dim 24 novembre 2024 - 14:11

Il y a 80 ans, le 15 décembre 1943, les francs-maçons étaient rétablis dans leurs droits

C’est frère Jean qui nous a rappelé cette date anniversaire. Qu’il soit, ici et maintenant, remercié.

Si l’année 2024 sera forte en émotions puisqu’elle marquera le 80e anniversaire du Débarquement et de la Bataille de Normandie ainsi que tous les autres faits majeurs de cette année 44, 2023 commémore, ce vendredi 15 décembre, le rétablissement des droits pour les francs-maçons.

Retour sur la triste et sinistre année 1940…

Pour les nouveaux gouvernants, la débâcle ne trouvait pas son origine dans des erreurs militaires. Elle s’expliquait, pour une part, par les aléas politiques récents mais l’essentiel tenait en fait au soi-disant pourrissement de la société, travaillée par ce que Pétain* (1856-1951) appela lui-même « les forces de l’anti-France », à savoir le Juif, le communiste, l’étranger et le franc-maçon. Dans une vision de complot très caractéristique de l’extrême droite française, rien ne servait de lutter contre l’occupation, qui n’était qu’un symptôme, il fallait s’attaquer aux racines du mal en régénérant la société française de l’intérieur par le rassemblement des éléments dits “purs” autour des valeurs traditionnelles (travail, famille, patrie, piété, ordre) et par l’exclusion des “impurs” responsables de la défaite. Dans cette perspective, le camp d’internement était une pièce majeure du dispositif.

Emblème officiel du maréchal Pétain en tant que chef de l’État.
Emblème officiel du maréchal Pétain en tant que chef de l’État.

Les lois de Vichy sur la franc-maçonnerie

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la franc-maçonnerie subit l’épreuve la plus terrible de son histoire. Celle qui s’est identifiée à la philosophie des Lumières choisit le camp de la France républicaine et démocratique. Affirmant vouloir travailler à « l’amélioration matérielle et morale, au perfectionnement intellectuel et social de l’humanité », elle trouve face à elle l’acharnement diabolique des nazis et l’entreprise de persécution mise en place par l’État français du maréchal Pétain. La période 1940-1944 marque l’aboutissement de décennies de frénésie antimaçonnique. L’ordre nouveau du maréchal Pétain, de Laval et de Darlan n’a de cesse de liquider, dans tous les sens du terme, tout ce qui, de près ou de loin, peut avoir un quelconque lien avec la franc-maçonnerie.

Musée de la Grande Loge de France.
Musée de la Grande Loge de France.

Pour Pétain, un Juif n’est jamais responsable de ses origines, un franc-maçon l’est toujours de son choix. Les chiffres, sont eux aussi éloquents : 3 000 fonctionnaires perdent leur emploi, plus de 1 000 sont assassinés par les Allemands et 64 000 francs-maçons sont fichés.

Tout commence le 10 juillet 1940 quand l’Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Dès l’été, la répression s’abat sur la franc-maçonnerie, frappant les structures de l’ordre, ses biens, ses adhérents, et jusqu’à son image avec la diffusion du film Forces occultes en 1943.

La loi du 13 août 1940 s’attache également à légiférer sur le sort du patrimoine des sociétés secrètes. Le dépouillement de l’Ordre de tous ses biens se fait au profit de l’administration générale de l’Assistance publique pour la capitale et des bureaux de bienfaisance pour la province. Plus tard, les immeubles seront également attribués aux Scouts de France ainsi qu’aux œuvres scolaires et sportives.

Musée de la Grande Loge de France.

Cette loi s’attache en premier lieu à mettre au pas la fonction publique. L’article 5 stipule : « Nul ne peut être fonctionnaire, agent de l’État, des départements, communes, établissements publics, colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat français, nul ne peut être employé par un concessionnaire de service public ou dans une entreprise subventionnée par l’État ou par une des collectivités publiques ci-dessus désignées :

S’il ne déclare pas sur l’honneur, soit ne jamais avoir appartenu à l’une des organisations définies à l’article 1, soit avoir rompu toute attache avec elle ;

S’il ne prend l’engagement d’honneur de ne jamais adhérer à une telle organisation, au cas où elle viendrait à se reconstituer.

La déclaration et l’engagement prévus par le présent article sont constatés par écrit. »

En cas de fausse déclaration, des sanctions sont prévues combinant révocation, fortes amendes et peines de prison pouvant atteindre deux années. Dès le 14 août, la menace véritable se précise avec la communication des formulaires prévus à la déclaration des fonctionnaires. Ils sont de deux sortes : un pour les profanes et un autre de renoncement définitif pour les anciens membres. Une deuxième circulaire en date du 1er juillet 1941 prescrit de nouvelles déclarations. Cette fois, les obédiences sont expressément visées : Grand Orient de France, Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière, etc. La chasse aux faux déclarants, c’est à dire ceux qui ont souscrit la déclaration de non-appartenance à la place de celle de renonciation définitive, peut alors recommencer.

La loi du 11 août 1941 ordonne la publication au Journal officiel des noms et rangs des dignitaires et hauts gradés de la franc-maçonnerie. Cette loi prive des milliers de francs-maçons de leur emploi et de leur mandat d’élu.

À moi les enfants de la veuve.

Jamais, les « Enfants de la Veuve » n’ont, en tant que tels, apporté un quelconque soutien au régime de Vichy. Tout au contraire, face à l’adversité, ils ont entrepris de faire face, en se défendant pied à pied, avec « Force, sagesse et beauté ».

15 décembre 1943, la lumière recommence à croître !

Ce jour-là, un mercredi, le général de Gaulle décide le rétablissement des loges maçonniques dans tous leurs droits. C’est la conséquence de la rencontre d’une délégation « fraternelle » qui est reçue, dès le 17 octobre 1943, à Alger par le chef de la France combattante qui apprend et s’étonne « avec une stupéfaction non que les loges de toutes les obédiences ne sont toujours pas autorisées à reprendre leurs travaux ».

Michel Dumesnil de Gramont.

Il charge alors Jacques Soustelle (1912-1990) de régler cette question. Ce dernier en informe les représentants du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France. Le Grand Maître de cette dernière obédience, Michel Dumesnil de Gramont (1888-1953) – initié le 16 février 1919 à l’âge de 31 ans au sein de la loge « Cosmos » et grand maître emblématique de la GLDF pendant 14 ans (1934-1935/1938-1948/1950-1952) –, venu à Alger pour y représenter le mouvement de Résistance « Libération-Sud » à l’Assemblée consultative, intervient à son tour.

Assemblée consultative provisoire d’Alger, 1943.

À la tribune, Yvon Morandat interpelle à ce propos le Général qui confirme : « Nous n’avons jamais reconnu les lois d’exception de Vichy ; en conséquence, la Franc-maçonnerie n’a jamais cessé en France ». L’ordonnance du Comité français de la Libération nationale (CFLN) qui abolit les mesures antimaçonniques est signée le 15 décembre 1943. Les biens devront être restitués et les victimes des mesures d’exclusion, réintégrées et reclassées. En effet, de nombreux fonctionnaires maçons ont été révoqués par Vichy pour leur appartenance et sont dans des situations précaires. Certains sont des membres actifs de la Résistance intérieure ou extérieure.

L’ordonnance du 22 novembre 1943 relative aux conditions de réintégration des agents évincés en raison de leur qualité de juif, de leur appartenance aux sociétés secrètes

Associons aussi à cette commémoration, la date du 22 novembre qui est celle de l’ordonnance du 22 novembre 1943 relative aux conditions de réintégration des agents et employés des services concédés ou subventionnés, évincés en raison de leur qualité de juif, de leur appartenance aux sociétés secrètes, ou atteints par la loi du 17 juillet 1940 ou les textes subséquents.

Cette ordonnance traitait de la situation des personnes qui avaient été exclues de leur emploi en raison de leur appartenance ethnique (notamment les Juifs), de leur affiliation à des sociétés secrètes (comme la franc-maçonnerie), ou de leur opposition aux lois et politiques du régime de Vichy, notamment la loi du 17 juillet 1940.

L’ordonnance visait à établir les conditions pour la réintégration des employés des services publics ou des entreprises subventionnées par l’État qui avaient été évincés en raison de leur “qualité de juif”, de leur appartenance à des sociétés secrètes, ou parce qu’ils étaient visés par la loi du 17 juillet 1940 ou des textes subséquents. Cette loi du 17 juillet 1940 était un acte constitutionnel établissant les pleins pouvoirs à Pétain et marquait le début de la mise en place du régime autoritaire de Vichy.

Rappelons-nous que le régime de Vichy, collaborant avec l’Allemagne nazie, avait mis en place diverses lois antisémites et des politiques discriminatoires. Les personnes de confession juive et les membres de la franc-maçonnerie étaient particulièrement ciblés, ces derniers étant souvent associés à des idées républicaines et anti-autoritaire.

Par ailleurs, il faut noter que l’impact de cette ordonnance était limité, car elle ne pouvait pas contrer efficacement la vaste portée des discriminations et persécutions menées sous le régime de Vichy. De plus, la situation de la guerre et l’occupation allemande rendaient difficile la mise en œuvre effective de telles mesures.

Après la guerre, avec la chute du régime de Vichy et la libération de la France, de nombreuses mesures discriminatoires ont été abrogées et des efforts ont été entrepris pour restaurer les droits et les positions des personnes injustement persécutées.

Prendre connaissance de l’ordonnance

*Militaire et homme d’État français, Philippe Pétain est surtout connu pour son rôle controversé pendant la Seconde Guerre mondiale. Après avoir été un héros national en France pour son rôle durant la Première Guerre mondiale, notamment lors de la bataille de Verdun, Pétain a pris une trajectoire radicalement différente durant la Seconde Guerre mondiale.

Après la défaite rapide de la France face à l’Allemagne nazie en 1940, Pétain est devenu chef de l’État du régime de Vichy, un gouvernement français qui a collaboré avec l’Allemagne nazie. Ce régime, basé dans la ville de Vichy, était autoritaire, anti-républicain, et a mis en place plusieurs politiques antisémites et collaboratives avec les nazis.

La collaboration de Pétain avec l’Allemagne nazie a inclus diverses mesures, telles que l’assistance à la déportation des Juifs de France vers les camps de concentration, la participation à la persécution des résistants et opposants politiques, et la collaboration économique et militaire avec les forces d’occupation allemandes.

Le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain rencontre le chancelier Hitler

Après la libération de la France en 1944, Pétain a été arrêté, jugé pour trahison et condamné à mort, une peine qui a ensuite été commuée en emprisonnement à vie par le général Charles de Gaulle.

Dans la petite gare de Montoire-sur-le-Loir (Loir-et-Cher), le 24 octobre 1940, le maréchal Pétain rencontre le chancelier Hitler en présence de Pierre Laval et du général Keitel. Par une poignée de main symbolique, le maréchal Pétain montre qu’il “entre dans la voie de la collaboration”. Une illustration due à Heinrich Hoffmann, photographe et personnalité politique allemand.

Sources : L’histoire en rafale ; Chemins de mémoire ; Fondation Charles de Gaulle

Les trois photos des fiches (© YG) proviennent du musée de la GLDF et publiées sont aimable autorisation. La photo du bandeau représente les membres du Conseil National de la Résistance, en août 1944, autour de son président Georges Bidault (Démocrate Chrétien). Portrait collectif, groupe de résistants. De gauche à droite : Jacques Debû-Bridel (fédération républicaine et Républicains nationaux) ; Pierre Villon (Front National) ; Gaston Tessier (Confédération française des Travailleurs) ; Robert Chambeiron (secrétaire général adjoint du C.N.R.) ; Pascal Copeau (Libération Sud) ; Joseph Laniel (Alliance Démocratique) ; Lecomte-Boinet (Ceux de la Résistance) ; Georges Bidault ; André Mutter ; Henri Ribière (Libéartion Nord) ; Daniel Mayer (Parti socialiste S.F.I.O) ; Jean-Pierre Lévy (Franc-Tireur) ; Paul Bastid (Parti radical et radical-socialiste) ; Auguste Gillot (P.C.F) ; Pierre Meunier (secrétaire général du C.N.R) et Louis Saillant (C.G.T.).

4 Commentaires

  1. Mais il ne faut pas oublier que tous les députés et sénateurs francs-maçons qui étaient présent à Bordeaux en 1940 ont voté les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, tous grades et toutes obédiences confondues.

  2. Bonne explication, très claire pour ceux qui connaissent un peu. Mais comment voulez-vous qu’ un jeune qui désire apprendre puisse s’y retrouver quand on luis dit que l’ordonnance du Comité français de libération nationale à force de loi au même titre que celles de l’Etat français, officiel lui, et reconnu internationalement. L’union de la nation repose sur son organisation dirigeante, changeante certes, mais unique dans l’instant. D’ailleurs, viendra plus tard le moment où les lois gaullistes s’appliqueront.

    • Mon TC & BAF Jules,
      Rappelons, d’un premier temps, que la libération d’Alger, la capitale de l’Algérie, par les forces alliées pendant la Seconde Guerre mondiale, a eu lieu le 8 novembre 1942. Cette opération faisait partie de l’Opération Torch, qui était la première grande offensive des Alliés en Afrique du Nord. Les forces américaines, britanniques et autres alliées ont lancé des invasions simultanées sur plusieurs fronts en Afrique du Nord, avec pour objectif de déloger les forces de l’Axe, principalement italiennes et allemandes, de la région. La réussite rapide de l’opération à Alger a été cruciale pour le succès global de la campagne en Afrique du Nord.
      Dans un second temps, il faut préciser que l’ordonnance du Comité Français de la Libération Nationale (CFLN), qui a aboli les mesures antimaçonniques prises par le régime de Vichy, a été signée le 15 décembre 1943 à Alger. À cette époque, Alger était en effet en territoire français libéré, suite à l’Opération Torch.
      Cette ordonnance faisait partie d’une série de mesures prises par le CFLN pour rétablir les libertés et annuler les lois discriminatoires imposées par le régime de Vichy. Le CFLN, dirigé initialement par le Général Charles de Gaulle et le Général Henri Giraud, était un organe de gouvernement provisoire qui cherchait à restaurer la République française et à lutter contre l’occupation allemande et le régime collaborationniste de Vichy.
      L’abolition des mesures antimaçonniques était un pas important vers la restauration des libertés en France, car le régime de Vichy avait adopté une politique fortement antimaçonnique, alignée sur celle de l’Allemagne nazie.
      Il s’agit donc bien de 1943, cf. notre illustration de « La Dépêche algérienne » du 4 juin 1943 avec Georges Catroux (1877-1969), général d’armée – le plus haut gradé de l’armée française à se rallier à de Gaulle dès le 22 juin 1940 -, ministre de la IVe République et ambassadeur français qui fut l’un des principaux généraux ralliés au général de Gaulle après l’appel du 18 Juin et joua un rôle prééminent dans l’action de la France libre, est nommé gouverneur général de l’Algérie..
      Mon TC & BAF Jules, grand merci pour ton questionnement.
      Avec l’espoir d’y avoir répondu et restant dans l’attente du plaisir de te revoir bientôt.
      YG

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Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti
Yonnel Ghernaouti, fut le directeur de la rédaction de 450.fm de sa création jusqu'en septembre 2024. Il est chroniqueur littéraire, membre du bureau de l'Institut Maçonnique de France, médiateur culturel au musée de la franc-maçonnerie et auteur de plusieurs ouvrages maçonniques. Il contribue à des revues telles que « La Chaîne d’Union » du Grand Orient de France, « Chemins de traverse » de la Fédération française de l’Ordre Mixte International Le Droit Humain, et « Le Compagnonnage » de l’Union Compagnonnique. Il a également été commissaire général des Estivales Maçonniques en Pays de Luchon, qu'il a initiées.

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