
Étienne Kern, dans son ouvrage Le tu et le vous, l’art français de compliquer les choses souligne que le tutoiement et le vouvoiement « saisissent quelque chose de l’évolution de notre société, de sa complexité, des grands débats qui la traversent. » L’usage a certes évolué au fil des siècles. Même si le vouvoiement n’est plus aussi usité, les règles qui établissent ce qu’il convient de faire entre « Tu et Vous » ne sont pas aussi limpides.
Les origines de cette diférence de style dans l’apostrophe remontent à la fin du 3eme siècle lorsque l’empire romain traversait une période de crise. S’y multipliaient les revers militaires, l’instabilité politique…. Dès lors, l’Empereur Dioclétien cherchait une solution pour redonner prestige à l’autorité impériale et maintenir l’unité de l’Empire s’étendant de l’Orient à l’Occident.
Son idée s’en sortir la « tétrarchie ». De quoi s’agit-il ?
D’un gouvernement à quatre empereurs. Ainsi, à partir de l’an 293 et pendant plus de vingt ans, deux Augustes et deux Césars se partageront le pouvoir. S’appelaient-ils vraiment Auguste et César ? Non, Auguste et César sont des titres. Dans la réalité, les « Auguste » sont Dioclétien et Maximien. Et les deux empereurs chargés de seconder les deux premiers avaient pour noms Galère et Constance Chlore.
Les quatre se répartissent l’empire d’un point de vue géographique.

Dioclétien se consacre à l’Orient, Maximien à l’Afrique, l’Italie et l’Espagne, Constance à la Gaule et la Bretagne, tandis que Galère s’occupe de l’Illyrie et des frontières danubiennes. Quoi qu’il en soit, dans les cérémonies officielles, quand l’un des empereurs prenait la parole, il le faisait au nom des trois autres. Il disait donc « nous » . Par conséquent, on lui répondait « vous ».
L’historienne Christel Freu, professeure d’histoire romaine à l’Université d’Évry-Paris Saclay, dans l’émission sur France Culture Le Cours de l’histoire du lundi 9 septembre 2024 a confirmé ce fait : « Avant, on disait « tu » à l’empereur. Mais à partir du 4ᵉ siècle, on voit effectivement apparaître le vouvoiement, dans les actes administratifs, comme dans la correspondance privée. »
Entre Tu et Vous, lorsque il s’agit de s’interpeller en Franc Maconnerie, la forme prononimale à adopter est codée selon le rituel. Ainsi à la Grande Loge Féminine de France, dans les tenues et cérémonies officielles, le vouvoiement est usité entre les membres.
Ce vouvoiement respecte les usages établis dans la société française jusqu’au XVIIIe et respecte un sens pluriel : il est synonyme de « hiérarchie, verticalité, respect et non réciprocité ». Le vouvoiement installe effectivement une distance entre celui qui parle et celui à qui l’on s’adresse. Il fonde l’échange dans une altérité conscientisée. Par contre, passées les tenues, sur les parvis comme aux agapes, la simplicité est de mise : le « tu » ne s’occupe plus des grades et chacune s’appelle par les prénoms.
Dans d’autres obédiences la règle est identique mais il existe d’honorables obédiences où c’est le tutoiement qui est la règle universelle entre initiés quels ques soient leurs grades, le lieu et le moment. Ce tutoiement fonde l’importance de l’échange sur la fraternité, une « altérité » d’emblée affective.
Dans l’environnement maçonnique, avant et après une intervention, les formules de politesse sont la régle et donnent de la solennité au temps présent.
A travers ce court moment convenu pour leur énonciation, la Soeur ou le Frère en profite pour calmer les battements de son cœur et prendre souffle pour faire une intervention conforme aux règles de la rhétorique maçonnique. Avec le type de formules recommandées, difficile d’éloigner des présents dans l’assemblée ! Quantà la hiérarchie dans l’Ordre elle transparaît dans l’exergue.
Ainsi au plateau de l’Orateur ou de l’Oratice, toute prise de parole pour celui ou celle qui s’y rend pour donner « sa planche », commencera par la formule suivante :
V.M. et vous tous mes FF. en vos grades et qualités,
Version longue : V.M., V.M. d’honneur, Dignitaires qui siégez à l’Orient, et vous tous mes FF. en vos grades et qualités,
Dans les loges mixtes : V.M. et vous tous et toutes mes FF. et mes SS. en vos grades et qualités,
Dans certaines loges mixtes : V.M. et vous tous et toutes mes FF. et mes SS. en toute égalité.
Quant il s’agit de conclure la prise de parole, les formules d’usage sont rapides mais toujours courtoises :
- V.M., j’ai dit.
- V.M. et vous tous mes FF. et mes SS., j’ai dit.
Sources :
- Le tu et le vous, l’art français de compliquer les choses, Étienne Kern, Flammarion, octobre 2020.
J’avais présenté une planche sur cette question qui n’est pas anodine et traduit une vision de la l’égalité et la fraternité . Précision : je suis dans une Loge qui pratique le tutoiement (républicain) et c’est le vouvoiement qui me semblait étonnant en voyage.
Jules Boucher citait Fritz Uhlmann, Franc-Maçon Suisse et auteur d’un « Petit manuel de la Franc-Maçonnerie » qui voit dans le vouvoiement une barrière dressée entre les hommes et les Frères. Je cite : « L’idéal serait l’introduction obligatoire du tutoiement dans la loge, car cela garantit l’égalité de tous les frères et permet la naissance d’un véritable sentiment d’union. Les arguments que l’on fait valoir contre le tutoiement ne sont guère fondés et partout où l’on a introduit le tutoiement obligatoire, on a fait d’excellentes expériences. Si un homme a été jugé digne d’être reçu FM, il est également digne d’être mis sur un pied d’égalité avec tous ses frères. S’il se montre indigne du tutoiement, il est également indigne de rester dans la Loge. Celui qui refuse le tutoiement fait preuve d’une vanité fort déplacée dans notre milieu ».
« Ainsi au plateau de l’Orateur ou de l’Oratice, toute prise de parole pour celui ou celle qui s’y rend pour donner « sa planche », commencera par la formule suivante :V.M. et vous tous mes FF. en vos grades et qualités, » Pas forcément, chez nous au rite Français, celui ou celle qui prend la parole ne s’adresse qu’au Vénérable. Il dira donc « Très Vénérable…. » et ne s’adresse pas aux FF
Dans mon Atelier qui fait partie de la Grande Loge de Belgique et dans mes Ateliers des Hauts Grade qui font partie su Suprême Conseil de Belgique on vouvoie en Tenus et ont tutoie en chambre humide.