.
C’est dans cet esprit que je remercie les Frères qui ont partagé leurs doutes, leurs attentes, leur vigilance fraternelle. Vos lettres sont la preuve que notre Obédience est vivante, consciente, habitée. Nous ne faisons pas de bruit. Mais nous œuvrons, inlassablement, pour que la lumière ne s’éteigne jamais tout à fait.
Nous qui cherchons à vivre en disciples de la Sagesse, savons que les douleurs de ce monde ne trouveront d’apaisement que si la rigueur des positions s’accompagne d’un souffle de compassion, et si la pensée, même dans l’épreuve, demeure tendue vers la fraternité.
Alors, je vous invite à continuer à faire rayonner nos valeurs là où vous êtes, par l’exemple, par la parole juste, par le respect de chacun. Car chaque Franc-Maçon, dans son Atelier comme dans la cité, peut être un artisan de réconciliation.
Veuillez recevoir, Vénérables Maîtres, Très Chers Frères Députés, mes Très Chers Frères, mes chaleureux sentiments fraternels.
« Savoir si l’homme est libre ne m’intéresse pas. Je ne puis éprouver que ma propre liberté. Sur elle, je ne puis avoir de notions générales, mais quelques aperçus clairs. Le problème de la « liberté en soi » n’a pas de sens. Car il est lié d’une toute autre façon à celui de Dieu. Savoir si l’homme est libre commande qu’on sache s’il peut avoir un maître. L’absurdité particulière à ce problème de la liberté lui retire en même temps tout son sens. Car devant Dieu, il y a moins un problème de la liberté qu’un problème du mal. On connaît l’alternative : ou nous ne sommes pas libre et Dieu tout-puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables mais Dieu n’est pas tout-puissant. Toutes les subtilités d’écoles n’ont rien ajouté ni soustrait au tranchant de ce paradoxe »
Albert Camus (Le Mythe de Sisyphe. 1942)
Villeblevin dans l’Yonne, le 4 janvier 1960 : un accident de voiture, banal et tragique amène la mort de tous les passagers. Dans les victimes figurent le célèbre éditeur Gaston Gallimard qui conduisait le véhicule et le philosophe Albert Camus, dont l’oeuvre littéraire fut couronnée en 1957 par le prix Nobel de littérature. Dans la voiture accidentée, seront retrouvée les notes avancées d’un roman biographique que l’auteur estimait ce qui serait son plus important écrit et qui sera reconstitué après coup, pour voir le jour (1). Y figurait une étrange dédicace destinée à sa mère : « A toi qui ne pourras jamais lire ce livre ».
Albert-Camus
Cette mère, Catherine Sintès, sourde, mutique, d’origine espagnole, qui ne sait ni lire ni écrire, s’exprime par une gestuelle qui complète les pauvres 400 mots qu’elle possède pour s’exprimer. D’ailleurs, à quoi servirait un vocabulaire sophistiqué quand on « fait des ménages » pour survivre dans l’un des quartiers les plus pauvres d’Alger, avec un fils qui s’avère être tuberculeux, version sordide, pas celle que Thomas Mann décrira en 1924, sur sorte de tuberculose métaphysique et philosophique qui fera beaucoup sourire Camus à sa lecture (2). Cette adresse à sa mère, qu’il vit du même amour que pour l’Algérie lui évitera le déchirement qu’aurait pu lui amener les accords d’Evian de 1962 (3) : « J’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’ai connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. Et je ne puis me résigner à la voir devenir pour longtemps la terre du malheur et de la haine ». Même si dans ce parallélisme entre sa mère et l’Algérie, c’est sa mère qu’il choisit toujours : « En ce moment, on lance des bombes dans les tramways à Alger, ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si cela est la justice, je préfère ma mère ». Cette fixation impérative à sa mère amènera Camus à des échecs répétitifs d’ordre sentimentaux : il tient à distance affectivement les femmes pour qui il a un véritable attachement et qui se lassent, tout en les choisissant d’un milieu intellectuel qui n’était pas le sien et qu’il fallait séduire pour se prouver qu’il en était à la hauteur, bien que cela était une évidence, il n’a cessé d’en douter toute sa vie, voulant ainsi compléter les manques de sa mère, par la connaissance supposée des autres. Deux exemples, parmi d’autres, illustrent cette dialectique de l’échec : sa femme Francine Faure, institutrice à Oran qui aura avec lui deux jumeaux (Catherine et Jean Camus) et sa liaison avec l’actrice Maria Casarès. Des femmes qui parlent, sont brillantes, mais perdent toujours face à la figure maternelle !
Dans le fond, si deux visages se rencontrent au-delà des siècles et des différences idéologiques apparentes, dans ce Maghreb baigné de lumière et si brûlant à leur coeur, ce seraient ceux de Saint-Augustin et d’Albert Camus, qui plongeaient leur racines dans un désespoir raisonné de la condition humaine prise dans les remous d’une violence historique sans bornes. Saint Augustin d’Hippone (354-430) est né à Thagaste (actuellement Souk-Ahras) et mort à Hippone au moment des invasions barbares. Même importance de la mère (Sainte Monique), même milieu modeste (petits exploitants agricoles), même santé fragile, même dérives idéologiques : Camus démissionnant du Parti Communiste après sa prise de conscience des crimes perpétrés et Saint Augustin devenant membre influent, durant plusieurs années, d’un courant manichéen et s’en éloignant pour se convertir au christianisme sous l’influence de sa mère malgré l’opposition du père païen (« Se tromper est humain, persister dans son erreur est diabolique »), même vie affective compliquée (St. Augustin aura un enfant naturel, Adéodat, mort à 19 ans, avec sa concubine, et Camus une vie compliquée avec de nombreuses femmes). Cependant un point essentiel les sépare : la croyance en un Principe divin. Pour St. Augustin la présence divine est constante et préside à la destinée de l’homme de façon totale, allant jusqu’à la prédestination (Rappelons que le protestantisme et le jansénisme pascalien sont imprégnés d’augustinisme). Camus, est un cherchant permanent qui ne se définit pas comme athée (4) : « Je lis souvent que je suis athée, j’entends parler de mon athéisme. Or ces mots ne me disent rien, ils n’ont pas de sens pour moi. Je ne crois pas à Dieu et je ne suis pas athée ». Le monde vit hors de la grâce et Camus cherchait, pour les hommes et lui-même, beaucoup plus le salut que le bonheur. St. Augustin croyait à la venue de la « Jérusalem céleste », Camus à la « Jérusalem terrestre » qu’il faudrait transformer par la justice et la fraternité, en mettant en priorité le dialogue pour en exclure la violence. Un choix humaniste par excellence
Par humour et sympathie, il m’est arrivé de penser que Camus aurait pu être Franc-Maçon ! Il en avait toutes les qualités pour porter le titre « sans tablier » : tolérance, laïcité, regard fraternel, sur le prochain ouverture à l’altérité, méfiance vis-à-vis des idéologies. Sur le plan de la non-croyance à un « Grand Architecte », la pensée de la philosophe Simone Weil nous est précieuse (5) : « Entre deux hommes qui n’ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie en est peut-être le plus près. Le faux Dieu qui ressemble en tout au vrai, excepté qu’on ne le touche pas, empêche d’accéder au vrai. Croire en un Dieu qui ressemble en tout au vrai, excepté qu’il n’existe pas, car on ne se trouve pas au point où Dieu existe ». Telle fut, peut-être le cheminement d’Albert Camus qui pensait que Jésus était un « saint laïc » !
I- « LES DOUTES, C’EST CE QUE NOUS AVONS DE PLUS INTIME »
Le panthéisme sensuel de Camus, présent dès l’origine, va se doubler, au fil des ans, d’un stoïcisme très présent : absence de Dieu et la certitude de la mort qui représente le mal absolu puisque la vie corporelle est le seul bien incontestable. Mais c’est l’acceptation lucide de cette condition mortelle qui donne à l’homme la seule joie qui lui soit permise qui est la jouissance immédiate de son être. Camus, en Algérie, se rendait souvent sur la colline de Djemila et, contrairement à Barrès et la recherche des « lieux où souffle l’esprit » sur la colline de Sion en Lorraine, se plaît au contraire à être en un lieu « où meurt l’esprit pour que naisse une vérité qui est sa négation même ». C’est une recherche d’un détachement de soi-même par la présence au réel du monde : « être pur c’est retrouver cette partie de l’âme ou devient sensible la parenté du monde ». Cemonde est beau, et hors de lui, point de salut. Selon Camus, dans « Noces » l’accession à la sagesse est « ce singulier instant où la spiritualité répudie la morale, où le bonheur naît de l’absence d’espoir, où l’esprit trouve sa raison dans le corps ». Ceci, sans sublimation en élévation métaphysique ou extase religieuse.
Existent cependant, pour Camus, des vertus naturelles à l’homme, indépendamment de toute éducation sociale ou culturelle. Ces vertus sont le courage viril, le respect des faibles (en particulier des femmes), la sincérité et la honte du mensonge, le goût de la liberté et de l’indépendance. Sans trop se faire d’illusions sur la pratique de l’homme vers cette sagesse : « Celui qui désespère des événements est un lâche, mais celui qui espère en la condition humaine est un fou ». Tout homme est un criminel qui s’ignore car le destin de l’homme prend racine dans l’irrationnel : rien n’est certain que la mort qui est le scandale de la conscience et de l’absurde. Et, par conséquent, c’est à partir de cette absurdité que doit se construire une philosophie et une morale. Rappelons que le mot « absurde » pour Camus ne signifie pas « qui n’a pas de raison », mais « qui a reconnu que tout est sans raison » ! Il y a même un plaisir dans l’absurde : c’est tout le thème du « Mythe de Sisyphe ». La négation de l’existence d’un Principe qui gomme l’absurde ne peut que conduire à l’action permanente du sujet et Nietzsche écrit que ce qui importe n’est pas : « La vie éternelle mais l’éternelle vivacité ». Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers et cet univers sans Maître n’apparaît ni stérile ni futile, la lutte vers les sommets suffisant à remplir son coeur d’homme et selon la formule « Il faut imaginer Sisyphe heureux ».
Pour Camus, l’homme absurde doit-être un être conscient, livré à la fatalité dans un univers sans providence, acceptant sa condition et mettant son plaisir dans l’accomplissement de sa tâche humaine. Vision humaniste des choses, mais qui se double de stoïcisme. L’absurde ne peut avoir de sens que dans la mesure où l’on n’y consent pas, sous peine de ne tomber que dans une protestation pathétique. Camus tente de concilier le sens du fatal avec le goût de l’action et de fonder le courage sur le pessimisme et le bonheur sur l’orgueil. Mais, ce qui demeure absurde est la confrontation de cet irrationnel avec le désir éperdu de clarté dont l’appel résonne au plus profond de l’homme.
Mais vient toujours un temps ou il faut choisir entre la contemplation et l’action et entre Dieu et le temps. Camus choisit naturellement l’action et le temps : il rejoint là une position laïque qui, ayant éliminé Dieu, pense conserver ou restituer les valeurs morales à partir de la seule conscience de l’homme. Pari risqué, d’autant qu’il a commencé par poser l’irrationalité du monde, mais il pense que l’absorption des consciences singulières, peuvent se résoudre à terme dans un état d’âme collectif. Belle définition du panthéisme ! Dans cette vision des choses le christianisme est suspect aux yeux de Camus, et il l’est doublement : en ce qu’il reporte dans l’au-delà l’espoir de la félicité et en ce que, devant les misères du monde, il se résigne, devient l’esclave de Dieu (Le «serf arbitre » de Luther), au lieu de tendre sa propre volonté contre le poids du « rocher fatal » de Sisyphe.
En février 1946, dans un colloque au couvent dominicain de Latour-Maubourg, Camus reconnu que le christianisme lui était étranger, qu’il n’y était jamais entré et que le problème pour lui était de savoir si l’homme, « sans le recours de l’Eternel ou de la pensée rationaliste, peut créer, à lui seul, ses propres valeurs ». Ce qui le conduisit à souhaiter la conception d’un « universalisme moyen » et la définition de « valeurs provisoires ». Cette mise en mouvement d’un sens à donner suppose l’action. Ce que Camus expliquera avec humour : « La vie c’est comme une bicyclette : il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre » !
II- LA RECHERCHE DESESPEREE DU PERE, DONC DU SENS.
Albert Camus – Portrait de la collection de photographies du New York World-Telegram et du Sun, 1957
La fiche civile d’Albert Camus porte la mention suivante : « Né à Mondavie en Algérie (Aujourd’hui Dréaan, à proximité d’Anaba, ex-Constantine), fils de Lucien Camus, ouvrier cariste et Catherine Sintès, d’origine espagnole. » A peine un an après sa naissance, son père est envoyé en France, lors de la première guerre mondiale. Le 11 octobre 1914, il meurt dans une offensive. Camus ne connaît pas son père et il le rebâtira de façon permanente à-travers les projections masculine qu’il fera au cours de sa vie. Celle qui assure le quotidien, c’est la mère sourde et mutique, qui va être la figure déifiée incontournable de sa vie, passant devant toutes les nombreuses figures féminines rencontrées.
En revanche, Camus va nourrir une ambivalence évidente envers la figure du père : à la fois un besoin irréversible et la méfiance d’être abandonné, « lâché ». Cela se traduira par des épisodes douloureux, notamment dans sa querelle avec Sartre qui lui servait de modèle et qui fera ressortir dans le conflit la nullité du milieu d’où il venait en faisant fi de ses soi-disant idées politiques révolutionnaires ! En revanche, il y aura des moments de grâce qui lui sauvèrent la vie : par exemple, l’influence de son maître d’école, Louis Germain, qui sentant chez lui de véritables talents, va le pousser à la création et donner une orientation le menant d’un quartier sordide d’Alger au prix Nobel de littérature le 19 novembre 1957, et où dans son discours inaugural il félicitera l’humble enseignant qui le conduisit à la réalisation d’une exemplaire résilience, le rendant définitivement persuadé de l’importance de l’étude pour la liberté personnelle et l’égalité. Il écrira d’ailleurs cette formidable lettre à son ancien maître d’école (6) :« Cher Monsieur Germain- J’ai laissé s’éteindre un peu le bruit qui m’a entouré tous ces jours-ci avant de venir vous parler de tout mon coeur. On vient de me faire un bien trop grand honneur (le prix Nobel de Littérature), que je n’ai ni recherché ni sollicité. Mais quand j’en ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. Je ne me fais pas un monde de cette sorte d’honneur. Mais celui-là est du moins une occasion pour vous dire ce que vous avez été, et êtes toujours pour moi, et vous assurer que vos efforts, votre travail et le coeur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. Je vous embrasse de toutes mes forces ». Mais au-delà de ses belles parenthèses, le sujet est repris, noyé, dans l’absurdité du monde et de sa finalité propre. Il ne lui reste plus qu’à faire son « métier d’homme » sans se soucier des dieux ou des modèles provisoirement déifiés car l’action dépasse la réflexion. Son œuvre, reprendra d’ailleurs ses réflexions sur la négation sous trois formes : romanesque avec « l’étranger », dramatique avec « Caligula » et le malentendu idéologique avec « Le mythe de Sisyphe ». Mais, le quatrième temps prévoyait une réflexion sur l’amour. Juste avant l’accident…
Camus fréquentait des croyants mais ne partageait pas l’idée que pour vaincre la solitude et le désespoir, l’homme devait céder à la religion et à la croyance à une Parousie quelconque. Pas de renoncement à la raison, même si ce qu’elle offre s’apparente à l’angoisse pascalienne.
III- « SOLITAIRE OU SOLIDAIRE ? »
C’est la question finale d’une nouvelle de Camus, « Jonas ou l’artiste au travail » (7) qui résume parfaitement les interrogations de l’auteur : même si la solitude me tente, du fait de mon narcissisme même, puis-je me passer des autres et de leur potentielle fraternité, d’autant que je rejette l’idée d’une transcendance. Il ne me reste que le choix de l’horizontalité des rapports humains avec son lot de joies et de blessures.
Camus propose une transcendance de l’immanence, en laissant toute cause métaphysique de côté. Ce qui suppose une spiritualité humaniste qui mette en mouvement la justice et le dialogue. En fait, s’abandonner à l’amour quand il écrit (8) : « Il n’y a pas d’autre accomplissement que celui de l’amour, c’est à dire du renoncement à soi-même et de la mort au monde. Aller jusqu’au bout. Disparaître. Se dissoudre dans l’amour. Ce sera la force de l’amour qui créera alors et non plus moi. S’abîmer. Se démembrer. S’anéantir dans l’accomplissement et la passion de la vérité ».
Pour les Francs-Maçons une question maintenant se pose : INCLUONS-NOUS ALBERT CAMUS DANS NOTRE CHAÎNE D’UNION ?!
MOI, JE VOUS PREVIENS JE VOTE POUR !
Notes
(1) Camus Albert : Le premier homme. Paris. Ed. Gallimard. 1994.
(2) Mann Thomas : La montagne magique. Paris. Livre de poche. 2019.
(3) Camus Albert : Chroniques algériennes 1939-1958. Actuelles III. Paris. Ed. Galliimard. (Pages 181-182).
(4) Camus Albert : Carnets III. 1954. (Page 149).
(5) Weil Simone : La pesanteur et la grâce ». Paris. Ed. Plon.1948. (Page 133).
(6) Maeso Marylin : l’Abécédaire d’Albert Camus. Paris. Ed. De l’Observatoire. 2020. (Pages 59 et 60).
(7) Camus Albert : Jonas ou l’artiste au travail. Oeuvres complètes. Tome IV. Paris. Ed. Gallimard. 2008. (Page 83).
(8) Camus Albert : Carnets II. (Page 316).
Bibliographie
– Basset Guy et Faes Hubert : Camus, la philosophie et le christianisme. Paris. Ed. Du Cerf. 2012.
– Camus Albert : L’envers et l’endroit. Paris. Ed. Gallimard. 1958.
– Camus Albert : L’étranger. Paris. Ed. Gallimard. 1942.
– Camus Albert : Le mythe de Sisyphe. Essai sur l’absurde. Paris. Ed. Gallimard. 1942.
– Camus Albert : La peste. Paris. Ed. Gallimard. 1996.
– Camus Albert : Les justes. Paris. Ed. Gallimard. 1950.
– Camus Albert : L’homme révolté. Paris. Ed. Gallimard. 1951.
– Camus Albert : Le premier homme. Paris. Ed. Gallimard. 2020.
– Camus Albert : Conférences et discours. 1936-1958. Paris. Ed. Gallimard. 2017.
– Camus Albert : La chute. Paris. Ed. Gallimard. 1956.
– Camus Albert : L’exil et le royaume. Paris. Ed. Gallimard. 1957.
– Camus Albert : Lettre à un ami allemand. Paris. Ed. Gallimard. 1991.
– Camus Albert : Caligula suivi par Le malentendu. Paris. Ed. Gallimard. 1958
– Corbic Arnaud : Camus et Bonhoffer. Rencontre de deux humanismes. Paris. Ed. Labor et Fides. 2002.
– Corbic Arnaud : Camus et l’homme sans Dieu. Paris. Ed. Du Cerf. 2007.
– Garcia Penaranda Adrian-Mauricio : Albert Camus et les différents sens du sacré. Paris. Ed. Du Cerf. 2022.
– Guerin Jean-Yves : Dictionnaire Albert Camus. Paris. Ed. Robert Laffont. 2009.
Une exploration initiatique de Mozart à nos jours – Une analyse approfondie de l’ouvrage d’Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky
Dans leur ouvrage La Musique des Francs-Maçons, de Mozart à Nos Jours, publié en 2025 par La Roseraie des Philosophes, Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky nous invitent à un voyage fascinant à travers l’histoire de la musique maçonnique, depuis ses figures emblématiques du XVIIIe siècle jusqu’aux expressions contemporaines du XXIe siècle. Ce livre, fruit d’une collaboration entre deux auteurs aux profils complémentaires – Vaillancourt, un essayiste et philosophe québécois, et Orlovsky, un compositeur et poète d’origine russo-ukrainienne établi à Montréal – explore le rôle de la musique dans les rituels maçonniques, tout en interrogeant sa dimension spirituelle et initiatique.
À travers une structure chronologique qui s’étend de Mozart à Orlovsky lui-même, en passant par des figures comme Haydn, Beethoven, Liszt, Wagner, Sibelius, Strauss, Scelsi, Pijper et Souffriau, cet essai propose une réflexion profonde sur la manière dont la musique peut transcender les dualités profane/sacré et ouvrir des portes vers l’intériorité et l’universel.
Auteurs : Une rencontre de l’éssai et de la création
Yves Vaillancourt (Crédit photo : Franco Huard)
Yves Vaillancourt, co-auteur de cet ouvrage, est un essayiste québécois reconnu pour ses travaux philosophiques et littéraires. Titulaire de plusieurs distinctions, dont le prix Esdras-Minville de la Société St-Jean Baptiste (1994), une mention d’honneur de l’Association Pédagogique Collégiale du Québec (2023) et le prix de la Société de Philosophie du Québec (2021), Vaillancourt a publié une quinzaine d’ouvrages, allant de l’essai philosophique (Le Principe responsabilité d’Hans Jonas, 2006) à la fiction (La Source opale, 2005). Dans le domaine maçonnique, il s’est déjà illustré avec des titres comme Souviens-toi que tu es vivant (2022), où il explore les dimensions spirituelles de l’initiation. Sa plume, à la fois érudite et poétique, apporte à cet ouvrage une profondeur analytique et une sensibilité qui enrichissent l’examen des compositeurs et de leurs œuvres.
Anatoly Orlovsky
Anatoly Orlovsky, quant à lui, est un artiste multidisciplinaire dont les talents s’étendent de la composition musicale à la poésie et à la traduction. Né en Russie et établi à Montréal, Orlovsky est l’auteur de plusieurs recueils de poésie, dont Symbiose-séparation (2024) et Passacaille – Actus Tragicus (2020), ainsi que de compositions musicales comme Soleils, éclater dans le ciel (2014) pour clavecin et narration. Il est également traducteur, ayant rendu accessibles en français des poètes russes et ukrainiens tels que Marina Maslovskaïa et Liuba Iakimtchouk. Sa contribution à l’ouvrage inclut un chapitre sur sa propre musique maçonnique, notamment une pièce pour violon solo composée pour l’allumage des feux de la loge Les Amis Réunis à Montréal en 6012 (2012 selon le calendrier maçonnique). Orlovsky apporte une perspective unique, celle d’un créateur contemporain qui vit et incarne les idéaux maçonniques à travers son art.
Introduction philosophique : La musique comme substitut de la vision suprasensible
Musique des Francs-maçons de Mozart à nos jours
L’introduction de l’ouvrage, signée par Vaillancourt, pose les bases d’une réflexion audacieuse sur le rôle de la musique dans la Franc-maçonnerie. Partant de la symbolique maçonnique de la lumière – incarnée par les trois lumières de la loge (le Soleil, la Lune et le maître de la loge) – l’auteur explore comment la modernité, marquée par le « désenchantement du monde » (Max Weber) et la fin des « grands récits », a affaibli la vision suprasensible des anciens. Selon Vaillancourt, qui s’appuie sur le philosophe Ernst Bloch, l’essor de la musique européenne à la fin du Moyen Âge serait lié à cette disparition progressive des visions archaïques. La musique, dans les rituels maçonniques, viendrait alors suppléer à cette perte, agissant comme un « adjuvant ou substitut » à une visualisation affaiblie du Temple idéal.
Cette hypothèse, bien que provocante, est nuancée par une interrogation sur les traditions musicales des peuples anciens – Hébreux, Chaldéens, Égyptiens – qui, selon Vaillancourt, n’auraient pas développé un art musical comparable à la musique classique occidentale, leurs images de l’au-delà leur suffisant. La musique maçonnique, dès lors, devient une réponse à la modernité, un moyen de recréer une expérience intérieure et initiatique là où les images mythiques ont perdu leur force numineuse. Cette idée trouve un écho dans les mots du poète Boris Niçaise, cités en épigraphe :
« Peut-être la partition de Mozart et les mots du président de loge ne sont-ils que des formes élevées de silence ? »
Mozart : Le cœur symbolique de la musique maçonnique
W.A. Mozart
Le chapitre consacré à Mozart, rédigé par Vaillancourt, constitue le pivot de l’ouvrage. Wolfgang Amadeus Mozart, initié en 1784 dans la loge viennoise Zur Wohltätigkeit (La Bienfaisance), est présenté comme le plus emblématique des compositeurs francs-maçons. Contrairement à Haydn, dont l’assiduité en loge fut limitée, Mozart fréquenta activement les tenues maçonniques jusqu’à sa mort en 1791, composant des œuvres explicitement destinées aux rituels, comme des hymnes à la fraternité et la célèbre Flûte enchantée (1791).
Vaillancourt explore les multiples interprétations de l’œuvre maçonnique de Mozart, en s’appuyant sur des musicologues comme Gérard Gefen, Philippe Autexier et Jacques Henry. Gefen, dans Les Musiciens et la Franc-Maçonnerie (1993), conteste l’idée d’un symbolisme caché dans la musique de Mozart, arguant que les tonalités dites « maçonniques » (comme le mi bémol majeur avec ses trois bémols) sont présentes dans son œuvre avant et après son initiation, sans variation significative (19 % avant 1784, 18,7 % après). Pour Gefen, l’essentiel de la musique maçonnique de Mozart réside dans les chants de loge, qui exaltent des vertus comme la fraternité et la bienfaisance, souvent à travers les paroles des livrets.
À l’opposé, Autexier et Henry défendent une lecture symboliste. Autexier, membre du Grand Orient de France, propose que Mozart aurait développé un système symbolique basé sur le nombre d’accidents à la clef : un bémol ou dièse pour le grade d’Apprenti (cercle), deux pour le Compagnon (demi-cercle), trois pour le Maître (triangle). Henry, plus ésotérique, insiste sur l’élément ternaire – notamment les trois bémols – comme une transcription musicale des symboles maçonniques, citant des œuvres comme l’Ode funèbre maçonnique K 477, en ut mineur, qui passe en mi bémol majeur. Vaillancourt, tout en reconnaissant la richesse de ces exégèses, adopte une position équilibrée, soulignant que l’universalité de Mozart transcende ces débats techniques.
Un passage particulièrement poignant est l’analyse de La Flûte enchantée, où Vaillancourt met en lumière un thème central : la lutte contre la vengeance, incarnée par la Reine de la Nuit, comme obstacle à la lumière initiatique. Sarastro, modèle de sagesse, refuse de se venger, illustrant une vertu maçonnique essentielle : l’abandon des passions destructrices avant de recevoir la lumière. Cette interprétation, qui s’éloigne des lectures purement ésotériques, ancre l’opéra dans les idéaux des Lumières et de la Révolution française, dont Mozart fut contemporain.
Haydn, Beethoven et les figures classiques : entre maçonnerie et inspiration
Joseph Haydn
Le livre poursuit son exploration avec Joseph Haydn et Ludwig van Beethoven, deux compositeurs dont les liens avec la Franc-maçonnerie sont moins évidents que ceux de Mozart. Haydn, initié en 1785, est présenté comme un maçon peu actif, mais sa musique, notamment La Création (1798), est analysée pour ses résonances initiatiques, comme le passage du chaos à la lumière (Fiat Lux), qui évoque l’ouverture des travaux en loge.
Beethoven, quant à lui, n’a probablement jamais été maçon, malgré certaines spéculations. Vaillancourt examine la thèse d’un « Beethoven sans tablier », s’appuyant sur des œuvres comme la Symphonie n° 3 (« Héroïque ») et la Symphonie n° 9, dont l’Ode à la Joie célèbre une fraternité universelle proche des idéaux maçonniques. L’auteur cite le musicologue Maynard Salomon, qui voit dans l’Héroïque une célébration de la liberté et de l’égalité, valeurs chères à la Franc-maçonnerie des Lumières.
Liszt, Wagner et Sibelius : Les romantiques et la quête spirituelle
Franz Liszt, maçon fervent, est abordé pour sa musique empreinte de mysticisme, comme ses Harmonies poétiques et religieuses. Vaillancourt note que Liszt, qui rejoignit la loge Zur Einigkeit à Francfort en 1841, intégra des éléments maçonniques dans ses compositions, notamment à travers des tonalités et des structures ternaires.
Richard Wagner
Richard Wagner, bien que non maçon, est inclus pour son opéra Parsifal (1882), que l’auteur qualifie d’initiatique. S’appuyant sur les travaux de Jacques Chailley (Parsifal, un opéra initiatique, 1979), Vaillancourt voit dans le voyage de Parsifal une quête de rédemption et de lumière qui résonne avec les idéaux maçonniques, malgré les controverses autour de l’antisémitisme de Wagner.
Jean Sibelius, initié en 1922 dans la loge Suomi n° 1 à Helsinki, est une figure clé du livre. Sa Musique rituelle maçonnique (1927), composée pour les rituels finlandais, est analysée pour sa simplicité et sa profondeur spirituelle. Vaillancourt et Orlovsky explorent comment Sibelius, inspiré par le folklore finlandais et des compositeurs comme Beethoven, a créé une musique qui incarne l’esprit de fraternité et de transcendance.
Les modernes : Strauss, Scelsi, Pijper et Souffriau
Richard Strauss et Giacinto Scelsi, bien que non maçons, sont inclus pour leur dimension spirituelle. Strauss, avec des œuvres comme Also sprach Zarathustra (1896), est vu comme un compositeur qui explore les grandes questions métaphysiques, tandis que Scelsi, avec sa musique méditative comme Quattro Pezzi su una nota sola (1959), évoque une quête intérieure proche des idéaux initiatiques.
Willem Pijper, maçon néerlandais, est célébré pour ses compositions des années 1920-1940, comme ses Adagios d’initiation pour loges bleues (1940), qui capturent l’essence des rituels maçonniques. Arsène Souffriau, compositeur belge du XXe siècle, est mis en lumière par Orlovsky pour sa musique des hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté, notamment au neuvième grade, où il dépeint musicalement l’obsession de la vengeance et sa transcendance.
Orlovsky : contribution contemporaine
Le chapitre consacré à Anatoly Orlovsky, écrit par lui-même, est un moment fort de l’ouvrage. Il y décrit sa pièce Installation, composée pour violon solo lors de l’allumage des feux de la loge Les Amis Réunis à Montréal en 2012. Cette œuvre, interprétée par Carole Meneghel, est décrite comme un « entrelacs de fils mouvants » qui tisse une lumière intérieure. Orlovsky y privilégie un mélodisme radieux, mêlant des influences comme Elgar, Mahler et des compositeurs contemporains tels que Lera Auerbach et Peteris Vasks. Sa musique, disponible via un code QR, illustre une approche moderne de la musique maçonnique, où l’harmonie alter-tonale et les transmutations alchimiques traduisent le travail initiatique.
Vers une colonne d’éco-harmonie : vision pour le XXIe siècle
Dans la postface, intitulée « Vers une colonne d’éco-harmonie au temps de l’Anthropocène », Orlovsky propose une vision audacieuse pour l’avenir de la musique maçonnique. S’inspirant de compositeurs comme Einojuhani Rautavaara (Cantus Arcticus, 1972) et Sofia Gubaïdulina, il appelle à une musique qui intègre le vivant – oiseaux, glaciers, forêts – dans une chaîne d’union élargie. Cette « transmusique » pourrait, grâce aux technologies comme la spatialisation du son, devenir une expérience multisensorielle, où l’auditeur se connecte au tout-vivant. Orlovsky cite des figures comme John Luther Adams et Anna Thorvaldsdottir, qui explorent des formes organiques et naturomorphes, pour illustrer cette nouvelle direction.
Symbolique du vivant : repenser le sacré et le profane
Vaillancourt conclut l’ouvrage avec une réflexion sur la nécessité de dépasser le dualisme sacré/profane. S’appuyant sur l’écologie scientifique, qui rejette l’idée de sanctuaires naturels isolés au profit d’une protection globale de la Terre, il invite la Franc-maçonnerie à revoir ses schèmes fondateurs. La musique, qu’elle soit maçonnique ou non, est vue comme un vecteur d’unité spirituelle, capable de transcender les catégories traditionnelles et de s’irriguer des forces du vivant.
Ouvrage essentiel pour les amateurs de musique et d’initiation
La Musique des Francs-Maçons, de Mozart à Nos Jours est un ouvrage d’une richesse exceptionnelle, qui allie érudition, sensibilité et vision prospective. Yves Vaillancourt et Anatoly Orlovsky, par leurs regards complémentaires – l’un analytique et philosophique, l’autre créatif et poétique – offrent une exploration captivante de la musique maçonnique. De Mozart à Orlovsky, en passant par des figures majeures comme Beethoven, Sibelius et Souffriau, cet essai montre comment la musique peut être un outil d’initiation, un pont vers l’intériorité et une réponse aux défis de notre époque. En plaidant pour une colonne d’éco-harmonie et une symbolique du vivant, les auteurs ouvrent des perspectives nouvelles pour la Franc-maçonnerie et pour l’art, dans un monde en quête de sens et de connexion. Un livre incontournable pour les mélomanes, les initiés et tous ceux qui croient au pouvoir transformateur de la musique.
Voilà la mixité réalisée. Il suffit d’un regard pour percevoir le lien puissant unissant le Pharaon Mykérinos et la reine Khâmerernebty II, et l’union parfaite en conscience de leurs deux natures d’homme et de femme. Comme eux dans l’Ancienne Égypte, chaque égyptien et égyptienne savait se redresser pour « être debout »physiquement, moralement, mentalement, et spirituellement, se tenir pour être en quelque sorte perpétuellement « en tenue », comme disent les Maçons. En ce temps-là, les prêtres n’exerçaient aucun « droit de regard » sur la vie spirituelle de leurs semblables, car « elle ne les regardait pas ». C’est à chacun et chacune qu’il appartenait d’exercer son « devoir de regard » sur sa propre vie, précisément pour mieux se connaître et accomplir son devoir en rectifiant ses erreurs de sa propre initiative. Alors, une mixité intérieure pouvait éclore en soi-même et faire écho à la mixité extérieure réalisée à deux, dans un parfait respect mutuel amoureux.
« Aimer, s’aimer » sont les deux mouvements du cœur qui rythment nos vies et nourrissent d’amour l’existence des hommes et des femmes. Mais ils prennent une dimension particulière chez la Femme qui porte la vie et la régénère, tel un creuset vivifiant. Encore faut-il préserver ce creuset originel, que le cours de la vie elle-même malmène et rudoie, parfois jusqu’à l’anéantir. La Femme est le premier témoin de ce grand paradoxe de la vie. Elle est aussi aux premières « loges » de ce que la vie génère en son sein, la grande différentiation des sexes dont la genèse reste encore un mystère.
La Femme qui saisit ainsi de l’intérieur les grands mystères de la vie, les appréhende avant l’homme son alter-ego, avant comme lui de chercher à les connaître en passant par le prisme de la raison. Elle ressent autant de l’intérieur que de l’extérieur les évènements de la vie, deux manifestations complémentaires de la lumière symbolisés à l’Orient des Loges par une lune et un soleil. S’il est dit que la perception de la lumière lunaire atténue et précède celle de la lumière solaire, l’une et l’autre éclairent surtout deux visions complémentaires du monde, intérieure et extérieure, donnant ensemble à la vie un relief qu’elles ne peuvent saisir séparément.
Le symbolisme des Loges et des Temples au premier degré, basé sur cette répartition binaire des forces et de leurs champs d’action, se complexifie dans les degrés suivants par la mise en œuvre de forces transversales, la compréhension et l’intégration en conscience d’autres niveaux de connaissance, dits spirituels. En fait la spiritualité est cette aspiration, ce souffle vertical nourrît par le travail des Maçons sur eux-mêmes, les conduisant à toujours mieux se connaître et s’accepter en leur double dimension matérielle et spirituelle. Les deux branches d’une « croix » qui symbolisent cette évolution intérieure, la branche horizontale illustrant la matérialité binaire et évoluant sur la branche verticale à différents niveaux, se complexifient et se manifestent en conscience sous diverses formes chez les Maçons durant leur initiation.
La Franc-Maçonnerie dès sa fondation au XVIIIème siècle a intégré dans son processus initiatique cette nature humaine binaire, dont les sciences cognitives contemporaines explorent régulièrement les mystères. Leurs recherches tendent à démontrer que le cerveau humain développe deux types de pensées, le traitement logique, mathématique, séquentiel, lent et réfléchi, progressant du détail vers la complexité, étant dévolu à l’hémisphère gauche, l’hémisphère droit étant le siège du raisonnement synthétique, rapide et intuitif, fonctionnant plutôt sur la globalité, l’expérience et l’erreur, premier pas vers l’erreur « rectifiée » des Maçons. Même s’il faut se garder d’un schématisme excessif dans cette répartition des tâches, cette « latéralité cérébrale » relie les Maçons à une latéralité symbolique semblable dans l’architecture des Temples. Maçons et Maçonnes y trouvent des marques semblables, progressant pareillement sur le chemin d’un perfectionnement qui commence par une approche analytique des symboles aux premiers degrés, et conduit à la prise de conscience globale de l’état d’initié(e), en sa nature à la fois matérielle « et » spirituelle.
Hugo
« Aimer c’est plus que vivre » (Victor Hugo). Vivre initié c’est aussi pour les Maçons et Maçonnes plus que vivre, l’initiation conduisant à des prises de consciences successives qui renouvellent la connaissance de soi-même et celle du monde environnant. Comme dans la marche, déséquilibre et équilibre s’y succèdent, chaque pas menaçant de faire chuter l’initié tout en lui permettant d’avancer. Le déséquilibre dû à la vision parcellaire analytique est pareillement « rectifié » par le regard synthétique, l’un « et » l’autre activant la nature binaire matérielle des initiés. Mais l’initiation convertit aussi ces pas horizontaux en « marches » et paliers d’un escalier vertical, par un élargissement du champ de conscience dépassant la vie matérielle sous toutes ses formes et éclairant d’autres plans de vie et d’espace dans le temps dit sacré de la spiritualité.
L’Etre spirituel vit pleinement de l’intérieur cette « éclosion » du champ de conscience, et apprend, pour reprendre les mots du poète, à conjuguer « embrassement » et « embrasement ». Par l’embrassement, la nature binaire est saisie « à bras le corps » pour convertir ses deux visions parcellaires et antagonistes en duo de forces complémentaires positives au service de l’Etre dans son ensemble. Mais les difficultés pour y parvenir sont nombreuses, chacune des deux parties tendant à préserver son pré-carré et même tendre à installer sa domination sur le couple. Ces deux natures logique et intuitive qui se font face rappellent étrangement ces couples homme-femme qui s’aiment et surmontent ce qui les éloigne l’un de l’autre. Et quel que soit l’amour qui les réunit, chacun doit se connaître soi-même et s’aimer pour accepter, reconnaître et mieux aimer l’autre.
Alors, quand l’un et l’autre œuvrent au service du tout qui les dépasse, leur duo peut s’embraser, comme à la suite de frottements prolongés entre deux matières de natures différentes, l’une dure et droite, l’autre douce et ronde, entre lesquelles l’espace se réchauffe et prend feu. Peu importe le temps passé dans l’embrasement par l’initié(e), soudain plein(ne) de lui-même (d’elle-même) et de l’autre, dans un état de conscience revivifiant les perceptions immédiates, transformant le sentiment de bien-être en conscience de Bien Être. Mais l’univers morcelé et les rapports antagonistes vécus « au premier degré » « rappellent à l’ordre » binaire les initiés qui deviennent « parties prenantes » de ces deux niveaux de conscience différents et pourtant imbriqués l’un dans l’autre.
Aurobindo
« Aimer, s’aimer » sont bien ces deux mouvements du cœur des Maîtres et Maîtresses en Maçonnerie, ces battements émanant du centre de leur cercle symbolique. Aimer, s’aimer, embrasser, s’embraser, deux temps renouvelant l’oxygène en circulation dans leurs « vaisseaux » sanguins, vent nourricier soufflant sur le « vaisseau » alchimique de leur propre transformation, nourrissant leur brasier d’amour. Mais dans l’embrassement la nature binaire masculine et féminine des Maçons et Maçonnes peut s’exacerber et conduire jusqu’aux extrêmes de l’idéalisation ou du reniement de l’autre. Alors que dans l’embrasement le binaire s’estompe dans un tout renversant et renouvelant les valeurs dans l’Amour absolu. Le yogi Shri Aurobindo (1872-1950) est l’illustration vivante de cet accomplissement spirituel. « Une fois que j’ai su que Dieu était une femme, j’ai appris quelque chose de très approximatif au sujet de l’amour ; mais c’est seulement quand je suis devenu une femme et que j’ai servi mon Maître et amant que j’ai connu l’amour absolument. Cette forme qui doit manifester la force spirituelle capable de transformer les conditions actuelles de la terre, cette forme nouvelle, qui la construira, sinon les femmes ? La nouvelle espèce sera gouvernée par l’intuition, c’est-à-dire par la perception directe de la loi divine au-dedans. » (La « Mère », compagne de Sri Aurobindo, fondera Auroville, la Cité de l’Aurore, en 1968 près de Pondichéry)
Aurobindo
Autant le vécu binaire est limité dans le temps et l’espace, autant la vie spirituelle (« la vie divine » dit Sri Aurobindo) est universelle, et son vécu intérieur dont témoignent admirablement les femmes initiées traverse les Traditions et les sociétés initiatiques, la Franc-Maçonnerie en particulier. « En tant que femme, dit Judee Gee dans « Femmes et Spiritualité », la vie spirituelle est vécue dans un sens global, plus au foyer qu’à l’extérieur. Il y a différentes manières de suivre son chemin, celui de l’homme est plus droit. Il est d’une structure différente de celui de la femme qui a plus de difficulté à conserver son axe, la discipline sur le chemin, elle doit souvent apporter des soins aux enfants, aux élèves, aux patients.
« Les « maîtres spirituels » sont souvent des hommes. Les femmes cherchent plutôt à se situer dans une relation avec les autres. Elles ont plus de mal à garder leur verticalité, une relation avec elle-même, les hommes se situent davantage par rapport à eux-mêmes. Problème social mais aussi structure physique. La femme cherche instinctivement à remplir ce vide à l’intérieur de son corps, au niveau du bas-ventre. Elle est attirée par une relation horizontale mais devrait modifier cette habitude, accepter de vivre avec ce vide, le considérer comme un état positif correspondant à sa vraie nature.
Une partie de la recherche spirituelle d’une femme est de se réconcilier avec ce vide, de ne plus en faire une cause de souffrance, de le vivre comme une bénédiction. Si elle pense qu’il y a un manque, elle se sentira obligée de le remplir avec du relationnel, de l’affectif, ce qui ne manquera pas d’occasionner des souffrances supplémentaires, lorsque l’homme ou les enfants s’en iront ! La réconciliation avec ce vide peut devenir une source de puissance intuitive, d’autonomie, peut faciliter l’acceptation de son intuition, du réceptacle qu’elle est dans sa structure même, dans son corps physique et énergétique. »
« La femme vit sa relation à la spiritualité comme une rencontre amoureuse : attirance, fiançailles, mariage, enfantement, dit Théa Schuster dans son livre « D’après mon expérience ». Tout commence par une nostalgie diffuse, par le désir d’une Présence sans nom, pressentie inhérente à toute chose et pourtant totalement ailleurs. Une sensation d’être, inexplicable et privilégiée, l’émeut, parfois jusqu’aux larmes, sans raisons objectives. Une voix intérieure et impérieuse l’appelle, ne la laissant pas en paix, même si elle tente de faire la sourde oreille en s’étourdissant dans « l’agir-comme-tout-le-monde ». Rien n’y fait, cette voix intérieure exerce de plus en plus de pouvoir sur elle, comparable en cela à la présence d’un amoureux qui deviendrait chaque jour plus pressant : indispensable et inquiétant.
« Un jour, la femme accepte cet appel, s’y soumet et s’y engage : ce sont les fiançailles. Toute son ardeur s’enflamme au contact de l’idéal spirituel. Elle le clame, l’écrit en lettres de feu. Elle est si éprise qu’elle en devient intransigeante, ne tolérant nulle mise en question de la Présence qui l’habite. Vient le temps du mariage, plus calme, plus pondéré, avec son lot de mises à l’épreuve : l’enthousiasme juvénile s’étant assagi, la femme choisit son engagement en toute conscience et traverse à cause de cela de longues périodes de doute quant à la justesse de son cheminement. A la maturité de sa vie, son entourage la sollicite, avec insistance, lui demandant d’être présente et disponible. D’où le questionnement sur le fait de rester tournée vers l’intérieur à l’écoute de la voix de l’autre Présence qui lui parvient maintenant moins claire, comme étouffée par le bruit du monde qui l’entoure.
« Ces moments de doute sont pourtant des instants précieux : la femme vit les douleurs de l’enfantement. A son insu d’abord, une force irrépressible agit en son for intérieur, s’amplifiant de jour en jour, la transformant de force en réceptacle du Divin. La femme vit cette étape comme si elle était enceinte de Lui, le portant et l’accouchant dans les douleurs du doute, pour saluer enfin l’évidence de la Présence Divine qu’elle avait toujours portée en elle ! »
« Les femmes, dit Martine Quentric-Seguin (auteur de « Ni Maître, ni Disciple »), celles de ma génération ou celles qui vivent encore sous le regard d’une société qui les veut faibles, inférieures, illogiques, celles qui vivent une enfance, voire une vie adulte, avec des limites rapprochées, ont une chance impalpable mais certaine. Ayant appris à accepter bien avant d’imaginer oser demander, elles ont intégré les limites de leur vie physique et mentale que ni le corps, ni l’intellect ne sentaient. Elles peuvent ainsi tout naturellement comprendre que cet Essentiel qui vibre en elles n’est ni ce corps, ni ce mental. Elles ont appris que « OUI » simplifie grandement la vie en réduisant les tensions tant externes qu’internes. Elles n’ont pas eu à s’imaginer fortes, puissantes : il leur suffit de connaître la ténacité, le courage et l’oasis de la faiblesse acceptée.
Une mère et son enfant
« La maternité nous apprend le bonheur d’être habitées par la Vie en nous plus grande que nous. C’est le féminin en chacun que nous soyons biologiquement mâle ou femelle, qui s’offre, intériorise et porte à maturité. Le temps de gestation est compréhension, acceptation, patience, don jusqu’à l’abandon de soi, tendresse, dévotion car la dévotion est souvenir constant. L’accouchement de l’Etre n’est pas extériorisation mais réintégration de chaque cellule, de chaque pensée, implosion, surgissement vers le centre d’un Big-Bang inversé. La femme ou mère idéale manifesterait toutes ces qualités, c’est pourquoi les grandes figures religieuses sont nommées « Mère » et souvent « Vierge et Mère ». Virginité et maternité non pas corporelles mais ontologiques : capacité à disparaître au profit du vivant.
Main adulte avec main d’enfant
« La pratique féminine est dans l’abandon, la patience, la tendresse, le courage tenace sans masochisme, ni négligence. Il est rare qu’une femme envisage de rester sur un pied 50 ans en vue de forcer l’illumination, mais elle comprendra volontiers que laver son bol attentivement puisse ouvrir la Conscience, et c’est d’ailleurs une femme, Ste Thérèse d’Avila, qui disait : « Dieu est dans les casseroles de la cuisine ». La réalisation est amour et acceptation dans une humilité qui s’ignore elle-même. La transmission est tendre et patiente : la Mère peut changer des milliers de linges souillés, elle peut prétendre se fâcher mille fois pour que l’enfant ne mette pas les doigts dans la prise, elle supporte avec la même tendresse les baisers rageurs et les coups de pieds rageurs, elle est présente sans défaillir dans les joies et les souffrances. Les Maîtres féminins conservent un rapport si naturel avec le monde qu’il est plus difficile de percevoir leur Réalisation à qui ne vit pas dans le même Etat. »
Ce sont ces femmes spirituelles au travail qui sont l’avenir de l’homme. Le poète chante avec Aragon « La femme est l’avenir de l’homme », mais il doit se défier des grandes théories et des universalismes lénifiants qui ont ravagé le siècle passé. L’avenir est le salaire du travail présent, sur le plan spirituel en particulier, et seules concourent à sa réalisation les femmes qui œuvrent en elle-mêmes et par elles-mêmes à son avènement. Et comme en Maçonnerie, seules ont droit au « Chapitre » de l’embrassement et de l’embrasement du monde de la Rose-Croix celles qui travaillent d’abord à se perfectionner, redorant les clés d’accès à la Femme universelle qu’elles portent en elles, ravivent et régénèrent.
Cette Femme qui s’affirme par Nature et couronne le processus de Réalisation et d’Accomplissement spirituel est d’autant plus essentielle à l’homme qu’il lui devra sa survie, s’il parvient toutefois à surmonter le chaos généralisé des sociétés à travers le monde, et la destruction systématique des socles de valeurs sur lesquelles il repose. La Femme est l’avenir nécessaire de l’Homme en quête de souffle et de renouveau. « La Femme, dit Françoise Bonardel (Philosophie de l’Alchimie), peut seule transformer en rédemption le désir d’anéantissement qui assaille l’homme, selon qu’elle a ou non réalisé, au travers de l’amour, ce qu’il pouvait en être de son propre rôle concepteur. Dans un premier temps façonnée par les qualités de l’homme individué, volontaire et orgueilleux, elle finit un jour par se rebeller contre la forme particulière, contraignante, qu’a ainsi prise pour elle l’amour de cet « être-là », lui-même pris au piège de l’individuation.
« La transmutation de l’amour en caritas ne peut donc être réalisée que si la femme transforme son abandon et sa révolte contre cet abandon en sacrifice actif, découvrant ainsi qu’elle n’a pas mission d’aimer cet être-là mais l’amour même, le grand concepteur habile à contraindre à travers elle l’homme à se reconnaître à son tour homme-lige de l’amour : « La femme est à l’homme la mesure éternelle, claire et reconnaissable de l’infaillibilité naturelle, car elle est la perfection si elle ne sort jamais de la belle spontanéité où elle est condamnée par ce qui peut seul sanctifier sa nature, par la nécessité de l’amour » (Wagner). Nietzsche a remarquablement senti et décrit la transfiguration opérée par ce mouvement de vague de la Nature, revenant à elle-même purifiée et apaisée. Or, Nietzsche ne s’y est pas trompé, ce « retour » n’est ni exaltation de l’instinct retrouvé, ni acceptation passive de l’inévitable, mais processus réellement transmutateur alchimique. »
Le mariage de raison
2 femmes complices à table pour le thé
Les femmes opèrent déjà cette œuvre de transmutation individuelle et de transformation collective dans les Loges maçonniques d’Obédiences exclusivement féminine ou mixtes. En France, il s’agit principalement de la Grande Loge Féminine de France, la Grande Loge Féminine de Memphis Misraïm, le Droit Humain, la Grande Loge Mixte Universelle, l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal, la Grande Loge Mixte de France, la Grande Loge Mixte de Memphis-Misraïm, récemment du Grand Orient de France et quelques obédiences aux effectifs plus marginaux. En Suisse il s’agit de la Grande Loge Féminine de Suisse et de la Grande Loge Mixte de Suisse. Dans les autres pays européens et sur les cinq continents, il s’agit du Droit Humain. Si l’histoire de la mixité en Franc-Maçonnerie illustre la résistance masculine à la présence des femmes au pouvoir dans la société, elle témoigne surtout d’une évolution irrésistible depuis les premiers temps de la Franc-Maçonnerie au XVIIIème siècle.
Cagliostro
C’est à la fin du XIXe siècle, en France, que va apparaître pour la première fois une véritable franc-maçonnerie mixte. En effet, jusque là, les formes féminines ou mixtes de la franc-maçonnerie étaient restées anecdotiques, marginales (la franc-maçonnerie égyptienne de Cagliostro), assujetties à des loges masculines aristocratiques (les loges d’adoption), ou para-maçonniques dans leurs rites et pratiques (l’ordre de l’Eastern Star aux Etats-Unis). En 1880, douze loges symboliques avaient rompu avec la « Grande Loge centrale » du Suprême Conseil de France et constitué une nouvelle obédience, sous le nom de « Grande Loge symbolique écossaise ». Certaines de ces loges approuvèrent alors le principe de l’initiation des femmes, mais ne purent aller plus loin. C’est pourquoi la loge « Les Libres Penseurs » du Pecq proclama son autonomie le 9 janvier 1882, afin d’initier le 14 janvier 1882, selon les pratiques du Rite Écossais Ancien et Accepté, Maria Deraismes, journaliste et militante féministe, remarquée par les frères pour ses talents de conférencière et son engagement militant pour la reconnaissance des droits des femmes et des enfants. Onze ans plus tard, Maria Deraismes, aidée entre autres de Georges Martin, initia rituellement 17 femmes le 14 mars 1893, puis fonda, le 4 avril suivant, une loge nommée « Grande Loge symbolique écossaise mixte de France Le Droit humain ». C’est cette dernière qui donna naissance, en 1901, à l’Ordre maçonnique mixte international « le Droit humain ».
L’histoire de la mixité témoigne aussi de l’efflorescence en matière de rituels qui a caractérisé la franc-maçonnerie française ces dernières années. Ainsi à la Grande Loge Mixte de France, crée en 1982, les Loges peuvent pratiquer au choix : le Rite Français, le Rite Ecossais Ancien et Accepté, le Rite Écossais Rectifié, le Rite Ancien et Primitif de Memphis-Misraïm, le Rite Émulation, et d’autres Rites tels que le Rite Anglais Ancien, le Rite d’York, le Rite Standard d’Écosse, la Marque, l’Arche Royale et le Rite Opératif de Salomon… « Efflorescence » est bien le mot caractéristique d’une époque où les femmes s’affirment par brassées dans tous les domaines de la société, rattrapant le temps perdu par leurs alter-égaux. Mais la mixité qui s’affirme « au premier degré », par nature binaire, ne change-t-elle pas de sens dans les degrés suivants de l’intériorité et du sacré ? Cette différence de sens qui ne s’affirme qu’a minima au premier degré est pourtant ressentie par les femmes dès leurs premiers pas d’initiées.
Elles témoignent auprès de François Koch, dans l’Express. « La plupart des femmes viennent chercher dans les loges des valeurs fondamentales, une écoute, une tolérance mutuelle, une réflexion constructive, un épanouissement personnel, affirme une sœur, mais aussi la compensation de frustrations pénibles et nombreuses : familles trop pesantes, époux dominateurs, schémas sociaux asservissants, rôle astreignant. » Voilà pourquoi s’est développée une maçonnerie féminine. Les « filles de la Veuve » préférant rester entre elles sont désormais aussi nombreuses que celles optant pour la mixité… alors que 93% des frères de la maçonnerie française demeurent attachés à leur atelier masculin. Chez les femmes, donc, il y a deux écoles.
« Dans une assemblée mixte, les hommes confisquent la parole », affirme Laure, enseignante parisienne de 56 ans initiée à la GLFF. Membre de la même obédience, Marthe, 68 ans, renchérit : « Les femmes ne sont libres qu’entre elles et, comme elles ont une sensibilité commune, leurs travaux sont de meilleure qualité sans mecs, d’autant plus que la parole n’est pas parasitée par de vieux schémas de séduction. » « Avec des femmes, les hommes ne peuvent pas s’empêcher de se comporter en donneurs de leçons », regrette Bernadette, infirmière marseillaise et passée vénérable d’un atelier de la Grande Loge féminine de Memphis-Misraïm (GLFMM).
« Les sœurs des loges mixtes ne comprennent pas ces arguments, puisque les règles de débat maçonniques interdisent de couper la parole de l’autre et limitent les interventions de chacun. « La mixité en franc-maçonnerie est un lieu – ils sont si rares – où les hommes et les femmes se parlent en se respectant, insiste Colette, Strasbourgeoise de 51 ans, membre de la Grande Loge mixte de France (GLMF). J’admire les frères de nos ateliers : ils ont le courage de venir y perdre du pouvoir. »
« A moins d’être une féministe de type américain, c’est-à-dire qui rejette les hommes, une femme préfère la mixité », tranche avec assurance Anne, 50 ans, sœur d’une loge parisienne du DH. « Nous ne rejetons pas du tout les hommes, soutient Claude Guillaut-Darche, 49 ans, passé Grand Maître Général de la GLFMM. Mais l’initiation est une expérience intime, dans le domaine sacré, qui ne peut se transmettre qu’entre femmes. » »L’initiation n’est pas une mise à nu et peut parfaitement se vivre en mixité », rétorque Danièle Juette, 54 ans, grand maître adjoint du DH international. Deux points de vue inconciliables ? « Historiquement, l’initiation mixte n’existe pas, reconnaît l’enseignant et chercheur Yves Hivert-Messeca. Mais l’initiation maçonnique n’a jamais été très anthropologique. Parce qu’elle n’existe que dans la tête de ceux qui se prennent au jeu, c’est une initiation « Canada Dry », une tradition mystique ou de simples règles morales. »
« Les « filles de la Lumière » conservent pourtant de leur initiation en loge un souvenir souvent très fort. Mais elles la qualifient d’ésotérique… donc d’indicible. « Peut-on décrire ce que l’on ressent en arrivant au sommet d’une montagne après une randonnée pédestre ? » s’interroge Françoise, 59 ans, sœur de la GLFF. Extase ou coup de foudre ? Emotion ou désarroi ? Détresse ou paralysie ? Illumination ou renaissance ? Le rituel maçonnique, très théâtralisé, est conçu pour ne pas laisser indifférent. Sous le bandeau, Marie-France Picart s’est sentie « dans le ventre de la mère », envahie par une agréable envie de dormir. « J’avais les yeux bandés au milieu de frères et de sœurs que je ne connaissais pas et les questions fusaient de partout, se souvient Gabrielle, chef d’entreprise francilienne de 50 ans initiée au DH. Lorsqu’on m’a demandé : « Que pensez-vous de la mort ? », j’ai fondu en larmes. Mon mari était décédé il y avait à peine trois ans. »
« Le parcours maçonnique est si intense, mystérieux et incommunicable qu’il est sans doute plus facile à un franc-maçon ou à une franc-maçonne de partager sa vie avec un initié. Bien des frères de la GLDF ont ainsi incité leur compagne à rejoindre la GLFF, favorisant son développement. Les couples de maçons sont légion. Les sœurs du DH, qui représentent les deux tiers de cette obédience mixte, ont souvent pour compagnon un maçon du GO ou du DH. »
Ces couples de Maçons qui subliment par amour leur nature binaire, vivent à la fois avec l’autre et en eux-mêmes l’expérience éclairante d’une spiritualité en mouvement, leur existence matérielle commune coexistant avec une vie spirituelle plus intérieure, qui, même en communion d’esprits, éclaire sans les confondre les cheminements personnels de l’un et de l’autre. L’un et l’autre au « travail », au sens maçonnique du mot, symbolisent une autre mixité à l’œuvre intérieurement en chacun, tendant vers une unité transcendant cette mixité première. Les hommes comme les femmes, ensemble ou séparément, peuvent témoigner d’une même expérience intérieure, quel que soit leur choix de vie, en couple ou célibataire. Marie-Madeleine Davy, apôtre de l’intériorité, qui choisit le célibat, témoigne d’un cheminement et d’expériences intérieures proches de celles des Maçons et Maçonnes : « La différence entre les hommes, dit-elle, se réduit à celle-ci : la présence ou l’absence d’expérience spirituelle » et « Si lumineuse qu’elle soit, cette expérience n’est pas acquise une fois pour toutes, elle est vouée à des approfondissements successifs. »
Comme tout Franc-Maçon, membre par définition d’un ordre initiatique traditionnel, « l’homme en qui l’expérience spirituelle s’accomplit, dit-elle dans « Initiation à la symbolique romane », est attentif aux signes de présence, aux symboles qui telles des lettres lui apprennent un langage, le langage de l’amour et de la connaissance. L’homme spirituel est instruit par les symboles et quand il veut rendre compte de son expérience ineffable, c’est encore aux symboles qu’il a nécessairement recours. » « Attirée par la présence du mystère, dit-elle, je comprenais que la théologie positive, affirmative, ne me convenait pas. Je préférais la théologie apophatique, négative, qui oriente vers l’ineffable. Toute spéculation est récusée du fait de son insuffisance, alors l’inconnaissance surgit. » « Ce n’est ni l’homme ni la femme qui sont faits à la ressemblance divine, mais seulement l’androgyne, l’être intégralement bisexué. »
Marie-Madeleine Davy est restée célibataire, un choix de vie sur lequel elle s’est exprimée à maintes reprises : « Il existe deux types de mariage, l’un lié à la chair, l’autre à l’esprit. Ce dernier se présente comme un authentique mariage. Du point de vue charnel, le philosophe se doit de choisir le célibat. Cependant, il va contracter un mariage secret. » « Abandonner la féminité consiste à passer du plan terrestre au plan céleste. C’est uniquement au niveau céleste que se réalise l’unité. » « L’homme essentiel est toujours seul. Pas de rencontre de l’Absolu sans solitude, pas de solitude sans esseulement. J’ai épousé la solitude comme d’autres prennent un compagnon de route. »
L’union sacrée
Dans l’expérience mystique chrétienne, le sujet est féminin, qu’il soit homme ou femme : c’est l’âme féminine qui deviendra l’épouse de l’Unique Époux. « Le mariage spirituel est symbolisé par l’amour mutuel de l’Époux et de l’Épouse et par leur union. A ce moment l’Épouse ne cherche plus, elle possède une présence qu’elle ne veut plus quitter. » Cependant, la Présence dont elle a reçu l’appel n’est pas celle du Christ Époux, mais celle de la Sophia, ou du Christ Sagesse. Dès lors le sujet de l’expérience est masculin, puisqu’il prétend à une union avec une Personne qui n’est ni Dieu, ni le Christ, ni l’Esprit, mais bien la Sophia divine. Il existe de rares représentations du Christ Sophia. Elles n’en ont que plus de sens pour qui a reçu l’appel de la Sagesse divine.
Fragment d’un manuscrit d’Eckhart, le maître de la mystique spéculative
Dans l’expérience sophianique, l’homme doit connaître sa propre âme féminine, et quant à la femme, elle doit devenir virile. Que l’on soit homme ou femme, c’est l’état de l’homme intégral qui est visé finalement, celui de l’Adam primordial, d’avant la naissance d’Eve, et non la condition de l’homme et de la femme avant la chute. « L’âme doit se dépouiller de sa féminité afin de vivre dans l’Esprit. » En d’autres termes, pour s’unir à la Sophia divine, que l’on soit homme ou femme, il faut devenir cette « vierge masculine » dont parle Jacob Boehme. Alors, l’homme devenu intégral peut prétendre à une union sophianique, qui célèbre les noces de l’homme androgyne, de la femme devenue mâle, avec la Sophia.
Cette expérience de l’union sophianique pour la Femme est fondamentale, car l’âme est féminine et capable d’engendrement. C’est la notion de « puer aeternus », d’ »Enfant d’éternité » que l’on rencontre chez Maître Eckhart, et à laquelle Marie-Madeleine Davy, en tant que femme, sera sensible. « La femme enceinte sait qu’elle porte dans ses flans un embryon qui deviendra un enfant. Dans le cas du « puer aeternus », l’ »Enfant d’éternité », l’enfantement se déroule dans le secret le plus absolu. Il y a bien initialement une semence. Elle provient du monde invisible. Le réceptacle existe. Il ne réduit pas à un corps animé, pourvu d’un nom. Le fond de l’être expérimente une vasteté, une immensité sans frontières. »
Dans cet autre espace vole et plane l’oiseau, son emblème. « L’oiseau, on le sait, symbolise l’âme. Lorsque celle-ci s’intériorise, elle devient profonde. Un trajet s’accomplit allant de la périphérie au centre (vers le centre du cercle du Maître, disent les Maçons). Véritable voyage comportant différents relais ; des épreuves jalonnent le périple. Il convient d’évoquer le mental, de découvrir le chemin conduisant au cœur, qui, peu à peu va pouvoir se liquéfier et favoriser la poussée des ailes (celles du pélican et du phénix au degré de Chevalier Rose-Croix). Celles-ci accompagnent la naissance de l’esprit que de nombreux mystiques « situent » à la fine pointe de l’âme (et les Maçons à la pointe de leur « épée flamboyante »). Ainsi l’esprit provient d’un engendrement de l’âme qui contient virtuellement l’esprit. Tout spirituel est invité à devenir la mère du « puer aeternus », l’ »Enfant d’éternité », l’Enfant divin. On rejoint ici un thème cher à Maître Eckhart, celui de l’homme devenu « mère de Dieu ». Désormais, l’oiseau intériorisé cesse de symboliser l’âme, il signifie l’esprit. »
Dans cet accomplissement spirituel, l’union mystique prépare l’union sophianique. L’union mystique, qui est l’union de l’âme avec l’Époux divin, forme le plan de l’âme, ou de la religion de l’âme, ne s’écarte pas en tant que telle de l’Église visible, et ne dépasse pas réellement l’ordre du salut, ou de l’exotérisme. Et l’union sophianique qui constitue le plan de l’Esprit, de la Religion divine, introduit la notion de l’Église invisible, ou de l’ésotérisme chrétien.
À ce degré de vie spirituelle, dans l’union sophianique, le philosophe abandonne sa tente de nomade et pénètre dans la maison de la Sagesse, ultime étape pour l’homme androgyne uni à la lumineuse Sophia. Toute la Femme est là, en nous tous et tous en elle, et particulièrement en Franc-Maçonnerie où Frères et Sœurs travaillent à la Gloire d’un Grand Architecte de l’Univers, la Sophia leur inspirant même l’idée, à ce degré ultime d’initiation, d’en féminiser le nom en « Grande » Architecte… Mais sans travail, point de gloire. C’est parce qu’ils travaillent à leur transformation intérieure qu’ils œuvrent en glorifiant l’Architecte, tendant à relier en Force et en Beauté la Sagesse à la Sophia ultime, couronnement de leur parcours initiatique.
La « mixité absolue » régnant à ce stade ultime de spiritualité n’implique pas la mixité des Loges maçonniques où travaillent ensemble Frères et Sœurs. Les traditions initiatiques commencent par séparer physiquement les hommes et les femmes pour mieux réunir leurs principes masculin et féminin au terme de leur réalisation intérieure. Six tapisseries médiévales symbolisent ce parcours au musée de Cluny à Paris, les cinq premières exaltant les cinq sens, la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher, le goût, la sixième représentant leur quinte-essence symbolisée par « La Dame à la Licorne » et sa devise « A mon seul désir ». Les hommes et les femmes « disjoints » de leur « conjoint » et leur « moitié » devraient ainsi revivifier leurs cinq sens et transformer de l’intérieur leur perception et leur rapport à l’autre, leur moitié, pour atteindre un Autre, « l’autre Un » fruit essentiel de leur désir.
Ce modèle enjoint les hommes et les femmes à se disjoindre de leur moitié pour mieux la reconnaître, et initier par là même le cercle vertueux de la re-connaissance. Séparer pour redécouvrir et renouveler toute la saveur du fruit du désir relève de disciplines remontant à la plus haute antiquité et relie paradoxalement les esthètes et les ascètes. Les esthètes, dont le nom vient du grec « αἰσθητής, aisthêtês, qui perçoit par les sens », cultivent par le goût du beau le sens matériel et spirituel de la beauté de la vie. Les ascètes, dont le nom vient du grec « ἄσκησις, askêsis, exercice » se mettent à l’épreuve par le renoncement matériel pour tendre vers une perfection spirituelle. Si les uns savourent les plaisirs de la vie quand les autres s’en écartent, les uns et les autres cultivent l’art d’une certaine distanciation, d’un recul nécessaire pour mieux connaître sa « matière » et la maîtriser, comme l’artiste au travail prend régulièrement du recul pour re-voir, re-connaître et « saisir » l’objet de son désir.
Femme sage
En Franc-Maçonnerie cette distance culmine en l’absence du Maître intérieur dans le sentiment douloureux du vide laissé par sa disparition. Les Rites qui structurent de l’intérieur les Obédiences, les Loges, et le travail de chaque Frère et Sœur, et mettent en perspective les degrés symboliques de leur perfectionnement, tendent à combler ce vide en suscitant et re-suscitant par des rituels successifs et différents le désir de le re-trouver et le « ressusciter ». Ce Maître absent et présent, suscité et ressuscité, habite Frères et Sœurs de toutes Obédiences, mixtes ou non, évoluant symboliquement entre la Sagesse évoquée aux premiers degrés des Rites maçonniques et la Sophia des degrés initiatiques ultimes. La première mixité est ainsi spirituelle et verticale, mettant en perspective le Maître intérieur et la Sophia.
Mais cette mixité relève du secret le plus profond et ne saurait attirer les foules. L’autre mixité s’inscrit dans l’évolution globale d’une société tendant à reconnaître en la femme la semblable de l’homme, sa pareille dans les tous les secteurs de la société. Le fossé entre les droits des hommes et des femmes tend à se combler par la loi, mais la tâche reste immense et la tentation est grande dans les Loges de polariser l’attention et la réflexion des Maçons sur cette injustice, leurs travaux contribuant parfois efficacement à faire évoluer la société. Mais ils masquent l’essentiel de la structure binaire, masculine et féminine, qui anime de l’intérieur les Obédiences, les Loges et les Maçons, et se réalise dans le ternaire « parité, mixité, polarité » : la « parité » donne du grain à moudre aux Obédiences à vocation sociétale ; la « mixité » détermine ou non la présence de Maçons de l’autre sexe dans la Loge ; la « polarité » cultive un champ de conscience entre les deux pôles masculin et féminin de la personnalité de chaque Frère et Sœur.
Une réflexion sur cette mixité « horizontale » évolue donc entre les pôles « parité » et « polarité », entre une aspiration à la loi civile ou religieuse venant d’en haut pour faire évoluer la société, et une inspiration née « en » chacun, venue de l’intérieur pour éclairer le travail des deux pôles positif et négatif, yang et yin, masculin et féminin, de leur personnalité. Et c’est cette double polarité qui stimule les pensées et met à jour les idées des Maçons en les responsabilisant de l’intérieur, les rattache à la colonne vertébrale de leur vie maçonnique, le Rite structurant et éclairant leur perfectionnement. Deux modes de réflexion en Loge sont ainsi sous-jacents au choix ou non de la mixité, selon que l’on se repose sur l’idée d’un dogme paritaire ou que l’on aspire au dynamisme de la polarité, en séparant les pôles l’un de l’autre pour les conduire à mieux se désirer, se re-connaître, s’accepter et s’aimer enfin.
Ces deux mixités « verticale » et « horizontale » s’ignorent le plus souvent dans la société et en chacun, chacune apportant la perspective spirituelle ou matérielle nécessaire à toute personne en recherche d’épanouissement. Nécessaire mais pas suffisante, car la Maçonnerie initiatique, c’est-à-dire au sens premier celle des hommes et des femmes qui ne deviennent Maçons et Maçonnes qu’en étant initiés aux « mystères » de la Franc-Maçonnerie, dépasse le simple cercle de l’épanouissement personnel. Par l’initiation, à la fois progressive et globale, chaque Frère et Sœur accroît le rayon d’un champ de conscience où ne s’ignorent plus ces deux mixités conjuguant leurs perspectives, en concordance avec l’existence, le travail intérieur et l’évolution de chacun. C’est du croisement de ces deux axes vertical et horizontal que naît la croix traditionnelle, symbole universel et intemporel de libération et de rayonnement. Si la croix a pu devenir à l’inverse symbole d’oppression et de soumission aux dogmes, elle reste la clé d’accès de l’homme et de la femme à leur humanité globale, à la fois matérielle et spirituelle, la clé de leur cœur rayonnant.
Et cette croix est douée d’une vie propre, symbolisée par la Roue, quand ses branches viennent à tourner autour de son moyeu central. Tous les paradoxes de la vie se cristallisent en ce point doué à la fois, disent les Traditions, de mouvement et de repos. Ce point emblématique d’une spiritualité active marque de son empreinte subtile le centre du cercle des Maîtres Maçons et tous les tracés d’architecture de la Géométrie sacrée, éclatant en rayons lumineux dans les édifices sacrés, en particulier les rosaces des cathédrales, ces hymnes de pierres au divin de la Tradition chrétienne. Quels que soient la terre et le pays où elles s’élèvent, ces chefs-d’œuvre sont dédiés le plus souvent à la Femme représentée en son centre, tenant son enfant dans ses bras, Notre-Dame. C’est d’elle qu’émane leur lumière douce, filtrant les rayons solaires du dehors pour éclairer ses « fidèles » au-dedans et les inviter à respirer la rose d’Amour divin.
Sa Beauté spirituelle s’affirme d’elle-même et n’a nul besoin de Force matérielle ou de discours dogmatique pour se faire entendre et imposer sa marque dans les cœurs, les éclairer et les embellir. Mais il leur faut au préalable se préparer à l’accueillir dans un espace intérieur net des scories de l’âme, celui des chaumières des contes et légendes où s’affaire traditionnellement la Femme, plus habile que l’homme à mettre en valeur son « intérieur », en arrondir les angles et convertir ses creux accueillants et ses ombres en nids d’amour. « Tout est relié » disent les Traditions, en particulier cet amour féminin et celui émanant du centre des rosaces, par un lien subtil immédiat dévoilant les arcanes de l’existence et de la destinée humaine.
Il faut se laisser prendre le cœur pour aimer être là et s’aimer contemplant le centre de la rose ; aimer, s’aimer, embrasser, s’embraser pour la Dame des cieux, celle qui en nous concentre les valeurs qui élèvent et embellissent l’esprit en quête de sens. Il suffit d’un pas en avant pour être saisi par le cœur et projeté dans sa rose immense, saisi par l’envie d’y rester, blotti en son sein. Comme il suffit d’un pas vers nos Sœurs en Loges pour être saisi par la Femme active en elles, en soi et en tout. Avec elles, dit le poète, « Formons la chaîne qui ose / Et parcourt les degrés du Rite / Un parfum d’Amour se dépose / Vient des roses qui se méritent. »
Harmonie Intérieure : La Puissance de la Dualité et de la Mixité en Franc-Maçonnerie
Plongez au cœur de la franc-maçonnerie pour découvrir comment la dualité, la mixité et l’éveil spirituel influencent cette tradition millénaire. Explorez avec nous l’impact des femmes dans cet univers souvent réservé aux hommes, et comprenez l’importance de l’intégration de ces polarités pour atteindre une harmonie profonde.
Dans cet épisode inspirant, nous analysons l’article de Patrick Carré sur l’initiation féminine et la mixité en franc-maçonnerie. Apprenez comment le symbolisme de la dualité masculine-féminine forge une union intérieure essentielle pour notre développement personnel et spirituel. Découvrez les figures comme Maria Deraismes ou George Martin, pionnières de cette ouverture, et réfléchissez à la nécessité de l’émergence de la « femme spirituelle » dans notre époque.
Nous poursuivons avec une réflexion sur l’importance de l’intégration masculine-féminine dans la quête d’harmonie, en soulignant l’impact historique et spirituel des femmes dans la franc-maçonnerie. Le chemin vers une polarité équilibrée, en soi-même, est un voyage fascinant qui peut transformer notre perception du monde et de nous-mêmes.
De notre confrère expartibus.it – Par Rosamunda Christian
Dans le cycle éternel des saisons, mai symbolise la renaissance et le renouveau. C’est le moment où la nature s’éveille, les fleurs s’épanouissent et la lumière du soleil s’intensifie. Dans ce contexte, le Maçon trouve un parallèle avec son propre cheminement intérieur, puisque mai représente la phase où l’Apprenti, après avoir travaillé la pierre brute, commence à entrevoir la forme de l’œuvre future.
La Franc-maçonnerie, avec ses racines dans les anciennes guildes de francs-maçons, a toujours attaché une grande importance aux cycles naturels et à leur signification symbolique.
Le mois de mai, en particulier, est associé au concept de transitus , le passage d’un état à un autre, de l’obscurité à la lumière, de l’ignorance à la connaissance. C’est le moment où le franc-maçon est appelé à réfléchir à son cheminement, à évaluer les progrès accomplis et à se préparer aux défis futurs.
Dans la tradition maçonnique, le mois de mai est également associé à la figure d’Hiram Abif, l’architecte du Temple de Salomon, symbole de dévouement, de sacrifice et de perfection. Son exemple inspire les Frères à persévérer dans leur travail intérieur, à surmonter les difficultés et à contribuer à la construction d’un monde meilleur.
En cette période de l’année, les Loges peuvent s’inspirer de la nature environnante pour renouveler leur engagement envers les principes maçonniques de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est une occasion de renforcer les liens entre les Frères, d’accueillir de nouveaux initiés et de promouvoir des initiatives visant le bien commun.
Comme le dit un vieil adage latin :
Tempora mutamur, et nos mutamur in illisLes temps changent, et nous changeons avec eux.
Le Franc-Maçon, conscient de cette vérité, embrasse le changement comme partie intégrante de son chemin, sachant que chaque transformation est un pas vers la lumière.
Mai n’est pas seulement un mois dans le calendrier, mais un puissant symbole de renouveau et de croissance. Pour le franc-maçon, il représente une invitation à la réflexion, à renouveler son engagement et à poursuivre avec détermination son chemin vers la perfection.
À cette réflexion symbolique, je voudrais ajouter quelques considérations personnelles, nées du cœur et du chemin silencieux que chaque Sœur ou Frère fait dans son propre laboratoire intérieur.
Mai nous invite avec une force douce au renouveau. Mais ce renouveau ne peut rester une simple allégorie saisonnière ; il doit devenir un geste concret, une volonté vivante, un nouveau regard sur notre engagement initiatique.
Si nous n’acceptons pas le changement, si nous ne nous préparons pas à accueillir la transformation, il sera difficile de récolter les fruits mûrs de notre travail.
Le travail maçonnique n’est pas statique : c’est un semis continu. Et si nous ne prenons pas constamment soin de notre terreau spirituel, si nous n’arrachons pas les mauvaises herbes de l’inertie, de l’ego ou du jugement, nous risquons de ne pas avoir de récoltes à célébrer.
yoga meditation
Travailler sur soi est un acte quotidien de vérité, un serment renouvelé en silence devant son Autel intérieur.
Ce n’est qu’en cultivant avec dévouement, saison après saison, que nous pourrons regarder notre Temple et y reconnaître quelque chose qui nous ressemble et la Lumière que nous avons recherchée.
Se renouveler est donc aussi un acte d’humilité et d’espoir. C’est dire « Je suis là » malgré la fatigue, les déceptions, les épreuves. Car tout fruit naît d’une graine invisible et silencieuse, qui a cru à la lumière avant même de la voir.
Fiat Lux, et facta est Lux. Genèse 1:3
Que la Lumière continue à guider notre chemin, dans un silence travailleur et dans la fidélité au Temple.
« Il y avait deux colonnes Yakhin et Boaz. Mystère de : ‘Ses jambes sont des colonnes de marbre -shaish- fondées -Meyoussadim- sur des bases -adoni- d’or pur » (Cantique des cantiques 5,15) » (Joseph Gikatilla Les portes de la Lumière)
Le Cantique des cantiques
Le Cantique des cantiques, Shir ha shirim en hébreu, fait partie des Kétouvim, « Écritures », troisième partie de la Bible hébraïque, venant donc après la Torah, La « Loi » et les Nevi’im, Les « Prophètes ».
On le nomme, également « Cantique » ou « Poème » ou « Chant » de Salomon, car il commence ainsi : Shir ha shirim acher li-Shlomo
Soit Shir ha shirim « Poème des poèmes » acher « qui » (sous-entendu « est ») li « de » Shlomo « Salomon »[1].
Sur l’image ci-dessus :
Sur quatre lignes sont le titre suivi de la première phrase « Chant des chants de Salomon : « Qu’il me baise des baisers de sa bouche car ton amour est meilleur que le vin. »
Au deuxième siècle de notre ère, Rabbi Akiva[2] en parlait ainsi : «L’univers entier ne vaut pas le jour où le Poème des poèmes a été donné à Israël, car tous les écrits de la Bible sont sacrés, mais le Poème des poèmes est sacré entre tous. »
C’est lui d’ailleurs qui obtint de faire figurer le Cantique parmi les Écritures sacrées.
Un peu plus tard Rabbi Yossé[3], son disciple, ajoutait : « le roi Salomon a chanté ce Cantique, lorsqu’il avait achevé la construction du Temple et lorsque tous les mondes d’en haut et d’en bas avaient été perfectionnés »
À son tour le Zohar, le Livre de la Splendeur (Zohar 144 a) pourra dire qu’en rédigeant ce Cantique, le roi Salomon avait été inspiré par l’Esprit Saint.
On comprend alors pourquoi, au huitième jour de la Pâque, a lieu la récitation du poème par les Juifs et pourquoi, dans le rite séphardi, il est chanté chaque Vendredi soir.
Une ode à l’amour
Le Shir ha shirim le « Chant des chants », ou « Poème des Poèmes », plus connu sous le nom de « Cantique des cantiques » est, à première vue, une ode à l’amour.
« Il m’a introduite dans la maison du vin », dit l’Amante, « et sa bannière au-dessus de moi c’est Amour (Ahava) » (Verset II, 4)
Un hymne à l’amour entre un homme et une femme (voir plusieurs couples) exaltant la beauté physique de l’amant tout autant que celle de l’amante.
Toutefois les amants ne cessent les comparaisons entre la beauté de leurs corps et celle des plantes et des animaux, en fait, entre celle de leurs corps et celle de la nature. On ne peut les dissocier. On a donc deux plans de lecture.
Deux plans de lecture qui se marient : un plan humain et un plan cosmique
Le plan humain parle de l’amour entre un homme et une femme, le plan cosmique se réfère à la création tout entière.
Le portrait de l’Amante
L’Amante est comparée par l’Amant :
-À des animaux :
« À ma jument, aux attelages du pharaon, je te compare »
« Belle aux yeux de palombe »
« Tes cheveux, tels un troupeau de caprins qui dévalent le mont Guil’ad.
« Tes dents, tel un troupeau de tondues (brebis) qui montent de la baignade.
« Tes deux seins, tels deux faons jumeaux de la gazelle, pâturent dans les lotus. »
-À la Terre et aux plantes :
Elle est pour lui paradis de grenades. Ses seins ressemblent à des pampres de vigne, sa taille à un palmier, son nez sent les pommes et son palais le vin. Son ventre est une meule de blé.
Elle est nectar, miel, lait, myrrhe, aloès, nard. Ses aromates ruissellent évoquant évidemment la promesse de Yahvé à Moïse : une terre fertile où « ruissellent le lait et le miel » En fait, l’Amante est le symbole de la Terre.
Elle est source des jardins, puits, eaux vives.
Elle-même se décrit comme l’amaryllis du Sharôn, le lotus des vallées.
Le portrait de l’Amant
Il est d’abord décrit par l’amante comme un pommier, à l’ombre duquel elle peut se tenir.
Puis en mouvement « Il bondit sur les monts, il saute sur les collines. Il ressemble à la gazelle, au faon des chevreuils.
C’est ainsi que le poème se lit sur deux plans de signification celui de l’humain et celui de la création :
Plan de l’humain : homme femme.
Plan cosmique : qui se réfère à la création entière.
En effet on trouve auprès de l’homme et de la femme le Soleil, la Lune, la Terre, le Ciel, l’aurore, la nuit, le Liban et on ne peut dissocier la beauté des amants de celle de la nature à tel point que l’on ne sait parfois si la nature est représentée par une femme ou la femme comparée à la nature.
Un hymne à Jérusalem et à son temple
Rabbi Yossé, on l’a vu disait que le roi Salomon a chanté ce cantique, après avoir achevé la construction du Temple.
L’histoire en tout cas se déroule au temps de Salomon à Jérusalem.
L’Amante est semblable à un rempart, elle est identique à deux villes, Tirsa[1] et Jérusalem. Et pendant qu’elle cherche l’amant on nous décrit Salomon sur son palanquin entouré de soixante héros.
« Il s’est fait une litière en bois du Liban, avec des colonnes d’argent, de la tapisserie d’or, des montants de pourpre et l’intérieur tapissé d’amour (Verset III, 9 et 10).
A.D. Grad[2] y voit la représentation symbolique du Saint des saints
Le sens ésotérique du Cantique des cantiques
Le nombre de Shir ha-shirim
La Bible hébraïque est codée et les lettres de l’Alef Beith (l’alphabet hébraïque) sont des nombres.
Aussi, avant même de nous plonger dans le texte littéral, voyons ce que signifie le titre du Livre Shir ha shirim.
Shir hashirim s’écrit :
Shir s’écrit : Shin 300, Yod 10, Reish 200, soit un total de 510 soit 5+1 = 6
Ha-shirim (Ha est l’article qui se colle au nom) s’écrit : Hé 5, Shin 300, Yod 10, Reish 200, Yod 10, Mem 40, soit un total de 565 soit 5+6+5 soit 16 soit 6+1 = 7.
Soit pour Shir ha-shirim 6+7 = 13
Soit le nombre de Ahava « Amour » et celui de E’had « Un »
Ahava (Alef 1 + Hé 5 + Beith 2+ Hé5 = 13)
E’had (Alef1+Heith 8+ Daleth 4 = 13)
Et rappelle A.D. Grad le mot « Amour » st un rappel du nom de l’Éternel -Un.e
Ainsi écrit-il c’est le chant de l’amour entre le Créateur et sa création ou l’union mystique de Dieu et son peuple.
Voyons ce qu’il en est :
L’Amant : Dodi et le nombre 26, le nombre de YHVH
L’Amant du Cantique est nommé par l’Amante le Bien Aimé, sous sa forme possessive, « Mon Bien Aimé », Dodi en hébreu.
Or Dod sous la forme Dodi (Daleth Vav Daleth Yod) « Mon Bien Aimé » revient vingt-six fois, et vingt-six est le nombre du Tétragramme YHVH (Yod 10 + Hé 5 + Vav 6 +Hé 5 = 26).
En clair, le Bien Aimé est YHVH. L’Amante est Israël décrivant son Dieu mais s’étend au-delà : Elle est la Création.
Ils sont dans une ivresse mystique symbolisée par le vin
Ainsi le « vin », iaîn en hébreu qui s’écrit : Yod 10, Yod 10, Noun 50, a pour nombre soixante-dix (10+10+50 = 70) tout comme le mot Sod « Mystère », « Secret », qui s’écrit Samekh 60, Vav 6, Daleth 4, (60+6+4=70).
Quant au vin, s’il nous aide à découvrir les mystères, il est aussi l’ivresse mystique : il ne faut pas oublier qu’il est en homophonie avec ein la source, le néant, qui devient la Cause première, l’unité indivisible et infinie l’ein sof.
Ce qui, « aux yeux des rabbis » ; écrivait Chouraqui, « invite à appliquer le poème au mystère de l’amour de YHVH. Le vin est source d’ivresse mais l’amour l’est encore plus »[1] et l’amour est feu.
Le Shin, le Feu et le Cantique des cantiques
La première lettre du Cantique des Cantiques est la lettre Shin. De plus ce Shin première lettre du mot Shir « Chant » est non seulement plus grande que les autres lettres du livre, mais elle est couronnée tout comme le Beith la première lettre du premier mot Beréchit « Au commencement » de l’Écriture (la couronne étant en général symbolisée par une petite étoile).
Or cela est une exception : En dehors du Beith de Béréshît il existe seulement deux autres lettres commençant un texte qui soient plus grandes que les autres :
-La première lettre du texte de « I Chroniques » « Adam, Seth, Enosh » : un Alef.
-La première lettre du texte des « Proverbes de Salomon » Mishlei Shelomo : un Mem.
Or, si le Beith qui démarre la création (Bé-réshit), le Beith de « Au commencement » et qui signifie « Maison », la Maison du monde, car il est fabrication du monde, dit le Zohar, le Alef représente l’élémentAir le Mem l’élémentEau et le Shin l’élémentFeu.
Pour le Sefer Yetsirah[1] le « Livre de la Formation », il est patent que « Les cieux ont été créés à partir du Feu (III : 3) par la manifestation du Shin. « Il a fait régner la lettre Shin par le feu et lui a attaché une couronne. Il les a combinées l’une avec l’autre et Il scella avec : le ciel dans l’univers, la chaleur dans l’année et la tête dans le vivant, mâle et femelle. » (III : 8)
Ainsi donc le Cantique des cantiques démarre sous le signe du Feu.
Tout comme la Bible, qui commence avec « l’Alliance de Feu » :
En effet, les deux lettres centrales du mot Beréshît Aleph et Shin forment le mot Esh « Feu ». Reste le mot Bérith « Alliance » ce qui fait que nous pouvons lire Bérit Esh « Alliance de Feu ». Aussi, écrit A.D. Grad dans son livre La Kabbale du feu, le Feu est au cœur de la Création.
Enfin l’Éternel est un feu. La Bible le dit assez :
Dans le Deutéronome : « L’Éternel, ton Dieu est un feu dévorant » (Deut. IV :24) ou encore « Sur la terre il t’a fait voir son feu imposant et du milieu de ce feu tu as entendu ses paroles »(Deut. IV, 36)
Dans le Lévitique : « Et un feu sortit de devant le Seigneur et les dévora » dit le (Lév. X ; 2)
Dans Rois : « Et moi j’invoquerai l’Éternel. Le dieu qui répondra en envoyant la flamme celui-là sera le vrai Dieu » (I Rois XVIII : 24)
On va donc retrouver dans le Cantique des cantiques (C. VIII, 6) le Bien Aimé en rapport avec le Feu « Ses ardeurs sont des ardeurs de feu une flamme divine » verset qui selon Rabbi Hiyâ fait allusion à « la flamme, qui descend du monde suprême et s’attache à l’assemblée d’Israël afin que l’union soit parfaite,c’est la flamme divine. »
Le corps du Bien aimé, le Temple de Salomon et les Séfiroth
Nous avons vu que, suivant Rabbi Yossé, Salomon écrivit le Cantique des cantiques, quand il eut fini de construire le Temple à la gloire de l’Éternel. Temple où résidait son Nom.
Gikatilla va nous donner une clef ésotérique à partir du portrait du Bien Aimé, et nous allons finir par comprendre que ce corps décrit comme une statue dont la tête est d’or pur, le ventre une sphère d’ivoire recouverte de saphirs et les jambes des colonnes de marbre, est le corps du Temple de Salomon, reflet du corps humain sur lequel se projette l’arbre des Séfiroth.
Mais si l’on veut bien comprendre il ne faut pas oublier que les noms des séfiroth ne sont que ceux des attributs des émanations divines. À chacune d’elles correspond un des noms de l’Éternel
Pour Kéter c’est E’hié
Pour Hokhma Ya
Pour Binah Yahvé
Pour Guedoulah ou ‘Hessed : El
Pour Guevourah ou Din : Elohim
Pour Tiférét : Yahvé
Pour Hod : Elohim Tsavaoth « Elohim des armées »
Pour Nets’ah : Yahvé Tsavaoth « Yahvé des armées »
Pour Yessod : El ‘Hai « Dieu le Vivant »
Pour Malkouth : Adonaï « Mon Seigneur »
Le Bien Aimé et la statue d’un dieu
En fait il ressemble à la statue d’un dieu (Cantique des cantiques 5,15)
« Mon Bien aimé est brillant et rose, distingué parmi dix mille. Sa tête est d’or fin (ketem), d’or pur (paz). Ses boucles sont des palmes noires comme le corbeau. Ses yeux sont comme des colombes sur des ruisselets d’eau, elles se baignent dans du lait.
Ses jambes sont des colonnes de marbre fondées sur des socles d’or pur… »
Gikatilla dans son livre sur les Séfiroth intitulé Les Portes de la Lumière[1] reprenant la phrase : Ses jambes sont des colonnes de marbre fondées sur des socles d’or pur… » nous décrypte le texte, faisant un décodage qu’il nomme « Mystère ».
« Il y avait deux colonnes Yakhin et Boaz. Mystère de : ‘Ses jambes sont des colonnes de « marbre » shaish ; « fondées » Meyoussadim ; sur des « bases » adoni, d’or pur’ » Les jambes du Bien Aimé
Les jambes du Bien Aimé : les colonnes de Six et Yakhin et Boaz
Shaish « marbre » pouvant aussi bien se traduire par six, on peut lire « les jambes sont les colonnes des six ».
Soit les six séfiroth latérales :
-Sur la jambe gauche : Hod (n°8 sur la figure), Guevourah (ou Din) (n°5) et Binah (n°3) :
Cette jambe gauche c’est Boaz, la colonne du Nord : « Sache qu’en correspondance à cet attribut Hodah (revêtu de Hod) Salomon a fait édifier la seconde colonne du Temple (celle du Nord) désignée par le nom Boaz »
-À droite sur la jambe droite : Netsah (n° 7 sur la figure), ‘Hessed (ou Guedoulah) (n° 4) et Hokhmah (n°2) : C’est Yakhin.
Les séfiroth se placent sur les deux colonnes de la façon suivante :
-Netsah et Hod sur les fûts.
-Guevourah ou Din et ‘Hessed ou Guedoulah sur les deux chapiteaux.
-‘Hokhmah et Binah sur les bourrelets des chapiteaux soit sur les grenades.
Le mont Sion le Fondement ou Yessod
Ces deux colonnes sont fondées Meyoussadim, Meyoussadim fait allusion à Yessod, (racine de Meyoussadim) « Fondement » la séfirah au-dessus de Malkouth.
Yessod fondement fait allusion au mont Sion. C’est là que se trouvent les fondations du Temple.
La mer d’Airain ou Malkouth
« ‘Ses jambes sont des colonnes de « marbre » shaish ; « fondées » Meyoussadim ; sur des « bases » adoni, d’or pur’ »
Adoni « bases » s’écrit comme Adonaï « Seigneur » le nom divin de la séfirah Malkouth
Malkouth ou Adonaï est la Mer d’airain Gikatilla compare Malkout à un bassin qui reçoit en lui toutes les émanations qui proviennent de la source d’Ein sof et descendent à travers les séfiroth et ruissellent jusqu’au bas.
Malkout est la dernière Mer, la Mer de la fin Yam sof.
D’ailleurs Adonaï (le nom divin correspondant à Malkout) transportant l’eau du bassin est là pour les besoins de toute la création pour irriguer le jardin et fournir l’eau à boire.
D’ailleurs une dénomination pour Adonaï est Barak’ah « bénédiction », qui vient du mot berik’ah « bassin ». Ou encore Beer « puits », car il est le puits des eaux vives.
Et enfin Adonaï porte aussi la dénomination de Yam mer.
Malkhouth le Royaume est le monde sublunaire, celui où nous vivons
Et Jérusalem est la ville du Royaume.
Cette mer circulaire, reposant sur douze bœufs, trois à chaque point cardinal, représente le monde terrestre en correspondance avec les douze tribus d’Israël, elles-mêmes constituées à l’image du monde céleste et les 12 tribus du Seigneur.
Malkout est la première porte en commençant par le bas car c’est là que nous sommes.
D’ailleurs en maçonnerie au Royal Arche 13ième degré du REAA, la première porte que le maçon découvre est bien celle de Malkouth.
Nous pouvons donc continuer logiquement à placer les séfiroth sur le corps du Bien Aimé et sur le Temple de Salomon.
Restent alors Tiféréth la séfirah centrale et Kéter. Tiféréth se plaçant logiquement dans le Héikhal et Kéter dans le Debir.
Le Ventre du Bien Aimé, Tiféréth dans le Héikhal ou lieu saint
Tiféréth est la Séfirah centrale et le mot séfirah a le même radical que le mot saphir Les séfiroth sont lumières on peut les voir comme des sphères de lumière.
Le ventre du Bien aimé, d’ivoire resplendissant recouvert de saphirs évoque bien le ciel lumineux et étoilé. Il correspond au Héikhal, le lieu Saint le lieu du culte. Les objets symboliques qui s’y trouvent font référence au ciel aux planètes, au zodiaque et à la Lune.
Côté sud, les dix chandeliers au sept branches aux sept planètes.
Côté nord, les douze pains de proposition aux douze mois, aux douze signes du zodiaque, marqués par les douze Pleines Lunes
La tête d’or du Bien Aimé Kéter dans le Débir le Lieu très saint
La tête d’or correspond bien à l’Arche d’Alliance qui se trouve dans le Saint des saints en rapport évident avec Kéter la Couronne
La représentation d’un corps humain sur le temple de Salomon semble venir d’Egypte où cela était particulièrement marqué dans les temples. On la trouve en Inde aujourd’hui encore, tout comme le corps se projette sur le plan des églises chrétiennes.
Nul doute qu’on retrouvera cette projection dans les temples maçonniques avec les séfiroth.
[1] « Les portes de la Lumière » Shaaréi Orah de Joseph Gikatilla (1248- 1325) traite des dix séfiroth et des noms divins qui leurs sont associés. C’est l’un des commentaires les plus volumineux sur les séfiroth. Il fut traduit en latin en 1516 sous le nom de Porta Lucia par Paul Ricci . Reuchlin l’utilisa pour convaincre le Pape Léon X de ne pas brûler tous les livres juifs. Il est traduit et annoté en français par Georges Lahy (2001- 2003)
Dans le silence solennel du Temple, alors que les colonnes vibrent encore du souffle des anciens, une question s’élève : que signifie la chevalerie pour l’Apprenti du premier degré du Rite Écossais Ancien et Accepté ? La réponse pourrait sembler prématurée, audacieuse même.
Et pourtant, n’est-ce pas dans les commencements que se dessinent les lignes maîtresses de la quête ?
Le REAA, étendu sur trente-trois degrés, emprunte à la tradition des bâtisseurs du Moyen Âge. Les outils qu’ils maniaient avec ferveur nous sont transmis, mais non pour tailler la pierre brute du monde : ils sont destinés à polir celle, plus récalcitrante encore, de notre intériorité. À la cathédrale de pierre, nous substituons le Temple intérieur. Et, au-delà de cette construction sacrée, un souffle, une présence : celle de l’esprit chevaleresque.
Dans l’imaginaire collectif, la chevalerie évoque des figures nobles, héroïques, flamboyantes. Hommes d’honneur et de droiture, défenseurs des opprimés, les chevaliers symbolisent un idéal moral intemporel.
Mais derrière l’image romancée, la légende s’élargit : des cavaliers indo-européens, les Kshatriya, formés dans le secret des ashrams, jusqu’aux druides celtiques qui enseignaient le combat intérieur et l’équilibre des forces. Le mythe d’Achille éduqué par Chiron, le récit zoroastrien de Yima recevant l’anneau, l’alliance et l’épée, autant de fragments de cette arche universelle.
La tradition chevaleresque s’est incarnée de manière éclatante dans la Table Ronde. Au cœur du récit, le Graal — émeraude de la couronne luciférienne, taillée par un ange fidèle, confiée à Adam et transmise par Seth. Puis Joseph d’Arimathie, dépositaire du secret, en poursuivit la garde. À travers Galaad, Merlin et la Massenie du Saint Graal, un fil d’or relie les constructeurs de cathédrales aux porteurs d’épée.
L’Ordre du Temple, fondé pour protéger les pèlerins, s’enracine dans la même tradition. Son idéal de pureté, sa mission ésotérique — rebâtir symboliquement le Temple de Salomon — font écho à l’esprit des Assacis musulmans, gardiens eux aussi d’une Terre Sainte intérieure. Une convergence frappante des structures, des fonctions, des vertus.
Dante, dans son architecture céleste, place la chevalerie sous la sphère de Mars, gouvernée par les vertus théologales et cardinales. Le feu, la justice, l’espérance et l’action y président. Et que dire des figures féminines ? Les Chevalières de la Hache ou de la Cordelière, Clorinde ou Anne de Bretagne, toutes ont brandi l’épée au nom d’un idéal supérieur.
Au REAA, les degrés chevaleresques abondent : Rose-Croix, Kadosch, du Soleil, du Serpent d’Airain…représentant près d’un tiers des degrés. Ils rappellent que l’Art Royal n’est pas seulement œuvre de bâtisseur, mais aussi de combattant spirituel.
Qu’en est-il alors au premier degré ?
Cabinet de réflexion maçonnique
L’Apprenti ne manie pas encore l’épée, mais le maillet et le ciseau. Il n’a pas encore juré sur le glaive, mais il chemine, déjà, sur la voie du chevalier. Le Cabinet de Réflexion, où il médite sur le V.I.T.R.I.O.L., équivaut à la veillée d’armes de l’écuyer : retraite intérieure, prière silencieuse, descente dans les ténèbres du moi pour en tirer la lumière.
Les trois voyages qu’il effectue — bruyants, puis modérés, enfin silencieux — rappellent la tripartition de l’être : corps, âme, esprit. Ils évoquent aussi les trois fonctions : producteur, guerrier, prêtre. Le chevalier, ici, est à la fois celui qui maîtrise son corps, élève son âme, et tend vers l’esprit.
Et que dire du cheval, fidèle compagnon ? Il est l’âme portée par le corps, l’élan vers le but. Avec ses ailes, il devient Pégase : instrument d’ascension, messager entre les mondes. Victor Hugo écrivait : « les animaux ne sont autre chose que les figures de nos vices et de nos vertus, errantes devant nos yeux ». Le chevalier, uni à sa monture, unit ainsi chair et idéal.
La cérémonie d’initiation lie le maillet du constructeur à l’épée flamboyante du Vénérable Maître. Cette épée n’est pas neutre : elle rappelle celle qui garde l’entrée du Jardin d’Éden. Elle est la vigilance, la coupure entre le profane et le sacré. Les officiers de la Loge, armés, incarnent cette garde sacrée. En cas de profanation, l’ordre est donné : « Frères, armez vos glaives ! » — non pour un combat extérieur, mais pour intensifier la lutte contre les passions.
Ainsi, dès le premier degré, le REAA nous enseigne que la quête maçonnique n’est pas seulement une édification intérieure. Elle est aussi un engagement, une chevalerie de l’âme. Le combat est spirituel, mais il rayonne dans le monde. L’épée de lumière complète le maillet du constructeur.
Notre chemin ne s’arrête pas à nous-mêmes. Il tend vers la cité céleste, la Jérusalem nouvelle, cubique, parfaite, descendue du ciel — image du Temple achevé.
L’Art Royal est donc aussi l’art de la chevalerie.
Car il s’agit de bâtir, pierre après pierre, combat après combat, une humanité réconciliée, une société juste, un monde où l’invisible éclaire le visible.
Et l’Apprenti qui entre dans la Lumière n’est-il pas déjà, en germe, le chevalier de demain ?
La presse écrite et télévisuelle française s’est largement fait l’écho, il y a 12 mois, du lancement de ce projet novateur de Monastère Maçonnique. Pour rappel, l’auteur Alain Subrebost avait émis cette idée dès 2012 dans son ouvrage « Petit manuel d’Éveil et de pratique maçonnique. » C’est en 2024 que les Éditions LOL, une association sans but lucratif (loi 1901) qui gère le Journal 450fm, a décidé de concrétiser ce projet avec le concours d’Aline Barbey, propriétaire avec son époux d’une maison d’hôtes de luxe à Thouars (79).
Ainsi, depuis un an, quelques dizaines de Sœurs et de Frères, venus de tous horizons, ont pu profiter de ce concept, avec un taux de satisfaction dépassant toutes les attentes, tant la qualité de l’accueil offrait un standard d’excellence.
Pour des raisons personnelles, en décembre 2024, la famille Barbey, qui n’est pas membre de la Franc-maçonnerie, a décidé de mettre en vente sa demeure du XVe siècle. Plusieurs options se sont alors présentées à Franck Fouqueray, promoteur de ce projet : soit trouver un nouveau lieu d’accueil pour transférer le Manoir d’Hiram, soit faire évoluer le projet afin de le rendre encore plus attractif. C’est cette seconde solution qui a été retenue dès janvier 2025.
Comme le rappelle Fouqueray : « N’oublions pas que le réseau OnVaRentrer.fr, avec ses 6 500 membres, a servi de base de lancement au Journal 450.fm, qui totalisait le trimestre dernier 234 000 lecteurs uniques… Mais tout cela a démarré il y a plus de 10 ans avec un site de rencontres entre Sœurs et Frères qui avait provoqué l’hilarité de certains. » Il ajoute : « Aujourd’hui, nous avons passé le cap de l’expérimentation des 12 mois avec un concept qu’il convient de faire évoluer, c’est précisément ce que nous avons décidé en janvier dernier. » Pour conclure, il annonce :
« Nous travaillons actuellement sur la création d’un nouveau concept qui permettra, d’ici la fin de l’année, de proposer non plus un seul Manoir d’Hiram… mais des dizaines d’hébergements à travers la France, afin de répondre à tous les besoins fraternels. La plus grande nouveauté réside dans l’exploration d’un concept très maçonnique : le paiement de l’hébergement par le don. »
Il est important de souligner que, depuis 10 ans, OnVaRentrer.fr est entièrement gratuit. Depuis 4 ans, le Journal 450.fm est également libre d’accès et sans frais. Ce principe associatif et fraternel s’inscrit pleinement dans l’esprit de la Franc-maçonnerie. Comme le rappelle son fondateur,
« pas de publicité, pas d’abonnement et, surtout, pas de subventions cachées d’obédiences qui auraient des intérêts à soutenir ce projet. Nous sommes véritablement au service de la Franc-maçonnerie, des Francs-maçons et des Franc-maçonnes ».
La phase 2 du Manoir d’Hiram s’inscrira dans le même esprit et suivra les mêmes règles de fonctionnement. « L’argent est un voile qui nous éloigne de la fraternité », déclare Fouqueray, qui est également le fondateur en France du principe du Troc Temps. Ce concept, initié dans les années 90, a donné naissance au Système d’Échange Local, qui regroupe aujourd’hui plus de 600 associations à travers la France. Le principe de mutualisation fraternelle, Fouqueray le maîtrise non seulement en théorie, mais il le met également en pratique avec succès.
Nous ne manquerons pas de vous tenir informés de la suite de cette aventure.