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Le Joyau et l’Infini gardé par la Franc-maçonnerie
Rendez-vous fut pris par Sir Archibald et Guido Lhermitt avec le Très Respectable Grand Maître de la Grande Loge Unie d’Angleterre, fondée en 1813, l’héritière de la Grande Loge de Londres et de Westminster dont le Duc de Montagu fut le 4ème Grand Maître. Ils s’annoncèrent, le comte sous ses titres nobiliaires et Guido sous ses fonctions à Interpol.
Freemasons’ Hall
La façade est imposante, avec ses colonnes corinthiennes et les fenêtres à arc. L’entrée principale est marquée par un grand hall et un escalier monumental.
Freemasons’ Hall n’est pas seulement un lieu de rassemblement, mais aussi un symbole de la Franc-maçonnerie anglaise. Le bâtiment incarne les idéaux de fraternité, de liberté et de tolérance, qui sont au cœur de l’organisation. Il représente aussi la continuité de l’histoire maçonnique en Angleterre, depuis sa fondation au XVIIIe siècle jusqu’à son influence actuelle.
L’intérieur du bâtiment est tout aussi impressionnant. Le Great Hall, la salle principale, est un espace vaste et élégant, utilisé pour les cérémonies maçonniques importantes. C’est une pièce de grande envergure, boiseries et sols en marbre bien sûr. Le plafond, chef-d’œuvre de l’Art déco. À ses coins, les quatre vertus cardinales — la Prudence, la Tempérance, la Force et la Justice — sont présentes, illustrant des vertus fondamentales de la Franc-maçonnerie et sept étoiles pour les sept arts libéraux.
Guido ne manqua pas d’en faire la remarque et un commentaire
– Les sciences libérales, entendons qui libèrent, sont pour les Grecs les neuf muses, filles de Mnémosis, qui présidaient aux arts libéraux : Histoire (Clio), Musique (Euterpe), Comédie (Thalie), Tragédie (Melpomène), Danse (Terpsichore), Élégie (Érato), Poésie lyrique (Plymnie), Astronomie (Uranie) et Éloquence (Calliope).
Lorsque Cicéron parle d’artes liberales, il ne s’agit absolument pas pour lui d’une liste de sciences en nombre déterminé : en principe, ces arts libéraux comprennent toutes les sciences qui sont dignes d’un homme libre. En fait, Cicéron fait un certain choix entre ces sciences ; ce choix ne coïncide pas du tout avec les sept arts libéraux qui nous sont connus par le Moyen Âge. Pour Cicéron, ce qui compte, c’est l’étude de la littérature grecque et latine, de l’histoire, de la philosophie (la dialectique comprise), de la rhétorique et du droit romain.
Christofle de Savigny publie en 1587 Tableaux accomplis de tous les arts libéraux, livre dans lequel il en répertorie 18 : arithmétique, géométrie, optique, musique, cosmographie, astrologie, géographie, physique, médecine, métaphysique, éthique, jurisprudence, chronologie, théologie, grammaire, rhétorique, poésie, dialectique. On en trouve davantage encore comme base de la connaissance.
Jusqu’au xviie siècle au moins, la conception des arts libéraux repose sur la définition proposée dès le Ve siècle par Martianus Capella dans son ouvrage De Nuptiis Philologiae et Mercurii, puis généralisée par l’enseignement scolastique médiéval, à savoir : sept disciplines réparties en deux divisions, le Trivium le Quadrivium. Les trois premières formaient le cercle d’études appelé Trivium, l’Intelligence, les arts de la parole. Les quatre autres, le Quadrivium,conduisent à l’approfondissement de la connaissance de la terre et du ciel.
En évoquant l’astronomie, Guido pensa à son ami Alexander et à sa visite de la bibliothèque d’Istanbul. Il savait qu’il avait gardé en lui le souvenir de l’incandescence de ses sentiments quoi qu’ait pu faire Amélie.
C’est dans la salle remarquable de la bibliothèque et musée de la Franc-maçonnerie que leur hôte les accueillit en leur serrant la main.
Physiquement, il est un homme de grande taille. Il a une silhouette élancée et se distingue par une posture droite, reflet de sa formation militaire à l’Académie royale militaire de Sandhurst. Avec l’âge, son visage s’est affiné, signe de vieillissement ainsi que ses rides prononcées et une peau très pâle. Le haut de son visage en occupe les trois quarts avec un crâne plus développé que la moyenne, un très grand front dégarni, un nez fin un peu allongé et des lèvres minces pincées. Ses cheveux, autrefois plus fournis, sont désormais clairsemés et de couleur grise. Il porte un costume en flanelle gris clair, cravate violine, chemise bleu pâle assortie à son regard.
Le Très Respectable Grand Maître, est l’un des membres les plus emblématiques de la famille royale britannique, non seulement pour son rôle royal mais aussi en tant que figure de proue de la Franc-maçonnerie moderne, un rôle qu’il exerce avec discrétion, mais aussi avec une grande détermination et un engagement manifeste envers les idéaux maçonniques en incarnant les principes fondamentaux de la Franc-maçonnerie : l’humanisme, la philanthropie, la tolérance et l’éthique.
Après quelques mots de courtoise prise de contact, c’est avec élégance et fierté qu’il présenta et commenta la collection exceptionnelle d’artefacts, de livres rares, et d’objets historiques liés à l’histoire de la Franc-maçonnerie, insistant sur des documents qui remontent à plusieurs siècles, offrant ainsi un aperçu unique des traditions maçonniques en concluant :
– Le symbole est le signe sensible au moyen duquel l’Artiste a exprimé sa pensée ; c’est le sacrement de l’incarnation de son esprit. L’artiste, par la méditation des symboles, devient réellement un conseiller spirituel, un conducteur d’âmes.
Le véritable objet des études en Franc-maçonnerie, « c’est pour ajouter à tout domaine de la sagesse [et de la concordance entre les humains]. Ce sont les grandes vérités, quant à tout ce qui concerne le plus l’homme, quant à ses droits, ses intérêts et ses devoirs, que la Maçonnerie cherche à enseigner à ses Initiés ». Bien sûr, ce n’est, qu’en si peu de temps, que l’essentiel de ce que l’on peut dégager de commun dans la diversité et la profusion des créations d’obédiences qui caractérise son évolution historique, politique et sociale à travers les différents pays où elle est implantée.
Puis, il emmena ses deux visiteurs dans son bureau où ils prirent place dans de profonds fauteuils victoriens Chesterfield en acajou et cuir noir. Aucune odeur de cigares ou de cigarettes ne polluait l’espace.
– Si je comprends votre démarche, vous voudriez m’entretenir des conclusions de vos recherches qui vous laissent penser que nous aurions en dépôt sans le savoir un secret qui pourrait changer le monde ? S’enquit le Grand Maître.
Sans un mot, Sir Archibald présenta alors la lettre non signée trouvée à Istanbul relatant la transmission du diamant par Léonard de Vinci et sortit, d’un petit coffret de protection, le morceau de tissu grisâtre lamé d’or terni découvert dans le livre de compte du château Lamothe.
Un long silence enveloppa les trois hommes, puis le rompant, Sir Archibald lui narra toute leur enquête depuis la menace de vol du tableau de Newton.
– Venez, je vais vous montrer… et le Grand Maître n’acheva pas en se dirigeant vers une lourde porte dissimulée dans sa bibliothèque qu’il ouvrit.

Ils pénétrèrent dans une petite salle où sur les murs se trouvaient plusieurs portraits dont celui de Sir John Braddick Monckton, qui fut président du conseil d’administration de la Grande Loge d’Angleterre, où à l’évidence la position des doigts de la main en était l’intérêt. Cela leur confirmait que la transmission du diamant s’était effectuée au sein de l’Institution maçonnique.
À l’intérieur de la pièce, une lumière étrange adoucissait jusqu’à l’air. Au centre de l’espace, sur un piédestal, sous une cloche pyramidale transparente au pyramidion et aux coins dorés, brillait le diamant. Un linge de lin blanc tissé d’or, parfaitement conservé, déchiré dans un de ses coins lui faisait une litière.
Le diamant est plus petit que Guido et Sir Archibald ne l’imaginaient, presque insignifiant, mais son éclat semblait renfermer les secrets de l’univers dans ses 70 degrés de fluorescence. Pur au-delà de la pureté, d’une lueur presque irréelle, dans sa transparence qui reflétait tout ce qui l’environnait, il semblait respirer d’un souffle suspendu, comme si le temps lui-même attendait qu’il réveille ses pouvoirs.
Le Grand Maître en ouvrit sa cage, le sortit en le prenant à deux doigts et le présenta.
– Voilà, nous en sommes les gardiens depuis que le jeune baron, comte de Salisbury l’ait transmis à sa descendance jusqu’à notre ancien Grand Maître le Duc de Montagu qui l’a confié au trésor de la Franc-maçonnerie. Nous attendions celui qui un jour apporterait le morceau de tissu/sumbolon prélevé. Et vous venez, non seulement de nous en éclairer l’origine, mais de vous faire reconnaître comme son destinataire.
Il le tendit à Sir Archibald qui le reçut dans sa main en creux comme un nid pour recevoir un oisillon. C’est avec une émotion d’infinie tendresse pour le gemme qu’il le caressa, à peine, en pensant à Lévinas et se tournant vers Guido lui fit signe de le prendre à son tour.
Guido le reçut, la main en supination, dans la position observée sur la fresque de la Cène. La pierre roula à la jointure du majeur et de l’annulaire. Dans un geste de protection, Guido replia légèrement ces deux doigts et, naturellement, ils s’écartèrent davantage des autres.
Aussitôt, ses pensées lui échappèrent et ça pensa pour lui depuis le diamant qui irradiait une lumière semblant exister par elle-même, un être lumineux sans source, baignant l’ensemble de l’espace dans une clarté tranquille mais omniprésente.
Guido défaillit dans son enveloppe corporelle. Son esprit s’en libéra de ses contraintes, comme s’il se dissolvait dans une substance infinie, flottant entre les dimensions. Les frontières de son être devinrent floues, un mélange subtil de présence et d’extase pure. Il entendit intérieurement, en écho, ce que ça pensait.
– Je suis dans le monde de l’être non-être, des états juxtaposés, celui de la tendance à exister. Toutes les possibilités et non possibilités sont présentes. Seule une observation en fixe une, le temps d’une observation, tout s’effondre. Rien n’est fixé, rien n’est établi. L’éventualité se consolide dans sa décohérence. C’est un décor, une illusion. Cette réduction n’est qu’un aperçu de sa réalité. Pourquoi je te vois diamant ? Me vois-tu aussi ? Pourquoi dans cet état plutôt qu’un autre ? Comment ne pas songer à ces métamorphoses de soi par les regards qui ne voient qu’une face de la lune ? En s’interrogeant, il se sentit devenir une baleine, un loup, une montagne, une rivière, une coupe, une écorce d’arbre, une pierre, une terre sacrée flottant au milieu des eaux, minotaure, basilic, sphinx et licorne.
Maintenant, autour de Guido, des formes indistinctes flottent, se mouvant lentement et dans une parfaite harmonie. Elles sont à la fois présentes et absentes, des échos de pensées ou des manifestations d’êtres spirituels, qui le regardent sans jugement, mais avec la tendresse infinie de « ce sourire de l’Unité du flot des figures, ce sourire de la simultanéité, au-dessus des milliers de naissances et de décès ». Parfois, leurs silhouettes se transforment en des vagues d’énergie pure, des courants vibrants qui s’entrelacent et s’étendent à l’infini, créant des motifs subtils et fractals, comme si la structure même de l’univers était en perpétuel renouvellement. Il n’y a plus aucune pression, aucune urgence. Tout est à sa place, et pourtant, tout est en mouvement constant. Commencement et fin n’ont plus de sens. Le silence est un murmure profond, une vibration apaisante, qui semble communiquer une sagesse que l’esprit humain n’est même pas capable d’appréhender. Il est à la fois un avec l’âme du monde et spectateur de ce déploiement sans fin. Tout son être se dissout dans l’expérience de l’éternité qui se fait sentir non pas comme une durée mesurable, mais comme une suspension, une présence intemporelle de champs des possibles qui englobe tout ce qui a été, ce qui est, et ce qui sera. Son souffle devient une mélodie éternelle, une note pure qui résonne à travers l’univers, le temps linéaire n’est plus. L’idée même de la mort lui paraît absurde, un concept de l’ancienne réalité qui n’a plus de prise sur lui. Les secrets de l’univers s’offrent à lui, mais il ne ressent aucune urgence, car il sait qu’il a tout le temps pour les explorer. Chaque instant devient un flot infini de découvertes, une vision en perpétuelle expansion qui se déploie en lui sans fin.
Les sensations physiques de son corps ont disparu peu à peu, comme si la notion même de matière n’était plus nécessaire pour son existence. Il n’est plus une entité singulière, mais une onde d’existence dans l’océan de l’infini. L’idée de vivre éternellement ne le terrifie plus. Au contraire, elle le calme, lui apporte une sérénité profonde, comme s’il faisait partie d’une danse cosmique qui se perpétue sans fin, et qu’il en avait toujours fait partie, depuis le tout début. Il se sent recevoir non seulement la vie éternelle, mais la possibilité de tout comprendre, de tout percevoir, de tout devenir, tout en restant, paradoxalement, lui-même. Il est devenu l’Énergie Créative, un point au centre du Cercle de l’immensité. Le diamant n’est plus que lumière, une et tout. Guido n’a plus de nom.
Refermant sa main en couvrant le diamant, Guido revint à lui et reprit contact avec son corps et son esprit.
Le diamant, activé par la posture des mains, avait non seulement révélé son pouvoir, mais aussi provoqué une décharge d’énergie qui perturba les circuits de communication par un flux d’énergie inouïe, comme si sa propre existence était réajustée au fil du temps et dont la puissance transcendantale était capable d’influencer le tissu même du temps. Un pouvoir qui, une fois déclenché, pouvait inverser le temps à une échelle quantique et conférer l’immortalité.
Cela n’avait pas duré plus qu’une seconde et cela passa inaperçu pour les deux autres témoins. Ils ne remarquèrent que le changement d’intensité de l’électricité.
– Je ne sais si je dois vous le remettre comme le voudrait le fait qu’il soit à transmettre à celui qui posséderait l’autre partie du tissu ?
Le Grand Maître était tiraillé entre son désir de conserver et de protéger sans trahir ce qui fut confié à l’Institution et le devoir de respecter les engagements mutuels du sumbolon. Il avait sa part de responsabilité du pacte établi par Léonard de Vinci. Celui qui recevrait un morceau du sumbolon n’était-il pas lié à l’autre par un pacte de loyauté, de confiance ? N’était-il pas le garant de devoir reconnaître celui qui présenterait la partie séparée comme un membre légitime de l’accord par delà toute autre considération. Le sumbolon ne servait-il pas de preuve tangible de l’existence de la réciprocité d’une promesse ?
Il laissa entendre qu’il fallait qu’il réfléchisse avant de leur remettre le diamant.
La suite la semaine prochaine