dim 16 mars 2025 - 04:03

Le latin donne du pouvoir (Par Laurent Ridel)

Membres du clergé, vitrail, cathédrale de Coutances (Manche)Dans la société ordonnée du Moyen Âge, revenait au clergé la mission de prier. Les membres des autres ordres — noblesse et peuple — pouvaient prier aussi, mais ils reconnaissaient que les prières les plus efficaces provenaient des clercs. En effet, ils faisaient partie des rares personnes à maîtriser la langue de communication avec le Ciel : le latin. D’un certain point de vue, le corps clérical ressemblait un peu à nos avocats : ils défendaient leurs « clients » auprès de Dieu en s’appuyant sur un savoir abscons.Lors des messes, le latin participait à rendre le culte plus mystérieux ; aux yeux des fidèles, le prêtre disposait comme d’un pouvoir magique en prononçant des mots étrangers.En 1523, un humaniste Jacques Lefèvre d’Étaples jette un pavé dans la mare : il publie le Nouveau Testament entièrement traduit en français. 
Bible de Jacques Lefèvre d’EtaplesJusque-là, seules des versions latines sortaient des presses. Cette traduction en langue « vulgaire » scandalise le clergé. Quel danger de mettre la Bible entre les mains d’incultes ! De nombreux fidèles ne risquent-ils pas de mal interpréter certains passages ? Derrière ces craintes, le clergé s’inquiète aussi de la remise en cause de son rôle médiateur entre le texte sacré et les fidèles. En 1525, le parlement de Paris est obligé d’intervenir et suit l’opinion des clercs : est interdite toute traduction de la Bible en français. Or, les fidèles en réclament, curieux d’entrer directement dans le texte. Alors naissant, le protestantisme répond à ce besoin. Dans les années 1550, Calvin publie la Bible française dite de Genève. Pour ne pas perdre davantage de coreligionnaires, l’Église catholique fléchit. En 1578, elle autorise sa propre version française : la Bible dite de Louvain. Un fait la rassurait peut-être : à cette époque, peu de gens savaient lire, même dans leur langue maternelle.La domination du latin ne s’effondre qu’à la suite du concile de Vatican II : les prêtres sont invités à prononcer leur messe en français. C’était il y a seulement une cinquantaine d’années. 
Le chapiteau de la duperie
Les sculptures dans une église peuvent nous paraître aussi du latin par leur sens obscur. Sur ce chapiteau, deux hommes se tiennent par les mains. Qui en déduirait que la scène est tirée de l’Ancien Testament et qu’elle représente une tromperie ? D’abord, faisons les présentations : – à gauche, le vieux Isaac, fils du patriarche Abraham ;– à droite son fils Jacob. C’est ce dernier qui est en train de duper son père en profitant de son handicap. Rebecca, sa mère, que l’on voit sur le côté du chapiteau, est à l’initiative. Pour comprendre cela, je dois remonter un peu le temps pour vous raconter l’une des histoires les plus incroyables de la Bible. 

Étape 1 : préparation du stratagème. Rebecca a un faible pour son fils Jacob, par rapport à son aîné Ésaü. Un jour, elle entend Isaac demander à Ésaü de chasser du gibier et de lui préparer un plat savoureux afin qu’il puisse le bénir avant de mourir. Rebecca saisit l’opportunité.

Étape 2 : le déguisement de Jacob. Rebecca prépare un plat similaire à celui qu’Isaac aime (elle le connaît bien). Ensuite, elle habille son préféré Jacob avec les vêtements d’Ésaü. En plus, elle couvre les mains et le cou de Jacob avec des peaux de chèvres pour imiter la forte pilosité d’Ésaü. Pendant ce temps-là, Ésaü est à la chasse. 

Étape 3 : la tromperie d’Isaac.C’est la scène du chapiteau. Jacob se présente à Isaac en se faisant passer pour Ésaü. Isaac est en fait aveugle. Regardez attentivement ses yeux. Ce sont de simples fentes.
Isaac ne voit donc pas la tromperie. Mais il entend encore bien : la voix ne ressemble pas à celle d’Ésaü. Méfiant, il lui demande d’approcher pour le toucher. Les peaux de chèvre le trompent. Isaac pense avoir le poilu Ésaü devant lui. 

Étape 4 : la bénédiction d’IsaacConvaincu, Isaac bénit Jacob, lui conférant la prospérité et la domination sur ses frères, dont le pauvre Ésaü. Lorsque ce dernier revient de la chasse et découvre la supercherie, il est furieux et jure de tuer Jacob. Pour sa sécurité, Jacob doit fuir chez son oncle. Mais la bénédiction extorquée à Isaac lui assurera une descendance nombreuse et la possession du pays de Canaan.Ce chapiteau très original se trouve dans l’abbatiale de Vézelay (Yonne). Par la même occasion, vous venez de comprendre l’origine de la maxime : « Qui va à la chasse perd sa place ». Eh ! oui, elle vient de l’histoire des frères Ésaü et Jacob. 
Portrait de famille
Nous venons de voir qu’avec la complicité de sa mère, Jacob a trompé son père. À mon tour d’essayer de vous tromper (au moins je vous préviens). Qui représente ce groupe statuaire ? 
Groupe statuaire dans l’église Notre-Dame-la-Grande à PoitiersOn croirait la Vierge portant son fils et entourée d’enfants.Vous y avez pensé ? Vous y êtes presque. Installé dans une église de Poitiers, ce groupe s’appelle une Sainte-Parenté. La femme adulte est en fait sainte Anne, la mère de Marie. Elle porte sa fille (couronnée)… qui porte elle-même un bébé emmailloté, Jésus. Le sculpteur rassemble donc 3 générations sans trop s’encombrer de vraisemblance : Marie, enfant, a déjà son bébé.
Continuons notre travail généalogique. Au pied de ce groupe, deux femmes se distinguent. Selon la légende, ce sont les autres filles de sainte Anne, Marie Salomé et Marie Clopas. Que de Marie !
Restent les enfants, qui sont les fils de Marie Salomé et Marie Clopas. Pour ne pas vous égarer, je me garde de vous en donner les prénoms. Retenez le plus connu, Jacques le Mineur. Cousin de Jésus, il sera un de ses apôtres. Ne le confondez avec Jacques le Majeur, autre apôtre, et patron des pèlerins. Au total, cette Sainte-Parenté, datée de 1500 environ, regroupe 10 personnages.Cet exercice d’identification vous a semblé facile ? Je vous propose de monter de quelques niveaux.
Le défi du patrimoine
Je vous soumets ce bas-relief. 
Saurez-vous identifier cette figure chrétienne ? Paradoxalement, la réponse est simple, car elle ne nécessite pas une grande culture religieuse. J’attends vos réponses. www.decoder-eglises-chateaux.fr

2 Commentaires

  1. Je me joins à Solange pour les remerciements….
    Pour le latin, quel problème ! Ancien enfant de choeur, connaissant par coeur la messe en latin, j’ai pu assiter récemment à une messe “en latin” (rite tridentin, ou de Saint Pie V) : quel enchantement, en fait par la foi des participants. Le latin fut la langue de l’emire romain, empire prerpétué par l’Église de Rome, qui l’a pris comme langue liturgique.
    Mais les Évangiles sont en grec, koöné de l’époque ! (langue liturgique gardée par les Églises d’Orient !). Et Jésus prêchait en araméen ! Alors s’il fallait avoir une vraie langue liturgique, ce serait l’araméen ! (on trouve encore qlq communautés qui le pratiquent tous les jours et à la messe en Syrie).
    Mais les théologiens le disent bien : le christianisme est universel, et n’a pas de langue liturgique ni sacrée ! Si l’arabe est la langue de Dieu, et du Coran, donc de l’Islam, le christianisme a toutes les langues !
    [pour les cathos : la preuve, la Vierge s’est adressé en français à Pomain, en occitan à Bernadette, en patois local portugais aux enfants de Fatima…]

  2. Marie-Madeleine ? Mon interprétation : elle est représentée les cheveux non voilés. Mais c’est très approximatif. Soutient-elle la colonne (qui serait Jésus) pour qu’elle ne tombe pas ou bien l’arrache-t-elle ? Prie-t-elle sur la vie brisée de Jésus ? Où se trouve cette sculpture, dans quel environnement iconographique symbolique?
    Je me joins à tous vos laudateurs pour vous exprimer, outre mes remerciements pour vos partages, mon enthousiasme à vous lire qui me fait avancer dans une région peuplée de géants de la pensée qui, baignés dans la lumière de leur esprit, m’éveille à la conscience de leur propre force.

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