ven 21 mars 2025 - 22:03

Le Principe Créateur et le Grand Architecte de l’Univers

Pourquoi n’y aurait-il pas quelque chose plutôt que rien du tout ?

La science repousse toujours plus les limites qui nous séparent de l’incompréhensible, du mystère, mais paradoxalement jamais autant de scientifiques ne se sont posé la question de la création. C’est pour cela que je vous propose de réfléchir sur la notion du « Principe Créateur » dont nous parlons en franc-maçonnerie, même si le sujet est insoluble pour notre petite compréhension et même si chacun a à priori sa propre définition. Vous comprendrez que je ne vais pas vous prouvez son existence ce soir, ni d’ailleurs vous apporter la preuve du néant, mais ce sera une occasion de confronter nos points de vue, de livrer mon ressenti et cela en corrélation avec notre rituel du 4e degré.

En 1875 le Convent de Lausanne adopte cette phrase :

« La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l’existence d’un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. »

Cette formulation, je vais dire générique, étant posée, n’impliquait pas que le franc-maçon devait obligatoirement épouser une foi en un Dieu personnel et transcendant. Cette orientation alors, plus politique qu’issue d’une conviction profonde, ouvrait clairement les portes de la franc-maçonnerie à des profanes orientés vers le déisme, ce qui correspondait aux évolutions sociétales, philosophiques et religieuses survenues à cette période. Ainsi donc, tout homme pouvait intégrer la Franc-maçonnerie et notamment le rite écossais ancien et accepté, dés lors qu’il reconnaissait l’existence d’un « Principe Créateur ».

Or, on constate que le postulat n’est pas si simple que cela.

Le déisme dont il est question, est en fait une représentation personnelle mentale reconnaissant l’existence d’une puissance supérieure, ou Principe Créateur, dénommé génériquement Dieu, et que nous Franc Maçons nommons le « Grand Architecte de l’Univers ». N’ouvrons nous pas d’ailleurs les travaux à sa gloire ?

Cette façon de penser rejette toute révélation, tout dogme à l’inverse des religions du livre qui affirment son existence.

En fait, le déisme, admet l’existence d’une puissance supra-humaine, au-delà de la terre, d’un absolu, d’un principe alors que le théisme n’admet pas, il s’estime sûr de ces postulats. Pour le théiste, ce Dieu n’appartient à aucune religion en particulier, il est créateur, unique personnel et transcendant. Il est libre de l’invoquer et de le servir selon les rites et traditions de chaque culture.

C’est en cela qu’il diffère du déisme. Ceux qui proposent l’athéisme comme réponse disent que l’univers est éternel, sans début et sans fin, voilà tout.

Le monde est sans explication et forcément il n’y a pas de loi morale, celle dont nous disons être soumis en Maçonnerie. Chacun peut vivre comme bon lui semble.

L’Être suprême ou Dieu, ne peut pas être l’auteur cette loi morale.

GADLU
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Il existe une autre voie, disons parallèle mais tout de même différente et qui représente le plus gros contingent actuellement, l’agnosticisme. Il prétend, quant à lui, que Dieu est inconnaissable. Il ne sert à rien de se mettre en quête ou en recherche de Dieu, il est et il sera toujours inaccessible à nos pauvres intelligences humaines. Il est conscient de son incapacité à dire quoi que ce soit à propos de ce qu’il est convenu de désigner par le mot Dieu. 

Les conclusions de l’agnosticisme et de l’athéisme, qui en est la forme la plus intégriste, sont cependant les mêmes : il ne sert à rien de croire à un Dieu, car on est incapable d’en prouver l’existence ; il ne sert à rien de se soumettre à une loi morale qui aurait comme auteur l’Être suprême, car on n’est pas certain que cet être-là existe.

Bref, l’agnosticisme arrive aux mêmes conclusions que l’athéisme : l’être humain n’a aucune obligation à l’égard d’un Être suprême qui est non existant ou inconnaissable. Pourtant, si peu qu’on y pense, l’Athée qui ne l’est pas par stupidité mais qui se trouve dans un état de non croyance après avoir retourné le problème de la vie et de la mort sous toutes ses faces et avec toutes les ressources de sa réflexion a fait, dans sa recherche de Dieu, un effort religieux incomparablement supérieur au croyant béat satisfait de tourner son moulin à prières.

On voit très bien d’ores et déjà la complexité de la pensée humaine et que tenter d’unifier les croyances et les convictions serait de nature conflictuelle.

Toutefois, ce que je viens d’exposer démontre l’ambiguïté, y compris au sein de nos rangs, de concilier idées et propos proches de l’agnosticisme, voire de l’athéisme pour certains, ou bien proches du dogme chrétien pour d’autres.

Voyons ce que nous pouvons expliquer sur les interprétations de l’existence ou non d’un principe créateur ?

L’homme dès la première manifestation de sa conscience, s’est interrogé sur ces fameuses questions : qui suis-je ? D’où je viens ? Où je vais ?

Il a observé ce qui l’entourait, fleurs, pierres, arbres, mer et s’est posé la question : qui a fait tout cela ? Comment et pourquoi ?

Il découvre l’infiniment petit, l’atome et l’énergie, l’infiniment grand, le soleil et la lune, l’ordre de milliers de planètes, l’infini et se demande qui a fait tout cela ?

« Quelque admiration que vous inspire le spectacle de l’univers, du microcosme au macrocosme, souvenez-vous que vous ne l’admirez qu’en proportion de votre faiblesse en présence de son immensité. Il n’y a d’admirable que la loi universelle qui régit toutes choses dans leur ensemble et chaque chose dans son détail. »

Rituel du 4e degré

Notre frère, le philosophe Leibniz est le premier qui, dans « les Principes de la nature et de la grâce (1714 »), a donné une réponse à cette question : Peut-il exister quelque chose à partir de rien ?

Cette question est au fondement de notre vision personnelle du monde. Elle est indéniablement de nature métaphysique et au cœur de notre questionnement existentiel.

L’analyse que Leibniz donne va lui permettre de formuler une réponse à cette question d’apparence insoluble. Le néant absolu n’est pas de ce monde puisqu’il existe des choses. Or s’il y a des choses, au lieu d’un « rien » plus facile, plus évident, il doit bien y avoir à cela une raison.

Cette raison, même si elle est inaccessible, doit être cherchée le plus en amont possible de l’existence des choses, à leur origine. Pourquoi y a-t-il eu création à un moment donné ? Tout naturellement Leibniz en vient donc à parler de Dieu. S’il y a des choses, il faut qu’il y ait une raison et cette raison se trouve en Dieu, le créateur.

Fort de l’idée que Dieu existe, qu’il est l’être suprême, et par conséquent l’être le plus parfait, Leibniz assure que le monde est ainsi fait parce que Dieu, dans son infinie bonté, a choisi le monde le plus parfait pour sa création, le meilleur des mondes possibles. 

Bien entendu, il ne s’agit pas de la pensée ambiante de notre époque. On voit bien que cette explication repose essentiellement sur la théorie qui précise que si la matière et l’être existent, ils ne peuvent être issus que du principe créateur.

Le monde n’existe pas parce qu’il a une raison d’exister mais parce qu’il n’y en a aucune qui s’oppose à ce qu’il existe. On peut noter la complexité de cette démonstration qui fait appel à la prédisposition de chacun à « croire » ou à ne pas « croire » !

L’athéiste quant à lui est persuadé que « la matière de l’univers est venue de rien et par rien » et que le Big-bang est un accident venu de nulle part.

Cette dernière théorie est battue en brèche par bon nombre de scientifiques qui posent la question de « l’avant-avant » et surtout comment des organismes vivants ont-ils pu évoluer à partir de l’inorganique et du non-vivant du Big-bang.

D’où et pourquoi la conscience est-elle venue ?

Les mythes de la création, les cosmogonies antiques sont rarement des créations du monde ex nihilo mais des créations à partir d’un chaos, d’un océan primordial.

Nous-mêmes, avons adopté la devise « ordo ab chaos » qui implique que nous reconnaissons l’action d’un Principe d’ordre, ce chaos d’où vient chacun d’entre nous, symbolise la désorganisation de l’esprit humain qui précède l’initiation et le cheminement vers une vie spirituelle dans la paix et la fraternité. Ce chaos qu’il convient d’organiser devient une source d’espérance pour celui qui est dans les ténèbres et qui aspire à la Lumière.

Ce que nous faisons en Loge n’est pas vraiment innocent. Le rituel maçonnique est un pont entre le visible et l’invisible. L’invocation du Grand Architecte de l’Univers nous fait passer du monde profane au monde sacré, elle nous relie à son énergie.

« Tout ce qui est en haut est comme tout ce qui est en bas. »

Table d’émeraude

Le symbolisme de cette ouverture, s’adresse au subconscient et non au conscient. Il permet d’atteindre une forme d’inconscient collectif qui est source de paix, d’harmonie et de connaissance de soi. En loge de perfection, nous tentons par notre travail, nos acquisitions de degrés de conscience et nos réflexions de réintégrer le principe créateur puisque selon la tradition Abrahamique la rupture, la chute ne serait pas irrémédiable.

C’est ainsi que l’initié entre dans le Temple pour finalement ordonner son chaos intérieur, créer son propre Temple intérieur devenir lui-même un principe créateur. Là, est le secret de la devise de Socrate :

« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les dieux ».

Le rituel nous dit que les symboles parlent et s’ils parlent, s’ils sont signifiants c’est qu’ils sont susceptibles de conduire à quelque vérité, même partielle et approchée. C’est pour cela que leur étude est capitale dans notre progression vers une forme de compréhension.

« La vérité absolue est inaccessible à l’esprit humain ; il s’en approche sans cesse, mais ne l’atteint jamais »

Rituel du 4e degré

À ce stade, il convient que je vous livre mon sentiment personnel aujourd’hui, qui peut naturellement évoluer comme pour chacun d’entre nous mes T\C\F\.

Alors, puis je vivre sans croyances ?

Certes une croyance quelle qu’elle soit ne peut être une certitude rationnelle, ce n’est qu’une conviction subjective, comme par exemple la croyance aux valeurs morales. Mais elle a le mérite de m’inspirer des règles de vie et même de fonder une éthique capable d’orienter et de structurer mon existence. Voyez comme peuvent se conduire parfois tant de gens qui affirment “ne croire en rien” ce qui est un mal caractéristique de notre siècle ! Le rituel nous dit :

« Telle la lumière que vous portez et que vous ne voyez qu’imparfaitement au travers du bandeau qui trouble votre vue, la Vérité est une lumière que l’homme perçoit plus ou moins confusément. Elle peut pourtant se révéler dans tout son éclat à celui qui veut ouvrir les yeux et regarder. »

Dans cette optique, il est toujours nécessaire de s’interroger sur l’au-delà de la vie et de la mort. On ne vit pas de la même manière si l’on croit que la mort est un pur anéantissement de l’être et de la personne ou bien si l’on pense que notre âme a des chances de survivre dans un espace inconnu et pourquoi pas, de poursuivre ailleurs sa progression vers la Lumière.

Est-ce que nous dirions:

« Les corps de nos Frères disparus ont rejoint les ténèbres, mais leur esprit brille encore »

si nous ne partagions cette espérance d’une survie future que toutes les symboliques initiatiques et religieuses nous ont toujours enseignée ?

L’homme a toujours inventé les dieux et les religions afin de donner du sens à son existence et de répondre au désarroi de notre finitude. Le principe créateur quant à lui est, me semble-t- il, une projection de notre esprit, de notre subconscient. Une mémoire retrouvée du principe initial.

C’est un symbole pour désigner l’inconnu, le mystère de la création. Nous sommes les fils spirituels du Dieu que nous avons crée. La devise « Deus Meumque Jus » (Dieu est mon droit) Dieu est dans cette expression le « Grand architecte de l’Univers » que chacun peut concevoir en totale liberté de conscience et pour certain seulement la loi qui régit la matière et la nature.

Toutefois, le principe créateur n’arrête pas de se manifester.
C’est toute l’énergie déployée autour et en nous depuis le noyau initial.
Pour moi, le principe créateur représente le « tout » et le « Un ».

Faisant partie de cet univers macrocosmique, ma petite vie microcosmique a en mémoire l’ADN du UN. Fabriqué à partir du principe créateur, je suis enfants de l’amour, fils de la création engendré par un homme et une femme (vous avez été crée à l’image de Dieu et à la ressemblance de Dieu) Être éphémère régis par notre temps humain et conscient de ma finitude, je perpétue la chaîne de la création.

La société, notre environnement, m’empêchent de décrypter cette mémoire que j’ai en moi, ce « Principe Créateur dupliqué ». L’introspection et la méditation m’invitent à m’en approcher mais aussi et surtout le chemin de l’initiation et de la perfection. La formule VITRIOL connue lors de l’initiation prend toute sa signification, elle nous montre que le grand cosmos est en nous et que c’est en nous que nous devons trouver des réponses.

La franc-maçonnerie nous enseigne que la construction de notre temple intérieur amène certainement à découvrir la vraie lumière.

« De même que la Lumière que vous portez et que vous ne voyez qu’imparfaitement, la Vérité est la Lumière placée à la portée de tout homme qui veut ouvrir les yeux et qui veut regarder. Le Devoir y conduit sûrement. »

Rituel du 4e degré

La croyance en un principe créateur, un architecte, un horloger est une démarche individuelle où la raison s’oppose à la foi.

Toutefois, l’évangile de Jean m’invite à lutter contre les ténèbres par la progression de ma lumière. Entre le croyant qui n’admet aucun doute et l’athée qui condamne toute croyance comme étant une interprétation infantile de l’histoire humaine, la démarche du rite écossais ancien et accepté me laisse une liberté de conscience. Car depuis mon initiation, c’est grâce aux légendes, aux mythes, aux symboles, à la transmission de frères initiés qu’est née et s’est développée en moi cette volonté de tenter de réintégrer le principe créateur par le chemin de la perfection. Et pourquoi pas, peut être, me feront-ils parvenir un jour dans la région où le ciel n’a plus d’étoiles parce que j’aurais rejoint cette lumière, là où mon âme, enfin paisible, aura trouvé son salut.

A chacun de nous de trouver la « Vraie lumière », de dévoiler son principe créateur ou pas…

« Mais rappelez-vous que nous sommes tous soumis à la grande loi universelle du Grand Architecte… »

Rituel du 4e degré

9 Commentaires

  1. la première des 3 nobles questions dans le rite noétique de mizraïm et memphis, exprimée dès l’initiation et jamais résolue au bout du chemin, mais autrement riche que les sempiternelles planches sur la laïcité

  2. Votre discours est fort bien construit et etayé par des extraits du rituel du 4eme degré. J’apporterai juste une remarque sur une erreur d’interprétation relative à la devise de l’Ordre : “Dieu et mon doit” et non “Dieu est mon droit”
    De ce fait sur ce point votre argumentation est discutable.

  3. Non le monde n’est pas parfait sinon il n’y aurait pas autant de violence entre les humains et sur les animaux.
    De quelle nature serait celui qui l aurait crée
    A part la théorie de la descente dans la matière pour expérimenter je ne comprends pas.
    Faut il faire souffrir des innocents pour comprendre la cruauté

  4. Bonjour Christian, n’étant pas moi-même maçon, j’ai sans doute moins souvent que d’autres l’occasion de faire une pause pour réfléchir à cette question en profondeur. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai particulièrement apprécié votre article. Aussi parce qu’il faut, me semble-t-il, une certaine dose de courage pour s’exprimer sur un sujet aussi personnel et, par nature, difficile à saisir. Je vous remercie donc d’avoir partagé cette réflexion, qui nous offre une précieuse matière à penser.

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Christian Belloc
Christian Bellochttps://scdoccitanie.org
Né en 1948 à Toulouse, il étudie au Lycée Pierre de Fermat, sert dans l’armée en 1968, puis dirige un salon de coiffure et préside le syndicat coiffure 31. Créateur de revues comme Le Tondu et Le Citoyen, il s’engage dans des associations et la CCI de Toulouse, notamment pour le métro. Initié à la Grande Loge de France en 1989, il fonde plusieurs loges et devient Grand Maître du Suprême Conseil en Occitanie. En 2024, il crée l’Institution Maçonnique Universelle, regroupant 260 obédiences, dont il est président mondial. Il est aussi rédacteur en chef des Cahiers de Recherche Maçonnique.

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