jeu 03 octobre 2024 - 19:10

Le Coq et la Franc-maçonnerie

En Franc-maçonnerie comme dans d’autres traditions initiatiques, les récits nous racontent que s’il est un jour dont l’initié se souvient, c’est le jour de son pas(-)sage ; le jour de ce moment où son « intime » a rencontré son « extime » ; où le Chemin qu’il allait emprunté s’est ouvert devant lui en prenant (ses) sens. Et si on lui demande son « jour d’avant » il répondra peut-être « le jour où j’ai entendu l’Appel » ou bien « au chant du Coq, à l’aube de ma nuit ».

Pour ce premier article ici, j’ai voulu commencer par le commencement visible et sensible du Chemin Initiatique en partageant avec vous ma perception du coq devenu symbole : le Coq.

En franc-maçonnerie, que de l’œuf ou du coq pousse le premier cri ?
Le coq : “un-et-l’en-vert” – Acrylique et encres sur papier – 30 x 30 cm – 2019 – Stefan von Nemau

Si on le trouve à l’intérieur de nos Cabinets de Réflexion(s),il est aussi parfois servi avec du vin durant nos agapes ; moment de partage d’une fraternité incarnée, moment sacré où la Parole se distille autrement.

Et comme on ne vient jamais de nulle-part, le Coq fût aussi mon comme(-)en(-)semant, intuition fertile d’un Second Surveillant au regard ouvert sur La Voie, sur l’Humanité. Comme aurait dit Socrate à Criton avant de boire la ciguë  : « Criton, nous devons un coq à Asclépios, tu le lui offriras ! ».

« Ici tout est Symbole » nous prévient l’adage. Alors partons à la rencontre de l’énigme du Coq au « royaume de l’Antremonde », cet « entre-cœur » des mondes sensible et intelligible.

Le coq : un tisseur de liens

Le premier coq que j’ai rencontré se nommait Polnareff. C’était un magnifique coq de basse-cour que mon grand-père élevait avec plaisir. Il l’avait nommé ainsi à cause d’un magnifique toupet de plumes multicolores qui ornait sa tête. Elle était grosse comme une balle de tennis emmanchée sur un cou de poulet. Ce coq était fier… je le trouvais un peu ridicule certes, mais à chacun l’expression de son panache !

Il chantait le matin et régnait sur son poulailler. Il faisait son travail de coq. Il maintenait un équilibre entre les poules. Souvent les poules lui picoraient les plumes qu’il avait sur la tête et mon grand-père le soignait à grandes onctions de « mercure au chrome ». Aujourd’hui, je pourrais y voir quelque manifestation du Grand-Œuvre, le rouge recouvrant les couleurs de son « toupet » mais je retiens surtout que je le trouvais drôle et que les poules ne se battaient pas quand il était là. Son « orgueil » quelque peu outrancié me faisait rire.

Mon grand-père m’avait expliqué que s’il chantait tôt le matin c’était parce que l’horloge biologique interne du coq était si sensible aux variations du cycle jour/ nuit qu’il en avait comme l’intuition et que si je me levais assez tôt je pourrais observer qu’il commence à chanter quelques instants avant l’aube. Son chant diurne était sa façon de montrer aux poules qu’il était là.

Il m’expliquait aussi que parfois, chanter dans l’obscurité éloigne très souvent la peur et les prédateurs.

Par son chant tissant ce lien, ce coq faisait mon initiation d’enfant.

Ainsi, le coq serait un faiseur de lien dans la vie incarnée. Mais cet oiseau au pouvoir psychopompe, représenté dans nos Cabinets de Réflexion(s), serait-il aussi un lien entre les mondes intelligible et sensible ? De quoi serait-il le symbole ? Qu’est-ce que son chant et ses couleurs ont à nous dire ?

Mais aussi, pourquoi chante-t’il ainsi annonçant les premières lueurs de l’aube puisque nous nous réunissons de midi à minuit lorsque le jour semble déjà levé ?

Consens à la brisure, c’est là
Que germera ton trop plein
De crève-cœur, que passera,
Un jour, hors de l’attente, la brise
François Cheng

Consentir à la brisure, c’est accepter l’appel du creux en répondant à l’appel du Coq messager du Logos…

Consentons donc et entrons dans les voi(x)(es) que nous connaissons en répondant à l’appel de l’aube, marchons ensemble à la rencontre du Coq. Voyageons au travers de l’Instant… écoutons ce murmure les yeux « grand fermés »… rappelons-nous… nous sommes à la porte du Temple… c’était il y a longtemps pour certains, hier pour d’autres… mais vous et moi savons que le temps, ici, est autrement… nous avons frappé à la porte du Temple… Charon vient nous ouvrir…

L'appel de la Lumière
L’appel de la Lumière – Photographie argentique – 2015 – Stefan von Nemau

Il nous amène dans un lieu exigu, sombre, éclairé par la flamme vacillante d’une bougie… les gonds grincent sous le poids de la lourde porte qui se referme. Un courant d’air fait chanceler la lumière de ce monde qui s’ouvre… nos yeux s’habituent à la pénombre… ils scrutent… observent….

A la lumière de la bougie apparaissent dans un désordre apparent : un crâne, des mots et des phrases, les précieux éléments alchimiques, le pain… le regard s’arrête sur l’invitation au voyage « V.I.T.R.I.O.L »… dans notre esprit le désordre devient chaos, nos émotions submergent notre pensée :

« Mais… Tiens ?… un coq !… pourquoi un coq ?… je m’étais documenté sur pas mal de choses, mais un coq… sans doute un lien avec la devise Liberté Égalité Fraternité que je viens d’entendre résonner à travers les murs… »

Soudain tout s’accélère ! Enlever ses métaux, écrire son testament philosophique, la corde, la manche, le pantalon, le crâne…

« Mais… pourquoi ce coq?.. il doit y avoir une autre raison… je manque de recul pour avoir une autre vision, je manque de temps… j’aurais dû mieux me documenter, car s’il est là ce coq, à hauteur de crâne, au même titre que le mercure, le soufre, le sel, l’eau… c’est qu’il doit vouloir dire autre chose… »

La pantoufle, le bandeau sur les yeux, la nuit tombe, nous nous éloignons du coq vers l’aube de ce jour nouveau… crainte teinté d’espérances…

On frappe fermement à la porte… le temps se déchire d’un coup… la porte s’entrebâille… et cet homme de noir vêtu, portant une canne nous demande : « Monsieur… êtes-vous prêt ? »

Pour seule réponse : « oui »… et puis un bandeau sur les yeux… ne reste que le son pour se rassurer… le « son souvenir » d’un appel d’un autre temps qui s’éloigne dans le bruit des pas qui résonnent… lâcher prise… nous ne maîtrisons plus rien… ça y est… nous sommes passés au cœur de l’Antremonde… entre l’intelligible et le sensible… « Memento mori ! » & « Sic transit gloria mundi ! »…

Inventaire dans les prés verts des mondes imbriqués

Les hasards objectifs
Série “les hasards objectifs” – Photographie – 2014 – Stefan von Nemau

Dans les traditions du monde on retrouve diverses interprétations symboliques du coq. Lorsque l’on regarde vers le Levant, la tradition japonaise raconte que le chant du coq fit sortir Amaterasu, déesse du soleil, de la caverne où elle se cachait. Selon certains, les Torii des temples shintoïstes seraient des perchoirs destinés aux coqs sacrés élevés dans les temples.

En Chine, il est possesseur des cinq vertus : les vertus civiles lui sont conférées par le port de la crête et son aspect mandarinal ; avec ses ergots, ce i sont les vertus militaires qui sont exaltées ; en raison de son comportement au combat, il incarne le courage ; comme il partage sa nourriture avec les poules. il exprime la bonté ; enfin, il est digne de la confiance grâce à la sûreté avec laquelle il annonce le lever du jour.

Au Vietnam, une patte de coq bouillie, image du microcosme, sert de support de divination.

Cependant les bouddhistes tibétains voient dans le coq un symbole néfaste de désir, de colère et d’attachement.

Géographiquement plus proche de nous et de nos traditions, les grecs l’associaient aux dieux solaires et aux déesses lunaires. Accompagnés du serpent, ils appartenaient aussi à Asclépios (ou Esculape pour les romains) dieu guérisseur incarnant probablement la vie intérieure et psychique car il envoyait les songes.

Pythagore disait de lui qu’il ne fallait pas immoler le coq mais le nourrir car il est consacré au Soleil et à la Lune.

Dans l’Ancien Testament (Job 36-39), il est l’intelligence venue de Di·eu car «  Di·eu a mis dans l’Ibis sacré la sagesse de YH·WH et dans le coq son intelligence, l’un prédira les crues du Nil tandis que l’autre annoncera l’arrivée du jour ».

Dans le nouveau testament, il est un symbole christique annonciateur de Lumière et de Résurrection. En effet, selon l’évangile de Jean (chapitre 13 versets 36-38) Jésus répond à Simon Pierre qui déclare qu’il se dessaisira de sa vie pour le sauver : « Te dessaisir de ta vie? Par trois fois tu m’auras renié avant qu’un coq ne se mette à chanter ». Pierre renie Jésus trois fois, le coq chante. Pour Jésus, ce sera la fin de la clandestinité. Il est traduit devant Pilate. Il sera crucifié, révèlera le Christ en lui et apparaîtra ainsi transmuté à Pierre… ainsi la trahison vient de la nuit… elle aussi…

En terre d’Islam le coq est vénéré. Symbole de prescience, le chant du coq blanc indique la présence de l’Ange. Il est l’ennemi de l’ennemi de Di·eu et il appelle à la prière.

Dans les traditions nordiques, le coq perché au sommet d’Yggdrasil, frêne cosmique à l’origine de la Vie, est un symbole de vigilance guerrière sensé prévenir les dieux de l’arrivée des Géants, leurs éternels ennemis. Le coq apparaît à son faîte protecteur et gardien de la Vie.

En France, si Marianne est préférée comme symbole des divers lieux de notre représentation nationale, le coq gaulois reste l’emblème incontournable de la France aux yeux du monde lors des événements sportifs. L’association de la Gaule et du coq serait née d’un jeu de mot venu du latin « gallus » signifiant à la fois « gaulois » et « coq ». Après avoir été quelque peu oublié par l’histoire, il retrouve son prestige politique en 1830 par l’ordonnance du 30 juillet stipulant qu’il devait orner les boutons des habits de la garde nationale et surmonter les drapeaux. Il siège, depuis la 3ème République, les ailes déployées sur la grille du parc de l’Élysée à Paris.

De l’œuf ou du coq, d’où provient le premier cri ? Au « laboureur du ciel la réponse », au Coq l’appel au Travail.

Le coq est-il pour autant responsable du lever du jour ? A cette question je peux affirmer que personne ne sait vraiment ce qu’il adviendrait de nos journées si tous les coqs du monde se taisaient un beau matin. Ceci étant invérifiable, peut-on pour autant penser que c’est grâce à son cri que la terre tourne ?

La ligne K - Roman graphique (extrait) - Stefan von Nemau
La ligne K – Roman graphique (extrait) – Stefan von Nemau

Sur la voie du réveil ce n’est pas toujours Chronos qui sonne le premier ! Ce que notre Chemin nous apprend c’est qu’il nous faut un passeur entre les mondes pour nous appeler, de l’un à l’autre, au Travail. Il vient nous chercher sur le parvis pour entrer dans ce lieu qui sera consacré pour un Temps (aiôn) défini par nos rituels. Il nous amène sur les colonnes, face à l’Orient et nous apporte, accompagné du Vénérable Maître, la Lumière Initiale.

Cette « lux-prima » permet d’allumer les trois Étoiles provoquant la mise en mouvement céleste de notre Temple lors de nos tenues. De cette mise en giration de nos étoiles naîtra peut-être un autre Temps (kaïros) du feu de ce creuset. Ce « passeur de mondes » serait-il ainsi le messager de la Salamandre ?

« Trois la dirigent, cinq l’éclairent et sept la rendent juste et parfaite. »

Ainsi il est dit d’une Loge : « trois la dirigent, cinq l’éclairent et sept la rendent juste et parfaite. ». On peut constater, lors de la cérémonie d’installation du Collège des Officiers au Rite Ecossais Ancien et Accepté, que le « passeur de mondes » ne fait pas partie de ce septénaire… pourtant… son rôle semble primordial.

Méditation sur les Loges bleues – Encres et aquarelle sur papier – 30 x 40 cm – 2019 – Stefan von Nemau

Peut-être qu’une des explications possibles serait la suivante : comme le coq voyage entre la nuit et le jour, le « passeur de mondes » voyage entre le monde sacré et le monde profane et de ce fait il doit pouvoir se mouvoir entre ces deux mondes et ne doit donc surtout pas être ancré dans un seul.

Il existe certainement d’autres explications plus historiques mais je préfère vous renvoyer vers d’autres sources plus érudites en cette matière.

Aussi posons-nous cette question : si le Coq, comme le « passeur de mondes », ne portent que la manifestation de ce cri qui déchire la nuit, quel en est l’élan originel ? La « pulsion de vie » est-elle une poussée ou un appel ?

Des couleurs irisées des plumes du Coq, reflets des lumières de l’aube, à l’instant d’avant : un seul pas à la fois.

Il existe une différence de nature dans la transmission des couleurs de la Lumière. Les plumes du coq révèlent leurs couleurs en renvoyant la lumière qu’elles n’absorbent pas. Alors que La Lumière transmet les couleurs qu’elle contient. C’est ce que montre le travail de l’alchimiste au cœur de son  labor(-)atoire.

Ainsi, n’est-ce pas cela aussi tailler sa Pierre ? N’est-ce pas la rendre unique afin qu’elle trouve sa juste place dans ce Temple que nous érigeons ? Une juste place, unique, dépendante du Tout et dont le Tout dépend… n’est-ce pas cela aussi cet « Un » dont nous parlons (presque) tous ? Cette construction individuelle au cœur d’une œuvre commune ?

Si le Coq, revêtant sa majuscule, brille et chante ainsi c’est qu’il est révélé à lui-même par la Lumière qui l’éclaire, à l’aube dorée du jour nouveau, rougie du nouvel élan de vie (le jour), par delà la mort (la nuit); car c’est la nuit que la Vie se rêve et le jour qu’elle se construit… sinon… nous serions nyctalopes !

« Ainsi tu auras toute la Gloire du monde et toute l’obscurité s’enfuira de toi » nous raconte l’alchimiste

Le Coq devient une Pierre subtile, vibrante et sonnante ; unifiant en les séparant nos deux mondes. Le vitrail de la rosace marque le seuil céleste de nos cathédrales. Il incarne la membrane séparant l’accompli de l’inaccompli, la Lumière de l’amas(-)tiers. Elle matérialise le pas(-)sage en vibration de cette in(-)conscience devenant Un(-)conscience.

Quelques clefs de lecture
Le coq : “un-et-l’en-vert” – Quelques clefs pour aller plus loin…

Sur le Chemin Initiatique qui mène des parvis du « terne(-)aire » à l’Arche du « trans(-)sept », si la porte de l’humain est faite de matières denses et opaques, la porte de la Lumière est faite de transparences colorées par les reflets du minerai travaillé en son sein.

Cet Œuvre transmute l’unité de la Lumière reçue en arc-en-ciel révélant le Subtil perceptible par l’Épais qui compose son armature.

Ce spectre ondulatoire aux sept couleurs, aux sept notes de musique révélés par sept métaux venus des sept planètes de l’univers alchimique serpente d’un « uni-vers » à l’autre… Ô « serpent de jade »…

La transmission de la Lumière immatérielle devient une des réponses possibles au pourquoi de son incarnation. Le Coq et le « passeur de mondes » sont bien les messagers d’Hermès.

Et tu sauras que les hommes ont les maux qu’ils ont eux-mêmes choisis
Pythagore

Ainsi nous éclaire Pythagore dans ses Vers d’or… peut-être est-ce à chacun de quitter sa nuit en se mettant à l’Œuvre, au chant du Coq. En nous donnant le « là/la », il nous indique que le jour est venu de nous accorder afin d’accomplir ce que la nuit nous a murmuré en songes.

Avec la force de sa fragilité apparente, la Coquille, prête pour son Voyage, nous propose de transmuter le son, qu’il soit de blé ou sonore, en Logos puis le Logos en Lumière.

 Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit
Khalil Gibran

Et si, aveuglé par la lumière du doute, le chemin veut que nous nous perdions au cœur de cette nuit, le « là/la » émis par le Coq est présence harmonique afin d’accorder nos pas vers l’inaccessible Étoile dans ce Voyage, au cœur de « l’amas(-)tiers » vers l’aube en voie d’éternel accomplissement.

2 Commentaires

  1. Saluons la venue de Stéphane Chauvet dans l’équipe des rédacteurs de 450FM par cet excellentissime article.
    Les illustrations personnelles créées par Stéphane Chauvet sont autant de langues des oiseaux que des énigmes visuelles à déchiffrer. De quoi nous exercer à nous immerger dans l’interprétation systématique à laquelle nous sommes inviter par l’expression “ici tout est symbole”. Chapeau bas l’artiste!

    • Merci ma très chère Solange, je suis très touché ! Suivre la Voi(e)(x) et ses circonvolutions le long de ses méandres qui vont de l’amer à la mer… tiens ! Peut-être le sujet d’un prochain article ?

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Stéphane Chauvet
Stéphane Chauvethttps://lesyeuxducyclope.fr/
« Ma quête artistique est une pratique spirituelle et une spiritualité en pratique. Le Symbole est son langage. » C'est ainsi que Stéphane Chauvet définit en deux phrases son travail initiatique et artistique. Né en 1968, il a longuement exploré les profondeurs de l'âme humaine dans sa première vie. Il est révélé par la Voie en avril 2009. Artiste depuis « toujours », il métabolise et fixe sa pensée par le tracé et l'image, son « labor », avant de lui souffler vie dans « l'oratoire ». En 2016, il présente une installation photographique plasticienne ayant pour sujet/objet l'autoportrait surréaliste et symbolique, le miroir initiatique et l'Unheimlich freudien intitulé : Le testament de Narcisse. Avec ce travail il obtiendra les félicitations du jury de l'Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d'Arles lors de la soutenance de son Master 2. Il signe ses œuvres du nom de son alter-égo rencontré sur le Chemin : Stefan von Nemau. Son travail artistique est présenté sur son site internet www.lesyeuxducyclope.fr

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