En littérature, l’expression fort volume désigne généralement un livre de grande taille, ici quasiment au format royal, et composée de nombreuses pages. Cette édition nous en offre 888 ! Une œuvre savante, toute en profondeur, certes mais lisible par tous, profanes et initiés, et accessible à un très large public. Un ouvrage de référence, comme un dictionnaire ou une encyclopédie.
Il n’en reste pas moins qu’il est, en langage familier un pavé – en langage maçonnique une pierre brute ou cubique… Mais la culture, pour qui veut s’instruire, est à ce prix. Riche au cœur et à l’esprit.
Si généralement, le dix-huitième siècle, communément appelé siècle des Lumières, s’étend de 1701 à 1800, période particulièrement transformatrice, non seulement pour la France mais aussi pour de nombreuses régions du monde, mais aussi et surtout pour l’Europe, les auteurs, Bernard et Monique Cottret*, le comprend entre 1680 – les années 1680 ont vu l’émergence de penseurs et d’écrivains qui ont jeté les bases du mouvement des Lumières qui allait dominer le dix-huitième siècle – et 1820 – la période après 1800 a été marquée par les conséquences et les retombées de la Révolution française.
Pourquoi est-il important pour le maçon d’aujourd’hui – certains d’entre eux n’ayant toutefois rien à dire et passant leurs temps à commémorer les 300 ans de ceci ou encore les 300 ans de cela – de bien connaitre et de mieux comprendre le XVIIIe siècle ? Pas seulement parce qu’il a vu la naissance de la première structure obédientielle – la Grande Loge de Londres et de Westminster en 1717 –, mais surtout parce que le XVIIIe siècle a connu un remarquable essor. Essor intellectuel et culturel où les idées concernant la raison, la science, l’individualisme et le progrès ont pris de l’ampleur. Un siècle qui a aussi connu la diffusion des idées maçonniques, avec notamment, une propagation des idéaux à travers l’Europe et les Amériques. Des idéaux comprenant, à la fois et déjà, liberté de pensée, égalité, fraternité et progrès social et exerçant quand même une influence notable sur la société de l’époque et sur certains événements historiques majeurs, tels les révolutions américaine et française.
Le prologue débute avec la dénomination, dans quelques langues européennes de la traduction du terme lumière en anglais, en allemand, en italien, en espagnol et en portugais, représentant ainsi toute la diversité dudit siècle sur le continent…
Les auteurs nous proposent une table des matières en trois parties. La première intitulée « La prise de conscience européenne – 1680-1750 ». En commençant par nous offrir les héritages de Bacon, Descartes, Spinoza et Richard Simon. La deuxième traitant des « Lumières militantes – 1750-1780 », en nous comptons l’épopée de l’Encyclopédie, ainsi, entre autres, que les trois grandes colères de Voltaire. Et une dernière intitulée « Lumières et révolutions – 1780-1815/1820 » ou souffle tout d’abord un vent d’Amérique, puis un prisme de tolérance tout en allant à la découverte des merveilles de la science avec le clan des physiciens et des chimistes. Pour balayer ensuite les différents apports de la Révolution française, avec notamment un « Lumières et Contre-Révolution », pour s’achever avec des « Lumières otages du politique entre 1814-1815/1820 ».
Dans la première partie, les auteurs abordent la prise de conscience européenne à l’orée du XVIIIe siècle jusqu’à son milieu. Comme une sorte de transition graduelle du baroque et de l’Ancien Régime vers le rationalisme et l’individualisme qui ont caractérisé le siècle des Lumières. Cette transformation s’est aussi appuyée sur la philosophie qui a commencé à s’orienter vers le rationalisme et l’empirisme. Des penseurs comme René Descartes et John Locke ont remis en question les anciennes vérités et ont posé de nouvelles bases pour comprendre le monde à travers la raison et l’expérience plutôt que la tradition et la foi. Nous pourrions aussi parler de l’émergence de la science, qui a débuté au XVIe siècle avec Copernic, mais aussi Galilée et Newton. Tous ces progrès (astronomie, physique, biologie, chimie) ont élargi la connaissance du monde naturel et humain. Nous n’explorerons volontairement pas les autres domaines tels l’économie, le commerce, la politique et ses gouvernances, les religions, la société, la culture, les arts et la littérature…
Bernard et Monique Cotret décrivent ensuite la période des Lumières entre 1750 et 1780, qui marque l’apogée du siècle des Lumières marquée essentiellement par un essor de la pensée rationnelle, une remise en question des traditions et une foi dans le progrès humain. Dans tous les domaines, notamment ceux précités précédemment. À noter que l’Encyclopédie, éditée par Denis Diderot et Jean le Rond d’Alembert, a symbolisé l’esprit des Lumières, visant à rassembler et diffuser la connaissance de l’époque à un public plus large.
Enfin, la dernière partie est consacrée à la période de 1780 à 1815/1820. Elle retrace un ensemble d’événements majeurs qui ont été influencés par les idées des Lumières et qui, à leur tour, ont transformé le monde de façon radicale. Cette ère est particulièrement connue pour les révolutions politiques majeures et les conflits qui ont remodelé les frontières, les gouvernements et les sociétés.
En premier lieu, la Révolution française (1789-1799) qui a renversé la monarchie absolue de Louis XVI, a mis fin à la féodalité et proclamé des idéaux de liberté, égalité et fraternité. Les Lumières avaient fortement influencé les leaders révolutionnaires, notamment avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Puis l’ère napoléonienne (1799-1815). L’Empereur diffusant certaines des réformes des Lumières à travers l’Europe avec ses conquêtes, bien que de manière contradictoire avec l’idéal des Lumières de la gouvernance démocratique. Il a modernisé les systèmes juridiques avec le Code civil et a cherché à rationaliser l’administration des territoires conquis. Napoléon a promu la science, l’éducation et a établi de nombreuses institutions qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Par ailleurs, les idées des Lumières ont également commencé à influencer les mouvements pour les droits des femmes et contre l’esclavage. Bien que ces mouvements aient pris plus de temps à se concrétiser, les germes de l’égalité et de la justice pour tous étaient fermement plantés pendant cette période.
De ce magnifique ouvrage, que faut-il donc retenir ? Qu’il nous faut, car sans cesse attaquer par tout obscurantisme – populisme, autoritarisme, fondamentalismes religieux de toutes sortes, mouvements antiscience, etc. – préserver et transmettre l’héritage du siècle des Lumières. C’est essentiel pour maintenir les valeurs de notre identité civilisationnelle européenne et « judéo-chrétienne » en général et maçonnique en particulier. Des valeurs telles que la rationalité, le progrès, la liberté, l’égalité, la fraternité et l’humanisme universel. Elles ont façonné notre monde moderne, sachons les préserver.
*Professeur émérite à l’université de Versailles-Saint-Quentin, spécialiste reconnu de l’histoire des mondes anglophones et de la Réforme protestante, Bernard Cottret (décédé en 2020) a consacré plusieurs monographies à des figures phares de la modernité (Thomas More, Calvin, Cromwell, Jean-Jacques Rousseau avec Monique Cottret, ou Karl Marx). De 1988 à 2002, Bernard Cottret fut membre du conseil scientifique de la Bibliothèque nationale de France. Nous lui devons plus d’une cinquante d’ouvrages, maintes fois réédités.
Monique Cottret est professeur émérite à l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense. Spécialiste du jansénisme et des mentalités modernes, elle a notamment publié La Bastille à prendre-histoire et mythe de la forteresse royale, Jansénismes et Lumières, Culture et politique dans la France des Lumières, Tuer le tyran ? Le tyrannicide dans l’Europe moderne, et chez Perrin, avec Bernard Cottret, Jean-Jacques Rousseau en son temps. Elle reçoit, avec son mari Bernard Cottret, le prix Pierre-Georges-Castex de littérature française de l’Académie des sciences morales et politiques 2006 pour leur livre Jean-Jacques Rousseau en son temps et, en 2016, le prix Madeleine-Laurain-Portemer de la même académie pour Histoire du jansénisme.
L’Europe des lumières 1680-1820
Bernard et Monique Cottret – Perrin, 2023, 888 pages, 30 €
L’illustration de la couverture représente la « Table ronde du roi Frédéric II à Sanssouci1 », une peinture, datée de 1850, de l’artiste Adolph Menzel Adolph von Menzel (1815-1905), peintre, graveur et illustrateur prussien.
1 Le palais de Sanssouci ou Sans-Souci est l’ancien palais d’été du roi de Prusse Frédéric II (1712-1786), dit Frédéric le Grand, ami des lettres, écrivain et philosophe, protecteur de Voltaire. Il est situé à Potsdam, dans le Land du Brandebourg, à vingt-six kilomètres au sud-ouest de Berlin.
Un très beau livre
Qui ajoute à une culture, dans un mauvais état .