dim 14 décembre 2025 - 07:12
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L’universalisme émancipateur face à ses adversaires – Philippe Foussier sur France Culture

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Ou la République comme chantier spirituel… Dans le clair-obscur de notre temps, où vacillent les certitudes et où s’élèvent des voix contraires, la parole de Philippe Foussier résonne comme une exigence et une fidélité. Invité par Alexis Lacroix sur les ondes de France Culture dans le cadre de l’émission « Divers aspects de la pensée contemporaine », il ne s’exprime pas seulement en ancien Grand Maître du Grand Orient de France, mais en homme qui a fait de la République et de son universalisme émancipateur une voie, un combat et presque un sacerdoce.

Cette rencontre, discrète en apparence, prend l’allure d’un moment initiatique tant elle réactive les fondamentaux d’une Franc-Maçonnerie vivante, attentive à l’histoire mais tendue vers l’avenir.

Philippe FOUSSIER
Philippe FOUSSIER

Philippe Foussier n’évoque pas l’universalisme comme une abstraction lointaine ou comme une formule gravée dans la pierre des constitutions. Il le présente comme un souffle, une respiration qui traverse les âges et qui doit, pour survivre, être incarné. Nous percevons dans sa parole que cet universalisme n’est pas un ornement rhétorique mais un travail intérieur et collectif, semblable à celui que nous poursuivons au sein de nos loges, où les pierres brutes se polissent pour former un édifice commun. Défendre la République, ce n’est pas ériger un rempart administratif mais rappeler que chaque citoyen, dans sa dignité et son autonomie, devient à la fois la pierre et le ciment de ce temple invisible qu’est la cité humaine.

L’entretien nous fait sentir que l’universalisme émancipateur n’est pas exempt d’ennemis. Il se voit assiégé par les relativismes qui fragmentent l’humanité en une mosaïque de particularismes sans lien, par les obscurantismes qui substituent l’autorité d’un dogme à l’éveil de la conscience, et par les forces de repli qui craignent la fraternité autant qu’elles redoutent la lumière. Ces adversaires, multiples, ont en commun de nier l’idée d’un horizon partagé, d’une transcendance laïque qui place la dignité humaine au-dessus des assignations de naissance ou des appartenances étroites.

Cet universalisme devient alors une véritable quête initiatique : il nous appelle à dépasser le cercle étroit de notre ego pour nous élever vers l’universel, comme le maçon franchit le seuil du Temple pour embrasser l’ensemble de l’humanité.

Cette méditation trouve une résonance particulière alors que Philippe Foussier signe la préface du nouvel ouvrage de notre TCS Cécile Révauger, Pourquoi et comment devenir franc-maçon.ne ?, à paraître chez Conform Édition. Il ne s’agit pas seulement d’un prolongement éditorial mais d’un écho profond. Cécile Révauger, historienne majeure de la franc-maçonnerie, offre une clé précieuse à celles et ceux qui veulent comprendre ce que signifie, au XXIe siècle, le choix de rejoindre l’Ordre. La préface de Philippe Foussier n’est pas une simple introduction, elle inscrit ce livre dans le combat intellectuel et spirituel qu’il mène depuis des années, celui d’une maçonnerie ouverte, universelle, en dialogue avec le monde contemporain. Le geste éditorial devient prolongement du geste rituel et la plume se fait compas pour tracer de nouveaux cercles de pensée.

Humanisme HS Juillet 2025
Humanisme HS Juillet 2025

Philippe Foussier, chroniqueur littéraire, contributeur infatigable à La Chaîne d’Union et à Humanisme, Grand Maître du Grand Orient de France de 2017 à 2018, administrateur de l’Institut d’Études et de Recherches Maçonniques et président des Amis du Musée de la franc-maçonnerie, est journaliste de formation. Son engagement maçonnique et citoyen se déploie en une cohérence, comme en témoigne son essai Combats maçonniques publié en 2018 chez Conform. Ce qu’il nous transmet n’est pas seulement un héritage mais une vigilance, celle d’un initié qui sait que la lumière reçue au Temple doit être portée dans l’espace profane.

Cécile Révauger, initiée en 1982 à la Grande Loge Féminine de France puis rattachée au Grand Orient de France en 2013, est une figure intellectuelle incontournable.

Première sœur membre de la chambre d’administration du Grand Chapitre Général du Rite FrançaisPhilippe Guglielmi Très Sage & Parfait Grand Vénérable – elle incarne ce chemin où l’histoire, la mixité et la recherche se croisent pour féconder l’avenir. Ses travaux, qu’il s’agisse de La longue marche des franc maçonnes, France, Grande-Bretagne, États-Unis (Dervy, 2018)de Black Freemasonry : From Prince Hall to the Giants of Jazz (Inner Traditions, 2016), coécrit avec Charles Porset (OE) Le monde maçonnique des Lumières. Europe-Amérique et colonies. : Dictionnaire prosopographique (Honoré Champion, coll. « DR26 », 2013)ou encore de ses études sur les Ordres de Sagesse, notamment son ouvrage coécrit avec Ludovic Marcos (OE) Les Ordres de Sagesse du Rite Français : au cœur de la maçonnerie libérale, des Lumières au XXIe siècle, (Dervy, 2015), tracent une œuvre érudite et visionnaire. Elle a consacré des décennies à éclairer les passerelles entre Lumières, esclavagisme, religions et franc-maçonnerie, offrant à notre époque un héritage vivant et une réflexion nécessaire.

Nous recevons ce double témoignage comme une invitation à prolonger notre méditation. L’universalisme émancipateur n’est pas une idée morte ni une relique d’un âge révolu. Il demeure une force vivante, fragile et précieuse, qu’il nous appartient de défendre et de transmettre. Cette défense n’est pas seulement politique, elle est spirituelle ; elle se joue moins dans les parlements que dans le cœur de chaque initié qui décide, en conscience, de se tenir debout face à la nuit.

Alexis Lacroix

Ainsi se dessine l’horizon de cette rencontre radiophonique et de ce livre à paraître. Derrière l’actualité, nous pressentons une interrogation éternelle : comment conjuguer liberté et fraternité, comment donner chair à l’égalité, comment maintenir vivante la flamme d’un idéal universel qui n’est jamais définitivement acquis ?

France Culture
France Culture

Écoutant Alexis Lacroix et Philippe Foussier dialoguer, attendant la lecture de Cécile Révauger, nous percevons que l’initiation ne cesse de recommencer, qu’elle exige vigilance et ferveur, et que la République, dans son exigence laïque et fraternelle, demeure ce chantier spirituel où se construit patiemment la demeure de l’Homme.

France Culture, le podcast audio, c’est ICI

La Franc-maçonnerie possède une origine ancrée dans le christianisme minimaliste

De notre confrère theconversation.com – Par Philippe Ilial

L’histoire de la Franc-maçonnerie remonte au XVIIe siècle en Angleterre, portée par le courant philosophique du latitudinarisme, qui cherchait à transcender les divisions entre chrétiens. Les Constitutions d’Anderson de 1723, texte fondateur de la maçonnerie anglaise, reflètent cette ambition en posant les bases d’une spiritualité minimale, résolument chrétienne.

À cette époque, seuls les adeptes d’une religion « sur laquelle tous les hommes sont d’accord » – entendue comme le christianisme dans sa version la plus large – étaient admis. Juifs, musulmans ou déistes purs en étaient exclus, un choix révélateur de l’Europe chrétienne de l’époque, fragmentée entre catholiques, protestants et anglicans. Ce cadre inclusif, mais limité, a pu alimenter l’idée d’une religion minimaliste, un espace spirituel où anglicans, presbytériens et luthériens pouvaient coexister.

C’est avec l’aventure coloniale du XIXe siècle que la maçonnerie commence à s’ouvrir à l’altérité, sous l’impulsion de la laïcité et des rencontres avec d’autres cultures. Comme l’explique l’historien Daniel Tollet, cette évolution marque un tournant, élargissant les portes des temples à des croyances diverses. Pourtant, cette ouverture initiale chrétienne laisse une empreinte durable, alimentant la perception d’une institution religieuse, même si elle se revendique aujourd’hui adogmatique selon certaines obédiances.

L’hébraïsme maçonnique : un vernis symbolique

Un autre élément alimentant cette confusion est l’utilisation fréquente du qualificatif « judéo-chrétien » pour décrire la maçonnerie. Les références à l’Ancien Testament – comme le Temple de Salomon, les colonnes Jakin et Boaz ou certains échos kabbalistiques dans les degrés dits de perfection – pourraient suggérer une filiation avec le judaïsme. Cependant, cette lecture est trompeuse. Historiquement, les Juifs furent longtemps exclus de l’Ordre, et l’hébraïsme maçonnique, selon Pierre-Yves Beaurepaire, n’est qu’un « alibi latitudinaire » au service d’une vision chrétienne. Pour les rédacteurs des Constitutions, l’Ancien Testament sert de préfiguration au Nouveau, un « plus petit dénominateur commun » symbolique plutôt qu’une adhésion à la tradition juive. Le Delta lumineux avec l’œil divin, par exemple, s’éloigne du Tétragramme hébraïque pour incarner la Providence chrétienne.

La Chaîne d’Union – « Les habits neufs de l’antimaçonnisme »
La Chaîne d’Union – « Les habits neufs de l’antimaçonnisme »

Roger Dachez, dans son article Hébraïsme et franc-maçonnerie, heurt et malheur d’une filiation incertaine (La Chaîne d’Union, n°51, 2010), renforce cette analyse : l’hébraïsme maçonnique est une réinterprétation christianisée, vidée de sa substance originelle. Cette symbolique, bien que riche, reste un outil de cohésion plutôt qu’une affirmation religieuse, un point que les profanes peinent souvent à saisir.

Rites et sacralité : une spiritualité sans dogme

Si la maçonnerie n’est pas une religion au sens théologique, elle partage des traits qui brouillent les frontières. Cécile Révauger, spécialiste des Lumières anglaises, la décrit comme une

« spiritualité sans théologie, des rites sans dogme, une communauté sans Église ».

Trois éléments clés nourrissent cette ambiguïté : la sacralisation de l’espace, une croyance évolutive et un système rituel d’une profondeur fascinante.

Le rituel, défini par l’anthropologue Roger Dachez comme un « cérémonial englobant », structure l’expérience maçonnique. L’ouverture des travaux autour d’un ouvrage sacré – souvent l’Ancien Testament, les Constitutions d’Anderson ou le livre de l’obédience – évoque les pratiques religieuses, tout comme les rites spécifiques (batterie, signe, agenouillement) qui, selon Mircea Eliade, répondent à un invariant anthropologique universel : conjurer le désordre. En loge, le profane, plongé dans un « chaos » symbolique (bandeau sur les yeux), renaît à travers purification, serment et lumière, reconstituant un ordre microcosmique à l’image du Temple de Salomon.

Pierre-Yves Beaurepaire (Source Wikipedia)

La Bible, placée sur l’autel des serments, est un autre point de controverse. Pierre-Yves Beaurepaire propose de la voir comme un « objet-frontière » : support symbolique des serments, mémoire culturelle chrétienne, mais pas un texte sacralisé pour tous. Lorsqu’un athée prête serment dessus, il engage sa parole, non sa foi, une nuance subtile mais essentielle. Ces rites, consciemment théâtralisés, distinguent la maçonnerie d’une pratique religieuse : le maçon joue un rôle, une expérience absente de sa vie profane.

Un besoin de sacré dans un monde sécularisé

Dans nos sociétés modernes, marquées par un recul des grands récits religieux – un phénomène analysé par Denis Pelletier –, la maçonnerie répond à des aspirations profondes. La chaîne d’union, équivalent d’une communion, la quête de connaissance remplaçant la révélation divine, ou les tenues structurant le temps comme des offices religieux, comblent des besoins d’appartenance, de transcendance et de ritualité. Comme le souligne Beaurepaire dans une conférence du laboratoire CMMC,

« la loge est un laboratoire du sacré, bien plus qu’un sanctuaire religieux ».

Émile Durkheim

Ce paradoxe explique pourquoi tant de francs-maçons y voient une « religion sans dogme ». Elle propose sans imposer, offrant un espace où chacun projette ses croyances. Émile Durkheim y voyait un langage religieux détourné, parlant à l’inconscient collectif, tandis que Claude Delbos et Beaurepaire insistent sur cette liberté fondamentale : là où les religions fixent, la maçonnerie invite à explorer.

Une identité entre sacré et profane

En définitive, la franc-maçonnerie fascine par sa capacité à naviguer entre sacré et profane. Elle emprunte des formes religieuses – temples, bibles, rites – mais les détourne pour une quête personnelle et collective. Ce n’est pas une religion au sens classique, car elle rejette dogmes et hiérarchies ecclésiales, mais elle répond à des besoins humains que les traditions spirituelles ont longtemps monopolisés. Dans un monde où les certitudes s’effritent, elle se pose comme un laboratoire vivant, un théâtre symbolique où s’écrit une spiritualité moderne.

Alors, la franc-maçonnerie est-elle une religion malgré elle ? Peut-être pas. Elle est plutôt un miroir de nos aspirations, un pont entre passé et présent, où le sacré se réinvente sans jamais se figer.

OUSIA, l’essence retrouvée – Lettre de régénération pour la voie rectifiée

Avec ce premier numéro d’Ousia consacré au Régime Écossais Rectifié, le lecteur entre dans un espace où l’histoire, la mystique et la méditation se rencontrent, où chaque mot devient l’écrin d’une mémoire invisible et le tremplin d’une quête intérieure. Cette lettre n’est pas une simple publication d’étude, elle est un acte initiatique en soi, une respiration fraternelle destinée à nourrir l’âme et à orienter le cœur de celles et ceux qui se tiennent sur le chemin rectifié.

Nous y percevons une écriture habitée, portée par la fidélité à l’esprit de Jean-Baptiste Willermoz et par la certitude que le Régime n’est pas seulement un système rituel, mais une voie de transfiguration de l’être.

L’éditorial nous rappelle que le choix du titre Ousia ne relève pas d’un hasard. Ce mot grec, qui traverse Platon et Aristote avant de résonner dans la théologie trinitaire, signifie l’essence, la substance, ce qui demeure lorsque les formes s’évanouissent. C’est cette essence que la lettre cherche à révéler en chaque Frère et en chaque Sœur. Elle n’éclaire pas seulement la surface des symboles, elle invite à descendre au cœur de leur densité ontologique. Elle s’inscrit dans la fidélité à l’esprit willermozien qui, en rectifiant la Maçonnerie, ne voulut pas l’embellir d’ornements supplémentaires mais la ramener à son centre invisible, là où l’initiation redevient rencontre avec l’Être.

OUSIA
OUSIA

Le parcours historique, de Lyon à Wilhelmsbad, est présenté non comme une chronologie ordinaire mais comme une épopée spirituelle. Lyon fut le lieu où la vision prit forme, où la structure maçonnique fut traversée par l’élan théosophique de Louis-Claude de Saint-Martin et par la doctrine de réintégration de Martines de Pasqually. Wilhelmsbad consacra ce travail, mais en l’ouvrant à l’universel, en dépouillant la maçonnerie rectifiée de toute fiction templière pour la replacer dans la lumière christique et fraternelle. Ainsi, le Régime apparaît comme une exception dans la vaste constellation des rites : il ne juxtapose pas des grades, il propose une ascension ordonnée, structurée autour du service, du silence et de la charité opérative.

Louis-Claude de Saint-Martin

La spiritualité rectifiée, telle qu’elle est présentée, prend chair dans la figure de Saint-Martin, ce Philosophe Inconnu dont l’écriture n’est pas tant exercice de style que souffle angélique. Il y a dans ses textes la volonté d’inventer une langue nouvelle, dégagée du poids des conventions, une langue où les mots seraient transparents à la lumière, une langue de désir qui unit l’âme à l’Esprit. Cette méditation sur la régénération nous rappelle que l’initiation n’est pas transmission d’un savoir mais naissance à une nouvelle nature. Le mariage intérieur de l’homme avec l’Esprit divin engendre l’homme nouveau, capable de régénérer ses semblables. C’est ce cœur de la mystique rectifiée que la lettre met en lumière.

J.-B. Willermoz

Les sections consacrées aux mots et aux outils poursuivent cette exploration. Dire « Mon Bien-Aimé Frère » ou « Ma Bien-Aimée Sœur » ne relève pas d’une formule affectueuse mais d’une confession spirituelle. Le Bien-Aimé, dans la tradition johannique, est celui qui demeure dans la lumière de Dieu, celui qui vit déjà dans l’amour divin. Nommer ainsi le Frère, c’est reconnaître en lui non seulement un compagnon de route, mais une part de la filiation divine, un reflet de l’Amour premier. Quant à la méditation sur la main, elle se déploie comme une liturgie silencieuse. La main qui frappe à la porte du Temple, la main qui touche les symboles dans l’obscurité, la main qui bénit ou qui protège, devient l’organe de la conscience et le prolongement du cœur. Elle n’est plus seulement instrument d’action, mais médiation entre l’ombre et la lumière. Dans cette contemplation de la main, nous retrouvons la profondeur d’une anthropologie sacrée : l’homme est appelé à transfigurer ses gestes pour qu’ils deviennent sacrements de l’amour.

Enfin, l’ouverture sur l’écologie rectifiée donne à ce numéro une résonance actuelle et prophétique. La réintégration, notion centrale du Régime, ne s’épuise pas dans le salut individuel, elle embrasse le monde entier. L’homme, microcosme en déséquilibre, retrouve son harmonie intérieure pour restaurer aussi l’équilibre du vivant. Nettoyer son cœur, purifier ses intentions, c’est déjà guérir une parcelle du cosmos. Mais cette œuvre intérieure appelle une action extérieure, respectueuse de la Création et des cycles naturels. Être Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, aujourd’hui, c’est aussi défendre la dignité de la Terre, vivre une écologie intégrale où le spirituel et le terrestre se réconcilient.

OUSIA

À travers ces pages, nous voyons que Ousia n’est pas une revue parmi d’autres mais une invitation à habiter le RER comme une voie de vérité. L’écriture elle-même devient rite de transmission, souffle discret qui nous rappelle que nous sommes appelés à vivre non pas à la surface des choses, mais dans leur essence. Ce premier numéro est à la fois mémoire, méditation et prophétie. Il nous conduit à nous interroger : qu’est-ce que l’essence de notre être, qu’est-ce que la substance de notre engagement maçonnique, qu’est-ce qui demeure lorsque tout s’efface ? La réponse, nous la trouvons dans la fidélité silencieuse à l’esprit rectifié, dans l’accueil de la lumière intérieure et dans la marche fraternelle vers la Cité Sainte.

OUSIA – Lettre d’instruction, de transmission et de méditation pour les Frères et Sœurs engagés dans la voie rectifiée

Olivier Chebrou de Lespinats (dir.)

Éd. De la Mérichère, N°1, septembre 2025, 10 pages, gratuit, sur demande

Pour tout renseignement et commande, contactez le directeur de la rédaction Olivier Chebrou de Lespinats : olivier.de.lespinats@wanadoo.fr

Les origines du christianisme -9

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier…

À travers ses épîtres authentiques et les lettres ultérieurement placées sous son nom, ainsi que par le rôle essentiel que lui attribue le récit des Actes des Apôtres, Paul occupe une place considérable au sein du Nouveau Testament. Après Jésus, il est l’autre grande figure de la littérature chrétienne primitive, au point que certains le considèrent, bien plus que Jésus, comme le véritable fondateur du christianisme.

Dans les décennies et siècles suivants, dès le début du IIe siècle, le christianisme émerge véritablement en tant que religion distincte lorsqu’il dispose de ses textes canonisés, autour des années 150 ou 160. Avant cela, il n’existe pas en tant que tel, mais plutôt comme une extension ou une variante du judaïsme.

Le Débat sur Paul comme Inventeur du Christianisme

Paul est souvent soupçonné d’avoir inventé le christianisme, transformant la figure de Jésus, qui s’inscrit dans la polyphonie du judaïsme du Ier siècle, en quelque chose de radicalement différent. Cependant, cette idée est réfutée : il n’y a pas de différence fondamentale entre la religion de Jésus et celle de Paul. Jésus était un juif palestinien, tandis que Paul, juif de la diaspora, portait des idées influencées par des mystiques variés. Pourtant, la religion chrétienne n’est pas vue comme une trahison de la religion de Jésus.

En 1920, l’historien juif Joseph Klausner écrit sur Jésus qu’il est « des nôtres », mais sur Paul qu’il explique comment les choses se sont « gâtées ». Klausner affirme que Jésus n’avait pas l’intention de créer une nouvelle religion, ce qui pointe vers Paul comme responsable. Pour l’historien, Paul pose les bases d’une nouvelle religion qui se démarque rapidement du judaïsme : d’une secte juive au départ, elle devient une religion à part entière. Les fondements de croyance et de pratique du christianisme sont en grande partie institués par Paul, via ses textes authentiques et la manière dont les premiers chrétiens les lisent.

Cependant, Paul n’a pas consciemment fondé une nouvelle religion, pas plus que Jésus. Historiquement, la forme de christianisme qui s’impose emprunte beaucoup à Paul et un peu à Pierre, marquant ainsi profondément l’histoire chrétienne. Au début du IIe siècle, lorsque le christianisme s’invente une identité distincte, on se saisit de la figure de Paul pour la formuler. Paul devient l’inventeur d’une foi en Jésus le Christ, mort et ressuscité pour le salut du monde, ou l’inventeur du « christianisme » en tant que catégorie pour des gentils (non-juifs) recevant la foi sans être juifs. Pourtant, Paul n’est pas l’inventeur du Christ au sens d’une invention ex nihilo ; il voit plutôt la foi en Jésus comme le véritable judaïsme, une transformation du monothéisme juif pour le rendre accessible au monde grec et romain.

Paul comme Transformateur du Judaïsme

Paul, mort au début des années 60, a une vision des possibilités d’un judaïsme réformé, permettant de diffuser le monothéisme juif et sa spiritualité au monde païen de manière plus facile et large. Les événements historiques, comme la destruction du Temple en 70, contraignent finalement le christianisme à sortir du judaïsme. Paul est un transformateur du judaïsme, non un traître : en tant que juif de la diaspora, il envisage les potentialités du judaïsme dans l’Empire romain. Il affirme que la foi en Jésus est le vrai judaïsme, accomplissant la révélation de Dieu à Israël. Pour Paul, le Christ est l’aboutissement de cette révélation, une construction théologique où il interprète les promesses bibliques comme renvoyant à Jésus.

Selon certains, Paul ne se comprend que dans le judaïsme de son temps ; pour d’autres, il est l’agent principal de la rupture. Pour les chrétiens, Paul est un juif « selon leur cœur » ; pour les Juifs, un traître ou apostat. Paradoxalement, ses épîtres justifient ces deux interprétations. Paul n’a jamais eu l’intention de fonder une nouvelle religion : il vivait dans l’attente imminente de l’avènement du Seigneur, une période intermédiaire. Envoyé vers les gentils, il prêche jusqu’à ce que la totalité des païens entre, moment où le Christ viendra et tout Israël sera sauvé. Ses communautés chrétiennes n’étaient pas conçues pour durer, leur situation précaire à la limite du judaïsme étant temporaire.

La Pensée de Paul sur Israël

Dans sa correspondance authentique, Paul ne manifeste aucune volonté de rompre avec le judaïsme. Au contraire, au début de l’Épître aux Romains (chapitre 9), il exprime un bilan douloureux de l’échec de sa prédication auprès d’Israël : « En Christ, je dis la vérité, je ne mens pas ; par l’Esprit Saint, ma conscience m’en rend témoignage. J’ai au cœur une grande tristesse et une douleur incessante. Oui, je souhaiterais être anathème, être moi-même séparé du Christ pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont les Israélites, à qui appartiennent l’adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses et les pères ; eux enfin de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen. »
Paul constate dramatiquement la séparation entre Israël refusant l’Évangile et ses communautés naissantes. Il surmonte cela par l’annonce du salut final de tout Israël, repoussé à la fin de l’histoire, après la conversion de l’humanité entière. Vers 56, Paul acquiert la conviction de l’échec de sa mission envers Israël.

Paul se définit comme israélite, du peuple d’Israël, de la tribu de Benjamin, Hébreu fils d’Hébreu. Israël est un problème charnel pour lui, mais en tant que juif, c’est aussi personnel : si le Christ est la fin (télos) de la loi, quelle est sa valeur ? En alignant chronologiquement ses épîtres (1re et 2e aux Thessaloniciens, Corinthiennes, Galates, Philippiens, Romains), on observe une évolution de sa pensée, une capacité géniale à argumenter avec les catégories culturelles, théologiques et spirituelles de ses destinataires. Il reformule le charisme pour eux, inventant un langage et fixant une théologie dans des catégories qui se recouvrent sans être identiques. Les différences entre épîtres pourraient être dues à des aspects rhétoriques : Paul adapte ses idées pour convaincre des communautés différentes, les exagérant parfois jusqu’à la limite, utilisant des arguments douteux ou paraissant de mauvaise foi. Ainsi, Paul est multiforme, insaisissable, juif avec les Juifs, gentil avec les gentils, clamant souvent sa sincérité.

Paul et les Piliers du Judaïsme Antique

Paul se définit comme Hébreu fils d’Hébreu, de la tribu de Benjamin, mais ses épîtres témoignent d’une relation conflictuelle avec le judaïsme et ses observances. A-t-il rompu avec le judaïsme ? Pas vraiment : né juif, circoncis, respectant la loi, il s’en dit fier. Pourtant, en analysant les trois piliers du judaïsme antique – l’importance de la terre juive, du peuple juif (filiation), et de la pratique juive (loi) –, Paul déploie des efforts pour expliquer à ses lecteurs (majoritairement non-juifs) pourquoi ces éléments ont peu d’importance.
D’abord, la terre juive : liée à l’idée que Dieu choisit une partie du monde pour y résider (la « maison de Dieu », le Temple), elle pose des problèmes sous domination étrangère (Grecs, Perses, Romains). Paul minimise son importance : dans la 1re Épître aux Corinthiens (chapitre 6) et la 2e, il insiste sur le peu d’importance du Temple de Jérusalem, car le vrai temple est le corps ou la communauté : « Le temple est l’endroit où Dieu séjourne ; donc, si Dieu est parmi nous, nous sommes le temple. » Un élève de Paul ajoute que la communauté chrétienne est un grand temple avec le Christ comme clé de voûte. Le monde entier est potentiellement terre sacrée, ce que Paul prêche partout.
Ensuite, la filiation juive : être juif, c’est descendre d’Abraham, même dans la diaspora. Paul, se définissant d’ascendance juive, explique qu’Abraham est une métaphore : dans l’Épître aux Galates, la foi sauve, et tous ceux qui ont la foi sont fils d’Abraham. Être fils d’Abraham charnellement n’importe pas ; c’est spirituellement. La chair, pour Paul, a peu d’importance positive. Il oppose chair et esprit, dévalorisant la filiation ethnique : ce n’est pas qui sont vos parents, mais en quoi vous croyez. Comme Jean le Baptiste et Jésus, Paul minimise les liens familiaux.
Enfin, la pratique juive (loi) : beaucoup de Juifs de la diaspora et post-70 avaient déjà relativisé terre et filiation (acceptant prosélytes, quittant la Judée pour la Galilée ou Babylone). Mais ils conservaient la loi. Paul explique qu’elle n’est plus importante, voire source de malédiction et de mort (Épître aux Romains et ailleurs) : avec la loi vient la mort ou la malédiction. Il n’aurait pas enseigné cela à ses enfants s’il en avait eu, ni continué à l’observer tout en la dénigrant.

En expliquant que ces piliers sont des obstacles au salut, Paul rompt effectivement avec le judaïsme, même s’il n’en a pas l’intention personnelle.

Paul n’avait pas l’intention de rompre, mais ses actions sur le terrain y conduiront.
On peut faire une analogie avec Martin Luther : il ne voulait pas rompre avec l’Église catholique, mais ses actes l’ont provoqué. De même, John Wesley en Angleterre ne voulait pas se séparer de l’Église anglicane, mais sa pratique radicale mena à la séparation au XVIIIe siècle entre méthodistes et anglicans. Ces trois chefs religieux n’avaient pas théoriquement l’intention de schisme, mais leurs principes l’ont causé.

Circulation et Réception Initiale des Épîtres de Paul

Quoi qu’il en soit de l’attitude de Paul, ses épîtres influencent déterminément la rupture. Pourtant, son œuvre n’occupe pas immédiatement une place capitale. Les épîtres circulent entre communautés proches, conservées dans des archives sans transmission systématique. Étrangement, entre 70 et 90, il y a un « trou paulinien » dans la littérature chrétienne : pas de suites littéraires ou théologiques fortes dans la lignée paulinienne, comme si le paulinisme avait disparu.

Cependant, Paul n’est pas absent : les épîtres deutéro-pauliniennes (Colossiens, Éphésiens, pastorales comme 2e Timothée) sont attribuées à Paul pour renforcer l’autorité. Cela montre que son autorité est reconnue dans certains milieux.
Dans les Éphésiens, Paul est un missionnaire et théologien détonateur d’une réflexion nouvelle. Dans les pastorales (années 80-90), peu reste de sa théologie, mais il est l’autorité apostolique fondatrice. Ignace d’Antioche (110-120) cite Paul sans prendre en compte sa théologie propre, intégrant des éléments dans une théologie différente. Le christianisme reconnaît l’importance de Paul pour légitimer de nouveaux développements. La 2e Épître de Pierre note que les lettres de Paul sont compliquées, transmises comme un trésor mais peu ouvertes.

À partir de 70, trois lignes de réception : une dans Colossiens-Éphésiens ; une dans les pastorales ; une dans les Actes des Apôtres de Luc. Dès les années 70-80, des récits légendaires sur Paul se développent, culminant aux Actes apocryphes de Paul et Thècle fin IIe siècle. Fin Ier siècle, rassemblement des épîtres : Paul devient figure fondatrice du christianisme tout court. Nous lisons les épîtres dans leur état du IIe siècle, attestées par Marcion vers 140 (corpus de 10 épîtres).

Marcion : Un Personnage Clé et son Influence

Marcion, fils de l’évêque de Sinope en Asie Mineure, vit au début du IIe siècle. Excommunié, il fonde sa propre église influente plus de 300 ans, jusqu’aux extrémités de la terre selon Tertullien. Chrétien en lisant Paul, il voit sa théologie comme la seule expression de l’Évangile. Vers 140 à Rome, dans une école théologique chrétienne (parmi trois : Justin, Valentin, Marcion), il incarne le courant paulinien radical, ignorant l’humanité de Jésus et se focalisant sur sa divinité. Pour lui, seul Paul a compris Jésus et avait fixé nettement la ligne de démarcation entre la religion juive et la religion chrétienne (p157); les apôtres n’ont rien compris (Jésus les traite d’abrutis dans les Évangiles).

Les apôtres ont entremêlé l’Évangile avec des éléments juifs, et des juifs ont transmis le message de mauvaise foi, effaçant sa nouveauté.

Jésus, monté aux cieux, se révèle une seconde fois à Paul, qui comprend parfaitement et fonde communautés et épîtres. Après sa mort, des « faux chrétiens » judaïsants interpolent les épîtres pour assimiler le Dieu de Paul à celui de l’Ancien Testament. Marcion expurge ces falsifications, réunit 10 épîtres de Paul et l’Évangile de Luc en un recueil appelé « Kainè Diathèkè » (Nouvelle Alliance, citant Jérémie via Hébreux). Il invente ainsi le Nouveau Testament, évacuant les références à l’Ancien Testament.

Sa collection pousse les églises à définir un canon : autour de 150, on passe des écrits juifs à des écrits chrétiens comme références. Marcion affirme que le message authentique est seulement dans Luc et les 10 épîtres. Après 70, avec plus de non-juifs dans les communautés, la relation au judaïsme devient problématique. Pour Marcion, Paul enseigne une religion entièrement nouvelle, distincte du judaïsme : le Dieu de l’Ancien Testament (vengeur, des Juifs) n’est pas le Père de Jésus-Christ ; l’alliance ancienne est erronée, et les chrétiens ne doivent plus s’y référer. La nouvelle religion naît au baptême de Jésus.

L’Opposition de l’Église à Marcion et ses Conséquences

L’église se définit contre Marcion : doit-on se passer des Juifs ou penser que l’alliance a changé, les chrétiens en étant les nouveaux bénéficiaires ? Pour Marcion, l’ancienne voie est toujours erronée ; pour l’église, c’était la voix de Dieu, mais il a changé d’avis ou suivi un plan. L’église descend d’Israël par la chair, ce que Marcion refuse. Le rejet de la Bible juive n’est pas étranger au christianisme : certains, comme un pasteur du XXe siècle, prêchent sans Ancien Testament, le voyant contradictoire avec le Nouveau. Pourtant, c’est hérétique : un seul Dieu, un seul Testament annoncé par l’autre.

Aucun théologien primitif n’a aussi mal compris Paul que Marcion, en coupant le Dieu chrétien de l’Ancien Testament. Radical, Marcion influence l’évolution : l’église se revendique héritière de la tradition juive, comme le « véritable Israël ».

L’illustration de l’article est de Raphaël (1483-1520), Saint Paul prêchant à Athènes

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Un appel à la renaissance : Création d’une Grande Loge du Rite Standard d’Écosse

Un mouvement naissant diffuse la publication d’un manifeste audacieux plaidant pour la création d’une Grande Loge dédiée au Rite Standard d’Écosse (R.S.E.). Introduit en France en 1986 par les frères Jean-Claude Desbrosse et Michel Cossé, ce rite, ancré dans une tradition écossaise authentique, risque aujourd’hui de perdre son identité face à une fragmentation croissante et des adaptations jugées arbitraires. Porté par un slogan évocateur, « Rassembler ce qui est épars », ce projet ambitionne de redonner au R.S.E. une voix souveraine et un cadre préservant son héritage.

Un héritage menacé

Tablier Standard d’Écosse

Le Rite Standard d’Écosse, basé sur des textes historiques comme The Standard Ritual of Scottish Freemasonry (1969), The Scottish Workings of Craft Masonry (1967) et Scottish Craft Ritual (1954), approuvé par la Grande Loge d’Écosse en 1992, représente une référence intangible pour ses pratiquants. Pourtant, des dérives ont émergé : le « Scottish Working » imposé par la Grande Loge Nationale Française (GLNF) et la Grande Loge d’Alliance Maçonnique de France (GLAMF), des ajouts de degrés étrangers au « Rite Écossais d’Écosse », ou encore des adaptations locales contredisant les Basic Principles de 1929. Avec 129 loges dispersées dans cinq obédiences, cette dilution fragilise la cohérence et l’influence du rite.

Une réponse clairvoyante

Tartan Royal Stuart

Face à cette situation, les auteurs du manifeste appellent à la création d’une Grande Loge indépendante, régulière et fidèle à la tradition originelle. Cette structure viserait à :

  • Restaurer la pureté du rite, sans compromis ni altérations.
  • Garantir l’autonomie des loges, respectant les Landmarks et la tradition écossaise.
  • Offrir une gouvernance collégiale, transparente et bénévole, excluant toute discussion politique ou religieuse.

L’objectif est clair : transformer la fragmentation actuelle en une force unifiée, capable de rayonner au sein de la maçonnerie mondiale. Le manifeste souligne que le R.S.E. n’est pas une simple variante, mais un univers maçonnique complet, méritant un foyer dédié plutôt qu’une place subalterne dans des obédiences multi-rites.

Un appel à l’engagement

Ce projet s’adresse aux frères et sœurs attachés à une pratique authentique, souhaitant protéger leur rite tout en contribuant à un dessein collectif. Les initiateurs invitent à rejoindre les premières assemblées pour partager idées et participer à cette renaissance. « Ne laissons pas le Rite Standard d’Écosse se fragmenter davantage », insiste le texte, proposant une maison où l’esprit écossais pourra s’épanouir sans entraves.

Une ambition historique

Sautoir Officier Rite Standard d’Écosse style francais

Avec son slogan « Rassembler ce qui est épars », ce manifeste dépasse le simple cadre organisationnel pour devenir un appel à l’action. Les promoteurs soulignent que cette Grande Loge pourrait non seulement préserver un héritage, mais aussi influencer la maçonnerie française et internationale. Les contacts sont ouverts via le site glrse.org et l’adresse contact@glrse.org, marquant le début d’une aventure que les francs-maçons sont invités à écrire ensemble.

Dans un contexte où la tradition maçonnique évolue face aux défis modernes, cette initiative pourrait bien redéfinir l’avenir du Rite Standard d’Écosse, offrant une alternative audacieuse à la dilution actuelle.

Autre article sur ce thème

L’esprit fraternel (Par Michel Maffesoli)

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L’invention de l’Individu fut l’essentielle caractéristique des temps modernes. Et l’on a pu voir, tout au long des trois siècles qui viennent de s’écouler, s’imposer peu à peu l’atomisation et le subjectivisme. Le tout culminant dans cette grégaire solitude qui est la marque primordiale des mégapoles contemporaines. Mais dans la lente agonie du bourgeoisisme — n’est-ce point cela la Crise ? — un tel individualisme épistémologique est en train de passer la main.

À quoi ? À qui ? Il faut, pour le moment, user de métaphores pour dire ce qui est en gestation. C’est-à-dire transporter des images prises en un contexte culturel passé, mais permettant de comprendre un enjeu contemporain. C’est ainsi que, pour ma part, j’avais parlé du Temps des tribus [1]. Peu importe le terme. Il suffit, dans le devenir spiralesque du monde, que l’on soit à même de reconnaître l’émergence d’un nouveau paradigme : le (re)nouveau d’un vivre-ensemble privilégiant l’idéal communautaire, l’afrèrement ou autre manière de n’exister que par et en fonction de l’autre. L’être-avec, en effet, est à l’ordre du jour. Et c’est cela qu’il convient de penser. Toujours et à nouveau.    

Quête n’étant jamais achevée. En particulier en un moment où l’opinion des « sachants » serine, à qui mieux mieux, des phrases vides de sens — n’est-ce point-là leur spécialité ? — telle celle-ci : « compte tenu de l’individualisme contemporain ». Ce en quoi l’élite déphasée montre bien qu’elle est obsolète. Car il suffit d’ouvrir les yeux pour observer, dans nos rues, que pour le meilleur et pour le pire, les tribus sont de retour. Et ne fût-ce qu’allusivement, il faut relever l’importance des sites communautaires, le rôle des forums de discussion et autres expressions de la cyberculture pour se rendre compte que ce qui prévaut est bien le principium relationis. L’on est toujours en relation. La reliance est bien l’élément essentiel du moment.

Mais rappelons à ceux, nombreux, qui se contentent des opinions courtes, ce qu’est la radicalité de la vraie pensée. La recherche des racines nous conduit fort loin dans la mémoire donnée par la tradition. Tradition montrant qu’il existe une poétique de la fraternité. C’est cela que l’on retrouve dans la F.M authentique. C’est cela qui peut nous aider à répondre au défi lancé par la socialité postmoderne.

On avait oublié une telle composante ! La conjonction du progressisme et du rationalisme avait considéré que tout cela était, dialectiquement, « dépassé ». Et que la société parfaite à venir ne reposerait que sur les fondements assurés de la raison souveraine. Et ne voilà-t-il pas que la progressivité humaniste, et l’émotionnel qui en est le corrélat, ne manquent pas de souligner que les affects restent les pierres de touche permettant de vérifier l’authenticité de toute vie en commun !

 Or ce sont les mots qui, utilisés à bon escient, peuvent devenir des paroles fondatrices. Très précisément en ce qu’elles disent, avec justesse, ce qui est vécu. Et, de ce point de vue, il est certain que l’empathie redevient, sous des vocables divers, un instrument de choix pour comprendre, en profondeur, tous les afoulements contemporains : musicaux, religieux, politiques, sportifs, ponctuant la vie de nos sociétés.

Aussi, pour en comprendre la pertinence, peut-être n’est-il pas inutile de revenir à cette pierre d’attente maçonnique qu’était le compagnonnage pour les maçons opératifs sur lequel se sont souchées, à partir du XVIIe siècle, les diverses constitutions ordonnant la démarche initiatique. En particulier pour ce qui concerne l’antique et traditionnelle notion de « sodalité », devenant par après « fraternité », ce que je nomme « afrèrement » afin de lui restituer sa dimension affectuelle.

En ces termes s’exprime la méfiance de ce qui vient de haut, la politique déductive. Ce à quoi s’oppose l’esprit fraternel qui est, lui, fondamental : venant du bas. Esprit fraternel cause et effet d’une méthode inductive renvoyant à l’expérience, c’est-à-dire à la vie vécue et non, simplement, à la rationalisation de celle-ci en des systèmes abstraits dont l’obsolescence n’est plus un mystère pour qui que ce soit. Ou à tout le moins pour ceux qui, avec lucidité, se sont purgés des théorisations désuètes fleurant, plus ou moins bon, un XIXe siècle n’achevant pas de s’achever. Certains, empruntant ce que Jean Baylot nommait « la voie substituée »[2] continuent à confondre F.M et partis politiques ou syndicats, et oublient, de ce fait la composante affectuelle de toutes les relations à l’Altérité. Que cet Autre soit celui de la tribu, celui de la nature, voire celui du sacré.

En ce sens, l’afrèrement c’est être en constante sympathie avec tous les êtres. Être en relation avec la vie en général.

Est-ce totalement dénué de fondement que de voir là ce qui constituait pour Auguste Comte le « Grand-Être » ? Expression exprimant bien pour l’inventeur de la sociologie le mouvement perpétuel unissant les vivants et les morts en une concaténation sans fin et une réversibilité constante. Sa « Religion de l’Humanité » en est la résultante qui, justement, s’employait à décrire l’interaction permanente existant entre tous les éléments, actuels ou passés de ce qui constituait l’existence humaine.

J’émets l’hypothèse que la communauté des frères, cette grande thématique de la fraternité est, dans la sagesse maçonnique, la manière d’exprimer ce mécanisme de reliance, physique et spirituel, grâce auquel se poursuit, d’une manière obstinée, la construction du temple. Que celui-ci soit individuel ou collectif. L’afrèrement n’est donc rien d’autre que la prise en compte de l’amour comme élément fondateur de tout vivre-ensemble.

Reprenons pour dire cela l’expression de Max Scheler : « ordo amoris », ou ce que j’ai nommé « la loi des frères ». Peu importe. Il suffit de souligner que le (re)nouveau de l’ordre symbolique, celui de l’interaction, de la réversibilité, de la complémentarité etc., rappelle l’importance de l’immatériel ou du spirituel dans la vie de toute société. Un tel ordre symbolique est, parfaitement, illustré dans la « chaîne d’union » concluant les tenues maçonniques. Chaîne symbolisant la continuité de l’espèce humaine par la sédimentation des affects, le partage des émotions, et la réversibilité qui, tout au long des âges, assurent la solidité de la vie en commun.

 Les épreuves ponctuant l’initiation, tout comme l’apprentissage de la mort symbolique, en bref l’affrontement au destin, ne sont pas, comme ce fut le cas durant la modernité, le fait de l’individu isolé. La tradition et le travail rituélique rejouent, au sein de la postmodernité, ce qui fut une spécificité de la pré-modernité : une démarche communautaire. À l’opposé de l’individu égalitaire, ce qui est en jeu est bien plutôt l’affirmation d’une singularité aristocratique. Le rituel, en sa constante référence à la mémoire sédimentée de la chaîne du temps, la chaîne d’union, ne peut se vivre qu’à plusieurs : entre frères.

En ce sens, l’afrèrement consiste à s’ennoblir mutuellement. Montrant, ainsi, qu’à l’encontre de ceux qui sont obsédés par la misère du monde, tout n’est pas sentiments bas dans les rapports aux autres, dans les rapports sociaux. Dans la recherche commune de la « parole perdue », les esprits s’épurent réciproquement. Et ce faisant, ils apprennent à ne pas être hypocrites les uns pour les autres. Voilà quel est l’enjeu d’une pensée du destin. Le status gratiae, cet état de grâce issu de la reliance fondamentale unissant tout un chacun à l’altérité : aux autres de la communauté, et à l’autre qu’est le monde.

La démarche maçonnique est une ontologie de la relation !

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Roborative leçon que cette pensée d’un destin affronté, aristocratiquement, à plusieurs, entre frères. Leçon que l’on ne veut pas entendre tant il est vrai que l’intelligence moderne se plaît à être dupe des idées toutes faites et autres théories héritées du XIXe siècle. Siècle qui a donné une forme profane au Dieu tout puissant : l’Être providence, et qui a sécrété un clergé pour le servir : la bureaucratie céleste de la technocratie. Et être prisonnier de ces systèmes obsolètes rend incapable de saisir l’inconscient populaire ou, ce qui revient au même, l’imaginaire du moment. Et du coup devenir ce que notre Frère et ami Bruno Etienne nommait des « clubs » politiques ayant perdu le racinement symboliste. Ce qui est l’essence même de la F.M [3].

C’est, en effet, être extravagué que de continuer à seriner de minables homélies progressistes. Il est bien plus pertinent de repérer le trésor de la « philosophie progressive » :

La vraie vie n’est pas en moi mais dans l’autre. Ou pour le dire autrement (qu’il comprenne celui qui le peut) : « Mes frères me reconnaissent comme tel. »

Il est des banalités de base qu’il faut dire et répéter. Ces faits d’expérience que l’opinion des sachants s’obstine au pire à dénier, au mieux à réfuter. C’est ce que les esprits libres nomment : « archétypes », « structures anthropologiques » (Gilbert Durand). En la matière : être-ensemble pour être ensemble. Voilà quel est le cœur battant de l’afrèrement maçonnique. Voilà également la caractéristique essentielle de « l’idéal communautaire » qui lui est conjointe. En un mot, un « être-avec » sans finalité ni emploi, sinon pour le simple plaisir d’être.

Michel Foucault

Mais comme il est bien difficile d’assumer un tel plaisir d’être avec l’autre, il est fréquent, pour le dire trivialement, de « rajouter de la sauce ». C’est cela l’idéologie : corpus d’idées s’employant à légitimer, rationaliser, le fait brut. Celui de l’amour, l’amitié ; celui d’être-avec. Par exemple l’afrèrement instinctif devient la fraternité idéologique. En soi rien que de très normal. C’est une spécificité de notre espèce animale que de dire ce que l’on vit : les « mots et les choses » (Michel Foucault). Encore faut-il que cette « verbalisation » ne fasse pas oublier l’instinct primaire qui lui, reste primordial. En effet, les idéologisations deviennent, rapidement, caduques. Le substrat émotionnel, quant à lui, reste pérenne.

C’est là où le symbolisme maçonnique est toujours fécond en ce qu’il rappelle, au cours des âges, que ce qui fait la vertu, c’est-à-dire la force initiale du vivre-ensemble, est bien l’afrèrement fondamental. Et que c’est à partir de celui-ci que s’élaborent les diverses formes de solidarité et de générosité assurant le fil rouge de ce qu’une pensée authentique appellera « socialité ». C’est-à-dire la résultante de tous les affects : émotions et passion, et des raisons étant à la base de toute les civilisations. Ce que l’on peut résumer par l’oxymore de la « raison sensible ». Il faut accepter l’aspect géminé de notre humaine nature : la raison et les sens. Peut-être même d’abord les sens puis la raison. Archétypes et idéologies. La pensée et l’action tissant les liens secrets de l’être-avec. La sodalité, la solidarité, voire pour le dire avec un terme issu de la sagesse maçonnique, « l’égrégore », voilà les trois points fondamentaux d’une pensée du destin humain. Un affrontement au destin où le « nous » se substituant au « je » permet de comprendre, sur la longue durée, la perdurance de l’espèce.

La loi des frères postule, ou plutôt reconnaît, qu’avec bien sûr des exceptions notables, ce n’est pas la haine qui lie fortement les hommes, mais la bénévolance. Certes, le quantitatif, sous ses formes économiques ou politiques, existe bien. Parfois même, ce fut le cas lors du bourgeoisisme moderne, il prévaut. Mais il est quelque chose de plus « archaïque », dans son sens étymologique : « ce qui est premier et fondamental », c’est le souci du qualitatif. Préoccupation fondamentale de l’être-avec accordant la priorité aux valeurs spirituelles : philosophiques, éthiques, intellectuelles, dont est constitué l’imaginaire d’une époque donnée.

C’est cela le merveilleux « secret » de la sagesse ésotérique que l’on trouve dans la pensée maçonnique, et qui se retrouve dans toute une série de phénomènes exotériques contemporains.

Si l’on n’a pas cela à l’esprit, comment peut-on comprendre la religiosité contemporaine, l’appétence pour les syncrétismes de tous ordres, le développement exponentiel des pratiques mystiques et des multiples démarches initiatiques ? Certes, il y a dans tout cela des formes exagérées, paroxystiques et abâtardies. Il est non moins certain que, Internet aidant, l’on assiste à la marchandisation d’une spiritualité de bazar. Et le succès des nombreux livres d’édification ou de développement personnel souligne les évidents dangers de la vulgarisation à outrance. On ne peut pas nier, non plus, que la profusion de livres de « série B » ayant trait à la Franc-maçonnerie participe, également, de cette orientation dévoyée de la sagesse traditionnelle.

Mais là n’est pas l’essentiel. Ou plutôt on peut considérer ces phénomènes comme étant les manifestations extérieures, et donc quelque peu galvaudées, d’un mouvement de fond autrement plus sérieux. Celui d’un inconscient collectif accentuant ce qui était, jusqu’alors, considéré comme frivole ou d’importance secondaire : la vie de l’esprit.

Celle-ci s’exprimant dans la recrudescence du bénévolat, qu’il faut ici comprendre en son sens plénier. Mais également dans le retour en force du caritatif, sans oublier toutes les formes du « compassionnel » dont l’intérêt réside moins dans leur efficacité que dans la signification profonde qu’elles revêtent, pour ceux qui y participent en donnant du temps, de l’argent et, surtout de l’investissement affectuel.

C’est un tel secret qui, tout en constituant la socialité postmoderne, se racine dans la démarche initiatique. C’est ce secret qui établit une liaison étroite entre l’ordre symbolique et l’ordre sympathique qui, tous deux, constituent l’ossature de l’humanisme intégral. Le qualitatif comme alternative au quantitatif, c’est être attentif aux joies et aux souffrances propres à notre espèce animale. Mais c’est aussi reconnaître la vanité des succès par trop mondains. Sans oublier, bien sûr, que l’on se retrouve, un jour, devant la « fosse finale ».

C’est tout cela que l’on apprend de la sagesse incorporée traditionnelle. C’est tout cela qui conforte l’afrèrement et la solidarité qui en est issue.

C’est tout cela qui fait de l’affrontement au destin un enjeu communautaire. Ce qui est, comme le rappelle mon maître et frère Gilbert Durand[4], le cœur battant de la F.M authentique.


[1] 1M. Maffesoli, Le Temps des tribus, 1988, Rééd. Cerf, 2015

[2]  J. Baylot, La voie substituée, (1985), rééd. Dervy, 2024

[3] B. Etienne, Une voie pour l’Occident, la Franc-Maçonnerie à venir, Dervy, 2000.

[4] G. Durand, Les Mythes fondateurs de la Franc-Maçonnerie (1999), rééd. Dervy, 2024

Ad lucem iterum : avec force et vigueur vers le Grand Œuvre

De notre confrère expartibus.it – Par  Rosmunda Cristiano

C’est précisément en cette période de reprise qu’il faut éviter le piège des objectifs irréalisables, des ambitions théoriques qui nous remplissent la bouche de mots mais pas d’actes. Notre travail ne nécessite pas de mirages utopiques, mais des gestes simples, vrais et constants. Peu mais bon, dit la sagesse populaire.

difficile à réaliser ?

Rien n’est difficile pour ceux qui le veulent vraiment !

Travaillez avec le cœur, pas avec l’ego

(Toulouse) Buste cuirassé de Marc Aurèle agè – Musée Saint-Raymond Ra 61 b

Reprendre le travail signifie aussi mettre de côté sa fierté personnelle et redécouvrir le sens profond de la coopération fraternelle. Aucun franc-maçon n’est isolé. Chaque frère et sœur a un rôle, un temps, une manière de contribuer.

Il n’est pas toujours nécessaire d’être le premier sur la liste : soyez simplement présent, sincère et volontaire. Même un petit coup de ciseau peut rendre la pierre parfaite.

Ce qui n’est pas bon pour la ruche n’est pas bon non plus pour l’abeille.

Marc Aurèle

La Franc-Maçonnerie ne requiert pas de notoriété, mais plutôt une présence silencieuse et constructive, des pensées claires et un cœur ardent. Les titres importent peu, mais plutôt la volonté d’œuvrer dans l’intimité de son cœur et en harmonie avec la Grande Loge Universelle.

Le Temple Universel se construit chaque jour

Nous reprenons notre travail avec force et vigueur. Septembre est le mois de l’éveil de l’âme maçonnique, le mois de l’équilibre, de la lumière qui cède peu à peu la place aux ténèbres, des moissons et des nouveaux commencements. Pour beaucoup, c’est le véritable Nouvel An de l’âme.

C’est le moment de faire le point et de prendre un nouveau départ. Si le monde séculier le vit comme un retour à la routine après les vacances d’été, nous, frères et sœurs maçonniques, l’accueillons avec un esprit renouvelé.

Reprenons notre travail avec force et vigueur.

Cette phrase, qui pourrait sembler être une simple exhortation, capture en réalité l’essence même de notre cheminement initiatique : retourner au Travail avec énergie, clarté et dévouement, non pas comme un acte de labeur, mais comme une expression de service à la Lumière, à la Vérité, au Bien Commun.

Dans le monde maçonnique, septembre marque souvent la réouverture des Loges après le silence laborieux de l’été. Mais ce n’est pas seulement une reprise formelle : c’est un réveil intérieur, un appel au devoir, un appel à l’action.

Omnia mutatur, nos et mutamur in illis.

Toutes choses changent et nous changeons avec elles.

Notre transformation n’est cependant pas aveugle, elle est consciente, consciente, orientée vers la construction du Temple.

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pierre brute avec maillet et ciseau

Septembre appelle. Le mailletattend son coup, l’équerre et le compas attendent leur retour. Finie la pause : il est temps de se remettre au travail. Non par obligation, mais par choix. Non par habitude, mais par amour du travail.

Reprenons donc notre travail avec force et vigueur. Mais aussi avec espoir, confiance et ardeur.

Que Dieu nous guide toujours sur le chemin. Et que chaque pas soit une pierre dans notre Temple, visible et invisible, terrestre et céleste.

Galileo Galilée

Nous oublions souvent que la construction du Temple n’est pas une fable symbolique ou une utopie lointaine : c’est une tâche quotidienne, silencieuse, fatigante mais profondément noble.

C’est dans les petits gestes que l’Universel s’élève. C’est dans la cohérence entre paroles et actes, entre rituel et vie profane, que la Franc-Maçonnerie prend toute sa forme.

On ne peut rien apprendre à un homme ; on peut seulement l’aider à le découvrir en lui-même.

Galilée

Et dans notre quête, nous n’avons pas de maîtres absolus, mais des miroirs, des instruments et des compas. Chaque frère ou sœur, à sa manière et à son rythme, peut et doit être une aide précieuse à l’édification collective.

Recommencer avec passion, pas par habitude

Reprendre le travail ne doit pas être une habitude, mais un acte de passion. Le zèle maçonnique ne se mesure pas au nombre de séances, mais à la qualité de l’assiduité. Si un seul Frère revenait au Temple avec un esprit renouvelé, alors toute l’Œuvre serait relancée.

Âge quod agis.

Faites bien ce que vous faites.

Il ne faut pas exagérer. Il faut agir avec force et vigueur, certes, mais aussi avec vérité et cœur. Septembre est l’occasion de se demander : quel genre de franc-maçon je veux être cette année ? Quelle est ma place, ma pierre, mon véritable engagement ?

L’arbre de la vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal

Ce sujet renvoie à la Genèse, donc à l’Ancien Testament, c’est-à-dire aux racines communes à toutes les religions du Livre (chrétienne, juive, musulmane). On pourrait l’aborder d’une manière «philosophique » et laisser courir sa plume au risque de dire tout et n’importe quoi, tellement le sujet est vaste et riche.

Je préfère vous proposer une « explication de texte », parce que ce texte est fondamental, parce qu’il est unique, parce qu’il a été l’objet de toutes les exégèses depuis plus de 2000 ans. Je n’oublierai pas, toutefois, de parler auparavant, de la lecture de la Bible qui a changée dans le temps. Jusqu’aux premières ébauches des découvertes scientifiques au 15ème et l6ème siècle, toutes les images étaient prises pour réalité.

Il a fallu attendre le 19ème siècle pour que l’Eglise catholique « confesse » qu’on était bien en pleine expression symbolique.

Que dit le Volume de la Loi Sacrée ?

« YAHVE planta alors un jardin à Eden vers l’0rient, et il y plaça l’Homme qu’il avait modelé. YAHVE fit donc pousser de l’humus, toutes sortes d’arbres agréables à voir et bons à manger, et l’Arbre de Vie au milieu du jardin, avec l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal » (Chap. 2, 9)

Il y a beaucoup d’arbres dans l’Eden, Paradis, jardin des délices, (étymologiquement parlant), que YAVHE vient de créer, mais seulement deux d’entre eux sont nommés.

Il faut bien comprendre que l’Arbre de Vie est – peut être – l’arbre de l’immortalité et que l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, représente le pouvoir divin de décider, et lui seul, ce qui est bien ou ce qui est mal.

« Tu peux, dit YAHVE, manger à ton gré de tous les arbres du jardin, mais tu ne mangeras point de l’arbre du discernement du bien et du mal, car le jour où tu en mangerais, tu mourrais certainement » (Chap. 2, 16-17)

L’interdiction semble ne porter que sur l’Arbre de la Connaissance et non pas sur l’Arbre de Vie, que l’homme n’est, d’ailleurs, pas censé connaître, puisque l’immortalité est le privilège exclusif de Dieu.

Mais on peut aussi se demander s’il y a bien deux arbres ainsi que le laisse supposer la traduction (l’Arbre de Vie au milieu du jardin, l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal) ou un seul et même arbre, confondu.

Dans le chapitre 3, le serpent dit à la femme :

« Dieu vous a-t-il vraiment défendu de manger d’aucun arbre du jardin ? » (3,1)

La femme lui répond :

« Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin. Mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n’en mangerez point, vous n’y toucherez point, de peur de mourir. » (3,2)

« Non, reprit le serpent, vous ne mourrez pas ; mais Dieu le sait bien, dés que vous en aurez mangé, vous verrez les choses telles qu’elles sont. Vous serez comme lui, capables de savoir ce qui est bien ou mal. »

Il y a bien, à ce stade de la lecture, une ambiguïté : l’Arbre de Vie et l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal pourraient être, en fait, un arbre unique.

La question peut se poser et nous y reviendrons un peu plus loin.

Poursuivons notre lecture. Chapitre 3, ligne 6, il est dit :

« La femme vit que le fruit de l’arbre était bien joli à regarder, qu’il devait être bon et qu’il donnait envie d’en manger pour acquérir un savoir plus étendu. »

Les notions de sensualité, de désir et d’ambition intellectuelle apparaissent ici.

La phrase suivante indique : « Elle prit de son fruit et mangea. Elle en donna aussi à son mari qui, était avec elle, et il mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils connurent qu’ils étaient nus ; ils attachèrent ensemble des feuilles de figuier et s’en firent des sortes de pagnes. »

La femme et l’homme ont mangé du fruit défendu ce qui annonce leur expulsion du paradis.

– le serpent devient maudit « entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages. »

– quant à la femme, Dieu lui dit :

« Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras de tes fils. Ta convoitise te poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. »

– et, à l’homme :

« …tu gagneras ton pain à la sueur de ton front jusqu’à ce que tu retournes à la terre dont tu as été tiré ».

Il s’agit bien là d’une condamnation.

Une condamnation qui laisse entendre, que le destin de l’homme « avant » la faute, était d’être immortel.

Sur le plan philosophique, il y a prise de conscience par l’homme de son propre malheur, d’un malheur dont il est seul responsable : le mal !

Le péché originel est peut être cette double faute de vouloir tout connaître et être immortel.

Aspiration qui caractérise l’être humain.

Or, l’homme ne croit pas en sa propre mort, et c’est bien là tout son drame, (et ou… son charme). Comme l’a démontré le grand psychiatre Sigmund FREUD. « La chute » a été en quelque sorte pour l’homme une « libération ».

Il est devenu libre. Et la preuve en est, très certainement, dans le fait qu’Adam se met à parler à Dieu seulement après avoir mangé du fruit qui était au milieu du jardin. (3,10 à 13)

Avant, il était trop soumis, trop dépendant pour pouvoir s’adresser à lui.

C’est ce qui a fait dire à l’auteur Daniel BERESNIAK dans son ouvrage « Le mythe du péché originel » (Edition au Romer 1997) que « La transgression d’Adam est l’accident fondateur qui marque le passage à la conscience d’exister ».

Si l’on poursuit alors la lecture de la genèse il est dit un peu plus loin (3,21à 24) :

Dieu fit à l’homme et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit. Puis Yahvé Dieu dit : « voilà que l’homme est devenu comme l’un de nous (c’est-à-dire un dieu) pour connaître le bien et le mal. Maintenant prenons garde qu’il n’étende la main et ne prenne aussi du fruit de l’Arbre de Vie, qu’’il n’en mange et vive éternellement. »

Le seigneur Dieu l’expulsa du jardin d’Eden, pour qu’il cultivât la terre d’où il avait été tiré.

Après avoir chassé l’homme, il posta à l’orient du jardin d’Eden les chérubins armés d’un glaive à lame flamboyante pour garder le chemin de l’Arbre de Vie. La réponse à la question que nous nous posions plus haut se trouve là : il y a bien un Arbre de Vie et un Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, distincts l’un de l’autre.

Sur le plan spirituel, cela veut dire que l’objet principal de la doctrine du péché originel est de tendre vers la compréhension de ce mélange de bien et de mal qu’est la conscience individuelle. Ce qui doit finalement conduire à mettre l’accent sur le remède, (« préparé »), au péché originel par un Dieu qui a créé l’homme bon et veut aboutir à ses fins malgré les « déficiences » de sa créature.

C’est ce que Saint Jean révèle, en effet, plus loin dans l’Apocalypse (22,14) : « Heureux ceux qui lavent leurs robes ; ils pourront disposer de l’Arbre de Vie, et pénétrer dans la Cité (la Jérusalem Céleste) par les portes ».

L’Homme doit chercher à revenir à sa situation première dans la Jérusalem Céleste, lavé du péché originel, débarrassé de la glaise dont il est issu.

Nous devons, à la fin des temps, retrouver ce paradis perdu. Pour le chrétien, cela se fera avec un autre « arbre » : la Croix du Christ. Le Christ qui est venu pour « rattraper » cet Arbre de Vie dont les bienfaits ont été perdus par l’homme. Chassé du jardin d’Eden, l’homme attend son sauveur et « l’Arbre – croix », planté au sommet du Golgotha devient pour les chrétiens la médiation entre l’humain (la terre) et le divin (le ciel).

Il y a une transmutation à travers l’être, à travers le pilier, à travers l’Arbre.

Ce symbole de vie, cet axe vertical, montre la perpétuelle évolution de l’homme, son éternelle ascension vers le ciel. C’est pourquoi, il est de tous les symboles, peut être le plus sacré, le plus fréquent dans l’existence humaine, celui autour duquel tournent presque tous les mythes.

Ainsi l’arbre séphirotique, tout naturellement comparé par les kabbalistes à l’Arbre de vie, aide-t-il à élucider les mystères qui conduisent du monde de la transcendance au monde terrestre. Dans la tradition islamique les racines de l’arbre dit « du bonheur », s’élèvent vers le dernier ciel et ses rameaux enveloppent la terre.

Pour Platon, l’homme est une plante renversée, dont les racines s’élèvent vers le ciel et les branches descendent vers la terre. Pour le Franc-maçon, l’acacia est aussi le symbole de la vie ; d’une vie active et féconde. Symbole de l’éternel espoir, de la résurrection, de l’immortalité.

La connaissance du Bien et du Mal que Dieu se réserve n’est pas le discernement moral, mais la faculté de décider soi-même ce qui est bien et ce qui est mal. En l’usurpant, et en portant atteinte à la souveraineté divine, l’homme a renié son état de créature de Dieu. Par sa désobéissance il a perdu les bienfaits de l’Arbre de vie, symbole de l’immortalité qui lui avait été donnée, au commencement, par la grâce divine.

C’est cette première transgression de l’homme qui a entraîné toutes les autres et donc cette nécessité pour lui de devenir habile et intelligent pour croître dans un univers qui n’est plus un paradis. (Et même de moins en moins, si l’on veut en croire les écologistes, précisément à cause de l’homme qui contribue et continue, selon eux, à le détruire par sa recherche effrénée de technicité).

Au terme de la lecture du passage de la Genèse qui nous intéresse, on peut se poser une autre question :

« Puisque c’est l’Arbre de la Connaissance qui est susceptible de donner la Mort ; qu’y a-t-il dans l’Arbre de Vie ? »

Peut-être l’antidote ?

Manger de son fruit redonnerait-il l’Eternité à celui qui la perdue ?

C’est ce que recherche l’initié, par sa recherche constante de la Parole Perdue, Parole de Vie, Parole de la Sagesse suprême, préexistante au monde, Parole par laquelle tout fut conçu et créé, envoyée sur la terre pour y révéler les secrets de la Volonté Divine, Parole de Reconstruction d’une Harmonie perdue où n’existe ni mal ni bien.

En remontant l’Arbre de Vie, Chemin de la Connaissance, l’initié emprunte alors une véritable « échelle de lumière » qui conduit vers cet Univers d’Esprit.

Les origines du christianisme – 8

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier…

Le véritable tournant dans l’histoire chrétienne primitive n’est pas tant la mort de Jésus que la chute du Temple de Jérusalem en 70 ap. J.-C. Cette chute marque un avant et un après. Avant 70, on trouve les figures de Pierre, Jacques et surtout Paul, qui rédige ses épîtres entre 50 et 60. Après 70, les Évangiles sont mis par écrit, suivis des Actes des Apôtres, qui relatent les premières années du mouvement chrétien.

Importance de la Chronologie et des Sources Primaires

Les épîtres de Paul constituent les premiers textes disponibles, écrits 20 à 30 ans avant les Évangiles. Avant elles, des traditions primitives éclairent cette période obscure. En juxtaposant les lettres de Paul aux informations des Actes, on observe parfois une concordance parfaite, parfois des divergences importantes. Il faut garder à l’esprit que Luc (ou le rédacteur des Actes, selon la tradition) écrit une génération après Paul.

Luc et l’Historiographie Antique

Luc compose une histoire non pas au sens de légendes ou de contes pour enfants, mais une série d’événements dont il cherche à montrer la continuité et le sens profond. Il s’inscrit dans l’historiographie antique, influencée par des auteurs comme Machiavel, visant à offrir une image linéaire des origines de la communauté de Jésus. Les Actes deviennent canoniques vers 200, considérés comme le récit véridique des premières décennies chrétiennes. Il faut admirer Luc pour sa formation grecque et son souci de documents, mais se méfier de sa subjectivité antique, non critiquée à l’époque.

Le Prologue de Luc et le Destinataire Théophile

Au début de l’Évangile de Luc, un texte d’une extrême importance historique, l’auteur explique que, puisque beaucoup ont entrepris (en grec, « epicheirô« , littéralement « mis la main à la pâte ») de composer un récit ordonné des événements, il a lui-même suivi attentivement tout depuis le début pour écrire avec exactitude. Luc écrit avec un point de vue chrétien manifeste, visant à guider Théophile vers la foi, sans la froide distance d’un historien moderne. Il produit une œuvre en deux volets : l’Évangile selon Luc et les Actes, tous deux adressés au « très cher Théophile ».

Théophile pourrait être un personnage historique riche, mécène chargé de diffuser l’œuvre via des copies en scriptorium, pratique courante dans l’Antiquité. Alternativement, il pourrait être fictif, signifiant « ami de Dieu » (en grec), permettant à tout lecteur animé d’amour pour Dieu de s’identifier.

Manuscrits, Datation et Apparition des Actes

Le manuscrit Codex Bezae, conservé à Cambridge et copié vers le Ve siècle, contient une version ancienne des Actes. Cependant, les Actes n’apparaissent dans la littérature chrétienne qu’au milieu du IIe siècle, utilisés à partir de 160. Les écoles théologiques romaines entre 140 et 170 ne les connaissent pas, ce qui est curieux. Les Actes existaient avant 160, sous une forme antérieure.

L’Évangile de Luc montre des traces de la destruction du Temple en 70. Les Actes, écrits après l’Évangile, reprennent ses formulations, excluant une rédaction antérieure sans réécriture. Les Actes ne portent pas de traces nettes de réécriture, contrairement au quatrième Évangile.

Hypothèse sur la Rédaction des Œuvres de Luc

Une première hypothèse: juste avant 70, la rédaction à Antioche d’une base de l’Évangile de Luc à partir du travail de Marc à Rome (environ un quart du livre).
Une autre hypothèse: juste après 70, la rédaction des Actes par Luc, complétant l’Évangile par un récit du ministère de Paul, parallèle à celui de Jésus, symbolique plutôt qu’anecdotique.
Luc forme ainsi un couple d’œuvres (Luc 1 : Évangile ; Luc 2 : Actes), affirmant que l’identité chrétienne ne se comprend pas sans Jésus et Paul – le premier à le dire.

Luc réalise en miniature le premier Nouveau Testament.

Unité d’Auteur entre l’Évangile et les Actes

Malgré des différences (exigence morale radicale dans l’Évangile, piété plus modérée dans les Actes), l’unité d’auteur est évidente : indices grammaticaux, stylistiques et théologiques identiques. Luc a écrit les 28 chapitres des Actes, avec un style homogène, des figures stylistiques et des conceptions théologiques analogues à l’Évangile. Cette unité n’a jamais été remise en doute depuis les Pères de l’Église.

Aucun manuscrit ne conserve l’œuvre originale en deux livres successifs ; tous datent d’après la constitution du canon, associant Luc à d’autres Évangiles. En exégèse, parler du « couple Luc-Actes » manque de fondement documentaire ; les Évangiles furent édités ensemble, les Actes ajoutés secondairement.

L’identité de l’Auteur des Actes

Si le rédacteur de l’Évangile de Luc a écrit les Actes, son identité devrait être précisée. Personne ne peut la nommer avec certitude. La tradition, comme dans le Canon de Muratori (vers 200, de l’Église de Rome), l’attribue à Luc le médecin, compagnon de Paul, basé sur Colossiens 4:14 (« salutations de Luc, notre ami le médecin, et de Démas ») et les Pastorales. Luc accompagnerait Paul lors de son dernier voyage à Jérusalem, de Philippes à Césarée, puis à Rome après deux ans. Paul, ayant subi bastonnades et flagellations, aurait besoin d’un médecin.

Cependant, malgré les travaux de Martin Hengel, cette historicité est douteuse. Au IIe siècle, on cherchait des noms dans le Nouveau Testament ; Luc, mentionné comme médecin, fut promu auteur. Personnellement, on ne peut s’appuyer sur un « Luc médecin », ni sur la tradition ultérieure le faisant peintre (comme dans le tableau de Rogier van der Weyden, où il peint la Vierge avec le taureau symbolique).

Les Passages en « Nous » et leur Interprétation

Quatre passages des Actes sont écrits à la première personne du pluriel (« nous »), suggérant un témoignage oculaire, comme si l’auteur accompagnait Paul. Cela pourrait indiquer un compagnon de Paul, mais ce n’est pas certain. Les descriptions maritimes montrent une familiarité avec les itinéraires, inscrivant l’œuvre dans le voyage de Paul. Le « nous » pourrait être une reprise littéraire d’un élément ancien pour crédibiliser le récit.

Le verbe « parakolouthein » au prologue (Luc 1) signifie littéralement « accompagner » ou figurativement « suivre attentivement ». La plupart des exégètes prennent le sens figuré, comme dans d’autres prologues antiques : « avoir bien examiné l’affaire ». Des raisons déterminantes refusent à l’auteur un statut de compagnon historique : sa connaissance de Paul et de sa théologie est insuffisante.

Divergences avec la Théologie Paulinienne

L’ancienne école de Tübingen (Baur, Strauss) reproche à Luc de n’avoir pas compris la théologie paulinienne. Luc s’en éloigne après un séjour en Palestine, recevant l’enseignement de Jésus. Des traces pauliennes persistent : justification par la foi (Galates, Romains) dans la parabole du fils prodigue, discours de Pierre au concile, de Paul à Milet. Luc simplifie la pensée de Paul (justice de Dieu, conception du Christ, fin des temps) pour un public populaire. La théologie de la Croix paulienne (paradoxale) est absente ; Luc met l’accent sur l’Incarnation et la Résurrection.

La présentation de Paul dans les Actes diffère : plus compromis, moins attaché au titre d’apôtre. Luc n’en fait pas un disciple de Paul ; un compagnon intime ne dépeindrait pas Paul comme défenseur de la loi juive, bon observateur juif, ami des Romains. C’est une reconstruction : Paul destiné aux païens, bâtisseur d’Églises méditerranéennes, exagérée par rapport aux épîtres.

Reconstruction de la Figure de Paul

Luc présente Paul comme le héros missionnaire, éclipsant Pierre et Jacques dès Actes 15. Ce choix exclusif marginalise d’autres figures, oubliées faute de sources. Dans les épîtres, Paul est un apôtre radical (justification par la foi, théologie de la Croix) ; dans les Actes, il est un Juif pieux, respectueux de la Loi, citoyen romain, subordonné à Jérusalem. Ce portrait, édulcoré, légitime le christianisme face au judaïsme (Paul étudiant sous Gamaliel, collaborant avec Juifs) et à l’Empire (citoyen romain, évitant châtiments infamants). Les épîtres contredisent : Paul flagellé, incompatible avec la citoyenneté romaine ; pas d’études à Jérusalem mentionnées.

Luc s’achève à Rome, centre du monde, non en Espagne (projet de Paul). La mission, de Jérusalem à Rome, incarne la continuité providentielle : “témoins jusqu’aux extrémités de la terre” (Actes 1:8). Luc amplifie Paul, mais outrepasse : le Paul des Actes est moins paradoxal que celui des épîtres. Luc n’invente pas la grandeur de Paul mais l’isole.

Valeur Historique et Littéraire des Actes

Les Actes ont un statut historique particulier : document unique sur la mission de Paul, mais divergent des épîtres. Ce n’est pas des archives, mais de la littérature. Les Actes, unique source sur la mission paulinienne, sont une œuvre littéraire, non une chronique. Luc, historien antique, compose une intrigue subjective, harmonisante. Les épîtres, par leur ancienneté, ont plus de crédit, mais le rôle de Paul émerge tardivement (IIe siècle, collecte des lettres). Luc rapporte des traditions orales (Paul artisan textile, citoyen romain), mais diverge des épîtres. Une lecture naïve des Actes comme chronique est erronée ; ils exigent un esprit critique face à leur projet théologique.Historiquement, on ne peut vérifier vrai/faux sans sources externes. Luc harmonise, montrant un christianisme arrangé ; c’est tendancieux, mais indispensable. Les historiens doivent éviter une lecture naïve : ce n’est pas une chronique, mais une démonstration. L’histoire est toujours une intrigue composée, sélective et interprétée ; Luc est subjectif comme tout historien antique.

Luc rapporte des éléments absents des épîtres : Paul citoyen romain (mais fouetté publiquement, impossible pour un citoyen ; tendances masochistes ?), métier textile, citoyen de Tarse (douteux, sans autre attestation). La citoyenneté romaine pourrait légitimer le christianisme face à l’Empire ; Paul étudiant à Jérusalem, montant après sa vocation, choisissant des collaborateurs juifs, pour se légitimer face au judaïsme.

Le Projet de Luc et la Relation au Judaïsme

Le but des Actes : montrer la continuité de Jérusalem à Rome (extrémités de la terre pour Luc, centre du monde).
Jésus ressuscité dit : témoins à Jérusalem, Judée, Samarie, extrémités de la terre. Importance des rencontres avec fonctionnaires romains ; une fois Paul à Rome, le livre s’arrête. Légitimité missionnaire depuis Pierre à Jérusalem jusqu’à Paul à Rome. Multiplie les voyages à Jérusalem contre les épîtres (Galates).

Dans la première partie, expansion de la communauté : à Jérusalem, puis extérieur ; nombreux Juifs croient initialement, puis accueil diminue, païens augmente. Fin : Paul prisonnier à Rome reçoit des responsables de la synagogue, essaie de les convaincre via Moïse et prophètes ; certains croient, d’autres incrédules. Citation d’Isaïe sur l’endurcissement du peuple ; Paul : « le salut de Dieu est envoyé aux païens ».

Revirement : Évangile passe des Juifs aux païens. Luc répète (chapitres 13, 18, 28) : si Juifs n’entendent pas, tournée vers païens. Charge violente, improbable d’un Juif ; construction aux dépens des Juifs. Scénario récurrent : Paul parle aux Juifs, rejeté, expulsé, menacé ; attention de quelques-uns (craignant-Dieu, païens fascinés par judaïsme). Juifs en méchants, mais pas exclusivement ; petits noyaux continuent, s’élargissant aux Grecs.

But : montrer que l’identité chrétienne se comprend via sa racine juive ; repartir de là. Projet : extension de l’Église par l’Esprit Saint, de Jérusalem à Rome (monde entier). Mais pourquoi Paul pour Rome, puisque l’Évangile y était avant (Romains) ? Pas passage simple Juifs-païens-universalisme ; Luc montre que la foi en Christ n’existe pas sans peuple juif.

Écrit vers 80-90, à une chrétienté séparée post-70 ; pas pour convertir Juifs (portrait trop noir), mais rappeler racines dans promesses à Israël. Luc conserve titres de noblesse à Israël, sans les transférer aux chrétiens (contrairement à Jean). Témoin de la fracture post-70 entre courants judaïques ; historien et porte-parole du courant chrétien.

Les Actes, unique source sur la mission paulinienne, sont une œuvre littéraire, non une chronique. Luc, historien antique, compose une intrigue subjective, harmonisante. Les épîtres, par leur ancienneté, ont plus de crédit, mais le rôle de Paul émerge tardivement (IIe siècle, collecte des lettres). Luc rapporte des traditions orales (Paul artisan textile, citoyen romain), mais diverge des épîtres. Une lecture naïve des Actes comme chronique est erronée ; ils exigent un esprit critique face à leur projet théologique.

La chute du Temple redessine le christianisme : avant, un mouvement juif ; après, une identité universaliste. Luc, narrateur providentiel, tisse une continuité de Jésus à Paul, de Jérusalem à Rome, sans rompre avec les racines juives. Sa vision tragique reflète une séparation non désirée, marquée par des violences rhétoriques. Les épîtres de Paul, premières archives, contrastent avec les Actes, œuvre d’un historien antique où la foi guide la plume. Ensemble, ils témoignent d’un christianisme forgé dans la tension entre héritage juif et ouverture aux nations.

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« La Divine Comédie de Dante » enluminée par Jean-Luc Leguay, dit Héraclius

Il est des lieux où le temps s’arrête pour laisser place à l’éternité. L’abbaye cistercienne de Silvacane, qui fête ses 850 ans, ouvre ses pierres à une exposition singulière : La Divine Comédie de Dante, enluminée par l’un des derniers héritiers d’un savoir séculaire, Jean-Luc Leguay, appelé Héraclius.

La Divine Comédie de Dante 
La Divine Comédie de Dante 

Enlumineur initié selon la tradition des maîtres anciens, il perpétue un art transmis de génération en génération comme un fil invisible reliant les siècles. Ses œuvres, loin de n’être que décor ou illustration, sont des portes de lumière. Chaque trait, chaque pigment, chaque éclat d’or ou de lapis est un signe, une clef, une invitation à franchir les degrés de l’élévation spirituelle.

Dante, dans sa Divine Comédie, nous entraîne de l’Enfer aux sphères célestes, du chaos à l’harmonie, du poids de la matière à la légèreté de l’esprit. Ce chemin, si proche de celui que nous connaissons en loge, est celui d’une initiation intérieure : descendre dans les abîmes de soi-même pour mieux remonter vers la lumière.

Les enluminures de Jean-Luc Leguay révèlent cette tension entre obscurité et clarté, entre ignorance et connaissance, entre exil et retour au centre.

La Divine Comédie de Dante 
La Divine Comédie de Dante 

À travers cet art qui unit l’Orient et l’Occident, l’enluminure se fait alchimie visuelle. Le minéral devient feu, la couleur devient souffle, l’image devient verbe. En regardant ces œuvres, nous sommes conviés à un voyage semblable à celui de Dante guidé par Virgile et Béatrice, un pèlerinage qui résonne avec la quête maçonnique : chercher la lumière au cœur des ténèbres, bâtir un temple intérieur dont chaque page enluminée devient une pierre vivante.

Cette exposition constitue une véritable escale initiatique. Elle nous rappelle que, comme les moines de Silvacane qui jadis copiaient et illuminaient les manuscrits sacrés, nous avons nous aussi à transmettre, dans nos gestes et dans nos mots, une lumière qui ne nous appartient pas mais qui nous traverse.

Infos pratiques

Façade de l'abbaye de Silvacane
Façade de l’abbaye de Silvacane

Vernissage : samedi 20 septembre 2025 à 11h, en présence de Jean-Luc Leguay – Héraclius.

Exposition : du 20 septembre 2025 au 15 mars 2026.

Lieu : Abbaye de Silvacane, 183 route de l’abbaye, 13640 La Roque d’Anthéron.

La nef
La nef

Ateliers d’enluminure : samedi 20 septembre de 14h30 à 17h, ouverts à tous. Cet atelier portera sur l’apprentissage du dessin d’une lettrine enluminée, guidé par le maître enlumineur.

Contact / Réservations : Tél. : 04 42 50 41 69 / Mail : abbaye@ville-laroquedantheron.fr

Site : www.abbaye-silvacane.com