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Renaissance Traditionnelle, n°209 : une pierre maîtresse de la quête maçonnique

Le numéro 209 de Renaissance Traditionnelle (RT) s’inscrit dans la continuité d’une œuvre éditoriale commencée il y a plus d’un demi-siècle par René Guilly et poursuivie aujourd’hui par Roger Dachez. Cette revue, véritable phare dans l’océan des publications maçonniques, a toujours eu pour vocation de susciter des études originales, de faire paraître des documents rares, de nourrir l’intelligence symbolique et d’éveiller la sensibilité spirituelle de ses lecteurs.

Elle ne se contente pas de rendre compte du passé : elle déploie une recherche vivante qui éclaire l’histoire et l’initiation. Ce nouvel opus de 128 pages confirme ce double souffle, savant et méditatif, érudit et initiatique.

Renaissance Traditionnelle 209 janvier juin 2025
Renaissance Traditionnelle 209 janvier juin 2025

Ce numéro porte aussi une valeur particulière : il inaugure une nouvelle étape matérielle de la revue, installée désormais dans ses locaux de Puteaux, au bord de la Seine. Ce déménagement, annoncé avec reconnaissance envers la patience des abonnés, devient bien plus qu’un simple fait logistique. Il symbolise un passage, une traversée, une translation qui n’est pas sans rappeler la démarche initiatique elle-même. Comme une loge qui change de Temple tout en gardant son flambeau allumé, Renaissance Traditionnelle poursuit son travail de transmission et d’élévation.

Renaissance Traditionnelle, diplôme
Renaissance Traditionnelle, diplôme

Dès la première de couverture, le lecteur est saisi par l’image d’un certificat de franc-maçon daté du 2 juin 1827, issu des collections du Royal Museums de Greenwich. Plus qu’une illustration, ce document agit comme une clef d’entrée, une porte symbolique qui rappelle que chaque signe, chaque sceau, chaque trace graphique du passé maçonnique peut être lu comme une pierre taillée dans le grand chantier de la mémoire. Sa reproduction soigneuse témoigne du soin extrême porté à la mise en page et à l’iconographie : la revue ne livre pas seulement du contenu, elle donne forme à une véritable expérience esthétique et symbolique.

Le sommaire de ce numéro se révèle d’une richesse rare, embrassant la diversité des approches qui font la force de la revue. L’ensemble compose une mosaïque de voix, de perspectives, de disciplines, mais toujours tendues vers une même finalité : mieux comprendre et mieux aimer la tradition maçonnique dans sa double dimension, historique et spirituelle.

Le dossier : « Colonnes, chandeliers et piliers »

Roger Dachez poursuit l’étude entamée dans le précédent numéro autour de cette triade familière à tous les initiés. Les colonnes, les chandeliers et les piliers sont souvent considérés comme des éléments de décor. L’auteur les réinscrit dans une histoire vivante, polymorphe, mouvante. Il montre que ces symboles, loin d’être immuables, se sont transformés selon les époques, les rituels et les sensibilités.

La colonne n’est pas seulement un support architectural : elle devient axe, signe de verticalité et d’élévation. Elle incarne la stabilité mais aussi la polarité, reliant le ciel et la terre, la tradition et l’innovation. Le chandelier n’est pas seulement un luminaire : il rythme la nuit, éclaire le travail, rappelle l’étoile de l’initié dans le silence du Temple. Les piliers ne sont pas de simples soutiens : ils incarnent les valeurs qui fondent l’Ordre et inscrivent l’homme dans l’harmonie cosmique. Cette étude nous révèle que la tradition ne se fige jamais. Elle se réinvente dans l’espace du rituel, offrant aux générations successives de nouvelles clefs d’interprétation.

Les Varia : mémoire et quête

L’histoire de la Loge de Joigny (1777-1880), étudiée par Christian L., nous transporte dans la respiration d’un atelier de province. Cette plongée dans les archives fait revivre non seulement des actes administratifs ou des statuts, mais surtout une manière d’habiter l’histoire locale. Chaque loge devient un microcosme, une réplique miniature du grand chantier universel. La fragilité des frères, leurs enthousiasmes, leurs épreuves, leurs engagements sociaux et politiques apparaissent comme autant de pierres posées dans le temple invisible de la fraternité.

L’article de Philippe Langlet, « Le chaînon manquant ? », est sans doute l’un des moments les plus puissants de ce numéro. En s’interrogeant sur le quatrième grade du REAA, Maître Secret, l’auteur met en lumière les strates rituelles, les filiations textuelles, les variantes doctrinales qui témoignent de la richesse d’une tradition souvent appauvrie dans sa pratique actuelle. Sa méthode philologique et comparative, mettant en regard les rituels de 1857 (Albert Pike) et de 1922 (Suprême Conseil de France), révèle une constellation de correspondances et de divergences.

De cette enquête minutieuse, il ressort une leçon initiatique majeure : le chaînon manquant n’est pas une pièce disparue qu’il faudrait reconstituer. Il est la fonction même de la tradition vivante, cet espace de tension et de fidélité où mémoire et recréation s’accordent. Vérité, Parole et Temple apparaissent comme les trois noyaux doctrinaux qui traversent les versions et donnent au grade sa sève intérieure. Langlet ne nous enferme pas dans une reconstruction figée : il ouvre un passage, il invite à lire entre les lignes, à percevoir le mouvement de la tradition comme une musique qui se transmet d’oreille en oreille.

Jan A. M. Snoek, avec sa rectification érudite sur le développement précoce du degré de Maître Écossais, rappelle l’importance des errata. Corriger n’est pas un acte secondaire. C’est une preuve que la recherche est vivante, perfectible, fidèle à l’exigence maçonnique d’amélioration continue.

Retour aux classiques : le Secret des francs-maçons (1744)

Roger Dachez consacre une étude magistrale à cette première grande divulgation française. Loin de la considérer comme une simple trahison, il la replace dans son contexte et montre qu’elle a paradoxalement sauvé des formes rituelles qui auraient pu disparaître. Les éditions successives de 1744 ne livrent pas un texte figé mais un kaléidoscope de variantes. Leur impression a fixé dans l’encre des gestes et des paroles qui, autrement, se seraient perdus.

La leçon est capitale : le secret initiatique ne réside jamais dans la lettre imprimée. Il demeure dans l’expérience intérieure, dans le silence, dans la transformation vécue au Temple. La divulgation dévoile et voile tout à la fois. Elle rend plus précieuse encore la recherche de ce qui ne peut être dit.

Mémoire et compagnonnage

La rubrique « Francs-maçons du passé » met en lumière une figure oubliée : Pierre-Jacques Willermoz, frère du plus connu Jean-Baptiste. En redonnant à cet homme de l’ombre la place qu’il mérite, Roger Dachez rappelle que l’histoire de la Franc-Maçonnerie ne s’écrit pas seulement avec des héros auréolés mais aussi avec des artisans discrets qui ont œuvré pour la continuité de l’Ordre.

Dans « Emblemata Latomorum », Jean-Paul Le Buhan explore la frontière subtile entre signes de métier et emblèmes de confrérie. Les marques gravées par les compagnons ou les maçons deviennent emblèmes dès lors qu’elles dépassent la fonction pour se charger d’une valeur symbolique. Cette interrogation ouvre sur une méditation profonde : à quel moment le geste se transfigure-t-il en rite, l’outil en emblème, l’inscription en symbole ?

Jean-Michel Mathonière, dans la rubrique « Côté compagnonnages », interroge la symbolique des colonnes et des ordres d’architecture chez les compagnons du Tour de France. Il montre combien compagnonnage et Franc-Maçonnerie partagent une langue commune, faite de pierre, de règle et de compas, où l’art de bâtir devient science de l’âme. Ce détour par la tradition compagnonnique éclaire la Franc-Maçonnerie comme un vaste chantier humain et spirituel.

Les lumières de conclusion

Comme toujours, la revue se termine par les comptes rendus de livres, ouvrant la réflexion vers d’autres horizons, et par la rubrique RT numérique, qui montre que la tradition sait aussi emprunter les voies de la modernité.

Alors, ce numéro de RT, juste un recueil d’articles savants ? Non, il est une œuvre collective où rigueur et méditation, mémoire et quête spirituelle, érudition et contemplation se rejoignent. Fidèle au vœu de René Guilly, il nous aide à mieux comprendre et à aimer plus encore la tradition maçonnique.

Chaque article y est une pierre. Chaque étude une colonne. Chaque illustration une lumière. Ensemble, ils composent un Temple de papier où le lecteur est invité à entrer, à méditer, à poursuivre la chaîne ininterrompue de la recherche et de l’initiation.

Le numéro est disponible au prix de 30 € pour 128 pages. L’abonnement annuel, pour 2025, donne droit à deux numéros, de janvier à décembre. Informations et commandes sur le site officiel : https://rt.fmtl.fr/.

Renaissance Traditionnelle
Revue d’études maçonniques et symboliques
Renaissance Traditionnelle, Numéro 209, Janvier-Juin 2025, 128 pages, 30 €

Franc-maçonnerie : les Anglais inventent la nation

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Cet ouvrage conclut les recherches de l’auteur sur l’apparition de la Franc-maçonnerie obédientielle en Grande-Bretagne. Il retrace la fondation de la « Grande Loge de Londres et de Westminster » (1717),  Cette obédience des « Modernes » fut surnommée ainsi par opposition à la Grande Loge des « Anciens » L’influence des Modernes a été cruciale dans la création de la Grande Loge du Royaume de France (1738) puis, en 1773, du Grand Orient de France, la plus ancienne obédience maçonnique française, à laquelle appartient l’auteur. 

Michel König propose une réflexion à la fois philosophique et historique sur l’héritage des Lumières dans le développement de la franc-maçonnerie.  Le lien central entre la philosophie des Lumières et les idées prérévolutionnaires est la notion de Nation, telle qu’elle apparait dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (26 août 1789), concept qui inspire le titre de l’ouvrage. Les hauts grades et ordres de sagesse sont analysés comme des tentatives de concilier les traditions religieuses (Dieu de la Bible) avec le credo maçonnique rationaliste.

L’Auteur :

Michel KÖNIG est né à Lyon, en 1943. Il a fait des études universitaires à Lyon et à Paris. Il est diplômé d’études supérieures de Doctorat en Sciences Économiques et diplômé de Sciences Politiques. Il est chevalier dans l’Ordre National du Mérite. Entré au Grand Orient de France en 1971, il est resté fidèle à cette obédience dans laquelle il est toujours actif. Il a participé à la Renaissance du Grand Chapitre Général et est membre du 5e ordre.

Un rituel séculaire au cœur de la tradition Corse, symbole d’unité et de spiritualité

De notre confrère france3-regions.franceinfo.fr – Par Leo Segura

Au milieu des montagnes escarpées du Niolu, dans le village de Casamaccioli niché au cœur de la Haute-Corse, un rituel ancestral vient de scander les échos d’une foi millénaire. Lundi 8 septembre, pour la 195e édition de A Santa di Niolu, la célèbre procession de A Granitula a réuni une centaine de fidèles et de confrères sous un ciel méditerranéen, formant une spirale vivante qui s’enroule et se déroule comme un appel à l’âme corse.

Présidée par Son Éminence François Bustillo, cardinal et évêque de Corse, cette célébration clôt une fête religieuse vieille de cinq siècles, où le sacré se mêle à l’identité insulaire. Mais au-delà de la chorégraphie solennelle, qu’est-ce qui fait de A Granitula un pilier incontournable des fêtes religieuses corses ? Plongeons dans les méandres de cette tradition séculaire, reflet d’une île où la spiritualité, la mémoire collective et la cohésion communautaire s’entrelacent comme les pas des pèlerins.

Les racines historiques d’une célébration ancestrale

Religieux franciscain conventuel français, évêque d’Ajaccio et cardinal

A Santa di Niolu, ou « La Sainte du Niolu », n’est pas une simple fête paroissiale : c’est un pilier de la piété corse, remontant au XVIe siècle. Selon les archives locales et les témoignages oraux transmis de génération en génération, cette célébration trouve ses origines dans une dévotion mariale intense, centrée sur la Vierge Marie, protectrice des bergers et des montagnards du Niolu, une vallée isolée et rude où la foi a toujours été un rempart contre l’adversité. La première édition documentée remonte à 1830, mais ses racines plongent bien plus loin, dans les pratiques médiévales où les processions collectives étaient des actes de gratitude envers la divine Providence pour une année de récoltes ou de protection contre les épidémies.

Cette année, la 195e édition a attiré des milliers de pèlerins venus de toute la Corse et de la diaspora – ces Corses installés en métropole ou à l’étranger qui reviennent chaque automne pour renouer avec leurs origines. Le programme, fidèle à la tradition, s’est étalé sur le week-end du 6 au 8 septembre : veillées de prières, concerts polyphoniques sacrés et, en point d’orgue, la messe solennelle du lundi matin sur le champ de foire de Casamaccioli. C’est là, sous les regards émerveillés d’une foule multicolore, que A Granitula prend vie, transformant un espace profane en un théâtre sacré où le temps semble suspendu.

La chorégraphie symbolique de A Granitula : une spirale vivante

Imaginez la scène : après la messe célébrée par Mgr François Bustillo, évêque de Corse depuis 2021 et cardinal depuis 2024, les fidèles et les membres des confréries – ces associations pieuses nées au Moyen Âge pour porter les statues et prier pour les défunts – se lèvent en silence. Une centaine d’hommes et de femmes, vêtus de blanc ou de robes traditionnelles ornées de capuces, se placent l’un derrière l’autre. Pas à pas, ils avancent, formant d’abord un cercle parfait autour d’une croix ou d’une statue de la Vierge. Puis, comme guidés par une force invisible, le cortège s’enroule en une spirale resserrée, évoquant la forme d’un escargot – d’où son nom corse, granitula, dérivé de « granita » signifiant « petite graine » ou « spirale compacte ».

A Santa di Niolu et la procession intitulée « A Granitula » • © www.terracorsa.info

Le rituel culmine lorsque le meneur, souvent un confrère expérimenté, atteint le centre de la spirale. Il exécute alors a volta, une figure gracieuse de rotation sur lui-même, symbolisant un pivot spirituel. Sans un mot, sans un recul, la procession se déroule ensuite à l’inverse, se dénouant comme elle s’était nouée. « Sans arrêt, ni recul », comme le décrivent les participants : cette fluidité sans interruption incarne la persévérance de la foi corse, forgée dans un île battue par les vents et les invasions.Ce ballet humain, qui dure une quinzaine de minutes, n’est pas une simple parade. Il est une méditation collective, où chaque pas résonne avec les prières murmurées. Les confréries, comme celle de Notre-Dame des Sept Douleurs ou de Saint-Roch, jouent un rôle central : leurs membres, souvent des aînés, transmettent le geste avec une précision rituelle, rappelant que A Granitula est autant une danse qu’une prière en mouvement.

Symbolisme profond : du cycle de la vie au retour à Dieu

Au-delà de sa beauté visuelle, A Granitula est un réservoir de sens, interprété différemment selon les regards. Pour les théologiens corses et les anthropologues comme Ghjacumu Thiers, spécialiste des traditions insulaires, la spirale évoque le cycle de la vie : l’enroulement représente la gestation spirituelle, le centre – a volta – la naissance ou la révélation divine, et le déroulement, la renaissance ou le retour à l’harmonie cosmique. « Certains y voient une référence à la naissance spirituelle et au retour à Dieu », explique l’article de France 3 Corse, tandis que d’autres y décèlent un hommage païen christianisé au mouvement des saisons, des semences qui germent dans la terre niolaise.

Cette dualité – païenne et chrétienne – est typique de la Corse, où les rites préchrétiens se sont fondus dans le catholicisme. La spirale, motif universel présent dans l’art mégalithique corse (comme les disques solaires gravés sur les menhirs), symbolise l’unité du cosmos : un voyage intérieur vers le centre divin, puis une expansion vers le monde. Dans un contexte insulaire marqué par l’exil et les retours saisonniers, A Granitula exprime aussi la cohésion communautaire. Elle rassemble des Corses de Balagne, du Nebbiu ou de la diaspora parisienne, effaçant les clivages pour former un corps unique, comme une chaîne humaine vivante. « Cette procession exprime une cohésion communautaire entre les Corses », note France 3, soulignant comment elle transcende les divisions pour affirmer une identité collective face à la modernité.

Pourquoi A Granitula s’est-elle imposée comme un incontournable ?

Cargese Église Latine

Dans le paysage des fêtes religieuses corses – de la Madonna di a Neve à Sartène à la Procession du Christ à Cargèse –, A Granitula se distingue par sa simplicité et sa profondeur. Imposée comme rituel de clôture depuis au moins le XIXe siècle, elle répond à un besoin anthropologique fondamental : ritualiser la transition, marquer la fin d’un cycle sacré. En Corse, où la religion est indissociable de l’identité culturelle (90 % des Corses se disent catholiques pratiquants selon des enquêtes récentes), ce geste silencieux contrebalance le tumulte des veillées polyphoniques ou des feux de joie. Il invite à l’intériorité, à une méditation collective qui renforce les liens familiaux et villageois.

Son incontournabilité s’explique aussi par sa résilience : malgré les guerres, les exils et la sécularisation, A Granitula a traversé les siècles sans altération majeure. Lors de la 195e édition, sous la houlette de Mgr Bustillo – un prélat corse au charisme international –, elle a attiré plus de 5 000 personnes, selon les organisateurs, boostée par les réseaux sociaux où des vidéos de la spirale viralisent chaque année. C’est un acte de résistance culturelle : dans une île confrontée à la désertification rurale, elle rappelle l’importance du sacré pour ancrer les jeunes générations.

Une autre Granitula : celle de Calvi, écho du Vendredi Saint

A Granitula n’est pas unique à Casamaccioli. Une variante tout aussi poignante se déroule le soir du Vendredi Saint à Calvi, sur la Balagne. Là, sous les lumières tamisées de la citadelle génoise, les confrères de la Passion portent la statue du Christ mort dans une procession similaire : une spirale funèbre qui évoque le deuil et la résurrection. Moins festive que celle du Niolu, elle porte une charge émotionnelle intense, avec des chants a cappella et des torches qui dansent dans la nuit. Ces deux granitule illustrent la richesse des traditions corses : l’une joyeuse et mariale, l’autre pénitentielle, mais toutes deux unies par le fil de la spirale, symbole d’éternité.

Un héritage vivant pour l’avenir de la Corse

À l’heure où la Corse négocie son autonomie accrue avec l’État français, des rituels comme A Granitula rappellent que l’identité insulaire se nourrit de ces pratiques intangibles. Ils ne sont pas fossiles : ils évoluent, intégrant des jeunes via les associations culturelles, et servent de vecteur touristique respectueux. Comme le confie un participant anonyme dans l’article de France 3 :

« C’est notre façon de dire que la Corse est éternelle, comme cette spirale qui ne s’arrête jamais. »

En cette fin d’été 2025, alors que les échos de la procession s’estompent dans les oliveraies du Niolu, A Granitula laisse une empreinte indélébile : celle d’une île où le sacré tisse encore le lien entre passé, présent et avenir. Une invitation à tous à redécouvrir ces trésors vivants, avant que le monde ne les efface.

Légende indienne du garçon et du maharaja : leçon de mathématiques exponentielles

Dans les annales des contes indiens, une histoire fascinante mêlant ruse, générosité et mathématiques circule depuis des siècles. Elle raconte l’ingéniosité d’un jeune garçon ou d’un sage qui, après avoir offert ou inventé le jeu d’échecs au maharaja, demande une récompense qui semble humble mais cache une profondeur insoupçonnée.

Ce récit, souvent attribué aux origines mythiques du jeu d’échecs en Inde ancienne – vers le VIe siècle sous le règne de l’empereur indien Chandragupta Vikramaditya –, est bien plus qu’une fable : c’est une leçon intemporelle sur la puissance de la croissance exponentielle. Plongeons dans cette légende et calculons la somme astronomique qui en découle.

L’origine de la légende

Selon la tradition orale, un jeune garçon, parfois décrit comme un sage ou un inventeur, présenta au maharaja un nouveau jeu stratégique : le chaturanga, ancêtre de l’échecs. Impressionné par cette création ingénieuse, le souverain promit de récompenser généreusement son sujet. Mais au lieu de demander des richesses visibles – or, bijoux ou terres –, le garçon fit une requête modeste en apparence : il souhaita recevoir du riz, distribué selon une règle précise sur les 64 cases d’un échiquier. Sur la première case, un seul grain ; sur la deuxième, deux grains ; sur la troisième, quatre grains ; sur la quatrième, 16 grains, et ainsi de suite, en doublant à chaque case jusqu’à la 64e. Amusé par cette demande frugale, le maharaja accepta sans hésiter, ignorant l’ampleur de sa promesse.

Le calcul de la récompense : une progression géométrique

Derrière cette demande se cache une séquence mathématique fascinante. Chaque case (n°) contient

Total=20+21+22+23+⋯+263

Cela équivaut à la somme des puissances de 2 de 0 à 63, soit 64 termes. La formule de la somme d’une série géométrique est :

Une quantité astronomique

champion aux échecs

Ce chiffre – environ 18,4 quintillions (18 suivi de 18 zéros) – défie l’imagination. Pour contextualiser, la production mondiale annuelle de riz est d’environ 500 millions de tonnes, soit environ 500 milliards de grains (en estimant 20 000 grains par kilogramme). Même en mobilisant toutes les récoltes mondiales pendant des siècles, il serait impossible de réunir une telle quantité. Un quintillion de grains représente une montagne de riz couvrant des milliers de kilomètres carrés sur plusieurs mètres de hauteur. Le maharaja, réalisant l’ampleur de sa promesse, aurait selon certaines versions offert son royaume en échange, tandis que d’autres récits le dépeignent contraint de céder ses terres au garçon, devenu symbole de sagesse.

Une leçon de mathématiques et de ruse

Cette légende transcende le simple calcul pour devenir une parabole philosophique. Le garçon, par sa demande, illustra la puissance de la croissance exponentielle, un concept que les mathématiques modernes ont formalisé mais que cette histoire rend accessible. Elle enseigne aussi la prudence dans les engagements : une apparente générosité peut se transformer en fardeau insurmontable. Dans la culture indienne, elle est souvent citée pour vanter l’intelligence face au pouvoir, le sage ayant triomphé sans violence ni arrogance.

Échos contemporains

Pièces d'échec sur un échiquier
Pièces d’échec sur un échiquier

Aujourd’hui, cette histoire résonne dans les salles de classe et les cercles intellectuels comme une introduction aux suites géométriques et à l’impact des choix. Elle inspire aussi des réflexions sur la gestion des ressources : dans un monde où l’exploitation exponentielle des biens naturels est un enjeu, elle rappelle la nécessité d’anticiper les conséquences. Des jeux éducatifs en ligne, comme ceux proposés par Khan Academy, utilisent cette légende pour enseigner les exponentielles, tandis que des artistes indiens en ont fait des fresques murales célébrant la ruse populaire.

Un héritage vivant

Que le maharaja ait tenu sa promesse ou non, cette légende perdure comme un trésor culturel, passant des rives du Gange aux récits universels. Le garçon, anonyme mais génial, reste un symbole d’ingéniosité face à la puissance. Et si, comme le suggèrent certains historiens, cette histoire a contribué à populariser les échecs en Asie et au-delà, elle a aussi offert au monde une leçon mathématique éternelle : 18 446 744 073 709 551 615 grains de riz, une récompense qui dépasse les royaumes pour toucher l’infini.

Crise au Grand Prieuré Rectifié de France : une gouvernance en question et l’IA au cœur du conflit

Une tempête secoue les fondations du Grand Prieuré Rectifié de France (GPRF) et du Directoire National des Loges Ecossaises Rectifiées de France (DNLERF), deux piliers du Rite Écossais Rectifié (RER) en France. Deux lettres explosives, signées par les Très Révérends Chevaliers Jacques Bourbasquet-Pichard et Patrick Meneghetti, révélées par des « lanceurs d’alerte » internes, mettent en lumière une crise de gouvernance, exacerbée par l’utilisation controversée de l’intelligence artificielle (IA) et des tensions personnelles au sommet. Alors que la communication interne semble muselée par une direction accusée d’autoritarisme, l’avenir de cette obédience traditionnelle est en suspens.

Une fracture initiatique et administrative

Les courriers, datés du 22 et 26 août 2025, adressés au Haut Conseil (HC) et au Conseil National (CN), témoignent d’un malaise profond. Jacques Bourbasquet-Pichard, membre fondateur du GPRF et ancien Grand Maître National, annonce son retrait des affaires nationales, dénonçant des « menaces voilées », des « ambitions individuelles » et une « indifférence » à l’usage de l’IA dans les textes doctrinaux. De son côté, Patrick Meneghetti, plus ancien Grand Prieur encore vivant, conteste des accusations portées contre lui par le Grand Prieur-Grand Maître National et son adjoint, sans qu’il ait pu se défendre. Ces reproches, liés au report d’une fusion des juridictions, seraient infondés, selon lui, et masqueraient des dysfonctionnements plus larges.

Au cœur du conflit, une inversion des rôles entre les instances ordinales – censées guider l’Ordre sur des bases spirituelles – et les instances civiles, perçues comme prédominantes.

Les deux auteurs soulignent que les projets de fusion, validés librement par le HC et le CN, ont été remis en cause dans des réunions convoquées en urgence, sans respect des usages démocratiques. Cette gouvernance opaque alimente un sentiment de perte de souveraineté, menaçant l’essence chevaleresque et initiatique du RER.

L’intelligence artificielle : une bombe à retardement

Le véritable point de discorde réside dans l’emploi présumé de l’IA par le Grand Prieur Adjoint pour rédiger des textes doctrinaux. Bourbasquet-Pichard y voit une dérive incompatible avec la tradition initiatique, tandis que Meneghetti s’inquiète d’un outil imposé dont la maîtrise échappe aux instances dirigeantes, restant entre les mains de son promoteur. Cette question soulève des débats éthiques : dans un Ordre attaché à la transmission orale et symbolique, l’usage de technologies automatisées pourrait-il diluer l’authenticité des enseignements ? Une demande de clarification de Meneghetti, suivie d’une réunion précipitée, semble avoir envenimé les tensions, suggérant une gestion défensive de la part des dirigeants.

Une communication censurée et des retraits symboliques

L’introduction accompagnant les courriers, signée par des « Frères Rectifiés, lanceurs d’alerte », révèle une censure dictatoriale : les Maîtres Écossais de Saint André (MESA) n’auraient pas reçu ces lettres, bloquées par le Grand Prieur-Grand Maître National. Cette mesure accentue la fracture interne, privant les membres d’un débat ouvert. Face à cette crise, Bourbasquet-Pichard se retire pour se consacrer aux travaux locaux en Bourgogne, tandis que Meneghetti envisage un retour au silence, tous deux réclamant un accès aux informations. Ces retraits, bien que symboliques, traduisent une perte de confiance dans la direction actuelle.

Fondation du Grand Directoire des Gaules en mars 1935.

Vers une réforme ou une scission ?

Cette affaire soulève des questions cruciales sur l’avenir du GPRF et du DNLERF. Le RER, né au XVIIIe siècle et ancré dans une spiritualité chevaleresque, risque de voir son unité compromise par ces dissensions. Les lanceurs d’alerte appellent à une prise de conscience collective, espérant une restauration de la « lucidité » et de l’esprit initiatique. Pour l’heure, aucune réponse officielle n’a été publiée, mais la pression monte pour que le Haut Conseil et le Conseil National s’emparent du dossier lors de leur prochaine réunion.

Dans un contexte où la franc-maçonnerie cherche à se réinventer face aux défis modernes – dont l’intégration de technologies comme l’IA –, cette crise pourrait marquer un tournant.

Les Frères, attachés à leurs traditions, attendent des explications claires et une gouvernance respectueuse de leurs valeurs. Affaire à suivre.

Suite de cette affaire article du 23 septembre 2025…

Suis-je le gardien de mon frère ?

L’Eternel dit à Caïn: «Où est ton frère Abel?» Il répondit: «Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère?» Dieu dit alors: «Qu’as-tu fait? Le sang de ton frère crie de la terre jusqu’à moi. Désormais, tu es maudit, chassé loin du sol qui s’est entrouvert pour boire le sang de ton frère versé par ta main. » Genèse 4:9-11 Bible Segond.

Comme un Icare

Il y a longtemps, un soir d’hiver, en traversant le Pont, j’ai rencontré un homme qui regardait vers le fond. Son esprit plongeait vers l’amer des tréfonds. Il agitait ses bras en maudissant ses fantômes… il ne semblait plus que [pantin] désarticulé… une ombre parmi les ombres phalènes des orbes fantasmagoriques de la nuit… comme un Icare désespéré ne sachant plus quoi faire de la cire de ses masques de plumes, fondante à la froide chaleur de la Lumière de la nuit.

À nos pas métronomes

Ensemble nous avons marché vers l’autre rive, pas métronomes doucement cadencés aux battements de deux cœurs vibrants l’unisson, à la voix cherchant l’harmonie, les neufs sens à l’écoute. Cependant, malgré mon attention, il a créé son contretemps en brisant [la métrique] : il a sauté le parapet, la détermination de son « mésespoir » encordée autour de son cou, talisman en pierre de hune, attaché au leste de sa gravité. Peut-être pensait-il que c’est ainsi que l’on regagne le centre de sa taire… ultime sacrifice pour que douleur cesse.

Dans les sables émouvants

À son corps défendant j’ai pu le retenir par la main. Son corps étayait son vide du Zénith au Nadir. J’étais allongé sur le béton. Un instant nous étions une équerre en pleine dislocation. D’autres ont accouru et ont aidé chacun à leur façon. L’un avait même la tête dans le vide… pyramide inversée… chambre funéraire encore plombée, suspendue au fil. D’autres retenaient l’édifice qui, gagné par la gravité des [mensonges] que l’on se dit à soi-même pour se protéger des draps gonds, s’affaissait dans ces [sables] [émouvants].

L’envol de l’homme sans nom

La Ligne K – roman graphique initiatique

Sisyphe voulait mourir, il l’a crié, crié et crié. Mon instinct me hurlait de ne pas l’écouter en contraignant sa liberté de la chute dans l’abîme au respect entendu de l’exploration de la [surface]. J’ai peu à peu senti que le Nadir serait la seule porte qu’il franchirait. En bon professionnel que j’étais en ce temps là je lui ai alors demandé son nom… sans nom qui sommes nous ? En réponse il a ouvert ses doigts en forçant de tout son poids… je l’ai senti glisser de mes mains… s’échapper en m’échappant… nous avons entendu le bruit de sa chute dans l’eau glacée… il a disparu ne laissant de lui que le son de son envol dans l’amer, décidé… et son empreinte… celle du poids du [vide] en [ma main].

La Ligne K – roman graphique initiatique

Dans l’ambre nocturne 

Il a flotté dans le fleuve une éternité, Temps de montres molles aux éléphantesques échasses. On ne percevait que sa tête flotter dans les tourbillons boueux de l’instant, éclairée par les lueurs des candélabres charognards de l’ambre nocturne. Au loin un anonyme de la berge a plongé et l’a ramené sur le bord de sa vie, en luttant pour la sienne.

La Ligne K – roman graphique initiatique

Combien pèse une vie ?

Je sais maintenant Sisyphe survivant. Peut-être était-il déjà mort il y a bien longtemps. A repousser sa vie en surface comme on roule sa Pierre sans amasser de mousse. En se refusant à l’écho du cœur du gouffre on ne fait que repousser le son final de notre vert chemin de crête… je sais aujourd’hui combien pèse une vie c’est certain, pas plus que le poids du vide en ma main…

La Ligne K – roman graphique initiatique

Le Verbe relève l’homme nu

Ce soir là, à plusieurs nous avons fait humanité et gagné contre Cerbère, et Charon, passeur des fleuves oubliés, n’a pas eu son tribut,. L’homme était à nu, il ne pouvait même plus s’acquitter de son passage en poids de plumes.

Il est des maux où l’esprit ne pèse rien contre le désespoir d’un corps tenu au creux d’une main sans l’alchimie du Verbe révélé en [l‘âme Un].

Dans l’ombre trouver la frontière 

Depuis, de nombreux solstices ont passé. Le sac et le ressac des flots salins aux mots incertains ont transmuté les souvenirs coquillages alcalins. Je me souviens aujourd’hui de toute ces énergies, de ces si beaux élans, ceux d’anonymes Sisyphe unissant leurs mains en miroir pour sauver un reflet, celui de cet Autre qu’ils ne reconnaîtront pourtant plus tant les vents de l’oubli ont battu leurs cœurs dans l’écho de leurs marées. L’Eternité laisse son empreinte en laissant planer l’ombre du doute sur les Chemins d’incertitudes… jusqu’où suis-je le gardien de mon Frère ? Où est la limite de mon serment ? Qui porte la responsabilité de l’exil, du bannissement ? Où est sa Liberté dans les confins de son histoire ?

L’Étoile en point de mire

Hanté par les fantômes errants de mon orgueil de n’avoir pu empêcher ce saut dans l’avide, j’ai longtemps culpabilisé. J’en ai même oublié l’Étoile révélant la Lumière de l’essentiel : un soir, une chaîne d’humains unis a pu sauver l’Instant d’une vie. 

Si ce n’est celle de Sisyphe, car elle lui appartient, c’est au moins l’Eau de la nôtre que nous tenons dans le creuset [écumoire] de la clepsydre de nos mains.

De la chute vient la ressource

Je connais maintenant le poids de ce vide emplissant ma main. C’est le poids d’une humanité que seul on ne peut révéler ou relever. Cependant certains font le libre choix de s’unir et de faire levier. S’équarrir permet de s’alléger et se lever sans juger. L’Initié a fait le serment d’essayer au delà de lui-même, jusqu’à l’envol du goéland , jusqu’à la ressource du lâcher-prise.

De l’Équerre au Compas : retrouver le Centre du Cercle

Seul le Compas de la Vie trace l’Equerre du Réel. C’est en soi-même qu’il faut les transcender afin de révéler ce Centre d’où l’on se relève en bourgeon méconnu. Si parfois, au cœur de la nuit le Vide est léger dans ma main c’est parce qu’aujourd’hui je reconnais que rien ne m’appartient. Ce que le [vide] ignore le [pas sait].

De qui sommes nous les gardiens ?

Qui es-tu lorsque je te [perçois] toi mon Frère du miroir… es-tu toi aussi mon gardien ?Dans ce Voyage au cœur de l’abîme, pourrai-je compter sur toi ?

Série « les hasards objectifs »

Texte : Stéphane Chauvet / Illustrations : Stefan von Nemau

Note de l’auteur : dans ce texte j’ai laissé certains mots entre crochets. Ce sont des mots-portes. Dans mes autres textes j’ai pris l’habitude de vous présenter la vie et les paysages que je perçois derrière les peaux mortes de ces mots-portes du Roy heaume de l’en-vert. Ici les mots-portes sont encore vivants, les transmuter pour les explorer reste la Liberté de votre quête.

19/09/25 à Troyes : Réenchanter le monde par l’Art Royal – OITAR

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Thomas Denicourt, Grand Maître de l’OITAR, invite à une conférence ouverte à tous

Dans un monde marqué par le « désenchantement » décrit par le sociologue Max Weber – une ère de rationalité triomphante où le sacré semble relégué aux marges –, la franc-maçonnerie émerge comme un possible antidote. C’est précisément ce thème que proposera d’explorer Thomas Denicourt, Grand Maître Général de l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal (OITAR), lors d’une conférence publique exceptionnelle le vendredi 19 septembre 2025 à 21h.

Organisée par l’OITAR en présence de son Grand Maître, cette rencontre se tiendra à l’Hôtel du Petit Louvre, au 1 rue Linard Gontier, dans le cœur historique de Troyes. Une occasion rare pour profanes, curieux et chercheurs de sens de plonger dans les arcanes de l’Art Royal, loin des clichés et des fantasmes.

Une figure emblématique de la maçonnerie contemporaine

Thomas Denicourt, initié depuis plus de vingt ans au sein de l’OITAR, incarne une approche moderne et vivante de la franc-maçonnerie. Docteur en physique et passionné par les symboles, il est surnommé « Boulonnais, l’Épicurien du Savoir » pour sa quête joyeuse de connaissance. À la tête de l’OITAR depuis plusieurs années, il défend une maçonnerie comme « espace privilégié de respiration » et « temps qui laisse le temps au temps ». Dans une récente interview accordée à 450.fm, il soulignait :

« Le fait de ne pas avoir d’enjeu, pas d’objectif à atteindre, pas de date limite pour tel ou tel travail, ne pas être jugé, ne pas avoir de note, tout cela est précieux, et chaque maçon devrait prendre conscience de cette chance. »

Sa vision allie tradition initiatique et ouverture sur le monde, faisant de lui une figure respectée dans les cercles maçonniques libéraux.

L’OITAR : une renaissance initiatique née il y a cinquante ans

Fondé en 1974 par Jacques de La Personne, ancien grand orateur adjoint du Grand Orient de France, l’OITAR représente une renaissance de la franc-maçonnerie initiatique et traditionnelle. Issu d’une réflexion profonde sur la perte de substance symbolique dans les rituels maçonniques des années 1970, cet ordre s’est détaché du GODF pour préserver une pratique plus authentique et mixte – ouverte aux femmes et aux hommes de bonne volonté.

Aujourd’hui, il fédère près d’une centaine de loges dans plusieurs pays, dont la France, le Québec et les territoires d’outre-mer, comptant environ 2 000 membres.

Au cœur de l’OITAR trône le Rite Opératif de Salomon, un rituel unique en neuf degrés répartis en trois ordres : Œuvrier (bâtisseur), Chevaleresque (combattant) et Sacerdotal (priant). Inspiré des traditions françaises, anglaises et rectifiées, ce rite met l’accent sur l’étude des symboles, l’expression orale – sans supports écrits pendant les travaux – et la souveraineté des loges.

Contrairement à une obédience centralisée, l’OITAR est une « fraternité de maçons libres dans des loges souveraines »

Thomas Denicourt Grand Maître Général de l’OITAR

…où l’unanimité est requise pour les décisions majeures et où l’on travaille « à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers » sans dogme imposé. Cette approche « libérative » – terme préféré à « libertaire » par certains – vise la transformation personnelle et collective, enracinée dans l’humanisme, la fraternité et l’humilité.

Réenchanter le Monde : Une Réponse au Désenchantement ModerneLe titre de la conférence –

« Comment réenchanter le monde grâce à la Franc-maçonnerie et l’Ordre Initiatique et Traditionnel de l’Art Royal »

résonne avec l’actualité sociétale. Dans une époque de crises multiples – écologiques, sociales, spirituelles –, Denicourt proposera d’examiner comment l’Art Royal, par son travail symbolique et initiatique, peut redonner une dimension sacrée à l’existence quotidienne. « Si le franc-maçon travaille dans un temple clos, ce n’est pas pour s’y protéger des tempêtes de la vie, mais bien au contraire pour s’y gorger d’énergie, pour toujours mieux travailler et rayonner », explique l’OITAR sur son site officiel.

OITAR 1974-2014
OITAR 1974-2014

Inspiré par le concept weberien du désenchantement – la rationalisation du monde qui éclipse le mystère –, Denicourt arguera que la maçonnerie offre un chemin de retour au sacré sans dogme. Le Rite Opératif de Salomon, avec ses légendes sur la construction, la destruction et la reconstruction du Temple de Salomon, symbolise cette quête : transformer le « vil métal » en « or humain », forger une royauté intérieure au service du bien commun.

Loin d’être un refuge élitiste, l’OITAR encourage ses membres à « rayonner dans la cité », affirmant les droits inaliénables de l’Homme et défendant les valeurs maçonniques dans la société.

Cette conférence s’inscrit dans la volonté d’ouverture de l’OITAR, qui multiplie les événements publics pour « se présenter à visage découvert » et expliquer ses valeurs aux non-initiés. Comme lors de sa récente intervention à Marseille sur « Franc-Maçonnerie, un art du vivre ensemble », ou à Le Touquet sur la discrétion fraternelle, Denicourt démystifiera les préjugés et invitera au dialogue.Une Invitation à la Découverte : Profanes et Curieux, Bienvenue !

Ouverte à tous, sans inscription préalable, cette conférence promet un moment de réflexion profonde et accessible. L’Hôtel du Petit Louvre, cadre intimiste et chargé d’histoire dans la ville aux demi-tours, Troyes, offrira un écrin parfait pour cette exploration. Des questions pourront être posées en direct, favorisant un échange authentique.

Pour les profanes intrigués par la maçonnerie – souvent entourée de mystères et de soupçons –, c’est l’opportunité de découvrir une voie de perfectionnement individuel au service du collectif. Pour les initiés d’autres obédiences, un enrichissement par la diversité des approches. Comme le résume Denicourt : la franc-maçonnerie n’est pas une secte, mais une école de sagesse où l’on « élève l’Homme, éclaire l’Humanité ».

Ne manquez pas cet événement le 19 septembre à 21h.

Pour plus d’informations, contactez l’OITAR via son site www.oitar.info. Une soirée qui pourrait bien réenchanter votre vision du monde.

Réservation : https://www.linscription.com/pro/activite.php?P1=224426

Les origines du christianisme – 10

Si vous n’avez pas lu l’épisode d’hier

Nous achevons aujourd’hui le cycle des 10 articles qui ont repris, au plus près, les débats diffusés sur Arte en 2022 : l’origine du christianisme.

À la mort de Jésus, personne parmi ses disciples ne pouvait imaginer qu’en quelques décennies, ils le verraient comme Dieu fait homme. Aucun d’eux n’aurait supposé que Jésus ne reviendrait pas, que la fin des temps serait constamment repoussée, et qu’au lieu du royaume espéré, c’est l’Église qui s’installerait durablement. Les croyants, issus d’une secte juive considérée comme une détestable superstition aux yeux des Romains, allaient donner naissance au christianisme, une nouvelle religion qui, en 391, deviendra même la religion officielle de l’Empire romain.

Les Débats Internes au Judaïsme au Ier Siècle

Les discussions entre Juifs sur l’interprétation des Écritures étaient tout à fait banales ; les Juifs les pratiquaient depuis des siècles. Cela est difficile à comprendre aujourd’hui, car le christianisme est devenu une religion des Gentils qui se définit contre le judaïsme, rendant inconcevable l’idée que ces débats étaient des disputes internes entre différentes interprétations juives.

Si le christianisme devient une religion non juive au IIe siècle, lorsque les Gentils affirment être le vrai Israël par opposition à l’Israël juif, cette discussion n’a aucune raison d’être au Ier siècle. À cette époque, les débats opposent Paul aux disciples de Jésus, à ceux qui l’ont connu selon la chair – une connaissance que Paul qualifie de mauvaise passe. La discussion est entièrement juive, et le christianisme non juif autonome émerge plus tard, car sa matrice se trouve dans la Bible hébraïque : le messie, la rédemption, la résurrection, tout cela est entièrement juif. Ce ne sont pas des débats entre deux communautés distinctes, mais à l’intérieur d’une même communauté.

Le positionnement des premiers Chrétiens parmi les partis Juifs

La question reste de savoir comment le mouvement chrétien se situe par rapport aux autres partis juifs, qui étaient des concurrents. De ce point de vue, il est clair que chaque groupe s’efforçait de rallier le plus de monde possible à sa cause, et les premiers chrétiens n’ont pas failli à cette règle. Globalement, dans un premier temps, les premiers chrétiens restent relativement marginaux tout en ayant leurs prétentions ; ils n’ont certainement pas désespéré de convaincre leurs frères juifs de les rejoindre, jusqu’à la ruine du Temple en 70.

Avant 70, on a toujours affaire à la même géographie politico-religieuse : il y a toujours un parti essénien, un parti sadducéen, un parti pharisien, et de plus en plus actif, des zélateurs de la loi, qui exercent une pression accrue sur l’observance nécessaire de la Torah. Après 70, au sein du judaïsme en général, les pharisiens opèrent un mouvement de réorganisation autour de leur parti, et on perd la trace de quasiment tous les autres partis. Les sadducéens semblent avoir perdu leur raison d’être avec la ruine du Temple, car ils vivaient de et pour le Temple ; sans lui, ils n’avaient plus vraiment de raison d’exister. Les esséniens, on en perd la trace, même si on est persuadé qu’ils ont continué à exister et à diffuser leurs idées, mais on ne sait pas comment. Il reste face aux pharisiens le mouvement chrétien, qui refuse une assimilation, se présente d’abord comme concurrent, et envisage même dans certains cas d’emporter sur le mouvement pharisien. Chaque groupe juif prétendait avoir la bonne interprétation : querelles entre sadducéens et pharisiens, pharisiens et zélotes, esséniens et sadducéens à propos du Temple.

La conscience progressive d’une troisième réalité

Mais ce qui est plus significatif, c’est la conscience progressive d’une troisième réalité, le tertium genus, que les chrétiens utilisent avec hésitation parce qu’au fond, ils se considèrent comme le reste d’Israël, l’Israël en vérité ou l’Israël de Dieu, depuis Paul et les débuts. Cette revendication s’affronte à la réalité sociologique des païens qui entrent dans l’Église, et on se dit : on n’est plus tout à fait purement juif. Alors, qu’est-ce qu’on est ? On est convaincu d’être dans la ligne de la tradition d’Israël, mais en même temps, on s’ouvre aux païens, ce qui déjà à l’intérieur d’Israël amène quelques troubles.

Quand le judaïsme se réorganise après 70 dans la ligne pharisienne, le christianisme de son côté tient un discours désormais beaucoup plus précis sur Jésus, et on peut dire que le mouvement chrétien véritablement, vers les années 80-90, se sépare du judaïsme. Il y a tout de même un pont qui demeure à un certain point : ces mouvements qui donneront les Ébionites et les Nazaréens, qu’on appelle parfois de manière un peu rapide les judéo-chrétiens, et qui sont très liés à la communauté de Jérusalem.

L’appellation moderne de judéo-chrétien donne une fausse image de ces Juifs qui considéraient Jésus comme le Messie annoncé par les prophètes. Les judéo-chrétiens, nommés tantôt Nazaréens, tantôt Ébionites, ont en commun leur volonté d’appartenir au judaïsme ; ils sont les héritiers du courant de Jacques, frère du Seigneur.

Les judéo-chrétiens sont des Juifs qui acceptent le message de Jésus d’une façon ou d’une autre, qui pensent que Jésus est le prophète ou le Messie annoncé, et qui célèbrent sa mémoire dans un culte particulier, mais qui continuent à s’identifier comme Juifs dans le monde ancien, de façon traditionnelle. Plus précisément, ils continuent à pratiquer les commandements de la Torah. Ce qui s’est passé, c’est qu’ils étaient assis entre deux chaises : ils étaient Juifs, et les Juifs les ont excommuniés.
Les chrétiens les ont reçus en leur disant : vous êtes comme nous, mais si en plus vous rejoignez, vous êtes devenus chrétiens ; si vous tenez à rester Juifs, alors vous êtes des pécheurs. Ainsi, la destinée des Nazaréens a été vraiment tragique : ils ont continué à exister pendant quelques siècles, mais quand le christianisme a triomphé à partir du IVe siècle, l’une des premières choses que les chrétiens ont faites a été de régler leur compte, de faire disparaître ces disciples juifs de Jésus.

Ce que l’on peut dire, c’est que le judéo-christianisme a été condamné par une coalition d’ennemis : le judaïsme de tendance rabbinique en construction dans la Mishna, et le christianisme qui se développe à peu près à la même époque, fin du IIe siècle. Au fond, les judéo-chrétiens qui existent encore au IIe, IIIe et IVe siècles vont être un peu les perdants de l’histoire, et quand on est les perdants, on est aussi marginalisé dans la documentation que l’on laisse.

Certains vont disparaître ; d’autres vont donner naissance indéniablement à certaines de ces Églises d’Orient, en particulier celle qui se revendique d’une liturgie de saint Jacques de Jérusalem ; d’autres donneront des courants qui vont devenir marginaux et que l’on qualifiera d’hérétiques, c’est-à-dire qu’ils ne pensent pas comme le courant majeur. Des groupes vont se retrouver à l’est du Jourdain, ce qui est la Transjordanie, la Jordanie actuelle.

C’est vraisemblablement dans ces zones que Mahomet va entendre un certain nombre de récits et d’idées qui débouchent sur l’islam. On signale quelques petits groupes comme les Ébionites, les Nazaréens, et un ou deux autres noms dans les écrits d’Épiphane de Salamine. On en trouve des traces en Éthiopie, et ensuite dans le Coran, ça vient de là : Jésus comme prophète aux côtés des autres grands, tout ça c’est du judéo-chrétien. Il y une succession d’indices qui laissent penser que des traditions, entre autres judéo-chrétiennes, chrétiennes hérétiques d’une façon ou de l’autre – hérétiques entre guillemets – et aussi judéo-chrétiennes, et peut-être même manichéennes, se retrouvent à l’origine du texte que nous appelons le Coran.

Jésus dans le Coran et ses racines araméennes

Dans le Coran, Jésus est présenté comme le prophète qui précède Mahomet ; plusieurs sourates lui sont consacrées, évoquant sa naissance miraculeuse et sa mort sur la croix qui n’aurait été qu’une illusion. Les premiers savants ayant travaillé sur le Coran savaient que le substrat dans lequel s’inscrit le Coran est l’Arabie préislamique, la poésie arabe préislamique, et la littérature religieuse de l’Antiquité tardive en araméen, c’est-à-dire des textes écrits par des Juifs, par des chrétiens, par des judéo-chrétiens, par des manichéens, etc. Cette découverte du XIXe siècle s’est effacée au XXe siècle, quand de plus en plus les chercheurs de l’islam ne savent plus l’araméen, ne savent que l’arabe, et essaient de réfléchir sur le Coran seulement à l’intérieur de l’islam et de façon orthodoxe islamique. Aujourd’hui il faudrait relire le Coran dans son substrat araméen, donc juif et chrétien.

La Révolte Juive de 66-70 et la Reconstruction des Religions

En 66 éclate la révolte juive contre Rome en Judée, en Galilée, en Samarie. En 70, les troupes de Titus incendient le Temple de Jérusalem. Privée de son lieu le plus sacré, la religion d’Israël est entièrement à reconstruire ; de là naîtront le judaïsme rabbinique que nous connaissons aujourd’hui et le christianisme. Les grands conflits dont nous avons traces dans le Nouveau Testament sont des conflits qui ont eu lieu entre 70 et 90 ; les traces s’en trouvent pour l’essentiel dans l’Évangile de Matthieu, dans l’Évangile de Jean, dans l’Apocalypse de Jean. Il est des traces de conflits où les conflits ne se sont résolus que par le fait que les communautés chrétiennes sont sorties, ou ont été exclues de la synagogue.

Souvent, on dit que 70 marque la séparation avec le judaïsme qui se réorganise ; cela marque une étape importante, mais la rupture définitive semble être 135.

La seconde révolte de Bar Kokhba en 135 et ses conséquences

La seconde révolte, révolte de Bar Kokhba, est surnommé ainsi par le grand maître juif Rabbi Akiva, le fils de l’étoile (en référence au Livre des Nombres, une désignation messianique). La révolte de Bar Kokhba a été proprement une révolte messianique.

L’empereur Hadrien décide que les Juifs ne pourront plus résider de manière permanente à Jérusalem. Cela va avoir des conséquences à la fois pour le judaïsme de tradition rabbinique, c’est-à-dire le judaïsme pharisien qui va s’exprimer à travers les maîtres d’Israël, puisque très vite on verra se déplacer la réflexion juive en Galilée et en Mésopotamie. C’est là où il y aura les grands centres où va s’épanouir ce judaïsme réorganisé autour de la synagogue, et du fait qu’il y a désormais en quelque sorte un judaïsme monolithique organisé autour des pharisiens. Les chrétiens n’en font pas partie, donc ils sont chassés des synagogues et, dès lors qu’ils sont chassés, sont amenés à se positionner autrement qu’au début.

On a quelques signes historiquement de cette apparition d’un mouvement chrétien comme ce qu’on a appelé le tertium genus, c’est-à-dire une troisième race au sein de l’échiquier politico-religieux de l’Antiquité, en dehors des Juifs et des païens. Mais là encore, ce sont des écrits du second siècle qui emploient le terme ; avant, il n’est pas formulé.

L’autonomie progressive du christianisme au IIe siècle

Jusque vers la moitié du second siècle, c’est-à-dire jusque vers 150 de notre ère, on ne peut pas dire que le christianisme ait pris son autonomie par rapport au judaïsme. Toutefois, il est impensable que tous les liens aient été coupés entre le christianisme et le judaïsme : il y a tant de références à Jésus qui est juif, aux Écritures qui sont juives, et c’est dans l’histoire du christianisme qu’il est impossible de penser le christianisme sans le judaïsme comme fondation et arrière-plan.

Vers les années 150, que se passe-t-il ? On sort de la seconde guerre juive ; le judaïsme palestinien est écrasé, le judaïsme alexandrin est écrasé, le judaïsme de Chypre et d’Asie Mineure est écrasé.

C’est le moment où on voit apparaître à Rome Justin qui, alors qu’il est originaire de Naplouse – c’est un oriental venu à Rome – écrit comme s’il avait envie de dire enfin, de la part des chrétiens : je m’adresse à Rome pour que vous me reconnaissiez comme différent des Juifs, et je m’adresse aux Juifs – c’est son dialogue avec Tryphon – pour dire aux Juifs : vous n’avez pas compris vos Écritures, mais moi je sais vous donner la bonne interprétation des Écritures. Justin ose dire à un rabbin – qui est un rabbin extrêmement agréable et pacifique – que c’est lui, Justin le chrétien, qui a la bonne interprétation des Écritures, au point qu’à la fin, Tryphon ce rabbin lui dit : mais enfin, alors c’est vous qui êtes Israël ?

Tout l’héritage juif qu’on considère peut-être comme perdu avec la perte de la Palestine et l’écrasement du judaïsme de la diaspora, par substitution,  est recueilli par le christianisme.

Cette association constitue une charge explosive, de la dynamite pour le futur, une dynamique qui va se développer. Il n’est plus nécessaire de prendre position d’un côté ou d’un autre ; c’est quelque chose de nouveau considéré comme le « verus Israël » (« Israël véritable ») du point de vue d’Israël, et du point de vue de ce qui est au centre de la culture gréco-romaine, à savoir la philosophie.

Justin Martyr et son dialogue avec Tryphon

Justin, appelé Justin Martyr après son exécution à Rome vers 160, est l’un des premiers intellectuels chrétiens d’origine païenne. Justin, l’un des premiers Pères de l’Église, dans son texte le plus célèbre, invente un rabbin nommé Tryphon et met en scène la discussion qui oppose le christianisme naissant au judaïsme.

Attardons-nous sur le Dialogue de Saint Justin avec le juif Tryphon

Le Dialogue avec Tryphon de Saint Justin Martyr est une œuvre apologétique majeure du IIe siècle, structurée comme un débat philosophique et théologique entre Justin, un chrétien converti de la philosophie païenne, et Tryphon, un juif érudit et circoncis, réfugié en Grèce après la guerre de Bar Kokhba. Ce dialogue fictif ou semi-historique, qui se déroule sur deux jours dans un cadre serein (un gymnase ou une promenade), vise à démontrer la supériorité et l’accomplissement du christianisme par rapport au judaïsme, en s’appuyant sur une interprétation christologique des Écritures juives. L’esprit de l’œuvre est celui d’une défense rationnelle et scripturaire de la foi chrétienne, marquée par un ton respectueux mais ferme, où Justin invite à la conversion par la raison et la reconnaissance de Jésus comme Messie, tout en critiquant les interprétations juives traditionnelles.

Structure du Dialogue

Introduction et cadre : Justin raconte sa rencontre fortuite avec Tryphon et ses compagnons, après une discussion philosophique initiale. Le débat s’étend sur des thèmes théologiques, avec des échanges alternés : Tryphon pose des objections (sur la Loi, les rites juifs, la messianité), et Justin répond longuement avec des citations bibliques.
Développement principal : Divisé en chapitres thématiques, le texte explore la divinité du Christ, la validité de la Loi mosaïque, l’accomplissement des prophéties, et la nouvelle alliance. Il culmine sur l’universalité du salut chrétien, sans résolution formelle, mais avec une invitation à la réflexion et à la conversion.
Conclusion : Tryphon exprime un respect pour Justin, mais reste sceptique ; Justin prie pour sa conversion, soulignant l’ouverture au dialogue.

Thèmes principaux et arguments théologiques

L’essence apologétique réside dans l’idée que le christianisme n’abolit pas le judaïsme, mais l’accomplit et l’universalise, en remplaçant une observance rituelle temporaire par une foi spirituelle éternelle. Justin s’appuie massivement sur l’Ancien Testament (Torah, Prophètes, Psaumes) pour prouver ses points, accusant parfois les rabbins d’avoir altéré ou mal interprété les textes.
Divinité et Nature du Christ : Justin présente Jésus comme le Verbe (Logos) préexistant, Fils de Dieu engendré par la volonté divine, à la fois Dieu et homme. Il est le « Seigneur » apparu aux patriarches (Abraham, Jacob) et le médiateur du salut. Arguments clés : naissance virginale (Isaïe 7:14), souffrance et résurrection (Isaïe 53, Psaume 22), royauté éternelle (Psaume 110, Daniel). Cela réfute l’idée juive d’un Messie purement humain ou politique.
Validité et Abolition de la Loi Mosaïque : La Loi (circoncision, sabbat, sacrifices, fêtes) est temporaire, donnée à cause de la « dureté de cœur » et des péchés des Juifs (Jérémie, Amos). Elle est remplacée par une nouvelle alliance spirituelle : circoncision du cœur, sabbat éternel par la foi, baptême au lieu des ablutions. Justin argue que Dieu préfère la justice et la miséricorde aux rites extérieurs (Psaume 50, Isaïe 1), et que ces pratiques étaient des signes prophétiques du Christ.
Accomplissement des Prophéties : Jésus est le Messie souffrant et glorieux annoncé : né à Bethléem, adoré par les mages, crucifié, ressuscité, et destiné à un retour triomphal. Exemples : le serviteur d’Isaïe 53, les deux venues du Messie (humble puis royale). Justin critique les interprétations juives (attribuant ces prophéties à Ézéchias ou d’autres), insistant sur une lecture typologique et spirituelle.
Universalité du Salut et Critique du Judaïsme : Le christianisme s’adresse à tous les peuples (Gentils inclus), héritant des promesses faites aux patriarches comme Abraham (justifié par la foi avant la circoncision). Les nations deviennent « lumière » (Isaïe 49), et les chrétiens sont le vrai Israël spirituel. Justin dénonce l’idolâtrie passée des Juifs et leur attachement à une Loi limitée, tout en appelant à la repentance pour éviter le jugement.

Philosophiquement, l’œuvre fusionne de platonisme (le Logos comme Sagesse divine) et théologie biblique, reflétant la conversion de Justin de la philosophie grecque au christianisme. Religieusement, elle incarne l’esprit d’un christianisme primitif affirmant son identité face au judaïsme, en promouvant une foi intérieure, universelle et gracieuse contre une observance légale jugée obsolète. Historiquement, elle témoigne des tensions judéo-chrétiennes post-destruction du Temple (70 ap. J.-C.), avec des allusions à la persécution et à la dispersion juive. L’esprit apologétique est irénique : Justin vise à convaincre par la logique et les Écritures, non par la force, invitant Tryphon à « examiner » la vérité pour son salut, tout en priant pour l’unité dans la reconnaissance du Christ comme accomplissement des promesses divines. Ce texte reste un pilier de la théologie chrétienne primitive, soulignant la continuité avec l’héritage juif tout en marquant une rupture décisive.

Ce sont des arguments très puissants pour la neutralisation de la Bible hébraïque, de l’Ancien Testament.

Justin navigue de manière assez délicate parce que d’un côté il s’oppose à Marcion, mais de l’autre il s’oppose aux judéo-chrétiens et aux partisans de la synagogue. Il veut préserver l’Écriture, la notion d’Israël, la notion d’histoire du salut de la création jusqu’à Jésus, vue à la fois positivement et négativement. Par ailleurs, il veut insister sur la nouveauté, sur l’accomplissement, sur la réalité ultime marquée par Jésus.
Avec Justin, on arrive vite à ce que les Juifs ont mal compris leurs propres textes. D’après lui, Abraham n’applique pas la loi non parce que la loi ne sera donnée que plus tard, mais parce que c’était une déviance. Il y a plusieurs façons d’expliquer que la doctrine chrétienne est bonne même quand elle diverge du texte biblique : les textes de l’Ancien Testament sont périmés mais n’ont pas été compris. Le titre de Barnabé présente une autre version : l’Ancien Testament est tout à fait juif, mais les Juifs ont pris à la lettre ce qui était métaphorique. C’est différent.

Au deuxième siècle, il y a deux religions distinctes qui partagent un texte en commun : la Bible.

Pourquoi le christianisme conserve-t-il l’Ancien Testament ?

Pourquoi Justin et pourquoi le christianisme ou la grande tradition chrétienne qui deviendra le christianisme orthodoxe conserve-t-elle l’Ancien Testament ?

Pour trois raisons apparentes :
– La première, c’est que c’était leur premier texte sacré ; c’est qu’ils se croient et ils se sentent, ils se veulent véritablement verus Israël et la révélation, c’est la révélation biblique.
– La deuxième raison de cette conservation de l’Ancien Testament, c’est parce que les hérétiques, les gnostiques, les dualistes, les marcionites le récusent
– La troisième raison, c’est que c’est très utile dans le monde romain quand on veut passer du statut de religio illicita à celui de religio licita, de religion illégitime à religion légale ; c’est très bien, c’est presque impératif de montrer qu’on a des attaches historiques profondes, parce que c’est le principal critère que demandent les autorités romaines à la fois de façon légale et les autorités intellectuelles.

Une religion, c’est une religion qui a des attaches ; et pour les élites romaines, le christianisme est une superstition.

Ce qui caractérise une superstition, c’est d’une part son caractère irrationnel et d’autre part son manque de lettres de noblesse : une vraie religion a un passé glorieux, mais un mouvement qui naît comme ça et qui fait immédiatement un certain nombre d’adeptes n’est pas une école religieuse noble et sérieuse.

La perception romaine des chrétiens

Avec  beaucoup de prudence, on peut dire que dans un premier temps, les Romains l’ont perçu comme un mouvement à l’intérieur du judaïsme. Et puis peu à peu, ce groupe va prendre une autonomie de plus en plus typée. C’est évident que quand à propos de Néron on parle des chrétiens, on a tout à fait conscience qu’il y a un groupe original qui s’est constitué.

Alors, pourquoi chrétiens ? Parce que l’origine du terme de chrétiens n’a aucun rapport avec ce que nous appelons maintenant des chrétiens. Le mot chrétien, qui est de formation latine – christiani avec un suffixe latin –, est apparu dans le monde romain au moment de la fin du règne de Caligula, début du règne de Claude, pour désigner des juifs messianiques à Antioche, qui étaient poussés par un certain Chrestos – un messie. Poussés et non pas tirés, c’est-à-dire poussés par une espérance, un messianisme urgent : la fin du monde arrive. Alors, il se pourrait que cette appellation de chrétiens dans le monde romain soit une appellation criminelle et y reste longtemps. Dans les Actes des Apôtres, au chapitre 11,26, c’est à Antioche que des disciples furent qualifiés de chrétiens, c’est-à-dire chrétiens sur cette appellation criminelle.

Les « cristianos » de Rome, les chrétiens sont du point de vue des Romains des partisans d’un homme qu’ils avaient exécuté, ou d’un agitateur politique, un bandit, un asocial.

La lettre de Pline le Jeune, que l’on peut situer aux alentours de 112, témoigne que non seulement les Romains considéraient les chrétiens comme des criminels – criminales –, mais également que leur hostilité provenait de l’influence grandissante des chrétiens, influence embarrassante pour certains ordres de la société civile.
Pline le Jeune, gouverneur de la Bithynie au début du deuxième siècle, écrit à l’empereur Trajan et lui prend conseil, car comme il veut savoir comment il doit se comporter vis-à-vis des chrétiens, puisqu’après en avoir exécuté beaucoup, il commence à avoir des doutes sur la politique. Il dit qu’à ce régime, la province de Bithynie sera entièrement dépeuplée, car il a découvert qu’elle était pleine de chrétiens. Dans cette fameuse lettre, il y a des détails très intéressants.  En preuve, ces chrétiens se réunissent à l’aube et chantent un hymne au Christ comme à un dieu.
Le gros problème de Pline le Jeune : il ne comprend pas ce que c’est que ces gens ; ils disent qu’ils sont chrétiens – qui sait ce que ça veut dire ? Christ, encore comme on a le nom propre Chrestos, assez répandu,  mais qui sont ces chrétiens ? Ça, c’est incompréhensible. Et quoi faire avec eux ? Finalement, il n’y a pas de législation : est-ce qu’ils mettent en danger ou est-ce qu’ils contestent l’autorité de Rome ? Bon, Pline ne sait pas du tout, parce qu’ils ne sont pas repérables dans le paysage comme ça ; ou bien ils ne sont pas bien, mais alors ils sont pas bien comme tout le monde, ou bien ils sont juifs. Alors, s’ils sont juifs, ils ont des privilèges qui font qu’on les déteste, mais on reconnaît leur droit à avoir leur culte à eux, etc. Mais des païens qui sont comme des juifs, c’est incompréhensible.

La situation conflictuelle des théologiens chrétiens du IIe siècle

Justin et les théologiens chrétiens du deuxième siècle se retrouvent dans une situation conflictuelle très paradoxale : ils revendiquent l’héritage d’Israël en voulant tous les bénéfices, et dans une polémique féroce, combattent les Juifs qui ne partagent pas leur foi.
Dans les cercles rabbiniques, il fallait exclure les disciples de Jésus, et dans les cercles chrétiens, il fallait revendiquer qu’on était le véritable Israël. D’un seul coup, on ne sait pas qui a commencé, qui a été le premier. Il y a deux communautés qui prétendent toutes deux être élues, qui se considèrent comme la communauté de Dieu, qui jouent sur le même terrain de l’espérance messianique. Alors, reste la question fascinante : qui a commencé ?

Si l’on se place sur le terrain de l’idéologie de la séparation, il y a des Gentils convertis au christianisme dès le début ou le milieu du IIe siècle ; certains d’entre eux continuent de fréquenter la synagogue, c’est-à-dire des non-circoncis qui reçoivent l’eucharistie mais continuent à manger casher et à observer le shabbat. La virulence de la polémique montre bien qu’il y avait toujours un aller-retour entre les deux religions.

Quand on arrive au christianisme officiel de l’Empire, Justinien légifère ; le fait même qu’il y ait des lois sur séparer les chrétiens des juifs montre bien que cet effort avait encore toute sa raison d’être. Il n’y a clairement séparation qu’au moment de l’effondrement de la cité méditerranéenne au Moyen Âge. Depuis, cette séparation a eu des conséquences terribles sur les relations à travers l’histoire.

Les relations historiques entre Juifs et Chrétiens

À travers deux mille ans d’histoire, les relations entre les juifs et les chrétiens ne sont pas des relations idylliques, loin de là. La relation chrétienne aux juifs et au judaïsme est une relation problématique par essence, puisque le christianisme est né du judaïsme, a conservé les écrits juifs et s’est appelé très vite verus Israël, le véritable Israël en volant aux juifs leur identité, par substitution.

Ce qu’il faut comprendre de façon plus précise, c’est le passage de l’antijudaïsme, de la polémique contre le judaïsme qui n’est pas une religion fausse mais qui n’est pas la religion véritable dans son modèle définitif – c’est de l’antijudaïsme qui est inéluctable dans toute la théologie chrétienne – à l’antisémitisme. Il ne s’agit pas de la polémique contre le judaïsme représentant une forme non achevée de la vérité, mais une haine des juifs en tant que juifs ayant tué le Christ, ayant commis le péché de déicide.

Du IIe siècle, nous avons des accusations de déicide, et ayant refusé de se convertir. Donc, tout est accompli, et maintenant il n’y a plus besoin des juifs ; c’est fini. Alors, comment cela se fait qu’ils existent encore ? Augustin en dit : ils sont esclaves porteurs d’Écritures dont ils sont témoins, mais au fond, il justifie mais il ne comprend pas. Il ne comprend pas parce qu’à la fois il faut que les juifs existent -d’abord parce qu’il y a une réalité : les juifs existent – et ils existent en tant que juifs, juifs qui ont refusé le Christ.
C’est quelque chose qui est très difficile à comprendre dans la mentalité chrétienne – chrétienne au sens de non juifs –, parce que là il y a un paradoxe, une difficulté,une peur ou un doute, en tout cas une question. Quand on est non juif et qu’on professe que Jésus est le Messie d’Israël, et qu’on constate qu’Israël – en tout cas dans sa majorité, Israël encore une fois au sens biblique du terme – en tout cas dans la majorité d’Israël aujourd’hui ne reconnaît pas que Jésus est le Messie d’Israël, que peut dire un non juif : « c’est le Messie le leur, alors qu’eux disent non, ce n’est pas le nôtre ? » Donc, quelque part, il doit y avoir un doute, une question, une anxiété qui se joue là-dedans et qui joue sur la perception aussi du peuple juif, c’est-à-dire du coup s’ils n’acceptent pas, il faut dire qu’ils sont dans l’erreur, parce que si ils sont pas dans l’erreur, alors c’est le chrétien qui est dans l’erreur.

Ce thème fait que la tradition chrétienne a estampillé les juifs comme les méchants par excellence, l’essence même du mal. Même si c’est extrêmement déroutant. Cela prend tout son sens quand on analyse le chemin emprunté par le christianisme. C’est un peu une confiscation de l’héritage mais la notion de verus Israël va encore plus loin : c’est que le peuple lui-même non seulement a été dépossédé de la bibliothèque sacrée et des personnages sacrés – les pères, ce qu’on appelle les pères dans le judaïsme –, mais en plus il est dépossédé de son statut de peuple d’Israël. C’est ça qu’il faut bien se mettre en tête : c’est qu’il y a des écrits chrétiens qui sont allés jusque là, c’est que pour eux la notion de verus Israël c’était de dire : nous sommes le véritable Israël parce qu’il n’y a plus d’Israël et que nous avons pris sa place.

Il faut bien admettre que les disciples de Jésus ont piraté certaines promesses faites à tout Israël. Ils ont détourné la terminologie, ils ont repris les Écritures, ce que l’on réinterprète de façon radicale. Un opposant au christianisme aujourd’hui pourrait accuser les premiers disciples de Jésus d’avoir piraté des Écritures ; un chrétien présenterait les choses d’une manière différente : il n’y a pas eu de piratage, mais de nouvelles façons.

À partir du début du deuxième siècle qu’on pourra sans réserve parler du christianisme comme d’une entité religieuse autonome et structurée. Il est vrai qu’on s’en aperçoit avec Ignace d’Antioche, puis avec Justin Martyr, avec l’Épître de Barnabé ; alors, revendiquer pour elle la titulature d’Israël, le bénéfice des promesses, rejeter Israël dans la mauvaise connaissance de Dieu, dans l’ignorance de la Loi, dans l’infidélité par rapport à la Loi, et récupérer pour l’ensemble de l’état d’Israël ce qui n’est pas affirmé dans le Nouveau Testament, ce qui va être une affirmation des écrits chrétiens à partir de ce moment.

La théologie de la substitution et l’image du Juif imaginaire

On va construire, sur et à partir de la théologie de la substitution, on va construire sur la notion du châtiment, et on va construire toute une image qui en plus est tout à fait curieuse. Quasiment jusqu’à aujourd’hui, c’est une image d’un juif imaginaire qui est construite dans les sources chrétiennes. Parce que plus on va avancer dans le temps plus les chrétiens vont avoir une connaissance exacte et précise de ce que sont leurs juifs contemporains. On sait qu’ils existent, mais qu’est-ce que c’est qu’être juif au cinquième siècle ou au VIIIe siècle, comment ils vivent ? Il va y avoir des conciles et des mesures qui vont être prises à l’encontre des juifs, mais quelle conscience y a-t-il parmi les chrétiens de la réalité de ce que vivent les juifs ? Ça va être extrêmement limité et de plus en plus limité.

Finalement on va raisonner sur les juifs à partir de l’Ancien Testament ou à partir des images les plus réductrices qu’on peut construire à partir du Nouveau Testament, et on va voir se développer dans les sources chrétiennes un juif imaginaire.

Petit aparté sur la distinction imaginale du juif par les chrétiens

Dès le Moyen âge, sur les sculptures, on affublait les juifs d’une coiffe les désignant comme «sans prépuce».  Ainsi, sur le tympan méridional de l’abbatiale St Pierre de Beaulieu-sur-Dordogne (début XIIe s.), les juifs la portent et même certains dévoilent leur circoncision judaïque :

L’art chrétien des enluminures utilisait les mêmes modèles de représentation. Ainsi dans le Florilège de la France du Nord vers 1280, Aaron, le grand prêtre allumant la ménorah du Temple, est identifié comme juif en portant cette coiffe 

Au XVe siècle, on voit bien ce rapport entre la circoncision (d’Abraham) et le bonnet sexué sur l’enluminure de la Bible traduite en français par Jean de Sy (Genèse, chap. VIII, 1-Deutéronome, chap. XXXIV, 6.

Les enluminures des Heures de Rohan du XVIe s. identifient également le juif ainsi, le montrant achetant la tunique de Jésus au légionnaire.

01/10/25 – Invitation à une plongée dans l’Autre Monde celte

Il est des portes invisibles que seuls les mythes savent dessiner. Les Celtes les nommaient Autre Monde, royaume des dieux, des morts et des héros. À certaines nuits de l’année, ces portes s’entrouvrent, reliant le visible à l’invisible, le temps des hommes à l’éternité. Mais tout voyage vers cet ailleurs n’est pas sans péril, et celui qui franchit le seuil en ressort toujours transformé.

Groupe-Île-de-France-de-Mythologie-Française-GIDFMF
Groupe Île-de-France de Mythologie Française-GIDFMF

L’Autre Monde celte : un voyage initiatique entre visible et invisible

Dans le cadre des conférences sur la mythologie de l’Au-delà et des Autres Mondes, thème de réflexion choisi par le Groupe Île-de-France de Mythologie Française (GIDFMF) pour les années 2025 et 2026, plusieurs rencontres sont organisées sous forme de conférences, visioconférences et sorties sur le terrain.

C’est ainsi que le mercredi 1er octobre 2025 à 18h, le GIDFMF invite à une conférence gratuite et ouverte à tous à l’École nationale des chartes (65, rue de Richelieu, Paris IIe, salle Léopold Delisle).

L'Autre Monde dans la tradition
L’Autre Monde dans la tradition

Le médiéviste Dominique Hollard, docteur en histoire médiévale et ancien administrateur de la Monnaie de Paris, proposera une exploration des traditions celtiques autour du thème : « L’accès à l’Autre Monde dans la tradition celtique ».

Chez les Celtes, l’Autre Monde n’est pas un simple territoire mythologique. Il est ce seuil entre les vivants et les défunts, entre les dieux et les hommes, entre le cosmos et nos racines terrestres. Tantôt enfoui dans les profondeurs, tantôt au-delà de l’Océan ou niché dans l’espace sublunaire, il ne se laisse approcher qu’à des dates-clefs, lorsque les voiles du temps se déchirent. Ces passages, qui rappellent les portes initiatiques franchies dans nos rituels, exposent toujours celui qui ose les traverser. Nombreux sont les récits de voyageurs marqués à jamais par cette confrontation avec l’invisible.

L'Autre Monde dans la tradition
L’Autre Monde dans la tradition

Dominique Hollard présentera des exemples tirés des textes insulaires, du folklore breton et du Moyen Âge anglais, tels que l’« enfer froid » ou le mystérieux « monde de saint Martin », réactualisation médiévale d’un héritage ancien. Des rapprochements avec le monde classique permettront également de mettre en lumière les points de rencontre entre ces diverses traditions.

Cette conférence constitue une occasion précieuse de méditer sur les seuils et les passages, ces espaces liminaires où l’homme affronte l’inconnu. Pour nous, Francs-Maçons, elle résonne comme une parabole initiatique : franchir les portes de l’Autre Monde, c’est consentir à mourir symboliquement à l’ancien pour renaître à une dimension plus haute de soi.

École nationale des chartes - 65, rue de Richelieu
École nationale des chartes – 65, rue de Richelieu

Infos pratiques

Lieu : École nationale des chartes, salle Léopold Delisle, 65 rue de Richelieu, 75002 Paris
Accès : Palais Royal, Pyramides ou Bourse – Bus 39, 95
Inscription obligatoire : gidfmf2024@gmail.com
Plus d’informations et présentation de l’intervenant : https://lamythologue0.wixsite.com/mythologiefrancaise

L’universalisme émancipateur face à ses adversaires – Philippe Foussier sur France Culture

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Ou la République comme chantier spirituel… Dans le clair-obscur de notre temps, où vacillent les certitudes et où s’élèvent des voix contraires, la parole de Philippe Foussier résonne comme une exigence et une fidélité. Invité par Alexis Lacroix sur les ondes de France Culture dans le cadre de l’émission « Divers aspects de la pensée contemporaine », il ne s’exprime pas seulement en ancien Grand Maître du Grand Orient de France, mais en homme qui a fait de la République et de son universalisme émancipateur une voie, un combat et presque un sacerdoce.

Cette rencontre, discrète en apparence, prend l’allure d’un moment initiatique tant elle réactive les fondamentaux d’une Franc-Maçonnerie vivante, attentive à l’histoire mais tendue vers l’avenir.

Philippe FOUSSIER
Philippe FOUSSIER

Philippe Foussier n’évoque pas l’universalisme comme une abstraction lointaine ou comme une formule gravée dans la pierre des constitutions. Il le présente comme un souffle, une respiration qui traverse les âges et qui doit, pour survivre, être incarné. Nous percevons dans sa parole que cet universalisme n’est pas un ornement rhétorique mais un travail intérieur et collectif, semblable à celui que nous poursuivons au sein de nos loges, où les pierres brutes se polissent pour former un édifice commun. Défendre la République, ce n’est pas ériger un rempart administratif mais rappeler que chaque citoyen, dans sa dignité et son autonomie, devient à la fois la pierre et le ciment de ce temple invisible qu’est la cité humaine.

L’entretien nous fait sentir que l’universalisme émancipateur n’est pas exempt d’ennemis. Il se voit assiégé par les relativismes qui fragmentent l’humanité en une mosaïque de particularismes sans lien, par les obscurantismes qui substituent l’autorité d’un dogme à l’éveil de la conscience, et par les forces de repli qui craignent la fraternité autant qu’elles redoutent la lumière. Ces adversaires, multiples, ont en commun de nier l’idée d’un horizon partagé, d’une transcendance laïque qui place la dignité humaine au-dessus des assignations de naissance ou des appartenances étroites.

Cet universalisme devient alors une véritable quête initiatique : il nous appelle à dépasser le cercle étroit de notre ego pour nous élever vers l’universel, comme le maçon franchit le seuil du Temple pour embrasser l’ensemble de l’humanité.

Cette méditation trouve une résonance particulière alors que Philippe Foussier signe la préface du nouvel ouvrage de notre TCS Cécile Révauger, Pourquoi et comment devenir franc-maçon.ne ?, à paraître chez Conform Édition. Il ne s’agit pas seulement d’un prolongement éditorial mais d’un écho profond. Cécile Révauger, historienne majeure de la franc-maçonnerie, offre une clé précieuse à celles et ceux qui veulent comprendre ce que signifie, au XXIe siècle, le choix de rejoindre l’Ordre. La préface de Philippe Foussier n’est pas une simple introduction, elle inscrit ce livre dans le combat intellectuel et spirituel qu’il mène depuis des années, celui d’une maçonnerie ouverte, universelle, en dialogue avec le monde contemporain. Le geste éditorial devient prolongement du geste rituel et la plume se fait compas pour tracer de nouveaux cercles de pensée.

Humanisme HS Juillet 2025
Humanisme HS Juillet 2025

Philippe Foussier, chroniqueur littéraire, contributeur infatigable à La Chaîne d’Union et à Humanisme, Grand Maître du Grand Orient de France de 2017 à 2018, administrateur de l’Institut d’Études et de Recherches Maçonniques et président des Amis du Musée de la franc-maçonnerie, est journaliste de formation. Son engagement maçonnique et citoyen se déploie en une cohérence, comme en témoigne son essai Combats maçonniques publié en 2018 chez Conform. Ce qu’il nous transmet n’est pas seulement un héritage mais une vigilance, celle d’un initié qui sait que la lumière reçue au Temple doit être portée dans l’espace profane.

Cécile Révauger, initiée en 1982 à la Grande Loge Féminine de France puis rattachée au Grand Orient de France en 2013, est une figure intellectuelle incontournable.

Première sœur membre de la chambre d’administration du Grand Chapitre Général du Rite FrançaisPhilippe Guglielmi Très Sage & Parfait Grand Vénérable – elle incarne ce chemin où l’histoire, la mixité et la recherche se croisent pour féconder l’avenir. Ses travaux, qu’il s’agisse de La longue marche des franc maçonnes, France, Grande-Bretagne, États-Unis (Dervy, 2018)de Black Freemasonry : From Prince Hall to the Giants of Jazz (Inner Traditions, 2016), coécrit avec Charles Porset (OE) Le monde maçonnique des Lumières. Europe-Amérique et colonies. : Dictionnaire prosopographique (Honoré Champion, coll. « DR26 », 2013)ou encore de ses études sur les Ordres de Sagesse, notamment son ouvrage coécrit avec Ludovic Marcos (OE) Les Ordres de Sagesse du Rite Français : au cœur de la maçonnerie libérale, des Lumières au XXIe siècle, (Dervy, 2015), tracent une œuvre érudite et visionnaire. Elle a consacré des décennies à éclairer les passerelles entre Lumières, esclavagisme, religions et franc-maçonnerie, offrant à notre époque un héritage vivant et une réflexion nécessaire.

Nous recevons ce double témoignage comme une invitation à prolonger notre méditation. L’universalisme émancipateur n’est pas une idée morte ni une relique d’un âge révolu. Il demeure une force vivante, fragile et précieuse, qu’il nous appartient de défendre et de transmettre. Cette défense n’est pas seulement politique, elle est spirituelle ; elle se joue moins dans les parlements que dans le cœur de chaque initié qui décide, en conscience, de se tenir debout face à la nuit.

Alexis Lacroix

Ainsi se dessine l’horizon de cette rencontre radiophonique et de ce livre à paraître. Derrière l’actualité, nous pressentons une interrogation éternelle : comment conjuguer liberté et fraternité, comment donner chair à l’égalité, comment maintenir vivante la flamme d’un idéal universel qui n’est jamais définitivement acquis ?

France Culture
France Culture

Écoutant Alexis Lacroix et Philippe Foussier dialoguer, attendant la lecture de Cécile Révauger, nous percevons que l’initiation ne cesse de recommencer, qu’elle exige vigilance et ferveur, et que la République, dans son exigence laïque et fraternelle, demeure ce chantier spirituel où se construit patiemment la demeure de l’Homme.

France Culture, le podcast audio, c’est ICI