mar 22 avril 2025 - 13:04
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« L’homme qui voulait être heureux » de Laurent Gounelle : un récit maçonnique de la quête de soi

Laurent Gounelle, salon du livre de Paris, 2013 (Photo : Pierre-Yves Beaudouin)

Le roman “L’Homme qui voulait être heureux” de Laurent Gounelle, publié en 2008, offre une exploration de la quête de bonheur qui partage des similitudes frappantes avec les idéaux et les pratiques de la franc-maçonnerie.

Résumé et thèmes

Version 1.0.0

Le roman raconte l’histoire d’un homme en vacances à Bali qui, à la fin de son séjour, décide de consulter un guérisseur réputé sans raison particulière. Ce sage, après un diagnostic inhabituel, lui annonce qu’il est en bonne santé mais pas heureux. S’ensuit alors un voyage initiatique où le protagoniste est invité à se confronter à ses croyances limitantes, à ses peurs et à ses véritables désirs. À travers des dialogues philosophiques, des expériences de vie et des leçons sur la nature de la réalité, il apprend à se redécouvrir et à trouver la voie vers le bonheur.

Parallèles avec la Franc-maçonnerie

La franc-maçonnerie, avec sa quête de la lumière et du perfectionnement personnel, trouve dans ce récit plusieurs échos :

  • Le mentor comme guide initiatique : Le sage balinais joue le rôle de mentor, similaire à celui du maître dans la franc-maçonnerie, qui guide les initiés vers une compréhension supérieure de soi et du monde. Ce personnage aide le protagoniste à voir au-delà de ses illusions, un principe central dans l’éducation maçonnique.
  • La recherche de la vérité intérieure : Le roman met l’accent sur l’importance de la connaissance de soi, de l’écoute de son cœur et de la remise en question des croyances imposées par la société. La franc-maçonnerie enseigne également que le véritable apprentissage est intérieur, nécessitant une introspection profonde pour discerner la vérité de l’illusion.
  • Le symbolisme et les épreuves : Bien que le livre ne soit pas rempli de symboles maçonniques traditionnels, le voyage du protagoniste peut être perçu comme une série d’épreuves initiatiques. Chaque leçon apprise est une étape vers la lumière, comparable aux degrés maçonniques où chaque passage est une nouvelle révélation.
  • Le dépassement des peurs et croyances : La maçonnerie invite ses membres à se libérer des peurs et des préjugés qui les emprisonnent, tout comme le héros du roman doit dépasser ses propres limitations pour atteindre le bonheur. La quête est de transformer la “pierre brute” de ses peurs en une “pierre taillée” de sagesse et de sérénité.
  • L’importance de la liberté et de l’autonomie : Le livre de Gounelle prône une liberté de penser et d’être, des valeurs chères à la franc-maçonnerie où l’on encourage à forger son propre chemin vers la vérité et la sagesse, loin des dogmes extérieurs.

Le roman comme allégorie de l’initiation

“L’Homme qui voulait être heureux” peut être vu comme une allégorie de l’initiation maçonnique :

  • Le voyage introspectif : Le parcours du protagoniste est un voyage à l’intérieur de lui-même, une métaphore de la quête maçonnique où l’on explore son propre temple intérieur pour y découvrir des vérités cachées.
  • L’application des leçons apprises : Comme un franc-maçon doit appliquer les enseignements dans sa vie quotidienne, le héros du roman est invité à intégrer ce qu’il apprend pour transformer sa vie.
  • La transformation personnelle : Le but ultime est la transformation, non seulement pour soi mais aussi pour apporter du bien autour de soi, un concept qui résonne avec l’engagement maçonnique à l’amélioration de soi-même et de la société.

Approfondissement des thèmes et leçons

Puits D'initiation
Puits d’initiation

Pour aller plus loin dans l’exploration des liens entre “L’Homme qui voulait être heureux” et la franc-maçonnerie, considérons les aspects suivants :

  • L’importance de l’introspection : Gounelle met en avant l’introspection comme une clé pour comprendre ses propres motivations et désirs. En maçonnerie, la méditation et la réflexion sont des pratiques essentielles pour le travail sur soi, permettant d’atteindre une conscience plus élevée et de mieux comprendre les symboles et enseignements de l’ordre.
  • Le concept de la liberté intérieure : Le protagoniste du roman découvre que le vrai bonheur naît de la liberté d’être soi-même, une idée qui résonne avec l’idéal maçonnique de se libérer des contraintes extérieures pour vivre selon ses propres principes et valeurs.
  • L’acceptation et le lâcher-prise : Une des leçons majeures du livre est d’apprendre à accepter ce que l’on ne peut changer et à se détacher des attentes. La maçonnerie enseigne également le lâcher-prise, non seulement vis-à-vis du matériel mais aussi des illusions qui nous empêchent de voir la vérité.
  • La transformation par la connaissance : Le voyage à Bali est une métaphore de l’éducation par l’expérience, où chaque rencontre et chaque dialogue apporte une nouvelle couche de compréhension. En maçonnerie, le savoir ne se transmet pas seulement par les livres mais par le vécu, chaque initiation étant une étape vers une meilleure connaissance de soi et du monde.

L’impact philosophique et pratique

Alchimiste qui tient une fiole dans sa main
Alchimiste qui tient une fiole dans sa main

“L’Homme qui voulait être heureux” a un impact qui dépasse sa simple narration :

  • Invitation à l’action : Le livre n’est pas seulement une réflexion mais une invitation à agir, à changer concrètement sa vie pour y trouver plus de sens et de bonheur. La maçonnerie, avec ses rituels et enseignements, vise également à transformer l’individu non seulement dans la loge mais dans sa vie quotidienne.
  • Une philosophie accessible : Gounelle rend accessible des concepts philosophiques et spirituels complexes, similaires à la façon dont la franc-maçonnerie cherche à rendre la sagesse accessible à travers des symboles et des rituels compréhensibles à tous les niveaux.
  • La fraternité et le partage : La recherche du bonheur personnel dans le livre est souvent liée à la manière dont on interagit avec les autres, une idée qui trouve un parallèle dans la maçonnerie où l’engagement fraternel et le service envers l’autre sont des voies vers le perfectionnement personnel.

Le roman comme outil d’initiation

“L’Homme qui voulait être heureux” peut être utilisé comme une sorte de manuel d’initiation moderne où :

  • Chaque chapitre est une leçon : Chaque rencontre ou expérience du protagoniste sert de leçon, similaire aux différentes étapes d’une initiation maçonnique où chaque degré apporte une nouvelle lumière sur la compréhension de soi et de l’univers.
  • La croissance par l’expérience : Le livre illustre que la croissance personnelle vient souvent des expériences, une méthode éducative que l’on retrouve dans l’apprentissage maçonnique où les épreuves et les rituels sont des moyens de développement personnel.

En conclusion, “L’Homme qui voulait être heureux” de Laurent Gounelle offre une exploration narrative de la quête de soi qui résonne profondément avec les principes de la franc-maçonnerie. Ce roman, bien qu’il ne soit pas explicitement lié à la maçonnerie, illustre une démarche initiatique où la quête de bonheur et de vérité intérieure est au cœur du voyage. Il invite donc à une réflexion et à une action qui sont les fondements du cheminement maçonnique, où chaque individu est encouragé à trouver sa propre lumière, à se transformer pour mieux transformer le monde autour de lui.

Crâne et bougeoir sur une table en bois
Crâne et bougeoir sur une table en bois

Cet ouvrage n’est pas un texte maçonnique à proprement parler, mais il offre une méditation sur le bonheur et la quête de soi qui trouve un écho dans les idéaux de la franc-maçonnerie. Ce roman invite à une réflexion sur la manière dont on peut se libérer des chaînes de nos propres perceptions pour vivre une vie plus authentique et épanouie, des thèmes qui sont au cœur du travail initiatique maçonnique. Ainsi, cette œuvre peut être perçue comme un guide contemporain pour ceux qui, comme les francs-maçons, cherchent la lumière dans l’obscurité de l’ignorance et des peurs, pour atteindre non seulement le bonheur mais aussi une compréhension plus profonde de l’existence.

Le Dessin de Jissey : « Les gants sont sales… comme des chaussettes »

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Le problème du manque de propreté de certaines paires de gants en Loge a alerté le Frère Jissey cette semaine. Il reprend un thème déjà traité au lancement de notre journal il y a quatre ans, par Franck Fouqueray « Les gants sales comme des chaussettes ». Force est de constater que depuis ces dernières années, pas grand chose n’a changé.

Pour ceux qui n’auraient pas le temps de lire l’intégralité du billet de Fouqueray, voici un morceau choisi :

Je me demande si le problème ne vient pas tout simplement du lave-linge du Frère concerné ? Si tel est le cas, on craint bien évidement pour sa lingerie intime. Pourquoi son slip serait-il plus blanc que ses gants ?

Ou alors, il cache peut-être à son épouse son appartenance maçonnique, ce qui l’empêche de joindre ses gants à la tournée de linge hebdomadaire ?

Une autre hypothèse fait jour. Jusqu’au 18ème siècle, on disait qu’une jeune fille avait perdu son gant lorsque cette dernière avait offert  sa virginité à un homme. Alors je me pose une question : « Est-ce que le Frère au gant sale n’essaierait-il pas tout simplement de transmettre un message subliminal aux Sœurs en visite en les informant qu’il attend sa princesse depuis longtemps pour jeter sa gourme ? ».Ah tout cela est bien étrange car je crains de ne point en saisir le sens.

La Fontaine disait à ce propos :

« Mainte fille a perdu ses gants.
Et femme au retour s’est trouvée.
Qui ne sait la plupart du temps
Comme la chose est arrivée… »

Cela pourrait m’amener à poursuivre et à rajouter :

« Un Frère au gant noir sur sa colonne espérait.
Qu’une sœur vierge en visite le remarquerait
Tenue après Tenue les gants se salissaient
Faisant de la sorte que les Sœurs s’enfuyaient »

Car avouez quand même qu’on vient en Loge pour tailler sa Pierre, mais pas forcément pour tailler la bavette, surtout avec un cochon aux mains sales. Croyez-vous qu’une Obédience pourrait organiser une opération mains propres ou plutôt gants propres ? Ce serait une bonne idée ça. On pourrait aussi envisager de travailler en Loge avec des gants biodégradables. Après trois Tenues, les gants se dissolvent, forçant ainsi le malpropre à passer chez son marchand préféré pour renouveler son stock… (la suite)

Fédération LNF® : Un renouveau ancré dans la tradition

La Fédération Loge Nationale Française (LNF®) entame 2025 sous le signe d’un renouveau prometteur. Le 25 janvier dernier, l’Alliance des Loges Symboliques (ALS) a rejoint cette obédience historique, marquant un retour aux origines de la LNF®, fondée en 1968 par René Guilly. Ce rapprochement n’est pas anodin : plusieurs loges de l’ALS, jadis membres de la LNF®, retrouvent ainsi leur maison mère, reconstituant un noyau fidèle à la vision de son créateur.

Née d’une volonté de préserver une maçonnerie traditionnelle libre, la LNF® s’est forgée une identité unique après la crise de 2018, lorsque certains, démissionnaires des LNFU, ont protégé son nom et son esprit en créant la Fédération LNF®. Aujourd’hui, avec 25 loges – dont 4 dédiées à l’étude et à la recherche, écho au rigorisme de Guilly – elle offre un havre à ceux qui privilégient la quête initiatique à la course au pouvoir. Pas de grand maître ni de titres pompeux ici, mais une structure légère laissant chaque loge libre de travailler selon les rites traditionnels : Français Traditionnel, Écossais Rectifié, Anglais style Émulation, complétés par l’Écossais Ancien et Accepté.

Ce renouveau s’inscrit dans un contexte maçonnique dynamique. La LNF® mise sur l’humilité et l’érudition, valeurs célébrées lors de l’hommage à René Guilly le 23 mars 2024 à La Rochelle. Cet événement, animé par Évelyne Guilly, Pierre Mollier et Paul Paoloni, a rappelé l’héritage d’un maçon visionnaire, hostile aux surcharges administratives et passionné par l’histoire des rites.

Ouverte à tous les Frères et Sœurs aspirant à une maçonnerie profonde, la LNF® ne cherche pas le nombre mais la qualité. Son alliance avec l’ALS, dont la Règle en sept points s’aligne sur la Charte de la Maçonnerie Traditionnelle Libre de 1969, renforce cette ambition. En 2025, elle s’affirme comme un refuge pour les esprits libres, perpétuant l’œuvre de Guilly avec une vigueur nouvelle. Pour en savoir plus : flnf.org.

COMMUNIQUÉ

Télécharger la Charte de la MTL (Cliquez ici)

Spagyrie et Franc-Maçonnerie : Une quête commune vers la Lumière

La quête de Lumière est au cœur de la Franc-Maçonnerie, tout comme elle l’est dans l’Art Royal de l’Alchimie. Depuis toujours, les maçons travaillent à perfectionner leur pierre intérieure, cherchant à transmuter leur être en un édifice plus harmonieux et lumineux. Cette démarche initiatique trouve un écho puissant dans la spagyrie, une médecine alchimique qui vise non seulement à soigner le corps, mais aussi à purifier l’âme et à éveiller l’esprit.

La spagyrie : Une médecine inspirée des lois hermétiques

La spagyrie, issue de la tradition alchimique et sublimée par les enseignements de Paracelse, est bien plus qu’une simple méthode de préparation de remèdes naturels : elle est une médecine philosophique, opérative et spirituelle qui repose sur la compréhension des lois de la nature et de l’Univers. À travers elle, l’alchimiste-herboriste ne se contente pas d’extraire les principes actifs d’une plante, il en révèle l’essence profonde et transmute la matière brute en un remède subtil et vibrant.

L’un des fondements de la spagyrie repose sur l’extraction et la réharmonisation des trois principes alchimiques essentiels qui constituent toute forme de vie, qu’il s’agisse d’un végétal, d’un minéral ou d’un être humain :


• Le Sel 🜔 : Il représente la structure, l’aspect matériel et tangible du vivant. C’est la partie fixe et stable, ce qui confère la solidité et la permanence à toute chose. Dans le cadre d’une plante, il se manifeste à travers ses minéraux et ses composants terrestres, extraits par calcination et lessivage des cendres.

• Le Soufre 🜍 : Il est l’âme, l’énergie vitale qui anime la matière. Il incarne la force qui donne une identité propre à chaque être vivant. Dans une plante, c’est son huile essentielle, sa résine ou encore ses principes aromatiques et volatils, obtenus par extraction dans l’alcool.

• Le Mercure ☿ : Il est le principe intermédiaire, le pont entre le visible et l’invisible, entre le fixe et le volatil. Il représente l’esprit, la capacité de liaison et d’adaptation. En spagyrie, le Mercure se retrouve dans l’alcool distillé issu de la plante elle-même, support de la circulation et de la transmission des informations subtiles.

Ces trois principes sont séparés au cours du processus alchimique, purifiés individuellement, puis réunifiés dans une ultime phase d’harmonisation. C’est cette réintégration qui confère au remède sa puissance vibratoire et son efficacité sur tous les plans de l’être : physique, émotionnel, mental et spirituel.

Contrairement aux préparations phytothérapeutiques classiques, qui ne prennent en compte que les principes biochimiques des plantes, la spagyrie œuvre à réintégrer l’harmonie entre le corps, l’âme et l’esprit. Le remède obtenu n’est pas simplement un extrait végétal, mais une Quintessence, un condensé de la force vitale de la plante, restaurée dans sa totalité et en pleine résonance avec les lois de la nature et du cosmos.

Cette approche permet d’agir sur plusieurs niveaux de guérison :

• Physique : Grâce aux propriétés biochimiques et thérapeutiques des plantes.

• Émotionnel : En harmonisant les énergies subtiles qui influencent notre bien-être psychologique.

• Spirituel : En favorisant l’élévation de la conscience et la reconnexion à notre nature profonde.

Ainsi, en travaillant avec la spagyrie, on ne se contente pas de traiter des symptômes ; on œuvre à rétablir une harmonie globale, en réinsufflant à la matière son essence première et en permettant à l’individu de retrouver son équilibre fondamental.


Loin d’être un simple procédé de fabrication d’élixirs, la spagyrie est une médecine initiatique qui permet d’expérimenter les lois de l’Univers et de se reconnecter aux forces qui régissent le vivant. C’est une voie de réconciliation entre la science et le sacré, entre la Nature et l’être humain, une invitation à contempler et à comprendre l’ordre subtil qui régit le monde.

Un processus en résonance avec le chemin initiatique

La spagyrie, comme la Franc-Maçonnerie, est un art de transmutation. L’une travaille sur la matière (principalement du règne végétale) pour en extraire la Quintessence, l’autre œuvre sur l’Homme pour en révéler la lumière intérieure. Ces deux voies suivent un même processus d’élévation à travers des étapes initiatiques, conduisant à une recomposition de l’être sous une forme plus pure et plus subtile.

Dans les rituels maçonniques, l’initié traverse plusieurs degrés, du chaos à l’ordre, de l’inconscience à la connaissance, de la division à l’unité. De même, dans le laboratoire spagyrique, la matière passe par une série d’opérations visant à séparer, purifier et réunir ses principes essentiels, selon la maxime alchimique Solve et Coagula – « Dissous et Recompose ».

Ainsi, le parallèle entre la quête du Franc-Maçon et l’Œuvre spagyrique se manifeste dans les trois grandes étapes du processus :

L’Apprenti, dans son initiation, est confronté à la nécessité de déconstruire ses certitudes et ses illusions. Il entre symboliquement dans un état de confusion, de mise à nu, où il doit abandonner son ego profane pour reconstruire son être intérieur sur de nouvelles bases.

De manière analogue, dans le laboratoire alchimique, la séparation est la première opération de l’Œuvre spagyrique. Elle consiste à dissocier les trois principes essentiels (Sel, Soufre et Mercure) en libérant les éléments grossiers de la plante pour ne conserver que son essence pure.

• Le Sel (corps, structure) est extrait par calcination. Il symbolise la mémoire et l’ancrage.

• Le Soufre (âme, principe actif) est obtenu par macération. Il représente l’énergie vitale et la signature unique de la plante.

• Le Mercure (esprit, principe volatil) est capturé par distillation. Il est le médium entre les plans matériels et subtils, liant l’invisible au visible.

Cette dissolution prépare la matière à la transformation, tout comme l’initiation du Maçon le pousse à remettre en question ses croyances et à entrer dans une quête de connaissance.

Le Compagnon est celui qui, par l’étude et l’expérience, affine ses connaissances et apprend à perfectionner son art. Il purifie ses intentions et affine ses outils pour œuvrer avec plus de justesse.

Dans le laboratoire, cette purification se fait par une série de procédés :

• Rectification : pour affiner le Mercure et l’élever à un état plus subtil.

• Extraction : pour débarrasser le Soufre des impuretés.

• Lavation : pour purifier le Sel en une substance blanche et lumineuse.

L’objectif de cette phase est de séparer le subtil du grossier, de sublimer ce qui est dense en quelque chose de plus élevé, exactement comme l’initié qui, en progressant, transmute ses faiblesses en force, affine son discernement et se rapproche de la Sagesse.

C’est aussi le moment de l’épreuve, de la confrontation aux obstacles, car toute purification demande un passage par le feu (Ignis Natura Renovatur Integra). L’âme humaine, comme la matière, doit être mise à l’épreuve pour révéler sa véritable nature.

Le Maître Maçon, ayant intégré les enseignements des degrés précédents, devient un être unifié, harmonisant la Sagesse, la Force et la Beauté en lui. Il est capable d’assembler ce qui était épars, de relier l’ombre et la lumière, le haut et le bas, le matériel et le spirituel.

C’est cette même réintégration qui a lieu dans l’Œuvre spagyrique, lorsque les trois principes purifiés sont réunis pour donner naissance à une Quintessence, un élixir vibratoire où la plante est réincarnée sous sa forme la plus pure et la plus puissante.

Cette dernière phase de coagulation est l’aboutissement du processus :

• Le Soufre, l’âme, est fixé dans le Sel, le corps, grâce au Mercure, l’esprit.

• La plante, désormais transmutée, est plus qu’un simple extrait : c’est un remède vivant, doté d’une signature énergétique élevée.

• Le cycle est accompli, la matière a été épurée, élevée et unifiée, tout comme l’initié qui atteint l’illumination et la maîtrise de son être intérieur.

Ainsi, la spagyrie et la Franc-Maçonnerie suivent une même quête : celle de la transmutation et de l’élévation. L’une agit sur la matière, l’autre sur l’Homme, mais toutes deux visent un même but : l’éveil d’une conscience plus haute, où l’être transfiguré devient un relais de lumière et d’harmonie.

    Découvrez « Spagyrie – Médecine Alchimique »

    Dans mon ouvrage, « Spagyrie – Médecine Alchimique », je partage le fruit de nombreuses années d’étude, de méditation et d’expérimentation autour de la spagyrie. Cet art ancestral, issu de la tradition alchimique, ne se limite pas à une simple méthode de préparation de remèdes naturels ; il est une véritable voie de transmutation qui touche à la fois le corps, l’âme et l’esprit.

    À travers cet enseignement, je vous invite à affiner votre sensibilité aux forces subtiles qui animent la nature, à développer un regard plus profond sur le vivant et à comprendre les liens invisibles qui unissent la matière et la vie. Ce cheminement permet d’accéder à une connaissance plus intime de la nature, des cycles cosmiques et des lois universelles qui régissent le monde.

    Que vous soyez Franc-Maçon, alchimiste en quête de savoir, ou simplement curieux des mystères de la nature et de l’Univers, cet ouvrage vous ouvre les portes d’un art thérapeutique ancestral, où chaque substance devient un miroir du cosmos et un messager du Grand Œuvre de la Nature.

    📖 Découvrir le livre : Bibliographie

    🔗 Approfondir la spagyrie et les enseignements hermétiques : lesamisdhermes.com

    Le latin donne du pouvoir (Par Laurent Ridel)

    Membres du clergé, vitrail, cathédrale de Coutances (Manche)Dans la société ordonnée du Moyen Âge, revenait au clergé la mission de prier. Les membres des autres ordres — noblesse et peuple — pouvaient prier aussi, mais ils reconnaissaient que les prières les plus efficaces provenaient des clercs. En effet, ils faisaient partie des rares personnes à maîtriser la langue de communication avec le Ciel : le latin. D’un certain point de vue, le corps clérical ressemblait un peu à nos avocats : ils défendaient leurs « clients » auprès de Dieu en s’appuyant sur un savoir abscons.Lors des messes, le latin participait à rendre le culte plus mystérieux ; aux yeux des fidèles, le prêtre disposait comme d’un pouvoir magique en prononçant des mots étrangers.En 1523, un humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples jette un pavé dans la mare : il publie le Nouveau Testament entièrement traduit en français. 
    Bible de Jacques Lefèvre d’EtaplesJusque-là, seules des versions latines sortaient des presses. Cette traduction en langue « vulgaire » scandalise le clergé. Quel danger de mettre la Bible entre les mains d’incultes ! De nombreux fidèles ne risquent-ils pas de mal interpréter certains passages ? Derrière ces craintes, le clergé s’inquiète aussi de la remise en cause de son rôle médiateur entre le texte sacré et les fidèles. En 1525, le parlement de Paris est obligé d’intervenir et suit l’opinion des clercs : est interdite toute traduction de la Bible en français. Or, les fidèles en réclament, curieux d’entrer directement dans le texte. Alors naissant, le protestantisme répond à ce besoin. Dans les années 1550, Calvin publie la Bible française dite de Genève. Pour ne pas perdre davantage de coreligionnaires, l’Église catholique fléchit. En 1578, elle autorise sa propre version française : la Bible dite de Louvain. Un fait la rassurait peut-être : à cette époque, peu de gens savaient lire, même dans leur langue maternelle.La domination du latin ne s’effondre qu’à la suite du concile de Vatican II : les prêtres sont invités à prononcer leur messe en français. C’était il y a seulement une cinquantaine d’années. 
    Le chapiteau de la duperie
    Les sculptures dans une église peuvent nous paraître aussi du latin par leur sens obscur. Sur ce chapiteau, deux hommes se tiennent par les mains. Qui en déduirait que la scène est tirée de l’Ancien Testament et qu’elle représente une tromperie ? D’abord, faisons les présentations : – à gauche, le vieux Isaac, fils du patriarche Abraham ;– à droite son fils Jacob. C’est ce dernier qui est en train de duper son père en profitant de son handicap. Rebecca, sa mère, que l’on voit sur le côté du chapiteau, est à l’initiative. Pour comprendre cela, je dois remonter un peu le temps pour vous raconter l’une des histoires les plus incroyables de la Bible. 

    Étape 1 : préparation du stratagème. Rebecca a un faible pour son fils Jacob, par rapport à son aîné Ésaü. Un jour, elle entend Isaac demander à Ésaü de chasser du gibier et de lui préparer un plat savoureux afin qu’il puisse le bénir avant de mourir. Rebecca saisit l’opportunité.

    Étape 2 : le déguisement de Jacob. Rebecca prépare un plat similaire à celui qu’Isaac aime (elle le connaît bien). Ensuite, elle habille son préféré Jacob avec les vêtements d’Ésaü. En plus, elle couvre les mains et le cou de Jacob avec des peaux de chèvres pour imiter la forte pilosité d’Ésaü. Pendant ce temps-là, Ésaü est à la chasse. 

    Étape 3 : la tromperie d’Isaac.C’est la scène du chapiteau. Jacob se présente à Isaac en se faisant passer pour Ésaü. Isaac est en fait aveugle. Regardez attentivement ses yeux. Ce sont de simples fentes.
    Isaac ne voit donc pas la tromperie. Mais il entend encore bien : la voix ne ressemble pas à celle d’Ésaü. Méfiant, il lui demande d’approcher pour le toucher. Les peaux de chèvre le trompent. Isaac pense avoir le poilu Ésaü devant lui. 

    Étape 4 : la bénédiction d’IsaacConvaincu, Isaac bénit Jacob, lui conférant la prospérité et la domination sur ses frères, dont le pauvre Ésaü. Lorsque ce dernier revient de la chasse et découvre la supercherie, il est furieux et jure de tuer Jacob. Pour sa sécurité, Jacob doit fuir chez son oncle. Mais la bénédiction extorquée à Isaac lui assurera une descendance nombreuse et la possession du pays de Canaan.Ce chapiteau très original se trouve dans l’abbatiale de Vézelay (Yonne). Par la même occasion, vous venez de comprendre l’origine de la maxime : « Qui va à la chasse perd sa place ». Eh ! oui, elle vient de l’histoire des frères Ésaü et Jacob. 
    Portrait de famille
    Nous venons de voir qu’avec la complicité de sa mère, Jacob a trompé son père. À mon tour d’essayer de vous tromper (au moins je vous préviens). Qui représente ce groupe statuaire ? 
    Groupe statuaire dans l’église Notre-Dame-la-Grande à PoitiersOn croirait la Vierge portant son fils et entourée d’enfants.Vous y avez pensé ? Vous y êtes presque. Installé dans une église de Poitiers, ce groupe s’appelle une Sainte-Parenté. La femme adulte est en fait sainte Anne, la mère de Marie. Elle porte sa fille (couronnée)… qui porte elle-même un bébé emmailloté, Jésus. Le sculpteur rassemble donc 3 générations sans trop s’encombrer de vraisemblance : Marie, enfant, a déjà son bébé.
    Continuons notre travail généalogique. Au pied de ce groupe, deux femmes se distinguent. Selon la légende, ce sont les autres filles de sainte Anne, Marie Salomé et Marie Clopas. Que de Marie !
    Restent les enfants, qui sont les fils de Marie Salomé et Marie Clopas. Pour ne pas vous égarer, je me garde de vous en donner les prénoms. Retenez le plus connu, Jacques le Mineur. Cousin de Jésus, il sera un de ses apôtres. Ne le confondez avec Jacques le Majeur, autre apôtre, et patron des pèlerins. Au total, cette Sainte-Parenté, datée de 1500 environ, regroupe 10 personnages.Cet exercice d’identification vous a semblé facile ? Je vous propose de monter de quelques niveaux.
    Le défi du patrimoine
    Je vous soumets ce bas-relief. 
    Saurez-vous identifier cette figure chrétienne ? Paradoxalement, la réponse est simple, car elle ne nécessite pas une grande culture religieuse. J’attends vos réponses. www.decoder-eglises-chateaux.fr

    Musk, Trump, Mélenchon… bienfaiteurs inattendus du travail maçonnique

    Ce matin, mon téléphone sonne. Une amie et fidèle lectrice de notre lettre quotidienne m’interpelle, agacée par un article récent (Les pervers mystiques ont le vent en poupe !). Comme souvent dans ces cas-là, je lui explique que notre journal n’est pas le porte-voix d’une idéologie unique. Nous nous efforçons d’être un miroir reflétant toutes les pensées de la Franc-maçonnerie, toutes les expressions, pourvu que le débat reste fraternel et respectueux.

    C’est l’occasion de lui rappeler notre devise : « La Franc-Maçonnerie sous tous ses angles ». Nous offrons des éclairages variés, fidèles à la méthode maçonnique, laissant à chacun la liberté de forger son opinion. Notre rôle est de nourrir la réflexion, non de dicter une manière de penser.

    Une idée me traverse alors l’esprit. Que font les Maçons en Loge ? Un conférencier présente sa planche dans un silence absolu, sans interruption. Puis, les interventions des Frères et Sœurs viennent enrichir, éclairer ce travail. L’objectif n’est pas d’épuiser le sujet, mais de semer des graines à travers une méthode qui favorise la maîtrise des passions. Cela implique d’écouter des avis convergents ou divergents, et surtout de cultiver le recul nécessaire pour en extraire une sagesse, celle de la voie du milieu – un équilibre entre les extrêmes, fruit d’une écoute sincère et d’une introspection rigoureuse.

    Noam Chomsky

    Imaginons maintenant une Loge uniformément alignée sur une tendance politique, qu’elle soit de gauche ou de droite, ayant exclu toute voix discordante. Les Tenues y seraient d’une harmonie parfaite, tous pensant à l’unisson. Sans vouloir heurter quiconque, ne serait-ce pas une forme de dictature déguisée ? Une Loge sans opposition devient un écho stérile, un simulacre de fraternité. Noam Chomsky, dans ses analyses, décrit un mécanisme similaire : « En Russie, le pouvoir impose une ligne aux journalistes ; en France, pays de la Révolution et de la liberté, le contrôle est plus subtil. On n’impose rien, on choisit simplement des plumes déjà alignées sur la pensée dominante. Une dictature feutrée, mais tout aussi étouffante pour l’esprit. »

    Ce constat semblait juste jusqu’à récemment. Aujourd’hui, les choses évoluent, et pas forcément dans le bon sens. Dans le pays de Voltaire et Hugo, on ferme désormais les chaînes TV qui dérangent. Ne nous rapprochons-nous pas, doucement, du modèle russe que nous critiquions ?

    Revenons à la Loge. Quand une assemblée maçonnique réunit des avis divergents – capables de débattre d’Elon Musk et de ses excentricités, des choix politiques de Donald Trump ou des positions de Jean-Luc Mélenchon sans que la discorde ne dégénère –, alors on peut dire que ses membres sont des Sœurs et Frères accomplis.

    La diversité n’est pas un obstacle, mais une richesse : elle met à l’épreuve notre capacité à écouter, à comprendre, à grandir.

    Musk, Trump, Mélenchon, par leurs provocations ou leurs controverses, deviennent paradoxalement des bienfaiteurs involontaires du travail maçonnique, car ils nous obligent à confronter nos idées, à polir notre pierre brute.

    Michel Maffesoli

    Pourtant, une ombre plane. La tendance actuelle ne va pas dans le sens de ce travail fraternel. On exclut les Frères dont les vues s’écartent de la ligne officielle, on cherche à faire taire les journaux maçonniques jugés trop audacieux, et pire, on encourage l’autocensure en Loge. Quelle différence y a-t-il entre cette intolérance et celle de fanatiques qui cloîtrent les femmes pour les « protéger » des regards ?

    Nous n’en sommes pas à lapider les dissidents, bien sûr, mais une scène du film I… comme Icare me revient en mémoire. Face à Yves Montand, indigné par une expérience sur la soumission, le professeur Milgram rétorque : « Vous, Monsieur le Procureur, vous n’avez réagi qu’à 180 volts ! » Une piqûre de rappel : jusqu’où tolérons-nous l’inacceptable avant de nous réveiller ?

    Deux questions s’imposent à chaque Maçon :

    • Combien de fois ai-je trahi mes convictions pour me conformer à mon groupe maçonnique ?
    • Suis-je certain d’exploiter les désaccords en Loge pour évoluer, plutôt que de batailler pour imposer mon point de vue par la force des mots ?

    En ce mois de mars 2025, je doute que nous soyons nombreux à répondre avec assurance à ces interrogations. Chacun fera ses comptes avec sa conscience. Mais une chose est sûre :

    la Franc-Maçonnerie ne vit que par la tension créatrice des idées, par le choc des contraires qui fait jaillir la Lumière. Musk, Trump, Mélenchon, par leur simple existence, nous rappellent cette vérité essentielle. À nous de ne pas l’oublier.

    Nous l’avons cherché…

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    Combien de fois avons nous entendu cette phrase du style : « Et alors chez vous comment les frangins et les frangines voient les choses ? » En général ces personnes qui vous parlent en ces termes sont des connaissances, voire des proches qui détiennent sur vous une information par rapport à votre appartenance à la Franc-maçonnerie. Ce sont souvent des gens qui ne sont pas vraiment très proches de vous. En tout cas, des personnes avec qui nous n’avons pas vraiment su prendre le temps de parler de notre engagement, de nos connaissances, mais aussi à qui nous n’avons pas pris le temps de leurs faire découvrir.

    Jeune apprenti, je me souviens d’une période où quelques amis découvraient mon appartenance à la Franc-maçonnerie, moi-même j’entretenais un certain mystère envers eux, une sorte de fierté proche d’une revanche quelque part un peu intellectuelle.

    Je ne venais pas d’un milieu intellectuel mais ma pierre brute, elle, oui.

    Aujourd’hui toutes ces attitudes me semblent bien lointaines, je ne cherche plus à convaincre. Cependant je retrouve dans l’actualité du monde profane en rapport avec le monde maçonnique une certaine similitude, des moments que j’ai connus dans la période de mon engagement maçonnique. Je ressens toujours cette grande difficulté à communiquer avec ce monde, sujet que j’ai souvent traité dans ce journal. La différence aujourd’hui, vient des médias qui diffusent une multitude d’informations sur la Franc maçonnerie, qui arrivent dans tous les sens et pour lesquelles, nous ne pouvons pas garantir une analyse fiable avec des délais suffisamment rapides.

    La médiatisation nous plonge dans la politique du tout et du n’importe quoi. En regardant les thèmes d‘actualités sur la Franc maçonnerie, je m’y perds ou je ne m’y reconnais pas, au milieu parfois de tous ces pseudos analystes, eux mêmes peut-être manipulés.

    « Ils sont fous ces romains, on y perd son latin ! »

    En revanche, avec la mauvaise foi qui me caractérise, je sais que je peux m’appuyer sur le Grand René pour partir dans des démonstrations hasardeuses comme dans la vidéo ci-dessous :

    L’énigme des Maîtres -8- Des guides possibles

    Lire l’épisode précédent ici

    Il la retrouva. C’était une évidence, elle l’attendait comme s’il fut normal qu’il revienne si vite ; ce qui lui permit d’être direct.

    – Je sens battre en moi votre présence. Comment, si loin, arrivez-vous à faire tant de bruit? S’il vous plaît, fais-moi découvrir Prague.

    C’est avec une déconcertante simplicité qu’Amélie, comprenant qu’entre vouvoiement et tutoiement il y avait du Petit Prince, qu’elle lui répondit

    – Si vous n’avez pas peur de mes épines, rien ne me ferait plus plaisir.

    Pour donner une tournure plus neutre à ce qui commençait et laisser du temps à un minimum de convenances à cette rencontre, Amélie l’emmena au cœur du quartier de la vieille ville, dans l’ancien quartier juif de Josefov, avec ses synagogues et son célèbre cimetière aux tombes de guingois, ultimes témoins de ce qui était le cœur d’une des plus importantes communautés juives d’Europe. Dès le IXe siècle, il est possible qu’une première communauté venue de Byzance soit arrivée à Prague pour s’installer dans l’actuel quartier de Malá Strana.

    Près de la synagogue Staronová, s’arrêtant devant la statue du Golem tenant dans ses mains les Tables de la Loi, elle lui commenta comme un guide.

    – Cette statue commémore la légende du Golem associée à Rabbi Judah Loew ben Bezalel, également connu sous le nom de Maharal de Prague, un éminent rabbin du XVIe siècle.

    Dans la culture juive, un golem c’est une sorte d’automate à forme humaine que de saints rabbins avaient le pouvoir d’animer. Des initiés, au cours d’une réunion mystique, participaient à l’acte de création, prenaient un peu de terre vierge et en faisaient une idole. Puis ils tournaient autour d’elle en une sorte de danse en prononçant des lettres sacrées et le nom secret de Dieu, selon un ordre et des protocoles détaillés. Le golem prenait alors vie.  Quand les initiés inversaient le sens de leur danse ainsi que l’ordre des lettres sacrées, le golem s’écroulait et perdait la vie. Selon d’autres légendes, le mot Emet (aleph, mem tav), la Vérité ou le Sceau du Dieu unique, devait être écrit sur le front du golem ; quand la lettre aleph était effacée, ne demeurait plus que le mot met (la mort) et le golem s’anéantissait.

    La légende de golem la plus connue est certainement celle du Maharal, qui aurait créé un être d’argile (reproduisant le geste coroplaste de D.ieu avec la création d’Adam) avec des pratiques kabbalistiques, afin de défendre le ghetto juif de la ville contre les persécutions. Le Maharal dû lui effacer la lettre fatale quand la créature, oubliant de respecter le shabbat, devenue incontrôlable, s’en prit aux juifs eux-mêmes.

    – Un automate substitué à l’homme comme réponse et supprimer un signe pour changer un destin ! Je dois m’en souvenir pensa Alexander très discret sur la raison de son séjour à Prague. Mais quelle synchronicité ! Trop de peintres de la liste ont un rapport avec la kabbale pour que le signe du M en soit étranger. Nous étudierons cela plus tard avec mes amis.

    Comprenant qu’il fallait retrouver un peu de légèreté, Amélie, lui prenant le bras tendrement, l’emmena visiter le jardin royal de Prague dans le quartier Mala Strana.

    Le Jardin Wallenstein, est un magnifique jardin Renaissance en prolongement du château baroque du même nom, un oasis de verdure enchanteur qui leur offrit une évasion tranquille du tumulte de la ville. Les allées pavées serpentent à travers des parterres de fleurs colorées, des fontaines anciennes jaillissent de l’eau cristalline, ajoutant une symphonie apaisante au murmure des feuilles dansantes.

    Au centre du jardin se dresse un kiosque délicatement décoré, où des roses grimpantes forment une canopée parfumée.

    En déambulant, ils s’échangeaient des propos culturels, faisant joute d’érudition en guise de séduction.  Parfois se glissaient dans les propos d’Alexander des aveux suggérés de son attirance pour elle.

    – Il y a des gens qui nous regardent parce que je vous parle avec tellement de joie que je dois être indécent de plaisir.

    Ou encore en murmurant.

    – Il y a juste là sur le banc deux vieillards qui règnent sur leur silence, ne regardent rien, n’entendent rien, attendent le temps comme un invité qui ne viendra pas. Mais vous, vous êtes venue…Et suavement se reprit et dit : TU es venue…

    Faisait-il allusion au poème d’Éluard ? Oui. Elle le savait et lui savait qu’elle le savait puisqu’elle ajouta. 

    – Tu es venue… J’avais un guide sur la terre, je savais me diriger, je me savais démesurée.

    Elle aimait son adhésion à sa forme, ce passage par les mots pour la séduire. C’était un « ça » qui se veut un ça se découvre, un ça se comprend, un ça essaye de faire chanter la langue du plaisir et le plaisir du langage et même des silences, mais ça veut surtout se partager et se retrouver pour se trouver là où ça s’appelle sourire. C’était comme une rencontre au possible d’épanouir tout ce que l’on est soi-même, comme un creux à remplir de joie, d’exaltation, de se sentir plus complété, plus, supplémenté. Peu importe le nom donné aux plaisirs mais les moments devenaient précieux.

    Alexander avait une écoute qui invitait aux confidences, ce fut une confession qu’Amélie fit devant la statue en bronze de Vénus.

    – Je voudrais vous dire que que ce n’est pas le manque, le vide qui me pousse vers vous. Vous êtes de l’inattendu, non de l’espéré. Ce que je ressens vous ne le devez qu’à vous, pas à moi, pas à ma vacuité. Ce n’est pas un concours que vous auriez gagné en étant un peu plus attentif, un peu plus empressé, un peu plus  lyrique, un peu plus drôle ou tout cela en même temps. Cela m’aurait permis de vous trouver plus aimable seulement. Il y a chez vous une pureté d’être pour moi, une force subtile d’écoute, un don désintéressé de votre énergie, un calme extraordinaire pour m’accueillir, une disponibilité de votre être au mien. Il y a en vous de l’exclusivité pour moi.

    Ils se dévisageaient, pas tout à fait comme des étrangers, mais pas encore comme des amants, ouvrant une voie par cette complicité de l’intelligence vers l’intimité.

    Leur promenade, très vite, ne fut plus qu’une envie d’une intimité des corps où ils auraient tant de choses à se dire et à faire ensemble. Dans le premier hôtel qu’ils trouvèrent à proximité du Jardin, le Royal Palace, une chambre, décorée de blanc et de jaune, fut le lieu d’un jaillissement de lumière et de candeur, de coton et de douceur, de volupté chaude et d’abandons au plaisir de se nouer, à ne pouvoir se rassasier de leurs étreintes.

    Lui, il était un amant expert, attentionné, imaginatif. Il savait donner aux femmes l’envie de s’ouvrir à toutes les jouissances, de chercher au plus intime les délectations du corps, les délices de la chair, les ébats de l’âme, le contentement de la sensualité, découvrant son humidité soyeuse qu’il embrassait avec bonheur, sa langue cherchant la fraîcheur et trouvant son mystère. Elle, elle se faisait câline, lascive et ondoyante sur toute sa peau, de tout son corps aux courbes fines et flexibles, à sa bouche arrêtée, sa langue douce, passionnée, fervente, à ses aisselles dégustées, à son aine pourléchée, à son sein léché, à son sexe entouré dans une enveloppe douce, veloutée, liquoreuse, se clouant à califourchon sur son désir pour accueillir leur spasme simultané, ce cri enchanteur de tout leur corps.  Ce fut pour eux une pure délectation, savourant de tout leur être cet érotisme voluptueux, impudique, licencieux et si ludique qui se renouvela toute la nuit dans des rires joyeux à chaque fois que le désir qui les reprenait se manifestait.

    Au matin, prolongeant le plaisir d’être ensemble, ils prirent une collation sur la terrasse d’un café où étaient déjà attablés quelques clients, passant par cet entre-deux de l’intimité du couple au public.

    En se séparant, elle lui tendit la main, moment où une main prend si simplement une main, où un tendre geste, un battement de paupière, sont les plus construits des discours.

    Elle retourna à son lieu de séjour pragois pour se préparer au jour nouveau, lui pour retrouver ses amis à l’Hôtel Cube.

    – Alors ? lui dit Guido en le revoyant sans rien ajouter par une discrète pudeur.

    – Alors répondit Alexander, c’est la kabbale.

    Comme si rien n’était intervenu entre le moment où il les avait laissés et leurs retrouvailles il ajouta

    – Il faut analyser ce que la kabbale peut nous faire comprendre de M.

    – Nous y avons pensé aussi, cher Alexander, puisque nous sommes à Prague, dit le comte.  Nous, nous avons mis à profit la nuit pour faire une synthèse rapide de ce qu’il est possible d’en dire le plus simplement possible. Dans l’insistance du nous, il y avait un léger reproche d’Archibald, non pas de ce qu’Alexander avait pu faire de sa nuit, mais d’une intuition, d’une inquiétude qu’il avait eu au Musée et dont il n’avait pas pu lui parler.

    – Tiens, lis, dit Guido, lui remettant les pages sur lesquelles ils avaient consigné leur travail nocturne. Sache que Lord Archibald, grâce à son ancêtre s’est familiarisé avec la Kabbale. Dans la collection des 516 dessins de Byrom datant du début du XVIIe siècle, certains d’entre eux sont particulièrement intéressants puisque qu’ils font preuve d’un profond intérêt pour la cabale chrétienne. Je te résume, que dis-je, je n’effleure même pas ce qu’il y a à en dire, en attendant que tu te plonges dans l’inépuisable approche de cette voie de la Connaissance.

    La Kabbale est avant tout une tradition ésotérique juive dont il faut souligner son lien avec la philosophie et la théologie. C’est un courant de pensée révélant une sagesse reçue par Moïse, enrichie au fil des siècles, notamment par les mystiques juifs en Espagne et en France. Le mot “Kabbale” signifie “réception” et désigne la transmission orale des secrets de la Torah. Elle explore les relations entre les mots, les nombres et les concepts divins, en mettant l’accent sur l’alchimie du langage. Elle se distingue par sa recherche de sens à travers l’interrogation, plutôt que par des certitudes. Elle propose une vision holistique, reliant le spirituel et le matériel, et offre différentes approches, dont la Kabbale messianique et la Kabbale yoguique. L’importance de la parole, du nombre et des symboles, fait de la kabbale un mode de vie qui cherche l’harmonie entre forces opposées dans une quête inachevée du sens et une exploration de la réalité qui transcende les mots. En somme, par trois de ses aspects nous pouvons y voir les extases de la Bible théophane, le néo-platonisme d’Alexandrie et le soufisme des Arabes.

    – Je lirai, promis mais pas maintenant. Dis-moi Lhermitte, avez-vous trouvé un rapport avec les tableaux ?

    – Pour le moment ce que je puis te dire c’est que Selon Jean Pic de la Mirandole, philosophe et théologien (qui a étudié et synthétisé les principales doctrines philosophiques et religieuses connues à son époque, notamment le platonisme, l’aristotélisme, la scolastique), la révélation biblique et la philosophie grecque procéderaient d’une même origine dont la cabale serait le témoin le plus fidèle. Les 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, publiées en décembre 1486, provoquèrent un scandale retentissant en Italie. Toutefois, toujours selon Pic de la Mirandole, la cabale ne ferait que confirmer la doctrine chrétienne. Pour lui  «Aucune science ne peut mieux nous convaincre de la divinité de Jésus-Christ que la magie et la cabale». Il eut comme maître Marsile Ficin tout comme Gilles de Viterbe, membre du Grand Sénat pontifical à cette époque, tous connus pour penser que le mysticisme juif contenait le témoignage incontestable de la vérité de la religion chrétienne. 

    Jean Pic et Gilles vécurent à la même époque que Sandro Botticelli et Michel-Ange ; ils auraient pu se rencontrer ou appartenir à une société secrète de type M puisqu’ils ont peint le signe ou qu’on les voit le faisant : Pic sur un tableau du Palazzo Ducale de Mantou et Gilles sur une fresque de la Salle Regia du Palazzo dei Priori de Viterbe.

    – Je savais bien que la kabbale est le point commun que nous cherchons.

    La vanité d’Alexander fit rire Guido

    – Comprends Alex que cela n’est pas suffisant pour relier tous les portraits. Les peintres et leurs personnages ne furent pas tous des kabbalistes.  Et même, retenons que Baruch Spinoza, au chapitre 9 de son Traité Théologico-Politique, tenait les kabbalistes pour des gens qui disent des billevesées et se déclara confondu par leur démence en écrivant : «Je déclare que la folie de ces charlatans passe tout ce qu’on peut dire».

    Parmi les personnages des portraits, il y en avait qui étaient aussi alchimistes, philosophes, hommes de sciences ou simplement hommes politiques. Nous devons continuer nos investigations pour comprendre.

    Guido venait de remettre en question les conclusions hâtives d’Alexander

    – Nous avons promis à Amélie Delacroix de la retrouver aujourd’hui, rappela Archibald. Elle pourrait nous en dire davantage que ce qu’elle nous a dit.

    Évidemment, cette proposition enchanta surtout Alexander. Ils partirent à pied jusqu’à la place Wenceslas.

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    Jean-Marc Giner : Un Frère dont « l’objectif » est d’aider deux enfants

    Jean-Marc Giner, passionné par l’art de l’argentique, a su assembler une série de photographies qui évoquent la nostalgie et l’authenticité. En choisissant de dédier son travail à Aubin et Jules (Voir article des Widows Sons et affiche ci-dessous), il démontre comment l’art peut devenir un puissant vecteur de solidarité et de soutien. Ainsi, chaque achat du livre devient un acte de générosité, transformant l’appréciation de l’art en une aide concrète.

    https://www.ulule.com/letempsdunumerique

    Marc Ginet

    Jean-Marc Giner, un photographe français dont le travail est reconnu dans le domaine de la photographie de rue et humaniste. IL a vécu 40 ans à Marseille, il est profondément influencé par ses origines méditerranéennes, ce qui se reflète dans sa sensibilité aux contrastes de lumière et à la vie quotidienne. Il se spécialise dans des clichés en noir et blanc, capturant des instants du réel avec une approche à la fois poétique et sociale.

    Jean-Marc Giner est particulièrement apprécié pour sa capacité à transcender le banal – un geste, un regard, une scène ordinaire – en une image chargée d’émotion et de réflexion. Sa démarche artistique, qu’il décrit lui-même comme une exploration des “zones d’ombres” pour revelar des formes ou des histoires, s’inscrit dans la lignée des grands noms comme Henri Cartier-Bresson, dont il admire l’œuvre (il cite d’ailleurs une rencontre marquante avec lui à Arles comme un souvenir clé). Il ne cherche pas l’originalité pour elle-même, mais plutôt à poser des questions à travers ses photos, laissant le spectateur interpréter librement.

    Il a débuté la photographie en 1974 avec un Canon FTB offert par ses parents, et utilise aujourd’hui des appareils comme le Nikon F301 ou le Leica Q3-43. Son éthique, notamment pour les portraits de rue, repose sur le consentement des sujets, privilégiant une connexion humaine. Actuellement basé à Montreuil, il prépare une exposition dans cette commune, où il vit depuis peu. Son travail a été mis en avant par des plateformes comme Street Photography France, qui soulignent son regard unique et sa fidélité à une photographie qui interroge plus qu’elle ne répond.

    Le livre photo « Le temps de l’argentique » de Jean-Marc Giner est bien plus qu’une simple collection d’images. Ce projet artistique et humanitaire vise à capturer la beauté intemporelle de la photographie argentique tout en soutenant une noble cause. En effet, une grande partie des bénéfices de la vente (10 euros par livre) sera reversé au profit de Jules et Aubin, deux enfants confrontés à des handicaps lourds. Ces fonds contribueront à financer les aménagements couteux nécessaires dans leur domicile pour améliorer leur qualité de vie quotidienne.

    Contact avec Jean-Marc

    Orient et Occident, les destins des Nations

    De notre confrère universalfreemasonry.org – Par Annie Besant

    Les affaires du monde pourraient-elles être supervisées par un groupe « occulte » ou caché d’initiés adeptes ?

    Dans cette conférence intitulée « L’Orient et l’Occident », et dans une autre conférence intitulée « Les destinées des nations », qui suit, je me propose d’aborder la formation de l’histoire d’une manière qui me paraît présenter un intérêt beaucoup plus profond que celui que l’on peut trouver dans les manuels d’histoire ordinaires. Nous adopterons ici une vue plus générale, tandis que dans la conférence suivante nous nous spécialiserons. Nous examinerons les prémisses qui sous-tendent le conflit actuel en Extrême-Orient et les grandes conséquences qui découlent des triomphes militaires du Japon. Car nous avons devant les yeux une grande leçon de choses et, comme nous l’a dit HP Blavatsky, en ce vingtième siècle, certains des comptes en suspens entre les nations de l’Est et de l’Ouest doivent être réglés.

    Annie Besant

    C’est pourquoi je souhaite amener certains esprits réfléchis à une vision plus profonde des actions des hommes qui jouent un grand rôle dans le drame mondial que nous appelons l’histoire, afin qu’au lieu de considérer les événements de la vie ordinaire des nations comme s’ils étaient réellement guidés par des dirigeants et des hommes d’État, nous puissions apprendre à comprendre que le drame des nations a un Auteur qui l’écrit, et que les acteurs jouent les rôles pour lesquels ils se sont préparés dans le passé ; les acteurs sont des acteurs et non des créateurs de l’histoire du monde.

    Pour exposer cette conception de la vie et pour rendre intelligible une partie de l’argumentation que je désire présenter, je dois définir ce que j’entends ici par « idéaux ». Je veux dire les idées dominantes exprimées dans les civilisations, façonnées et modelées selon les idées ou idéaux dominants, les conceptions sur les valeurs de la vie qui règnent dans l’esprit de la nation concernée. Et je dis idéaux « orientaux » et « occidentaux », parce que les différences entre ces idéaux et leur utilité dans l’évolution de l’humanité dans son ensemble doivent être comprises si nous voulons suivre correctement les actes du drame mondial. Et nous devons comprendre que dans la situation actuelle, il s’agit d’un déséquilibre manifeste d’un équilibre devenu trop léger et menaçant de s’effondrer, de sorte que l’humanité était menacée d’une perte d’idéaux essentiels à son plein développement.

    Je ne veux pas mettre en opposition les idéaux de l’Orient et de l’Occident. Je voudrais plutôt montrer que les deux sont nécessaires à la grande évolution de l’humanité et que le danger existait ces dernières années de voir périr les idéaux orientaux. Pour que l’humanité ne soit pas ainsi privée d’une partie de sa richesse idéale, il est devenu nécessaire de rétablir l’équilibre entre l’Est et l’Ouest, entre l’Europe et l’Asie. Ce rétablissement ne pouvait se faire qu’en freinant la marche conquérante de l’Europe et en rendant à l’Asie une partie de son ancienne indépendance. Aussi, en considérant la lutte actuelle, que nos sympathies aillent à l’une ou à l’autre nation, il est sage que nous comprenions les problèmes plus profonds en jeu et que nous lisions avec les yeux de la sagesse plutôt qu’avec les yeux de la passion les pages de l’histoire qui se déroulent maintenant devant nous.

    Annie Besant

    J’ai dit que je ne voulais pas mettre ces deux idéaux en conflit. Néanmoins, dans une certaine mesure, ce conflit a été inévitable ; et c’est, je pense, le rôle d’un étudiant de la Sagesse divine d’essayer de sentir la paix au milieu des combats, et de fixer fermement ses yeux sur le but à atteindre, afin de ne pas être emporté par le tumulte du moment. Si nous regardons en arrière sur le dix-neuvième siècle, nous remarquerons que l’Occident domine de plus en plus l’Orient – principalement par la conquête, mais dans une immense mesure par l’expansion de la pensée et de la civilisation occidentales dans le sillage de la conquête. Nous avons vu dans les pays orientaux que les anciens idéaux tendaient à disparaître. Qu’ils n’aient pas fait leur chemin en grande partie en Europe aurait été de peu d’importance ; Mais qu’ils soient menacés de mort sur le sol de leur naissance était un véritable péril pour l’humanité. Au fur et à mesure que les armes et le commerce occidentaux se répandaient, la pensée occidentale parmi les nations orientales commençait à revendiquer la prédominance, d’autant plus facilement et plus dangereusement qu’elle était associée à l’épée conquérante, à la croissance de la puissance militaire.

    Quelques-unes des conquêtes de l’Orient étaient de nature très précise, comme celle de l’Inde par la Grande-Bretagne ; d’autres moins honnêtes, mais n’en sont pas moins efficaces. Et l’Europe en est venue à considérer de plus en plus l’Asie comme son héritage naturel, de sorte que la politique asiatique devait être dirigée, que les intérêts asiatiques devaient être contrôlés, non pas pour le bénéfice des peuples asiatiques, mais pour l’enrichissement de l’Europe. Cela s’est fait en grande partie sous le couvert d’intérêts commerciaux ; mais les intérêts commerciaux étaient les intérêts commerciaux de l’Occident, cherchant à découvrir par lui-même de nouveaux marchés et à poursuivre son expansion. Personne ne s’est demandé, lorsqu’il a été question du port ouvert, etc., si la nation orientale concernée bénéficierait dans son commerce de l’intrusion de la rivalité occidentale ; Personne ne demandait si les industries de l’Est pourraient faire face sans danger de destruction au choc brutal de la concurrence de l’Ouest ; personne n’a jamais songé à se demander, dans les nombreux débats qui ont eu lieu dans les parlements de l’Europe à propos des affaires asiatiques, si ces nations de l’Orient seraient meilleures, plus heureuses, plus riches, si on leur imposait des biens qu’elles ne demandaient pas. Tout ce qui était considéré était la question du marché pour l’Europe, et les pays européens se disputaient entre eux des avantages parmi les peuples orientaux.

    La lutte commerciale n’était pas entre l’Europe et l’Asie, mais entre les nations européennes plantées sur le sol oriental sans le consentement des propriétaires naturels de la terre. Des guerres ont même été déclenchées afin d’imposer l’ouverture du marché aux nations asiatiques, guerres souvent déclenchées par des peuples qui fermaient leurs propres marchés aux marchandises de l’étranger. Toutes les considérations qui sont considérées ici comme contraignantes ont été entièrement négligées dans les relations avec les peuples orientaux, et la Chine, par exemple, devait être obligée d’admettre dans son pays des marchandises étrangères qu’elle n’exigeait pas, et même détestait, tandis que, d’autre part, la plupart des nations occidentales se prémunissaient par des droits protecteurs et une législation contre la concurrence des marchandises chinoises et de la main-d’œuvre chinoise. Tout le courant des affaires signifiait la subordination complète de l’Orient à l’Occident, ce qui entraînait la disparition de l’Est et la substitution à ceux-ci des idéaux occidentaux.

    Cette substitution d’idéaux n’a pas fait de grands progrès à l’heure actuelle. Bien sûr, en Inde, on constate dans une certaine mesure une substitution des idéaux occidentaux au sein d’une certaine classe de la population. Un certain nombre de jeunes Indiens instruits à l’anglaise ont accepté avec enthousiasme les idéaux qui ont cours en Occident, mais les vastes masses du peuple indien n’en sont pas affectées. Non seulement la population agricole et artisanale, mais aussi la population riche de la culture de la pensée et de la littérature orientales restent indifférentes. Mais il faut se rappeler que les classes concernées sont les plus énergiques, celles qui ont le plus de pouvoir d’influence sur l’activité du pays, sinon sur sa pensée. Elles pèsent donc plus lourd qu’elles ne comptent. Leur nombre est relativement faible, mais derrière ces chiffres, le pouvoir de réflexion, l’intelligence vive, l’enthousiasme vif pèsent lourd dans la balance.

    En Chine et au Japon, les choses ont été quelque peu différentes. Le Japon a l’avantage que possède aussi l’Angleterre, celui d’être un empire insulaire. Cela lui a permis de rester dans ses propres frontières, tout en pouvant y importer tout ce qu’elle voulait des pays occidentaux. L’occidentalisation du Japon a semblé à un moment donné presque complète, et c’est ce triomphe des idéaux occidentaux qui a rendu absolument nécessaire le rétablissement de l’équilibre. Car l’occidentalisation complète du Japon aurait provoqué une forte réaction sur les autres nations orientales, et le Japon, tirant comme il l’a fait – comme l’a bien souligné l’un de ses principaux écrivains – tous ses idéaux de vie de l’Inde, aurait été un puissant facteur d’occidentalisation de l’Asie s’il avait complètement abandonné ces idéaux.

    La Chine, affectée sur ses côtes, ne l’était pas du tout dans ses terres intérieures. Elle y conservait ses anciens enseignements et sa vieille morale, mais la question se posait, avec l’installation d’un empire armé sur ses côtes, de savoir s’il lui serait possible de conserver cet isolement alors que l’Europe bordait pratiquement son pays de colonies sous domination européenne. L’heure était critique. Ceux qui guident les destinées humaines voyaient que les idéaux orientaux risquaient d’être piétinés et que l’Occident n’écouterait que les leçons imposées par la main de fer. Il fallait changer l’équilibre, et il est en train de changer sous nos yeux.

    Quels sont donc ces idéaux orientaux considérés comme si importants par les grandes Intelligences qui guident les destinées des nations ? L’un des principaux idéaux orientaux est que le monde est sous un gouvernement divin, que les destinées des nations sont guidées par le monde invisible. Dans les pays orientaux, les mondes invisibles jouent toujours un rôle immense dans le drame de la vie humaine, que ce soit sous la forme du culte des ancêtres, si répandu au Japon, ou sous cette même forme, l’une des grandes croyances dominantes de la Chine ; que ce soit sous une forme modifiée de cette même idée dans les sacrifices quotidiens aux Pitrs en Inde, ou sous la forme de la reconnaissance d’Intelligences non humaines, telles que celles qu’on appelle en Occident les Anges ou les Archanges. On reconnaît ainsi qu’il existe une action très puissante, constante et directrice exercée sur le monde des hommes par des Intelligences surhumaines qui n’appartiennent pas à l’évolution humaine.

    Cette croyance est universelle en Occident. Ce n’est pas une simple croyance de façade, c’est une croyance active et concrète reconnue dans la vie ordinaire. Si en Occident, des hommes politiques, discutant d’une question de politique publique, parlaient de l’influence des anges comme d’un des éléments avec lesquels les politiciens doivent compter, vous pouvez imaginer le genre de commentaires qui seraient publiés dans les journaux le lendemain matin ; mais en Orient, c’est naturel ; le travail des Devas, comme les Indiens appellent les anges, fait partie du travail reconnu du monde, et chaque nation a son dirigeant dans le monde invisible, qui guide les dirigeants sur le plan physique. Combien différente est l’attitude envers la vie chez les peuples qui considèrent ainsi les intelligences surhumaines comme intervenant constamment dans les affaires humaines. Nous retrouvons bien sûr cette croyance chez les Juifs d’autrefois, où ils parlent des anges des nations. Nous trouvons des allusions à ces anges dans les Ecritures canoniques, parfois voilées sous le nom de Jéhovah ou Elohim, traduit au singulier Dieu, bien que pluriel en hébreu, l’hébreu n’entendant pas par là le Dieu suprême de l’univers, mais la divinité nationale tribale, telle que nous devrions appeler un archange à notre époque. Et cela est évident quand nous voyons que dans la bataille livrée par Israël contre des forces ennemies, il a pu chasser les habitants des collines mais non ceux des plaines, parce qu’ils avaient des chars de fer, et celui qui a pu vaincre les hommes des collines mais non ceux des plaines était le “Seigneur” ; pourtant, ce n’était certainement pas la divinité universelle qui a été contrecarrée dans ses tentatives par la simple possession par ses adversaires de chars de fer. Ainsi, parmi les premiers Pères chrétiens, en particulier chez Origène, vous trouverez de nombreuses allusions aux anges nationaux qui appartiennent à des peuples particuliers et non à l’univers en général. Il est vrai que de nos jours, dans le monde occidental, le nom de Dieu est très souvent invoqué dans les conflits nationaux, et chaque nation revendique cette aide comme lui appartenant en propre. Mais j’ai entendu l’autre jour un petit garçon faire une remarque qui me semble montrer une compréhension plus juste de la relation de Dieu à l’homme que bien des déclarations faites par des dirigeants et des hommes d’État, lorsqu’ils prétendent que le succès de leurs armes est la preuve de la faveur divine du Seigneur de tous. En effet, entendant ses aînés discuter de la guerre en cours, et entendant une divergence d’opinions sur la question de savoir si Dieu était du côté des Japonais ou des Russes, il intervint de sa jeune voix et dit : « Je ne pense pas que Dieu combatte pour les Japonais ou les Russes ; je ne pense pas non plus qu’il combattrait pour nous si nous allions en guerre, bien que nous le lui demandions bien sûr ; car Dieu n’est contre aucune nation, mais il est pour tous. » Que le gouvernement divin soit exercé par ces diverses agences subordonnées, qui luttent souvent entre elles comme les hommes sur le plan physique luttent aussi, est une opinion profondément ancrée dans la fibre même de la pensée orientale.bien qu’il ait disparu de l’Occident. .Et cet idéal des mondes invisibles se mêlant aux affaires des hommes était un idéal qui devait être sauvé.

    Cette conception d’un gouvernement divin façonne l’idée orientale du gouvernement humain ; on pense toujours qu’il émane d’en haut et non d’en bas. L’idée selon laquelle un roi gouverne par la voix du peuple plutôt que par l’autorité divine ne fait que commencer à faire son chemin dans la pensée orientale parmi les nations influencées par les idées occidentales. Le résultat de l’idée selon laquelle celui qui siège sur le trône gouverne par nomination divine et non par suffrage humain est que dans tout l’Orient, la responsabilité du supérieur pour le bien-être du inférieur est une pensée bien établie et définie. On la retrouve dans toute la littérature, bien qu’elle soit en voie de disparition aujourd’hui. Confucius, à qui un roi demandait pourquoi les voleurs étaient si nombreux dans son pays, répondit : « Si vous, ô roi, viviez honnêtement et justement, il n’y aurait pas de voleurs dans votre royaume ». De même, dans toutes les anciennes lois de l’Inde, on trouve le roi, le gouverneur, le dirigeant, jusqu’au plus petit fonctionnaire de village, tenu pour responsable du bonheur, de la santé et de la prospérité du peuple qu’il gouverne. D’où la difficulté, dans les temps anciens, de trouver quelqu’un qui veuille bien prendre la direction d’un district, d’une ville ou d’un village. La hiérarchie dirigeante, jusqu’au roi lui-même, tenait pour responsable du bonheur des gouvernés un lieu qui n’était pas un lit de roses et où l’on trouvait moins de satisfactions pour l’orgueil que de demandes de temps et d’efforts. Car, si grand que fût le pouvoir du roi dans les pays de l’Est, il y avait toujours une chose qui se tenait derrière son trône, administrée par des dirigeants invisibles. Cette chose est désignée par le mot Danda, et Max Müller le traduit par « punition » dans sa traduction des Institutions de Manu. Mais je crois que la traduction correcte serait le mot « Justice » ou « Loi », plutôt que « punition » – la Justice étant considérée comme un Deva gouvernant les rois plus sévèrement que les peuples, de sorte que lorsque le roi allait à l’encontre de la Justice, la Justice le coupait. Ainsi, vous avez le fameux avertissement que vous pouvez lire, sorti de la bouche d’un homme d’État hindou à un jeune monarque, où il lui est recommandé de redouter par-dessus tout les cris des faibles. « La faiblesse », dit l’homme d’État mourant, « est le pire ennemi des rois. La malédiction des faibles, les larmes des faibles détruisent le trône de l’oppresseur. » Et cette pensée traverse toutes les vieilles théories du gouvernement en Orient ; de sorte que même aujourd’hui, en Inde, s’il y a une famine, une peste, une épidémie, c’est le gouvernement qui en est tenu pour responsable par les masses populaires. La vieille idée est que tout malheur national est la faute des dirigeants qui ont négligé leur devoir, et non la faute des gouvernés. Une telle idée est tout à fait hors de portée de la pensée d’un penseur ou d’un homme d’État occidental ; et pourtant, pour la sécurité de l’Empire indien, il est nécessaire de comprendre la pensée du peuple indien, et pas seulement celle de l’Occident.et de faire face à cette pensée à mesure qu’elle se répand dans les esprits des vastes masses de la population ignorante, ignorante des coutumes occidentales, mais non ignorante de leurs propres traditions.

    Passons de ce point de vue au grand idéal suivant que nous trouvons en Orient, qui découle naturellement de cet idéal de la responsabilité des dirigeants envers les gouvernés : l’idée du devoir. Le mot « devoir » n’a pas la même force que le mot sanskrit « dharma » qui signifie bien plus que cela. Il signifie la loi de tout son passé, par laquelle l’homme s’incarne dans le lieu pour lequel son évolution le rend apte ; la loi qui, l’y plaçant, l’entoure de tous les devoirs nécessaires, par l’accomplissement desquels se fera sa prochaine étape d’évolution. Tout cela est contenu dans le mot indien « dharma ». En venant au monde, avec le passé derrière nous, nous sommes guidés vers des environnements inadéquats. Dans les devoirs imposés à l’homme par cet environnement se trouve son meilleur chemin d’évolution. S’il les accomplit bien pour le progrès de l’âme, s’il les néglige, le progrès lui devient impossible. C’est pourquoi l’idéal social et politique des nations orientales est construit sur le devoir, pour prendre un terme plus restreint. L’idéal ici, bien sûr, est celui des « droits ». L’homme a certains droits dès sa naissance ; cette idée a fait la révolution américaine, puis la révolution française, et est devenue plus tard encore la pensée fondamentale des écrivains politiques et économiques du début du XIXe siècle ; mais cette idée de droits n’existe pas en Orient. Elle a sa place dans l’évolution, mais c’est un idéal de combat, de compétition, absolument nécessaire, avec tous ses accompagnements indésirables, comme étape du progrès de l’humanité ; mais c’est l’antithèse même de l’idéal oriental, qui voit l’homme entouré de devoirs et est pratiquement aveugle à ses droits. Aucun homme qui suit un idéal oriental ne dit : « J’ai le droit d’avoir ceci ou cela ». Le devoir, oui, le devoir envers tous ceux qui l’entourent, envers ses inférieurs, ses égaux et ses supérieurs, mais toujours le devoir, et il n’y a pas d’excuse pour manquer à son devoir parce qu’un autre a manqué à son devoir envers soi-même. De là naît une attitude entièrement différente envers la vie ; de là la facilité avec laquelle il est possible de gouverner les peuples orientaux. Je ne défends pas l’un ou l’autre idéal, mais j’essaie simplement de nous faire prendre conscience de la différence profonde entre les deux et de la valeur que cet idéal du devoir peut apporter au monde, afin qu’il ne disparaisse pas complètement de l’esprit des hommes. Ce qu’il peut faire, incarné dans une nation, nous l’avons vu dans les triomphes du Japon.

    De cet idéal naît une autre idée : le caractère relatif de toute moralité. Un homme né dans un certain milieu de devoirs trouve sa propre moralité dans l’accomplissement des devoirs que lui impose son milieu. Sa moralité variera donc selon sa position, selon son stade d’évolution. Aucun sage ou penseur oriental ne rêve d’établir un idéal moral commun à tous ; c’est une fantaisie purement occidentale, qui ne fonctionne pas très bien dans l’ensemble. En Orient, la caste des combattants aura son propre ensemble de devoirs et sa propre moralité ; la caste des enseignants aura ses propres devoirs et sa propre moralité, très différents de l’humilité du combattant ; la caste des marchands aura ses propres devoirs et sa propre moralité ; et le paysan et l’artisan auront leur propre code moral et leurs propres devoirs. Le serviteur a son code spécial, qui comporte relativement peu de devoirs – obéissance, honnêteté et bon service – mais ceux qu’il doit remplir avec soin. En dehors de cela, ce qui serait mal voulu n’est pas considéré comme mal pour lui. Les autres parties des codes moraux trouveront leur accomplissement dans les vies qui restent à vivre. Rien ne presse. Nous n’avons pas besoin d’essayer d’atteindre la perfection universelle en une seule vie – la plus impossible de toutes les tâches impossibles. Si nous apprenons les devoirs propres à notre stade et les accomplissons bien, notre progrès est assuré. Le code moral variera donc à chaque stade. Je vais prendre un exemple courant. Un homme en Inde abandonne tout, est devenu ce qu’on appellerait en Occident un moine du type le plus extrême de pauvreté. Il ne possède rien ; il a donné sa vie au service du monde, et ceux qui guident le monde dirigeront cette vie. Il n’a qu’à donner. Il n’a plus à se soucier de sa propre vie. Cette vision d’abandon absolu va de pair avec le devoir d’innocuité absolue. Il ne doit pas toucher une vie qui partage le monde avec lui. Le serpent venimeux ne doit pas être tué, le tigre ne doit pas être blessé. Il ne doit utiliser aucun pouvoir de la vie abandonnée pour la défendre contre l’attaque d’une autre créature ; car si le serpent ou le tigre viennent à lui et le tuent, il vient comme un messager de derrière le voile pour lui dire que son service dans ce corps est terminé. Mais la même règle ne s’applique pas au chef de famille, à l’homme qui a des enfants à garder, des serviteurs à protéger, des animaux qui font partie de sa maison. En tant que gardien des vies plus jeunes et plus faibles, il doit se tenir entre elles et le péril, et il est tout autant de son devoir de tuer le serpent intrus, s’il les menace, que du devoir du Sannyasin de le laisser passer sans lui faire de mal. De là naît une grande confusion dans l’esprit occidental lorsqu’il lit des livres orientaux, car ils lisent, comme obligatoires pour tous, des idéaux qui, en Orient, sont liés à leur propre stade d’évolution – une doctrine qui trouve peu d’acceptation en Occident. Et naturellement, il en est de même chez les chrétiens modernes, car le Sermon sur la Montagne est présenté comme l’idéal moral,Mais cet idéal de non-résistance appliqué à l’homme ordinaire est impossible et donc négligé. Quand un homme comme Tolstoï l’applique à tout le monde, on dit de lui qu’il est un « excentrique ». Il est certainement très imprudent. Aucun État ne pourrait vivre sur un tel fondement, faux aussi bien pour le citoyen que pour le voleur, vrai seulement pour le saint. L’ancien archevêque de Peterborough a dit qu’une nation fondée sur le Sermon sur la montagne s’effondrerait très vite. Mais alors n’est-il pas dommage de faire du Sermon sur la montagne un principe obligatoire pour tous les chrétiens ? Car le résultat est que, dans la mesure où ils savent que c’est impossible pour eux, cela les conduit à professer du bout des lèvres une croyance qui ne guide pas la vie. La vision de la relativité de la morale est un autre des précieux idéaux orientaux qui peuvent alors avoir quelque chose à faire et à dire en Occident.

    Le dernier grand idéal de grande portée que je puisse aborder ici est celui de ce qu’on appelle aujourd’hui la « vie simple » et la pauvreté volontaire. Il faut qu’une nation ait un certain niveau de position sociale. Dans la plupart des nations occidentales, depuis l’époque féodale, le niveau de position sociale est le niveau de naissance. Ces dernières années, ce niveau s’est largement mêlé au niveau de l’argent, en partie parce que les grandes richesses recevaient souvent un titre qui plaçait leur propriétaire parmi ceux dont les titres leur étaient parvenus par une longue lignée, et en partie parce que, avec le luxe croissant de l’époque, la richesse pesait de plus en plus lourd sur la distinction sociale. Le résultat de cette situation se manifeste largement dans la vulgarisation de la société, dans la perte des manières nobles, majestueuses et dignes. Un homme qui fait une immense fortune n’a en règle générale ni le temps, ni les loisirs, ni le goût pour la culture des facultés mentales les plus délicates, ni pour les grâces qui vont de pair avec une culture qui a traversé les siècles. Et ainsi, peu à peu, dans le monde occidental, un nouvel étalon s’impose face à l’étalon de la naissance : l’étalon de la grande richesse. La société s’adapte à ces nouvelles conditions.

    Les manières de la grande dame d’autrefois sont bel et bien révolues, et la voix forte, le rire bruyant, les gestes familiers ont remplacé le ton doux, le rire bas et musical, l’attitude courtoise mais majestueuse des chefs de la société, quand une clé d’or n’ouvrait pas toutes les portes. Et ce changement signifie beaucoup, car

    Les manières ne sont pas vaines, mais le fruitd’une nature loyale et d’un esprit noble.

    L’aristocratie doit être la gardienne de manières majestueuses, d’une tenue digne, d’une culture artistique, d’une vie simple ou fastueuse, selon la convenance de l’occasion, l’exemple permanent du « bon goût ». L’automobile ne le symbolise que trop bien, fonçant à toute allure, insouciante de sa vie et de ses membres, criant sa priorité de façon discordante, cliquetant bruyamment et haletant furieusement, sans se soucier de tout autre confort que le sien, répandant poussière et odeur nauséabonde sur tout ce qui se trouve derrière elle.

    En Orient, la richesse n’a jamais été considérée comme la norme de la considération sociale ; au contraire, l’accumulation des richesses était l’œuvre de la troisième caste, et non de la deuxième ni de la plus élevée. Les castes guerrière et enseignante n’avaient pas pour devoir d’amasser et de conserver des richesses. Le guerrier devait être généreux et splendide. Vous pouvez encore trouver en Inde un immense étalage de richesses chez les dirigeants et les princes lors des occasions officielles ; mais entrez dans leurs maisons quand il n’y a pas de grande cérémonie, mêlez-vous à eux dans leur vie domestique et vous y trouverez une vie simple – la splendeur pour les cérémonies du rang, la simplicité pour le service au foyer. Et lorsque de la caste guerrière et de sa splendeur publique vous passez à la classe des érudits, alors la richesse est considérée comme une honte, non comme un motif d’orgueil. « La richesse d’un enseignant, c’est son savoir », est-il écrit. Et la considération sociale, vous devez vous en souvenir, est allée à l’enseignant, non au millionnaire, de sorte que le millionnaire et le prince se prosternent tous deux aux pieds de l’homme à moitié nu mais érudit. Cela donne un niveau de vie sociale entièrement différent, et cela fonctionne encore aujourd’hui, malgré tous les changements qui ont eu lieu dans la vie indienne. Le mode de vie ordinaire, si semblable dans les différentes classes, rassemble ces différentes classes d’une manière dont on n’aurait jamais rêvé en Occident. Vous envoyez chercher un homme en Inde pour vous vendre un châle. Il entre dans votre chambre et s’assoit sur un tapis près de vous. Il joue avec vos enfants, il parle avec vous comme un ami avec un ami, jusqu’à ce que le coolie vienne avec les châles parmi lesquels vous pouvez choisir. Il n’aurait jamais songé à prendre ce qu’on appelle ici une liberté ; il est trop bien élevé. Vous rencontrer de cette façon, ce n’est pas prendre une liberté, mais reconnaître une vie humaine commune. Et ainsi de suite ; et dans la mesure où les vêtements et la nourriture sont très semblables dans les différentes classes, sauf là où l’influence occidentale s’est répandue, on n’y trouve pas la même amertume et la même jalousie qu’en Occident, où la vie des pauvres est obligatoirement simple, et celle des riches luxueuse et compliquée. Les deux hommes, chez eux, ne porteront qu’un seul vêtement, plus fin dans un cas que dans l’autre, mais toujours le simple vêtement commun porté de la même façon ; tous deux s’assoient à leurs repas de la même manière, et la différence des repas n’est pas aussi grande qu’on pourrait le penser. Ce sont ces forces qui font que le raffinement général des gens se remarque en Inde. Vous pouvez rencontrer un homme qui n’est qu’un ouvrier, mais ses manières seront celles d’un gentleman. Un gentleman donne une pièce de théâtre dans sa maison, et n’importe qui peut entrer de la rue et partager l’amusement ; une partie de la salle est réservée aux invités ; la foule non invitée à l’extérieur est parfaitement bien élevée et satisfaite. Vous y trouvez du raffinement, car le standard pour tous est tellement semblable dans ces choses extérieures. Vivre luxueusement signifie vivre à la manière occidentale,et parmi la masse des gens, c’est plutôt un reproche qu’un éloge, bien qu’il y ait un désir croissant d’imiter, ce qui menace largement de corrompre la vieille simplicité de la vie indienne.

    Cette simplicité de la vie matérielle qui met l’accent sur la connaissance, le caractère, le service plutôt que sur la richesse, combien il serait bon que les nations occidentales la connaissent aussi dans une certaine mesure ! La concurrence effroyable, la multiplication sans fin des articles de luxe, l’encombrement des maisons par des meubles inutiles et l’accumulation sur ces meubles de bibelots encore plus inutiles, de sorte que lorsque vous entrez dans une pièce, celle-ci ressemble plus à un bazar qu’à une pièce – toutes ces choses que vous voyez de tous côtés ne tendent pas à la beauté mais seulement à l’ostentation. C’est la vulgarisation de l’ensemble des peuples et leur abaissement à un niveau de vie inférieur. Cela signifie une concurrence accrue, une lutte accrue. Cela signifie que les pauvres deviennent plus pauvres tandis que les riches deviennent plus riches ; car cela signifie que le travail est transformé en des moyens inutiles, que de nouveaux besoins se multiplient et que de nouveaux objets sont conçus pour y répondre, jusqu’à ce que toute la vie devienne complexe et surchargée. Et bien que je ne demande pas que chaque vie soit aussi simple que la meilleure vie indienne, je dis qu’il serait bon pour l’Angleterre, et pour toutes les nations occidentales, que ceux qui seuls peuvent le faire – les riches et les haut placés, surtout les haut placés, encore plus que les riches – adoptent une noble simplicité et une beauté de vie digne, qui encourageraient le véritable art mais décourageraient l’ostentation oisive et remplaceraient l’ostentation par la beauté, et le luxe excessif par la simplicité.

    Revenons maintenant à mon point de départ. Ces idéaux de l’Orient étaient en danger de disparition. L’humanité ne peut se permettre de les laisser mourir. L’énergie, l’initiative et la volonté de l’Occident d’assumer ses responsabilités sont toutes bonnes pour la vie orientale ; mais l’Occident a aussi beaucoup à apprendre de l’Orient et beaucoup à lui enseigner. Le danger était que la puissance croissante de l’Occident en Orient ne tue ces grands idéaux qui changent l’attitude des hommes envers le monde et envers la vie en général. Et si l’équilibre est rétabli aujourd’hui, si sur terre et sur mer une nation orientale conquiert une nation occidentale, c’est parce que l’Occident n’apprend à respecter que là où la force armée peut lui tenir tête, et les idéaux orientaux n’ont aucune chance d’être méprisés et méprisés tant qu’ils ne sont pas élevés au sommet d’une main qui sait manier l’épée et se montre aussi forte sur le champ de bataille qu’elle l’est dans le royaume de l’esprit.

    LES DESTINÉES DES NATIONS

    Dans la dernière conférence, j’ai souligné que certaines grandes idées, nécessaires à l’évolution de la race, peuvent être considérées comme appartenant spécialement aux civilisations de l’Orient, et que ces idées risquaient d’être piétinées par les civilisations occidentales en progrès. Nous avons vu que cela constituait un danger pour l’humanité tout entière, les idéaux des civilisations orientales et occidentales étant nécessaires à l’avenir du monde ; et qu’il devenait nécessaire qu’une intervention précise ait lieu pour rétablir l’équilibre de la pensée. Je désire maintenant attirer l’attention sur la nature de cette intervention, montrer ce qui se cache derrière les destinées des nations et quelles forces guident le cours des affaires, afin que nous puissions voir à travers le voile des événements les forces qui les guident. Le grand drame mondial n’est pas écrit par la plume du hasard, mais par la pensée du Logos, guidant son monde sur la route de l’évolution. Au cours de cette évolution, de nombreux êtres sont concernés. Nous devons considérer ce monde comme une partie d’une chaîne de mondes étroitement liés entre eux, tous les habitants de ces différents mondes ayant quelque chose à dire dans les parties du drame qui se jouent dans chacun d’eux. Nous vivons tous dans trois mondes différents, et pas seulement dans un seul ; et que ce soit dans le monde physique, dans le monde suivant, l’astral, ou dans le troisième, le monde céleste, les habitants sont occupés à la conduite générale des affaires qui affectent les trois. La vie devient énormément plus intéressante lorsque nous reconnaissons qu’elle se façonne non seulement dans le monde physique mais aussi dans d’autres mondes, et que lorsque nous suivons les destinées des nations, nous découvrons que ces destinées remontent à l’arrière-plan, et que le déroulement dans le présent est largement conditionné par les énergies du passé.

    Examinons un instant le plan général de l’ensemble. Je le présenterai comme s’il s’agissait d’un grand drame écrit par une plume divine. L’histoire du monde et les différents rôles des acteurs sur la scène y sont tous écrits. Ce qui n’est pas déterminé, c’est qui seront les acteurs, et à cet égard, une grande part de ce que l’on appelle le choix intervient. Ce drame est la manifestation de certaines grandes idées de l’Esprit divin, idées inscrites, pour ainsi dire, dans les cieux ; car il est suggéré dans la pensée très ancienne que ce que nous appelons les signes du zodiaque ont un lien précis avec le cours des affaires humaines. Sur ce point, dans les grandes lignes, il n’y a aucun doute dans l’esprit de quiconque a pénétré un peu derrière le voile. L’importance de ces influences stellaires ne peut être surestimée ; En effet, dans la mesure où les êtres humains sont liés, par la composition de leur corps physique et de leurs autres corps plus subtils, aux mondes parmi lesquels ils se meuvent dans l’espace, il doit exister des relations magnétiques entre eux et le système dont ils font partie, et à certaines époques de l’histoire de l’évolution, il y aura telle ou telle influence dominante présente dans l’atmosphère dans laquelle les hommes pensent et agissent, et ils ne peuvent pas plus échapper à cette influence que leur corps ne peut échapper à l’influence du soleil lointain. Le grand drame, donc, est le grand plan de l’évolution humaine. Il est plein de rôles qui doivent être joués par les nations, mais pas nécessairement par telle ou telle nation ; car la nation se qualifie pour jouer un certain rôle qui peut être offert à plus d’une nation, et l’une ou l’autre peut se hisser à la hauteur de sa grande opportunité.

    Laissons cela de côté pour un moment et posons-nous la question des forces qui contribuent à adapter les acteurs aux rôles. Peut-on trouver, dans ce qui semble être le grand chaos des volontés humaines, une force directrice qui réunisse l’acteur et le rôle ? On ne peut pas avoir un drame aussi vaste que le processus mondial, comme l’évolution, et un grand fossé entre l’Auteur d’un plan aussi vaste et les acteurs individuels qui composent les nations et choisissent les rôles.

    Comment faire pour que le bon acteur soit mis en contact avec sa part dans l’histoire de la nation, dans l’histoire des naissances et des décès successifs des individus ? C’est le point suivant à saisir.

    Or, le vaste mécanisme qui permet de réunir les parties et les acteurs se trouve dans les hiérarchies d’intelligences suprahumaines reconnues dans toutes les religions du monde et dans l’enseignement occulte sur lequel elles sont fondées. Aucune grande religion du passé ou du présent ne voit entourer le monde et se mêler à ses affaires par de vastes hiérarchies d’intelligences spirituelles entre les mains desquelles est confiée la tâche de réunir les acteurs et les parties. Vous verrez, si vous vous tournez vers les religions des nations du passé, comment elles ont reconnu que ces mécanismes jouaient un grand rôle dans la formation pratique des destinées des nations. Pas un seul grand peuple de l’Antiquité n’a eu ses propres « dieux » nationaux.

    Le mot « Dieux » est cependant très confus dans la langue anglaise, car il s’applique non seulement à ces grandes armées d’Intelligences, mais aussi au Suprême, au Logos, l’Auteur du drame. Or, dans les nations qui ont d’autres religions que la religion chrétienne, cette confusion ne se produit pas. C’est lorsque le chrétien considère ceux qu’il appelle les « païens » que la plus grande confusion surgit, car dans toute leur vaste théologie il utilise le nom unique de « Dieu ». Et pourtant il pourrait facilement échapper à cette confusion en se rappelant que sa propre cosmogonie n’est qu’une reproduction des pensées plus anciennes de ces peuples plus anciens. En Orient, il existe un nom qui est utilisé pour ces Intelligences – le nom de « Devas », de la racine « div », qui signifie « briller » ou « jouer » ; « ceux qui brillent » ou « ceux qui jouent » serait la traduction anglaise. Lorsque Bunyan emploie si souvent le terme « êtres brillants », il emploie une expression tout à fait orientale, car c’est sous ce nom que l’Orient connaît cette grande hiérarchie de l’intelligence. Parmi les chrétiens et les musulmans, dont la religion s’inspire largement de la religion juive, on emploie le nom « Ange », les termes « Ange », « Archange », « Chérubins », « Séraphins », etc., étant représentés dans les religions plus anciennes soit par le mot « Deva » soit par un mot qui en dérive. « Dieu », au sens chrétien, est connu sous d’autres noms, et il n’y a pas de confusion.

    Dans toutes les religions anciennes, ces Dévas jouaient un rôle énorme, et chaque nation avait son propre groupe de Dévas. Les Égyptiens considéraient certaines Intelligences surhumaines comme leurs premiers législateurs, et le lien entre le législateur humain, le Roi divin, et le Dévas est toujours clairement marqué. Chaque civilisation prend naissance dans un petit groupe, en partie humain, en partie surhumain, vers lequel elle se tourne et duquel elle tire ses lois. Les Grecs avaient leurs Demi-dieux ou Héros, et leurs Dieux ou Dévas. Ainsi, chez les Chinois, les Perses, les Indiens, on retrouve la même idée selon laquelle la nation est fondée par le groupe qui contient le législateur humain et le Dévas qui a travaillé avec lui à la construction de la nation. Celse laisse entendre que les êtres « à qui était assignée la charge de surveiller le pays pour lequel on légiférait, ont promulgué les lois de chaque pays en coopération avec ses législateurs. Il semble alors indiquer que le pays des Juifs et la nation qui l’habite sont surveillés par un ou plusieurs êtres qui ont coopéré avec Moïse et ont promulgué les lois des Juifs » (Origène, Con. Cel. V, xxv).

    Les Rois Divins, les Héros, ont disparu, mais le Déva demeure toujours à la tête de chaque nation, une existence réelle dans les mondes astral et céleste, avec une foule d’intelligences moins développées sous sa main directrice. Et quand vous en arrivez aux Juifs, vous trouvez cette idée très clairement exprimée dans leurs écritures. Je m’arrête un instant sur ce point, car la phrase que je vais prendre de l’Ancien Testament, du Deutéronome, donne exactement l’idée que je veux prendre en considérant le déroulement des destinées d’une nation : « Quand le Très-Haut divisa les nations, quand il dispersa les fils d’Adam, il fixa les limites des peuples selon le nombre des anges de Dieu ; et la part du Seigneur fut son peuple Jacob » (Deut., xxxii, 8, 9, Septante). Pour beaucoup de lecteurs modernes, la dernière partie de cette phrase, « le Seigneur », peut paraître surprenante, car ils ont l’habitude de rattacher ce mot au Dieu suprême ; mais nous pouvons voir d’après l’ensemble de la phrase que c’est le nom « Très-Haut » qui indique le Logos, le Dieu manifesté, et il « divise toutes les nations du monde selon le nombre des anges, et à un grand ange, « le Seigneur », il donne Jacob, Israël, comme sa part particulière. » Origène, en traitant de cela, fait allusion aux « raisons relatives à la nature de la nation » (Deut., XXXII, 8, 9, Septante). Il souligne que dans l’histoire grecque, « certains de ceux qui sont considérés comme des dieux sont présentés comme ayant lutté entre eux pour la possession de l’Attique ; tandis que dans les écrits des poètes grecs, certains de ceux qu’on appelle des dieux sont représentés comme reconnaissant que certains endroits ici sont préférés par eux à d’autres » (Cau. Cel. V, xxix). Il souligne ainsi qu’après ce qu’il considère comme la dispersion symbolique, lors de la construction de la tour de Babel, les différentes nations furent données à ces groupes d’êtres célestes (Ibid., xxxiv). Cette idée du « ministère des anges » est très générale chez les premiers chrétiens ; ainsi nous avons chez Hermas la vision de la construction d’une tour :

    « Et je lui répondis : Ces choses sont très admirables ; mais, madame, qui sont ces six jeunes gens qui construisent ?

    « Ce sont, dit-elle, les anges de Dieu, qui ont été institués les premiers, et à qui le Seigneur a confié toutes ses créatures pour les former, les édifier et les gouverner. Car c’est par eux que sera achevée la construction de la tour.

    ” Et qui sont les autres qui leur apportent des pierres

    « Ce sont aussi les saints anges du Seigneur ; mais les autres sont plus excellents que ceux-ci. C’est pourquoi, lorsque toute la construction de la tour sera achevée, ils festoieront tous ensemble à côté de la tour, et glorifieront Dieu, parce que la construction de la tour est achevée » (1er Livre d’Hermas, Vision iii, 43-46).

    Clément (1ère épître, xiii, 7) cite le texte cité plus haut. On notera aussi la remarque suivante faite par Satan au prince de l’enfer au sujet de Jésus : « Quant à moi, je l’ai tenté, et j’ai excité contre lui mon vieux peuple, les Juifs, avec zèle et colère » (Evangile de Nicodème, xv, 9). Les Juifs étaient sous Saturne, ou Jéhovah, selon Origène. La même idée est enseignée chez les musulmans. Ils considèrent que les anges prennent une part très active aux affaires des hommes. Et il est à peine nécessaire de vous rappeler que dans les grands poèmes épiques de l’Inde, le Mahâbhârata et le Ramâyâna, vous trouvez les Devas se mêlant aux affaires des hommes, de sorte que, lorsque de grandes querelles doivent être décidées, ils prennent manifestement part à la lutte, chacun luttant pour la tribu ou la nation particulière placée entre ses mains pour son évolution. Un correspondant de Bristol, M. Tudor Pole, m’a dit qu’il existe une vieille légende teutonique selon laquelle, à la veille du Nouvel An, tous les « dirigeants intérieurs », les anges des nations, se réunissent devant le Conseil des dieux pour recevoir leurs ordres pour l’année à venir ; chacun doit formuler sa requête quant au destin de sa nation au cours de l’année à venir ; le Conseil décide du rôle que chaque nation jouera au cours de l’année suivante, et les grands seigneurs sont consultés. Finalement, les dirigeants se dispersent, certains avec de la musique et de la joie, d’autres en pleurs, d’autres encore dans une grande agonie.

    En Grèce, les « dieux » et les hommes se mélangent souvent, et les Grecs, malgré leur philosophie, considéraient la chose comme réelle et non comme un conte de fées, bien que les philosophes grecs, comme les hindous et les bouddhistes, n’adoraient pas ces « dieux ». Dans le septième livre de l’Odyssée, nous lisons comment « Minerve rencontre Ulysse, sous la forme d’une jeune fille portant une cruche », et elle le guide jusqu’au lieu d’Alcinoos, un lieu gardé, à la manière atlante, par des chiens immortels d’or et d’argent, créés par l’esprit de Vulcain. Et il en est de même dans bien d’autres contes, écrits à une époque où l’esprit des hommes était moins aveuglé qu’il ne l’est aujourd’hui.

    Bien entendu, cette idée a disparu dans les temps modernes, et elle doit paraître un conte de fées aux lecteurs modernes lorsqu’ils mettent ces pensées en contact avec des choses qui peuvent leur sembler bien plus réelles : les luttes des rois et la politique du monde moderne. Et pourtant, derrière tout cela, les forces de coordination sont toujours continuellement à l’œuvre ; et lorsque vient le temps pour une nation de jouer un rôle triomphant dans l’histoire courante du monde, alors, bien des années avant le moment du triomphe, des âmes dévas qui sont aptes à la construire et à la guider dans la lutte à venir sont guidées vers cette nation par les âmes qui sont aptes à l’édifier et à la guider dans la lutte à venir. Et lorsque vient le temps pour une nation de sombrer dans l’histoire courante du monde, des âmes faibles, sous-développées, cruelles, tyranniques, qui se sont préparées à jouer de tels rôles dans le grand drame national, sont guidées vers l’incarnation. Gardons donc cette théorie à l’esprit : le drame d’un côté, cette grande agence de coordination de l’autre, qui guide les acteurs choisis par eux-mêmes vers les rôles qui leur sont assignés.

    Et maintenant, examinons quelques-unes des nations elles-mêmes et voyons dans quelle mesure les destinées qu’elles accomplissent s’accordent avec cette idée d’une main directrice derrière le voile. Prenons pour exemple la construction d’un puissant empire occidental, afin que la grande Cinquième Race, avec son évolution de l’esprit concret, puisse jouer son rôle dans le drame pour le bien de l’humanité tout entière. Et voyons, si nous le pouvons, si certains courants précis ne peuvent pas être suivis qui montrent un plan définitivement élaboré, et non pas le simple mélange des volontés chaotiques, des ambitions et des égoïsmes des nations.

    Peu à peu, cette partie de la nation se prépara à se placer au-dessus des autres nations du monde. La première nation à qui cette place fut offerte fut l’Espagne, qui s’y était préparée par une évolution très marquée et extraordinaire. Elle fut le théâtre d’un grand flot de connaissances qui se rattachaient à la philosophie grecque mourante et qui tiraient leurs riches réserves des écoles néoplatoniciennes. Dans le sud de l’Espagne, arriva la grande incursion venue d’Arabie, riche de toutes les connaissances apportées par les puissantes écoles de Bagdad, qui s’étendirent dans le sud de l’Espagne et de là dans toute l’Europe. Colomb fut envoyé vers elle, qui lui permit de déployer ses troupes conquérantes au-delà de l’Atlantique et de soumettre le Nouveau Monde à son sceptre impérial. Comment l’Espagne saisit-elle cette merveilleuse occasion ? Dans son sillage, l’armée de Colomb soumit le Mexique et le Pérou à sa domination et détruisit leurs anciennes civilisations, dépassées et prêtes à être détruites. Elle avait mis sur ses épaules la tâche de construire dans ce nouveau monde une civilisation fondée sur les bases solides laissées là par l’Atlantide, capable de soutenir l’édifice de la pensée et du savoir nouveaux. Chacun sait comment elle a laissé passer cette occasion ; comment elle a chassé de son propre pays les Maures et les Juifs, les héritiers du savoir, de la philosophie et de la science ; et comment, dans le nouveau monde, avec son avidité pour l’or, elle n’a pas fait attention aux peuples placés entre ses mains, mais les a piétinés jusqu’à les réduire en poussière. Ainsi, sa part dans le drame lui a été retirée et offerte à un autre peuple.

    Une autre nation se présenta à la course, une nation qui, malgré ses nombreux défauts, avait aussi de grandes vertus. L’Angleterre, étendant sa race au loin, soumit de plus en plus à son empire pays après pays. Elle obtint l’offre d’un empire mondial par un acte de droiture nationale : la libération des esclaves, accompagnée d’un grand acte de justice nationale qui ne sacrifia aucune classe, mais imposa le fardeau de la libération à la nation entière. En échange, ceux qui guidaient ses destinées se virent offrir la possibilité de dominer le monde. Toutes les nations qui tentèrent de s’établir dans cette grande terre de l’Orient, l’Inde, échouèrent l’une après l’autre, jusqu’à ce que la race anglaise y pose les pieds. L’histoire de cette installation n’est pas agréable à lire, et de nombreux crimes furent commis ; pourtant, dans l’ensemble, la nation essaya de faire de son mieux pour corriger les oppressions exercées en Inde – alors si inaccessibles – comme en témoigne son action envers son grand proconsul, Warren Hastings, lorsqu’elle le fit comparaître devant le monde pour ses mauvaises actions. Malgré ses nombreux défauts, elle a pu s’élever de plus en plus haut dans le monde oriental, en partie aussi parce qu’elle offrait, avec ses colonies et sa langue en expansion, l’instrument mondial le plus efficace pour diffuser la pensée de l’Orient sur les civilisations de l’Occident. Chacun sait jusqu’où cela est allé, comment dans toute l’Amérique du Nord, dans la lointaine Australasie, ainsi que dans son propre pays, la pensée et la philosophie orientales ont pénétré partout, de sorte que les trésors de la science sanskrite, si jalousement conservés jusqu’au moment où le moment était venu de les diffuser, se répandent sur toute la surface du globe.

    Les Êtres supérieurs qui guident la nation s’efforcent sans cesse, par des leçons sans cesse répétées, de faire comprendre à l’Angleterre que seule la droiture peut à long terme permettre à une nation de s’élever. Et à un moment critique, alors que le luxe devenait trop énervant, trop égoïste, la terrible leçon de l’Afrique du Sud a gravé dans la conscience anglaise la leçon selon laquelle le devoir et la justice doivent primer sur le luxe. Les feux du désastre ont enseigné à l’Angleterre une leçon qui, Dieu veuille, lui sera utile pour son avenir.

    Et puis se posa la question de savoir quelle nation devait être choisie pour élever les idéaux de l’Orient. L’Inde, à ce stade de l’histoire du monde, ne pouvait pas faire le travail nécessaire ; elle apprenait ses leçons sous un conquérant ; mais il y avait une nation en Extrême-Orient qui avait en elle la possibilité d’apprendre la leçon, et les Dévas de la nation commencèrent à s’efforcer de former dans cette île lointaine un peuple apte à la grande tâche d’élever la pensée orientale, de montrer que la conquête peut aller de pair avec la douceur et la maîtrise de soi, et qu’une nation peut devenir une grande puissance sans perdre le sens du devoir. Le travail commença par un changement dans l’éducation du peuple, qui pourrait rendre la nation consciente d’elle-même, et alors dans le sol ainsi préparé naquit un groupe d’âmes héroïques. Le Mikado du Japon, une âme puissante, capable d’incarner pour cette nation sa propre grandeur, capable d’utiliser un tel pouvoir qu’en un bref espace d’années il puisse transformer la nation, lui donner une nouvelle forme, développer en elle des forces inconnues, et en même temps faire apparaître une personnalité si merveilleuse que toute cette nation le regarde comme un dirigeant de droit divin, de la personne sacrée duquel découlent les pouvoirs qui se manifestent dans la nation, chaque triomphe reflétant une gloire nouvelle sur sa personnalité. Et autour de lui se rassemblent les grands, les uns après les autres, pour le travail d’élever la nation, jusqu’à ce qu’à chaque point important vous voyiez un homme d’État, un général, un amiral, apte à conduire le peuple de triomphe en triomphe. Un groupe d’âmes fortes est guidé pour s’incarner là, afin que la nation puisse accomplir sa destinée ; car aucune nation ne peut être grande si au centre il n’y a pas un idéal, une loyauté et un dévouement parfaits. Ce n’est pas une simple phrase du bout des lèvres, mais l’expression d’un sentiment profond dans le cœur du soldat et du général, lorsqu’ils remercient leur souverain pour la victoire sur le terrain et, avec la dévotion orientale, disent qu’il est le représentant de Dieu parmi eux.

    Jetez un coup d’œil à l’autre nation dans le grand duel qui se livre en Asie orientale et voyez avec quelle étrangeté la Russie, nation promise à un grand avenir, est guidée à travers la terrible vallée de l’humiliation. La préparation à cette partie calamiteuse du drame réside dans ce qui s’est passé avant, même dans les limites de notre propre vie. Il y a un moment, il y a vingt-cinq ou trente ans, où une merveilleuse occasion s’est présentée à la Russie. Bien que maladroite, la libération des serfs était motivée par une noble impulsion et il y avait une possibilité que cet acte puisse être utilisé à bon escient pour la nation et l’élever au lieu de la conduire au bord de la destruction comme cela a été le cas. Et alors, de nombreuses âmes nées à cette époque parmi les nobles de Russie firent une des plus merveilleuses choses que le monde ait jamais vues : ils se jetèrent hors de leur rang parmi les pauvres, les ignorants et les opprimés, les jeunes gens et les jeunes filles de la noblesse se donnèrent à l’élévation du peuple, non par une charité lointaine, mais par un merveilleux élan de sacrifice de soi. Et comment cela fut-il satisfait ? La divine compassion de ces jeunes gens et de ces jeunes filles fut satisfaite par la forteresse de Pierre et Paul, par les mines, les déserts et les neiges de Sibérie. Rien de plus terrible n’a été accompli par un gouvernement d’aucun peuple dans les temps modernes. Et terrible la Némésis. Poussés par le désespoir, leurs tentatives de s’élever en toute douceur se heurtèrent au knout et au cachot souterrain, à la famine pour les hommes, au déshonneur pour les femmes. Comment s’étonner que certains d’entre eux soient devenus fous ? Il n’est pas étonnant que certains d’entre eux, après des années de patience et de souffrances les plus cruelles, aient finalement répondu par la bombe au knout. Cet état de choses a été créé en premier lieu par la bureaucratie et non par les victimes. Des milliers et des milliers de ceux qui auraient sauvé la Russie sont morts sur les échafauds, ont été massacrés dans ces mines effroyables, jusqu’à ce que la patience des dieux soit enfin épuisée et que le moment soit venu pour le gouvernement d’apprendre que les gouvernements existent pour aider et non pour écraser leurs peuples.

    La Russie a donc choisi, par son passé, le rôle terrible qu’elle joue aujourd’hui sur la scène du monde. Contre elle se dressent toutes les forces qui font avancer le monde ; contre elle, du monde astral, les myriades qu’elle y a envoyées avant l’heure, tous ses martyrs, toutes ses victimes, luttent contre elle. D’où le bilan d’une défaite sans précédent. Et chez elle, la révolution, l’anarchie, les assassinats et les mutineries menacent de toutes parts son système gouvernemental, jusqu’à ce que la Russie ne puisse plus aujourd’hui fouler d’un bout à l’autre cette vallée de l’ombre de la mort ; et, le cœur douloureux, mais d’une main ferme, ses gardiens angéliques la guident à travers la défaite et le désastre, désireux que leur charge apprenne ses leçons quel qu’en soit le prix. Car, à ses yeux clairs, l’agonie de la nation pour le moment importe peu, à côté des leçons que l’on apprend au cours de cette agonie ; et jusqu’à ce que la tyrannie elle-même soit écrasée et que les dirigeants de la Russie apprennent leurs devoirs envers le peuple, elle doit encore fouler le pressoir du vin de la colère divine.

    Et voyez comme la Russie a été préparée à cela. Parmi tous ses dirigeants, pas un seul homme fort ; partout la faiblesse et l’incertitude, changeaient de politique à chaque instant. Remarquez le gouvernement de celui qui devrait être le père, mais qui est le tyran de son peuple – peut-être pas un homme mauvais en soi, mais totalement indigne de son poste. Il fait partie du destin d’une nation que, lorsque l’heure de sa fin sonne, rien d’autre que la faiblesse ne naisse dans ses classes dirigeantes, de sorte que ceux qui ne veulent pas gouverner correctement perdent le pouvoir de gouverner. Et sur ces terribles champs de bataille dont nous avons lu les comptes rendus dans la presse quotidienne, y a-t-il quelque chose de plus pathétique que le courage intrépide des soldats et l’incompétence désespérée des officiers ? Ce n’est pas que les soldats ne se battent pas, mais qu’ils sont dirigés par des hommes qui ne savent pas diriger.

    C’est ainsi que les nations sont dirigées d’en haut, et que dans la nation qui doit sombrer sont dirigés ceux qui, inévitablement, l’entraînent vers le bas. Il en fut de même en Espagne, où il y avait un roi enfant et aucun ministre capable de la guider dans la lutte contre Cuba et l’Amérique.

    Et comment sont choisis ces dirigeants ? Ils sont choisis par leur propre vie passée. Un homme est désintéressé, courageux et noble, et un tel homme, dans les innombrables choix de sa vie quotidienne, fait le choix du rôle splendide qu’il jouera plus tard dans l’humanité. Il en va de même pour ceux qui sont grands à l’extérieur, mais qui doivent jouer un rôle sordide. Par d’innombrables égoïsmes et en se préférant à eux-mêmes, en empruntant toujours le chemin le plus bas au lieu du plus élevé, ces hommes choisissent aussi leur rôle dans l’histoire.

    C’est ainsi que l’occultiste regarde l’histoire humaine et voit se préparer autour de lui, de tous côtés, les hommes et les femmes qui seront les acteurs de l’avenir dans les parties les plus importantes du drame mondial. Car personne ne nous impose un rôle quelconque, ni ne nous impose une place spéciale dans le drame mondial. Nous choisissons pour nous-mêmes. Nous nous construisons pour la gloire ou pour la honte, et comme nous le construisons, nous le serons inévitablement par la suite. Il s’ensuit que pour qu’une nation soit grande, ses citoyens doivent lentement édifier leur grandeur en eux-mêmes. C’est pourquoi la grandeur que vous voyez maintenant au Japon est une grandeur que vous pouvez reconnaître chez les hommes et les femmes ordinaires de ce pays, qui sont prêts à sacrifier tout ce qui leur est le plus cher pour le bien de leur pays et la gloire de leur chef.

    Il en est de même pour l’Angleterre, si elle veut remplir le rôle important qui lui est confié dans un avenir proche. Elle doit édifier ses fils et ses filles sur des modèles héroïques, en plaçant la droiture au-dessus du luxe, la pensée au-dessus du plaisir, en choisissant l’effort, l’héroïsme, le sacrifice de soi dans la vie quotidienne, et non les plaisirs mesquins, les petits luxes et les misérables satisfactions sensuelles, aucun grand édifice ne peut être construit avec des briques pourries, et aucune nation puissante ne peut être façonnée avec des matériaux de mauvaise qualité. Les destinées des nations reposent sur les foyers qui les composent, et les hommes, les femmes et les enfants nobles portent en eux la promesse de la grandeur nationale future. Et à mesure que nous améliorerons nos conditions de vie, des âmes plus élevées et plus évoluées naîtront parmi nous. Alors que nous avons des taudis et des endroits misérables, nous construisons des habitations pour des âmes peu évoluées, que nous attirons dans la nation. Sous la terre pousse la racine, d’où sortiront la fleur et le fruit, et pauvre science horticole qui place une racine pourrie dans le sol et attend d’elle une fleur parfaite et un fruit splendide. Si nous voulons que l’Angleterre soit grande parmi les nations et que sa destinée soit une destinée impériale au service de l’humanité tout entière, nous devons cultiver le sol du caractère, planter les racines saines d’une vie noble, juste et simple, et alors la destinée est inévitable, et la nation sera destinée à jouer un rôle impérial dans le drame du monde.