dim 16 juin 2024 - 09:06

La Rencontre : une issue contre les dogmes en franc-maçonnerie ? (partie 4)

Une fois « l’Universel » et le « Particulier » discernés que nous reste t-il à accomplir sinon notre « Travail d’individuation » ? Cette métamorphose du « Nous » en « Je(u) » est le véritable comburant de nos épiphanies espérées, revenues de par delà la Mort Symbolique, transmutées en « pulsion de Vi(e)(t) ».

Cet Engagement à exalter la « Gloire au Travail », librement contracté, est un présupposé nécessaire à la vitalité de notre Tradition, à la construction de notre édifice destiné à accueillir ce « Nous » en notre « for(e)(t) » intérieur.

Selon la Déclaration de principe du Convent de Lausanne du Rite Écossais Ancien et Accepté de 1875 il est écrit qu ‘« Elle [la Franc-Maçonnerie] n’impose aucune limite à la recherche de la vérité et c’est pour garantir à tous cette liberté qu’elle exige de tous la tolérance ».

Dans Ma vie, Carl Gustav Jung écrit : « J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être devient un individu psychologique, c’est à dire une unité autonome et indivisible, une totalité ».

Résumé des épisodes précédents : dans le premier épisode de cette série de cinq articles illustrés explorant la Rencontre en Franc-maçonnerie, j’ai d’abord exploré une vision cartographique possible du territoire initiatique. Dans le second épisode, j’ai tenté d’approcher « l’Universel » et la Voie Royale qui permet de l’embraser après l’avoir embrasser. Dans le troisième épisode j’ai évoqué la Particulier et son questionnement comme Chemin de Vie. J’ai pu identifier les possibles raisons d’un masculin venant de l’Orient et d’un féminin venant de l’occident, dans l’espérance de leur Rencontre au Centre du Cercle.

La Loge comme lieu de « (re)création du Monde »

Acquarelle sur papier ©Stefan von Nemau

« Au Commencement » nous murmurerait la lettre Beth ב.

« Beth ב est la première lettre de la Bible et seconde de l’alphabet. Avec elle commence la création de l’univers. Sa valeur numérique est deux. La Création est ainsi marquée du sceau de la dualité … » nous raconte Frank Lalou dans son livre Les lettres sacrées de l’alphabet hébreux, de l’archéologie à la kabbale, page 53. La maison Beth ב exprime le besoin d’un lieu clos pour faire mûrir les rêves, les histoires des mondes à venir. Ce lieu clos est la Loge pour le franc-maçon. Cette Loge aux multiples noms change de situation, de géométrie, de forme et d’appellation selon les rites, rituels et degrés mais elle reste ce creuset où l’alchimie vivante se forme, s’informe, se déforme, se reforme, se transforme… Tout « Commencement » est aussi un espace, un appel.

« Au comme en semant » nous suggère la lettre Aleph א.

« Aleph א, symbole de force non violente, le Un de l’Absolu…/… le Un qui transcende, espace du mystère, la conscience de l’altérité » op. cit. page 46. Seulement avec « l’Aleph א, l’unité, le monde ne pouvait pas être créé » op. cit. page 53. C’est le sacrifice du Un qui rend la dualité possible et le monde « un-car-né »Tout « comme en semant » est une graine, une fleur non encore révélée.

« Au comme en s’aimant » nous révèle la morsure de la lettre Shin ש.

« [Shin ש symbolise la]transformation de la matière en esprit, mouvement et non mouvement dans la stabilité, c’est la dent qui mord la Vie. Elle broie menu les bonnes comme les mauvaises attitudes face aux bonnes comme aux mauvaises épreuves …/… dès lors que l’on comprend qu’elles furent les outils de l’individuation. » op. cit. page 276. C’est ici, au cœur de l’inaccompli, qu’Aleph א est séparée de Beth ב par Shin ש. C’est ainsi que de la « morsure » naît la « mort sure ».Mais c’est au cœur de Beth ב que « l’amor-sûr » renaîtra des cendres de cet accomplissement de la dualité en chemin vers son unité. Je reste convaincu que l’Amour est la Force qui transcende les paradoxes en oxymores, réunit ce qui a été séparé, « rassemble ce qui est épars ». Cette tessiture d’Amour est La seule Voi(e)(x) d’accès à l’Unité, au Tout. Le « comme en s’aimant » est le liant séminal du « Commencement » fécondant le « comme en semant ».

Porter au dehors l’Œuvre commencée dans le Temple suppose de s’aventurer au delà d’un cadre défini.

Notre envol libérateur « au delà du cadre » repose sur la confiance acquise en nos ailes. Ainsi pour réussir sa transmutation, le Franc-maçon initié devra s’affranchir de la « Mère symbolique », cette « Veuve à l’enfant » que représente la Loge ; du « Père symbolique » incarné par l’Obédience dispensatrice des règles et interdits ; et du regard qu’il a sur lui-même révélé par ses Frères et Sœurs de « lé », de « lai », de « laie » et de « lait » dont il est aussi le pair.

Aquarelle sur papier ©Stefan von Nemau

La Voie Initiatique comme itinéraire

L’initié aura ainsi franchit plusieurs étapes. Celle de l’impétrant ayant réussi l’épreuve de la Terre où il aura pris conscience de sa « personæ » et trouvé en lui la volonté du Chemin vers sa libération. Puis il plongera au Nadir de ses profondeurs et prendra conscience de l’Ombre. Il explorera ensuite les subtilités et la complexité de l’anima et de l’animus. Il sera alors à même d’entrer en contact avec sa propre altérité puis celle de l’autre.

L’individuation est l’ultime étape du Choix

Dans un dernier voyage il aura acquis les harmoniques nécessaires à sa rencontre avec la Lumière et son individuation sera accomplie. Cet individuation se fera grâce au sang du Pélican. Il est ici symbole de cette Sagesse où immanence et transcendance ne sont que points de vues intellectuels. Cette Sagesse, contenant la Lumière contenue dans le sang de l’Épreuve, nourrit ses sept enfants selon leurs besoins différents.

« L’Ignition » : lorsque le Pélican s’enflamme en Phénix et se sublime en Albatros

C’est uniquement une fois cet affranchissement réalisé, sa Liberté recouvré, que l’Initié sera « ignitié » et par là même retrouvera cette « majuscule perdue » qui ne l’avait pourtant jamais quitté. Ainsi, sans La Rencontre et son ternaire « intention – espace-temps – potentialité », la Loge ב aussi belle soit-elle restera inféconde comme la fleur oubliée ne donne jamais de fruit. C’est par notre Travail que notre Tradition perdurera et que la Gloire resplendira au cœur du Monde Imaginali des symboles découvrant le ternaire « Sens – Non-sens – Sur-sens » dans la liberté surréaliste de l’espace-temps contenu entre les mots : cette « Liberté de penser » absolue que nous offrent les poètes. Pour paraphraser le Mahatma Gandhi : « la Voie Initiatique est une expérience à vivre, non un problème à résoudre »

« Un, le Tout » : l’individuation comme apex de la maxime

Peut-être que l’apex de la maxime « Un, le Tout » s’élabore ici, à la conjonction de notre Tradition par la congruence de nos pensées et de nos actions.

Selon moi elle ne doit pas être confondue avec notre exigence sociétale de liberté, d’égalité et de fraternité, cet humanisme toujours en quête d’un « idéal/espoir » d’universalité. Cette posture est un véritable piège. Elle est héritée d’une modernité dépassée, délétère lorsqu’elle dénie au Sacré la préservation du vivant dans son équation. Elle enferme ainsi l’humain dans une quête de toute puissance qui le conduit inexorablement à sa perte en glorifiant l’or au détriment de l’Aur. Aujourd’hui cette posture se nomme aussi anthropocène.

Hérité du siècle des Lumières, ce legs empoisonné par l’avilissement de l’homme par l’homme reste une vision politique et une conception éphémère, fragile et dysfonctionnelle du monde glorifiant le fanatisme, l’ignorance et l’ambition dans ce qu’elles ont de plus déréglé et mortifère.

A l’ère du transhumanisme, l’humain algorithmique en quête de sa toute puissance se rêve et s’espère en démiurge, véritable symbiote homme-machine possédant et retenant l’éternité entre ses mains. Il erre aujourd’hui déjà en quête de son immortalité au cœur de « la vallée de l’étrange » amassant la globalité du savoir imaginable comme un sceptre symbole du pouvoir tout en étant incapable d’en tirer la moindre Connaissance en laissant, par exemple, un simple acte artistique de création entre les mains automatisées d’une affligeante imagination normalisée et insipide. L’« Humain trop humain » nietzchéen est devenu un « Parfait, trop parfait » altmanien.

Au cœur de cette nouvelle fabrique du Réel, j’ai le secret espoir que la Voie Initiatique et son processus d’Individuation resteront un rempart face à la barbarie silencieuse de la dictature commerciale du plus grand nombre.

Si c’est ici que le ternaire Franc-maçonnerie « symbolique – philosophique – sociétale » se discrimine, parfois jusqu’à l’obscurantisme du dogme, je garde l’espoir d’une Nouvelle Alliance permettant à la Lumière d’éclairer la Nuit.

Le cadre n’est pas l’ultime frontière

L'escalier - photographie - ©Stefan von Nemau
L’escalier de 6 – photographie – ©Stefan von Nemau

L’individuation délimite des frontières vivantes, mouvantes du « Je ». Paradoxalement et selon les lois de l’équilibre et de la réciprocité, tout ce qui est « au delà » est aussi une place sécurisée offerte à la véritable altérité de ce « Je » qui est aussi « mon Autre ». Tant que ce « Je » n’est pas clairement réalisé, la porosité incontrôlée de la limite « l’insécurise » en lui faisant perdre sa majuscule.

De cette insécurité naît la peur. De la peur jaillit le rejet, la violence, l’intolérance, le racisme, l’entre-soi, le dogme et l’exclusion interdisant « la Rencontre ».

Ainsi l’espoir du « je » devient « l’enfer-me-ment » du « moi / nous » et « l’autre » devient « lui / eux »… bien loin de l’Idéal maçonnique contenant Lumière, Connaissance, Liberté et Fraternité affiché au départ de notre « synchrétique » quête initiatique occidentalo-centrée. N’oublions jamais que tant d’autres Voi(es)(x) Initiatiques existent et fonctionnent par delà la nuit des Temps.

Selon mon expérience de l’ascèse de la Voie Royale, l’Initiation transmute les scories de nos différences en Aur philosophal ; comme Antoine de Saint Exupéry l’a écrit :« Tu es différent de moi mon Frère, loin de me léser tu m’enrichis ».

i – Pour le Monde imaginal voir « la charte de l’imaginal » dans le prélude à la deuxième édition de Corps spirituel et terre céleste d’Henry Corbin

La Rencontre, une issue contre les dogmes – Aquarelle et encres sur papier – 50 x 65 cm – ©Stefan von Nemau

Liens vers la série des 4 articles

Lire : l’Article 1l’Article 2l’Article 3l’Article 4

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Stéphane Chauvet
Stéphane Chauvethttps://lesyeuxducyclope.fr/
« Ma quête artistique est une pratique spirituelle et une spiritualité en pratique. Le Symbole est son langage. » C'est ainsi que Stéphane Chauvet définit en deux phrases son travail initiatique et artistique. Né en 1968, il a longuement exploré les profondeurs de l'âme humaine dans sa première vie. Il est révélé par la Voie en avril 2009. Artiste depuis « toujours », il métabolise et fixe sa pensée par le tracé et l'image, son « labor », avant de lui souffler vie dans « l'oratoire ». En 2016, il présente une installation photographique plasticienne ayant pour sujet/objet l'autoportrait surréaliste et symbolique, le miroir initiatique et l'Unheimlich freudien intitulé : Le testament de Narcisse. Avec ce travail il obtiendra les félicitations du jury de l'Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles lors de la soutenance de son Master 2. Il signe ses œuvres du nom de son alter-égo rencontré sur le Chemin : Stefan von Nemau. Son travail artistique est présenté sur son site internet www.lesyeuxducyclope.fr

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