NDLR : Nous accueillons une nouvelle plume dans nos colonnes en la personne de Marie Delclos.
Les Tenues du Franc-maçon se tiennent dans un temple, on dit « aller au temple ». Vu de l’extérieur, le profane ne voit pas vraiment en quoi ce bâtiment, où il sait que dedans se réunissent des Francs-maçons, ressemble à ce qu’il connaît des temples. S’il a quelque peu voyagé, il pense aux temples égyptiens, à la majesté de leurs colonnes, à la grandeur mystérieuse des obélisques précédant leurs façades ou encore au Parthénon à Athènes chez les Grecs.
Non, aucun rapport. La plupart du temps, le temple maçonnique se trouve à l’intérieur d’un bâtiment ordinaire, dans une rue plus ou moins bruyante.
Mais qu’est-ce donc qu’un Temple ?
Un lieu sacré où l’on prie une antique divinité ? Ou encore de nos jours quelque chose comme un temple protestant, sorte d’église, où l’on prie et se réunit mais sans rien qui le distingue des immeubles habituels.
En fait « temple » est un mot qui vient du latin templum qui désigne un terme astronomique.
Il signifie à l’origine « Cercle d’observation », sous-entendu « du Ciel ». Puis progressivement il désigna un édifice sacré, à partir duquel on observait le ciel. Un édifice sacré, soit à l’abri des profanes, à l’écart du vulgaire, réservé et donc protégé, gardé.
Puis enfin, aussi bien dans les temples indiens, mésopotamiens ou égyptiens, cet édifice devint un lieu majestueux, construit à l’imitation du monde, reflétant l’univers, la Terre et le ciel, un cosmos sacralisé.
Ainsi était-il gravé sur une des parois du temple de Ramsès II « Ce temple est comme le ciel en toutes ses parties » ou encore proclamait-on à Edfou : « Celui qui pénètre dans le temple, pénètre dans le ciel. »
La Maçonnerie à son tour, créa ses temples, se référant essentiellement à celui de Salomon, avec quelques éléments pris à celui des chrétiens et des symboles pris aux constructeurs. Le temple désignant alors une pièce réservée aux initiés, gardée par un maçon, armé d’une épée, le Couvreur. Ce temple à l’instar de tous ceux qui l’ont précédé, place le Maçon sous le ciel, sous ce qu’il appelle La Voûte étoilée.
La Voûte étoilée
Elle est formée du plafond et des murs, qui sont peints, jusqu’au sol, en bleu azur, couleur du ciel de jour, tandis que des étoiles en parsèment le plafond et souvent même, les signes du zodiaque représentés tout autour, comme autrefois sur les cathédrales et les plafonds peints des temples égyptiens.
Le bleu de la voûte céleste, descendant ainsi jusqu’au sol, rejoint la Terre, la touche sur son pourtour horizontal : Le Maçon est dehors sous le ciel. Son temple est celui de la Nature.
C’est pourquoi, quand on l’interroge sur les dimensions de son Temple, le nouvel Apprenti doit répondre que « Sa longueur va de l’Occident à l’Orient, sa largeur du Septentrion au Midi et sa hauteur du Zénith au Nadir ».
Il doit comprendre sa place dans l’Univers et l’Univers c’est le Ciel et la Terre, les rapports entre les deux. Ainsi une fois entré par l’unique porte située à l’Occident, le maçon se trouve face à l’Est, que l’on nomme « l’Orient », avec, à main droite le Midi et à main gauche le Nord. Cette orientation est la même que celle des églises chrétiennes, mais l’inverse de celle du temple de Salomon et de celle des anciens temples égyptiens.
Le silence, qui est imposé à l’Apprenti, sous la voûte étoilée, va l’aider à se mettre dans un état contemplatif, état qui, suivant Plotin, est « un contact ineffable et inintelligible antérieur à la pensée ». Et pour atteindre cet état, il lui faut suivre Platon : « Que celui qui contemple se rende semblable à l’objet de sa contemplation » (Timée 90 d).
Ainsi pourra s’opérer entre lui et le ciel « une forme de conjonction, puis de fusion, entre son regard et ce qui est contemplé, réalité cosmique, ensemble ordonné, structuré, qui englobe la totalité des choses de cet univers »[1]
À condition, bien sûr, qu’il pense de temps en temps à le contempler, ce ciel… et pas uniquement dans le temple, alors qu’on découvre aujourd’hui avec effarement que peu de Maçons savent reconnaître Vénus et ne savent même pas où et quand on peut la voir. Sans parler de l’Étoile polaire, celle qui marque le Nord et ne se couche jamais, et que certains, dans les temples maçonniques, placent sans rire à l’Occident côté nord ! En clair à son coucher…
Et je ne parle pas du nombre trente-trois en rapport avec l’âge du chevalier Rose Croix ou avec les trente-trois degrés du Rite Ecossais Ancien et Accepté qui n’évoque rien d’intéressant aujourd’hui au Franc-maçon à part pour ceux qui se disent chrétiens et rappellent que le Christ est mort à trente-trois ans.
J.P. Bayard en son temps[2] trouva bien des références dans les diverses traditions à ce nombre : en Inde les trois fois onze dieux ; chez les Babyloniens les onze divinités dans chacun des trois mondes ou encore en Egypte onze incarnations dont chacune devenait ensuite trois dieux.
Mais pourquoi ce nombre ? Il n’en sait rien.
Plus près de nous Claude Guérillot[3] croit trouver la clef du trente-trois dans la Bible notamment dans l’architecture du temple donnée par Ezéchiel (41, 6) dans une vision :
« Les chambres latérales contiguës l’une à l’autre se répétaient trente-trois fois ; elles pénétraient dans le mur régnant tout autour de l’édifice… »
En fait le texte dit qu’il y avait « trois étages de trente » soit quatre-vingt-dix !
C’est trente, trois fois et non trente-trois fois ! D’ailleurs c’est ainsi que les archéologues ont reconstitué les chambres latérales du temple de Salomon : pour chacun des trois étages : douze à droite, douze à gauche et six sur le mur du fond.
En réalité, trente-trois est un nombre astronomique
Il s’agit d’un cycle solaire : Tous les trente trois ans, à la même heure, le Soleil retrouve sa place par rapport au point vernal (le point exact où le Soleil coupe l’équateur céleste à l’équinoxe).
C’est pourquoi les dieux solaires meurent à trente-trois ans comme Krishna ou comme les rois que l’on divinise tel Alexandre le Grand et bien sûr comme Jésus, Soleil de justice.
Ce cycle est connu depuis l’antiquité et se trouve dans toutes les civilisations. Comme par exemple dans les dynasties des rois de Kish en Mésopotamie (troisième millénaire avant notre ère)[4]
Mais aujourd’hui, toutes ces données sont oubliées et on ne perçoit le ciel qu’à travers la technologie…
De plus le ciel, peuplé autrefois des dieux, est envahi par les nouveaux : drones, avions, stations spatiales, fusées, missiles…
Sans oublier la pollution qui bien sûr n’arrange pas les choses.
Il n’est que temps de rendre aux Maçons leur intérêt pour l’astronomie sacrée et de leur rappeler que grand nombre de leurs symboles sont inscrits dans le ciel et que leur interprétation est inscrite dans les mythes.
Et pourtant ils s’intéressent de plus en plus à l’alchimie, mais oublient que l’alchimie est inséparable de l’astrologie.
Il s’agit de cette astronomie sacrée en rapport avec ce que les Anciens nommaient « les phénomènes », en fait les mouvements du ciel :
- Celui de la sphère céleste dans son ensemble.
- Ceux des planètes ou étoiles errantes et même ceux des étoiles, celles dites fixes.
Un exemple de cette astronomie sacrée, transmettant en réalité un savoir, comme la plupart des mythes, est chez les Grecs celui d’Orphée en rapport avec la constellation de la Lyre.
Orphée, dit le mythe, était le fils d’Apollon qui lui donna une lyre dès son jeune âge. Musicien merveilleux, quand il joue, toute la nature est enchantée, toutes les créatures, même les rochers et les pierres, le suivent pour l’écouter.
Sa lyre est passée dans le ciel avec son étoile principale Vega et comme l’écrivait l’astrologue Manilius[5] : « Elle y exerce un égal pouvoir ; elle attirait autrefois les forêts et les rochers, elle entraîne maintenant les astres et se fait suivre par le globe immense de l’univers.»
Il ne s’agit pas là d’une simple image poétique, mais d’un phénomène astronomique.
Véga, étoile la plus lumineuse de l’hémisphère boréal, est un repère pour l’apex du système solaire. L’apex étant la direction vers laquelle le Soleil et les planètes du système solaire se dirigent à travers les étoiles proches de notre galaxie[6].
Quant à l’astrologie proprement dite, parlant de la tradition, Manilius écrivait :
« Ils reconnurent que les astres avaient sur l’homme un empire assujetti à des lois cachées … avant ces sages observateurs, les hommes sans principe, sans discernement, ne s’attachant qu’à ce qui tombait sous leurs sens, ignoraient les causes de tout ce qu’il voyaient. »
On peut aussi citer Stephen Hawking :
« L’histoire des sciences tout entière n’est que la compréhension progressive du fait que les événements n’arrivent pas de manière arbitraire, mais qu’ils reflètent un certain ordre sous-jacent qui peut ou non avoir été inspiré du divin. »[7]
Les tapis de loges
Toutefois avant de lever les yeux sur la voûte étoilée, il ne faut pas oublier qu’elle n’est qu’une partie du temple et qu’elle s’inscrit donc dans un ensemble constitué par ses différentes composantes. Or ces composantes varient selon les rites et les grades du rite et il appartient au maçon de les connaître. Elles se projettent sur ce que l’on appelle tapis ou tableaux de loge.
Formant un diagramme précis de la composition du temple du sol au plafond de l’avant à l’arrière, ils montrent ainsi les symboles visuels du temple que le Maçon devra interpréter son architecture extérieure et intérieure ses outils et ses symboles
Ne pouvant tout explorer nous nous limiterons aux trois Rites : Ecossais Rectifié RER, Rite Français RF et ses variantes, Rite Ecossais Ancien et Accepté REAA (le rite le plus pratiqué en France et dans le monde).
Dans ces trois rites on retrouvera des éléments architecturaux et symboliques du temple de Salomon, des symboles propres aux Francs-maçons et inspirés des traditions antiques.
Ainsi par exemple sur ce tableau au grade d’Apprenti réduit à sa plus simple expression (in La Franc-Maçonnerie pour les Nuls) on voit :
Le temple de Salomon au centre du tableau reconnaissable à ses deux colonnes à l’avant du temple marquées d’un J et d’ un B
Des marches montant à la porte du Temple (du temps d’Hérode il y en avait douze). Leur nombre varie selon les tableaux et les rites.
Les autres symboles sont maçonniques :
Le Soleil la Lune encadrant le triangle nommé Delta lumineux
Un dallage noir et blanc intitulé pavé ou pavement mosaïque, élément inspiré des constructeurs.
Des outils : un ciseau et un maillet, une règle, un niveau, un fil à plomb, une équerre et un compas, une corde à mesurer à douze nœuds appelée Houppe dentelée et parfois une truelle.
Deux pierres : à gauche une pierre brute, à droite une pierre cubique
Sur d’autres tableaux on peut voir trois fenêtres l’une à l’Orient la deuxième au midi la troisième à l’Occident.
Au grade de Compagnon s’y rajoutent essentiellement une étoile à cinq branches et une pierre cubique à pointe remplaçant la pierre cubique
Au grade de Maître s’y trouvent essentiellement un cercueil et une branche d’acacia.
Les éléments symboliques de la Voûte étoilée
Voyons maintenant les différents éléments symboliques de la Voûte étoilée.
Nous commencerons par le premier, celui que contemple pour la première fois le nouvel initié, le Delta.
Alors que jusqu’à cet instant le postulant avait les yeux bandés, il entend :
- Que le bandeau lui soit enlevé, qu’il voit et qu’il médite…
Toutes les lumières électriques à l’exception du Delta doivent être éteintes.
On lui remet le bandeau on le fait ressortir.
On le fait rentrer et enfin
La Lumière lui est donnée :
- Que la lumière lui soit donnée à mon troisième coup de maillet
On lui enlève le bandeau pour la dernière fois
Et il entend alors qu’il ouvre les yeux face à l’Orient
- Contemplez le Delta radieux qui brille à l’Orient
Il est l’emblème de la Connaissance humaine…(REAA)
Voyons ce qu’il en est vraiment… (Rendez-vous la semaine prochaine)
[1] Gérard Charlassier Le cheminement vers Dieu au rite écossais ancien et accepté article in les Cahiers Villard de Honnecourt n°105
[2] J.P. Bayard Symbolisme maçonnique traditionnel 1981
[3] Claude Guérillot J’ai ce bonheur 2003
[4] Marie Delclos Astrologie racines secrètes et sacrées.
[5] Epoque d’Auguste, contemporain de Virgile.
[6] Ce mouvement du Soleil vers l’Apex s’effectue à la vitesse de 19,5km/s tandis qu’il tourne dix fois plus vite dans un mouvement plus global (avec les étoiles de la galaxie) autour du centre galactique. La Terre décrit donc -ainsi que les planètes- non pas une ellipse plate mais un immense pas de vis. Ce mouvement est censé n’avoir été découvert qu’au XVIII° siècle.
[7] Stephen Hawking Une brève histoire du temps p 159
Le symbolisme, qui n’est pas l’exclusivité de l’Art royal, permet des évocations et donc des commentaires à l’infini! Ainsi ce mystérieux nombre 33 ( n’exprimant aucune vérité en soi quoiqu’en disent les occultistes et magistes de toutes écoles qui se “battent les flancs” pour en trouver une !) se “matérialisait” aussi chez le médecin, encore dans les années 1950. Celui-ci faisait dire 33 à ses malades pour mieux entendre et juger de la sorte, par les vibrations émises, “l’état pulmonaire” de ses patients, grâce à son stéthoscope de l’époque. A noter qu’en Angleterre, avec le même appareil et à la même période , le médecin faisait dire 99 à ses patients pour effectuer le même soin. Comme par hasard, un rite maçonnique se caractérise par 99 degrés. Au vrai, la franc-maçonnerie est à la fois une solide confraternité et une belle poétique qui, entre autres, par le jeu mystérieux des synchronicités et des imaginations fertiles, traverse allègrement le temps. Elle a du SOUFFLE ! Son endurance et sa longévité : C’est bien ce qui fait l’un de ses charmes!
33 est un nombre qui évoque aussi nos 33 vertèbres, c’est à dire l’Homme debout!