sam 27 avril 2024 - 07:04

L’enjambement du cercueil : une pratique rituelle spécifique à la franc-maçonnerie ?

L’enjambement d’un cercueil n’est pas une gestuelle fréquente dans les différents rites pratiqués par les êtres humains. En franc-maçonnerie, le contenu symbolique mérite notre attention !

Dans les rituels maçonniques, il est pratiqué trois fois lors des trois derniers pas de la marche du maître (ou de la maîtresse).

Il est généralement interprété comme l’évocation d’une dimension verticale.

En réalité cette pratique de l’enjambement dans un rituel maçonnique est particulière. D’autant plus que l’on ne retrouve pas, à ma connaissance, cette gestuelle dans d’autres rites chrétiens.

C’est en Afrique que l’on retrouve ce rituel d’enjambement dans les rites mortuaires; en voici une description :

” Le rituel d’ »enjambement » consistait à prendre la parole devant tous les témoins pour dire ou réaffirmer sa loyauté et sa probité dont on a fait preuve envers un père ou une mère durant sa vie sur terre. En effet, lorsqu’il s’agissait d’une mort de vieillard(e), après l’annonce du décès et dès que les préparatifs sont terminés pour l’enterrement, outre les rites de lavage ou corps, de prise de dernier repas et d’abattage de chien (uniquement pour l’enterrement d’hommes chez certaines communautés moose), avant le rite du dernier tour de la concession mortuaire, intervient le rite d’enjambement du cadre. Les croque-morts apprêtent le cadavre et le posent sur sa terrasse. Tous les fils, filles et proches sont invités à venir rendre un dernier témoignage de leur loyauté et fidélité au(à la) défunt (e). Chaque candidat à l’exercice, s’arrête devant le cadre et prononce le discours du genre: « De ton vivant je ne t’ai jamais trahi ni dit des mensonges sur toi encore moins faire ce qui est interdit envers toi. Si je l’ai fait, toi qui es dans ta vérité, ne me laisse pas. Si je n’ai pas été loyal envers toi qu’en complicité avec les ancêtres, vous attrapez mon pied pour m’y amener ». Il enjambe le corps trois(3) et les femmes quatre(4) fois. Il faut dès lors, savoir que lorsque vous avez commis un forfait, mieux vaut ne pas s’aventurer. Les exemples de forfaits peuvent être l’infidélité dans le couple, le viol, le vol, la calomnie et la médisance ayant conduit à de graves préjudices sur la moralité et/ou sur la notoriété du défunt de son vivant. Lorsqu’un candidat est fautif et s’efforce d’accomplir ce rite, le signe avant-coureur de sa prochaine punition sera de trébucher ou de chuter en public, preuve que le défunt est en train d’« attraper son pied ».

(Sources : Dr Patrice KOURAOGO, Chargé de Recherche, Sociologue au CNRST-INSS)

Une pratique mortuaire également présente aux Antilles

« D’une part, « Les femmes rangeaient la maison, couvraient les miroirs de draps blancs et paraient le lit des plus beaux attributs après qu’une planche ait été posée sur le matelas afin de maintenir le corps bien droit. II était aussi de tradition de faire enjamber la dépouille par tous ceux qui avaient peur des morts ». (Source : Antilles : Les rites funéraires d’antan)

Pessa’h et l’enjambement

Chacun sait que Pessa’h est le nom d’une fête juive ; Bernard Marquier dans son livre “De Moïse à Hiram: Et si c’était cela la franc-maçonnerie ?” y fait allusion :

Pour mémoire, rappelons que l’enjambement, c’est aussi … une technique de versification utilisée en poésie : cf la définition :

“Rejet au début du vers suivant d’un ou plusieurs mots indispensables à la compréhension du sens du premier vers.” (Source CNRTL)

En conclusion :

Tout se passe comme s’il s’agissait d’une gestuelle magique de possession et de transmutation qui permet le transfert de l’âme du défunt vers l’âme de l’officiant. Cela ressemblerait plus à une pratique animiste populaire !

L’enjambement du cercueil vide dans le rituel d’élévation à la maîtrise est un symbole gestuel particulier qui ne semble pas avoir été très documenté  ; sauf ignorance de notre part, ce symbolisme ne se retrouve dans aucune tradition chrétienne de la fin du moyen-âge.

La seule explication logique fait référence à une relation virtuelle entre le corps supposé d’Hiram dans le cercueil et l’exécutant des huit pas de la marche du Maître (ou de la Maîtresse).

3 Commentaires

  1. L’accompagnement d’une ordalie au moment où le récipiendaire enjambe le cadavre du Maître Hiram. Jusqu’au XVII e siècle, à travers toute l’Europe, parmi toutes les ordalies (jugements de Dieu), on était persuadé que si l’on mettait le cadavre d’un homme assassiné près de son meurtrier supposé, le cadavre saignait si le suspect était véritablement coupable ; c’était «la voix du sang», l’accusation par la victime.

    • Merci MTCS Solange pour ce rappel d’une coutume moyen-âgeuse ; la question que l’on pourrait se poser est de savoir si cela peut s’appliquer à la franc-maçonnerie : il y a des arguments en ce sens en particulier pour l’ordalie unilatérale où on pourrait assimiler le profane à un supposé prévenu devant prouver son innocence dans le crime d’Hiram en subissant des “épreuves” (n’est ce pas le mot utilisé par notre rituel) ; si l’enjambement du corps est une des épreuves (la dernière) cela voudrait dire qu’il y a le corps d’hiram dans le cercueil et qu’il pourrait saigner ! Cela fait beaucoup de si … Mais on sait aussi que les ordalies ont été condamnées par l’église ! Et pourquoi ne retrouve-t-on pas l’enjambement dans d’autres cultes ? Fraternité et respect !

  2. Merci pour ces éclairages. Toutefois, au Rite Ecossais Rectifié, dès le 1er grade, il y a enjambement du tapis de loge, selon ces mêmes 3 pas ; idem aux 2ème et 3ème grades. Dans ce dernier également au dessus de la “dépouille” placée sur le tapis du grade. Nos rituels parlent pour ces 3 grade des “pas maçonniques”.
    Cette particularité du RER me semble être d’une autre nature.

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Alain Bréant
Alain Bréant
Médecin généraliste, orientation homéopathie acupuncture initié en 1979 dans la loge "La Voie Initiatique Universelle", à l'orient d'Orléans, du GODF Actuellement membre de la RL "Blaise Diagne" à l'orient de Dakar - GODF Auteur sous le pseudonyme de Matéo Simoita de : - "L'idéal maçonnique revisité - 1717- 2017" - Editions de l'oiseau - 2017 - "La loge maçonnique" - avec la participation de YaKaYaKa, dessinateur - Editions Hermésia - 2018 - "Emotions maçonniques " - Poèmes maçonniques à l'aune du Yi King - Editions Edilivre - 2021

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